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mercredi, 04 juillet 2012

The Amazing Spiderman [Cinéma/Critiques]

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Ce reboot très attendu de l'homme-araignée a fait couler beaucoup d'encre. Le départ de Sam Raimi de la saga ne s'étant pas fait simplement dans l'esprit des fans autant que d'un point de vue plus industriel. Fallait-il pour autant relancer si tôt la machine ? Difficile à dire. Le résultat en vaut-il la peine ? De ce côté là la réponse est heureusement plus évidente. 

Après une romcom de qualité (500 jours ensemble), Marc Webb fait le grand écart en orchestrant le retour du super héros au collant rouge et bleu. Grand écart ? En fait, pas vraiment, puisque le réalisateur met au service du film sa capacité à rendre les rapports humains crédibles et émouvants. La genèse de Spiderman prend son temps permettant de mieux nous attacher et nous identifier à sa nouvelle incarnation, Andrew Garfield (The Social Network), l'heureux élu. Plus longiligne que Tobey McGuire, il est un Spiderman aussi convaincant dans sa constante dualité et s'avère plus proche encore de l'araignée dans son comportement et ses stratégies (cf la scène de la toile dans les égouts).

Son duo avec Emma Stone (Gangster Squad) parvient l'exploit de nous faire oublier l'ancien, apportant un nouveau charme et une complicité plus intense et spontanée. Car Amazing casse les codes établis auparavant pour mieux exploiter l'essence du héros (et de l'héroïsme) et de sa dramaturgie. Le ton est plus sombre, les enjeux mieux dessinés. On sent que Dark Knight et Kick-Ass sont passés par là et ce nouvel opus profite grandement de cette nouvelle direction.

Qu'en est-il du bad guy de service alias Connors/le Lézard ? Ses liens avec Peter Parker ne sont pas sans rappeler ceux tissés avec Doc Oc dans Spiderman 2, ce qui est un gage de qualité. Les deux ennemis sont des génies scientifiques pleins de bonnes résolutions concernant l'être humain. Mais l'on sait tous que l'enfer est pavé de bonnes intentions. Les deux hommes l'apprendront chacun à leurs dépens. Les combats qui les réunissent ne manquent pas de punch et de virtuosité, le Lézard étant un adversaire puissant et impressionnant.

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A l'image de ce plan, les poses et attitudes de Spidey ont été remarquablement soignées, reprenant celles des comics et conférant au film une esthétique et une dynamique savoureuses. Cette fois, la toile de Spidey ne sera pas naturelle, mais un gadget dernier cri, revenant ainsi aux sources du comics.

Après Avatar, l'on est heureux également de retrouver le meilleur de James Horner qui nous offre ici une partition efficace sans tomber dans son travers habituel, celui de régurgiter maladroitement ses précédentes compositions. Cette fois les thèmes sont clairs et accrocheurs avec des choeurs réguliers pour souligner la dimension héroïque.

Côté défauts, on notera que la séquence du sauvetage de l'enfant est techniquement en deça du reste et on regrettera l'absence du spectaculaire plan-séquence en vue subjective qui constituait l'alléchante première bande-annonce du film. On se consolera avec quelques plans à la première personne disséminés par-ci par-là.

Mais c'est vraiment histoire de chipoter car le film mérite bel et bien son superlatif d'Amazing. On frissonne de plaisir de retrouver un Spidey au bout de sa toile, à la fois proche et loin de nous, et la larme à l'oeil, on suit son parcours torturé en sachant que sa destinée est un don autant qu'une malédiction. Cela n'empêche pas la présence de gags très réussis comme le caméo de Stan Lee, sans doute le plus drôle à ce jour ainsi que la scène de rencard la plus absurde et hilarante jamais vue !

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Peter Parker peut compter rapidement sur Gwen Stacy pour l'épauler...et plus si affinités !

 

 

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mardi, 03 juillet 2012

John Carter [Cinéma/Critiques]

Il y a des films qu'on attend pas et qui connaissent un succès retentissant - mérité ou non - et d'autres qui connaissent un échec cuisant pour le moins cruel. John Carter of Mars fait partie de la dernière catégorie.

Après nous avoir ébloui avec son inoubliable Wall-E, Andrew Stanton réalise un vieux rêve à savoir l'adaptation d'une histoire originale de Edgar Rice Burroughs, le papa de Tarzan.

Le film de par son ton général et son mélange de genres (Space-Opera, Heroic Fantasy, Western) rappelle l'ambiance à la fois légère et épique des films de série des années 80 comme Flash Gordon ou Krull. Une princesse promise à un mariage forcé, des guerres ancestrales entre plusieurs clans humains et extraterrestres, des êtres mystiques aux pouvoirs divins supervisant le destin de la planète et au milieu de tout cela le dénommé John Carter, ancien héros de guerre, rebelle jusqu'au bout des ongles et qui trouvera, en atterrissant sur la planète rouge, ce qu'il avait toujours fui : une cause à la mesure de sa bravoure !

Le budget alloué à cette superproduction se vérifie très vite : décors fastueux, action gorgée de séquences spectaculaires avec en leitmotiv les sauts démesurés -mais justifiés- de John Carter alias Taylor Kitsh (décidément incontournable) très à l'aise dans ce rôle de héros vaillant au coeur pur. Après Wolverine Origins, il retrouve à ses côtés la belle Lynn Collins qui semble avoir pris grand plaisir à incarner la Princesse Dejah Thoris, une femme d'envergure à la fois forte et sensible. Les Tarks - les créatures dont Carter sera tour à tour l'ennemi, l'allié et le leader - sont très crédibles sur les plans du visuel et de l'interprétation et même attachantes, mais le film est parfois noyé par la surenchère d'effets digitaux employés pour restituer la richesse de l'univers.

Si le coeur de l'histoire qui nous est contée est d'un classicisme indéniable, il est tout aussi évident que l'origine et le dessein du héros réservent de bonnes surprises et un intérêt constant. Même si elle n'est pas répartie de la même façon, on peut affirmer que l'addition Western-SF fonctionne bien mieux que dans Cowboys & Envahisseurs.

Sans être un chef-d'oeuvre, le film demeure un divertissement de qualité, bien plus honorable en tout cas que beaucoup de blockbusters qui se frayent injustement un chemin aux premières places du box-office. Il a le mérite - en outre - de nous faire entrevoir ce que pourrait donner l'adaptation du Cycle de Tschaï de Jack Vance avec lequel il partage la même ambition. En espérant, si elle devait voir le jour, qu'elle connaisse évidemment un meilleur sort.

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Sans Edgar Rice Burroughs, le Tarzan de Disney n'aurait jamais existé. Mais sans Disney, le John Carter de Burroughs n'aurait point vu le jour. La boucle est bouclée.

 

 

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vendredi, 29 juin 2012

Source Code de Duncan Jones

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Après Moon, son premier film acclamé, Duncan Jones revient aux commandes d'un film à priori plus ambitieux, mélangeant habilement thriller et anticipation.

Dans Source Code, Jake Gyllenhaal (Prisoners) doit retrouver dans un train l'auteur d'un attentat afin d'en empêcher un second beaucoup plus important. La mauvaise nouvelle : il n'a que 8 minutes. La bonne : ces 8 minutes sont... renouvelables. On en dira pas plus pour ne pas gâcher les surprises qui, malheureusement, nous sont un peu trop épargnées. Si vous avez vu la bande-annonce, vous en savez déjà presque trop.

Le concept introduit est assez original et la trame est agréable à suivre, rappelant des classiques comme Un Jour sans Fin ou la série Code Quantum. L'idée de la double enquête est excellente, mais on regrette beaucoup que le scénario nous mâche autant le travail, réduisant l'intensité du sujet. Quant au thème abordé, il a déjà connu plusieurs heureuses adaptations telles que Déjà-Vu, Next ou encore The Jacket. Il aurait donc fallu quelques ingrédiens supplémentaires pour parvenir à nous scotcher réellement et réinventer le genre.

On sent que le réal est sur la bonne voie pour nous offrir un film à la mesure de ses intentions. Gageons que le troisième soit enfin le bon !

 

Pour connaître d'autres films sur le même thème : Le Voyage dans le Temps

 

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mercredi, 13 juin 2012

Blanche Neige et le Chasseur

blanche neige et le chasseur

Après la version légère et colorée de Tarsem Singh, voici la version sombre et épique de Rupert Sanders.

Inscrite dans l'inconscient collectif grâce à l'inoubliable film de Walt Disney, ce conte de Grimm fait l'objet en l'espace de quelques semaines de deux nouvelles versions radicalement opposées. On ne perdra pas de temps à se demander pourquoi, ce genre de "compétition" devenant de plus en plus courant dans le domaine du 7ème art (cf La Guerre des Boutons chez nous).

Intéressons-nous plutôt à ce qui fait l'intérêt de cette adaptation.

Tout d'abord le casting a fait l'objet d'un soin particulier. Tous les acteurs et actrices sont taillés pour ces personnages iconiques et donnent le meilleur d'eux-mêmes à commencer par Charlize Theron qui prend un malin plaisir à jouer les Reines de Beauté désireuses de le rester à tout prix. En cela elle rappelle fortement la sorcière incarnée par Michelle Pfeiffer dans l'excellent Stardust. Même si on peut reprocher un peu trop de théâtralité dans une scène avec celui qui joue son frère, son jeu et sa beauté glacials contrastent parfaitement avec le charme et le feu de Kristen Stewart. Chris Hemsworth (Avengers), quant à lui, est parfait en chasseur vaillant et torturé, sorte de déclinaison de Thor, le rôle qui l'a exposé au grand jour.

  Afficher l'image d'origine

S'il y a bien un autre aspect qui marque le spectateur, c'est le travail sur l'univers et particulièrement le visuel. L'esthétique des costumes de Ravenna, campée par Charlize Theron, est magnifique, prolongement parfait de cette beauté du diable. On retiendra aussi des scènes très graphiques comme celle du miroir, de l'attaque de la Forêt, ou encore du bain de lait. La séquence du Sanctuaire, quant à elle, est pour le moins féerique et l'espace de quelques instants nous invite même dans le Princesse Mononoké de Myazaki. Certains crieront peut-être au plagiat, mais le fait est que la magie opère.

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En fait toute la réussite et l'originalité du film est de nous faire voyager dans un monde de fantasy aux multiples facettes, qu'il soit sombre ou lumineux. L'imagerie en elle-même nous renvoie fortement vers des oeuvres classiques comme Bilbo le Hobbit (les chansons des nains) et L'Histoire sans Fin (La progression du Chaos, le cheval blanc prisonnier de la boue). Et quand vient le moment de rallier des soldats pour la bataille finale, Blanche Neige nous apparaît comme une Jeanne d'Arc exhortant ses troupes à épouser sa foi.

Ceci dit, toutes ses brillantes idées ne parviennent pas à dissimuler une absence de souffle et de rythme. Tous les ingrédients sont là, mais il manque un liant pour en faire une recette vraiment explosive. Les sept nains (essayez de les reconnaître !) sont drôles et attachants, mais beaucoup trop sous-exploités et la confrontation finale nous réserve un maigre morceau de bravoure comparé à tout ce qu'on a pu voir en la matière. On regrette à ce titre que les créatures fantastiques rencontrées en chemin ne fassent que de la figuration au lieu de jouer un rôle décisif dans la bataille. Peut-être que le réalisateur craignait trop de copier des références telles que Narnia ou encore Willow.

En résumé, une version qui tranche avec bonheur avec les précédentes grâce à un univers Fantasy assez mâture et élaboré, mais qui malgré cela ne va pas jusqu'au bout de ses épiques ambitions.

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mardi, 12 juin 2012

Jusqu'en Enfer de Sam raimi

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Entre deux Spiderman, Sam Raimi revenait aux sources de son cinéma, à savoir l'épouvante débridée !

Après une intro intense et un affrontement mémorable dans un parking, on se dit que le réal a voulu se faire plaisir et nous faire plaisir en nous offrant du frisson haut de gamme. Malheureusement, le film perd petit à petit tous les bons points accumulés, la faute principalement à des effets peu ragoûtants voire carrément grand guignolesques qu'il répète beaucoup trop et qui cassent le sérieux de l'ambiance générale. Ce choix très discutable est d'autant plus regrettable que cette histoire de malédiction est aussi prenante qu'originale et que plusieurs séquences (dont celle de la visite de la Lamia  dans la maison de l'héroïne) sont particulièrement réussies. Pour toutes ces raisons, il est d'ailleurs fortement recommandé d'avoir le coeur et les nerfs bien accrochés.

Alison Lohman est belle comme un coeur et sa fraîcheur est un contraste parfait avec la laideur de sa persécutrice. Dommage que son jeu manque d'intensité dans certaines scènes cruciales.

Autres points noirs à énoncer : une séquence d'exorcisme censée constituer le clou du spectacle et qui prête plus au ridicule qu'à autre chose. Et pour finir et c'est sans doute ce qui gâche le plus le potentiel du film, une chute complètement ratée puisqu'on la voit venir à des kilomètres !

Le constat est donc plus que mitigé. Si Sam Raimi avait conservé un ton dramatique au lieu de lorgner vers sa cultissime saga Evil dead et si son scénario avait été moins prévisible, il aurait pu sans nul doute nous livrer une véritable perle du genre. En l'état, il ne fera le bonheur que des plus inconditionnels et des cinéphiles les moins exigeants et surtout les moins perspicaces.

 


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mardi, 08 mai 2012

INCEPTION : Esprits Frappeurs [Fanfic]

 

Nathan Tyrdell était conscient de sa supériorité. Son prisonnier beaucoup moins. Il se sentit obligé de le convaincre :

- Cette maison n’est pas très grande et elle est loin, très loin de la ville la plus proche. Si j’étais optimiste, je dirais que les chances que tes amis ont de te retrouver frôlent le zéro.

Le prisonnier le toisait avec une absence totale d’expression. L’interrogatoire n’allait pas être simple. Mais Tyrdell s’en moquait. Il avait tout son temps et chaque bribe d’information qu’il parviendrait à extraire de l’homme serait pour lui la source d’une joie sans nom.

Comme pour le lui annoncer, il pêcha une pomme dans la coupe posée sur la table – unique décoration de la pièce – et mordit dedans à pleines dents. Il jeta un bref coup d’œil à travers la fenêtre derrière lui. On pouvait entendre les bruits familiers de la campagne à l’heure où elle s’endort. N’eut été la situation, il se serait volontiers laissé bercer par la douce plainte du vent et le chant des grillons.

- Je ne suis pas celui que vous croyez.

Le prisonnier parlait enfin. Pour Tyrdell, c’était déjà une victoire. Il commençait à se soumettre.

- Ok. Alors dites-moi qui vous êtes.

L’homme se mordit la moustache. Des ecchymoses couvraient son visage émacié. Tyrdell ne se souvenait plus d’où elles venaient. L’arrestation avait-elle été aussi violente ? L’avait-il battu pour le faire parler ? Etrange. Il n’arrivait pas à se souvenir. D’ailleurs en y repensant, il ne se souvenait pas non plus comment ils étaient arrivés jusque-là. Voiture civile, transport spécial ? Train, avion, hélico ?

Tyrdell secoua la tête. C’était au prisonnier de se sentir paumé, pas à lui. Il était fatigué, voilà tout. Le voyage avait dû être long et ce face à face sans doute entamé depuis plusieurs heures. Il en avait vu d’autres.

Comme si le prisonnier avait soupçonné son trouble, il ajouta :

- Nous ne sommes pas non plus où vous croyez que nous sommes.

L’assurance du type faisait froid dans le dos. Tyrdell s’empêcha de déglutir pour ne pas trahir son inquiétude.

- Bien. Dites-moi tout.

Tyrdell tendit la main pour croquer sa pomme, mais elle n’était plus là où il l’avait laissée. La coupe aussi avait disparu.

- Regardez par la fenêtre.

Tyrdell avait la désagréable sensation de ne plus maîtriser la situation. Pire. Il avait le sentiment très net de se retrouver dans le rôle du prisonnier. Il obéit avec un geste traduisant un maximum de dédain. Ce qu’il vit au-dehors le bouleversa au-delà des mots. Comme pris d’un vertige, il se recula et se raccrocha à la table, le visage livide.

- Bordel, mais qu’est-ce que…

Il se tourna vers le prisonnier. Ce dernier baissa la tête comme pour se soustraire à sa vue. Lorsqu’il la releva, son visage n’était plus le même. Les ecchymoses, la moustache, tout cela avait disparu. Sans qu’il pût l’expliquer, Tyrdell contemplait désormais une femme aux cheveux blonds dans un costume d’homme. Elle le dévisagea froidement :

- Ce n’est que le commencement, Tyrdell !

Elle donna un violent coup dans la table avec ses pieds, se projetant à travers la porte derrière elle.

Ligotée sur sa chaise, elle plongea dans le vide, s’éloignant à toute vitesse du building suspendu entre ciel et terre. Les fenêtres de l’immeuble explosèrent et des gardes jaillirent des débris de verre pour fondre droit sur elle tels des oiseaux de proie. Il y en avait une dizaine. Et ils arrivaient très vite.

La femme eut la vision fugitive d’un océan en contrebas. Si elle pouvait l’atteindre avant qu’ils ne l’atteignent, elle, elle serait alors hors de danger. Si seulement elle pouvait se libérer de ses liens. Tyrdell avait bien serré. Même dans l’état d’ahurissement dans lequel il devait être, son esprit était encore solide. On ne lui avait pas menti à son sujet. C’était un adversaire redoutable. Elle essaya de faire abstraction de sa situation pour se focaliser sur la corde enserrant ses poignets. Le premier garde était presque sur elle lorsqu’elle se libéra. Il se jeta sur la chaise. En un tournemain, elle l’attacha au siège au moment où ses acolytes ouvraient le feu. Son bouclier improvisé fut rapidement criblé de balles lui laissant tout le loisir de plonger droit vers l’océan. Des balles fusèrent tout près d’elle, lui indiquant que le stratagème n’avait pas fait long feu. Elle ôta sa veste de smoking et la jeta derrière elle. Son plus proche assaillant la reçut en pleine figure, lui faisant gagner de précieuses secondes. L’eau miroitante n’était plus qu’à une centaine de mètres. Comme aurait dit Tyrdell, en étant optimiste, les chances qu’elle avait de survivre à une telle chute frôlaient le zéro. Heureusement le monde dans lequel elle évoluait remettait totalement cette perspective en question. Une balle siffla à un cheveu de sa joue droite. Il fallait qu’elle évite toute blessure, toute douleur extérieure à elle. Le moment n’était pas venu de sortir. Elle avait encore des choses à faire ici. Elle se concentra sur sa chute. Elle atterrit sur l’océan, un genou fléchi, comme sur un terrain solide. Les gardes, eux,  plongèrent tout autour d’elle, dans de grandes éclaboussures. L’espionne se releva. Elle fit quelques pas sur l’eau, se délectant du caractère surréaliste de la situation.

- J’adore ce job !

Mais Tyrdell n’avait pas dit son dernier mot. Il s’était mêlé à ses poursuivants. Elle le vit s’élever hors des flots à la verticale avant de poser les pieds sur la surface comme elle venait de le faire.

- Je ne sais toujours pas qui tu es, mais j’ai une idée plus précise de l’endroit où nous sommes.

Il regarda autour de lui avant d’ajouter :

- Mon esprit ou le tien ?

L’espionne allait répondre quelque chose, mais elle comprit que Tyrdell essayait moins de connaître ses intentions que de gagner du temps. Elle repéra les gardiens – simples extensions défensives de l’esprit de Tyrdell – se mettre stratégiquement en place sous la surface de l’océan. Eux aussi profitaient pleinement des capacités extraordinaires du rêve dans lequel ils cohabitaient temporairement. Debout, la tête renversée, du moins de son point de vue à elle, ils avançaient sournoisement l’arme à la main dans sa direction, espérant la piéger mortellement. Mais Rachel Morgan avait de l’expérience. Et elle savait s’en servir.

- Je te laisse deviner, Tyrdell !

Sur ces mots elle se mit à courir tandis que des chapelets de balles venaient trouer le sol liquide tout autour d’elle, dans un ballet de gerbes fantastique. Rachel n’était pas du genre à fuir. Elle le faisait assez dans la réalité. Autre monde, autres règles. Ici, elle se sentait puissante, car son esprit avait toujours été fort et son imagination, galopante. Plusieurs gardiens jaillirent hors de l’eau à quelques mètres devant elle, pointant leurs armes sur elle. Ils firent feu. Les yeux de Rachel s’agrandirent. Un court instant le temps ralentit. La jeune femme fit volte-face. Elle jeta un regard à Tyrdell, courant vers elle avec une lenteur qu’il s’efforçait de vaincre, avant de basculer à 180° sous la surface de l’océan. De ce fait, elle se retrouva derrière l’un de ses poursuivants. Elle lui arracha facilement son pistolet et au moment où le temps reprit son cours normal, elle lui assena un violent coup de la crosse de son arme. Le type eut une réaction inattendue. Il fut projeté hors des flots et s’envola dans le ciel comme si Dieu en personne l’avait convié. A son tour, Rachel fit feu. Ses balles crevèrent le sol aqueux avant de crever la peau de deux gardiens qui décollèrent à leur tour. La gravité était délicieusement capricieuse. Rachel sourit avant de comprendre que Tyrdell l’avait rejoint et lui tirait dessus. Elle décida de remonter à la surface sans prendre la peine de se retourner cette fois. Elle jaillit hors de l’eau, les talons pointant vers le haut et ce faisant, neutralisa deux autres gardiens. Lorsqu’elle retomba sur ses pieds, Tyrdell était en train de faire surface, la tête la première. Elle le visa avant de sourire malicieusement. Elle se concentra et une fraction de seconde plus tard, la surface de l’océan était aussi gelée qu’un iceberg. Tyrdell était pris au piège dans la glace, la moitié de son corps seulement dépassant de l’eau, sa main armée du flingue se tortillant désespérément sous la surface. Rachel s’approcha de lui. Elle le savait vulnérable, sans défense. Bien plus qu’il ne voulait le laissait paraître, en vérité. Ses gardiens avaient tous disparu. C’était un signe. L’espionne posa un genou au sol et darda sur Tyrdell un regard aussi froid que l’océan sous ses pieds.

