lundi, 20 juin 2016
Le Coeur dans les Etoiles [Nouvelles/Fantastique]
Galien la regardait toutes les nuits depuis plusieurs mois. Elle semblait lui sourire davantage à chaque fois. Ils ne pouvaient se parler, mais il osait penser qu’elle souhaitait elle aussi qu’ils se rapprochent enfin.
Une nuit plus belle que les autres, alors que les étoiles semblaient l’encourager, il se passa quelque chose d’inexplicable. Un petit trou s’ouvrit dans la poitrine de Galien et une petite graine s’en échappa. Il la ramassa, surpris. D’où pouvait-elle bien venir ? A quoi pouvait-elle bien servir ?
Il dormit très peu, observant la graine et se demandant sans cesse qu’elle était sa fonction.
La lune disparut, ainsi que son merveilleux visage et le soleil, implacable souverain, régna une fois de plus dans le ciel, annonçant une terrible journée de canicule.
Galien commençait à souffrir beaucoup de la situation. Dans ce désert où il vivait depuis sa naissance, il y avait peu d’eau, presque pas de nourriture. Les habitants devaient marcher très longtemps pour trouver quelque chose à se mettre sous la dent. Et si cela continuait, il n’y aurait bientôt plus personne en état de marcher.
Galien gratta le sol asséché et creusa un petit trou dans lequel il plaça la graine. Cela lui paraissait naturel de la mettre sous terre même s’il n’avait jamais vu une telle chose se faire.
Il se dit que ce serait bon aussi pour la graine de recevoir de l’eau. Mais il ne pleuvait presque jamais et l’eau était tellement rare qu’elle était bue en un temps record.
Malgré la chaleur, il marcha longtemps d’en l’espoir d’en trouver, persuadé qu’il tenait la solution pour rejoindre le beau visage de la lune qu’il chérissait depuis tant de temps. Il rencontra quelques hommes et quelques femmes, mais personne capable de l’aider dans sa quête.
Le soir, il retourna près de sa graine, le visage triste. La lune lui offrit alors son sourire comme pour le consoler de sa déveine. Mais en le voyant, cela ne fit que le rendre plus triste encore. Il cria :
- Pourquoi je ne peux pas te toucher ?
Il commença à pleurer. Les larmes roulèrent sur ses joues avant de toucher le sol asséché.
Et quelque chose d’inexplicable se produisit. La terre se fissura et un rameau se hissa hors de l’ouverture. Galien s’essuya les yeux. Il était fou de joie. Grâce à ses larmes, sa graine avait poussé. Il avait réussi !
Cette nuit-là, il offrit à la lune une danse endiablée en promettant à qui pouvait l’entendre qu’il ne s’arrêterait pas en si bon chemin. Le plus dur était fait selon lui.
Le lendemain et les jours suivants, le rameau commença à flétrir. Et Galien comprit qu’il avait énormément besoin d’eau. Si jamais il mourrait, il ne pourrait plus rejoindre la lune et il ne savait pas s’il pourrait obtenir une autre graine.
La tristesse l’envahit à nouveau et il se remit à pleurer, arrosant le rameau fatigué qui brusquement s’élança vers le ciel. Les yeux humides, le garçon observa l’arbre pousser à une vitesse prodigieuse. Il continua alors à pleurer, mais cette fois, seule la joie faisait couler ses larmes.
Cela se passa ainsi pendant plusieurs jours et plusieurs nuits. Tour à tour heureux et découragé, Galien arrosait l’arbre démesuré porteur de tous ses espoirs.
Il vint naturellement un moment où il prit peur que l’arbre dans son irrésistible progression ne blesse le merveilleux visage de la lune. Il ne souhaitait certainement pas que tous ses efforts aboutissent à un tel résultat.
Alors, une nuit plus belle que les autres, tandis que les étoiles semblaient l’encourager, il grimpa sur l’arbre et se mit à l’escalader avec une facilité stupéfiante. Il regarda à peine le sol disparaître sous lui, son regard fixé sur le disque blanc et souriant perché au-dessus de lui.
- Je vais y arriver ! se répétait-il. Je vais te rejoindre !
Hormis son objectif, il finit par tout oublier : le danger, la faim, le sommeil. Le seul fait de réaliser son rêve le nourrissait et faisait taire les protestations de son corps et de son esprit.
Il oublia également la notion du temps. Il s’était peut-être passé des jours, des semaines ou des mois lorsqu’il parvint finalement jusqu’en haut de l’arbre. Le jour tombait. Le soleil, implacable souverain, quitta son trône céleste pour céder la place à la lune et à son merveilleux…
Galien se figea. Non, c’était impossible ! Où était-il donc passé ? Qui l’avait volé ?
La lune était bien là, devant lui, à portée de main. Mais ce visage qui l’avait tant ému, ce sourire qui l’avait tant aidé à garder l’espoir, ils n’étaient plus là. Quelque chose d’inexplicable s’était passé. La douleur qu’il ressentit fut telle qu’il trébucha et tomba de l’arbre. Il tomba d’une hauteur vertigineuse.
La mer en contrebas accueillit son corps d’enfant dans une grande gerbe d’eau salée.
Aussi salée que l’avaient été ses propres larmes.
Tanis la regardait toutes les nuits depuis plusieurs mois. Elle semblait lui sourire davantage à chaque fois. Ils ne pouvaient se parler, mais il osait penser qu’elle souhaitait elle aussi qu’ils se rapprochent enfin.
Une nuit plus belle que les autres, alors que les étoiles semblaient l’encourager, il contempla le sol asséché à l’endroit où il avait planté la graine, des jours auparavant. Une grande tristesse l’envahit. Comment pouvait-il espérer la voir pousser dans un monde où il ne pleuvait jamais, où l’eau n’existait pour ainsi dire pas ?
Il cria :
- Pourquoi je ne peux pas te toucher ?
Une silhouette apparut alors près de lui, enveloppée dans un vêtement ample qui cachait son corps et son visage. Tanis s’empressa alors de lui demander :
- J’ai besoin d’eau pour arroser ma graine. En avez-vous ?
L’homme secoua la tête.
- Non, mais toi tu en as plus qu’il n’en faut.
Il abaissa son capuchon. L’homme avait de longs cheveux et une barbe. Et des larmes coulaient sur ses joues. Tanis le regarda, surpris, puis il contempla à nouveau le sol. Et c’est alors qu’il comprit. Sa joie fut telle qu’il se retourna pour se jeter dans les bras de l’inconnu. Mais ce dernier avait disparu.
Les yeux remplis de larmes, Tanis serrait les dents tout en donnant de violents coups de hache dans le tronc d’arbre. Alors qu’il était sur le point d’accomplir son forfait, une main ferme retint son bras armé.
- Tu as tort de faire cela.
Tanis se retourna. C’était l’inconnu qu’il n’avait pas revu depuis le jour de leur rencontre.
Tanis était fou de rage et de revoir cet homme était encore pire pour lui.
- Je te maudis toi aussi ! Si tu savais comment atteindre la lune, tu devais aussi savoir que son sourire si merveilleux n’existait pas. Pourquoi ne m’as-tu rien dit ? Pourquoi m’as-tu laissé à mes illusions ?
L’inconnu sourit.
- Parfois, nous nous trompons sur le sens de l’amour que nous portons à certaines choses ou à certaines personnes.
Tanis retrouva son calme. Le visage et la voix de l’inconnu étaient apaisants. Il semblait être venu de très loin pour lui parler. Il l’écouta attentivement lorsqu’il ajouta :
- Cela ne veut pas dire que cet amour n’a pas de sens.
Galien leva le bras et cueillit une pomme qu’il tendit à Tanis. Celui-ci leva la tête et remarqua pour la première fois les innombrables fruits qui avaient poussé en même temps que l’arbre.
Alors il commença à comprendre.
Galien le dévisagea, toujours en souriant :
- La lune n’a peut-être pas de visage, mais notre amour, lui, était bien réel. Si chacun de nous vient à y goûter, alors notre monde ne sera plus un désert, mais une terre fertile et nourricière. Et chacun de nous pourra enfin devenir un être humain.
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Le Train de la Haine [Nouvelles/Anticipations]
On a reçu à peu près le même nombre de coups de matraque.
C’est peut-être ce qui nous a rapproché, lui et moi.
Il me dit qu’il s’appelle Jérémie et qu’il est homosexuel.
Il me tend la main.
Dans d’autres circonstances, j’aurais certainement eu un mouvement de recul.
Mais là, c’est différent.
On est dans la même galère et on sait tous les deux où elle va nous mener.
Je lui serre la main et me présente :
- Bertrand, célibataire endurci et pathétique hétéro.
Cette note d’humour est la bienvenue. Jérémie me le fait comprendre par un sourire.
Il me raconte que depuis quelques semaines sa cité a été la cible de contrôles réguliers. Tôt ce matin, il a été pris dans une rafle menée par cette putain de milice primaire et toute-puissante.
- Tu as dû être dénoncé, lui dis-je, comme moi.
Il ne semble pas surpris. Il s’explique :
- J’ai entendu dire qu’ils offraient des récompenses.
On est tous les deux horrifiés.
On a l’impression d’être en pleine guerre mondiale même si on n’a jamais réellement connu ça.
On n’est pas des juifs entre les mains des nazis et pourtant c’est cette même putain de haine primaire et toute-puissante qui nous a mis dans ce wagon avec un tas d’autres, cette même putain de haine qui nous a arraché à notre destin, à notre vie.
Pourquoi ?
C’est sans doute ça le pire, car chacun d’entre nous connaît la réponse.
Ce qui ne rend pas la pilule plus facile à avaler. Loin de là.
On est tous là, parce qu’un jour le gouvernement a décidé que nous n’étions pas socialement productifs, un truc dans ce goût-là.
Je ne me souviens pas de la formule exacte.
En tout cas, c’est ce que ça voulait dire.
Jérémie, moi, ainsi que tous les autres, on n’aura pas de gosses et par conséquent on ne viendra pas renouveler la masse des consommateurs qui entretiennent notre belle société construite sur ce putain de fric primaire et tout-puissant.
Non.
Parce qu’on n’est pas destiné à reproduire ce putain de schéma primaire et tout-puissant, on a été jugé inutile et condamné.
Sans forme de procès.
Est-ce qu’on en est arrivé là ?
J’entends le train qui s’arrête. Les prisonniers murmurent, puis retiennent leur souffle. Jérémie me jette un regard affolé. On comprend tous les deux ce qui nous attend. Même si on le savait depuis le début, on a toujours cru qu’ils allaient s’arrêter avant.
Les portes s’ouvrent. On nous crie de sortir.
Au moment de descendre, je sens la peur creuser un gouffre dans mon estomac. Alors naturellement, sans même y penser, je glisse ma main dans celle de Jérémie.
- Fais gaffe, dit-il, on pourrait nous voir.
Cette note d’humour est la bienvenue, il le voit à mon sourire.
Oui, on en est arrivé là.
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12:51 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : histoire, nouvelle, critique sociale, homosexualité
Du Sommeil du Juste [Nouvelles/Anticipations]
- Il est végétarien. Je parie que tu l’ignorais. Je suis certain que tu l’imaginais épris de viande fraîche, égorgeant lui-même poulets, canards, agneaux…
- Comment sais-tu qu’il est végétarien ? Il te l’a dit peut-être ?
Je riais presque en formulant ma question tant l’assurance de mon ami m’apparaissait contestable voire ridicule.
Il ne répondit pas. Mais le sourire qu’il produisit me glaça jusqu’au sang.
Je serrai les poings.
- Cet homme est la pire aberration que la terre ait jamais portée. Je ne permettrai pas qu’il la foule à nouveau.
A nouveau ce sourire effrayant, implacable, qui me désarmait et faisait de moi un pathétique rempart contre le mal qui siégeait en ce lieu.
Mon ami profita de mon impotence manifeste pour s’imposer :
- Si cet homme n’avait pas existé, s’il n’avait pas fait ce qu’il a fait, tout le bien qui est né pour contrer ses projets n’aurait pu de ce fait voir le jour. Cet esprit de résistance, cette bravoure, cette fraternité chez les uns et cet élan de soutien chez les autres, comment auraient-ils pu naître autrement ? Les héros sont nécessaires à ce monde. Et pour les créer, il leur faut un mal à leur mesure. Le génie de cet homme, ce n’était pas de rallier des hommes à sa cause et à sa vision. Au contraire. Son véritable talent - qu’il n’a sans doute pas eu le loisir de mesurer - c’est d’avoir su engendrer une formidable solidarité autour de la notion de bien. Grâce à lui, tout était clair. On pouvait changer de camp, mais on ne pouvait ignorer de quel côté on était. C’est précisément ce qui manque au monde d’aujourd’hui. La frontière entre le bien et le mal est devenue floue, les repères plus complexes. Il faut à nouveau que le mal absolu se dresse sur cette terre afin que de nouveaux héros s’éveillent et luttent côte à côte. Il faut une évidence, un symbole. Il faut faire cesser ce flottement nauséabond, apathique, dans lequel nos esprits s’embourbent jour après jour. Le mal absolu est une vertu. Il rend tout si transparent, si lisible.
- Bon dieu, éructai-je. Ferme ta gueule ! Tu es aussi fou que lui !
Je ne pouvais en supporter davantage. Je sortis mon arme et la pointa sur lui. Ce geste m’apparut naturel, même si j’ignorais mes intentions précises à plus long terme.
Il ne fut pas le moins du monde intimidé. Il croisa les mains dans son dos.
- Merci de me donner raison. Tu vois. Ca a déjà commencé. Tu es maintenant un héros, toi qui, auparavant, n’étais qu’un petit flic des bas quartiers. Sa simple évocation suffit à faire naître des vocations de guerriers, même chez les individus les plus insignifiants. C’est cela son véritable pouvoir. Alors imagine s’il était à nouveau en course.
J’ôtai le cran de sûreté.
- Suis-moi. Nous allons sortir d’ici.
Mon ami se raidit.
- Je n’irai nulle part. Tu devras me tuer.
A mon tour, je lui décochai un sourire carnassier.
- Je n’aurai pas besoin d’aller jusque-là.
Je levai mon revolver pour l’assommer. Il évita mon attaque et agrippa mes poignets. Nous luttâmes sans mot dire, sans un cri, sans injures. Ce qui rendit cette lutte plus âpre encore. Et tandis que nous luttions pour la possession de mon arme, je me rappelle avoir eu la vision de ce sarcophage vitré à l’intérieur duquel dormait du sommeil du juste cet être innommable, ce mal incarné, responsable de tant d’atrocités. Cela eut un effet incroyable sur moi. Mes forces furent décuplées en un instant. Bandant mes muscles, j’envoyai violemment mon adversaire à terre. Ayant récupéré l’arme, je me jetai sur lui et l’assommai d’un coup bien ajusté.
Mon ami allait répondre de ses actes devant les autorités.
Quant à celui qui reposait, imperturbable, au milieu de la pièce, il allait bientôt trouver le seul véritable repos qu’il méritait d’avoir.
Je me dirigeai vers le sarcophage, en proie à une haine implacable. Je pointai le pistolet vers le visage du monstre. Cette mèche… Cette moustache…
Je pris conscience que j’allais pouvoir enfin accomplir une tâche dont tant d’autres avant moi avaient voulu s’acquitter. Avec la plus farouche détermination, sans l’ombre d’un doute, je pressai la détente. Il n’y eut aucun bruit, aucune détonation. Je ressentis un choc terrible en comprenant que le chargeur de mon arme était vide. Ce salaud avait la chance avec lui.
Heureusement, je repris rapidement mes esprits. Ce n’était pas une stupide négligence qui allait m’empêcher de remplir ma mission. Une mission que je devais autant à moi-même qu’à tous ceux qui avaient péri et souffert sous le règne de terreur du dictateur.
Plus jamais, me répétai-je tout en recherchant fiévreusement une arme digne de ce nom. Etrangement, je me surprenais à rejeter certains objets que je jugeais trop communs pour assassiner un homme tel que lui. C’était un monstre, mais en premier lieu une légende, aussi néfaste fut-elle. Et puis il fallait que je brise ce satané couvercle qui abritait son corps.
Son corps que je voyais respirer comme la plus suprême offense.
Finalement je m’emparai d’une chaise qui, hélas, ne répondit pas à mes attentes et se brisa sur le verre manifestement renforcé. Retournant à ma voiture, je trouvai enfin de quoi accomplir ma mission. Mais comble d’ironie, ni la clé anglaise, ni le poing américain ne purent entailler la surface du couvercle. J’étais en plein cauchemar. Je commençais à trouver la situation particulièrement grotesque. Quelques centimètres seulement me séparaient du plus grand bourreau de l’humanité et j’étais incapable de les franchir. Je pouvais sortir chercher de l’aide, téléphoner, mais j’étais entré dans un état second qui interdisait toute éventualité de laisser à quelqu’un d’autre le soin d’expédier le dictateur dans sa dernière demeure.
Et de toutes façons, qui me croirait ?
Il fallait que je trouve un moyen d’ouvrir ce diable de sarcophage puisque je ne pouvais le briser. Il datait probablement de la seconde guerre mondiale. Aussi résistant était-il, il ne pouvait être très compliqué à ouvrir. Je cherchai une commande, un bouton, un levier sur le socle. Rien. Plusieurs câbles en partaient dont je suivis des yeux les méandres. Ils conduisaient dans une pièce attenante que j’avais déjà fouillée intégralement sans rien remarquer d’intéressant. Je m’apprêtai à y retourner en désespoir de cause lorsque le son d’une voix me figea sur place. Quelqu’un venait de parler en allemand. Et en me tournant légèrement, je sus, en voyant son corps toujours inanimé, qu’il ne s’agissait pas de mon ami.
Je me retournai complètement. Le plus grand criminel de tous les temps se tenait face à moi. Il s’était assis sur le rebord du sarcophage. Il se frotta les yeux comme un enfant. Il avait l’air extrêmement fatigué. Avait-il dormi depuis la date supposée de son suicide en 1945 ? C’était complètement surréaliste. Il avait l’air affaibli, désorienté, mais il était vivant, si terriblement vivant. Savait-il à quelle époque il était ?
Ses yeux… Il me dévisagea soudain gravement, regarda autour de lui, avant de prononcer à nouveau quelques mots en allemand. Le führer s’adressait à moi. Je fis un effort considérable pour me rappeler les rudiments de cette langue acquis au cours de mes années d’étude. Mais c’était si lointain. Il répéta sa phrase. Plus fermement. J’étais tétanisé. Ce n’était pas une question. Il voulait quelque chose. C’est tout ce que je comprenais. Devant mon hébètement, il se mit à faire de grands gestes avec sa bouche comme s’il mastiquait énergiquement un aliment. Là tout devint clair. Le Führer avait faim. La surprise passée, je m’entendis lui répondre :
- Pas de viande, c’est bien ça ?
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Killer Scoop : L'émission qui tue [Nouvelles/Anticipations]
Emission N° 12 – 3ème jour
- Mme Bertrand, cela fait trois jours que l’émission a commencé. Le record, détenu par Monsieur Sanchez, est de cinq jours. Nous avons reçu beaucoup de questions de spectateurs, de téléspectateurs et même de certaines agences de presse qui suivent votre parcours avec beaucoup d’intérêt. Parmi ces nombreuses questions, trois sont revenues plus particulièrement. Je me permets de vous les poser : Est-ce que vous pensez faire mieux que Monsieur Sanchez ? Est-ce que vous pensez que vous avez eu de la chance jusqu’à maintenant ou que c’est grâce à votre prudence que vous avez survécu ? Et dernière question :
Si vous gagnez le montant de la cagnotte qui s’élève maintenant à 120 000 Euros, qu’allez-vous en faire ?
Mme Bertrand était visible sur l’écran géant du plateau. Elle était assise dans une cuisine. C’était une fort jolie femme de 45 ans, blonde, élancée, des yeux bleus à damner un saint. Comme à son habitude, elle baissa sensiblement la tête pour répondre :
- Je… je me contenterais de dire que c’est uniquement pour mes enfants que je joue. Comme vous le savez, j’ai 45 ans et j’ai énormément de mal à trouver du travail. Que je pâtisse de mon âge c’est une chose, que mes enfants en souffrent, c’en est une autre. Je ne veux plus les voir malheureux. Et je veux encore moins les perdre. Cela en dit assez long je crois.
La jeune femme se leva de table. Elle paraissait fragile. Trop.
Edouard Ventura redoutait que la réponse manque cruellement d’émotions. L’audimat était intraitable là-dessus. Quelques mots bien sentis dans son oreillette le lui confirmèrent.
- Mme Bertrand, une dernière chose s’il vous plaît et je vous laisse en paix. Sans vouloir le moins du monde douter de vos chances de succès, il apparaît quand même que vous semblez une proie plutôt facile pour notre tueur.
La caméra opéra un zoom avant sur l’intéressée qui tournait le dos à l’objectif.
Lorsqu’elle tourna son visage, ses yeux bleus étaient emplis de larmes et ses lèvres étaient secouées de spasmes :
- Une proie facile ! C’est comme ça que vous me définissez, c’est comme ça que vous me voyez ! Essayez d’enlever ses petits à une femelle, qu’elle quelle soit, et vous verrez si c’est une proie facile !
Elle sortit du champ.
Et Edouard Ventura afficha son plus beau sourire.
- Non, il faut que le tueur agisse cette nuit.
Il était 16H00. L’heure de la Grande Réunion. La télé diffusait les meilleurs moments des émissions précédentes, ce qui permettait de débattre en toute tranquillité sans perdre pour autant une miette d’audience. Parmi cette sélection gratinée, il y avait le moment où Francis Bonneval, garagiste à Toulouse, avait pris son fusil pour se défendre et s’était malencontreusement tiré une balle dans le pied. Un autre où Monsieur P. avait exécuté un malheureux clochard qu’il avait pris pour le tueur. Avant de se faire lui-même poignardé. Il y avait aussi bien entendu des instants plus dramatiques comme lorsque Mme Anne Hermann s’était fait prendre par surprise dans sa salle de bains. Le tueur avait rejoué « Psychose » pour la plus grande joie des fans et ce jour-là l’audimat avait explosé.
Et Edouard Ventura comptait bien réitérer l’exploit.
Le jeune Jérôme Monnet secoua la tête.
- Non, pas cette nuit. Si tu le fais intervenir cette nuit, elle y passera à coup sûr et du coup elle ne touchera pas la cagnotte. Depuis le début de l’émission, la cagnotte n’a été remportée que deux fois. Et la dernière fois, ça remonte à la cinquième émission. Les candidats sérieux commencent à manquer. Il faut leur montrer qu’ils ont une chance. L’audience marche bien, mais ça pourrait changer si c’est toujours nous qui gagnons.
Edouard dévisagea Jérôme avec gravité. Il l’aimait bien. C’était un jeune gars intelligent et sensible. Peut-être un peu trop.
- C’est très bien vu et je te remercie de tes observations. Mais rien n’oblige le tueur à en finir cette nuit. Il peut très bien jouer au chat et à la souris avec elle. Ce serait même l’idéal. Cela satisferait tout le monde.
Edouard vit qu’il n’avait pas ôté tous les doutes de son employé.
- Qu’est-ce qu’il y a encore ?
- Tu es sûr qu’il est sous contrôle ? Je veux dire… Je trouve qu’il y a quand même eu des débordements. Lorsqu’il a tué les enfants de Mme Klein par exemple. C’était elle qui était visée. Et il n’y a pas été de main morte avec eux. Ce n’était pas prévu, ce n’était pas dans le script. Et la fois où il a égorgé le doberman de Monsieur Bouvier. Tu ne vas pas me dire que ça ne pouvait pas être évité. On a reçu des plaintes. La SPA a failli gagner son procès. Ca pas été facile de leur faire gober que c’était un animatronique.
Edouard sourit en repensant aux scènes évoquées.
- Ces gamins auraient dû dormir à cette heure-là. Ils n’avaient pas dix ans. Quant à ce chien, et bien… c’est Bouvier qui a déconné si tu regardes bien. Il ne nous a jamais dit qu’il avait un putain de molosse. Eddy n’a pas eu le choix. T’aurais préféré qu’il se laisse bouffer peut-être ? Bonjour la crédibilité ! Est-ce qu’Hannibal Lechter se laisserait emmerder par un clebs ?
Jérôme lança un regard noir à son supérieur.
- Hannibal Lechter est un tueur fictif.
Edouard sentit qu’il avait encore du chemin à faire pour le convaincre.
- Ecoute, tu viens de le dire toi-même. Eddy n’est pas un acteur. C’est un vrai tueur. Il a ça dans le sang. Le fait que rien ne soit truqué garantit une qualité constante de l’émission. On s’était mis d’accord là-dessus dès le départ. Sur M16, ils ont pris des comédiens, ils ont bidouillé les scènes de meurtre. T’as vu le résultat ? TéléFun ce n’est pas M16 ou Canal Flux ! Nous, on triche pas avec le public.
Jérôme grimaça :
- Mais c’est normal que ça n’ait pas marché sur les autres chaînes. Leur sang ressemblait à de la gelée de groseille. Quant au tueur… Son masque prêtait plus à rire qu’à autre chose.
Edouard crut bon de brosser son équipier dans le sens du poil.
- Bon, j’admets qu’Eddy a un peu trop improvisé ces derniers temps. Mais ne t’en fais pas. On graisse la patte à suffisamment de monde pour avoir les coudées franches. Les gens veulent du spectaculaire, de l’inattendu. Un peu d’imprévu ne peut pas nous faire de mal, bien au contraire. Si ça peut te rassurer, je te promets de briefer sérieusement Eddy pour cette nuit. Il donnera des sueurs froides à tout le monde, mais il n’abîmera pas Mme Bertrand. J’y veillerai personnellement.
Jérôme soupira.
- Ok. Je te remercie, Edouard.
- Dis-moi, je te trouve bien sentimental. Enfin, plus que d’habitude. Tu n’aurais pas des vues sur notre candidate, par hasard ?
Le visage de Jérôme s’empourpra et il baissa la tête.
Edouard éclata de rire avant de reprendre brusquement son sérieux.
- Ce sera cette nuit et ce sera dans la maison. Le tueur portera un masque blanc, très simple mais très efficace. Il va apparaître brusquement, surgissant des ombres où personne ne l’attendait. On va leur rejouer « Halloween ». Ils aiment les références cinématographiques. Ils vont être servis.
Il était
21H30.
Mme Bertrand était installée dans son salon. Son visage était invisible derrière la couverture d’une très célèbre revue féminine qu’elle feignait sûrement de lire. L’émission générait énormément d’argent, mais entre les procès et les droits d’exploitations divers, les sponsors étaient vitaux.
On annonça que la liaison venait de se faire.
Edouard Ventura avait troqué son ensemble écru contre un superbe costume noir à paillettes.
Les fidèles de l’émission savaient que cela ne pouvait signifier qu’une chose : il allait se passer quelque chose d’excitant dans très peu de temps. C’est Edouard qui avait trouvé cette astuce dès la troisième émission. Cela permettait d’intensifier l’attention des spectateurs et de créer une sorte de complicité implicite avec le public.
- Mme Bertrand, comment vous sentez-vous ?
L’intéressée posa la revue qu’elle feuilletait et plongea ses beaux yeux bleus dans l’objectif.
Elle avait coupé ses beaux cheveux blonds qui auparavant cascadaient jusqu’au bas de son dos.
- Je me sens sereine, Edouard. Oui, très sereine.
Un frémissement agita l’assistance.
Même Edouard ne put cacher son trouble.
- Ma…Madame Bertrand…
- Je vous en prie, appelez-moi Lise.
- Et bien, Lise, c’est une véritable transformation. On peut connaître les motifs d’un tel changement ? Un changement aussi physique que psychologique, si je ne m’abuse.
Lise sourit.
- Vous avez raison. J’ai pris sur moi, voilà tout. Il faut que je gagne. C’est sans doute la seule occasion que j’ai de me mettre, moi et mes enfants, à l’abri du besoin. Je ferai tout ce qui est humainement possible pour remporter la partie. Quant à mes cheveux…
Lise prit une mèche blonde entre ses doigts délicats.
-… Je suppose que c’est pour éviter au tueur de me les arracher.
Des rires éclatèrent. Edouard fit écho, mais le cœur n’y était pas. Ce revirement n’était pas fait pour le rassurer. Mais il tint à saluer le courage de la candidate.
- Ma… Lise, vous pouvez vous vanter de nous surprendre. Il est évident que vous avez mis toutes vos chances de vôtre côté. Après avoir déménagé plusieurs fois, changé de noms, voilà que vous changez de visage. Nous sommes de tout cœur avec vous et à la place du tueur, je réfléchirais à deux fois avant de me lancer à vos trousses !
A nouveau l’assistance fit entendre des rires soutenus.
- Sachez, ma chère lise, que 63% du public vous donne vainqueur. C’est énorme. Même Monsieur Sanchez n’a pas obtenu un tel pourcentage. Et vous n’êtes pas sans ignorer que le public se trompe rarement.
Lise sourit de plus belle.
- Je ferai en sorte d’honorer cet encourageant pronostic, merci.
- Bon, même si nous sommes rassurés quant à votre détermination, espérons tout de même que le tueur ne parvienne pas à vous débusquer.
L’expression de Lise s’altéra. Elle jeta un regard glacial à la caméra.
- Ne me prenez pas pour une idiote. Je sais très bien qu’il me trouvera. Il trouve toujours ses victimes. C’est le but du jeu, non ? Il faut un minimum d’adrénaline pour remplir les quotas. Il viendra et il viendra cette nuit.
Il fallut toute son expérience et sa discipline à Edouard Ventura pour dissimuler la consternation qui fut la sienne.
- Et qu’est-ce qui vous fait dire qu’il viendra cette nuit ?
Lise sourit à nouveau.
- Voyons, Edouard. Vous avez mis votre costume noir à paillettes.
L’explosion de rire de l’assistance fut la goutte d’eau pour Edouard.
- Bon, et bien nous verrons. En attendant, je vous propose de nous retrouver après une courte page de publicité.
- La salope ! La salope !
Edouard entra dans son bureau. Il était fou de rage.
Il jeta sa cravate, pailletée elle aussi, et déboutonna son col.
Jérôme Monnet était assis devant un moniteur. Il avait tout suivi. Et il affichait une mine réjouissante.
- Elle était sublime.
Edouard se servit un Whisky et s’assit.
- Elle m’a tourné en ridicule. « Ne me prenez pas pour une idiote », mima-t-il. C’est plutôt elle qui m’a pris pour un con, ouais ! La garce, elle sait pas ce qui l’attend !
Il vida son verre d’un trait et se resservit.
Le visage de Jérôme se rembrunit subitement.
- Qu’est-ce que vous allez faire ? Vous n’allez quand même pas la punir de défier la mort. On avait besoin d’une femme forte, d’une candidate qui en a. Jusqu’à maintenant on avait eu droit qu’à des pleurnicheuses incapables de surmonter leur peur. Les gens aiment les références, vous vous souvenez ? Ce sont vos mots. Ils vont voir en Lise Bertrand une Jeanne d’Arc, une Sarah Connor, une Helen Ripley, une Clarice Starling!
Edouard leva un sourcil.
- Helen qui ?
- La survivante du Nostromo.
Edouard haussa l’autre sourcil.
- L’héroïne d’Alien ! Vous oubliez vos classiques, Edouard.
Edouard vida son verre.
- J’oublie rien du tout. Si elle veut un monstre à sa hauteur, je peux te jurer qu’elle va l’avoir.
22H00.
- Jérôme, qu’est-ce qui se passe ? Je ne vois rien. On est pourtant en liaison, non ? Dis-moi que ce n’est pas la caméra qui déconne ?
Edouard Ventura transpirait. Il sentait que quelque chose ne tournait pas rond.
- Jérôme ?! Je suis en direct, merde !
Sitôt après, il offrit son sourire le plus vendeur à l’assistance présente ainsi qu’à la caméra braquée sur lui.
- Fidèles téléspectateurs, il semblerait que nous souffrions d’un petit problème technique.
- C’est pas un problème technique, fit la voix de Jérôme dans son oreillette.
- Comment ça?!
- Lise a coupé l’électricité.
- Quoi ?! Mais elle a pété les plombs !
- Oui, on pourrait le penser. En fait c’est plutôt malin de sa part. Le tueur va avoir du mal à la localiser dans le noir. Elle, elle connaît la disposition des lieux par cœur. Le jeu du chat et de la souris, oui, mais toute la question est de savoir qui va être la souris.
- Mais, merde, fulmina Edouard en jetant des sourires crispés au public, c’était pas ce qui était censé se passer !
- Vous vouliez de l’imprévu, non ?
Edouard poussa un soupir. Il fallait faire face. Il n’avait pas le choix.
- Pour des raisons, purement tactiques, annonça-t-il, il semblerait que Lise Bertrand ait choisi de se terrer dans le noir afin de mieux se soustraire aux attaques du tueur. Très ingénieux, ajouta-t-il en serrant les dents. Heureusement, l’équipe technique de Killer Scoop a tout prévu.
Les caméras sont équipées de dispositifs infrarouges qui vont nous permettre de suivre les évènements. Si le tueur décide de frapper cette nuit, nous ne le manquerons pas.
Edouard se tourna brièvement, le temps pour lui de se tamponner le front et les tempes à l’aide d’un mouchoir.
- Voyons où se cache cette facétieuse Mme Bertrand.
Sur l’écran, les différentes pièces de l’appartement apparurent dans des tons verts phosphorescents.
- Lise ? Vous m’entendez ? C’est Edouard Ventura. Nous sommes en direct. Nous aimerions recueillir vos impressions. Le public, qui vous soutient je vous le rappelle, serait très heureux de pouvoir connaître vos sentiments et vos intentions.
Jérôme Monnet se retint de rire. Ce connard d’Edouard tendait une carotte un peu trop grosse. Lise n’allait pas mordre à l’appât comme ça. Contrairement à lui, le présentateur n’avait pas encore mesuré le degré d’implication de la candidate. Elle était elle-même en train de se faire prédateur. Maintenant c’était œil pour œil, dent pour dent. A l’idée que le tueur puisse se faire dessouder par une mère de famille, un sourire s’élargit sur son visage juvénile.
« Pourvu qu’elle tienne le coup ! » Heureusement qu’il n’y avait pas de micro dans son crâne. Si Edouard pouvait entendre ne serait-ce que le quart de ce qu’il pensait, il se ferait virer sur le champ avec pertes et fracas. Ou pire. Il le livrerait au tueur lors d’une prochaine émission.
Il pouffa avant de prendre une grande inspiration. Non. Ce n’était guère le moment de déconner. C’était un moment crucial. Il fallait qu’il reste concentré. « Allez Lise, je suis avec toi ! »
Soudain tout le monde se figea. Spectateurs, techniciens, tous retinrent leur souffle en apercevant une silhouette apparaître derrière une fenêtre du salon.
Edouard attendit sagement que la tension monte avant de déclarer :
- Mesdames et messieurs, je crois que notre tueur est sur le point de faire son entrée. « Numérote tes abattis, ma cocotte. Tu sais pas à qui t’as à affaire. Eddy va te débusquer en moins de deux et te faire ravaler ta fierté à deux balles ! »
Heureusement qu’il n’y avait pas de micro dans son crâne. Si le public pouvait entendre ne serait-ce que le quart de ce qu’il pensait, il se ferait lyncher sur le champ.
Le tueur plongea un bras dans un carreau sans se soucier du bruit. Il se saisit de la poignée et la manipula. L’instant d’après, il était dans le salon, sa lame de couteau de cuisine faisant comme un éclair dans sa main gantée.
Il étudia la pièce avant de se diriger vers le couloir. Un craquement provenant de l’étage fut audible par tout le monde. Le tueur emprunta l’escalier. C’était un homme corpulent. Physiquement, Lise Bertrand ne pouvait rivaliser avec lui.
Il arriva sur le palier. La chambre de Lise était tout près. Il saisit la poignée de la porte, l’ouvrit sans un bruit et entra. Tout le monde écarquilla les yeux en repérant une forme allongée sous les couvertures.
« Elle n’est pas assez stupide pour s’endormir après tout ce qu’elle nous a dit ! » songea Edouard.
De son côté, Jérôme se faisait la même réflexion. « C’est un piège. Et il est tombé en plein dedans. »
Edouard changea de canal.
« Eddy, elle se fout de ta gueule. Tire-toi d’ici. T’auras l’air de quoi une fois que t’auras éventré un traversin ? »
Eddy ne répondit pas. Il se contenta de faire volte-face et de se diriger vers la porte. A la stupeur de tous, Lise Bertrand jaillit du lit dans un grand envol de couvertures avant de se jeter sur le tueur. Il y eut un cri et le tueur s’abattit violemment contre l’armoire.
Lise Bertrand apparut face caméra, le visage déformé par une expression de sauvagerie insoupçonnée. Dans sa main droite, elle tenait un pic à glace.
« La salope ! jura Edouard. Elle nous a fait sa version de Basic Instinct. Quelle merde !
Jérôme se leva en faisant éclater sa joie tandis que l’assistance produisait un concert de clameurs de toutes sortes.
Edouard se ressaisit rapidement. Il changea à nouveau de canal. « Plan B pour tout le monde ! Je répète : plan B pour tout le monde ! »
Alors que le visage de Lise Bertrand remplissait tout l’écran, tout le monde put voir le changement radical de son expression. Elle semblait stupéfaite.
- Je l’ai tué. Je l’ai tué.
Elle fit tomber son arme qui tinta sur le parquet de la chambre.
Son regard se fixa accidentellement sur l’objectif.
- J’ai gagné. Dieu soit loué, j’ai gagné.
Quelque chose se dressa derrière elle. Un mouvement prompt et précis. Lise Bertrand poussa un cri bref avant de s’écrouler.
Comme par magie, la lumière revint dans l’appartement.
Le corps sans vie de la candidate gisait aux pieds du tueur masqué. Un masque blanc, d’une simplicité effroyable. Il se baissa et extirpa le manche du poignard saillant du dos de la mère de famille.
Un mouvement de caméra bien étudié montra l’armoire en piteux état ainsi que des taches de sang, convaincant tout le monde que le tueur s’était miraculeusement relevé malgré sa blessure. Une mère de famille, aussi déterminée soit-elle, ne pouvait venir à bout d’un tueur en série. Ceux qui avaient crû le contraire en étaient pour leurs frais.
Un dernier plan sur le tueur victorieux puis sur le visage inerte de Lise Bertrand.
Fondu au noir.
Une photo de la candidate apparut sur laquelle vint se dessiner une croix rouge, sanglante avant d’être intégrée dans le tableau de chasse du tueur.
Edouard ne put contenir sa joie. « Tu viendras plus la ramener, ma jolie ! »
Le visage de Jérôme était défait. Il se tenait la tête à deux mains comme pour l’empêcher de tomber « Ils l’ont eue. Les fumiers. Ils ont triché. » Il se rassit mécaniquement et secoua la tête comme un automate déréglé.
Une musique sinistre envahit la scène.
Edouard s’imposa une attitude de recueillement. Le silence se fit dans l’assistance. Une minute fut dédiée à la mémoire de Lise Bertrand dont le courage et le dévouement pour ses enfants resterait à jamais gravée dans les mémoires et les annales de l’émission.
Puis le présentateur darda un regard empreint de gravité en direction de la caméra :
- Notre tueur n’a pas failli à sa réputation. Lise Bertrand a malheureusement appris à ses dépens qu’il a plus d’un tour dans son sac.
Une heure plus tard, dans les coulisses, Jérôme croisa son patron. Il le défia un instant du regard. L’autre sourit jusqu’aux oreilles :
- Ca lui apprendra à se foutre de ma gueule !
Edouard Ventura eut le temps de voir le visage de son assistant s’empourprer avant de se sentir violemment projeté contre un mur.
- Espèce de fumier ! Tu en as fait une affaire personnelle ! Tu n’as pas joué les règles du jeu ! Elle avait gagné ! Elle avait tué le tueur ! Pourquoi tu as fait venir un remplaçant ? Que vont devenir ses enfants, maintenant ?!!
Malgré l’inconfort de sa situation, Edouard conserva son flegme et la majeure partie de son arrogant sourire :
- Les règles sont faites pour être changées. Lise l’a d’ailleurs très bien compris. Seulement, elle en a payé le prix.
Jérôme fit mine de frapper son supérieur, mais il se contenta de resserrer son étreinte sur lui :
- Tu es donc prêt à transgresser toutes les lois pour entretenir ta gloire personnelle ?
Edouard se dégagea vivement avant de rétorquer froidement :
- Je ne fais qu’aller plus loin que tous les autres. Je suis un pionnier. Je n’espère pas être compris. Tout ce qui compte c’est ce que je fais et ce qui en restera. Moi, j’ouvre la voie à la télé de demain. Qu’est-ce que tu fais de beau, toi, dans la vie ?
Edouard Ventura rentra chez lui tard. Et légèrement accompagné. Il laissa la bimbo du nom de Jessica prendre une douche et s’installa sur le canapé. Toute la soirée et une bonne partie de la nuit, il s’était convaincu d’avoir fait le bon choix. Et les rasades de whisky l’y avaient bien aidé. Le téléphone sonna près de lui. Il décrocha mécaniquement. C’était Jérôme.