- A ton tour de répondre à mes questions.

Tyrdell cracha sur elle.

- Tu peux rêver !

Rachel se mit à rire.

- Je crois que ce n’est pas incompatible. Ecoute, si tu as compris où nous sommes alors tu comprendras aussi qu’ici, j’ai des moyens particuliers de te faire parler qui n’existent pas ailleurs. Des menaces qui n’existent pas ailleurs. Des peurs.

Elle leva les yeux. Tyrdell l’imita, à son grand regret. Le building qu’ils avaient quitté tous deux avec fracas était en train de tomber du ciel droit sur eux. Comme si de rien n’était, Rachel poursuivit :

- Si j’étais optimiste, je dirais que les chances que tu as de survivre à cette chute frôlent le zéro.

L’inquiétude de Tyrdell fit soudain place à une surprenante assurance.

- Si nous étions dans la réalité, je te donnerais sans doute raison.

Tyrdell se tira une balle dans la jambe. A l’instant où il disparut, Rachel comprit son erreur. Distraite par son échec, elle en oublia le building qui s’écrasa de tout son poids sur la banquise improvisée.

Rachel se réveilla sous le choc. Elle avait l’habitude de ces séances aussi reprit-elle rapidement ses esprits. Elle regarda autour d’elle. Elle était dans une pièce d’une grande sobriété, rappelant celle dans laquelle Tyrdell l’interrogeait au préalable. Elle reconnut la même table et la même coupe de fruits. Un employé la débrancha de la machine. Un homme aux cheveux blonds habillé avec élégance s’approcha d’elle. Il pinça les lèvres. Rachel secoua la tête.

- Désolée, Cobb. J’ai merdé.

Ils tournèrent la tête et observèrent Nathan Tyrdell ligoté à une chaise. Son visage émacié était couvert d’ecchymoses. Son bâillon l’empêchait d’émettre le flot d’injures qu’il leur adressait. L’employé le débrancha lui aussi de la machine, une valise ouverte contenant un système complexe connu de bien peu d’hommes.

- Pas grave, dit le dénommé Cobb. Tu as encore besoin d’un peu de temps, c’est tout. Je suis sûr que ça peut marcher.

Rachel était moins confiante.

- J’ai pas le feeling en ce moment.

- Tu déconnes. Tu es un véritable Esprit Frappeur. Je ne connais personne comme toi. Tu as toute les qualités pour ce job. Tu es une faussaire brillante, une architecte hors pair et une organisatrice experte. A côté du tien, mon CV ressemble à celui d’un touriste.

Rachel eut un sourire las.

- Venant de toi, c’est un sacré compliment. Mais être polyvalent, est-ce que ce n’est pas une manière élégante de dire qu’on est qu’à 50% dans tout ce qu’on fait ? Tu devrais peut-être songer à embaucher une équipe de spécialistes. Pour être sincère,  le fait que Tyrdell ait été entraîné rend les choses plus difficiles que je ne l’imaginais. Je manque de concentration et en plus de cela on a plus beaucoup de temps. Je ne comprends pas,  je suis motivée pourtant. Difficile de ne pas l’être surtout quand on devine ce que ce salaud doit préparer comme coup tordu !

Nouvelle bordée d’injures censurée par le bâillon.

Cobb allait répondre quelque chose, mais Rachel reprit :

- C’est vrai que tu ne connais personne comme moi ?

Cobb s’assit face à elle. Il prit une pomme dans la coupe de fruits et mordit dedans à pleines dents.

- Non, je connais quelqu’un d’autre.

D’un regard, Rachel l’enjoignit à être plus précis.

- Il est passé dans le camp ennemi, il y a plusieurs années. C’est un Esprit frappeur lui aussi. Vraiment très doué.

Rachel désigna Tyrdell du menton.

- Il pourrait le faire parler ?

Cobb se leva.

- Pour ça, il faudrait le convaincre de travailler pour nous. Le connaissant, c’est peine perdue.

Rachel retrouva son sourire malicieux.

- Ou faire en sorte qu’il travaille pour nous sans qu’il s’en rende compte.

Cobb et Rachel se dévisagèrent avec complicité :

- Inception !

 

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mercredi, 25 avril 2012

Sweet Pea's Chronicles

 

Issue du film Sucker Punch de Zack Snyder, Sweet Pea est une guerrière splendide au tempérament d'acier, acerbe et impitoyable, mais qui cache aussi beaucoup de sensibilité derrière le masque de son dédain.

Son caractère, son look et surtout la frustration née du fait qu'on ne la voit JAMAIS utiliser l'épée qui orne pourtant si joliment son dos sont les raisons qui m'ont poussé à élaborer ce projet que j'espère bientôt commencer (si seulement c'était le seul !!!)

Les aventures que je raconterai se dérouleront indépendamment de l'intrigue du film et exploiteront l'univers de Fantasy survolé - dans tous les sens du terme - dans l'oeuvre de Zack Snyder.

Ci-dessous, LA scène exclue injustement du film où Sweet Pea utilise son épée (merci à Tate Langdon pour l'info) :

 

 

 

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dimanche, 11 mars 2012

L'odyssée de Cartier [Pub 2012]


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mercredi, 22 février 2012

Chronicle [Cinéma/Critiques]

 chronicle

Comment redonner de l'intérêt à deux genres de films surexploités ces dernières années à savoir les films de super-héros et les films tournés en caméra subjective ?

Et bien commençons déjà par les réunir, ce qui reste inédit et lance un bon concept de base. Oui, mais cela ne suffit pas, encore faut-il que cela reste passionnant et suffisament original pour mériter le détour.

Et bien justement, la grande force de Chronicle c'est d'avoir su équilibrer parfaitement les différents ingrédients et thèmes engendrés par ce mélange détonant.

La caméra nous permet d'être au coeur de ce trio d'ados devenus accidentellement de vraies armes vivantes et dont la vie va changer de manière irrémédiable. Le sujet est archi-rebattu et pourtant la sauce prend car l'aspect dramatique et intimiste est aussi réussi que le côté spectaculaire lié à l'éveil des pouvoirs des protagonistes avec en surbrillance le mal-être du plus jeune - véritable souffre-douleur - qui va progressivement voir en cette source de pouvoirs inattendus un moyen de régler ses comptes avec son entourage et le monde en général.

On pense à Akira évidemment d'autant que la voix vf du héros semble tout droit sorti du film d'animation.

On pense bien sûr aussi à Cloverfield avec cette montée en puissance des évènements et cette immersion jouissive dans l'action.

Il y a évidemment pire comme références, mais loin de se contenter de simplement plagier ces deux monstres du 7ème art, Chronicle parvient à ouvrir une nouvelle voie à un genre mutant, en combinant parfaitement l'émotionnel au sensationnel. Sa courte durée est peut-être le seul reproche qu'on pourrait lui faire, mais ce défaut est relatif tant le récit s'appuie sur l'essentiel.

L'on ne peut s'empêcher de se demander plus que jamais quel serait notre comportement si nous avions nous aussi de tels pouvoirs. Car chacun de nous a été blessé, trahi, déçu par le monde, par les hommes et qui peut donc prétendre pouvoir résister à la tentation de mettre ces précieux pouvoirs au service d'une vengeance aussi libératrice qu' implacable ?

 

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lundi, 05 septembre 2011

Numéro Quatre : I've Got The Power !

numéro quatre, I am number four,

 

Adapté du livre éponyme, cette histoire d'un ado venu d'ailleurs se découvrant de grands pouvoirs prend son temps pour se mettre en place, mais c'est pour mieux nous livrer un final absolument ébouriffant : de brillantes scènes d'action ponctuées d'effets spéciaux monstrueux (dans tous les sens du terme).

On a bien droit à des clichés de personnages et une love-story parfois sirupeuse, mais sous ses airs de teen-movie saupoudré de fantastique, Numéro Quatre recèle en vérité un potentiel fort intéressant qu'une suite se chargera sans doute d'exploiter davantage.

Après son mémorable Oeil du Mal, D.J. Caruso (adoubé par Spielberg himself) confirme qu'il est un réalisateur à suivre de très près.

 

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mercredi, 03 août 2011

Super 8 [Cinéma/Critiques]

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J.J. Abrams le dit clairement : malgré les (nombreuses) apparences, Super 8 n'est pas un hommage au cinéma de Spielberg (producteur du film), mais bel et bien à sa propre enfance. Au vu de la sensibilité de l'histoire et de ses héros (les enfants en tête), il apparaît que les deux cinéates ont eu la même. Ils étaient donc faits pour se rencontrer et ce, pour notre plus grand plaisir de spectateur.

Le résultat est ce qu'on pouvait attendre de ce duo fantasmé : on rit, on pleure, on frémit et on en prend plein les yeux, un peu comme si les deux hommes avaient fusionné le meilleur de leur filmo respective. De E.T. on passe à Cloverfield sans oublier Rencontres du 3ème Type ou encore Les Goonies. Il y a pire comme ingrédients !

Les cinéphiles avertis se feront d'ailleurs une joie de repérer toutes les références, similitudes et autres analogies avec le cinéma de Spielberg des années 70-80. Si vous êtes nostalgique de cette époque, allez voir Super 8 les yeux fermés. Si vous avez en plus gardé votre âme d'enfant, l'émotion - déjà très présente - n'en sera que plus grande pour vous.

Le film brasse avec bonheur Drame, SF, Thriller, Fantastique, avec parfois quelques incohérences, mais sans jamais perdre de vue ce qui fait et fera toujours le coeur d'une bonne histoire : les personnages !

[Re] Bienvenue dans un cinéma qu'on croyait disparu et qui revient, plus puissant que jamais !

 

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dimanche, 10 avril 2011

L'Agence [Cinéma/Critiques]

Les artistes morts font recette, et ce n'est pas Phillip K. Dick qui me contredira ! Depuis quelques années cet auteur de SF très prolifique (mais aussi très torturé) a été régulièrement adapté au cinéma et souvent par de grands noms du 7ème art (Verhoeven, Woo, Spielberg !)

Son sujet de prédilection : la réalité n'est pas celle qu'on croit ! Univers imbriqués, dimensions parallèles, manipulation de l'esprit, que de possibilités s'offrent aux scénaristes les plus imaginatifs d'Hollywood.

C'est ainsi que voit le jour L'Agence, adapté d'une simple nouvelle (comme ce fut le cas pour Total Recall). Ici c'est la maîtrise de notre destin qui est au coeur de l'intrigue avec en parallèle une grande love-story puisqu'on le sait bien la vie et l'amour vont de paire !

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Ils viennent tout juste de se rencontrer et c'est comme s'ils s'étaient toujours connus !

Si l'aspect fantastique n'est pas toujours convaincant - les méchants lorgnent trop du côté des anges de La Cité des Anges et des agents de Matrix et leurs pouvoirs ne sont pas assez exploités - il n'en est pas de même de l'aspect métaphysique qui, lui, passionne du début à la fin grâce notamment à un couple séduisant à souhait auquel on s'attache très rapidement. Le film pose de réelles questions et nous invite à nous interroger sur notre propre existence, nos choix et par extension notre avenir. La place du hasard ? Celle du libre-arbitre ? Obéissons-nous malgré nous à des forces mystérieuses qui nous manipulent à notre insu ? Ou bien notre vie est-elle uniquement la somme de nos victoires et de nos échecs ? Devons-nous perpétuellement penser aux conséquences de nos actes ou les ignorer puisqu'ils ne sont pas réellement de notre fait ?

Autant dire que le sujet a de quoi titiller n'importe quel spectateur.

Et puis qui n'a pas rêvé d'une rencontre amoureuse aussi magique et d'un baiser aussi spontané que celui qu'échange le couple au début du film ?

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Difficile de résister au charme d'Emily Blunt !

Avec Matt Damon (Green Zone), Emily Blunt (Edge of Tomorrow), Terence Stamp (Wanted, Ma Femme est une Actrice) et Anthony Mackie (Gangster Squad, Captain America : The Winter Soldier)

 

 

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dimanche, 08 août 2010

La Quête de la Bonne Fortune [Fanfics/Kaamelott]

 

 La Salle de la Table Ronde.

 

Arthur – Non, mais c’est pas vrai ! Pas foutus de ramener un trésor ou un objet magique ! Ca fait presque un mois que vous êtes partis, nom d’un chien ! Je vous demande quand même pas de me rapporter le Graal !

 

Leodagan – Bah, si, justement. A moins que ce ne soit plus à l’ordre du jour.

 

Arthur – Non, enfin, si ! Mais là, c’était juste pour illustrer mon propos. De toutes façons ça va vite devenir une expression populaire si vous continuez à lambiner comme ça pour le retrouver ! Bon, en tout cas, pour la quête qui nous concerne, c’était pas le Graal que je vous demandais, mais en un mois, je suis peut-être en droit d’exiger un truc un peu costaud quand même ! Au lieu de ça, rien ! Même pas un pet de lapin !

 

Perceval – Ca s’attrape, ça ? Je savais pas.

 

Karadoc – Ouais et apparemment, ça vaut de la tune !

 

Perceval – C’est pas tombé dans l’oseille d’un four.

 

Leodagan – Pourquoi vous me regardez ? J’étais pas tout seul, je vous signale !

 

Arthur – Ah oui ? Et on peut savoir qui vous a épaulé pour cette histoire qui restera certainement dans les annales ? Et quand je dis annales, c’est un jeu de mots, vous vous en doutez bien.

 

Leodagan – Bah, Lancelot, Perceval et Karadoc.

 

Arthur – Et bah bravo ! Vous étiez quatre en plus ! On peut savoir ce que vous avez foutus pendant un mois à part vider des chopines ?

 

Lancelot – Sire, je vous trouve injuste. Nous ne ramenons rien de substantiel, certes, mais nous n’en avons pas moins honoré notre devoir de chevalier dès lors que cela nous fut permis.

 

Karadoc – Qu’est-ce qu’il cause bien, Lancelot !

 

Perceval – Ouais, comme un bouquin. On comprend rien, mais c’est cossu.

 

Karadoc – C’est pas faux.

 

Perceval – Quoi ? Vous savez pas ce que ça veut dire cossu ?

 

Karadoc – Non, mais vous non plus.

 

Perceval – Ouais, c’est pas faux. Mais c’est venu tout seul.

 

Karadoc – Comme un pet de lapin !

 

Ils s’esclaffent.

 

Arthur – Dites donc, les deux trous du cul, là ! Ca vous fait marrer les réunions ?

 

Leodagan – Vous êtes mal luné, aujourd’hui !

 

Arthur – Ouais, et vous vous êtes cons et ça c’est tous les jours ! Je commence à en avoir plein le fion de voir des bouseux qui se prétendent chevaliers déshonorer ce que ce rang a de sacré pour la plupart des gens à commencer par moi. Un chevalier, c’est pas qu’un gus en armure qui hurle sur un champ de bataille !

 

Lancelot – Merci, on sait.

 

Arthur – Vous savez peut-être, mais vous oubliez vite. Et puis, la ramenez pas, vous. C’est pas le jour.

 

Leodagan – En gros, notre compte-rendu, on peut s’asseoir dessus, si je comprends bien.

 

Arthur – Quel compte-rendu ? Vous appelez ça un compte-rendu ?

 

Père Blaise – Je voudrais pas la ramener, mais je ferais remarquer que le compte-rendu, ils ne l’ont pas commencé, justement. Enfin, je dis ça…

 

Arthur – Oui, bah dites plutôt rien, je préfère.

 

Lancelot – Bon, ne tournons pas autour du pot. Nous avons échoué. Nous en sommes tous fort contrits. Comment pourrions-nous revenir au plus vite dans votre estime, Sire ?

 

Arthur – Pour y revenir, il faudrait déjà que vous y soyez rentrés !

 

Perceval – Donnez-nous une autre quête, Sire. On va la réussir, cette fois.

 

Karadoc – Ouais, on en a ras le fion, nous aussi, de passer pour des glandus !

 

Arthur – Si vous la réussissez pas, bande de romanos, je vous jure que je vais prendre goût à la torture !

 

 

 

Le Laboratoire de Merlin.

 

Merlin – Vous leur avez dit ça ?

 

Arthur – Qu’est-ce que vous voulez ? Je sais plus quoi inventer pour les motiver. Un mois, non mais vous vous rendez compte ! A quatre ! Et même pas pour chercher le Graal en plus ! Si c’est pas pathétique.

 

Merlin – Peut-être qu’ils ont pas eu de chance !

 

Arthur – La chance n’a jamais fait partie des pré-requis  pour être chevalier et pourtant ils comptent toujours dessus. Non, c’est sans issue. A moins que…

 

Merlin – A moins que quoi ?

 

Arthur – Non, c’est une idée à la con.

 

Merlin – Dites toujours, ça m’intéresse.

 

Arthur – Ah, bon ! Pourquoi ? Ah, je vois ! C’est parce que j’ai dit que c’était une idée à la con !

 

 

Une route de campagne. Leodagan, Lancelot, Perceval et Karadoc chevauchent côte à côte.

 

Perceval – Vous avez pris votre arbalète ?

 

Leodagan – Bah oui, pourquoi ? Ca vous défrise ?

 

Perceval – Non, c’est pas ça, mais d’habitude, quand vous la prenez c’est parce qu’il y a du gros gibier.

 

Leodagan – Qu’est-ce que vous racontez encore comme connerie ? On part pas à la chasse aux dernières nouvelles ! Vous avez encore rien bité au tableau, vous !

 

Perceval – Non, c’était façon de parler.

 

Leodagan – Avec vous, c’est toujours façon de parler vu qu’on comprend rien à ce que vous dites et vous non plus, d’ailleurs.

 

Perceval – Non, c’est pas ça. Mais en général, quand vous avez votre arbalète c’est qu’il va y avoir de sacrés loustics à se farcir.

 

Leodagan – Ouais, c’est pas faux.

 

Perceval – Tiens, vous savez pas ce que ça veut dire loustics ?

 

Lancelot – Regardez, on arrive à l’entrée d’un village !

 

Karadoc – Ca a l’air plutôt désert. C’est con, je me serais bien arrêté pour casser la graine !

 

Leodagan – Ah, vous et vos auberges !

 

Perceval – Vous avez rien amené comme case-dalle ?

 

Karadoc – Si, un jambonneau. Mais je préfère le garder pour plus tard.

 

Leodagan – Mais dites-donc, Perceval !  C’est pas le genre de paysage que vous placez dans vos compte-rendus à tire-larigot ?

 

Perceval – Où ça ?

 

Leodagan – Rien. Je me parlais à moi-même.

 

Lancelot – Je vois ce que vous voulez dire. Effectivement, c’est très frappant.

 

Leodagan – Ouais, manquerait plus qu’on voit débarouler…

 

Lancelot – Un vieux ?!!

 

Un vieillard dans une robe miteuse sort d’une cahute et s’avance sur la route.

 

Perceval – Ah, vous voyez que ça arrive. J’invente pas tout !

 

Karadoc – On dirait qu’il vient vers nous.

 

Leodagan – En même temps, à part nous, y a pas grand monde dans la place.

 

Le vieux – Mon dieu, c’est la providence qui vous envoie ! Vous êtes des chevaliers !

 

Karadoc – La vache, il a l’œil !

 

Leodagan – On se demande bien comment. Il est aveugle !

 

Perceval – Les aveugles, ils ont une sorte de sixième sens comme les chauve-souris. C’est ma grand-mère qui m’a raconté ça.

 

Leodagan – Le soir, pour vous endormir.

 

Leodagan et lancelot s’esclaffent de manière complice.

 

Le vieux – Vous êtes des élus du Seigneur. Il a entendu ma prière. Vous venez délivrer ce village du mal absolu !

 

Karadoc – Le mal absolu ? Ca pue du cul, ça !

 

Lancelot – Ouais, mais ça peut rapporter gros. Et c’est justement ce qu’il nous faut pour redorer notre blason.

 

Leodagan – Dites voir en quoi ça consiste et on se fera un plaisir de vous rendre service.

 

Le vieux se détourne de Leodagan avec un sourire et se rapproche de Perceval.

 

Leodagan – Qu’est-ce qu’il lui prend ? Ma gueule lui revient pas ou quoi ?

 

Lancelot – Ca m’étonnerait, vous l’avez dit vous-même. Il est aveugle.

 

Perceval – C’est pas votre faute, Leodagan. Ca vient de moi. J’ai toujours eu des accointances avec les vieux.

 

Karadoc - ???

 

Leodagan - ???

 

Lancelot - ???

 

Le vieux - ???

 

Perceval – Je me suis encore gourré de mot, c’est ça ?

 

Le vieux pose la main sur la jambière de Perceval.

 

Le vieux – Je vois en vous une grande destinée, Messire Chevalier.

 

Leodagan – On va peut-être rentrer à Kaamelott et vous laisser tailler le bout de gras puisqu’on compte pour du beurre.

 

Karadoc – Arrêtez, j’ai déjà la fringale !

 

Perceval – Le prenez pas comme ça. C’est comme je vous ai dit. Les aveugles ils voient des choses que nous on peut pas voir.

 

Leodagan échange un sourire avec Lancelot.

 

Leodagan - Pour ça, on vous croit volontiers.

 

 

 

Perceval sort de la cahute du vieux et revient vers ses compagnons qui l’attendaient à cheval.

 

Lancelot – Alors ? Ca fait plus d’une heure que vous êtes là-dedans !

 

Leodagan – Si vous me dites que vous avez rien compris à ce qu’il vous a dit, je vous préviens, je vous pète une jambe !

 

Karadoc – Il vous a refilé à bouffer ?

 

Perceval – Il m’a donné ça !

 

Il exhibe un petit rectangle de panier jauni.

 

Lancelot – Qu’est-ce que c’est ? Un plan ?

 

Perceval – Tout juste. Mais vous savez bien que les cartes et moi…

 

Lancelot – Oui, on est un peu au courant. On se charge du plan. Pour le reste ?

 

Perceval – Et bien, ça a l’air plutôt coton. Il a dit qu’il y avait une petite armée de créatures plus petites que des orcs, mais plus grandes que des lutins.

 

Leodagan – Je comprends que vous vous soyez bien entendus. Il est aussi doué que vous pour les descriptions.

 

Lancelot – Un instant ! Plus petites que des orcs, mais plus grandes que des lutins…Ce sont des gobelins, si je ne m’abuse !

 

Karadoc – Aïe ! Là, ça daube carrément !

 

Leodagan – Des gobelins ! Mais laissez-moi rire ! Des gobelins, le mal absolu ? Ah, ça pour sûr qu’il est gâteux en plus d’être miro, le vieux !

 

Il arbore son arbalète de façon menaçante.

 

Leodagan – En tout cas, je peux vous dire que si c’est des gobelins, je vais en laisser plus d’un sur le carreau !

 

Perceval – C’est pas plutôt le contraire ?

 

Leodagan – Non, mais, ho ! Vous croyez quand même pas qu’ils vont me faire la peau ! Vous allez voir !

 

Perceval – Non, c’est pas ce que je veux dire.

 

Leodagan – Je préfère.

 

Perceval – Non, vous avez dit « Je vais en laisser plus d’un sur le carreau ». Votre arme, là, ça tire bien des carreaux ?

 

Leodagan – Oui, jusqu’à preuve du contraire !

 

Perceval – Et bien vous auriez dû dire : je vais laisser plus d’un carreau sur eux au lieu de « Je vais en laisser plus d’un sur le carreau ».

 

Leodagan - ???

 

Perceval – Bah oui, vous tirez pas des gobelins sur vos carreaux, c’est plutôt le contraire. C’est pour ça que je me suis permis. Mais vous en faites pas, ça arrive à tout le monde de se tromper. Moi le premier.

 

Leodagan – Ma parole, c’est moi ou vous faites des progrès ?Enfin quand je dis progrès, façon de parler. Vous pigez mieux les mots, mais alors côté expressions, je vois que c’est toujours le bordel dans votre tête. Disons que vous faites des progrès à la Perceval.

 

Lancelot – Si on en revenait à nos gobelins. Le vieux vous a dit combien ils étaient ?

 

Leodagan – Ouais, ça peut éventuellement faire pencher la balance d’un côté.

 

Lancelot – A-t-il mentionné un quelconque trésor, une récompense ?

 

Les yeux de Leodagan se mettent à briller.

 

Leodagan – Ca aussi, ça peut faire pencher la balance.

 

Perceval – Attendez, j’essaie de me souvenir.

 

Leodagan pointe son arbalète armée vers lui.

 

Leodagan – Comme c’est mon jour de bonté, je vais vous aider un peu, mon petit.

 

 

 

Plus tard.

 

Lancelot – Bon, je résume : tout le village disparu sauf un vieux. Une trentaine de gobelins dans une grotte à une lieue. Et peut-être l’or des habitants en guise d’adieu.

 

Leodagan – Vous êtes obligé de faire des rimes ?

 

Lancelot – Euh, ce n’était pas voulu. J’imagine que c’est le lyrisme du contexte.

 

Leodagan – Le lyrisme du contexte ! Je t’en foutrais du lyrisme ! Ca sent le coup fourré à plein nez, ouais !

 

Karadoc – Ah, je vous l’avais dit ! Elle est daubée du cul, cette mission !

 

Leodagan – Oui, comme vous dites. Ce vieux m’a tout l’air d’être là pour envoyer les dindons comme nous tout droit au casse-pipe avec un conte de bonne femme !

 

Lancelot – Un complice des gobelins ? Vous croyez ?

 

Leodagan – Et comment que j’y crois ! Il livre les voyageurs et mercenaires de tout poil à une vermine sans nom et en échange elle lui laisse la vie sauve. Le coup classique.

 

Karadoc – Le salaud ! Il a de la chance d’être aveugle !

 

Leodagan – Ah, parce que vous croyez que ça va m’empêcher de l’épingler, peut-être !

 

Perceval – Vous allez quand même pas lui tirer dessus ? C’est qu’un vieux !

 

Lancelot – Perceval a raison. C’est tout à fait indigne d’un chevalier.

 

Leodagan – C’est peut-être indigne d’un chevalier, mais c’est tout à fait digne de moi et ça me suffit. Vous êtes tous prévenus : si jamais c’est un piège, j’ajoute la tête de ce débris à ma collection de trophées. Elle fera pas tache, vous en faites pas !

 

Perceval – Alors ça veut dire qu’on y va quand même ?

 

Leodagan – Vous rigolez ? Bien sûr qu’on y va ! Les gobelins et moi, on a un vieux compte à régler. Ou plutôt un déficit à combler.

 

 

 

Les quatre chevaliers marchent en file indienne dans la pénombre d’une grotte.

 

Perceval – La vache ! On y voit comme à travers une pelle !

 

Lancelot – Ne vous avais-je pas dit d’emmener des torches ? Ce n’est jamais en trop dans un équipement.

 

Karadoc - Ca va qu’il y a encore la lumière du jour. Mais bientôt, on sera trop loin de l’entrée.

 

Lancelot – Ah, il va bien se marrer le Roi quand on va lui raconter ça !

 

Léodagan – En même temps, rien ne nous y oblige.

 

Lancelot – Je suis désolé, un compte-rendu c’est un compte-rendu !

 

Léodagan – Encore faut-il qu’il nous laisse parler. Parce que ce matin…

 

Perceval – Chut ! J’entends quelque chose !

 

Leodagan – Comment vous pouvez entendre quelque chose ? Vous êtes derrière !

 

Perceval – Je vous dis que ça couine de mon côté !

 

Lancelot – Non, c’est pas vrai !

 

Les autres – Quoi ???

 

Lancelot – Ils nous prennent en tenailles !

 

Leodagan – Les fumiers ! Alors y a pas à tortiller. On se retourne et on fonce vers l’entrée !

 

Les autres – Quoi ???

 

 

 

La bataille fait rage devant l’entrée de la grotte dans un grand bruit d’épées et de clameurs sauvages.

Leodagan massacre un groupe de gobelins en usant de son arbalète comme d’une massue.

 

Leodagan – Alors, comme ça, on voulait nous enfiler, hein ?

 

Perceval et Karadoc combattent vaillamment, dos à dos.

 

En chœur – Venez, bande de tarlouzes, on a pas peur de vous !

 

De son côté, Lancelot embroche à tour de bras.

 

Lancelot – Merci, Seigneur, de guider sans faille le bras du juste dans la bataille !

 

Un gobelin se jette sur Perceval et le met à terre. Karadoc pousse un cri et se jette sur le gobelin qu’il étouffe aussi sec. Il aide ensuite son compagnon à se relever.

 

Perceval – Sympa, je m’en souviendrai.

 

Karadoc – C’est rien, vous auriez fait la même chose.

 

Perceval – Non, mais c’est gentil de le penser.

 

Ils se retournent et font face à une dizaine de gobelins enragés.

Perceval ramasse son épée et la pointe vers leurs ennemis.

 

Karadoc – C’est l’heure du jambonneau !

 

Il s’élance et fait des ravages dans les rangs des gobelins avec son arme improvisée.

 

Un gobelin attrape la cape de Lancelot et l’envoie à terre en tirant dessus.

 

Lancelot – Espèce de sale…

 

Plusieurs autres gobelins lui tombent dessus avant qu’un carreau d’arbalète long comme le bras ne les transperce tous et ne les colle contre un arbre tel un rang d’oignons.

 

Leodagan apparaît au-dessus de Lancelot. Son visage hilare est couvert de sang de gobelin.

 

Leodagan – Et une brochette de gob’, une !

 

Karadoc reçoit un violent coup au bras droit. Il lâche son jambonneau qui atterrit plus loin sur le crâne d’un gobelin. Leodagan se retourne et achève la créature. Intrigué, il ramasse le jambonneau, le renifle, avant de mordre dedans à pleines dents.

 

Leodagan – Pas dégueu, cette barbaque !

 

Perceval – Eh, faites tourner !

 

Karadoc – Un jambonneau, c’est comme une torche.

 

Il mâchonne un bout de viande.

 

Perceval mâche aussi.

 

Perceval – Ah bon ?

 

Karadoc – Ouais. C’est jamais en trop dans un équipement !

 

Perceval se fait entailler une joue. Le voyant blesser, les gobelins rappliquent tous sur lui.

Un cri de guerre terrible les interrompt. Leodagan charge droit sur eux, l’arbalète levée, suivi de près par Lancelot, la rage au cœur.

 

Lancelot – Sus aux suppôts du Démon !

 

Leodagan – RAAAAHHHHHHHH !

 

Leodagan fait un carton. Il est comme possédé.

 

Leodagan – Moi, vivant, vous toucherez jamais à un chevalier ! Même quand il sait pas aligner deux mots correctement. Encore que ça c’est en train de changer.

 

 

 

Les chevaliers victorieux sont revenus au village. Leodagan ressort de la cahute du vieux, l’air contrarié.

 

Leodagan – Je vous l’avais dit. Il s’est cassé. C’était bien un traquenard.

 

Lancelot – En même temps, il n’y a pas eu la moindre surprise. Tout ce qu’il nous a annoncé s’est avéré vrai. Le plan était exact, les gobelins étaient là et même le trésor en prime. Alors comme piège, excusez-moi, mais j’ai vu pire.

 

Leodagan – Ouais, mais vous m’ôterez quand même pas l’idée qu’il s’est payé nos têtes !

 

Lancelot – Mais qu’est-ce qui vous fait dire ça, à la fin ?

 

Leodagan – Vous étiez aveugle, vous aussi ? Il a pas arrêté de se fendre la poire. Si ça c’est pas un indice.

 

Perceval – La vache ! C’est ça un indice ? Je croyais qu’un indice c’était un panneau !

 

Karadoc – Ca veut rien dire. Les vieux, ils sourient tout le temps. C’est…Comment on appelle ça, déjà ?

 

Lancelot – Un rictus ?

 

Karadoc – C’est ça !

 

Leodagan – Ouais, bah, rictus ou pas, vaudrait mieux pour lui que je le revois pas dans le voisinage. Sinon il pourrait envier le sort de quelques gobelins une fois sa trogne entre mes mains.

 

 

A la Table Ronde.

 

Arthur – Ah, non ! Vous allez pas vous y mettre vous aussi avec les vieux !!!

 

Leodagan – Je vous jure que c’est vrai ! Même qu’il pouvait pas m’encadrer. Remarquez, c’était réciproque.

 

Perceval – Il a découvert qu’il avait pas la cote avec les vieux. Faut se mettre à sa place. C’est vrai que c’est dur à encaisser. Moi, ça me ferait mal au cul, en tout cas.

 

Leodagan – Vous, la ramenez pas ! Ca va comme ça ! Du coup, c’est à Perceval qu’il a fait le topo.

 

Arthur – Bon, vous allez me faire la version courte. Résultat des courses ?

 

Leodagan – Résultat ? On s’est farci une plâtrée de gobelins et on a récupéré un coffre de pièces d’or et de joyaux. Et sans une égratignure.

 

Leodagan remarque la longue cicatrice sur la joue de Perceval.

 

Leodagan – Oui, enfin presque. En même temps, vous allez pas vous plaindre. Pour une fois que c’est pas en vous coupant un bout de fromage !

 

Père Blaise – Mais c’est merveilleux tout ça ! Une vraie quête en somme ! Ca fait plaisir ! Perso, j’en veux bien des comme ça tous les jours. Je vous jure que je m’en lasserai pas !

 

Arthur – Tu m’étonnes ! Vous voyez quand vous voulez ! C’est quand même pas sorcier !

 

Leodagan – Pourquoi vous me regardez ? J’étais pas tout seul, je vous signale !

 

 

 

Le Laboratoire de Merlin.

 

Merlin – Alors, ça a marché ?

 

Arthur – Ouais, même que j’en reviens pas. Carrément au-delà de mes espérances. Primo, ils ont flanqué une dérouillée aux gobelins. Secondo, ils ont trouvé le trésor et l’ont ramené au château. Aussi unis que les doigts de la main. Sauf qu’ils étaient que quatre.

 

Merlin – Génial ! Et la potion ?

 

Arthur – Ah, oui, La potion ! Venez voir là, vous !

 

Merlin se ratatine comme s’il avait peur de prendre des coups.

 

Arthur – Approchez, je vous dis ! Faut que je vous embrasse.

 

Merlin – Quoi ?

 

Arthur – Non, rien. Disons, que ça compense toutes les fois où vous avez foiré vos recettes et vos formules à deux balles.

 

Merlin – Quoi ? Vous voulez dire que ça a marché ?

 

Arthur – Ouais et pas qu’un peu. C’est bien simple, ils ont pas été foutus de me reconnaître. Et pourtant ils voient ma tronche tous les jours. Là, je vous tire mon chapeau.

 

Merlin – Merci, mais faut dire que se transformer en vieux pour les aiguiller sur une quête au trésor, c’est vraiment une idée…

 

Arthur – A la con, je sais. Ah, au fait. Tenez !

 

Arthur lance une fiole vide à Merlin.

 

Arthur – Vous voyez ! La polymorphie,  c’est comme le vélo : ça s’oublie pas !

 

Merlin – Le vélo ?

 

Arthur – Ouais, aucune idée. C’est venu tout seul !

 

 

 

A la Taverne.

 

Le tavernier – Alors, cette mission ?

 

Karadoc s’empiffre.

 

Karadoc – Du petit lait ! On leur a fait mangé leur froc aux gobelins !

 

Perceval – Ouais, une vraie sinécure ! Toutes façons, le combat pour un chevalier c’est comme le vélo : ça s’oublie pas !

 

L’aubergiste - ???

 

Karadoc - ???

 

Perceval – Ouais, aucune idée. C’est venu tout seul.

 

 

 

 

 

 

T’as aimé…ou pas

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jeudi, 15 juillet 2010

Levis : No Limit !

Une pub qui m'avait fait forte impression par son concept et sa mise en scène cinématographique.

La Musique est Sarabande de Haendel, ce qui ne gâche rien.

Dommage que ce ne soit que pour vanter une marque de jeans !

Si l'acteur vous dit quelque chose, c'est normal, il s'agit de Nicolas Duvauchelle, maintenant bien installé dans le paysage cinématographique français.

 

 

T’as aimé…ou pas

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mardi, 13 juillet 2010

La Naissance de Sphinx [Nouvelles/Le Combat du Papillon]

 

 

 

« Mon amour est devenu une flamme qui consume petit à petit

tout ce qui est terrestre en moi. »

 

                                                          Novalis

 

 

 

 

Dès qu’elle franchit la grille d’entrée, il l’aima.

Lorsqu’elle passa près de lui, il crut qu’on lui envoyait un ange.

Ses blonds cheveux.

Ses yeux bleus.

L’ovale pur de son visage.

Sa peau crémeuse.

Sans parler de son regard.

Une véritable flèche d’amour décochée en plein cœur.

Elle arriva à bon port.

Il se sentit submergé par une vague de douceur.

Elle le remarqua à ce moment là. Et à son tour, elle fut la proie d’une émotion nouvelle et implacable.

Elle disparut au bout de l’allée sans omettre de jeter un dernier coup d’œil à son intention.

Il quitta le banc, tout disposé à la suivre jusqu’au bout du monde. Mais ses parents étaient avec elle. Il sut intuitivement qu’il la reverrait en ces lieux et que l’attente jouerait en leur faveur.

Si c’était bel et bien de l’amour, alors ce n’était que le commencement.

 

Il rêva d’elle et elle rêva de lui, si bien que lorsqu’ils se revirent, ils crurent qu’ils ne s’étaient jamais quittés. Et qu’ils rêvaient encore.

Elle était toujours accompagnée de ses parents.

Il est vrai qu’elle avait l’air d’être jeune, innocente aussi.

Elle était beaucoup plus jeune que lui. Dix ans les séparaient, peut-être quinze.

Il la dévisagea intensément. Peu importait.

Les parents notèrent son intérêt singulier pour leur fille. Ce qui ne fut pas de leur goût à en juger par leur expression.

Il n’aurait sans doute pas dû, mais il les défia du regard, eux et la bonne morale qu’ils semblaient vouloir incarner à tout prix, même au détriment du plus précieux des sentiments.

Ils s’éloignèrent rapidement, emportant avec eux la grâce et la beauté qu’ils avaient su mettre au monde.

Il sut dès lors que ce ne serait pas simple.

Mais il se jura que ce serait possible.

 

Le jour suivant, elle ne vint pas dans le parc.

Il comprit rapidement pourquoi.

Sa réaction les avait condamnés tous les deux.

Mais il était confiant.

Il la retrouverait.

Son cœur le lui affirmait.

 

Il ne la revit pendant plusieurs jours.

Ni dans le parc, ni ailleurs.

Le temps passé à espérer une nouvelle rencontre ne fit qu’attiser sa passion.

Son visage d’ange dansait dans son esprit.

Il décida de le graver comme il le pouvait.

Son art du dessin allié à ses sentiments fit des merveilles.

Il avait saisi l’essence de la jeune fille, immortalisant son âme d’une manière purement intuitive propre aux poètes les plus épris.

Ainsi, même dans l’incapacité de la voir, il lui suffisait de contempler son œuvre pour avoir l’impression d’être près d’elle.

 

Par hasard, à compter que le hasard eut sa place, il la revit à proximité de chez elle, de sorte qu’il eut la chance de voir où elle vivait précisément.

Toujours escortée des auteurs de ses jours, elle le vit du coin de l’œil et lui glissa un regard complice à la dérobée.

Il l’attendit sagement, à l’ombre d’un arbre, le cœur battant à tout rompre.

Lorsqu’il la vit sortir de la maison pour venir discrètement à sa rencontre, il crut que son cœur allait exploser dans sa poitrine.

Elle se planta devant lui avec une hardiesse propre à l’adolescence, ce qui l’intimida davantage. Ils commencèrent par se toucher des yeux, pudiquement, puis conscients qu’ils avaient peu de temps devant eux et que cette rencontre tenait du miracle, ils s’effleurèrent du bout des doigts. Lorsque leurs mains s’épousèrent, le courant passa parfaitement, cette électricité, cette foudre capable d’unir deux êtres que tout semble vouloir séparer.

Ils se réfugièrent chacun dans cet état de grâce providentiel, inattendu autant qu’espéré.

Lorsqu’il put parler, il lui demanda :

-Tu as quelqu’un ?

La question pouvait paraître absurde, mais sur l’instant elle lui paraissait des plus légitimes. En tous les cas, il avait besoin de la poser et d’avoir une réponse.

Elle sourit avec une candeur désarmante.

- Non, je suis encore jeune. Et toi ?

Il rougit.

- Oui.

Il la vit tressaillir, alors il ajouta rapidement :

- Toi.

Il lui tendit une feuille de papier roulée en cylindre.

- Ca te fera un souvenir de moi lorsque nous ne pourrons pas nous voir.

Elle prit l’objet qu’elle se contenta de caresser nerveusement.

Il sut qu’elle attendrait de retrouver son intimité pour l’ouvrir.

Il demanda :

- Tu as quelque chose à me laisser.

A son tour, elle rougit. Elle contempla ses mains vides, vierges de tout trésor.

Il les regarda avec adoration avant de les prendre à nouveau dans les siennes.

- Alors je vais devoir te ramener toute entière avec moi.

Elle parut réfléchir, hésiter. Puis finalement, elle lui dit :

- J’ai trouvé quelque chose que tu peux garder.

Elle se dressa sur la pointe des pieds et l’embrassa sur la commissure des lèvres.

Il en resta tout penaud.

Ils entendirent sa mère l’appeler au loin, depuis le jardin.

- Je dois y aller.

Sa voix tremblait suite à son geste.

- Comment tu t’appelles ? s’enquit-elle en faisant quelques pas en arrière.

Il lui répondit.

Elle répéta son prénom à voix basse comme pour mieux en savourer la sonorité.

- Et toi ?

Elle lui souffla son prénom à l’oreille avant de disparaître.

Il regarda sa silhouette s’éloigner en imprimant dans son esprit le moindre de ses gestes.

En rentrant chez lui, il répéta son prénom avec religion jusqu’à s’en imprégner totalement, jusqu’à en oublier le sien.

 

 

Ils furent dans l’incapacité de se voir pendant plusieurs jours.

Tels des cerbères, ses parents la tenaient sous bonne garde.

 

Un soir, il rentra chez lui, particulièrement aigri par la situation et son impuissance.

Il regarda sur la table l’alignement de bouteilles et de seringues comme autant de femmes lubriques prêtes à le faire plonger dans les délices pervers de l’anéantissement.

Il tendit une main tremblante vers elles, comme répondant à leur appel. Une soif qui semblait insatiable lui brûlait les entrailles. Il avala une rasade, puis deux, puis davantage. C’était de l’eau de vie, bien mauvais nom pour une telle boisson.

Alors qu’il portait de nouveau le goulot à ses lèvres, un visage angélique désormais familier revint danser dans son esprit comme une lueur au milieu des ténèbres.

Un visage sur lequel il pouvait désormais mettre un nom.

Il le prononça à voix haute comme un sorcier scanderait une formule magique seule capable de le délivrer d’un mauvais sort. L’incantation fonctionna. Il se sentit libéré.

L’innocence qu’elle représentait à ses yeux anéantit sa faim vicieuse et viscérale.

D’un geste violent il chahuta bouteilles et aiguilles qui se fracassèrent sur le sol et contre les murs de la pièce.

Il se laissa tomber sur un sofa miteux.

- J’ai plus besoin de ça, maintenant.