- Tu devrais jeter un coup d’œil sur M16 ou Canal Flux.
Edouard faillit raccrocher. Il se ravisa.
- Je n’ai aucune envie de regarder une chaîne concurrente.
- Je te promets que tu le regretteras pas.
Edouard alluma la télé et tout en zappant, poursuivit la conversation :
- Qu’est-ce qui se passe ? Ils ont enfin trouvé un concept digne de ce nom ?
- Précisément !
Le visage hilare de Ventura se rembrunit à cette annonce. Il arrêta de zapper et monta le volume. Le présentateur de la chaîne était en train d’annoncer un véritable scoop :
« La source de ces révélations demeure inconnue, mais une chose est sûre, elles ne manqueront pas de déclencher une polémique sans précédent ! Voici en exclusivité la diffusion d’une conversation privée provenant des coulisses de TéléFun :
Edouard Ventura vit son visage apparaître sur son écran géant. Il commença à comprendre :
- Eddy n’est pas un acteur. C’est un vrai tueur. Il a ça dans le sang. Le fait que rien ne soit truqué garantit une qualité constante de l’émission. On s’était mis d’accord là-dessus dès le départ. Sur M16, ils ont pris des comédiens, ils ont bidouillé les scènes de meurtre. T’as vu le résultat ? TéléFun ce n’est pas M16 ou Canal Flux ! Nous, on triche pas avec le public.
- Espèce de fumier ! Tu en as fait une affaire personnelle ! Tu n’as pas joué les règles du jeu ! Elle avait gagné ! Elle avait tué le tueur ! Pourquoi tu as fait venir un remplaçant ? Que vont devenir ses enfants, maintenant ?!!
- Bon, j’admets qu’Eddy a un peu trop improvisé ces derniers temps. Mais ne t’en fais pas. On graisse la patte à suffisamment de monde pour avoir les coudées franches. Les gens veulent du spectaculaire, de l’inattendu. Un peu d’imprévu ne peut pas nous faire de mal, bien au contraire. Les règles sont faites pour être changées. Lise l’a d’ailleurs très bien compris. Seulement, elle en a payé le prix.
- Tu es donc prêt à transgresser toutes les lois pour entretenir ta gloire personnelle ?
- Je ne fais qu’aller plus loin que tous les autres. Je suis un pionnier. Je n’espère pas être compris. Tout ce qui compte c’est ce que je fais et ce qui en restera.
Edouard Ventura était dans un état second. Ce qui était en train de se passer était surréaliste. Comment avait-il pu être piégé, lui, le présentateur et le producteur le plus adulé ?
Il changea de chaîne et changea encore, mais le programme était partout le même. Sa bobine passait sur tous les canaux et il répétait inlassablement le même plaidoyer.
Cet habile montage, il le savait, ne pouvait avoir été fourni que par une seule personne.
La voix de Jérôme se fit à nouveau entendre :
- Alors que penses-tu de ce concept, Edouard ?
Edouard voulut rétorquer quelque chose, mais les mots ne venaient pas. Parasité par cette trahison, par l’étendue du complot, son cerveau faisait le piquet de grève. Il laissa tomber le combiné et ouvrit un tiroir.
Jessica apparut dans le salon, son corps splendide encore humide serti d’une serviette éponge d’un blanc immaculé. Elle regarda l’écran :
- On parle encore de toi, Ed ?
Lorsqu’elle vit Edouard Ventura planter le canon d’un revolver dans sa bouche, elle poussa un hurlement rapidement concurrencé par une fulgurante détonation. La serviette éponge d’un blanc immaculé fut imbibée de rouge et du sang frais éclaboussa l’écran de télévision sur lequel apparaissait encore le visage enjoué de Edouard Ventura :
« Moi j’ouvre la voie à la télé de demain. Qu’est-ce que tu fais de beau, toi, dans la vie ? »
Imperturbable, la voix de Jérôme répondit à travers le combiné :
- Je fais exactement la même chose. Bienvenue dans la télé de demain, Ed !
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12:45 | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : histoire, nouvelle, télé-réalité, critique sociale
Le Jour où l'Amour s'arrêta [Nouvelles/Anticipations]
1
Elle leva la main comme pour me toucher, espérant par ce geste ranimer un début de flamme.
Je le devinais parce que j'eus le même réflexe. Mais à l'instant où nos regards se croisèrent, l'espoir nous déserta littéralement. Nous demeurions de parfaits inconnus l'un pour l'autre. Inexorablement.
Elle baissa sa main et me tourna le dos, honteuse de sa réaction. Je n'étais pas moins gêné.
Plus tard, quand elle vint me rejoindre dans la chambre, elle me trouva occupé à remplir une valise. Elle comprit immédiatement mon intention. La même idée lui avait traversé l'esprit quelques instants plus tôt.
Lorsque j'eus terminé, je fis mine de lui dire au revoir.
- Je suis désolée, dit-elle d'un ton monocorde.
Je savais qu'en réalité elle était soulagée que je quitte la maison car j'étais moi-même soulagé de partir.
- Ce n'est pas grave, répondis-je.
Evidemment, j'étais sincère.
En me retrouvant dans la rue, je respirai enfin. Pour je ne sais quelle raison, mon regard accrocha la poubelle en plastique qui nous appartenait.
Elle débordait.
Une pensée s'imposa alors dans mon esprit, un dernier sursaut d'espoir, comme pour me convaincre que j'aurais tout essayé.
Impossible de rester si c'était pour jouer un simulacre. Il me fallait du réel, de l'authentique. Mes souvenirs ne m'aidaient en rien. Ils étaient devenus beaucoup trop glacés pour m'émouvoir. Les connexions nécessaires ne se faisaient pas.
Ecoutant cette impérieuse voix intérieure, je lâchai ma valise et commençai à fouiller dans le contenu de nos sacs poubelles. Peut-être trouverai-je un mot, un objet, quelque chose de suffisamment intime à notre couple pour me rappeler mes sentiments envers elle.
Il me fallait une étincelle. Oui, une simple étincelle.
Sans me soucier du désordre occasionné, je vidai les sacs sur le sol et mes mains avides se mirent en devoir de filtrer la masse de détritus afin d'en extraire quelque diamant ou plutôt quelque rose.
A genoux sur le trottoir, mon costume taché par les déchets alimentaires, je faisais sûrement peine à voir. Mais je n'en avais cure. Il me fallait cette preuve, cet indice que quelque chose de très fort entre nous avait existé et pouvait vivre encore.
Le temps passa sans que j'eusse trouvé quoi que ce soit de secourable. C'était peine perdue. C'était sans issue.
Je me relevai, écrasant au passage une photo d'elle rayonnante dans la lumière de notre jardin. J'avais pourtant vu cette photo. Je l'avais même ramassé et longuement regardé comme dans l'attente d'un signe, d'un miracle. Qui n'était jamais venu.
Mon cœur était devenu imperméable.
Comme pour se rire de moi, la pluie se mit à tomber. C'est alors que je remarquai une silhouette de l'autre côté de la rue, en face de chez nous. Une femme qui m'était familière. Une voisine. A la vue du fatras indescriptible qu'elle dominait, je compris aisément qu'elle s'était lancée dans le même genre de croisade que moi. Avec le même succès, semblait-il.
Nous échangeâmes un bref regard. La pluie redoubla de violence.
Nous faisions vraiment peine à voir. Et le pire, c'est que nous en étions terriblement conscients.
Je ramassai ma valise et me mis à courir comme un fou pour échapper à mon image.
Et à la sienne.
Mais qu'étions-nous donc devenus, tous ?
Des amants maudits ? Des âmes en peine ?
J'avais trop de questions, trop de pourquoi. Il me fallait des réponses. Pas forcément les meilleures, pas forcément les bonnes, mais des réponses quand même et de quelqu'un d'extérieur. Surtout quelqu'un d'extérieur.
Je n'assumai pas du tout ce qui m'arrivait. Je me sentais atteint d'une maladie gave et contagieuse, comme si j'avais attrapé un virus extrêmement dangereux. Sauf que dans mon cas, je n'avais rien attrapé du tout. Bien au contraire. J'avais perdu quelque chose. Et quelque chose d'essentiel, de fondamental. Je me vidai de mon humanité, de ce qu'il y avait de meilleur en moi. Car sans la capacité d'aimer, qu'étais-je vraiment ? Pouvais-je encore être qualifié d'être humain ? J'avais de très gros doutes à ce sujet.
Je ne pouvais accepter cette situation sans rien faire. Alors je décidai d'aller voir quelqu'un comme on dit si bien.
Je cherchai sur mon doigt mon alliance de mariage pour m'insuffler le courage dont j'avais besoin. Je ne la trouvai pas. Et pour cause. Je l'avais jeté dans les poubelles sans même m'en rendre compte. Le temps était compté.
2
- Bonjour, fis-je en entrant dans le bureau comme dans une morgue.
Peut-être parce que je sentais bien que quelque chose en moi était mort.
Le Docteur Mc Cabb avait une quarantaine d'années, mais il faisait plus jeune à cause de ses longs cheveux et de son allure décontractée.
C'était un éminent praticien. Eminent et donc coûteux. Mais je crois que j'étais prêt à vider mon compte en banque si cela pouvait remplir mon cœur à nouveau.
- Bonjour monsieur Lawrence, asseyez-vous.
Sa voix me mit tout de suite en confiance. Mais j'imagine que cela faisait partie de sa stratégie.
Il essuya ses lunettes avant de les chausser de nouveau.
- Comment allez-vous ? dit-il en me serrant la main.
Je déglutis péniblement.
- Et bien, pas très bien. C'est pourquoi je vous ai appelé en urgence, vous vous en doutez.
- Excusez-moi, simple formule d'usage. Disons plutôt : qu'est-ce qui vous amène exactement ?
Je redoutais terriblement de passer aux aveux tant ma crainte d'être jugé était grande. Mais je craignais sans doute encore plus de devoir être condamné à ne plus rien ressentir.
- Je...C'est...Ce n'est pas facile à dire. J'ose espérer que ce ne sera pas difficile à comprendre pour vous. Je ne pouvais pas en parler à mes proches. Je ne voyais personne d'autre vers qui me tourner.
Mc Cabb se mit à sourire. Il croisa les mains sur son bureau et se pencha sensiblement vers moi.
- Vous savez, monsieur Lawrence, je ne fonde pas mes diagnostics sur la seule qualité de mes années d'étude. Je me sers aussi de mes expériences personnelles. Ce qui, vous en conviendrez, est irremplaçable. Je suis peut-être psychiatre, mais je suis avant tout un être humain, tout comme vous, avec ses doutes, ses peurs, ses faiblesses, ses problèmes. La théorie, c'est bien beau, mais rien ne vaut la pratique.
C'était un discours plutôt convaincant. Il était bien rôdé. Et comme ça devait nécessairement être vrai, j'ai commencé à me détendre un peu.
Son sourire s'élargit alors.
- Je vous écoute, monsieur Lawrence.
Je pris une profonde inspiration avant de déclarer :
- Je ne suis plus amoureux de ma femme.
- Depuis combien de temps ?
Je ressentis l'effet d'un nœud coulant autour de ma gorge.
- Depuis ce matin, articulai-je péniblement.
- Et que ressentez-vous pour elle, à présent.
- Et bien... Rien, plus rien. Je la vois comme une étrangère avec qui je n'ai plus rien en commun. Plus rien ne m'attire chez elle. En fait, c'est tout le contraire.
Mc Cabb dodelina de la tête comme s'il se souvenait d'un cas similaire.
- Vous lui en avez parlé ?
- Oui, rapidement. C'est vite devenu insoutenable.
- Et que vous a-t-elle dit ?
Je me crispai.
- C'est là que ça devient fou.
J'ai dévisagé le docteur avec anxiété. Le mot n'était peut-être pas le plus adapté. Je craignis sa réaction. Mac Cabb devait le redouter aussi, ce mot là, mais grâce à ses années d'expérience, il avait aussi sûrement appris à l'apprivoiser et à relativiser son emploi.
Voyant qu'il conservait la même expression de curiosité, je poursuivis :
- Elle m'a dit la même chose. Elle m'a dit qu'elle ne ressentait plus rien pour moi, comme si c'était la première fois qu'elle me voyait. Elle ne comprenait pas ce qu'elle faisait avec un type comme moi. Cela n'avait aucun sens. Surréaliste, non ?
Mc Cabb éluda habilement ma question.
- Vous vous êtes disputé ?
- Non. C'est sans doute le plus curieux dans toute cette histoire. On a discuté très calmement. En fait, on était soulagé de partager la même chose.
- Que s'est-il passé ensuite ?
- Je suis parti de la maison.
J'indiquai du regard la valise posée à côté de moi.
- Je ne sais pas ce qu'elle va faire de son côté et pour être tout à fait honnête, ça m'est égal.
- Vous étiez mariés depuis combien de temps ?
- Cela faisait douze ans. Vous vous rendez compte ? Et du jour au lendemain, plus rien.
Mc Cabb jeta un regard à sa montre.
- Je suis désolé, monsieur lawrence. Comme je vous ai dit au téléphone, je dois déjeuner avec mes filles. Comme tous les mercredi.
Je vis en cette déclaration la possibilité de me sentir moins seul.
- Vous êtes divorcé ?
Mc Cabb sourit. Il avait du deviner mon espoir.
- Quand je vous disais que j'étais avant tout un être humain, ce n'était pas du pipeau.
3
Je n'étais guère plus avancé. Malgré sa compréhension et sa sympathie manifestes, le docteur Mc Cabb n'a pas su me donner ce que j'attendais. Notre entretien a tourné court et j'ai négligé beaucoup de détails comme de lui parler de la voisine par exemple. Je lui ai laissé mes coordonnées, bien sûr et on a convenu de se revoir. Maigre consolation.
J'ai voulu le rappeler une fois en centre-ville, et puis j'ai eu peur qu'il ne me réponde pas.
On n'est jamais certain de l'effet qu'on fait à ceux à qui l'on parle de choses très personnelles. C'est un peu quitte ou double. Que le docteur Mc cabb soit un professionnel ne changeait pas forcément la donne.
Oui, je redevenais pessimiste.
En marchant dans la rue, ma valise à la main, j'ai regardé autour de moi, comme dans l'espoir de lire mon propre égarement sur d'autres visages que le mien. Je ne voulais pas me sentir seul dans ce cas. J'ai pensé rendre visite à la voisine qui avait probablement, elle aussi, pris rendez-vous chez un bon psy, chez Mc Cabb peut-être.
En vérité, j'étais paumé. J'avais des idées, mais aucune ne me paraissait raisonnable. Aucune ne me paraissait assez sérieuse pour me tirer d'affaire.
Mon malaise empirait de minute en minute.
Je n'étais donc pas si insensible puisque je souffrais un peu. C'était étrangement paradoxal. Ce qui n'adoucissait en rien mon tourment.
J'étais là, à ruminer sur un banc, en regardant les passants et en imaginant leur vie quand mon téléphone sonna. Mon cœur fit un bond quand je reconnus la voix suave du docteur Mc Cabb.
- Monsieur Lawrence ? Excusez-moi de vous déranger, mais il vient de m'arriver quelque chose d'incroyable. Quelque chose qui m'a instantanément rapproché de vous et de notre entretien de ce matin.
- Ah...ah bon, fis-je avec une évidente surprise.
- Oui ! poursuivit Mc Cabb d'un ton qui me paraissait pour le moins nerveux. Tout à l'heure j'étais au restaurant avec mes deux filles, comme tous les mercredi. Elles étaient là en face de moi. Et...comment vous dire ? On ne s'est pas adressé un seul mot. Je n'avais absolument rien à leur dire et visiblement elles non plus. C'est à peine si nous avons touché à notre assiette. Il y avait un malaise entre nous qui n'a fait qu'empirer. Je ne voyais pas ce que je faisais là, j'avais l'impression d'être un imposteur, de prendre la place de quelqu'un. Vous voyez ?
Bien sûr que je voyais ce qu'il voulait dire. C'était précisément ce que j'avais ressenti en présence de ma femme. Le ciel semblait m'avoir entendu et avoir répondu à ma prière d'une bien étrange manière. Mc Cabb semblait être atteint lui aussi du même mal qui m'avait été transmis. Je n'étais réellement plus seul !
- Qu'avez-vous fait ? demandai-je avec une vive curiosité.
Les rôles étaient inversés. C'est moi qui avais le savoir puisque j'avais l'expérience. A moi donc de délivrer le diagnostique. J'aurais pu rire de la situation si elle n'avait touché un sujet aussi dramatique.
- J'ai honte de le dire, répondit Mc Cabb, mais j'ai quitté les lieux. C'était trop éprouvant. J'ai abandonné mes deux filles dans le restaurant.
Je ne sus quoi ajouter. C'était terrible d'entendre cela d'un homme qui quelques heures auparavant semblait chérir ses enfants comme ses biens les plus précieux dans la vie.
Mais la question qu'il me posa juste après fut plus terrible encore. Elle enfonça le clou si fort que j'en ressentis une douleur vivace.
- Dites-moi, monsieur Lawrence, vous pensez que c'est contagieux ?
4
Nous nous retrouvâmes dans un café. Moi qui ne pensais pas revoir Mc Cabb de sitôt. L'avenir m'avait réservé une jolie surprise. Enfin, jolie...
Lorsqu'il entra dans la salle bondée, c'est à peine si je le reconnus. Je peux dire sans ambages qu'il avait pris un sacré coup de vieux. Lorsqu'il s'assit en face de moi, je pus remarquer à quel point sa récente expérience avait creusé ses traits et éclairci son teint.
Il se pencha vers moi comme pour ne pas être entendu :
- Il y a peut-être trop de monde ici.
Je repensai instinctivement à la question fatidique qu'il m'avait posé au téléphone et qui avait été par la suite à l'origine d'un profond malaise. « Etait-ce contagieux ? » La question était certainement légitime. Mais j'avais des raisons évidentes de ne pas vouloir l'entendre tant elle était synonyme d'accusations et de culpabilité.
Etait-ce à proprement parler un nouveau virus ?
Evidemment, nous en savions encore trop peu tous les deux pour nous forger une véritable opinion objective.
Je scrutai les yeux clairs du docteur à travers les verres de ses lunettes. Etait-il en proie à la panique où s'efforçait-il encore de raisonner en psychiatre ?
Un serveur nous aborda. Instinctivement, nous nous écartâmes et Mc Cabb commanda rapidement en notre nom pour se débarrasser de lui au plus vite.
Le docteur me mettait mal à l'aise. Je voyais moins en lui un allié potentiel qu'un complice, complice d'un mal sans équivalent que nous supposions être capables de transmettre malgré nous.
Je me mis alors à penser à voix haute.
- Ca peut être l'air, ça peut être le contact physique ou bien rien de tout cela. Peut-être que le simple fait que nous ayons vécu la même chose à quelques heures d'intervalle n'est dû qu'au fruit du hasard.
Mais là je sentis que Mc Cabb ne m'approuvait pas. Il ne répondit pas pour autant. Il regardait les autres clients et les serveurs qui allaient de table en table. Si l'air et le contact physique étaient les moyens pour la maladie de se propager, alors il ne lui faudrait pas longtemps pour contaminer tout le monde. J'imaginai des couples faisant l'amour - certains pour la première fois - et être condamnés suite à cela à ne plus ressentir quoi que ce soit.
Un frisson glacial me parcourut.
- Vous avez raison. Allons nous-en d'ici !
5
Nous nous mîmes à errer loin de la foule, tels des bannis ou des fantômes. Sans cœur, qu'étions-nous d'autre de toutes façons ?
Seul c'était insupportable. A deux, ça ne l'était pas forcément moins.
J'évitai de regarder Mc Cabb de peur de lire dans ses yeux quelque chose qui aurait ressemblé à un jugement. Il devait forcément m'en vouloir de l'avoir réduit à ce que j'étais devenu, moi. Et je le comprenais. Mais le fait qu'il restait à mes côtés me soulageait un peu, je l'avoue. En vérité, avait-il le choix ?
Nous nous assîmes sur un banc dans un parc déserté. L'air s'était refroidi. Tout comme nous.
Je regardai les arbres dénudés, desséchés alors que j'aurais juré que nous étions au printemps.
Encore un frisson. Les plantes pouvaient-elles souffrir aussi de cette anémie sentimentale ?
Un chat errant jaillit d'une poubelle avant de glisser sous mes jambes.
J'en eus le souffle coupé.
Je ne savais plus où porter mon regard pas plus que mes pensées.
Fallait-il nous isoler ? Devions-nous nous livrer comme de vulgaires criminels ?
Je tournai mon regard vers Mc Cabb pour lui faire part de mes angoisses. Il n'était plus là.