Et tout en s’abandonnant au sommeil, recroquevillé comme un enfant, le visage humide, il se promit d’aller dès le lendemain se mesurer aux cerbères retenant sa princesse en otage, loin de lui.

En Enfer.

 

Il sonna à la porte d’entrée.

Une femme d’environ quarante ans lui ouvrit.

Pour l’occasion, il s’était relativement bien habillé, sachant que son apparence naturelle jouerait déjà certainement contre lui selon les critères en vigueur chez la famille d’Ornella.

- Bonjour madame. Je connais votre fille.

Il se frottait les mains comme pour faciliter la sortie de chaque mot.

- Je suis tombé amoureux d’elle.

Elle le détailla du regard comme s’il venait de prononcer une grossièreté.

Il ne s’attendait pas à être accueilli à bras ouverts, mais de là à faire l’objet d’un tel mépris…

Elle regarda ses bras nus. Il les dissimula bien vite dans son dos, scandalisé par sa propre négligence.

- Je vous reconnais, dit-elle avec une froideur totalement démaquillée. Vous étiez dans le parc. Je n’ai pas l’honneur de vous connaître et je ne vois pas ce que vous voulez.

Il serra les poings.

- Je voudrais voir votre fille.

Il s’était fait violence pour prononcer le mot voir.

- Elle n’est pas ici.

Il se garda bien de lui dire qu’elle mentait très mal, mais sans doute était-elle déjà au courant. Il comprit alors que c’était un combat et qu’il devait gagner sur son terrain à elle.

- Je suis certain qu’elle souhaiterait me voir aussi. Elle m’aime.

La femme produisit un rictus de mauvais augure.

- Ne dites pas n’importe quoi. Aimer…à son âge ? Et puis, vous, vous vous êtes regardé ? Vous êtes beaucoup trop vieux. Et comment pourrait-elle aimer un…

Elle le toisa avec un dédain décuplé.

- Vous croyez que je n’ai pas vu les marques sur vos bras. Même vos yeux en disent long sur votre mode de vie dépravé.

Il se sentit faiblir sous ses assauts. Mais il ne devait pas craquer, pas ici, pas maintenant. Et surtout pas devant elle.

- J’ai arrêté tout cela, rétorqua-t-il avec plus de véhémence qu’il ne l’eut souhaité. Grâce à votre fille. Elle n’a rien eu à faire. Mon amour pour elle est pur et me guérit de tout.

La femme manifesta clairement son doute à ce sujet.

- Ecoutez, dit-elle avec l’évidente intention d’en finir, rentrez chez vous avant que j’appelle mon mari ou la police. Je ne sais pas ce que vous vous êtes imaginé un soir de beuverie, mais il est hors de question que vous remettiez les pieds ici. Ma fille ne vous connaît pas, ne vous aime pas et ne souhaite pas vous voir. Et il en est de même pour moi. Si vous persistez, je prendrais des dispositions, croyez-moi sur parole.

Elle le défia du regard.

- Je n’ai pas peur de vous, cru-t-elle bon d’ajouter.

Elle commença à fermer la porte.

- Il y a d’autres filles.

La porte se ferma complètement. Il se retrouva seul au monde, comme échoué au milieu de nulle part alors que sa princesse n’était peut-être qu’à quelques mètres de lui.

- Pas pour moi, répondit-il tardivement.

Il rentra chez lui, plus seul qu’il ne l’avait jamais été. Il se sentait anéanti. Rien ne pourrait le consoler. Personne ne serait en mesure de le réconforter, pas même une autre fille.

Rien ? Peut-être pas.

Il prit sa guitare et joua un air pour elle.

La musique n’avait pas de frontières. Cette pensée lui réchauffa le coeur.

Cela ne pouvait finir ainsi. Cela venait juste de commencer.

Ils avaient tant à se donner.

Il y avait forcément un moyen, un chemin. Il devait simplement le trouver.

 

A la tombée de la nuit, il sortit et marcha jusqu’à chez elle, sans espoir précis. Peut-être pourrait-il sentir sa présence derrière les murs qui la retenaient.

Il vit une fenêtre ouverte.

Il s’approcha à pas de loups.

Un réverbère à proximité éclairait la façade. Il reconnut le pâle ovale d’un visage et la cascade de cheveux blonds qui l’encadraient.

Son cœur s’emballa comme un cheval fou.

Il l’appela une fois, deux fois.

Elle baissa la tête et le vit.

La joie illumina sa figure d’un éclat presque surnaturel.

Elle l’appela à son tour comme pour se convaincre qu’il n’était pas un mirage né de son désir le plus assoiffé.

Sa voix était étranglée par l’émotion.

Il commença à grimper en s’appuyant sur la gouttière.

- Tu vas tomber ! s’exclama-t-elle.

- Non, je ne vais pas te faire ce plaisir. Et puis ton amour me donne des ailes.

Lorsqu’il parvint à la fenêtre, ils tombèrent dans les bras l’un de l’autre. Une fois relevé, il jeta un rapide regard autour de lui. Il était dans sa chambre et c’était réel.

- C’est mignon, tu…

Elle posa un doigt sur ses lèvres. Il faillit rougir de plaisir.

- Si mes parents savent que tu es ici…

- Je sais ce qu’ils feraient, dit-il en retrouvant une certaine gravité. Tu leur as parlé ?

Elle inclina la tête.

- Après que tu sois venu. C’est eux qui ont commencé à me parler, alors je leur ai tout expliqué à notre sujet.

- Que leur as-tu dit ?

Elle haussa les épaules.

- La vérité.

Il la prit délicatement par les bras.

- Alors ils n’ont pas du apprécier.

Il soupira.

- On va trouver une solution. On va trouver. C’est trop important.

La porte de la chambre s’ouvrit à la volée.

C’était les parents, le père en tête.

- Lâche ma fille immédiatement et écarte toi d’elle !

L’amoureux obéit à regret.

- Je savais bien que j’avais entendu du bruit. Sale ordure, il a fallu que tu reviennes en douce ! De la graine de camé qui veut rien comprendre !

- Je vous avais prévenu, renchérit la mère par-dessus l’épaule de son époux.

Le père était en robe de chambre, une main glissée dans une poche.

- Tu vas sortir d’ici immédiatement en t’estimant heureux que nous en restions là. Il n’y aura pas de troisième fois, tu m’entends !

L’intéressé serra les poings.

- Pourquoi vous n’essayez pas de comprendre ce qui nous arrive ? Si vous ne voulez pas le faire pour moi, faites-le au moins pour votre fille. Vous avez été jeunes, vous aussi…

La jeune fille répliqua à son tour :

- Il ne fait rien de mal, il n’est pas dangereux !

Le père grimaça comme si elle avait dit une sottise.

- Je me méfie des gens qui ne sont pas dangereux.

- Pourquoi ?

- Parce qu’ils peuvent le devenir.

Sur ces mots, le père se fit plus menaçant.

- Je n’ai pas l’intention de négocier quoi que ce soit. Vous ne vous reverrez pas, un point c’est tout. C’est un ordre et vous allez vous y conformer que ça vous plaise ou non.

Il fixa avec haine celui qu’il considérait comme un criminel :

- Sors d’ici ou je te fais arrêter pour violation de domicile !

- Et pour détournement de mineure, s’empressa d’ajouter la mère.

Comme l’intéressé ne semblait pas vouloir obtempérer, le père ajouta :

- J’ai une arme.

Le visage du jeune homme se crispa.

- Moi aussi.

Il glissa une main sous sa veste.

Le père n’hésita pas. Il sortit son revolver et fit feu.

Avec une précision qu’il devait regretter toute sa vie.

La balle atteignit l’amoureux à la tête. Il tomba violemment au sol, sa chute annonçant sa mort plus que l’impact lui-même.

Ornella se jeta sur son corps inerte en poussant un cri déchirant.

- Il n’avait pas d’arme ! Il voulait parlait de son cœur.

Puis elle pleura sans discontinuer.

La mère prit le revolver des mains de son époux. Ils se dévisagèrent, conscients du drame qui venait de se jouer. Cette balle venait de briser leur destin à tous.

Paralysé par son acte, le père regarda sa fille se jeter sur lui et le frapper de ses poings menus jusqu’à être certaine de lui faire mal.

 

Plusieurs jours passèrent.

Elle resta cloîtrée dans sa chambre, les yeux fixés sur le portrait qu’il avait fait d’elle, tout du moins quand ses larmes le lui permettaient. Des larmes qui n’avaient guère le temps de sécher.

Le monde avait dévoilé sa vraie nature : une abominable supercherie, un monstrueux piège dans lequel elle ne voulait plus mettre un pied.

Elle avait tout perdu, l’impression de mourir avant d’avoir vécu et de sentir son amour périr prématurément comme un infortuné nouveau-né.

Elle en avait mal au ventre.

 

Un soir, sa mère frappa à la porte. Elle entra après avoir attendu vainement une réponse qu’elle savait d’avance ne pas obtenir.

Elle posa le plateau-repas sur la commode et observa la forme recroquevillée dans le lit.

Elle se sentait si impuissante. Mais elle essayait malgré tout de se convaincre que cela ne durerait pas.

Peut-être un sentiment de culpabilité motivait-il cette pensée.

Elle s’éclaircit discrètement la gorge.

- Je sais que tu ne vas pas bien, que tu as mal. Je ne prétends pas savoir à quel point. Je l’ignore. J’aimerais tellement que tu me parles.

Elle marqua une pause. Comme rien ne bougeait dans le lit, elle reprit :

- Si tu savais combien ton père regrette ce qu’il a fait. Il ne voulait pas aller jusque-là. Il voulait vraiment te protéger. C’est ce que nous voulions tous les deux. Il a eu peur. Mon dieu, tout s’est passé si vite !

Elle commença à sangloter.

- Il est vraiment en difficulté. Te voir lui ferait tant de bien.

Seul un silence entêtant lui fit écho.

Un silence étudié.

La jeune fille ne dormait pas et sa mère ne le savait que trop bien.

Elle quitta la chambre sans un bruit.

 

Au milieu de la nuit, elle ne dormait toujours pas. Si bien qu’elle entendit clairement la voix l’appeler par son prénom. Une voix qu’elle reconnut immédiatement.

Elle se dressa dans son lit et alluma sa lampe de chevet.

La fenêtre était fermée, la porte aussi.

Ce n’était pas possible. Elle avait dû rêver.

Mais lorsqu’elle vit un rosier fleurir autour du portrait qu’il avait fait pour elle, elle n’eut plus de doute. Elle bondit du lit.

Une silhouette humaine se tenait debout devant elle, son identité protégée par les ombres.
Le cœur de la jeune fille suffit à percer les ténèbres. Elle sauta dans les bras de son amoureux.

- C’est impossible, c’est un rêve !

Dans son étreinte, elle se sentit ressusciter. Et il devait en être de même pour lui. Il émanait de lui une telle douceur, comme si son cœur l’enveloppait et diffusait directement son amour autour de lui. Plus tard, elle comprendrait que c’était précisément ce qui se passait.

- Je ne comprends pas, dit-elle, des larmes plein les yeux, comment peux-tu être ici ? J’étais à l’enterrement. Que t’est-il arrivé ? Dis-moi que je ne suis pas folle et que tout cela est réel !

Il sourit tendrement et s’écarta légèrement. Il avait bien toujours le même visage, mais il était nu, sans sexe apparent, tel un ange. Son corps projetait une lumière opaline. On aurait dit une statue vivante.

- C’est réel, dit-il en cueillant l’une de ses larmes du bout du doigt. La seconde d’après elle se changea en rose qu’il glissa dans l’or de ses cheveux.

- La poésie est le réel absolu.

Elle le regardait, fascinée et hébétée, comme désireuse de croire à cette magie à tout prix tout en redoutant un nouveau coup du sort.

- Mon corps est mort et l’illusion qu’il représentait est morte avec lui. Tu me vois maintenant dans toute ma vérité. Si seulement tes parents avaient pu me voir ainsi. En voyant l’expression d’Ornella changer, il craignit d’avoir ravivé le drame. Il lui prit la main.

- Tu te souviens, mon amour, tu m’as donné des ailes. Des ailes à mon âme.

A ces mots, il baissa la tête et deux ailes géantes de papillon se déployèrent dans son dos comme deux vivants arcs-en-ciel, déversant dans la pièce un somptueux ballet de couleurs et de lumières. Ornella pleurait, mais cette fois la douleur était exempte. Elle pleurait de joie et d’émerveillement.

Il recula alors encore un peu, estompant volontairement la magie qu’il avait fait naître.

- Je dois partir, Ornella.

La nouvelle estomaqua la jeune fille.

- Non, reste. Ne me laisse pas ici, toute seule.

Elle s’efforçait de ne pas crier de peur d’alerter sa mère, sans doute aussi éveillée qu’elle.

- Je n’ai pas le choix, répondit-il avec gravité. Je suis d’ailleurs. Je ne peux plus vivre ici. Cela m’a énormément coûté de venir te voir. Plus que tu ne peux l’imaginer. Mais je te le devais. A présent que c’est fait, je dois m’en retourner.

- Mais où vas-tu ? Emmène-moi avec toi. Je t’en supplie ! Moi non plus je ne peux plus vivre ici !

Il la dévisagea intensément.

- Tu as déjà rêvé de moi ?

- Bien sûr !

- Alors tu sauras me retrouver. Ton âme saura. Je t’aime.

Il prononça une dernière fois son prénom et l’embrassa à la commissure des lèvres.

Quelque chose qui ressemblait à un œil s’ouvrit au milieu de son front et la seconde d’après il n’était plus là.

Terrifiée à l’idée de ne plus jamais le revoir, Ornella ouvrit instinctivement la fenêtre. Elle ne vit rien, bien sûr, mais soudain, une chaleur réconfortante l’envahit. Elle cueillit la fleur dans ses cheveux et contempla le dessin à demi recouvert par les roses.

Oui, elle trouverait.

 

Elle le retrouva bel et bien.

Rien ne semblait être en mesure de les séparer.

En étant à nouveau si proche de lui, elle ne put retenir un chapelet de larmes qui eurent l’étrange idée de s’envoler.

Elle manifesta sa stupeur et lui son amusement.

- Ici tout est léger et appartient au ciel.

Il la serra dans ses bras et déploya ses ailes pour l’en couvrir comme d’un manteau.

- Bienvenue dans le pays où l’amour est roi. Tu es ici chez toi.

 

Il lui fit visiter les lieux, des lieux qui avaient l’étrange propriété de se métamorphoser pour peu qu’on y regardât à deux fois.

Ils survolèrent des forêts qui se changèrent en montagnes vertigineuses qui à leur tour se changèrent en vallées verdoyantes. Le cycle était infini.

Tout était sans cesse renouvelé, sans cesse en mouvement, comme si un peintre invisible à l’humeur insatiable retouchait indéfiniment le paysage.

- C’est merveilleux ! dit Ornella, au comble de la joie. Mais qui fait tout ça ?

Son amoureux la tenait près de lui. Ses ailes les maintenaient tous deux en l’air. Ornella pouvait voler, elle aussi, mais elle l’ignorait encore. Il sourit.

- C’est nous.

Elle écarquilla les yeux d’étonnement et ce faisant, elle vit plusieurs nuages éclater dans une pluie de flocons de neige.

- Mais comment… ?

- En ces lieux tout est lié et s’influence constamment. Nos émotions, nos états d’âme génèrent des transformations dans notre environnement qui lui-même génère en nous de nouvelles émotions. Et ainsi de suite. C’est un éternel ballet de couleurs, formes et de sensations. Tout participe à l’harmonie générale.

Tout en expliquant, il désigna un volcan en éveil crachant un nuage de fumée affectant la forme d’un cœur.

Ornella serra plus fort la main de son amoureux.

- C’est magnifique ! Comment s’appelle cet endroit ?

- Le poète William Blake l’appelait La Terre de Beulah. Mais j’imagine qu’elle a bien d’autres noms.

- Je ne veux jamais partir d’ici, reprit Ornella, métamorphosée par son expérience. J’ai l’impression d’être au Paradis. C’est le plus beau rêve que j’aie jamais fait.

Son amoureux la dévisagea avec une étrange solennité :

- Ce n’est pas un rêve, Ornella. C’est ce que nous sommes en train de vivre, toi et moi.

Le visage de la jeune fille se rembrunit, assombrissant du même coup l’horizon.

- Mais si je me réveille, tout ce que nous aurons vécu ensemble en ces lieux ne se résumera pour moi qu’à un rêve, même le plus beau.

Il se crispa comme s’il comprenait la dureté de la réalité. Sa réalité à elle.

- Je peux te jurer qu’il aura la valeur d’un souvenir.

 

Il l’invita à un ballet aérien improvisé, l’éloignant et la rapprochant alternativement de lui. Elle se prit vite au jeu et fit preuve d’une grâce et d’une imagination qui le comblèrent.

Après avoir longtemps virevolté dans la plus parfaite osmose, ils se posèrent aux abords d’une cascade vertigineuse, les yeux embués de bonheur.

« Faites que je ne me réveille pas ! » se répétait Ornella.

« Faites qu’elle ne se réveille pas ! » se répétait son amoureux tout en étant convaincu qu’il était de son devoir et en son pouvoir d’exaucer ce vœu.

- On pourrait nager un peu pour changer, proposa-t-elle, toute guillerette.

- Bonne idée !

- L’eau est bonne ?

Il sourit.

- Seulement si tu le désires.

La jeune fille demeura bouche bée avant d’éclater de rire.

- Je veux une eau au goût de fraise !

La seconde d’après elle plongea sans retenue du haut de la falaise. Il ne trouva rien de mieux à faire que l’accompagner en hurlant :

- Je suis allergique aux fraises !

 

Encore une fois, ils jouèrent et s’occupèrent en toute liberté pendant un temps qu’ils furent bien incapables d’évaluer. Et c’était évidemment le moindre de leur souci.

Enfin rassasiés de leurs distractions aquatiques, ils s’enlacèrent et observèrent un couple de dauphins au corps irisé se lancer dans un concours de pirouettes.

Ornella regarda son amoureux. Il avait l’air songeur.

- A quoi penses-tu ?

- Je me disais que tout le monde devrait pouvoir venir ici, au moins de temps en temps. Sur Terre, certaines personnes n’ont aucun refuge. Si l’imagination est un luxe, nous sommes des milliardaires.

- Tu ne devrais pas être triste. Je pense que tout le monde peut venir ici. J’en suis convaincue. Il suffit d’en avoir besoin, non ?

Il secoua la tête et déposa un baiser sur son front.

- Tu ne trouves pas que l’eau a un goût bizarre.

Ornella faisait la grimace.

Il goûta l’eau à son tour et tout son être fut retourné lorsqu’il en reconnut la saveur.

- Non, pas ça !

C’était de l’eau de vie. Et il sut que ça ne pouvait venir d’Ornella. Il avait laissé ses pensées s’égarer vers de lointains souvenirs, l’emporter à nouveau vers ses angoisses existentielles. L’espace d’un instant, il était redevenu le junkie qu’il pensait avoir tué pour toujours. Il comprit que ses démons l’avaient poursuivi jusqu’ici et que rien n’était encore fini. Il avait un dernier combat à mener pour être enfin libre. Il s’alarma.

- Sors de l’eau, Ornella ! Vite !

Elle le regarda, apeurée, avant de lui obéir.

L’eau était devenue sombre. Le ciel aussi. Un orage couvait.

Il regarda la jeune fille s’éloigner et la suivit tout en essayant de contrôler ses pensées. Mais il avait l’impression de ne plus rien contrôler. Ses démons l’envahissaient inexorablement. Il pouvait presque ressentir à nouveau cette faim vicieuse et viscérale qu’il avait dû tant de fois combattre, qui l’avait tant de fois vaincu.

Lorsqu’il entendit Ornella pousser un cri en arrivant sur la berge, il sut que ses démons avaient de nouveau pris corps dans leur Paradis. En un éclair, il fut à ses côtés. Il la souleva dans ses bras en découvrant avec horreur le sol jonché de tessons de verre et de seringues usagées.

- Mais qu’est-ce qui est en train de se passer ? s’enquit la jeune fille. C’est toi qui fais ça ?

Il allait répondre lorsqu’une douleur indicible lui fouetta les entrailles.

Il lâcha brusquement Ornella qui manqua s’empaler sur les bris de verre maintenant aussi hauts que des arbustes. Impuissante, elle regarda son amoureux tomber à genoux en se tenant le ventre.

- Tu as mal ? Qu’est-ce qui t’arrive ?

Il dressa brusquement la tête. Il n’était plus le même. L’iris et la pupille de ses yeux étaient devenues intégralement noires. Ses oreilles se terminaient en pointe, quant à sa voix…Elle ne la reconnut pas quand il s’adressa à elle :

- Va-t-en, cours ! Ne reste pas près de moi ! Je t’en supplie, Ornella, si tu m’aimes, fais ce que je te dis !

La jeune fille se recula, moins pour lui obéir que pour obéir à sa peur.

- Mais dis-moi ce que tu as ! Je peux sûrement t’aider !

Son corps se mit à tressauter comme si quelque chose d’énorme ou de puissant le possédait et manifestait l’envie de sortir.

- Non, il faut que tu partes. Réveille-toi, s’il le faut, mais ne reste pas ici ! Elle m’envahit. Je ne… contrôle… plus rien.

Il poussa un cri déchirant et tandis qu’il ouvrait démesurément la bouche, une masse sombre, poisseuse et informe jaillit et coula sur le sol en un immonde ruisseau.

Tout en se dressant de façon menaçante, l’entité commença à prendre forme.

- Je ne peux pas t’abandonner ! hurla Ornella. Pas avec cette chose !

Bien que très affaibli, il trouva la force de se redresser un peu et alors il hurla à son tour :

- Tu ne comprends donc pas ! Elle va te tuer, elle n’existe que pour cela ! Elle dévore tout ce qui est innocent pour devenir plus forte encore ! Je ne veux pas te perdre Ornella !

Les mots parurent faire leur effet sur la jeune fille. Elle ferma les yeux et se retournant, courut droit devant elle. Mais il était déjà trop tard.

La Bête avait fini de prendre forme, ce qui dans son cas, ne voulait pas dire grand-chose. L’on ne pouvait lui donner de nom, ni même la décrire tant son aspect repoussait les limites connues de la terreur. A elle seule, elle représentait un nouveau canon dans le domaine de l’horreur.

Sphinx remarqua plus particulièrement les aiguillons recouvrant son épiderme, évidente analogie à l’une de ses dépendances terrestres. Et comme pour rajouter à l’infâme tableau qu’elle constituait à elle seule, l’air était empuanti par son odeur, un mélange insoutenable de remugle et de miasmes alcoolisés.

Cette chose qu’il avait crachée hors de lui était sa part de ténèbres, la somme de toutes ses malédictions, l’addition de ses tourments et de ses vices.

Il devait l’affronter et il devait la vaincre. Pour le salut de son âme et celui de son amour.

L’orage éclata comme pour annoncer le début des hostilités et une pluie diluvienne se mit à tomber. La pluie aussi avait un goût : celui de l’amertume.

La Bête faisait bien trois mètres de haut. Elle paraissait aveugle, du moins elle ne possédait pas d’organes apparents. Elle renifla plusieurs fois avant de se mouvoir en direction d’Ornella, en rampant rapidement tel un serpent affamé.

Cette vision menaçante eut le don de revigorer complètement Sphinx. Il déploya ses ailes et disparut pour réapparaître près de la jeune fille que la Bête poursuivait en écumant de joie. Des gueules s’ouvraient et se refermaient sporadiquement dans son poitrail velu. Les langues boursouflées qu’elle dépliait outrageusement semblaient elles-mêmes animées d’une vie propre. Sphinx se plaça devant Ornella dans une attitude protectrice avant de riposter. De ses deux mains il ouvrit sa poitrine, libérant une aveuglante sphère de lumière qui consuma les ignobles appendices s’aventurant un peu trop près.

- Qu’est-ce que c’est ? hurla Ornella en proie à une frayeur sans nom.

Sphinx scrutait l’entité maléfique comme le reflet impie de lui-même.

- Mes démons, l’incarnation de mes démons.

Ornella était terrorisée. Le rêve avait tourné court. Encore une fois, la réalité reprenait ses droits, même ici. Et pas de la plus belle manière.

- Tu peux la vaincre ?

L’intéressé dévisagea brièvement la jeune fille, mais avec une extrême intensité.

- Avec toi à mes côtés, je peux tout vaincre. Et je suis invincible.

La Bête le savait aussi, naturellement, et c’est justement pourquoi elle chercha à tout prix à les séparer.

Une immonde forêt de tentacules et d’autres appendices innommables s’extraya de son corps pour arracher Ornella de ses bras. Il repoussa tant bien que mal les assauts en générant des sphères de lumière et d’autres symboles de sa pureté. Son amour était un moteur puissant, mais la Bête avait plus d’expérience.

Ses tentacules se rétractèrent subitement et les dards hérissant ce qui lui tenait lieu de dos se projetèrent sur le couple. Sphinx improvisa un bouclier de fleurs qu’il espéra assez puissant, puis tout à coup inspiré, il fit résonner, par-dessus les borborygmes incessants de l’entité, la mélodie qu’il avait créée pour Ornella sur sa guitare, un soir plus triste que les autres, dans son ancienne vie. Il sourit en voyant sa Némésis se tordre de manière significative. La symbolique était sa meilleure arme ici et il compter bien en abuser.

- Tu ne m’auras pas et elle non plus ! Je te détruirai, je le jure !

Mais une vois dans sa tête, sa propre voix, lui promit exactement le contraire.

La fureur de la Bête était sa meilleure arme à elle. Elle y puisait toute sa force. A l’idée d’échouer si près du but, elle sembla grossir davantage. Un aiguillon déchira le bouclier et transperça le front de Sphinx. Il lâcha Ornella malgré lui et après avoir extirpé l’arme, il dût lutter sauvagement contre les effets de la blessure. Une blessure qui menaçait de corrompre ce qu’il y avait de plus beau en lui. Un appendice enleva Ornella sous ses yeux. En dépit de sa volonté de la secourir, Sphinx se sentit impuissant, comme si une partie de la Bête s’était insinuée en lui.

- Ornella !

En voyant la jeune fille terrifiée se rapprocher de l’une des gueules voraces, il retrouva un regain d’énergie. Il se concentra. Les motifs de ses ailes flamboyèrent, dardant sur le monstre un chapelet de rayons purificateurs. Des flammes léchèrent le ventre grouillant d’une vie impie et le tentacule retenant la jeune fille se décomposa. Elle retomba sur un tapis de fleurs imaginé par son protecteur qui s’envola pour la mettre hors de portée de la Bête, dans un endroit que lui seul connaîtrait. Mais ce faisant, il oublia qu’il partageait le même esprit que son ennemi.

Sphinx s’acharna à détourner son attention, la frappant de ses projectiles assassins, l’insultant, la mutilant. La Bête devint furieuse, mais ne changea en rien ses intentions. Sans crier gare, elle laissa tomber toute sa répugnante masse sur lui, l’écrasant et l’immobilisant. Il tenta bien de se téléporter, mais au contact rapproché de la Bête, sa blessure se réveilla et anéantit son effort. Alors elle en profita pour se métamorphoser. Son dos se craquela et deux paires d’ailes noires et huileuses se déplièrent, emportant une partie de l’entité dans les airs à la poursuite d’Ornella, tandis que l’autre se chargeait d’assimiler totalement Sphinx, la partie qui lui manquait pour être entière.

La pensée de perdre son âme-sœur fut l’étincelle qui permit à Sphinx de conserver son identité et son énergie propres. Il banda son cœur et en même temps qu’il poussait un cri terrible, il décocha une véritable bombe qui souleva son bourreau et le pulvérisa.

Sphinx se dressa, victorieux, sous une pluie de cendres. Un hurlement strident d’Ornella le paralysa, lui annonçant une horrible tragédie.

Il déploya ses ailes et se transporta aussitôt auprès de sa bien-aimée.

Du moins à l’endroit précis où elle aurait dû se trouver.

Lorsqu’il découvrit des fleurs éparses jonchant le sol ainsi que des ronces noires et huileuses lovées autour d’elles, il comprit qu’il arrivait trop tard. Le mal était déjà fait. La chevelure d’or finissait de disparaître dans les entrailles putrescentes de la Bête lorsqu’il posa son regard sur elle.

- Ornella !

En poussant son cri de guerre, il s’élança sur le démon qui fit de même. Le choc fut terrible. La terre se fissura et le ciel se brisa comme un miroir, déversant à nouveau des trombes d’eau. Une explosion de lumière absorba le paysage entier avant de le régurgiter dans le plus grand chaos. Une ombre retomba au sol. C’était Sphinx.

Il avait réussi, mais à quel prix. Il avait gagné sa liberté, mais il avait perdu Ornella.

Son cœur était orphelin, son âme mutilée. Et il sut dès lors que rien ne pourrait changer cela.

La blessure sur son front s’anima fugitivement. Ses yeux s’assombrirent un bref instant avant de reprendre un aspect innocent.

La plaie cicatrisa en un instant et demeura sur sa peau tel un insolite tatouage, une marque indélébile, la signature de la Bête siégeant toujours en lui, à son insu. Affaiblie, mais dans l’attente fébrile de pouvoir faire à nouveau surface.

Sphinx posa une main sur sa poitrine.

- Tu es avec moi, Ornella. Nous serons toujours ensemble. Où que tu sois, où que j’aille.

La jeune fille avait exaucé leur voeu commun : elle ne se réveillerait plus jamais.

A cette pensée, il se mit à pleuvoir.

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mercredi, 23 juin 2010

Rex Warrior Contre le Maître de la Montagne

 Rex Warrior contre le Maître de la Montagne

 

 

PROLOGUE

 

 

 

 

 

Le soir venant, l'homme et l'enfant quittèrent les abords de la rivière et prirent le chemin du retour. La pêche n'avait pas été bonne, pourtant, tout en cheminant, ils devisaient gaiement main dans la main, scrutant de temps à autre le ciel assombri paré d'une multitude d'étoiles scintillantes.

Quelques instants plus tard, ils sortirent de la forêt et aperçurent sur leur droite l'antique puits annonçant mieux que n'importe quel panneau la proximité de leur demeure.

En arrivant en vue de la chaumière  dont la cheminée crachait une mince volute de fumée, l'homme s’immobilisa et arrêta l'enfant prés de lui. La chaude et accueillante lumière se déversait à travers les carreaux des fenêtres et par la porte grande ouverte, les invitant à entrer mieux que ne l'aurait fait le meilleur des hôtes. Mais la maîtresse de maison ne manifesta pas sa présence comme à l'accoutumée et l'homme s'inquiéta. Habituellement, Shaïzra venait les rejoindre pour les couvrir de baisers avant même qu'ils n'aient atteint le seuil de la porte. Ce soir-là, elle ne parut même pas à l'entrée de la demeure et un horrible pressentiment s'insinua dans le coeur et l'esprit de l'homme.

Il se mit à courir, entraînant l'enfant avec lui, et une fois parvenu à l'intérieur, son visage entier refléta toute l'horreur de la scène dont ils furent les témoins.

Le corps de Shaïzra était allongé au milieu de la pièce, dans la plus parfaite inertie, ses vêtements déchirés témoignant de l'odieux supplice dont elle avait été victime. Mais ce que seule sa singulière posture ne parvint pas à révéler, le poignard à lame courbe planté entre ses omoplates se chargea de l'annoncer sans préambule.

L'homme se précipita aux côtés de la femme et lui releva délicatement la tête. Ses magnifiques cheveux noirs s'écartèrent, dévoilant un imposant hématome sur sa joue gauche. Avant et après l'avoir tuée, les meurtriers l'avaient violentée et sauvagement profanée.

L'homme pleura longuement la perte de sa bien-aimée, pressant contre son sein son corps glacé sans crainte de l'étouffer.

Alors qu'il exprimait ainsi le sentiment de perte irréparable qui l'accablait, l'enfant ramassa un médaillon sur le sol. Son regard empli d'incompréhension se posa sur son père larmoyant avant de s'attarder sur le pendentif sur lequel étaient gravés trois cercles concentriques autour de la lettre K...

 

 

 

 

 

 

 

PREMIERE PARTIE

 

 

 

 

 

 Toute civilisation comporte ses maux

Toute civilisation comporte ses guérisseurs.

 

 

 

                                                        Zako de Zaborian

                 

 

 

 

 

 

  

1. La Faim justifie les Moyens

 

 

 

 

Rex Warrior rampa jusqu'à un rocher et posa son regard sur l'é­tendue herbeuse. Ses yeux décelèrent un mince filet de fumée qui s'élevait au loin. Son odorat, d'une sensibilité extraordinai­re, identifia l'odeur qui emplissait l'air comme étant celle du lapin rôti. Le visage du barbare s'illumina. Du lapin rôti! Cela faisait plusieurs semaines qu'il n'en avait mangé et cela faisait plusieurs jours qu'il n'avait ingurgité une nourriture digne d'intérêt.

Rex bondit de rocher en rocher telle une panthère, dans le si­lence le plus complet et avec une souplesse qui laissait penser qu'il avait incarné un félin dans une vie antérieure.

Les deux gobelins, occupés à faire tourner un lapin embroché au-dessus d'un petit feu de bois, ne s'aperçurent de la présence du barbare qu'une fois que celui-ci se trouva à côté d'eux. L'un des gobelins poussa un croassement de surprise et porta vi­vement la main à la poignée de sa dague comme si elle le lui eut commandé. L'autre, plus serein, mais surtout moins suspicieux, le rassura d'un geste et examina le visiteur. Ce dernier était grand, musclé et avait le teint hâlé. Son regard exprimait la plus totale assurance et sa longue chevelure noire flottait der­rière lui au gré du vent. Il n'était vêtu en tout et pour tout que d'un pagne et de bottes de fourrure blanche. Une épée à large lame pendait à sa ceinture dans laquelle était glissée une da­gue. Son corps puissamment charpenté et couvert de cicatrices ne cachait rien de ses activités. Un collier de dents, d'origines aussi diverses que mystérieuses, était fixé autour de son cou. Une fois que le gobelin eut observé le barbare tout son content, il s'adressa à lui :

- Que viens-tu faire en ces lieux? Peu d'hommes osent venir par ici. C'est un endroit qui regorge de périls de toutes formes. Il n'est pas bon de se promener seul comme tu le fais.

Il indiqua l'épée de Rex :

- Même armé!

- Justement, répondit le barbare, je cherchais de la compagnie. Et je crois que je viens d'en trouver. J'ai un marché à vous proposer.

Les deux gobelins se dévisagèrent l'espace d'un instant et celui qui avait parlé à Rex prit à nouveau la parole.

- Vas-y, nous t'écoutons.

Le barbare exhiba une pièce d'or entre le pouce et l'index de sa main droite et dit :

- Je vais lancer cette pièce. Si l'un de vous l'attrape, elle sera à vous et je m'en irai comme je suis arrivé. Si je parviens à m'en saisir, je deviens l'heureux acquéreur de ce lapin dont le fumet est venu si agréablement chatouiller mes narines.

Les gobelins échangèrent un regard de connivence et firent un signe de la tête pour indiquer que la proposition leur conve­nait. Rex adressa un ultime regard à la pièce et d'un geste ra­pide la lança en l'air comme convenu. Les deux gobelins se bous­culèrent, bondirent simultanément et l'un d'eux poussa un cri de joie en brandissant la pièce.

- Je l'ai! Je l'ai!

Constatant la disparition du barbare, les deux peaux vertes se retournèrent et écarquillèrent les yeux, stupéfai­ts. Rex était assis sur un rocher et mordait à pleines dents dans le lapin rôti, tenant la broche à deux mains et arborant son plus large sourire.

- Une réclamation ?

Furieux de s'être fait duper de la sorte, les gobelins se pré­cipitèrent sur le barbare, leur dague à la main. Le premier sentit la broche lui caresser le nez si fort qu'il perdit connais­sance et s'écroula dans l'herbe. Le second n'eut pas plus de chance. Il leva sa dague au-dessus de sa tête, mais baissant les yeux, constata qu'une lame était plantée entre ses côtes jusqu'à la garde. Un filet de sang coula sur son menton et il rejoignit son infortuné compagnon.

Le barbare récupéra son épée, sa pièce d'or dans la main du go­belin et quitta les lieux, désormais rassasié.

 

2. Un Festin pour les Vautours

 

 

 

 Les lueurs flamboyantes du soleil levant s'étiraient à l'horizon. Rex Warrior escalada un rocher et juché sur son sommet, observa, intrigué, les colonnes de fumée sombre qui grimpaient dans le ciel.

Cela faisait trois jours qu'il avait ingurgité le lapin rôti volé aux gobelins et depuis il n'avait pas mangé de nourriture plus substantielle. Mais la chance semblait lui sourire à nouveau. En ce moment, des villageois devaient être occupés à festoyer et à converser joyeusement autour de grands feux. Le barbare espé­ra qu'il pourrait se mêler sans trop de peine aux convives afin de récolter quelques morceaux de choix. Rien que d'y songer, il en avait déjà l'eau à la bouche. Il descendit du rocher.

Il était vrai que son aspect n'allait peut-être pas lui attirer les bonnes grâces des habitants, mais il savait se montrer par­ticulièrement courtois, surtout quand son estomac criait famine. Le banquet auquel Rex avait pensé être convié s'avéra bien différent de ce qu'il s'était laissé imaginer. Des feux brûlaient ef­fectivement dans le village, mais le bois qui les alimentait pro­venait essentiellement des maisons livrées aux flammes.

Les corps des habitants étaient étendus sur le sol dans des pos­tures qui, hélas, laissaient deviner une fin des plus tragiques. Après un bref examen des cadavres qu'il contourna, Rex déduisit que des orcs devaient faire partie du nombre des assassins.

Un vieil homme cloué à la porte d'une cabane par une lance mani­festa sa présence par un faible gémissement. Sans son ouïe d'une incroyable finesse, le barbare eut été dans l'impossibilité de le repérer.

Rex s'agenouilla auprès du mourrant. Il appuya fermement sa main gauche sur son visage et d'un coup sec, retira l'épieu enfoncé dans son torse meurtri. En guise de remerciement, le vieil homme serra la main salvatrice du barbare. Voyant qu'il voulait par­ler, Rex se pencha davantage.

- Tu es un homme brave, mais ma fin est proche et inéluctable, à  moins que tu ne sois un prodigieux guérisseur en plus d'être un vaillant guerrier.

D'une secousse de la tête, Rex répondit par la négative.

- Ils n'étaient pas très nombreux, reprit le mourrant, mais pour de paisibles gens comme nous, ils représentaient une armée, qui plus est, une armée invincible.

- Pourquoi ont-ils détruit votre village?

- Parce que Zorbal le Maudit le leur a ordonné. Ce cruel sor­cier sème la terreur depuis tant d'années. Bientôt, il ne reste­ra plus aucun vivant pour pleurer les morts.

- Aucun homme sur cette terre n'a donc osé l'affronter?

Le vieillard toussota.

- Ceux qui s'y sont risqués ont rejoint le Royaume des Morts.

- Où vit-il ce Zorbal?

- Sur la Montagne du Tonnerre; il en est le maître. Mais pour­quoi me demandes-tu cela? Aurais-tu en tête de te rendre à son repaire?

- C'est bien possible.

- Alors je te souhaite de trouver en chemin de valeureux compa­gnons. Et puissent les dieux...

Une flèche vint docilement se planter dans le front du vieil­lard, mettant un terme brutal à la conversation. Un rapide re­gard à l'empennage du projectile apprit à Rex qu'il ne s'était pas trompé. Le massacre avait été en partie perpétré par des orcs.

Le barbare se releva et se retourna, faisant face aux responsa­bles de la tuerie. Le vieil homme n'avait pas menti. Ils n'étaient guère en nombre, mais leur diversité compensait large­ment le handicap qu'aurait pu constituer leur relative infériori­té numérique. La troupe hétéroclite était composée de quatre orcs revêtus de cuirasses, de deux elfes noirs malingres et d'un troll chauve dominant. L'orc qui avait décoché le trait s'adressa au barbare :

- Tu arrives un peu tard si tu espérais secourir un de ces misé­reux.

Rex dégaina l'acier rutilant de son épée.

- Je pourrais moi aussi te provoquer de mille façons, en te trai­tant par exemple de sale peau verte ou de charogne putride. Mais en faisant cela, je me priverais de la joie de vous occire tous sur-le-champ!

Rex bondit à une hauteur vertigineuse et en retombant sa lame décrivit un arc de cercle. Les quatre orcs se trouvèrent subite­ment allégés du poids de leur tête dans une grande effusion de sang. Le Troll poussa un grognement et abattit sa massue héris­sée de pointes. Rex se baissa vivement. Subséquemment, la massue se ficha dans le crâne d'un des elfes- ôtant au barbare le plai­sir de le pourfendre- et Rex plongea son épée dans la panse du troll comme pour le punir d'être aussi adipeux.

En quelques mou­vements, il s'était défait de six adversaires.

Le deuxième elfe noir, son épée en main, était prêt à en découdre sévèrement, mal­gré la perte de ses compagnons qui aurait pu le pousser à fuir. Il lança une botte furieuse que Rex esquiva facilement. L'elfe exécuta alors une série de passes impressionnantes, démontrant ainsi son extrême maîtrise de l'escrime; mais la manière avec la­quelle Rex l'affronta fut tout aussi impressionnante, si ce n'est plus. L'elfe rompit, essoufflé et scruta son adversaire imper­turbable. Il se fendit à nouveau. Rex dévia la lame et estimant qu'il avait suffisamment ferraillé, plongea sa dague dans la gorge de son opposant.

Après avoir délesté les infortunés serviteurs de Zorbal de leur bourse et s'être constitué une petite fortune, Rex s'éloigna des ruines fumantes, vestiges d'un village autrefois lieu de plaisan­tes festivités.

 

3. Le Départ de Zako

 

 

 

 Le vieux mage remua sur sa couche, victime des affres infligées par la maladie. La fièvre maligne qui le rongeait depuis des se­maines semblait avoir atteint son apogée, pour le plus grand ma­lheur de l'homme aux yeux bridés qui siégeait à ses côtés.

- Maître, dit-il en épongeant son front ruisselant de sueur, je ne puis me faire à l'idée que nous soyons séparés.

Le mage fit l'effort notable d'esquisser un sourire.

- Les voies de la Mort sont impénétrables. Qui sait si un jour je ne reviendrai pas te voir, sous une autre forme.

- Mais j'ai vécu tant de choses auprès de vous, vous m’avez tant appris!

- Il est temps pour toi de vivre et d'apprendre au contact d'au­tres personnes. Tu as un grand potentiel, tout comme ton père quand je l'ai connu. Toutefois, tu devras te méfier. Le monde re­gorge d'individus mal intentionnés. Tu devras exercer ton intui­tion afin de savoir en qui investir ta confiance.

L'élève serra les poings de rage, blanchissant les jointures de ses doigts.

- Il existe en tous les cas quelqu'un à qui je ne me fierai plus jamais, et je n'aurai de cesse avant d'avoir débarrassé le monde de cet être abjecte!

La voix du mage se fit à nouveau entendre, mais plus faible que jamais.

- Ton père est mort, il te faut...

- Ne parlez plus, Maître, reposez-vous. Sitôt que j'aurai ache­vé mon paquetage, je reviendrai prendre de vos nouvelles. Maître?

Le vieux mage fixait le plafond d'un regard dépourvu d'expres­sion.

- Maître!

L'élève, qui avait pour nom Mao'Jin, réitéra plusieurs fois son appel, en vain. Il était maintenant seul dans la pièce.