J'étais de nouveau seul, le poids du monde sur mes épaules.
C'est alors que je vis un journal abandonné tout près de moi. Plus tard, je compris que Mc Cabb avait dû le lire et que ce simple geste l'avait décidé à s'enfuir.
Les articles étaient pour la plupart terriblement ordinaires et ne méritaient pas un intérêt particulier. Mais en y attardant un peu plus d'attention qu'à l'accoutumée, on pouvait justement réaliser combien ils constituaient un puzzle sinistre.
Depuis quelques jours on recensait un nombre important de divorces et de séparations inexplicables. Les avocats étaient complètement dépassés par les évènements d'autant plus qu'ils étaient pour la plupart eux-mêmes victimes d'une rupture sentimentale. Si ça ce n'était pas un signe ! Le phénomène ne datait donc pas d'aujourd'hui. Je n'étais pas le premier. Je n'avais pas su regarder autour de moi sinon j'aurais sans doute observé bien avant des symptômes de cette maladie. Quelqu'un me l'avait forcément transmis. Ma femme ? Mon patron ? La voisine, qui sait ?
Je fus soulagé. Mais rapidement, la panique et la peur reprirent leurs droits sur moi. Devais-je attendre qu'on mette un nom sur ce mal pour me déclarer malade ? Etait-ce prématuré ?
Tout dépendait de la virulence de la maladie en vérité. Si elle disparaissait aussi vite qu'elle était apparue, il n'était pas nécessaire de faire connaître ma situation. Mais comment pouvais-je être certain de cela ?
Collé sur la poubelle d'où le chat était sorti, je vis un autocollant. C'était une pub pour un numéro vert à l'attention des personnes en détresse. Il n'y avait rien de précisé quant à la nature de la détresse.
Je composai le numéro sur mon portable. Une voix de femme me répondit. Je faillis couper l'appel, mais en comprenant qu'il s'agissait d'une messagerie, je laissai la voix poursuivre.
La ligne était saturée. Je devais patienter en attendant qu'elle se libère un peu. J'écoutai à demi, distrait par la vue d'un couple attendrissant. Ils étaient jeunes, beaux et ils avaient l'air heureux. Je me disais que de voir tout cela s'éteindre à jamais était inacceptable. Et alors même que je me faisais cette réflexion je vis les deux amoureux desserrer leurs mains et se faire face. Ils se jetèrent un regard que je ne connaissais que trop bien, pour mon plus grand malheur. Mon cœur eut un spasme. Ma gorge se serra. Devant moi, la maladie venait de faire deux nouvelles victimes. Alors que le garçon et la fille s'éloignaient l'un de l'autre sans un mot, la messagerie s'interrompit et une autre voix de femme m'invita à parler.
Je coupai la communication et quittai le parc. J'étais maudit et j'étais loin d'être le seul, désormais.
6
Je rasai les murs. J'étais une ombre. Au long de ma route indécise, je captai de temps à autre quelque conversation, quelque message diffusé par les médias qui venait amplifier l'inquiétant phénomène menaçant de gagner la planète. On spéculait déjà sur d'hypothétiques signes avant-coureurs. Moi je savais pertinemment qu'il n'y en avait pas. Cela arrivait, un point c'est tout. Dans une vitrine, un mur de téléviseurs diffusait en boucle les premiers témoignages de couples venant de subir ce nouveau fléau. Je les trouvai bien courageux de se faire connaître de la sorte et j'eus un peu honte de me comporter comme un fugitif.
Je dormis à l'hôtel plusieurs jours. Je ne pus fermer l'œil. Je suivis assidûment à la télé l'évolution des évènements, moi qui m'informe si peu d'habitude. On ne cessait de donner des recommandations aux personnes qui n'étaient pas encore touchées par le virus. Je trouvai qu'on faisait peu cas des victimes. Comme si elles n'existaient pas. Ou plutôt comme si elles n'existaient plus. Oui, nous étions bel et bien des fantômes, à présent.
Entre deux émissions, les grandes chaînes diffusaient à la pelle des pubs pour des produits aphrodisiaques en tous genres. De grandes marques de cosmétiques et des grands noms de la haute-couture s'étaient déjà associés à une vaste campagne visant à promouvoir tous les secrets de la séduction. Evidemment, c'était peine perdue. Aussi vain que de chercher un diamant dans une poubelle.
Un soir, allongé sur mon lit, j'entendis des râles et des cris provenant d'une chambre voisine. Un couple faisait l'amour. Au son de leurs voix et à la durée de leurs ébats, je compris aisément qu'ils faisaient l'amour comme pour la dernière fois.
La paranoïa s'installait. On savait que le mal pouvait frapper d'une seconde à l'autre. On savait que personne n'était à l'abri.
Les scientifiques et les philosophes avaient beau se pencher sur la question, on ignorait toujours la cause de l'épidémie. Certains malades avaient été longuement étudiés par d'éminents spécialistes. Mais rien ne venait les différencier des autres si ce n'était cette incapacité à éprouver la moindre empathie.
Plusieurs jours passèrent encore. Je restais cloîtré dans ma chambre autant que possible.
Quand je sortais, le propriétaire m'observait d'un œil soupçonneux. Il m'aurait pris pour un gangster que cela m'aurait soulagé. Car je savais que sa méfiance était d'une toute autre nature. Mon temps était compté. Je savais qu'il me jetterait dehors un jour ou l'autre sous un prétexte bidon. Héberger un homme tel que moi n'était pourtant pas un crime.
Du moins, pas encore.
Les chaînes passaient les plus beaux films d'amour comme pour relancer la machine. Sur les ondes et dans les rues, on diffusait les plus grandes chansons d'amour. Un thème émouvant et fédérateur avait même été spécialement crée par des stars de la pop américaine pour soutenir les victimes et redonner de l'espoir. Il s'intitulait "We are the Love". On pouvait faire difficilement plus symbolique.
Le 14 février approchait à grands pas. Et beaucoup de gens pensaient qu'il allait signifier la fin du monde. Moi le premier.
7
L'économie commença à souffrir de cette forme de stérilité. On se rendit compte à quel point les choses du cœur faisaient vendre.
Une fois n'est pas coutume, les chaînes de télé n'eurent que peu de scrupules à s'emparer du phénomène pour le détourner à leur avantage.
Elles organisèrent des jeux lors desquels les couples candidats devaient prouver leur amour au fil d'épreuves à la difficulté croissante avec à la clé une prime substantielle.
En singeant un hypothétique remède, les médias ne faisaient qu'égarer davantage les hommes.
Le jour où un couple se brisa en direct pendant une émission, l'audimat explosa.
Le filon était tout trouvé.
Mais bien heureusement, cela ne dura pas.
De plus en plus de gens ne se laissant plus facilement émouvoir, certaines recettes ne firent pas long feu.
On chercha de nouveaux concepts. On en trouva. Sans que cela change les choses.
Moi-même je commençais à regarder tout cela avec dédain. Je ne pouvais plus aimer, mais j'appréciais de plus en plus la perspective de ne plus jamais souffrir et faire souffrir par les sentiments. Je n'étais peut-être pas si perdant. Je n'étais peut-être pas si malade. Au contraire. Cette maladie était peut-être une bénédiction, un remède inattendu contre les affres de la passion. J'avais de plus en plus de mal à voir les choses autrement.
Je quittai l'hôtel, fort de ma conviction. Pourquoi continuer à me cacher alors qu'en vérité j'avais vaincu un mal plus grand que celui qu'on me prêtait ?
Je réalisai bientôt que cette croyance se généralisait un peu partout, au point de constituer un mouvement à part entière. Je n'eus alors qu'une hâte, qu'un seul but : trouver cette nouvelle famille et l'intégrer. Mais les choses se gâtèrent à ce moment là.
Le gouvernement mit en place plusieurs mesures pour le moins drastiques.
Bien que la théorie du virus transmis par simple contact physique n'ait jamais pu être prouvée, les autorités s'accordèrent sur cette hypothèse et à partir de là, toute victime était considérée comme potentiellement dangereuse pour la santé émotionnelle des autres.
Comme tant d'autres, je vis, impuissant, des baraquements lugubres se dresser sur les places publiques. La tension monta d'un cran.
On disait qu'une milice spécialisée avait les moyens de reconnaître les malades et les traquait sans relâche.
Une fois démasqués, les malades étaient - selon toute probabilité - parqués dans ces baraquements, mis en quarantaine en attendant qu'un remède soit trouvé.
Une forme de dictature était en train de naître sans que personne n'ait le courage de la nommer. Ce qui était encore plus terrifiant.
Mais la révolte grondait. Je le savais. Car en moi je sentais les prémices d'une colère que je ne connaissais pas.
On disait aussi que cette milice était constituée de personnes atteintes qui s'étaient engagées de gré ou de force. Des personnes comme moi, qui n'avais plus à craindre d'être en contact avec des malades et qui par conséquent étaient naturellement immunisées. Et toutes désignées pour appréhender les individus recherchés.
Bien évidemment, je ne me voyais pas faire ça. Je n'avais peut-être plus de sentiments, mais j'avais encore une morale.
J'étais en colère, mais je mourrai de peur aussi. La situation n'avait vraiment rien de réjouissant. Même les haut-parleurs avaient cessé de nous transmettre des chants d'espoir. Maintenant ne résonnaient que des directives et des avertissements annoncés d'une voix mécanique, dénuée de toute chaleur.
Je regrettai amèrement d'avoir quitté le confort et la sécurité de ma chambre d'hôtel.
Maintenant, il m'était difficile de trouver un refuge digne de ce nom.
Une nuit, alors que les arrestations se multipliaient, j'échappai de justesse à une rafle et me précipitant dans une ruelle, je tombai nez à nez avec ce bon vieux docteur Mc Cabb.
Il fut aussi surpris de me voir. Nous nous observâmes un instant, ne sachant trop comment réagir, sans doute éprouvés par nos expériences mutuelles. Puis la raison nous revint et nous nous serrâmes la main avec chaleur. L'avantage c'est que nous nous connaissions et que nous n'avions rien à craindre l'un de l'autre. Je lui parlai rapidement du mouvement dont j'avais appris l'existence et que je m'efforçais de rejoindre.
- Oui, j'en ai entendu parler, me dit-il avec enthousiasme. Je pensais justement me rendre à leur QG.
- Vous savez où il se trouve ? demandai-je avec exaltation.
- Non, répondit Mc Cabb, attristé. La seconde d'après, son visage se fendit d'un sourire.
- Mais je connais quelqu'un qui pourra nous le dire. Une de mes anciennes patientes avec qui j'avais un lien privilégié.
Je n'osai lui demander de préciser de quelle sorte de lien il s'agissait.
Nous marchâmes jusqu'au bout de la ruelle avec précaution. L'obscurité jouait en notre faveur, mais nous savions la milice très bien équipée. Des bruits de lutte et des cris de contestation nous parvinrent et nous nous immobilisâmes. Les arrestations ne se faisaient pas toujours dans de bonnes conditions.
J'eus un mouvement de recul en distinguant le corps inconscient d'un milicien appuyé contre un container.
Mc Cabb se baissa et ramassa un objet sur le sol.
- Vous savez comment ils s'y prennent pour identifier les malades ?
Je secouai la tête tout en me demandant si le docteur était lié à l'incident. Peut-être que ce garde lui était tombé dessus et qu'il n'avait pas eu le choix.
- Ne vous en faites pas, déclara-t-il comme pour me rassurer à ce sujet. Il respire encore.
Avant que j'ai pu comprendre ce qui arrivait, il m'avait glissé un bracelet d'étrange facture autour du poignet droit. Je ressentis une petite piqûre.
- Mais qu'est-ce qu...
Mc Cabb expliqua :
- Le bracelet est un appareil qui analyse le sang et envoie le diagnostic à ce récepteur.
Il produisit un autre appareil pourvu d'un écran tactile. Des chiffres et des diagrammes s'affichaient en temps réel. Pour avoir des moyens, ils avaient des moyens. Et des informations aussi qu'ils s'étaient bien gardés de partager avec les civils.
Je regardai successivement les deux objets avec une terreur bien compréhensible.
- Alors c'est grâce au sang qu'ils peuvent savoir. Depuis quand le savent-ils ?
- Je l'ignore, répondit Mc Cabb.
- J'imagine que grâce à ce système, nous sommes fichés facilement.
Mc Cabb m'adressa un regard étrange qui aurait dû m'alerter. Je n'y pris pas garde. Il savait mettre en confiance. Il avait des années d'expérience. Je ressentis une violente décharge au poignet qui remonta en un éclair jusqu'à mon cerveau. Je perdis connaissance.
8
Je repris conscience sur ce qui ressemblait à un matelas. Je me levai et m'en éloignai. Il sentait l'urine ou quelque chose d'approchant. La tête me tourna un instant. La lumière dans la pièce était faible. Je repensai à Mc Cabb, à ce traître qui m'avait livré à la milice ou plutôt qu'il avait intégrée. De gré ou de force. Je ne pouvais plus faire confiance à personne. J'étais seul, plus que jamais.
Je traînais ma silhouette voûtée par l'âpreté de ces dernières heures. Une cloison faite de verre renforcé empêchait toute escapade. Un rideau fut tiré, me dévoilant la rue noyée sous les feux de projecteurs blafards et sillonnée par la milice. Un garde casqué - nanti d'un masque sinistre - m'observa comme on observerait un poisson exotique dans son aquarium. Je le vis enfoncer du poing un bouton. Une partie du plancher de ma cellule s'escamota, révélant un plateau-repas des plus sommaires. Dans un accès de rage incontrôlable, je me mis à frapper sur la vitre comme un forcené en criant le nom de celui à qui je devais d'être là.
Plusieurs miliciens se retournèrent pour me regarder. Mc cabb était peut-être l'un d'entre eux. Je l'espérais profondément. Je voulais qu'il voie ma colère. Je voulais qu'il ait peur.
Le rideau fut refermé. D'un coup de pied je fis voler le plateau et son contenu. Je contemplai avec une fascination presque morbide les spaghettis dégoulinant de sauce tomate descendre le long du mur. J'avais la sensation d'être l'un d'entre eux et en même temps je me sentais aussi sali que le mur lui-même.
Je me laissai tomber jusqu'au sol, anéanti.
Je restai le plus longtemps possible éveillé. Je n'étais pas en paix. Je ne savais pas ce qu'ils mijotaient et je n'avais aucun moyen de le savoir. Je n'avais aucun échange avec les gardes. Ils se contentaient de m'observer régulièrement et de me donner à manger. Les brefs moments où ils tiraient le rideau, j'en profitais pour examiner la rue et ce qui s'y passait. Je voyais des gens jetés sans ménagement dans des baraquements par la milice. Il y en avait de plus en plus. A travers certaines vitres je voyais même plusieurs malades cohabiter dans une même cellule. La place commençait à manquer. L'espoir aussi. Je crus reconnaître ma femme parmi les prisonniers. Ouvrant mon portefeuille, je retirai la photo d'elle qui - à une époque maintenant révolue - représentait pour moi le signe incontestable de mon attachement exclusif pour elle.
Dans un moment pareil, j'aurais dû pleurer en détaillant son visage. Mais je n'étais pas en isolement pour rien. Je déchirai la photo. Plus rien n'avait de sens, désormais.
J'ignore combien de temps il se passa. Je ne m'en souciai plus. J'attendais, résigné, qu'ils trouvent un remède ou qu'ils nous abattent comme des chiens. Je ne sais pas quelle finalité me paraissait la plus écoeurante ou la plus enviable.
Un jour, je me réveillai après un long somme et un repas qui l'avait été beaucoup moins.
Je tressaillis en voyant une silhouette emmitouflée, assise contre l'un des murs, immobile. Ce n'était pas un garde. Je finis par comprendre que la place venant sérieusement à manquer, ils avaient fini par m'attribuer un compagnon de cellule. Charmante attention. Maintenant au lieu de devoir seulement me réconforter, il faudrait que je panse les blessures d'un autre. Je n'avais vraiment pas la tête à ça. Il faudrait qu'il se contente de ma présence.
Je n'étais pas pressé de faire connaissance, alors je conservai mes habitudes, l'air de rien.
La silhouette finit par s'animer et s'adresser à moi :
- Vous êtes bien infecté, n'est-ce pas ?
La voix était plutôt jeune et assurément féminine.
Je m'approchai un peu, piqué par la curiosité. Je m'attendais à rencontrer quelqu'un que je connaissais sans doute. Plus rien ne pouvait me surprendre. Mais là, je me trompai.
La jeune femme abaissa sa capuche, dévoilant un visage fatigué encadré de cheveux blond cendré. Ses yeux étaient vifs. Ils me fixaient, me transperçaient même au point que cela me gêna presque.
- Je m'appelle Clara, dit-elle simplement.
- Andrew, dis-je aussi simplement.
Je ne pus rien ajouter d'autre. Elle se leva un peu gauchement et se dressa face à moi. Elle était plutôt grande. Elle me saisit les poignets.
- Vous êtes bien infecté ? répéta-t-elle.
Son geste et sa question me surprenaient tout autant.
- Oui, bien sûr, tout comme vous. Nous ne serions pas ici, sinon.
Elle resserra sa prise. Ses yeux étincelèrent de plus belle. Comme si elle était sur le point de pleurer. Ce qui était impensable.
- Non, je le suis pas, ajouta-t-elle.
Je la dévisageai, abasourdi. Son expression me révéla combien elle disait vrai. Des larmes coulaient sur ses joues.
- Quoi ?
Je me dégageai violemment de son étreinte.
- Mais vous êtes complètement folle ! Je viens certainement de vous contaminer !
- Au risque de vous choquer davantage, c'est ce que je voulais.
- Je ne vous crois pas. Si vous n'étiez pas malade, vous ne seriez pas ici. Vous seriez en train de fuir, de vous cacher. Ils contrôlent tout le monde en plus. Ils auraient vu que vous n'étiez pas atteinte. Ils sont bien équipés, croyez-moi. J'ai eu tout le loisir de m'en rendre compte.
- Pourquoi chercheraient-ils à contrôler quelqu'un qui prétendrait être malade ? C'est précisément le genre de personnes qu'ils recherchent. Que l'on puisse mentir à ce sujet est au-dessus de leur raisonnement. Et du vôtre aussi, apparemment.
Je n'appréciai pas son ton. Elle semblait me rabaisser au même rang que les miliciens. Je trouvai ça très maladroit de sa part. Insultant.
- Pourquoi feriez-vous une chose pareille ? C'est stupide !
Elle reprit sa place initiale comme si elle voulait s'isoler. Cela ne fut pas pour me déplaire.
- Si je vous disais que vous veniez de me rendre un très grand service.
Je n'avais pas envie de chercher à savoir où elle voulait en venir. La patience comme l'espoir m'avait quelque peu abandonné.
- Je n'ai rien fait du tout. Vous ne savez pas ce qui vous attend. Vous êtes bien avancée d'avoir fait ça. Vraiment stupide, grommelai-je.
Il y eut un silence et je crus que la conversation s'arrêterait là. Je lui désignai le matelas pour lui indiquer qu'elle pouvait s'allonger. J'espérais surtout que l'odeur d'urine lui fasse regretter sa décision. Et c'est alors qu'elle me dit :
- Quelqu'un à qui vous teniez ?
Je plissai les yeux. Elle avait ramassé les morceaux de la photo de ma femme et s'était amusé à la recomposer. Je grimaçai.
- Moi aussi j'aimais quelqu'un, reprit-elle. Un peu trop. Même après qu'il m'ait trompé, je l'aimais toujours. Encore plus je crois. Ca fait des mois qu'on a rompu et impossible de m'en remettre. Je restais prisonnière de mes plus beaux souvenirs avec lui. Comme si une partie de moi ne voulait pas accepter ce qu'il m'avait fait. Ou plutôt comme si j'avais décidé de souffrir seulement à cause du meilleur de ce que j'avais perdu. J'imagine que la plupart des amours nourrissent une forme d'aveuglement. Ce ne serait pas de l'amour, sinon.
Cette situation m'exaspérait. Qu'elle fasse de moi son confident après avoir fait de moi son bourreau était intolérable.
- Pourquoi vous me dites tout ça ?
- Vous ne comprenez donc pas ? Quand j'ai appris l'existence de ce virus, j'ai vu enfin le bout du tunnel. Cela a été une vraie révélation. Enfin le moyen de ne plus souffrir, de ne plus penser à lui. Aller de l'avant. Repartir de zéro. C'était tellement inespéré.
Je l'entendis sangloter.
Sale petite égoïste, pensai-je. Elle s'était servie de moi, de tout le monde, en fait, pour parvenir à ses fins. Insensible au sort des autres, des vrais malades comme moi, elle n'avait pensé qu'à elle. Je fermai les poings et lui jetai un regard noir :
- Sale...