 

                4. Une Arrivée commentée

 

Il poussa la porte de l'auberge de l'Ogre de Barbarie et dès qu'il entra dans la salle commune enfumée, les regards des cli­ents attablés convergèrent. Il n'était point aisé de passer ina­perçu quand on portait l'accoutrement qu'affectionnait Rex War­rior.
Le barbare prit place devant l'imposant comptoir et aussitôt des murmures s'élevèrent. Sa présence ne semblait pas faire l'unanimité.
- Je suis persuadé qu'il vient des Montagnes de Sybornie, dit un vieillard borgne, une pipe en terre rivée au coin de la bouche.
- Il est connu que là-bas les hommes se battent pour un oui ou pour un non, glissa un gaillard à la chevelure hirsute à l'o­reille de tous les autres consommateurs rassemblés subitement
au­tour de la même table.
- Et celui qui vient d'arriver n'a  pas l'air bien commode, s'em­pressa d'ajouter un troisième en agitant sa chope de bière en di­rection du barbare.
Rex saisit sa bourse et la déposa brutalement sur le zinc, fai­sant sursauter plus de la moitié des hommes installés derrière lui.
- Regardez, reprit le vieillard privé d'un oeil, je parierais mon unique oeil que sa bourse est pleine de pécunes volées à d'hon­nêtes gens.
- Et bien tu peux d'ores et déjà te considérer comme aveugle! tonna la voix du barbare.
Rex se retourna et scruta les visages défaits des jugeurs.
- Tu as raison en un point, j'ai effectivement acquis ces pécu­nes par le vol. Mais je n'en ai point dépossédé d'honnêtes gens comme tu le prétends. J'ai seulement vidé les poches de viles créatures au service de Zorbal le Maudit. Je ne pense pas que vous puissiez me garder rancune de cet acte.
Les dernières paroles du barbare firent de l'effet sur les vil­lageois. Leurs yeux s'agrandirent démesurément.
- L'un de vous connaît-il la route à suivre la plus sûre pour se rendre à la Montagne du Tonnerre? Questionna Rex, ignorant la réaction de ses auditeurs.
Ces derniers demeurèrent bouche bée pendant plusieurs secondes, puis le gaillard à la chevelure hirsute se leva brusquement.
- Messieurs, nous avons là un justicier. Je vous prie s'il vous plaît de le traiter comme il se doit.
A ces mots, il tira un glaive de son fourreau aussitôt imité par six autres.
- Si tu voulais prouver ta folie, poursuivit-il, c'est réussi. Mais ne t'inquiète pas, j'ai un remède particulièrement effica­ce contre la démence.
- Et moi, j'ai un remède particulièrement efficace contre les provocateurs de rixes de ton genre, Janus!
L'aubergiste, un homme trapu à la barbe broussailleuse, venait de paraître derrière le comptoir, avec en mains une arme d'étrange facture dont l'extrémité était pointée vers Janus et ceux qui l'accompagnaient. Rex contempla l'objet dont il ignorait le nom.
- Depuis quand accueilles-tu tes clients avec un tromblon, Syl­van? Grogna l'individu répondant au nom de Janus.
- Depuis que tu menaces un client jusque-là sans histoires, ain­si que la bienséance qui caractérise mon établissement. Je te prie de quitter mon auberge, toi et la bande de
coupe-jarrets qui te servent d'amis, sous peine d'estropier l'un d'entre vous.
- Tu ne commettrais pas un tel acte, Sylvan, tu es la douceur personnifiée, fit la voix aigrie du vieillard borgne.
Une détonation succéda à ses paroles. Plusieurs hommes s’écroulèrent, mais la balle n’avait fait que perforer une table, projetant alentour quantité de débris de bois.
- La prochaine fois, Tilius, ta naïveté te fera peut-être perdre l’œil qui te reste!
Les hommes qui étaient tombés se relevèrent et ne purent détacher leur regard de la table renversée.
- Il est parti! s'écria soudain Janus en constatant la dispari­tion du barbare.
Rex avait semblait-il profité de la confusion pour prendre con­gé d'hôtes bien peu recommandables.
- Vous feriez peut-être bien d'en faire autant, conseilla Sylvan en menaçant le groupe de son tromblon.
Les hommes s'exécutèrent en traînant les pieds et en grommelant. Au moment de quitter à son tour la salle commune, Janus se tour­na vers l'aubergiste, les sourcils froncés à l'extrême.
- Je te jure que la prochaine fois il te faudra plus qu'un trom­blon pour nous arrêter!
Sylvan demeura impassible et le regarda sortir. Il alla fermer la porte et lorsqu'il revint près du comptoir, il découvrit que le barbare avait laissé deux pièces d'or à son intention.

 
                  5. Préparatifs de Départ

 
Mao'Jin rangea ses deux sabres à manche d'ivoire dans les gai­nes fixées sur son dos. Il noua une étoffe sombre autour de sa taille et tressa sa longue chevelure d'un noir de jais. Il chaus­sa ensuite des kïataï, des chaussons souples qui garantissaient un déplacement silencieux en toutes circonstances et qui avaient la particularité de ne laisser aucune empreinte, quelle que fut la nature du terrain. D'aucuns disaient que les kïataï étaient des objets magiques. C'était peut-être vrai.
Mao'Jin replia le pouce et l'auriculaire de sa main droite et traça un arc de cercle devant lui. Aussitôt son reflet apparut. Il contempla un instant son image, visiblement satisfait, avant de la faire disparaître d'un clignement des yeux.

 

(à suivre)

 

 

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mardi, 22 juin 2010

Dans l'Esprit de Morphée [Roman Graphique]

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Quelques semaines plus tard, quelque part...
 
 
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 (à suivre)
 
 

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Le Songe des Ecureuils

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CHAPITRE 1

You are so Beautiful

                                                           


- Allez, dis-moi où on va ? répéta Catherine, suppliante.

Elle était allongée sur le sofa, ses longs cheveux noirs se déversant jusqu'au sol telle une cascade de soie. David les caressait avec religion. Penché au-dessus d'elle, il contemplait son visage comme pour la première fois. Ce n'était pas simplement dû à sa beauté. Son regard trahissait une vive intelligence, une rare bonté d'âme et une douceur à fleur de peau.

- Ce n'est plus une surprise, si je te le dis.

- Mais tu sais très bien que c'est moi qui conduirai.

- N'empêche que je ne dirai rien quand même.

Ils étaient coutumiers de ces petites joutes verbales. Comme tous les couples, ils se chamaillaient régulièrement, surtout pour des broutilles, alors ils appréciaient particulièrement de les inventer de toutes pièces. Ainsi, ils s'en sentaient maîtres et pouvaient leur donner la forme qu'ils souhaitaient les voir prendre; une forme de liberté.

Catherine fronça les sourcils, mimant une contrariété.

- Je ne suis pas bête. Je verrai les panneaux. Je trouverai bien.

David leva un sourcil, feignant l'indifférence.

- Peuh. Ce ne sera sûrement pas indiqué. Tu peux me croire, notre destination demeurera secrète jusqu'au bout. Tu sauras où on va que quand on y sera, ma chère.

Elle fit la moue.

- C'est un patelin paumé ou quoi ?

David prit un air de supériorité exagéré.

- Tu verras.

- Ca existe, au moins ? J'espère que ce n'est pas encore une de tes inventions, genre la ville imaginaire de trou perdu-les oubliettes.

- C'est très réel, tu verras par toi-même. Et puis d'abord, la réalité ça n'existe que pour ceux qui n'ont pas d'imagination.

Catherine siffla.

- Faudra que je la replace celle-là. Mais, dis-moi, je dois le prendre comment ? T'es en train de dire que je n'ai aucune imagination, c'est ça ?

De la voir singer la colère la rendait irrésistible. David l'embrassa.

- Mais non. J'adore cette phrase, je trouve qu'elle en jette. Alors dès que je peux la placer, je n'hésite pas. Tu me connaîs.

Catherine eut l'air dubitatif.

- Je suis sceptique. Fais-toi pardonner.

- Ca tombe bien, dit-il en lui caressant le visage, j'ai quelque chose à te dire qui va sûrement te plaire.

- Si c'est une phrase du même acabit, tu peux te la garder.

- Mais non, grande râleuse. Celle-là, tu vas l'adorer, je te le garantis.

- Vas-y, alors. Je suis tout ouïe.

David bougea légèrement comme pour mieux se préparer à la convaincre.

- Quelle est la différence entre un homme et une femme ?

Catherine pouffa.

- Alors là, c'est facile. Au moins un million d'années d'évolution.

David pinça les lèvres, singeant la contrariété.

- C'est la féministe qui parle ?

- Non, juste la scientifique.

- En tout cas, ce n'est pas la bonne réponse.

- Ca m'étonnerait. J'ai fait des études très poussées.

- Et je paris que j'étais un très bon sujet d'études.

- Comment tu as deviné ?

- De toutes façons, ce n'est pas la bonne réponse.

A son tour, elle feignit l'indifférence.

- Alors je m'en fiche.

- Je te dis qu'elle va te plaire.

- Très bien, je t'écoute.

- Donnez un fusil à un homme et il vous demandera qui il doit tuer. Donnez ce même fusil à une femme et elle vous demandera qui il a tué.

A la manière dont le visage de Catherine reprit son sérieux, David sut que la réponse avait fait plus que lui plaire.

- Qui a dit ça ?

- C'est le slogan de mon prochain bouquin.

- Et c'est moi que tu traites de féministe !

Ils s'embrassèrent.

 

Ils étaient enlacés comme des enfants tentent de se réchauffer par une glaciale nuit d'hiver.

Mais Catherine et David n'avaient pas besoin d'avoir froid.

Catherine appelait ça la position des écureuils. Elle trouvait ça mignon. L'image lui plaisait beaucoup.

David, lui, appelait ça la position des musaraignes, sûrement par ironie, surtout par esprit de contradiction.

- Pourquoi des écureuils ? Je ne comprends toujours pas.

- C'est normal, tu es un homme.

- Ah ! Ah ! Très drôle. C'est tout ce que tu as trouvé comme explication ?

- Non. C'est beaucoup plus complexe en fait.

- Ah, tiens donc !

- Et c'est pour ça que tu ne peux pas comprendre.

- Je te signale que je ne suis pas un homme.

- Ah, bon ! C'est nouveau ça ! Et tu es quoi, au juste ?

- Je suis un artiste, madame, déclara David en bombant le torse.

- Pour ce que ça change.

- Tu n'es vraiment pas gentille.

- Et toi pour un artiste, tu manques vraiment d'imagination. Si j'appelle ça la position des écureuils, c'est parce que les écureuils font comme ça pour se réchauffer. Na !

- Parce que tu vas me dire que tu as déjà vu des écureuils s'enlacer peut-être !

- Non, mais je suis sûre qu'ils font comme nous.

- Si ça se trouve, c'est nous qui avons inventé cette position. Si ça se trouve, les écureuils nous l'ont piquée et font croire qu'ils en sont les inventeurs. Au départ, ça s'appelait sûrement la position de Catherine et David.

Ils éclatèrent de rire.

- A ton tour de te justifier. Pourquoi des musaraignes ? Je ne sais même pas à quoi ça ressemble vraiment.

- C'est une sorte de petit rongeur. Un peu comme un écureuil, en fait, très mignon aussi.

- Et tu vas prétendre avoir déjà vu des musaraignes s'enlacer alors que le commun des mortels n'en verra jamais la queue d'une !

- Bien sûr, je suis un artiste. J'ai tout vu.

- Quelle déception ! Moi qui croyais que tu avais simplement de l'inspiration. En fait, tu viens d'avouer que tu n'as aucun mérite. Tu n'inventes rien. La vérité, c'est que tu n'as aucune imagination.

- Je n'en ai pas besoin. Je t'ai, toi.

- Oui, moi, ta musaraigne.

- Non, ma muse tout court.

Ils s'embrassèrent.

- Alors où tu m'emmènes ?

- Tu perds pas le nord, toi ! Oublie ça, je ne te dirai rien.

- Même pas sous la torture ?

- Non.

- Même pas sous mes caresses ?

David allait répondre quelque chose, mais son assurance venait d'être subitement ébranlée.

- Faut voir.

 

 

CHAPITRE 2

Unintended

                                        
                                                                                                    

- Tu es sûr que c'est par là ?

- Bah oui, je sais lire une carte.

- Une carte de vœux, peut-être...

- Tu m'insultes là ?

Elle le dévisagea franchement.

- Non, je t'informe, c'est tout.

A son tour, il la scruta intensément, quêtant un trait d'ironie. N'en trouvant aucun, il commença à grimacer.

Ils éclatèrent de rire tous les deux.

La voiture empruntait une route déserte traversant une forêt.

- Mets-nous un peu de musique.

Il alluma l'autoradio.

- A vos ordres.

Il chercha une station, guettant à chaque fois une réaction positive.

Il avait presque fait le tour des possibilités lorsque les premières mesures d'une chanson envahirent l'habitacle. Ils se figèrent au même moment et immédiatement le même frisson les parcourut des pieds à la tête.

Ils se dévisagèrent. C'était  Unintended de Muse.

Tous les couples ont une chanson. Celle-ci était la leur.

Elle avait le don de les guérir de tout, de sublimer l'un aux yeux de l'autre, comme écrite rien pour eux. Lorsqu'ils l'entendaient, leur amour prenait la place du monde entier.

Tout à leur émotion, ils ne virent pas le croisement, pas plus que le poids lourd venant dans leur direction.

Il les heurta de plein fouet.

La voiture quitta la route et roula sous les arbres comme un jouet fou. Lorsqu'elle s'immobilisa, leur chanson se faisait toujours entendre, en dépit de tout, comme se riant de la tragédie.

Catherine essaya de bouger. Elle avait du sang sur les yeux et sa tête pesait aussi lourd qu'une enclume. Sous le choc, sa portière s'était ouverte. Elle se tourna vers David.

Il était inconscient.

La voiture avait arrêté sa course folle contre un arbre au milieu d'un talus, en pleine forêt. La vitre du côté passager s'était brisée si bien que la tête de David était appuyée à même l'écorce.

- David.

Pas de réponse.

Il fallait qu'ils sortent de là pendant qu'ils le pouvaient encore.

Catherine allait défaire sa ceinture lorsqu'elle entendit un craquement de sinistre augure. D'un revers de main, elle essuya le sang qui lui obscurcissait la vue et plissant les yeux, s'aperçut avec horreur que le tronc d'arbre était sur le point de céder. Si cela se produisait, ils perdaient leur seule chance de s'en sortir vivants. Elle en était convaincue. Toute l'étendue de son angoisse s'exprima dans un seul mot :

- David !

Seul le silence lui répondit.

Catherine s'escrima à défaire sa ceinture, les craquements de l'écorce accompagnant ses efforts, les décuplant. La chanson continuait, imperturbable :

 

                          "You could be my unintended choice

                           To live my life extended

                           You should be the one I'll always love..."

 

Brusquement, les craquements cessèrent.

Catherine se figea. Elle tourna la tête vers l'arbre, seul rempart entre eux et la mort qui les attendait en bas de la pente. Lorsqu'elle comprit qu'il allait céder, elle n'eut d'yeux que pour l'homme inerte, assis à côté d'elle, avec lequel elle avait pensé finir ses jours.

- David !

Elle ne trouva rien d'autre à faire que refermer sa portière et fermer les yeux.

Mais ce n'était pas un simple tour de montagnes russes qui les attendait.

Le tronc se déchira et dans le silence qui s'était installé, cela fit l'effet d'une explosion.

La voiture se remit à rouler dans un chaos indescriptible de tôle froissée, les arbres se renvoyant le véhicule comme une balle de flipper. La dernière pensée de Catherine, avant que son esprit ne sombre dans le néant, fut qu'elle ignorerait pour toujours où David avait prévu de les conduire.

La carcasse s'arrêta au bord d'une rivière, en contrebas.

La chanson se tut brusquement comme si elle avait compris qu'elle ne servait plus à rien.

 

  

CHAPITRE 3

Darkshines

                                        
                                                                                                                
Il ouvrit les yeux.

Il ne comprit pas.

Il était allongé dans un lit. Sa tête n'était qu'une douleur sur ses épaules trop petites pour la supporter. Le côté droit de son corps aussi était endolori. La pièce qu'il occupait n'avait rien d'une chambre d'hôtel. Un peu trop épurée.

- Hôpital, murmura-t-il comme pour mieux se faire à l'idée d'un séjour forcé. Il se serait retrouvé en prison que cela lui aurait probablement fait le même effet.

Il regarda autour de lui en préservant au maximum la motricité réduite de son cou. Il était seul. Il ignorait depuis combien de temps il était ici. Mais cela l'inquiétait infiniment moins que de savoir où pouvait bien être...

- Catherine !

Une vision traversa son esprit avec la fulgurance d'un éclair.

Et des dégâts similaires.

Il revit la route déserte. Le silence. L'insouciance.

Il revit le choc terrible de la collision.

Il revit l'intérieur de la voiture tournoyant comme un manège devenu fou. Il entendit leurs cris à tous les deux, intimement mêlés.

Il se rappela les hurlements de la carcasse dévalant la pente de la forêt.

Il revit leur impuissance commune.

Il revit le visage doux et serein de Catherine tourné vers lui alors que l'autoradio jouait leur chanson, leur hymne personnel.

Son cœur s'emballa et son corps entier se couvrit d'une sueur glacée.

- Catherine !

La porte de la chambre s'ouvrit comme pour répondre à son appel.

Mais ce n'est pas la femme invoquée qui entra.

Si elle avait l'air amène, elle n'en était pas moins une étrangère.

Elle lui sourit.

Il l'ignora. Tout ce qu'il lui importait c'était de serrer Catherine dans ses bras pour les consoler tous deux du drame qu'ils venaient de vivre.

Il l'imaginait, isolée dans une chambre comme lui, torturée par les images de l'accident. En vie, mais dans quel état ?

- Où est Catherine ? Où est ma femme ? Comment va-t-elle ?

Le sourire de l'infirmière se crispa.

- Le docteur va venir vous voir.

Après un temps qui lui parut une éternité, le docteur entra dans sa chambre, tout auréolé de son statut d'oiseau de bon ou mauvais augure. David voyait moins en lui un médecin que l'incarnation de son avenir, de son destin.

Dieu en quelque sorte, venu lui rendre une petite visite pour l'informer des dernières nouvelles sur sa vie.

Son sourire magnanime cachait de lourdes responsabilités.

Et un secret aussi pesant.

- Comment allez-vous Monsieur Cross ?

David ignora superbement la question. Il savait le docteur très bien renseigné à son sujet. De plus, il avait le pouvoir de l'emmener en enfer ou au paradis et il ne pouvait supporter plus long délai d'attente.

- Comment va Catherine ?

Le visage du docteur se crispa. Il prit une longue inspiration.

- Elle est décédée dans l'accident. Je suis sincèrement désolé.

Ce n'est pas la phrase qu'attendait David aussi la retourna-t-il dans tous les sens comme un problème insoluble. Il traitait ces quelques mots prononcés à voix basse comme une énigme complexe et vitale. Il avait employait le mot « décédée ». Qu'est-ce que cela voulait-il dire déjà ? David ne s'en souvenait plus. Son cerveau était parasité. Il ne comprenait pas la réponse qui venait de lui être faite. Il essaya alors d'interpréter l'intonation et l'expression du médecin comme probablement un chien tente de comprendre les réflexions de son maître d'après l'inflexion de sa voix. Sans succès.

Décédée. Le mot en lui même n'avait pas l'air si terrible. Il sonnait même plutôt bien. David savait qu'il le connaissait, qu'il l'avait déjà entendu plusieurs fois. Mais jamais auparavant il n'avait été appliqué si intimement à sa propre existence. Et ce simple détail rendait son sens totalement étranger.

Le docteur vit bien le trouble qui était le sien. Alors il eut recours à un autre moyen pour lui transmettre l'odieuse vérité.

- Catherine est morte, David. Elle n'a pas survécu à l'accident. Je suis vraiment navré.

Le praticien l'était manifestement et c'est comme ça que David comprit le sort de sa femme.

La douleur lui coupa toute envie, tout besoin. Ses blessures physiques devinrent inexistantes. Une vague d'émotions aussi multiples que contradictoires le submergea. Une boule de haine grossit en lui. Il en voulait au docteur d'avoir tué son espoir, ses rêves, son avenir, sa vie.

Et Catherine.

En usant du pouvoir de quelques mots, il avait tout brisé en lui.

Rien de visible, rien de palpable, juste des mots et une pensée infernale à laquelle il devait se résoudre désormais. Et à jamais.

Comment se venger de quelque chose qui n'a pas de forme ?

Impossible.

Alors David laissa sa colère inapte se consumer sous un déluge de larmes. Il enfouit son visage dans ses mains.

Il ne pourrait plus rien construire avec elle. Sa vie avec Catherine s'arrêterait désormais aux souvenirs qu'il en garderait.

En prenant conscience de cela, il eut la sensation de mourir.

- Laissez-moi, dit-il sans même regarder le médecin.

Sa voix était à peine reconnaissable.

Le Docteur avait l'habitude de ce genre de situations. A force il s'était immunisé. Et c'est peut-être de le savoir qui enragea le plus David :

Il s'emporta.

- Sortez de cette chambre, nom de dieu !

Le médecin s'exécuta. Il en avait assez fait.

 

 

CHAPITRE 4

Goodbye my lover

 

David rentra chez lui, seul.

Il était rentré chez lui, seul, sans doute des centaines de fois, mais auparavant, il ne s'était senti seul dans ces moments là que d'un point de vue physique et le « chez lui » était un « chez eux » synonyme de solitude passagère, de prochaines retrouvailles, de futures étreintes, de tendres baisers, de dialogues passionnés, ...

Cette fois, le mot « seul » prenait tout son sens, s'imposait dans sa plus terrible et sa plus pesante réalité.

Il se sentait seul de tous les points de vue possibles et imaginables et il n'en était encore qu'aux balbutiements. Il le savait et c'était certainement ça le pire, cette conviction que l'enfer qu'il semblait avoir atteint n'en était en vérité que l'antichambre.

Il tourna la clé dans la serrure avec une lenteur surhumaine, désirant  retarder au maximum la fulgurante fatalité de sa nouvelle condition, le moindre geste le rapprochant un peu plus de la réalité de son état.

Il n'y aurait pas de solitude passagère, pas de prochaines retrouvailles, ni de futures étreintes ou de tendres baisers, pas plus que de dialogues passionnés.

Elle ne l'attendait pas dans le salon, ni dans la chambre. Elle n'était pas occupée à lui préparer un de ses plats préférés, elle ne prenait pas de douche, n'essayait pas de se faire belle pour son retour.

La maison serait vide, et pas parce qu'elle aurait encore fait des heures supplémentaires pour faciliter le départ d'une collègue mère de trois enfants ou parce qu'elle se serait une fois de plus attardée dans le rayon produits de beauté d'un supermarché ouvert jusqu'à une heure indécente. Non.

La maison serait vide parce que Catherine était morte et qu'elle ne l'occuperait plus jamais de sa présence qu'il avait cru toutes deux indissociables.

Il le savait, une partie de son esprit le lui hurlait de toutes ses forces à lui en faire exploser le crâne. Mais une autre s'opposait à la plus impitoyable raison en lui répétant que tant qu'il n'entrait pas, tout était encore possible, que tant qu'il n'aurait pas inspecté chaque recoin de chaque pièce, il avait peut-être la possibilité de la retrouver comme si l'accident n'était non pas le souvenir d'une expérience, mais la persistance d'un mauvais rêve, d'une idée folle.

Il tourna la poignée et entra dans sa nouvelle vie.

Debout dans le hall, il vit Catherine entrer dans la cuisine sur sa droite. L'émotion le paralysa. Son bref passage fut comme un ouragan. Son pas alerte, presque dansant, le gracieux mouvement de sa chevelure aussi beau et précis que celui de sa main, et sa silhouette, grande, épanouie, élégante qui transportait son âme jusque dans ses profondeurs. Il dut fermer les poings pour ne pas se laisser submerger par l'émotion. Il fit un premier pas, un deuxième. Les suivants l'emportèrent à l'entrée de la cuisine où il la découvrit absorbée dans la préparation d'une pâtisserie. Brusquement, comme devinant sa présence dans l'embrasure, elle releva la tête et le dévisagea. Son regard avait toujours exercé sur lui la plus absolue fascination quelque fut sa nature. Ses yeux détenaient une telle vie, un tel feu intérieur. On disait que les yeux étaient le miroir de l'âme : les siens donnaient tout son sens à cette métaphore. Ils devinrent brillants et dans la seconde qui suivit, elle se jeta dans ses bras. Il la serra contre lui, se réappropriant son corps comme une partie du sien trop longtemps séparée. Il plongea une main dans ses cheveux et admira la beauté de cette alliance. Son autre main se lova sur son visage et en parcourut la courbe satinée. Et puis soudain, tout disparut. Elle disparut. Et il comprit qu'il n'avait fait que fantasmer une scène qui s'était produite d'innombrables fois dans sa vie. Il l'avait instinctivement reproduite comme si son cerveau était resté sourd aux nouvelles du jour.

David caressa le plan de travail vierge de toute recette, si détestablement propre, brillant, net.

Elle ne viendrait plus le salir de farine et de sucre et d'autres poudres odorantes plus mystérieuses, sur lesquelles il avait eu tant de mal à mettre un nom.

Il serra le poing et frappa violemment la céramique.

Cette pièce lui faisait trop mal. Il décida d'en sortir.

Lorsqu'il entra dans le salon, il sut que cela n'allait rien arranger.

Bien au contraire.

Ici aussi, leur intimité avait eu sa place. Il revit tout en quelques secondes. Les moments les plus forts de leur existence que cette pièce avait pu accueillir, il les retrouva dans une telle intégralité, une si parfaite authenticité qu'il sentit ses jambes ployer sous lui. Il tomba à genoux et se raccrocha au bras d'un fauteuil que la main de Catherine avait si souvent épousé. Chacun de ses souvenirs devenait une lame aiguë qui le poignardait, une balle tirée à bout portant qui lui explosait la poitrine, et qui en se succédant dans sa tête meurtrie, à un rythme infernal, composait un ballet de morts violentes dont il se relevait à chaque fois comme on relève un défi.

Cela aurait dû lui suffire, le décourager de poursuivre.

Pourtant il continua le voyage.

Il revint dans le couloir et s'immobilisant devant l'escalier en bois, jeta un regard à l'étage. Leur chambre s'y trouvait. Comparé à ce qui l'attendait là-haut, le salon n'était qu'un avant-goût. Il le savait pertinemment. C'était pure folie de vouloir replonger dans son passé, mais toute raison semblait l'avoir quitté depuis la funeste annonce. L'amour et la mort s'épousaient en lui de manière si violente que de cette union naissait un formidable désir de s'abandonner aux plus cruelles expériences de l'âme humaine.

Il grimpa chaque marche avec un profond soupir.

Arrivé sur le palier, il chancela.

Le couloir était encore saturé de son parfum, un mélange enivrant de santal et d'autres essences de bois.

Ne va pas dans la chambre, se répétait David comme pour conjurer la malédiction qu'il était en train de subir. N'y va pas. Tu vas devenir fou !

La porte n'était pas fermée. Catherine ne fermait jamais les portes. Il la poussa facilement. Les souvenirs commencèrent à affluer comme s'échappant de la pièce pour venir s'engouffrer en masse dans son crâne trop étroit pour leur donner refuge à tous.

Il entra instantanément dans un état second. La pièce chavira autour de lui avant de retrouver un semblant d'inertie. Il revit Catherine en train de se vêtir, de se dévêtir, de se maquiller, de s'étirer, de se parfumer, de se coucher. Il ouvrit son armoire. La vue de ses vêtements occasionna en lui une nouvelle explosion de visions aussi terribles que les précédentes. Il toucha les chemisiers, les tailleurs, les jupes, les manteaux et les pantalons du bout des doigts avec un mélange d'effroi et de fascination. Ce n'était que du tissu et pourtant ces morceaux d'étoffe colorée avaient le pouvoir de faire ressurgir en lui les sensations que ses mains avaient gardé en les foulant. Il ferma les yeux et laissa ses sens lui délivrer leur mémoire. Il se rappela la volupté associée à chaque parure et la peau de Catherine en faisait partie intégrante.

Lorsque sa main rencontra une robe noire en satin, il ouvrit brusquement les yeux. Il ôta le vêtement de son support et l'emporta. Depuis le premier jour où il l'avait vue, David avait considéré cette robe comme le parfait écrin de la beauté de Catherine. Une vérité lui apparut alors : durant tout le temps qu'il avait passé avec elle, il n'avait pas ressenti le besoin de vivre, simplement de l'aimer.

Il s'allongea sur le lit, à sa place à elle, serrant la robe contre lui et s'imaginant le corps qui l'avait habité.

 

 

CHAPITRE 5

 

 

- Merde, Kevin, tu sais très bien que je déteste ce genre d’endroit !

Kevin guidait David à travers la salle bondée comme un boucher traînerait un animal vers l’abattoir.

- Tu veux être publié, oui ou non ? Alors tu vas me faire le plaisir de te mêler un peu à la foule. Je ne sais pas si tu as remarqué, mais il y a des gens connus et respectés ici. Tu crois que ça été facile d’obtenir deux invitations à une soirée pareille ?

- Fallait pas te donner tant de mal.

Kevin s’arrêta et fustigea son ami du regard.

- Là, tu commences sérieusement à me gonfler. J’aime ce que tu fais, David, je respecte énormément ton travail, tu le sais. Et je serai le premier à me réjouir si tes œuvres étaient enfin reconnues à leur juste valeur. Mais il ne suffit pas de le vouloir. Il faut aussi s’en donner les moyens.

- C’est facile pour toi de dire ça. Tu n’es pas dans ma situation.

- Précisément. C’est pour ça que je suis ton aide la plus précieuse.

David grimaça, signifiant par là qu’il reconnaissait cette vérité, mais qu’en certaines occasions – comme en ce jour – cela ne l’enchantait pas particulièrement.

Après avoir fondu sur trois ou quatre buffets froids – à ce jeu-là, David et Kevin s’entendaient très bien – ils arrivèrent en vue d’un homme d’une cinquantaine d’années dont la suffisance n’était pas vraiment au goût de David. Et c’est avec un profond regret qu’il entendit son ami lui annoncer :

- Voilà Michael Manfred Senior, agent littéraire, producteur de films, et dénicheur de perles rares à ses heures.

Kevin passa un bras amical autour des épaules de David et le dévisagea avec de grands yeux :

- Tout à fait ce qu’il te faut, mon gars.

Puis il sourit dans une grande débauche d’émail.

Qui s’affaissa lorsqu’il vit l’expression défaitiste de David.

- Ce sera sans moi. T’as vu ce type ? On dirait un candidat aux élections en pleine représentation. Et que je te serre la main, et que je te tape la bise, et que je te souris et que je te dis du bien…

Une hôtesse charmante leur présenta un plateau de cocktails. David tendit une main pour  prendre un verre, mais Kevin retint son geste.

- Excusez-nous, mademoiselle, on a un compte à régler avant.

Il emporta David qui adressa un regard idiot à la serveuse et le plaqua contre le mur d’une alcôve.
- Ecoute-moi bien, monsieur-je veux être riche et célèbre, va falloir que tu songes sérieusement à mettre de l’eau dans ton vin si tu espères mettre un jour du beurre dans tes épinards.

David avait toujours ce regard idiot qu’il se confectionnait naturellement quand les choses tournaient mal pour lui et qu’il ne voulait pas l’accepter.

- Et toi t’es qui ? Le cuistot de service ?

Kevin était noir et l’on sait que les noirs ne rougissent pas facilement. Pourtant en cet instant, David aurait juré que le visage de son ami s’était empourpré. Ce que vint confirmer un regard féroce de prédateur ulcéré que Kevin se confectionnait naturellement quand les choses et les gens n’allaient pas dans son sens.

- Là, mon ami, tu dépasses les bornes de mes limites.

Kevin resserra sa pression sur les épaules de David qui se voyait déjà installé à sa machine à écrire, amputé des deux bras.

L’image le fit sourire et puis rire.

Consterné par sa réaction, Kevin l’observa partir dans un fou rire complètement déplacé.

- Enfoiré, mais tu te fous de ma gueule !

Kevin le relâcha brutalement.

- Démerde-toi tout seul. T’es vraiment qu’un connard qui mérite que ce qu’il a.

Il fit demi-tour et disparut dans la foule.

Lorsque David le perdit de vue, il s’arrêta de rire. Et lorsqu’il s’arrêta de rire, il comprit qu’il venait peut-être de perdre son meilleur ami.

Là, son visage se rembrunit.

C’est vrai qu’il était un connard. Il avait vraiment le chic pour saboter la moindre de ses chances. Que ce soit avec le boulot ou avec les femmes, c’était pareil. Combien de fois Kevin l’avait branché sur des coups du tonnerre qu’il avait lamentablement esquivé, oublié, ignoré, rejeté. La liste était longue dans tous les cas.

Il sa rappela subitement une fille à qui il avait tapé dans l’œil. Une fille vraiment mignonne, pas vulgaire, attachante et surtout libre. Livrée sur un plateau d’argent. Un plateau qu’il avait renversé faute de croire à son propre bonheur.

Sans Kevin, sa vie professionnelle et sentimentale allait vite devenir synonyme de désert.

Il sortit de l’alcôve et jeta un regard noir à Michael Manfred Senior, la source de tout son malheur. Il savait qu’il n’était pas responsable le moins du monde, mais ça lui faisait tellement plaisir de s’en convaincre.

Les mains dans les poches, la tête basse, comme un gamin qui aurait perdu toutes ses billes à la récré, il se lamentait sur son sort lorsqu’une voix l’interrompit dans son suicide psychologique.

-  Excusez-moi, vous savez où sont les toilettes de cette baraque?

Instinctivement, avant même de dévisager son interlocuteur, David trouva que l’emploi du terme « baraque » pour qualifier un manoir somptueusement meublé méritait à lui seul de s’intéresser à la personne. Mais lorsqu’il releva la tête, il sut aussi intuitivement qu’il allait faire bien plus que s’intéresser à cette personne.

La femme était grande, belle, bien coiffée, bien habillée. Une vraie star de cinéma. Elle portait le chignon et une robe noire en satin qui épousait son corps de diva.

David en resta bouche bée. Il oublia la question, Kevin, les gens autour, tout. Ou presque tout.

- Vous connaissez Michael Manfred ?

 

 

CHAPITRE 6

L’Ode à la Joie

 

 

- Vous avez un téléphone ? Vous devriez appeler votre ami.

Elle s’appelait catherine.

David n’osait la dévorer des yeux de peur d’être indécent et surtout de peur d’être le énième pauvre type à le faire. Il détestait les normes, ce qui aide fatalement à devenir marginal.

Mais cette rencontre était une bénédiction. Surtout quand il avait appris que cette rencontre avait pour nom Catherine Manfred.

- Vous avez raison, répondit-il en essayant maladroitement de dissimuler son trouble. J’attends juste le bon moment.

Catherine se leva brusquement comme si elle venait de se rappeler qu’elle avait quelque chose sur le feu.

- Il faut absolument que je vous présente à mon père.

L’usage de cette formule l’honora. Il n’en l’aima que davantage.

- Il recherche justement quelqu’un pour booster les ventes de Squirrel Editions.

- Squirrel ?

Catherine se fendit d’un sourire de reine.

- Oui, écureuil. C’est mon animal fétiche. Mon père m’a fait ce cadeau pour mes vingt-deux ans.

David écarquilla les yeux.

- Impressionnant.

Ce n’était pas tous les jours qu’il avait un tel vent en poupe. Kevin aurait été sans doute fier de lui bien qu’il n’ait rien fait de particulier en vérité. Bizarrement, la chance avait tourné au moment même où son meilleur ami s’était éclipsé. Fallait-il y voir une relation de cause à effet ? David savait qu’il aurait été injuste de sa part de penser une telle chose. Mais il manquait d’inspiration pour trouver une meilleure explication.

David suivit Catherine qui le guida jusqu’au cinquantenaire auquel il avait jeté un regard noir quelques instants plus tôt. L’ironie de la situation ne lui échappa pas. Il se mit à sourire. Michael Manfred Senior prit ce sourire comme une marque de politesse et sourit à son tour.

Catherine fut enchantée de ce premier contact. Elle connaissait suffisamment son père pour savoir que le premier était en général déterminant.

- Papa, je te présente David Cross. Il est écrivain. J’ai pensé que cela pouvait t’intéresser.

L’éditeur dévisagea sa fille, puis porta son attention sur David.

- Excellente déduction. Tu as vraiment de qui tenir, dit-il en riant.

Puis il enchaîna :

- Alors Monsieur David Cross, quel genre de littérature me proposeriez-vous ? Je suis sûr que c’est ambitieux, sinon Catherine n’aurait pas fait le déplacement.

Il lui adressa un clin d’œil complice.

- Elle me connaît assez.

La jeune femme haussa ses sourcils et hocha la tête en signe d’approbation.

David se sentait particulièrement petit et frêle entre ses deux personnages si débordants de charisme. Mais il ne voulait pas les décevoir. Et il se dit que ce serait bien d’annoncer à Kevin qu’il avait finalement pu approcher le grand patron de Squirrel Editions en obtenant une promesse de contrat juteux. Et pour sa gloire personnelle – qui se faisait plutôt la malle ces temps-ci – c’était une occasion en or. Bref, il avait trop à y gagner pour se laisser bouffer par le trac.

Comme David Cross n’avait pas l’étoffe suffisante pour se sortir de là, il entra alors dans la peau de Conrad Conley, un aventurier qu’il avait crée sur le papier pour une série de bouquins bon marché. Un mec sûr de lui, un brin charmeur, arrogant, pétri d’un savoir complètement inutile, blagueur de série z et doté d’un sens de l’humeur en perpétuel équilibre. Rien à voir avec lui, quoi. Enfin, il s’en persuadait.

Catherine vit tout de suite le changement s’opérer en lui. D’abord déboussolée, elle en vint vite à être fasciné par sa performance.

- Et bien Monsieur Manfred Senior, on ne va pas tourner autour du pot. J’ai un bouquin actuellement qui a tout pour redorer votre blason. Si tant est qu’il en ait besoin. Mais bon, c’est toujours bon à prendre me direz-vous. Deux couches de peinture valent mieux qu’une seule.

David s’esclaffa de sa plaisanterie. Il fut d’ailleurs le seul.

L’éditeur le scruta avec méfiance. David n’osa vérifier l’expression de Catherine de peur d’y voir celle du regret le plus sincère.

Il eut un instant de doute et de profonde solitude. Venait-il de saboter une fois de plus les chances de changer sa vie ? Il refusa cette éventualité en sentant la présence de Catherine à ses côtés et son hypothétique soutien dans cette épreuve.

Dans un sourire, il reprit une nouvelle dose d’assurance.

- L’histoire que j’ai à vous proposer va révolutionner la littérature. Je vous promets une histoire d’amour sans aucun précédent. Je vous promets un vertige d’émotions, une somme inédite de rebondissements, un déluge de  tristesse, un sommet du drame humain. Je vous promets la peine, l’espoir et la joie dans leur vérité la plus totale. Je vous promets la richesse et la grandeur d’une vie, d’une passion, d’un homme et d’une femme. Je vous promets l’incertitude, le soulagement, la déception et le désespoir. Je vous promets une âme, un cœur et un esprit. Je vous promets tout cela et bien plus encore. Car cette histoire ne se contentera pas d’être belle. Elle changera la vôtre, la sublimera jusqu’à remettre totalement son sens en question. Elle modifiera votre passé, altèrera votre présent et vous forgera un nouvel avenir. Elle fera partie intégrante de votre identité, de votre destin. Cette histoire est une bombe qui va changer la face du monde. Alors oui, je pense que c’est assez ambitieux pour vous plaire.

Visiblement Michael Manfred ne s’attendait pas à pareille déclaration. Et il apprécia vite la chose à sa juste valeur.

Il jeta un regard empli de sous-entendus à Catherine qui ne savait pas si elle devait se réjouir ou bien disparaître. Lorsque  son père posa une main sur l’épaule de David, elle sut.

- Et bien, Monsieur Cross, voilà ce qui s’appelle se vendre. Vous avez la langue bien pendue. J’ose espérer que votre plume est aussi aiguisée. Catherine va vous donner mes coordonnées. Je compte sur vous pour me faire parvenir très vite ce chef d’œuvre en devenir.

Nouvelle œillade. Puis le grand patron de Squirrel Editions prit congé.

Catherine se rua sur David, le cœur battant.

- Dites-moi que vous l’avez écrit et qu’il ne vous reste plus qu’à le peaufiner.

David la regarda avec son sourire idiot.

- Pas une seule ligne.

- Quoi ? Vous rigo…

Elle vit qu’il ne rigolait pas.

Alors la douceur de ses traits prit la tangente.

- Vous savez quelle sorte d’engagement nous venons de prendre auprès de mon père? Je suis dans le même bain que vous, figurez-vous ! Je vous avais fait confiance, je croyais…

David l’interrompit d’un geste étudié qui le surprit lui-même.

- Faites-moi toujours confiance.

Il la dévisagea ouvertement sans savoir si son attitude lui était dictée par Conrad Conley ou par lui-même.

- Quelque chose me dit que je vais l’écrire rapidement.

Il venait de trouver une source d’inspiration bien plus efficace que toutes celles qui avaient généré ces médiocres créations passées.

Elle le dévisagea et à son grand dam, sut qu’il ne mentait pas.

A ce moment, comme pour briser l’intimité qui commençait à naître, le téléphone de David se mit à sonner. Sa sonnerie était l’Ode à la Joie. Une évidente ironie pour quelqu’un habitué à collectionner les mauvaises nouvelles. Jusqu’à maintenant. Car quelque chose lui disait que c’était en train de changer.

- Excusez-moi, Catherine.

Il prit l’appel.

- Kevin ? Oui. Tout à fait d’accord avec toi. Fou ?

L’occasion était vraiment trop bonne et David se sentait bien trop en veine pour la manquer.

- Oui, absolument, je suis fou.

Il dévora enfin Catherine des yeux.

- Oui, fou amoureux.

 

CHAPITRE 7

 

David fut réveillé par la sonnerie du téléphone. Sa main trempée de sueur étreignait encore la robe de satin noire. Les larmes lui vinrent rapidement. Le visage de Catherine occupa son esprit tout entier comme un diamant trouve le parfait écrin pour le sertir. Il ne pouvait imaginer continuer à vivre sans elle à ses côtés. Ils étaient devenus indissociables. Sans elle, il n’était qu’une moitié de lui-même. Et sûrement pas la meilleure.

La sonnerie insistait, se moquant de ses états d’âme.

Il décrocha dans l’espoir totalement absurde d’entendre la voix de Catherine, de l’entendre lui reprocher d’avoir oublié de faire les courses, d’avoir oublié de venir la chercher chez Betsy, sa meilleure amie, d’écrire tard dans la nuit en oubliant d’être à ses côtés, n’importe quel grief pourvu que ce soit sa voix et celle de personne d’autre.

- Je suis désolé, David, j’étais retenu à l’autre bout du pays. Quand je suis arrivé, t’étais déjà sorti de l’hôpital. Je ne sais pas quoi dire. Catherine…C’est…Tu veux que je passe à la maison ? Je suis tellement…

David raccrocha.

Il avait un deuil à faire. A Kevin de faire le sien.

 

David dormit longtemps. Dans ses rêves dansait le visage de Catherine. Dans ses rêves, ils survivaient tous deux à l’accident, leur vie se poursuivait. Et ils étaient heureux.