On tira le rideau et la lumière s'engouffra dans la pièce, nous éblouissant. Le garde m'observa comme à l'accoutumée. Je levai aussitôt le majeur de ma main droite à son intention. Ce n'était pas le moment de m'énerver. Il resta devant la vitre sans réagir. Puis, lentement, avec des gestes étudiés, il retira son casque. Mon cœur fit un bond lorsque je reconnus le visage du docteur Mc Cabb. Son expression était imperméable. Il m'étudiait. Je serrai les dents de rage et me jetai contre la vitre que je martelai.
- Salaud ! Enfoiré ! Pourquoi vous avez fait ça ? Pourquoi ?
Un soldat l'appela. Il se retourna et après avoir remis son casque, il s'éloigna de la vitre.
Je restai, là, espérant qu'il revienne pour lui exprimer encore ma rancœur. Mais il ne revint pas. Le rideau fut tiré et le plancher s'escamota pour nous offrir un dîner frugal.
Je vis le nez de Clara se trémousser.
- Qu'est-ce que c'est ? Du poulet ?
Je commençai à manger.
- Vous n'avez qu'à venir voir.
Elle s'approcha. Quelque chose dans sa façon de bouger m'intriguait. Une sorte d'hésitation, d'approximation. Comme si elle était handicapée.
- Je peux savoir pourquoi vous vous êtes énervé comme ça?
Je continuai à mastiquer ma viande. Je n'avais aucune envie de partager quoi que ce soit de personnel avec elle.
- Mon psy m'a envoyé ici.
Je ne me rendis compte qu'après coup que je lui avais répondu.
Je la vis sourire en piochant une cuisse de poulet. Elle semblait regarder le mur derrière moi, à l'endroit où mes spaghettis avaient laissé une trace sanglante.
- Vous devriez en changer.
Je ne m'attendais tellement pas à cette déclaration que je faillis m'étouffer. Puis la fatigue et la tension accumulée eurent raison de moi et je partis dans un éclat de rire qui mit une éternité à s'éteindre. Elle m'accompagna dans cet accès d'hilarité et nous eûmes tout le mal du monde à nous calmer. Nous nous tenions les côtes tandis que nos yeux pleuraient sans discontinuer.
J'avoue que cela me fit un bien fou. Je me rendis soudainement compte que j'avais été odieux avec elle et que malgré cela, elle ne semblait pas m'en vouloir. Peut-être que son comportement envers moi était encore intéressé. Peut-être qu'elle avait encore besoin de moi.
Ma méfiance venait de regagner ses pénates.
Après avoir éructé le plus discrètement, j'allai m'allonger sur le matelas dont j'avais appris à apprivoiser l'odeur. Je regardai le mur contre lequel j'étais couché pour ne pas la regarder, elle.
- On dit que les yeux sont le miroir de l'âme. Alors quand on perd la vue, vous croyez qu'on gagne sept ans de malheur ?
Je me retournai et la dévisageai pour comprendre pourquoi elle venait de dire une chose pareille. Elle fixait un point au-dessus de moi. Un emplacement où il n'y avait absolument rien. Et c'est là que je compris. Je l'avais traitée d'égoïste et pourtant, si moi-même je ne l'avais pas été autant, j'aurai remarqué qu'elle était aveugle.
Je m'assis sur le lit.
- Je suis désolé. Je n'avais pas...
Elle émit un petit rire qui eut le don de me détendre.
- Quand je parlais d'amour et d'aveuglement, ce n'était pas seulement une image, je crois.
Je me levai et me tins près d'elle. Ses yeux ne mentaient pas. Elle était effectivement aveugle. Et d'une certaine manière, je l'avais été aussi.
- Venez vous allonger. Le matelas ne sent pas très bon, mais il est plutôt confortable. Je dormirai dans un coin. Ce sera ma punition.
Elle sourit. Son sourire était désarmant. J'avais l'impression de la voir pour la première fois.
- C'est moi qui fais une bêtise et c'est vous qui êtes puni ?
- J'imagine que j'aurais fait la même chose si j'avais été dans votre situation. Vous n'avez rien fait de mal. Vous avez simplement fait un choix.
- Merci, murmura-t-elle.
Elle se dirigea vers le matelas. Instinctivement je voulus l'accompagner. Mais c'était idiot. Elle se débrouillait très bien sans aide. Elle s'assit.
- C'est vrai qu'il sent mauvais.
Je m'installais dans une encoignure de la pièce, la plus proche du matelas.
Elle tourna la tête vers moi.
- Vous pensez que ça prend combien de temps ?
- Quoi donc ?
- La transmission du virus.
- Je ne sais pas. Quelques heures. Peut-être moins. Vous vous en apercevrez quand vous ne penserez plus à lui. Ou plutôt quand vous penserez à lui sans en souffrir.
- J'ai hâte, dit-elle.
Je me sentis tout à coup apaisé et réconforté de savoir que grâce à moi elle allait pouvoir être plus heureuse.
- De toutes façons, il n'y a aucune raison pour que cela ne marche pas.
Mais une fois encore, je me trompai.
9
Nous dormîmes ainsi. Elle sur le matelas et moi dans un coin.
Je dormis très mal. Je pensai à notre conversation, à notre parcours de vie respectif. Le fait que nous nous soyons retrouvés ensemble dans ce baraquement avait peut-être un sens. En tout cas, je ne pouvais me défaire de cette idée. Parce que je demeurai éveillé la plus grande partie de la nuit, j'eus tout le loisir de l'entendre sangloter. Manifestement le virus n'avait pas encore agi sur elle.
Au matin, nous partageâmes un unique gobelet de café tiède. On avait l'impression d'être des prisonniers de guerre, attendant notre condamnation. Mais de savoir que je l'attendais avec Clara me réchauffait un peu le cœur.
- C'est étrange, dit-elle. J'ai la sensation que je suis immunisée. Le virus aurait déjà dû faire effet sur moi, vous ne croyez pas ?
Je ne voulais pas lui faire perdre espoir. Et je voulais moi-même y croire encore.
- Ca dépend sûrement de la personne, de son organisme. Des tonnes de paramètres doivent rentrer en jeu. Ca ne veut rien dire.
Je lui pris la main sans y réfléchir. Peut-être parce que je savais qu'elle ne pouvait pas me voir.
- Courage, Clara. Le plus dur est fait. Tu m'as supporté.
A nouveau ce sourire éclatant. J'aurais voulu qu'il dure des heures.
Sa phrase de la veille me revint en mémoire :
« On dit que les yeux sont le miroir de l'âme. Alors quand on perd la vue, vous croyez qu'on gagne sept ans de malheur ? »
Et c'est alors que j'eus la révélation. Je plongeai mes yeux dans ceux de Clara. La solution était là. L'explication tant recherchée. Le virus ne se transmettait pas par le contact physique, ni par l'air. Il voyageait par les yeux, par le regard. Et c'est pour ça que Clara n'était pas infectée. Elle avait raison. Elle était immunisée. Son handicap l'avait protégée de la maladie. J'étais tellement convaincu de mon raisonnement que j'en aurais mis ma main au feu.
Ma main resserra davantage la sienne.
- Tu ne peux pas attraper cette maladie.
Son visage se crispa et je le regrettai.
- Pourquoi ?
- C'est ta phrase qui m'a tout fait comprendre. Les yeux sont le miroir de l'âme et ils réfléchissent la maladie. Tu es aveugle, tu ne crains donc rien.
Pour n'importe qui, cela aurait été la plus merveilleuse des nouvelles. Pour Clara, c'était comme si je lui annonçais la fin du monde.
Elle se mit à pleurer.
- Il n'y a pas une minute, tu disais tout le contraire. A quoi tu joues avec moi ?
Elle se raidit et me repoussa avant de se blottir dans un coin.
- Je veux sortir d'ici. Puisque je ne peux pas être malade, je n'ai aucune raison de rester ici, avec toi !
Je soupirai.
- Nous allons pouvoir sortir tous les deux.
Elle arrêta de pleurer. Ma déclaration avait fait son effet.
- Quoi ? Mais tu ne peux pas sortir. Ils ne laissent sortir aucun malade.
Je m'assis à côté d'elle.
- C'est vrai.
Quand je lui caressai les cheveux, elle comprit.
Mon cœur cognait à nouveau dans ma poitrine, libéré de l'entrave de la maladie. Il s'exprimait comme il ne l'avait pas fait depuis longtemps. Ou plutôt comme il ne l'avait jamais fait.
Je tremblai. Une bouffée de son parfum me transporta sur une autre planète. Une mèche dans son cou me fit connaître la plus douce des ivresses.
- Tu ne peux pas être malade, Clara. Tu ne le pourras jamais.
Le rideau fut tiré. Mc Cabb se tenait derrière la vitre. Il avait son masque, mais je savais que c'était lui. Je pensai à ses filles, je pensai à ma femme, à ma voisine au-dessus de ses poubelles. Cet amour que je ressentais était différent de tous ceux que j'avais pu connaître. Il les dépassait. Et je savais qu'il n'en était qu'à ses balbutiements.
Mc Cabb tenait ses appareils d'analyse à la main, prêt à scanner notre sang pour voir l'évolution de notre état. Il n'allait pas être déçu.
Je serrai Clara contre moi.
- Tu es le remède.
En même temps que je lui disais ces mots je remarquai pour la première fois une inscription gravée sur le mur, laissée par le détenu qui nous avait précédé dans cette geôle :
Un jour, quand nous aurons maîtrisé les vents, les vagues, les marées et la pesanteur, nous exploiterons l'énergie de l'amour. Alors pour la seconde fois dans l'histoire du monde, l'homme aura découvert le feu.
Pierre Teilhard de Chardin (1881-1955) - Paléontologiste et philosophe français
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dimanche, 01 mars 2015
Tribal [Nouvelles/Fantastique]
Pour Viking
Le Pigment
Nul ne se souvient comment il a été trouvé, ni même par qui. Depuis longtemps, les légendes ont remplacé l’histoire, comme elles l’ont souvent fait à travers les âges.
Ce qui est certain, c’est que cette découverte a bouleversé le quotidien des hommes. Regroupés en clans dans un monde dévasté par des guerres ancestrales, ils ont cru que le Pigment était la réponse tant attendue à leurs prières. Après une cruelle période d’expérimentation, cette poudre noire a rapidement remplacé les encres classiques qui permettaient aux hommes d’élaborer leurs tatouages.
Ces tatouages, qui jusqu’alors, ne représentaient que des moyens primitifs d’exprimer leur identité.
Avec le Pigment, les dessins gravés sur les corps devinrent alors des armes mortelles d’une puissance inégalée. Combiné à un esprit suffisamment fort et aguerri, le Pigment permet à l’esprit d’incarner la forme bestiale de son choix et de profiter de toutes ses capacités.
Avant même de comprendre l’étendue d’un tel pouvoir, les hommes sont repartis en guerre.
Tandis que certains vénèrent le Pigment comme un dieu, d’autres le maudissent, lui attribuant l’émergence d’une période encore plus sombre que les précédentes.
C’est ici, que cette histoire commence…
Les deux hommes progressaient aussi vite que le leur permettait la crainte d’être rattrapés ainsi que l’eau marécageuse dans laquelle ils pataugeaient depuis bien dix minutes.
Témoin silencieux de leur échappée nocturne, la lune projetait sur eux les rayons de sa face blafarde... Qu’ils espéraient bien être la seule chose à redouter.
Le plus jeune des fugitifs portait sous le bras un récipient métallique, probablement à l’origine de leur course éperdue. Il eût contenu le Saint-Graal qu’il n’aurait pas bénéficié de plus de soins de la part de son porteur.
Le vétéran s’arrêta brusquement. L’autre ouvrit de grands yeux en le voyant :
- On a pas le temps de s’arrêter ! La route est encore longue ! Personne nous a vu, mais l’esprit de Méfisto nous a peut-être détectés !
Comme s’il n’avait rien entendu, Damas déchira sa chemise d’un geste brusque et la jeta dans l’eau. Il mit un genou au sol.
- Tu ne m’apprends rien ! C’est pourquoi je vais tâcher de te faire gagner un peu de temps. Méfisto n’est pas loin. Je peux le sentir. Il ferma les yeux.
- Et je sens encore bien mieux sa colère.
Aegern hésita à repartir. Il détailla le dos musclé de son compagnon recouvert d’un tatouage à l’effigie d’un serpent dont les écailles luisaient d’un éclat métallique. Il allait contester cette décision lorsqu’il vit les yeux du reptile prendre vie. A l’instant où son corps squameux commença à s’extraire de la peau en d’impressionnantes volutes, il comprit qu’il était trop tard pour débattre de la question. Il n’avait plus le choix.
- Bonne chance, Damas !
Aegern se remit à courir non sans ressentir une amère pointe de culpabilité. Il brisait le Rituel. Il laissait un Guerrier seul en affronter un autre voire plusieurs, sans la protection d’un Gardien. Ce qui constituait un acte extrêmement dangereux. Son esprit désormais lové au cœur du serpent géant tatoué sur son dos, le corps de Damas Slang devenait vulnérable à la moindre attaque. Il était alors facile pour un ennemi de venir se glisser jusqu’à lui et lui porter un coup fatal. Rôle précisément réservé aux hommes de la caste des Soldats. Des hommes qui combattaient de manière plus traditionnelle. Des hommes qui, pour différentes raisons, ne portaient pas de tatouages. Des hommes comme Aegern Valinas.
Le jeune homme serra plus fortement le coffret dans ses bras. S’il parvenait à l’apporter au camp, alors peut-être que leur clan prendrait un sérieux avantage. Le Pigment se faisait de plus en rare. Et par extension les Guerriers aussi. Ils avaient pris un vrai risque, Damas et lui. La paix fragile qui sévissait depuis peu allait peut-être voler en éclats. Ou bien en l’absence de l’arme ultime pour défaire ses ennemis, Méfisto allait enfin renoncer définitivement à poursuivre cette guerre qui durait depuis trop longtemps, les privant tous des bienfaits dont cette ère si sombre était déjà bien avare.
De grands cris retentirent derrière lui. Aegern s’arrêta et fut tenté de rebrousser chemin. Mais le contact froid du coffret lui rappela qu’il avait lui-même une mission à accomplir. Il reprit sa route. Il se consola en se rappelant combien Damas était un Guerrier redoutable et expérimenté. Il occulta volontairement le fait que Méfisto n’avait jamais été vaincu par un autre Guerrier que Wulfen, le chef de leur clan.
Le serpent desserra son étreinte, permettant aux corps des trois Soldats de toucher le sol.
D’autres arrivaient, leurs lames scintillant comme des feux follets sous la lune, témoin silencieux de l’affrontement surnaturel. Sous sa forme animale, Damas avait fort à faire. Il devait se préserver des coups ennemis, repérer Méfisto et empêcher toute tentative de ses adversaires d’arriver jusqu’à son enveloppe humaine, toujours agenouillée dans le marais, non loin de là.
Des flèches et des carreaux d’arbalète fusèrent. Damas incurva brusquement son corps souple et plongea jusqu’au sol, esquivant les projectiles qui se perdirent dans la nuit. Il broya un autre homme dans ses anneaux et arracha la tête d’un autre de ses puissantes mâchoires.
Méfisto était tout près. Il avait déjà dû revêtir sa forme démoniaque. Damas glissa entre des troncs d’arbres noueux. Il aperçut une silhouette prostrée, comme absorbée par une prière. L’homme était chauve et imposant.
C’était le corps de Méfisto.
Damas ralentit. C’était une chance inouïe. Il prit le temps de vérifier les alentours et poussa un sifflement de satisfaction en constatant l’absence d’un quelconque Gardien. Méfisto était réputé pour sa vaillance, mais aussi pour son arrogance. Il lui était déjà arrivé de se priver d’une escorte personnelle dans des conflits qui pourtant l’exigeaient. Apparemment, il avait cette fois encore négligé pareille précaution. Damas se jura que cette fois-ci serait la dernière. Il rampa à toute allure vers le corps immobile, sans défense. Alors qu’il ouvrait la gueule pour déchirer sa proie, celle-ci s’éveilla sans explication, redressant sa tête et son buste. Le temps d’une fraction de seconde, Damas vit plusieurs choses. Il vit le démon tatoué sur le torse de Méfisto, preuve qu’il venait de tomber bêtement dans une embuscade. Il vit les deux hallebardes démesurées que son ennemi projeta vers lui de toutes ses forces. Et enfin il vit son sourire, plus menaçant encore que tout le reste et qui lui apprit que Méfisto, aussi arrogant était-il, demeurait d’une intelligence au moins égale.
Quelques instants plus tard, les hommes de Méfisto rapportèrent le corps sans vie de Damas et le déposèrent aux pieds de l'intéressé.
- Ils étaient deux, précisa froidement le chef de clan.
Une série de balafres barraient son profil gauche. Son œil meurtri était effrayant lorsqu’il s’agrandissait sous le coup d’une vive émotion.
Et justement, Méfisto était furieux.
- Il ne devrait pas être loin, rassura son bras droit.
Sur ces mots, Kurgan Kotkas ôta sa pèlerine noire et découvrit un griffon majestueux dessiné sur son dos.
Méfisto le regarda s’agenouiller au sol pour entrer en léthargie. Il ajouta :
- Ne t’aventure pas trop loin. Ne franchis pas leur territoire. Que tu le retrouves ou non, j’aurais de toutes façons bientôt une entrevue avec ce cher Wulfen.
Le loup dressa ses oreilles et fixa son regard sur un point, droit devant lui, connu de lui seul. Le jour était à peine levé et il était déjà en chasse. Il devinait sa proie. Mieux que cela. Il pouvait sentir sa chair encore jeune, légèrement parfumée, son corps souple et alerte bondissant parmi les arbres et la végétation dense du sous-bois. Malgré les écharpes de brume et l’humidité, rien ne semblait être en mesure d’affecter sa remarquable perception.
La jeune fille n’avait pas dix-huit ans. Ses cheveux dorés faisaient comme une flamme vivante derrière elle lorsqu’elle courait. Elle s’immobilisa derrière un buisson en entendant un craquement. La bête était sur ses traces. Elle pensait l’avoir semée, mais une fois de plus, elle était menacée. Elle ne put réprimer un frisson. Malgré l’inconfort de sa situation, elle ne pouvait s’empêcher de sentir l’adrénaline saturer son corps. Et elle savait qu’il devait en être de même pour l’animal.
Elle en était à ce stade de ses réflexions lorsqu’un grondement dangereusement proche l’avertit du danger. Elle quitta rapidement sa cachette et s’élança en direction du camp.
Elle savait que si elle atteignait la tour de guet, elle avait gagné. Le loup ne pourrait pas s’aventurer au-delà. Trop risqué pour lui. Elle courut sans se retourner. Derrière elle, le prédateur émettait des sons menaçants, sous doute destinés à saper le sang-froid de sa proie.
Il se rapprochait. Nalen percevait maintenant le bruit de ses pattes et de son corps se glissant dans les hautes herbes. Ils avaient quitté le bosquet. La tour de gué et l’enceinte du camp étaient maintenant nettement visibles. La jeune fille accéléra l’allure. Elle était en très bonne condition physique. Ce qui était une bonne chose étant donné la détermination de son poursuivant. Le loup tenta un bond presque désespéré pour la plaquer au sol ou même la déséquilibrer. Mais l’humaine avait un sixième sens qui n’avait rien à envier au sien. Elle fit un pas de côté, presque dansant, et évita l’attaque. Elle glissa sur l’herbe détrempée, mais se rattrapa à temps pour ne pas perdre l’avantage. Le loup se reçut prestement et profita d’un rocher pour rebondir en direction de la fugitive. Il réussit à réduire la distance les séparant, mais il ne se faisait plus d’illusions. Il avait été trop loin. Continuer présentait beaucoup trop de risques. Surtout pour un enjeu aussi futile. En voyant Nalen toucher la tour de guet, il ralentit, puis s’immobilisa. Elle venait de gagner et ne se priva pas de le lui faire savoir à grands renforts de cris et de gesticulations en tous genres.
Wulfen relativisa. C’était une jeune fille et lui un grand Guerrier, Chef de Clan de surcroît. Il fallait qu’il apprenne à mettre sa fierté de côté, de temps en temps. Et puis, ce jeu faisait tellement plaisir à Nalen qu’il avait le plus grand mal à ne pas se soustraire à ces caprices. Lui-même devait reconnaître qu’il prenait un certain plaisir dans cette chasse virtuelle. D’autant qu’il était de ce fait bien placé pour enregistrer les progrès de sa petite protégée.
Nalen avait perdu ses parents très jeunes, tout comme Teos Alaminas. Ce qui avait d’ailleurs rapproché quelque peu les deux adolescents. Wulfen se surprenait parfois à nourrir d’étranges projets pour elle.
Les Soldats commençaient à manquer. La dernière bataille contre le clan de Méfisto les avait privé de plusieurs vétérans. Nalen possédait d’étonnantes capacités qui lors d’un conflit pouvaient certainement faire la différence. Il l’imaginait déjà se faufilant parmi les hommes de son ennemi juré et venir d’un seul coup d’épée lui trancher la tête. Oui, elle ferait certainement un excellent Soldat. Il préféra arrêter là ces divagations. Quand il résonnait ainsi, d’un point de vue purement martial, ce n’était pas toujours sain. Certains le lui avaient déjà reproché dans le passé. Teos Alaminas était de ceux-là. Teos qui avait toujours refusé de se faire tatouer même à l’époque où le Pigment n’était pas une denrée aussi rare. C’était un choix délibéré pour ne pas grossir les rangs des Guerriers et surtout pour bannir autant que possible de son existence une guerre sanglante et absurde qui l’avait privé trot tôt de ses parents. Wulfen ne pouvait pas le lui reprocher, mais cela ne l’empêchait pas encore de temps de temps de lui proposer de lui tatouer quelque animal-totem. Même un tout petit.
Si Teos savait quelles pensées il lui arrivait de nourrir à propos de Nalen, il ne manquerait pas à coup sûr de le lui faire payer.
"Quand on parle du loup," songea Wulfen. Il aperçut Teos rejoindre sa protégée.
Le garçon était devenu un bel athlète. Il plaisait beaucoup aux autres jeunes filles. Mais lui n’avait d’yeux que pour Nalen, et ce, depuis longtemps déjà.
Wulfen se demandait souvent à quel moment il se déciderait à lui déclarer sa flamme ou à défaut à lui demander conseil. Mais là, il ne fallait pas rêver. Il existait trop d’amertume entre eux pour que Teos s’abaisse à de telles extrémités. Dommage pour Nalen, se dit le Guerrier. Il ressentit brusquement le regard acéré du garçon sur lui. Sa présence semblait lui déplaire. Certains jours, sa rancœur était exacerbée. Aujourd’hui devait être de ces jours. Valkya, sa compagne de toujours, vint rejoindre les deux adolescents. Elle adressa un signe à l’attention du loup indiquant un message urgent. Wulfen comprit qu’il était temps de reprendre forme humaine.
Il rebroussa chemin et courut réintégrer son corps de Guerrier.
- Ils sont revenus ? s'enquit Wulfen, plein d'espoir.
Il avait rejoint sa compagne sur la grand-place, mais à l'écart des autres, près d'une échoppe désertée.
Le visage de Valkya s'assombrit quelque peu.
- Aegern a le pigment.
Wulfen comprit ce qu'il était advenu de Damas. C'était un brave Guerrier et un ami fidèle. La victoire avait un goût amer.
Teos se planta soudainement devant Wulfen, les poings serrés et le défiant du regard :
- Pourquoi n'as-tu pas envoyé plus d'hommes ? Damas serait encore en vie, à l'heure qu'il est.
Wulfen soupira d'exaspération. Il aurait aimé se passer de la corvée de se justifier auprès d'un simple membre du clan, ce qu'était Teos finalement.
- Plus d'hommes aurait empêché la discrétion nécessaire à cette mission. Et en conséquence aurait sonné comme une déclaration de guerre.
- Mais c'est bien ce que tu viens de faire en décidant de les envoyer là-bas !
- Leur mission était de voler le pigment sans se faire voir, afin que les soupçons ne puissent pas se porter sur notre clan.
- Alors c'est de leur faute, c'est ça ?
- Je n'ai pas de compte à te rendre, Teos. Par contre Aegern m'en doit.
A ces mots, Wulfen s'éloigna, laissant le jeune homme se consumer de colère sur place. Valkya le prit dans ses bras pour le réconforter. Elle seule en avait le pouvoir et surtout le droit. Même si elle était la femme de Wulfen, étrangement, elle avait réussi à tisser un lien privilégié avec Teos. Sûrement parce que sa mère et elle avaient été proches à une époque, Valkya faisant parfois office de nourrice. Wulfen et elle n'avaient pas d'enfants. Un choix possible quand on était à la tête du clan.
Les murs d'un blanc immaculé de la Grande Salle formaient un dôme parfait percé d'une multitude de meurtrières qui laissaient passer au quotidien la lumière naturelle du soleil en un entrelacs fantastique de faisceaux.
Le jour, encore jeune, n'émettait pour l'heure que de timides rais affleurant les ouvertures et la pénombre n'était combattue que par le timide rougeoiement de quelques feux moribonds.
L'allée bordée de braseros diffusant une odeur d'encens apaisante était bondée comme à une assemblée officielle. Mais lorsque Wulfen parut à l'entrée, en un instant, elle fut désertée. Seul un homme resta assis face au Chef du clan. Il tenait un coffret argenté aux motifs complexes dans ses mains tremblantes donnant l'illusion qu'il était animé d'une vie propre. On aurait pu le croire plus aisément en connaissant la nature précise de son contenu.
Lorsque Wulfen s'immobilisa devant lui, Aegern Valinas se redressa. Son visage était empreint d'une solennité glacée. Il tendit le coffret parce que c'était la seule chose à faire, mais le poids qu'il paraissait supporter ne s'allégea pas pour autant.
- C'est fait, se contenta-t-il de dire.
La mort de Damas pesait sur les deux hommes, sur le village entier. Wulfen aurait dû ressentir de l'embarras à défaut d'une franche culpabilité. Mais fidèle à lui-même, il interrogea sans le moindre état d'âme :
- Il s'est sacrifié, n'est-ce pas ?
Aegern hocha simplement la tête.
Les traits de Wulfen se durcirent. La mort de Damas le peinait bel et bien lui aussi. Il l'exprima à sa manière :
- Il ne fallait pas qu'ils vous voient, c'était la condition. Vous le saviez tous les deux. Damas en a payé le prix et il se peut que d'autres que lui le payent dans un avenir proche.
Aegern tressaillit. Evoquait-il un châtiment ? Wulfen punissait rarement, mais quand cela se produisait, c'était une leçon qu'on retenait toute sa vie.
Comme s'il avait lu dans ses pensées, le Chef du Clan ajouta froidement :
- Si notre village est attaqué, tu seras le premier à juger votre maladresse à sa juste mesure.
Aegern aurait pu expliquer que rien que pour atteindre le coffret, ils avaient évité de nombreuses patrouilles et déjoué un nombre incalculable de pièges. Mais seul le résultat comptait. L'obtention du Pigment de Méfisto n'était plus la victoire espérée dès lors qu'elle était connue de lui. Elle avait perdu sa valeur. Le vent soufflait à nouveau sur les braises de la guerre. Wulfen pouvait presque en sentir la chaleur sur son corps. Comme pour faire écho à son trouble, son tatouage frémit un bref instant. Pour lui, c'était évidemment un mauvais présage.
La main apaisante de Valkya choisit ce moment pour étreindre son bras.
- J'ai réuni tout le monde sur la Grand-Place. Il est temps de les mettre tous dans la confidence.
Wulfen esquissa un rictus. Il aurait tellement aimé pouvoir annoncer une bonne nouvelle. Il s'était trop imaginé en sauveur de son peuple pour ne pas ressentir le cruel poison de l'humiliation. Mais personne ne lui ferait de reproches. Hormis Teos. Parfois il se disait qu'il faisait fausse route. Mais l'impression disparaissait aussi vite qu'elle naissait dans son esprit. Sans doute une question de survie pour lui.
Juché sur un rocher affectant la forme d'une tête de loup, Wulfen dominait l'assemblée. Il jeta plusieurs regards suspicieux vers les cieux, comme dans la crainte de voir une armée lui fondre dessus. Ce qui, compte-tenu des circonstances, n'était pas improbable.
Sa voix puissante se fit entendre, faisant taire les murmures et dominant le souffle du vent qui s'était levé :
- Damas a péri cette nuit contre notre ennemi. C'était un brave Guerrier, respecté de tous.
Les têtes s'inclinèrent. Il n'y aurait pas de cérémonie officielle. Chacun honorerait le défunt selon sa volonté. Il n'y avait plus de cérémonie depuis que la guerre les avait privé du temps nécessaire pour pratiquer les rituels mortuaires.
Après une courte pause, Wulfen reprit avec conviction :
- Je vous laisserai seuls juges pour savoir si ce que nous avons obtenu méritait cette perte.
Sans plus de préliminaires, il dévoila le coffret d'argent qu'il tenait jusqu'alors dans son dos :
- Nous avons le Pigment de Méfisto !
Sa déclaration retentit comme un cri de guerre alors qu'elle était censée tous les apaiser pour le futur du clan. Wulfen lui-même s'en rendit compte, mais cela n'empêcha pas les poings de se lever et de formidables clameurs de victoire de saluer cette annonce. Le clan était avec lui, comme toujours.
C'est alors qu'il remarqua Teos au milieu des autres, comme l'incarnation vivante de ses doutes, évidemment le seul qui ne se réjouissait pas. Il le vit le fusiller du regard, grimacer comme pour le provoquer avant de se fondre dans la foule.
Wulfen déglutit. Son devoir de Chef n'était pas terminé. Il était maintenant temps d'annoncer les mauvaises nouvelles. A quelques mètres sur sa gauche, Valkya lui sourit tendrement pour lui insuffler force et sérénité. Et cela fonctionna, comme toujours.
Suite à sa déclaration tonitruante, les langues s'étaient inévitablement déliées et les questions commençaient à fuser. Il brandit sa paume droite en avant afin de réclamer le silence.
Le vent soufflant dans les allées poussiéreuses se fit à nouveau entendre avant que la voix de stentor de Wulfen ne lui ravisse à nouveau l'attention de son auditoire, qui de toutes façons, n'avait d'yeux que pour lui en une heure aussi grave :
- Nous avons obtenu le Pigment de Méfisto, mais il est vital de reconnaître que nous avons du même coup récolté sa colère. Car il sait que nous l'avons.
Il n'adressa aucun regard à Aegern, mais ce dernier, connaissant sa faute et résolu à l'assumer, se fraya un chemin dans la foule et s'avança devant la tribune. Il fit face à la foule, et appuyant un genou au sol, la dévisagea avec une sorte de fièvre intérieure, sans mot dire, tous les muscles tendus de son visage comme offerts en sacrifice.
Satisfait, Wulfen, poursuivit :
- Vous savez ce que cela implique. Ma priorité a toujours été...
- Viens, dit Teos.
Nalen paraissait hypnotisé par le Chef du Clan. C'est à peine si elle avait conscience de la présence du jeune homme à ses côtés.
Ordinairement, Teos avait toujours du mal à obtenir son attention et de tenter d'y parvenir en de telles circonstances représentait dès lors un défi de taille. Un autre jour, il aurait peut-être abandonné immédiatement. Mais ce jour-là, son orgueil était vivace, et sa récente altercation avec Wulfen n'était sans doute pas étrangère à cela.
- Viens, son discours, on le connait par coeur. J'ai quelque chose à te montrer. C'est très important.
Nalen parlait rarement. Au point que certains la considéraient encore comme muette de naissance. Elle se contenta de brandir sa paume droite comme l'avait fait Wulfen quelques instants plus tôt sans même détourner le regard. Teos fulminait. Il lui fallait cette victoire, mais s'il n'osait pas quelque chose d'inédit, c'était peine perdue, il le savait. Alors, le coeur battant à tout rompre, les jambes flageolantes, il fit ce qu'il n'avait jamais espéré faire un jour. Il prit la main de la jeune fille et la tira vers lui, l'obligeant à plonger ses yeux dans les siens :
- Viens avec moi, Nalen !
L'intéressée ne put cacher le trouble généré par ce geste. La bouche entrouverte, ses yeux noisette écarquillés, elle dévisageait Teos dans l'attente des évènements, docile. Ce dernier sourit, aussi fière de lui que touché par l'émotion qu'il venait de faire naître entre eux.
Il se mit à courir, entraînant Nalen avec lui. Elle le suivit de bon gré, finalement enivrée par la surprise et le mystère. Elle eut bien un frémissement lorsqu'elle comprit qu'ils sortaient du village, en direction de la forêt, mais son esprit était trop avide de liberté pour s'effrayer d'aussi peu.
Wulfen était en train d’alerter le Clan sur de prévisibles représailles de la part de Méfisto lorsque Valkya se posta près de lui pour lui murmurer :
- On vient de m’informer que des Eclaireurs ont rencontré Méfisto à la Croisée des Vents.
Les yeux de Wulfen grossirent sous le coup de l’émotion et sa mâchoire se crispa. La réalité venait d’épouser ses craintes bien plus tôt qu’il ne l’aurait cru.
- Que veut-il ?
- Seulement te parler.
- Très bien, je vais le rejoindre là-bas.
- Non. Il est déjà ici.
- Quoi ?
- Il est venu en paix. Avec un présent.
Wulfen tenta de calmer son esprit tourmenté. Une réconciliation ? C’était trop beau pour être vrai.
Il observa son peuple : sa foi, son inspiration depuis toujours. La confiance aveugle qu’ils avaient tous en lui ne devait plus se payer avec le prix du sang. Il fallait qu’il accepte ce qui pouvait constituer une injure à ses yeux, voire un crime. L’avenir du Clan en dépendait.
Il expira bruyamment :
- Très bien, je vais lui parler. Mais je préfère envisager le pire. Fais en sorte que tout le monde soit prêt au combat. Fais réviser les tatouages qui en ont besoin par Fadel. Je vais retenir Méfisto aussi longtemps que possible. Il n’attaquera sûrement pas aujourd’hui, mais je préfère ne pas prendre de risque. J’en ai assez pris je crois.
Valkya acquiesça. Elle l’embrassa vivement et une seconde plus tard elle était déjà toute à sa tâche.
Wulfen dépassa le cortège de sentinelles. Il ne redoutait aucun débordement de ses hommes. Il les savait trop raisonnables. Ce qui allait lui être d’un grand secours pour tenter de calmer l’esprit échauffé de son ennemi juré qui avait lui aussi subi une perte irréparable.
Méfisto était escorté de plusieurs Guerriers et Soldats que Wulfen reconnut du premier coup d’œil. Certains d’entre eux avaient fait partie de son propre clan plusieurs années auparavant. Cela aurait pu remettre en question sa manière de diriger, mais il s’était davantage convaincu de la faiblesse de leurs esprits et du pouvoir de conviction de Méfisto.
Ce dernier arborait une tenue simple au même titre que son expression. Indéchiffrable aurait été plus juste.
- Nous savons tous les deux ce que je suis venu chercher.
- Tout comme nous savons tous les deux que je ne te le donnerai pas.
- Je ne veux pas la guerre. Tout comme toi je suis un homme de paix. Je te donne une dernière chance de l’éviter.
- Tu as tué Damas et tu viens me parler de paix !
- Il serait encore en vie s’il n’avait pas joué les cambrioleurs. Dois-je te rappeler sur les ordres de qui il agissait ?
Wulfen contint sa colère. Il savait que Méfisto cherchait à le déstabiliser et plus encore à le faire passer pour le méchant aux yeux de son Clan. C’est sans doute ainsi qu’il était parvenu à convertir des hommes à lui à sa cause.
Plus aucune chance que cela se produise désormais. Il avait bien veillé à cela.
Méfisto reprit :
- Cela dit tes hommes ont été très efficaces, d’une absolue discrétion. Sois-en persuadé. Malheureusement pour eux, et pour toi, j’ai acquis un sixième sens extraordinaire grâce à l’usage répété de notre art. Je peux faire sortir mon esprit de mon corps sans même avoir recours à mon tatouage. Pas très loin, certes, mais cela donne déjà quelque résultat.
A ces mots il produisit l’objet qu’il avait jusqu’alors tenu secret dans son dos.
La tête de Damas Slang atterrit devant les pieds de Wulfen.
Alors seulement, Méfisto fit éclater sa rage :
- Qu’est-ce qu t’en dis, Wulfen ? Ca valait le coup de t’introduire chez moi et de me voler mon bien ?
Le choc de cette vision ébranla nettement Wulfen. L’une de ses jambes ploya comme sous l’effet d’un formidable coup de masse. Méfisto ne sourit pas, mais sa satisfaction à voir son rival ainsi fragilisé fut tout aussi manifeste. Et c’est avec un air terriblement serein qu’il déclara :
- Je ne suis pas venu négocier avec toi, Wulfen. Sans Pigment, on n’a plus rien à perdre.
Il leva un bras et ses doigts s’écartèrent d’un seul coup. Des cris retentirent aussitôt dans le ciel. Une armée d’imposants oiseaux de proie portant des Soldats ennemis dans leurs serres et conduit par un griffon de la taille d’un cheval descendit en piqué sur le village. Le griffon lui-même transportait deux Guerriers.
Wulfen comprit qu’il était tombé dans une embuscade. Il aurait dû s’alarmer davantage de ne pas voir le puissant Kurgan Kotkas aux côtés de son chef. Peut-être qu’il devenait trop vieux. Mais ce n’était guère le moment de s’apitoyer. Il entendait déjà les clameurs des premiers affrontements dans le village.
Méfisto venait de disparaître derrière sa garde rapprochée.
Deux Ecorcheurs s’avancèrent armés chacun d’une paire de griffes. La fonction de ces Soldats était on ne peut plus précise : s’ils ne pouvaient tuer le Chef du Clan ennemi, ils devaient impérativement l’affaiblir, en défigurant son tatouage afin de lui faire perdre de sa puissance jusqu’à le rendre totalement inopérant dans le meilleur des cas.
Wulfen esquiva promptement la première attaque, il plongea sous le bras armé et d’un formidable uppercut terrassa le premier homme. Le second Soldat exécuta un arc de cercle dévastateur devant lui. Le Guerrier-Loup se jeta au sol et balaya les jambes de son adversaire. Ce dernier parvint à garder l’équilibre en s’appuyant sur la hampe d’un étendard fichée dans le sol, mais prenant appui sur elle, Wulfen se redressa en un tournemain et bondissant tel un fauve, il joignit ses mains au-dessus de sa tête et enfonça le nez du Soldat dans son visage avec cette massue improvisée.
De son passé de Soldat il lui restait encore quelques restes qu’il entretenait le plus souvent possible. Le plus gros risque pour un Guerrier était de ne plus savoir se battre sans user de l’inKarnation*.
Voyant un groupe d’ennemis mieux armés faire mine de s’approcher, il se retrancha dans le village, escorté de plusieurs Gardes.
Fadel Felidae était un blond gaillard à la barbe finement taillée connu pour sa jovialité. Il n’avait pas fini de « réparer » tous les tatouages qui le nécessitaient lorsque la bataille commença. A son grand regret il fut obligé d’annoncer à certains qu’ils ne pourraient pas combattre en tant que Guerrier, mais simplement comme Soldat ou Gardien.
A deux de ces infortunés, ceux qu’on avait baptisé Les Mutilés, il adressa un sourire :
- Me feriez-vous l’honneur de me pouponner durant cette bataille ?
Les deux intéressés comprirent que c’était effectivement un privilège de protéger un Guerrier de sa trempe et ils acceptèrent volontiers.
Fadel s’agenouilla, son dos face à l’entrée de la tente. Ses deux Gardiens ôtèrent son pourpoint révélant un dos orné d’un tigre à la gueule béante. Fadel fit jouer ses muscles donnant l’illusion que l’animal commençait déjà à s’animer.
Les deux Gardiens comprirent que l'InKarnation* était imminente. Ils dégainèrent chacun un coutelas. Fadel ferma les yeux, prit de grandes inspirations et comme on appelle à soi un souvenir qui nous est cher, son esprit appela le Pigment.
Un Soldat de Méfisto armé d'une lance extirpa son arme du corps d'un adversaire avant de s'approcher d'une tente qu'il soupçonnait d'abriter un Guerrier.
Tout à sa tâche de ne faire qu'un avec son animal-totem, Fadel laissait ses deux Gardiens prévenir toute menace pesant sur lui. Hélas dans ce rôle, ils étaient peu expérimentés. Le Soldat empoigna sa lance et arma son bras pour qu'elle transperce le tissu. Un museau de tigre jaillit entre les omoplates du Guerrier et un instant plus tard le félin entier bondissait de la tente et se ruait sur le Soldat qu’il mit en pièces. Il poussa un rugissement retentissant avant de courir souplement vers un autre adversaire.
La taille d'une créature inkarnée* ne dépendait pas de celle du tatouage, mais seulement de la puissance de l’esprit du Guerrier l'animant. Si le griffon inkarné par Kurgan Kotkas était encore loin de rivaliser avec celui des âges mythologiques, il était déjà d’une stature impressionnante et figurait parmi les adversaires les plus redoutables tous clans confondus.