Epaulé par ses souvenirs, l’esprit de David en construisait de nouveaux.  Mais à un moment donné, le rêve basculait.

Ils étaient tous les deux invités à une soirée, se tenant à une distance respectable l’un de l’autre. David se sentait paralysé. Malgré tous ses efforts, il ne parvenait pas à se rapprocher d’elle. Ils se dévisageaient de temps à autre, ni plus, ni moins, puis la mort dans l’âme, David voyait Catherine quitter les lieux et monter dans une imposante voiture noire conduite par un homme aux cheveux bouclés qu’elle semblait connaître intimement. Au moment où il les voyait s’enlacer…

Il se réveilla en sueur, le cœur battant à tout rompre. Son regard se porta sur la robe noire en satin dans laquelle il s’était à moitié enroulé. Il sentit les larmes venir à nouveau. Il se prit la tête entre les mains. Ce dernier rêve – ce cauchemar – avait effacé la beauté des précédents. En dépit de la présence de Catherine, il lui avait laissé une terrible impression, une sensation glaciale, comme si la réalité de sa nouvelle vie voulait s’imposer à lui, même dans son inconscient.

Elle n’est plus à toi. Tu ne peux plus la rejoindre. Vous êtes séparés à jamais. Tu es tout seul. Elle est morte. Elle est morte. Elle est morte. Morte. Morte. Morte. Morte. Morte. Morte. Morte. Morte. Morte. Et sans doute enterrée.  

L’image fut un poignard dans son esprit. Catherine enterrée. Catherine reposant sous terre. Catherine enfermée dans une boîte. Catherine pourrissant, dévorée par les vers. Ce fut insoutenable.

- Je vais devenir fou. Catherine…

A peine le visage de la jeune femme revenait-il à son esprit qu’il ressentait une plaie béante s’ouvrir en lui et anéantir toute sa volonté de surpasser ce drame.

Il se recroquevilla comme un enfant, serrant la robe de satin noire contre lui,  faisant d’elle un linceul. Probablement le sien.

 

CHAPITRE 8

 

 

Il perdit rapidement la notion du temps.

Il s’éternisait dans son sommeil, ses nuits dévorant ses jours.

Seule la faim avait autorité sur lui pour le ramener à la réalité.

Le reste du temps, il restait allongé comme dans l’espoir de ne pas se réveiller ou de se réveiller à ses côtés.

Il ouvrait les yeux, fiévreux, abruti, plus fatigué encore. Ses rêves l’épuisaient. Il poussait son esprit dans ses derniers retranchements. Il faisait tournait sa mémoire comme un cheval fou autour d’une piste de cirque, inlassablement, encore et encore, se réappropriant chacun des moments passés avec elle, comme pour mieux les imprimer, comme un dessin sur lequel on repasse le crayon pour mieux en marquer les traits. Mais s’il continuait comme ça, il allait déchirer la feuille.

Qu’importait. Le mal qu’il pouvait se faire ne pouvait égaler celui qu’il avait reçu.

Gratuit !

Ce mot lui revenait sans cesse à l’esprit.

Tout cela était totalement dénué de sens, de justification.

Etait-elle morte pour lui permettre de comprendre à quel point le bonheur avait un prix ?

Quelle était la morale de l’histoire ?

Son cerveau n’arrivait pas à lui fournir la moindre réponse.

Il était embouteillé, parasité.

Il n’y en avait pas, tout simplement. Parce que la mort n’est pas une question ouverte ou fermée. C’est un impératif.

Il ne l’acceptait pas.

Trop radical.

«  Je veux voir le responsable ! » se dit-il, ne sachant s’il était sérieux ou s’il se raccrochait à un trait d’humour rattrapé in extremis.

Il ne pouvait se faire à l’aspect définitif de sa situation.

«  Tu es veuf, mon gars ! Faut te faire une raison. Une de perdue… »

- Ta gueule !

Il ouvrit les yeux. Il était à genoux sur le parquet de la chambre. Il tenait toujours la robe de Catherine.

Et il était toujours seul.

 

Une semaine passa ainsi. Peut-être plus.

David ne se levait que pour manger un peu et entretenir un semblant d’hygiène.

Un jour, des coups résonnèrent à la porte d’entrée.

David émergea d’une énième sieste. Groggy, comme sous l’effet de puissantes drogues, il analysa le bruit. Cela venait bien de chez lui. Etait-ce amical ? Etait-ce important ?

Il se rappela qu’il n’y avait rien de plus important que de rejoindre Catherine, une fois de plus, de la seule manière qui lui était désormais permise. Rien ni personne ne pouvait empêcher cela.

Il fit retomber sa tête sur l’oreiller et rajusta la robe de Catherine sur lui.

- Allez tous vous faire foutre !

Puis son visage se radoucit.

- J’arrive, chérie. J’arrive tout de suite.

Les coups redoublèrent.

- David, ouvre ! C’est moi, Kevin ! Ouvre cette porte, nom de Dieu !

Un long silence s’instaura.

- David, je te préviens : si tu n’ouvres pas cette foutue porte dans cinq secondes, je la défonce sans hésiter !

Au bout de trente secondes, Kevin adopta une posture menaçante. Il allait faire de son épaule musclée un bélier efficace lorsque la porte s’ouvrit.

David se tenait dans l’entrée. Il faisait peine à voir. L’expression de Kevin se radoucit aussitôt.

 

CHAPITRE 9

 

Les deux hommes étaient assis à la table de la cuisine dont le plateau disparaissait sous un monceau de lettres et de prospectus. Ils n’avaient pratiquement pas échangé un seul mot. L’absence de Catherine pesait de tout son poids sur eux. Son absence étouffait leur voix.

Les mots leur semblaient de toutes façons insuffisants, blessants même.

Kevin posa sa main sur le bras de David. Ce geste de réconfort, de soutien lui rappela combien la situation était douloureuse et combien elle était surnaturelle et inacceptable.

- Tu devrais rebrancher le téléphone, risqua Kevin.

David ne répondit rien. Il semblait être ailleurs, refusant une réalité où la femme de sa vie n’existait plus, refusant cette réalité et tout ce qui s’y rapportait. Kevin comprit qu’il faisait désormais partie d’une vie que David voulait à tout prix abandonner. Malgré lui, son attitude venait rappeler la tragédie. Kevin serra les poings. Contrairement à David, il ne pouvait pas faire autrement. Il était le seul à pouvoir l’aider à surmonter cette épreuve. Il avait déjà joué ce rôle d’ange gardien avec plus ou moins de réussite, David n’étant pas ce qu’on pouvait appeler un homme facile. Mais cette fois, il devait y arriver coûte que coûte. L’enjeu était trop important.

Catherine était morte.

Et David n’était plus tout à fait vivant.

- Il faudrait que tu sortes un peu. Je t’invite au restau. Il y a une éternité qu’on ne s’est pas fait un mexicain.

Kevin sentit qu’il tenait le bon bout pour réveiller de bons souvenirs et détendre l’atmosphère.

- Tu te souviens de cette soirée avec Rita, la serveuse du « El Gringo » ? Bon dieu, je n’avais jamais vu une fille aussi chaude. Elle nous a littéralement harcelé. On ne savait plus où se foutre. Il a fallu que le patron en personne se déplace pour qu’elle nous laisse manger. Ce n’est pas qu’elle n’était pas attirante, loin de là, mais ce jour-là, elle avait dû se vider la bouteille de parfum sur la tronche. Ma parole, ça puait l’essence de rose à des kilomètres. Tu te souviens, j’ai même failli gerber mon chili !

Kevin s’esclaffa bruyamment comme il savait si bien le faire. Seulement sa bonne humeur fut loin d’être contagieuse. David demeurait prostré sur sa chaise, sans laisser supposer qu’il avait écouté le récit de son ami.

Kevin s’interrompit. Cela devenait franchement gênant.

David se tourna subitement vers lui.

- Je sais pourquoi tu fais ça. Mais ça ne sert à rien. Je veux que tu partes. Tu ne peux rien faire.

Kevin déglutit. Il avait espéré un peu plus de résultat. Il ne pouvait accepter d’en rester là.

- J’aimais Catherine. Tu ne peux pas imaginer à quel point je l’aimais. C’était une bénédiction pour moi de connaître une femme comme elle.

Il s’empara d’un coupe-papier.

- Si me couper un bras pouvait la ramener, je n’hésiterai pas une seconde. Mais ça ne servirait à rien. Ce serait stupide. Ce qui ne l’est pas, en revanche, c’est que je fasse tout ce qui est en mon pouvoir pour t’épauler. Je te le dois et je lui dois à elle. Tu dois lui survivre. Tu mérites d’être encore heureux. Arrête de te faire du mal.

David se leva et fit mine de quitter la pièce. Kevin lui empoigna le bras.

- Je ne te laisserai pas tomber. Je te le jure. Etre ton meilleur ami n’a jamais été un slogan bon marché pour moi et tu le sais. Notre amitié est ce que j’ai de plus précieux.

David se dégagea et le fusilla du regard.

- Alors ne reviens plus si tu y tiens tant que ça !

Puis il disparut dans l’escalier.

Le visage de Kevin se crispa. La seconde d’après, il renversait le courrier sur le sol de la cuisine.

 

CHAPITRE 10

 

David se réveilla en sursaut. Il venait de sentir la présence de Catherine comme jamais. Son cœur devint fou. Il scruta la pièce comme s’attendant à tout moment à la voir apparaître.

- La salle de bains !

Il se rua dans la pièce. Vide. La baignoire avait été utilisée récemment. Par lui ? Il ne savait plus. Non. Il avait dormi depuis bien trop longtemps. Et puis ces derniers temps, sa toilette laissait sérieusement à désirer.

- Catherine ? C’est toi ?

Elle était dans la maison, cela ne faisait aucun doute. Sa présence était détectable. Presque palpable. Il ne pouvait se tromper. Elle était là, en dépit de tout ce que cela pouvait remettre en question.

- Catherine ?

Il descendit.

Il entra dans la cuisine.

Le courrier n’était plus là. Quelqu’un l’avait rangé.

- Catherine, où es-tu ?

Il traversa le vestibule et pénétra dans le salon. Vide aussi.

Elle était donc sortie.

Et puis soudain il entendit sa voix.

- Je ne supporte pas de te voir comme ça.

Il se retourna. Elle semblait si proche, pourquoi ne la voyait-il pas ? Et pourquoi ne lui répondait-elle pas ? Sa voix était si triste. On aurait dit qu’elle pleurait.

- Catherine, réponds moi !

- Si seulement on pouvait être à nouveau ensemble.

David courut, revint sur ses pas. Il inspecta de nouveau l’étage avant de regagner le hall. Il devenait fou. De l’entendre lui parler et d’être dans l’incapacité de la voir était pire que tout.

Il ouvrit la porte d’entrée.

Il ne se rendit pas compte de l’effet qu’il fit sur le voisinage. Ses yeux pleuraient et son regard trahissait un état proche de la démence.

- Catherine ! Mais dis-moi où tu es ! Réponds-moi, nom de Dieu !

Une voiture s’arrêta à un feu. Les vitres étaient baissées. Le conducteur écoutait de la musique. David chancela et se raccrocha de justesse au chambranle de la porte.

C’était Unintended de Muse.

 

(à suivre)

 

 

 

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vendredi, 18 juin 2010

Time Against Rebirth (Le Temps contre la Renaissance)

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dimanche, 07 février 2010

La Naissance de Morpho [Nouvelles/Le Combat du Papillon]

 

 

« Dieu fit la liberté, l'homme fit l'esclavage. »

 

                                                          M.J.Chenier, Fénelon

 

 « Et quand tes fils sont condamnés aux fers et plongés dans l'obscurité du cachot humide,

ils sauvent la patrie par leur martyre et la gloire de la liberté ouvre l'aile à tous les vents. »

 

                                            Lord Byron, Le prisonnier de Chillon

 

 

« Ce que la lumière est aux yeux

        ce que l'air est aux poumons

             ce que l'amour est au cœur

                 la liberté est à l'âme humaine. »

 

                                    R.G. INGERSOLL, Progrès

 

 

 

   J'étais noir.

   J'étais esclave.

   Et à l'époque, c'est tout ce que j'étais.

Du moins aux yeux de ceux qui nous opprimaient, moi et mes compagnons.

Nous travaillions dans les plantations, sur les voies de chemin fer, dans les carrières, partout où la vigueur de nos bras pouvait accomplir son œuvre.

Lorsque nous n'étions pas assez vigoureux ou assez rapides, ils avaient recours aux menaces. Et si cela ne suffisait pas, il y avait toujours le fouet.

Je connais bien sa morsure. Elle m'a longtemps accompagné.

J'étais parmi les plus assidus au travail, mais cela ne les empêchait pas de me flageller régulièrement. C'était un moyen efficace pour encourager les plus lents à redoubler d'efforts.

Je n'en voulais à personne, en aucun cas à mes compagnons. Je ne gardais aucune rancœur.

C'était une condition et je l'acceptais, résigné. J'espérais, toujours en secret, qu'un jour ou l'autre ma docilité serait récompensée.

D'une manière ou d'une autre.

Mais mon obéissance aveugle finit par se retourner contre moi.

 

Mes compagnons finirent par voir d'un mauvais œil ce qu'il prenait à tort pour du zèle. Ils ne me faisaient aucun reproche de vive voix, mais leurs regards parlaient pour eux.

Non seulement, je n'étais pas libre, mais très vite, je me sentis plus seul que jamais.

Seul au monde.

C'est à partir de ce moment que naturellement, comme un réflexe de survie, j'ai tourné mon regard vers l'intérieur. Et là, j'ai eu accès à un monde nouveau qui avait toujours été là, mais dont j'avais ignoré l'existence.

Ou plutôt que j'avais oublié.

J'ai commencé à faire des rêves étranges.

Je découvrais des paysages magnifiques, des forêts, des montagnes, des océans.

Je les survolais.

Mon âme était libre et rien ne lui était impossible.

Je goûtais à toutes les joies de la délivrance, des joies que sur terre je n'aurais même pas pu imaginer.

Le réveil était violent. Comme une déchirure.

Je me retrouvais enchaîné, entouré de gens qui me méprisaient.

La douleur était atroce.

Je maudissais le jour et je bénissais la nuit.

 

Tandis que j'abattais ma part de travail, je songeais aux splendeurs que j'allais pouvoir retrouver dès l'instant où je pourrais fermer les yeux et m'abandonner au sommeil.

Plus d'une fois, j'endurai le mépris de mes frères et le fouet de nos tortionnaires en m'imaginant dans ces contrées, délivré de toute entrave.

La vie me permettait de rêver et le rêve me permettait de vivre.

Mon sort devint dès lors plus supportable. D'autant que je me découvris un don nouveau.

Je pouvais parler aux animaux.

Passant nos journées en pleine nature, il était courant de faire des rencontres avec la faune locale. Je m'aperçus que les petits animaux n'étaient pas effarouchés par ma présence et que la proximité des plus grands ne m'effrayait pas. Bien au contraire.

C'est parmi les bêtes que je me fis mes meilleurs amis. Car contrairement aux hommes, les bêtes, elles, ne vous jugent pas. Elles vous acceptent ou vous rejettent, mais elles ne vous condamnent jamais.

Les liens privilégiés que je nouai avec un certain nombre de rongeurs, de chats et de chiens sauvages et même d'oiseaux commença à attirer l'attention.

Evidemment, je me serais bien passer de me faire remarquer davantage.

On commença à murmurer dans mon dos. Me prenait-on pour une sorte de sorcier ?

Les oppresseurs, nos maîtres, exprimèrent cruellement leur antipathie vis-à-vis de mon empathie.

 

Un jour, ils exécutèrent froidement et sous mes yeux plusieurs animaux auxquels je m'étais attaché. Ils n'admettaient pas que je puisse trouver une distraction, un exutoire.

Ils voulaient que je souffre et ils voulaient me voir souffrir.

Malgré moi, je leur donnai satisfaction.

Cela parut soulager tout le monde.

Tout redevint comme avant.

Les hommes se remirent à chanter.

Et le fouet à siffler.

Et le sommeil venait me délivrer de mon martyre.

 

Un autre jour, alors que nous établissions un campement en pleine forêt, un de nos maîtres surprit une ourse en maraude. Je sus intuitivement que c'était une femelle. Craignant pour la vie de ses petits, elle voyait d'un mauvais œil la présence d'hommes - qui plus est armés - à proximité de sa tanière. J'étais, hélas, fait pour la comprendre.

Bien entendu, le maître en question n'avait aucune chance face à la furie de l'animal. Je me réjouissais presque de voir le malheureux mis en pièces, moi qui n'ai pourtant jamais eu aucun goût pour la violence.

Lorsque je vis les fusils se lever pour abattre l'ourse, je réagis sans même y penser.

Je m'approchai de la bête furieuse et sans un mot, lui communiquai mon désir de la voir calmée. Je parvins à la rassurer et comprenant que sa vie et celle de ses petits n'étaient pas menacées, elle retomba sur ses puissantes pattes et fit demi-tour.

Cet exploit aurait dû faire de moi un héros.

Tout du moins, un homme de valeur.

Las. Je devins la bête noire.

On pensa même que c'était moi qui avais attiré l'ourse dans l'intention de semer la panique et permettre ma fuite. Je ne trouvai aucun avocat parmi mes compagnons.

Me mépriser leur faisait du bien car cela ne leur coûtait rien. Aucun coup de fouet à redouter. Alors c'était une raison suffisante pour eux de se comporter ainsi avec moi.

Je devins un homme maudit, banni de son propre clan.

Il ne me restait plus rien pour soulager ma peine. Sans soutien d'aucune sorte, je faiblissais et ne tardai pas à rejoindre les plus lents.

Le sort s'acharnait contre moi.

 

L'espoir me revint ce fameux jour où l'un de nos plus vieux frères tomba de fatigue.

Les maîtres ne voulurent rien savoir. Nous avions déjà pris du retard sur les travaux à cause de la chaleur.

Le fouet claqua une fois, puis deux.

Il n'y eut pas de troisième fois.

Voyant là l'occasion idéale de reconquérir l'estime de mes compagnons et de sauver la vie de l'un des plus estimés, je méprisai les conséquences d'une telle entreprise et me jetai de tout mon poids sur le tortionnaire.

Il me fit regretter mon geste. Des coups de bâton se mirent à pleuvoir sur moi.

N'eut été l'outil que je représentais à leurs yeux, nul doute qu'ils m'eurent frappé à mort, sans l'once d'un regret.

Je perdis connaissance.

 

Lorsque j'ouvris les yeux, je demeurai curieusement dans le noir.

A l'écoute des sons environnants, nul doute pourtant que le jour se fut levé.

Je reconnaissais la brûlure familière du soleil sur ma peau.

Mais je ne voyais rien.

Manifestement, ma tête n'était pas encore remise des effets de ma récente bastonnade.

L'obscurité se prolongeant tout autour de moi de manière inquiétante, je songeai avec terreur que mon cerveau avait pu être atteint trop fortement.

J'appelai à l'aide, paniqué par cette éventualité.

Un maître vint.

- Je suis aveugle, dis-je. Je ne vois rien.

J'entendis le maître sourire.

- Je sais. C'est moi qui tenais le charbon ardent.

Cette déclaration me coupa la respiration. Je tombai à genoux.

J'avais perdu la vue. Définitivement. Ils me l'avaient volée.

C'était ma punition. Ma bravoure m'avait coûté le dernier bien qui me restait.

Je crus mourir.

 

On peut penser que dans mon état, la besogne qui faisait mon quotidien me serait épargnée.

Aucunement.

La réalité se faisait plus terrible encore.

Alors naturellement, mes rêves se faisaient plus beaux.

Et mes réveils plus douloureux.

Et ainsi de suite.

 

Je ne voyais qu'une solution, qu'une seule issue pour quitter cet enfer.

J'attendis sagement que l'occasion se présente.

Et elle se présenta.

 

On nous chargea de réparer un pont.

Beaucoup de mes compagnons avaient le vertige.

Pour moi, le problème ne se posait même pas.

Je fus conduit sur la construction.

Je n'avais pas besoin de voir pour accomplir ma tâche. Mes mains étaient mes yeux et elles oeuvrèrent avec habileté.

Tous mes autres sens en alerte, je m'efforçai de repérer le bon moment pour agir.

Un incident survint. Il y eut un craquement. Des voix.

Une planche avait cédé sous le poids d'un homme.

Une aubaine inespérée.

On répara la planche. Mais par bonheur, je trouvai sa sœur jumelle.

Je tus ma découverte, priant pour que mon secret demeure intact.

 

Le lendemain, je retrouvai l'endroit précis.

Le maître responsable de ma cécité vint me railler sur mon handicap. C'était devenu son nouveau jeu et il y prenait beaucoup de plaisir.

Je me souviens avoir souri avant de lui dire :

- Vous avez peut-être pris mes yeux, mais vous n'aurez jamais mon âme.

Puis j'ai sauté de tout mon poids sur la planche pourrie.

Nous sommes tombés tous les deux.

Une chute mortelle.

Mais je n'ai rien senti.

A l'instant où mon corps a touché le sol, mon âme s'est envolée.

J'ai déserté mon corps, recouvrant la vue et la liberté.

Mes rêves sont devenus mon quotidien.

Plus besoin d'attendre la nuit et le sommeil pour les rejoindre.

J'ai retrouvé mes amis les animaux. J'ai pu de nouveau parler avec eux.

Je me suis aussi découvert un don nouveau.

Je pouvais devenir l'animal que je voulais être.

Cette capacité à me métamorphoser a décidé de mon nom, j'imagine.

A moins que cela ne vint des magnifiques ailes de papillon dont je devins l'heureux acquéreur.

 

A l'instant où mon corps a touché le sol, mon âme s'est envolée.

Et elle vole toujours.

 

   J'étais noir.

   J'étais esclave.

Mais aujourd'hui, cela ne signifie plus rien pour moi.

Car mon âme est libre.

Et l'âme n'a pas de couleur.


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