Et pour cause.
Sa spécialité était d’attraper ses ennemis et de les laisser tomber d’une hauteur vertigineuse, ce qui ne manquait pas de jeter l’effroi parmi l’armée adverse lorsqu’elle voyait ses corps chuter comme des pierres et s’écraser violemment au sol. Il aimait encore plus réserver ce sort aux femmes et aux enfants.
Méfisto n’avait même pas eu besoin de l’investir de cette mission. Il se faisait lui-même un plaisir d’être le parfait Exécuteur, celui qui empêchait le clan ennemi de se développer.
* Termes employés dans les Clans. Les Inkarnations sont les créatures issues des tatouages réalisés avec le Pigment et contrôlées par les Guerriers. Jeu de mot avec ink signifiant encre en anglais.
Quatre Gardiens accompagnaient Wulfen vers la Grande Salle pour permettre son Inkarnation dans les meilleures conditions, tandis que trois Soldats dirigés par Aegern couvraient leurs arrières. Ce dernier était conscient que cette bataille était pour lui l'occasion de réparer son erreur et de se libérer du sentiment de culpabilité qui l'habitait depuis la mort de Damas. Il hurla et pointa un doigt vers le ciel lorsqu'il repéra le griffon piquer sur eux après avoir laisser choir une fillette. Aegern resserra sa prise sur sa lance et ayant adapté sa vue à la mobilité de sa cible, il projeta son arme d'un geste puissant, rapidement imité par ses compagnons.
Sous sa forme animale, Kurgan profitait d’un corps robuste, qu’il avait fait gagner en souplesse au fil de ses innombrables combats. D’un battement d’ailes il évita sans mal trois des projectiles fusant vers lui, avant de plonger vers le sol sans quitter des yeux Aegern. La lance que ce dernier brandissait aurait fait sourire le monstre s’il en avait été capable, avant qu’il ne la brise dans son bec tel un vulgaire fétu de paille. L’une des puissantes serres de la créature agrippa le malheureux par la tête, tandis que Kurgan remontait d’une brusque détente. Le visage comprimé par un implacable étau d’écailles, Aegern sentit la peur s’emparer de son esprit alors qu’il se débattait en vain. Il savait que son sort était fixé.
C’est alors que Valkya apparut sur le toit de la Grande Salle, armée d’une fronde géante qu’elle faisait virevolter devant elle d’une manière experte. Lorsque Kurgan réalisa le danger, il était déjà trop tard. La pierre l’atteignit violemment en pleine face, l’éborgnant, et ce faisant, explosa en projetant un nuage de poix. La douleur lui fit lâcher prise et Aegern retomba au sol. La hauteur relative épargna à ce dernier une chute mortelle, mais le choc lui fit perdre néanmoins connaissance. Heureusement pour lui, Fadel l’avait repéré. Le Guerrier acheva un adversaire de ses formidables crocs avant de tirer le corps inerte d’Aegern jusque sous la tente où son propre corps reposait tout aussi inanimé. D’un rugissement, il ordonna aux deux Gardiens de veiller également sur le Soldat inconscient. D’un signe de tête, ils signifièrent qu’il pouvait compter sur eux.
Valkya ne s'assit pas sur ses lauriers. Fine stratège, elle savoura à peine la vision du griffon secouant vainement la tête pour se débarrasser de sa subite cécité. Elle souleva un couvercle camouflé dans le toit de l’édifice et hurla aux occupants :
- Maintenant !
Les meurtrières de la Grande Salle ne servaient pas qu’à faire entrer la lumière du jour. Un déluge de flèches et de lances jaillit des ouvertures. Kurgan eut la présence d’esprit de replier ses ailes pour se protéger, mais cela lui coûta quelques blessures handicapantes pour les combats à venir.
Valkya se laissa ensuite tomber dans la cavité, sa longue natte noire accompagnant le mouvement, avant d’atterrir au centre de la Grande Salle aux côtés de Wulfen qui venait de se mettre en position d’inKarnation.
- Nalen est en sécuritée ?
Valkya émit un sourire audible :
- Je pense que Teos s'en est bien chargée, mais je vais m'en assurer.
Les deux amants, agenouillés face à face, échangèrent un baiser furtif, mais passionné avant que Valkya ne déclare solennellement :
- Kurgan est à moi.
Wulfen eut un sourit carnassier.
- Alors j’ai pitié de lui.
La seconde d’après, leurs Gardiens respectifs ôtaient leur tunique.
Un œil lupin lumineux s’extraya rapidement du tatouage du Chef du Clan tandis que du dos nu de sa compagne commença d’émerger sa propre silhouette métamorphosée.
Quelques combattants oeuvrant à l’extérieur virent simultanément un loup d’une taille extraordinaire s’élancer hors de l’édifice et une amazone en armure sublimée par une paire d’ailes se propulser par le toit. Les deux meneurs du Clan attaqué entraient en action, ce qui signifiait un tournant évident dans la bataille.
Sans même le vouloir, Teos avait conduit Nalen suffisamment loin du village pour qu'ils n'entendent pas les clameurs de la bataille. Mettre de la distance entre Wulfen et sa bien-aimée était devenue une seconde nature pour lui pour ne pas dire un devoir sacré pour honorer leurs parents respectifs.
La vue d'une vertigineuse cascade s'écoulant depuis la forêt au-dessus d'eux acheva de lui faire oublier son altercation. Enfin autant que possible.
- Wulfen t'a déjà proposé de te faire tatouer, j'imagine.
Nalen jouait avec l'eau avec l'innocence d'une enfant. Teos aurait dû profiter simplement de sa compagnie si apaisante et renoncer à relancer un vieux débat. Il n'y parvint pas et il s'en voulut en même temps qu'il crut bon de crever un abscès bien trop mûr.
- Tout dépend du tatouage, non ? Si je me fais une rose ou un petit oiseau, je ne risque pas de rejoindre l'armée du clan.
Teos resta sans voix quelques secondes en entendant celle de la jeune fille. Il se sentit privilégié. Mais très vite, la réponse qu'elle lui avait fait abîma quelque peu son émotion. Car elle n'avait semble-t-il brisé son silence ordinaire que pour couvrir Wulfen. Une fois de plus.
Et c'est dans de tels moments qu'il regrettait l'insouciance aveugle et sourde de Nalen.
- Si tu accordais moins ta confiance à Wulfen, tu saurais qu'il a le don de faire concorder les desseins des autres aux siens. A ton avis, pourquoi Mausolée est parti ? Il s'en est rendu compte, lui, il s'est réveillé.
Nalen cessa de jouer, son visage s'empourpra. Teos comprit qu'il l'avait vexée. Et mentionner Mausolée n'avait fait que jeter de l'huile. Car si elle considérait Wulfen comme une sorte de père, Mausolée était incontestablement un oncle. Son départ l'avait profondément peiné.
Sans un mot, elle prit le chemin du retour, sa démarche exprimant parfaitement l'irritation qui était la sienne.
- Nalen, attends ! On vient à peine d'arriver ! Je ne voulais pas te blesser, tu le sais bien !
Quand Aegern reprit connaissance sous la tente de Wulfen, il pensa immédiatement au coffret contenant le Pigment de Méfisto. Il se releva en poussant un cri de douleur tandis que son corps lui rappelait sa récente chute.
- Tu n'est plus en état de te battre, souligna l'un des Gardiens de Wulfen, son propre corps tendu dans l'attente d'affronter une menace, tandis qu'au dehors les cris et les bruits de coups échangés s'amplifiaient comme le rugissement d'une déferlante.
Teos le défia du regard :
- Peut-être, mais j'ai encore une mission !
Il quitta la sécurité de la tente d'une démarche claudiquante en ignorant une ultime recommandation.
(A suivre)
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dimanche, 08 août 2010
La Quête de la Bonne Fortune [Fanfics/Kaamelott]
La Salle de la Table Ronde.
Arthur – Non, mais c’est pas vrai ! Pas foutus de ramener un trésor ou un objet magique ! Ca fait presque un mois que vous êtes partis, nom d’un chien ! Je vous demande quand même pas de me rapporter le Graal !
Leodagan – Bah, si, justement. A moins que ce ne soit plus à l’ordre du jour.
Arthur – Non, enfin, si ! Mais là, c’était juste pour illustrer mon propos. De toutes façons ça va vite devenir une expression populaire si vous continuez à lambiner comme ça pour le retrouver ! Bon, en tout cas, pour la quête qui nous concerne, c’était pas le Graal que je vous demandais, mais en un mois, je suis peut-être en droit d’exiger un truc un peu costaud quand même ! Au lieu de ça, rien ! Même pas un pet de lapin !
Perceval – Ca s’attrape, ça ? Je savais pas.
Karadoc – Ouais et apparemment, ça vaut de la tune !
Perceval – C’est pas tombé dans l’oseille d’un four.
Leodagan – Pourquoi vous me regardez ? J’étais pas tout seul, je vous signale !
Arthur – Ah oui ? Et on peut savoir qui vous a épaulé pour cette histoire qui restera certainement dans les annales ? Et quand je dis annales, c’est un jeu de mots, vous vous en doutez bien.
Leodagan – Bah, Lancelot, Perceval et Karadoc.
Arthur – Et bah bravo ! Vous étiez quatre en plus ! On peut savoir ce que vous avez foutus pendant un mois à part vider des chopines ?
Lancelot – Sire, je vous trouve injuste. Nous ne ramenons rien de substantiel, certes, mais nous n’en avons pas moins honoré notre devoir de chevalier dès lors que cela nous fut permis.
Karadoc – Qu’est-ce qu’il cause bien, Lancelot !
Perceval – Ouais, comme un bouquin. On comprend rien, mais c’est cossu.
Karadoc – C’est pas faux.
Perceval – Quoi ? Vous savez pas ce que ça veut dire cossu ?
Karadoc – Non, mais vous non plus.
Perceval – Ouais, c’est pas faux. Mais c’est venu tout seul.
Karadoc – Comme un pet de lapin !
Ils s’esclaffent.
Arthur – Dites donc, les deux trous du cul, là ! Ca vous fait marrer les réunions ?
Leodagan – Vous êtes mal luné, aujourd’hui !
Arthur – Ouais, et vous vous êtes cons et ça c’est tous les jours ! Je commence à en avoir plein le fion de voir des bouseux qui se prétendent chevaliers déshonorer ce que ce rang a de sacré pour la plupart des gens à commencer par moi. Un chevalier, c’est pas qu’un gus en armure qui hurle sur un champ de bataille !
Lancelot – Merci, on sait.
Arthur – Vous savez peut-être, mais vous oubliez vite. Et puis, la ramenez pas, vous. C’est pas le jour.
Leodagan – En gros, notre compte-rendu, on peut s’asseoir dessus, si je comprends bien.
Arthur – Quel compte-rendu ? Vous appelez ça un compte-rendu ?
Père Blaise – Je voudrais pas la ramener, mais je ferais remarquer que le compte-rendu, ils ne l’ont pas commencé, justement. Enfin, je dis ça…
Arthur – Oui, bah dites plutôt rien, je préfère.
Lancelot – Bon, ne tournons pas autour du pot. Nous avons échoué. Nous en sommes tous fort contrits. Comment pourrions-nous revenir au plus vite dans votre estime, Sire ?
Arthur – Pour y revenir, il faudrait déjà que vous y soyez rentrés !
Perceval – Donnez-nous une autre quête, Sire. On va la réussir, cette fois.
Karadoc – Ouais, on en a ras le fion, nous aussi, de passer pour des glandus !
Arthur – Si vous la réussissez pas, bande de romanos, je vous jure que je vais prendre goût à la torture !
Le Laboratoire de Merlin.
Merlin – Vous leur avez dit ça ?
Arthur – Qu’est-ce que vous voulez ? Je sais plus quoi inventer pour les motiver. Un mois, non mais vous vous rendez compte ! A quatre ! Et même pas pour chercher le Graal en plus ! Si c’est pas pathétique.
Merlin – Peut-être qu’ils ont pas eu de chance !
Arthur – La chance n’a jamais fait partie des pré-requis pour être chevalier et pourtant ils comptent toujours dessus. Non, c’est sans issue. A moins que…
Merlin – A moins que quoi ?
Arthur – Non, c’est une idée à la con.
Merlin – Dites toujours, ça m’intéresse.
Arthur – Ah, bon ! Pourquoi ? Ah, je vois ! C’est parce que j’ai dit que c’était une idée à la con !
Une route de campagne. Leodagan, Lancelot, Perceval et Karadoc chevauchent côte à côte.
Perceval – Vous avez pris votre arbalète ?
Leodagan – Bah oui, pourquoi ? Ca vous défrise ?
Perceval – Non, c’est pas ça, mais d’habitude, quand vous la prenez c’est parce qu’il y a du gros gibier.
Leodagan – Qu’est-ce que vous racontez encore comme connerie ? On part pas à la chasse aux dernières nouvelles ! Vous avez encore rien bité au tableau, vous !
Perceval – Non, c’était façon de parler.
Leodagan – Avec vous, c’est toujours façon de parler vu qu’on comprend rien à ce que vous dites et vous non plus, d’ailleurs.
Perceval – Non, c’est pas ça. Mais en général, quand vous avez votre arbalète c’est qu’il va y avoir de sacrés loustics à se farcir.
Leodagan – Ouais, c’est pas faux.
Perceval – Tiens, vous savez pas ce que ça veut dire loustics ?
Lancelot – Regardez, on arrive à l’entrée d’un village !
Karadoc – Ca a l’air plutôt désert. C’est con, je me serais bien arrêté pour casser la graine !
Leodagan – Ah, vous et vos auberges !
Perceval – Vous avez rien amené comme case-dalle ?
Karadoc – Si, un jambonneau. Mais je préfère le garder pour plus tard.
Leodagan – Mais dites-donc, Perceval ! C’est pas le genre de paysage que vous placez dans vos compte-rendus à tire-larigot ?
Perceval – Où ça ?
Leodagan – Rien. Je me parlais à moi-même.
Lancelot – Je vois ce que vous voulez dire. Effectivement, c’est très frappant.
Leodagan – Ouais, manquerait plus qu’on voit débarouler…
Lancelot – Un vieux ?!!
Un vieillard dans une robe miteuse sort d’une cahute et s’avance sur la route.
Perceval – Ah, vous voyez que ça arrive. J’invente pas tout !
Karadoc – On dirait qu’il vient vers nous.
Leodagan – En même temps, à part nous, y a pas grand monde dans la place.
Le vieux – Mon dieu, c’est la providence qui vous envoie ! Vous êtes des chevaliers !
Karadoc – La vache, il a l’œil !
Leodagan – On se demande bien comment. Il est aveugle !
Perceval – Les aveugles, ils ont une sorte de sixième sens comme les chauve-souris. C’est ma grand-mère qui m’a raconté ça.
Leodagan – Le soir, pour vous endormir.
Leodagan et lancelot s’esclaffent de manière complice.
Le vieux – Vous êtes des élus du Seigneur. Il a entendu ma prière. Vous venez délivrer ce village du mal absolu !
Karadoc – Le mal absolu ? Ca pue du cul, ça !
Lancelot – Ouais, mais ça peut rapporter gros. Et c’est justement ce qu’il nous faut pour redorer notre blason.
Leodagan – Dites voir en quoi ça consiste et on se fera un plaisir de vous rendre service.
Le vieux se détourne de Leodagan avec un sourire et se rapproche de Perceval.
Leodagan – Qu’est-ce qu’il lui prend ? Ma gueule lui revient pas ou quoi ?
Lancelot – Ca m’étonnerait, vous l’avez dit vous-même. Il est aveugle.
Perceval – C’est pas votre faute, Leodagan. Ca vient de moi. J’ai toujours eu des accointances avec les vieux.
Karadoc - ???
Leodagan - ???
Lancelot - ???
Le vieux - ???
Perceval – Je me suis encore gourré de mot, c’est ça ?
Le vieux pose la main sur la jambière de Perceval.
Le vieux – Je vois en vous une grande destinée, Messire Chevalier.
Leodagan – On va peut-être rentrer à Kaamelott et vous laisser tailler le bout de gras puisqu’on compte pour du beurre.
Karadoc – Arrêtez, j’ai déjà la fringale !
Perceval – Le prenez pas comme ça. C’est comme je vous ai dit. Les aveugles ils voient des choses que nous on peut pas voir.
Leodagan échange un sourire avec Lancelot.
Leodagan - Pour ça, on vous croit volontiers.
Perceval sort de la cahute du vieux et revient vers ses compagnons qui l’attendaient à cheval.
Lancelot – Alors ? Ca fait plus d’une heure que vous êtes là-dedans !
Leodagan – Si vous me dites que vous avez rien compris à ce qu’il vous a dit, je vous préviens, je vous pète une jambe !
Karadoc – Il vous a refilé à bouffer ?
Perceval – Il m’a donné ça !
Il exhibe un petit rectangle de panier jauni.
Lancelot – Qu’est-ce que c’est ? Un plan ?
Perceval – Tout juste. Mais vous savez bien que les cartes et moi…
Lancelot – Oui, on est un peu au courant. On se charge du plan. Pour le reste ?
Perceval – Et bien, ça a l’air plutôt coton. Il a dit qu’il y avait une petite armée de créatures plus petites que des orcs, mais plus grandes que des lutins.
Leodagan – Je comprends que vous vous soyez bien entendus. Il est aussi doué que vous pour les descriptions.
Lancelot – Un instant ! Plus petites que des orcs, mais plus grandes que des lutins…Ce sont des gobelins, si je ne m’abuse !
Karadoc – Aïe ! Là, ça daube carrément !
Leodagan – Des gobelins ! Mais laissez-moi rire ! Des gobelins, le mal absolu ? Ah, ça pour sûr qu’il est gâteux en plus d’être miro, le vieux !
Il arbore son arbalète de façon menaçante.
Leodagan – En tout cas, je peux vous dire que si c’est des gobelins, je vais en laisser plus d’un sur le carreau !
Perceval – C’est pas plutôt le contraire ?
Leodagan – Non, mais, ho ! Vous croyez quand même pas qu’ils vont me faire la peau ! Vous allez voir !
Perceval – Non, c’est pas ce que je veux dire.
Leodagan – Je préfère.
Perceval – Non, vous avez dit « Je vais en laisser plus d’un sur le carreau ». Votre arme, là, ça tire bien des carreaux ?
Leodagan – Oui, jusqu’à preuve du contraire !
Perceval – Et bien vous auriez dû dire : je vais laisser plus d’un carreau sur eux au lieu de « Je vais en laisser plus d’un sur le carreau ».
Leodagan - ???
Perceval – Bah oui, vous tirez pas des gobelins sur vos carreaux, c’est plutôt le contraire. C’est pour ça que je me suis permis. Mais vous en faites pas, ça arrive à tout le monde de se tromper. Moi le premier.
Leodagan – Ma parole, c’est moi ou vous faites des progrès ?Enfin quand je dis progrès, façon de parler. Vous pigez mieux les mots, mais alors côté expressions, je vois que c’est toujours le bordel dans votre tête. Disons que vous faites des progrès à la Perceval.
Lancelot – Si on en revenait à nos gobelins. Le vieux vous a dit combien ils étaient ?
Leodagan – Ouais, ça peut éventuellement faire pencher la balance d’un côté.
Lancelot – A-t-il mentionné un quelconque trésor, une récompense ?
Les yeux de Leodagan se mettent à briller.
Leodagan – Ca aussi, ça peut faire pencher la balance.
Perceval – Attendez, j’essaie de me souvenir.
Leodagan pointe son arbalète armée vers lui.
Leodagan – Comme c’est mon jour de bonté, je vais vous aider un peu, mon petit.
Plus tard.
Lancelot – Bon, je résume : tout le village disparu sauf un vieux. Une trentaine de gobelins dans une grotte à une lieue. Et peut-être l’or des habitants en guise d’adieu.
Leodagan – Vous êtes obligé de faire des rimes ?
Lancelot – Euh, ce n’était pas voulu. J’imagine que c’est le lyrisme du contexte.
Leodagan – Le lyrisme du contexte ! Je t’en foutrais du lyrisme ! Ca sent le coup fourré à plein nez, ouais !
Karadoc – Ah, je vous l’avais dit ! Elle est daubée du cul, cette mission !
Leodagan – Oui, comme vous dites. Ce vieux m’a tout l’air d’être là pour envoyer les dindons comme nous tout droit au casse-pipe avec un conte de bonne femme !
Lancelot – Un complice des gobelins ? Vous croyez ?
Leodagan – Et comment que j’y crois ! Il livre les voyageurs et mercenaires de tout poil à une vermine sans nom et en échange elle lui laisse la vie sauve. Le coup classique.
Karadoc – Le salaud ! Il a de la chance d’être aveugle !
Leodagan – Ah, parce que vous croyez que ça va m’empêcher de l’épingler, peut-être !
Perceval – Vous allez quand même pas lui tirer dessus ? C’est qu’un vieux !
Lancelot – Perceval a raison. C’est tout à fait indigne d’un chevalier.
Leodagan – C’est peut-être indigne d’un chevalier, mais c’est tout à fait digne de moi et ça me suffit. Vous êtes tous prévenus : si jamais c’est un piège, j’ajoute la tête de ce débris à ma collection de trophées. Elle fera pas tache, vous en faites pas !
Perceval – Alors ça veut dire qu’on y va quand même ?
Leodagan – Vous rigolez ? Bien sûr qu’on y va ! Les gobelins et moi, on a un vieux compte à régler. Ou plutôt un déficit à combler.
Les quatre chevaliers marchent en file indienne dans la pénombre d’une grotte.
Perceval – La vache ! On y voit comme à travers une pelle !
Lancelot – Ne vous avais-je pas dit d’emmener des torches ? Ce n’est jamais en trop dans un équipement.
Karadoc - Ca va qu’il y a encore la lumière du jour. Mais bientôt, on sera trop loin de l’entrée.
Lancelot – Ah, il va bien se marrer le Roi quand on va lui raconter ça !
Léodagan – En même temps, rien ne nous y oblige.
Lancelot – Je suis désolé, un compte-rendu c’est un compte-rendu !
Léodagan – Encore faut-il qu’il nous laisse parler. Parce que ce matin…
Perceval – Chut ! J’entends quelque chose !
Leodagan – Comment vous pouvez entendre quelque chose ? Vous êtes derrière !
Perceval – Je vous dis que ça couine de mon côté !
Lancelot – Non, c’est pas vrai !
Les autres – Quoi ???
Lancelot – Ils nous prennent en tenailles !
Leodagan – Les fumiers ! Alors y a pas à tortiller. On se retourne et on fonce vers l’entrée !
Les autres – Quoi ???
La bataille fait rage devant l’entrée de la grotte dans un grand bruit d’épées et de clameurs sauvages.
Leodagan massacre un groupe de gobelins en usant de son arbalète comme d’une massue.
Leodagan – Alors, comme ça, on voulait nous enfiler, hein ?
Perceval et Karadoc combattent vaillamment, dos à dos.
En chœur – Venez, bande de tarlouzes, on a pas peur de vous !
De son côté, Lancelot embroche à tour de bras.
Lancelot – Merci, Seigneur, de guider sans faille le bras du juste dans la bataille !
Un gobelin se jette sur Perceval et le met à terre. Karadoc pousse un cri et se jette sur le gobelin qu’il étouffe aussi sec. Il aide ensuite son compagnon à se relever.
Perceval – Sympa, je m’en souviendrai.
Karadoc – C’est rien, vous auriez fait la même chose.
Perceval – Non, mais c’est gentil de le penser.
Ils se retournent et font face à une dizaine de gobelins enragés.
Perceval ramasse son épée et la pointe vers leurs ennemis.
Karadoc – C’est l’heure du jambonneau !
Il s’élance et fait des ravages dans les rangs des gobelins avec son arme improvisée.
Un gobelin attrape la cape de Lancelot et l’envoie à terre en tirant dessus.
Lancelot – Espèce de sale…
Plusieurs autres gobelins lui tombent dessus avant qu’un carreau d’arbalète long comme le bras ne les transperce tous et ne les colle contre un arbre tel un rang d’oignons.
Leodagan apparaît au-dessus de Lancelot. Son visage hilare est couvert de sang de gobelin.
Leodagan – Et une brochette de gob’, une !
Karadoc reçoit un violent coup au bras droit. Il lâche son jambonneau qui atterrit plus loin sur le crâne d’un gobelin. Leodagan se retourne et achève la créature. Intrigué, il ramasse le jambonneau, le renifle, avant de mordre dedans à pleines dents.
Leodagan – Pas dégueu, cette barbaque !
Perceval – Eh, faites tourner !
Karadoc – Un jambonneau, c’est comme une torche.
Il mâchonne un bout de viande.
Perceval mâche aussi.
Perceval – Ah bon ?
Karadoc – Ouais. C’est jamais en trop dans un équipement !
Perceval se fait entailler une joue. Le voyant blesser, les gobelins rappliquent tous sur lui.
Un cri de guerre terrible les interrompt. Leodagan charge droit sur eux, l’arbalète levée, suivi de près par Lancelot, la rage au cœur.
Lancelot – Sus aux suppôts du Démon !
Leodagan – RAAAAHHHHHHHH !
Leodagan fait un carton. Il est comme possédé.
Leodagan – Moi, vivant, vous toucherez jamais à un chevalier ! Même quand il sait pas aligner deux mots correctement. Encore que ça c’est en train de changer.
Les chevaliers victorieux sont revenus au village. Leodagan ressort de la cahute du vieux, l’air contrarié.
Leodagan – Je vous l’avais dit. Il s’est cassé. C’était bien un traquenard.
Lancelot – En même temps, il n’y a pas eu la moindre surprise. Tout ce qu’il nous a annoncé s’est avéré vrai. Le plan était exact, les gobelins étaient là et même le trésor en prime. Alors comme piège, excusez-moi, mais j’ai vu pire.
Leodagan – Ouais, mais vous m’ôterez quand même pas l’idée qu’il s’est payé nos têtes !
Lancelot – Mais qu’est-ce qui vous fait dire ça, à la fin ?
Leodagan – Vous étiez aveugle, vous aussi ? Il a pas arrêté de se fendre la poire. Si ça c’est pas un indice.
Perceval – La vache ! C’est ça un indice ? Je croyais qu’un indice c’était un panneau !
Karadoc – Ca veut rien dire. Les vieux, ils sourient tout le temps. C’est…Comment on appelle ça, déjà ?
Lancelot – Un rictus ?
Karadoc – C’est ça !
Leodagan – Ouais, bah, rictus ou pas, vaudrait mieux pour lui que je le revois pas dans le voisinage. Sinon il pourrait envier le sort de quelques gobelins une fois sa trogne entre mes mains.
A la Table Ronde.
Arthur – Ah, non ! Vous allez pas vous y mettre vous aussi avec les vieux !!!
Leodagan – Je vous jure que c’est vrai ! Même qu’il pouvait pas m’encadrer. Remarquez, c’était réciproque.
Perceval – Il a découvert qu’il avait pas la cote avec les vieux. Faut se mettre à sa place. C’est vrai que c’est dur à encaisser. Moi, ça me ferait mal au cul, en tout cas.
Leodagan – Vous, la ramenez pas ! Ca va comme ça ! Du coup, c’est à Perceval qu’il a fait le topo.
Arthur – Bon, vous allez me faire la version courte. Résultat des courses ?
Leodagan – Résultat ? On s’est farci une plâtrée de gobelins et on a récupéré un coffre de pièces d’or et de joyaux. Et sans une égratignure.
Leodagan remarque la longue cicatrice sur la joue de Perceval.
Leodagan – Oui, enfin presque. En même temps, vous allez pas vous plaindre. Pour une fois que c’est pas en vous coupant un bout de fromage !
Père Blaise – Mais c’est merveilleux tout ça ! Une vraie quête en somme ! Ca fait plaisir ! Perso, j’en veux bien des comme ça tous les jours. Je vous jure que je m’en lasserai pas !
Arthur – Tu m’étonnes ! Vous voyez quand vous voulez ! C’est quand même pas sorcier !
Leodagan – Pourquoi vous me regardez ? J’étais pas tout seul, je vous signale !
Le Laboratoire de Merlin.
Merlin – Alors, ça a marché ?
Arthur – Ouais, même que j’en reviens pas. Carrément au-delà de mes espérances. Primo, ils ont flanqué une dérouillée aux gobelins. Secondo, ils ont trouvé le trésor et l’ont ramené au château. Aussi unis que les doigts de la main. Sauf qu’ils étaient que quatre.
Merlin – Génial ! Et la potion ?
Arthur – Ah, oui, La potion ! Venez voir là, vous !
Merlin se ratatine comme s’il avait peur de prendre des coups.
Arthur – Approchez, je vous dis ! Faut que je vous embrasse.
Merlin – Quoi ?
Arthur – Non, rien. Disons, que ça compense toutes les fois où vous avez foiré vos recettes et vos formules à deux balles.
Merlin – Quoi ? Vous voulez dire que ça a marché ?
Arthur – Ouais et pas qu’un peu. C’est bien simple, ils ont pas été foutus de me reconnaître. Et pourtant ils voient ma tronche tous les jours. Là, je vous tire mon chapeau.
Merlin – Merci, mais faut dire que se transformer en vieux pour les aiguiller sur une quête au trésor, c’est vraiment une idée…
Arthur – A la con, je sais. Ah, au fait. Tenez !
Arthur lance une fiole vide à Merlin.
Arthur – Vous voyez ! La polymorphie, c’est comme le vélo : ça s’oublie pas !
Merlin – Le vélo ?
Arthur – Ouais, aucune idée. C’est venu tout seul !
A la Taverne.
Le tavernier – Alors, cette mission ?
Karadoc s’empiffre.
Karadoc – Du petit lait ! On leur a fait mangé leur froc aux gobelins !
Perceval – Ouais, une vraie sinécure ! Toutes façons, le combat pour un chevalier c’est comme le vélo : ça s’oublie pas !
L’aubergiste - ???
Karadoc - ???
Perceval – Ouais, aucune idée. C’est venu tout seul.
T’as aimé…ou pas
T’as tout lu, tout vu, tout entendu…ou pas
Peu importe, post un com et like la page pour dire que tu existes car ton avis est important pour moi, mais aussi pour le futur de ce blog, un gros merci d’avance !
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mercredi, 14 juillet 2010
Angelina Jolie et moi [Nouvelles/Humouroïd]
Qui n’a jamais rêvé de plonger dans ses grands yeux clairs, si limpides, comme pour s’y purifier ?
Ou de s’échouer sur ses lèvres généreuses comme sur la plage la plus aphrodisiaque du monde ?
Ce jour-là, elle était à Paris.
Moi qui n’ai jamais l’occasion de m’y rendre, j’y étais aussi pour des raisons pour le moins étranges.
Quelques jours plus tôt, j’avais fait l’acquisition d’un médaillon en argent frappé d’étranges symboles évoquant une civilisation antique prolifique, maintenant disparue et réduite sans doute aujourd’hui à quelques ruines éparpillées.
Moi qui avais de gros soucis d’argent, je me voyais déjà troquer l’objet contre une belle quantité d’euros et renflouer ainsi un compte en banque aussi insubmersible que le Titanic.
Un ami m’avait recommandé un expert situé dans le 14ème arrondissement.
Seulement, l’adresse qui correspondait à son enseigne abritait en réalité un magasin de farces et attrapes.
Pour une farce, c’était une belle farce et je faisais un beau dindon. J’avais été bien attrapé en tout cas.
Je me rappelais alors le sourire espiègle de mon cousin en m’offrant le médaillon qui selon lui n’avait aucune valeur et celui de mon ami, s’extasiant à outrance sur les détails du pendentif en me donnant bien trop expressément les coordonnées d’un antiquaire soi-disant réputé.
Comment s’appelait-il déjà ce commerçant ? Monsieur Jérémie Largent de Paris.
En analysant ce pitoyable jeu de mots, tout devint clair. J’avais fait l’objet d’un stupide pari entre mon cousin et mon ami. Qui des deux avait gagné ? C’était bien là le dernier de mes soucis.
Poussant un juron qui choqua un teckel promenant une vieille dame, je décidai de rentrer chez moi sur le champ en élaborant sur mon siège de seconde classe, la plus froide des vengeances.
Et puis, je ne sais pour quelle raison, au moment de tourner les talons pour revenir à la gare, j’ai aperçu dans la vitrine de la boutique quelque chose qui m’a fait oublier mon infortune. Quelque chose qui m’a chuchoté à l’oreille que tout ceci avait réellement un sens et que j’étais sur le point de vivre l’aventure la plus mémorable de toute ma vie.
Car dans la vitrine de ce magasin de farces et attrapes, je ne vis rien de moins que le reflet d’Angelina Jolie.
Je la reconnus immédiatement, au premier coup d’œil. Malgré ses lunettes de star des sixties, son énorme chapeau à ruban, c’était bien elle. J’avais vu trop de ses films et de ses prestations à la télé américaine pour me laisser abuser par quelques accessoires.
J’avais un pouvoir capable de déjouer les stratagèmes les plus élaborés, capable de décrypter les codes les plus hermétiques : j’étais un fan !
Elle portait aussi une robe blanche, éclaboussée par un soleil estival, des chaussures à talon nacrées avec une pointe de bleu et un petit sac à main assorti.
J’avais rêvé cette scène des milliers de fois.
Je ne pouvais donc pas rester les bras croisés à la regarder bêtement s’éloigner. C’était une occasion en or, de celles qui n’ont aucune intention de se reproduire.
Incapable d’élaborer la moindre phrase de circonstance face à mon idole, je décidai de la suivre en espérant trouver en chemin la réplique idéale qui me rendrait instantanément irrésistible à ses yeux. En espérant surtout que la barrière de la langue n’en soit pas une. Mon anglais n’était pas mauvais, mais le sien ne devait pas l’être non plus.
J’étais donc là, en train de filer l’actrice la plus courtisée de la Voie Lactée, à aligner péniblement trois mots dignes de ce nom dans la langue de Shakespeare lorsque je la vis heurter au coin d’une rue deux touristes européens à en juger par leurs vêtements décontractés et leur charmant accent. Un long paquet contenant un bouquet de roses leur était tombé des mains. J’entendis Angie s’excuser et cette initiative ne fit que gonfler l’estime que j’avais déjà pour elle. La scène aurait pu se passer d’être commentée si au moment de ramasser ledit paquet, Angelina n’avait remarqué son contenu pour le moins insolite.
Et c’est alors que tout se passa extrêmement vite.
L’homme en chemise rayée et bermuda écossais beugla une sorte d’avertissement. Angie arracha le fusil à pompe de son enveloppe au milieu d’un magnifique envol de roses.
L’homme en profita pour pointer sur elle un pistolet-mitrailleur. Angie secoua doucement la tête. Son chapeau s’envola, permettant à ses longs et magnifiques cheveux châtains de se déverser et de fouetter au passage le visage bovin de son adversaire. Il tira avec une telle maladresse que sa rafale trouva le moyen de se loger dans le poteau du panneau sens interdit derrière lequel je m’étais réfugié et ce dans une flopée d’étincelles du plus bel effet.
De mon abri, je vis la touriste en combishort kaki et casquette gavroche marmonner dans un micro lilliputien et dégainer un couteau de chasse.
- Angie, attention !
Sur le moment, j’ignore si elle m’entendit. Toujours est-il qu’elle prit le temps de sourire avant de soigner les caries du criminel au calibre 12. Elle prit sa paire de lunettes par une branche et l’envoya - d’un geste élégant, mais d’une précision redoutable – chausser le nez de la touriste qui s’en trouva toute penaude. Angie s’engagea avec elle dans un furieux corps à corps, parant la lame aiguisée avec le canon de son arme et frappant rageusement de la crosse.
Derrière mon poteau, je l’encourageai du mieux que je pouvais.
La touriste encaissa deux coups qui auraient décroché la mâchoire d’un boxeur poids lourd avant d’être aculée contre un réverbère. Angie récupéra ses lunettes et lui colla son fusil entre les seins. Avant de se raviser. Elle esquiva une dernière fois la lame vivace avant de tordre le bras de sa rivale avec son fusil, de récupérer son arme et de lui ouvrir une seconde bouche en travers du visage.
Comme toutes les roses n’avaient pas encore eu le temps de retomber, Angie en pêcha une au passage, qu’elle coupa avec les dents avant de la glisser dans ses cheveux. La seconde d’après, elle était de nouveau prête à en découdre, le fusil à pompe dans une main, le pistolet-mitrailleur dans l’autre et le couteau de chasse entre les dents.
Là, j’ai cru que ma mâchoire inférieure allait se faire la malle sur le trottoir.
Je l’entendis siffler ce qui eut le don de me ramener un peu à la réalité.
Je pensais qu’elle appelait un taxi, mais comme elle regardait avec insistance dans ma direction, je compris qu’elle s’adressait à moi. Je quittai ma cachette, complètement ankylosé. Je me mis à avancer vers elle, dans un état second, m’attendant à tout instant à entendre le réalisateur du film criez : « Coupez ! » ou plus encore la sonnerie de mon réveil pour m’annoncer que tout ceci n’était qu’un rêve.
Mais rien de tout cela ne se produisit. Je continuai à avancer vers Angelina Jolie si bien que je finis par me trouver face à elle, face à la légende vivante qu’elle incarnait pour moi depuis tant d’années.
Je ne vais pas me lancer une nouvelle fois dans un concert de louanges vantant sa plastique et plus particulièrement sa beauté féline.
Mais disons qu’à ce stade de l’aventure, ma mâchoire inférieure prit définitivement le large.
Angelina avait toujours le couteau entre les dents et pourtant je compris parfaitement ce qu’elle me dit. A l’école, j’avais dû prendre anglais avec option.
- Mets les vêtements du type !
Dans toute autre circonstance, j’aurais un peu fait la sourde oreille à ce genre d’invitation, mais là, on peut dire que c’était un cas de force majeure.
Chacun de notre côté, on a déplacé un cadavre jusqu’à un endroit plus discret et on a échangé nos vêtements avec celui du mort.
Non, je n’ai pas trop pris le temps de mâter la belle Angelina en sous-vêtements. Je voulais tellement pas la décevoir que j’ai enfilé consciencieusement la chemise à rayures et le bermuda écossais en serrant ma ceinture au maximum pour ne pas qu’il me tombe sur les chevilles. J’ai retrouvé Angie en combishort kaki, la tête enjolivée d’une casquette gavroche.
Elle était ravissante évidemment. Tout lui allait. Comme si les habits eux-mêmes savaient à qui ils avaient affaire et qu’ils se mettaient en devoir de s’adapter à ses courbes personnelles.
J’ai mieux compris pourquoi elle avait évité de mettre du sang sur les fringues des pseudos touristes au moment de les achever. Manifestement, elle avait prévu depuis un certain temps qu’on allait prendre leur place.
Comme pour confirmer son plan, une Mercedes noire s’est arrêtée à notre hauteur. Une vitre teintée s’est baissée. Angie m’a balancé le pistolet-mitrailleur - que j’ai rattrapé de justesse – avant de dire quelque chose dans la langue des touristes. De l’espagnol ou de l’italien peut-être, j’ai toujours confondu les deux. Elle a dû dire un truc gentil au chauffeur ou mentionné un code ultra secret car la portière s’est ouverte et moins d’une minute après, on était sur la banquette arrière en route vers une destination totalement inconnue.
Je n’avais guère le temps de me remettre de mes émotions. Je transpirais, mais j’espérais qu’Angelina ne le remarquerait pas. Ca ferait tache, c’était le moins qu’on puisse dire. Et puis on devait passer pour des terroristes professionnels quand même !
Une seconde, là ! Qu’est-ce que je viens de dire ? Des terroristes professionnels ???
Bon après tout, j’étais avec la femme de ma vie. Cela méritait bien quelques désagréments.
- Au fait, me dit-elle du ton le plus badin qui soit, je ne t’ai pas remercié quand tu m’as prévenue tout à l’heure.
Et là, je peux vous dire que j’étais prêt à jouer mon rôle de terroriste professionnel à la perfection car en guise de remerciement Angie m’a carrément embrassé sur la bouche.
Oui avec sa bouche ! Un vrai goût de paradis...
Je commençais à peine à planer lorsque la voiture s’est arrêtée. J’ai laissé ma compagne faire la discussion et régler la course et l’instant d’après on se retrouvait devant les portes d’un restaurant quatre étoiles. Là-dessus, Angelina m’a regardé droit dans les yeux :
- T’as faim ? Moi, je mangerai une vache !
Sa réplique n’avait rien d’extraordinaire, j’en conviens, mais parce que c’était elle et parce que c’était moi, j’ai cru qu’elle m’avait récité un poème. J’ai bien failli m’évanouir. Je n’étais guère habitué à vivre autant d’émotions en si peu de temps. Je me sentais comme vidé.
Manger un peu allait sûrement me faire le plus grand bien, pensai-je naïvement.
Angelina aimait le bon vin français. Je ne buvais pas une goutte d’alcool.
On était fait pour s’entendre.
- Trinquons, dit-elle, en levant son verre dans un grand déballage d’émail.
En un éclair, j’avais rempli le mien et je faisais tinter le cristal en m’émerveillant de son éclat dans les yeux de ma compagne.
- A Paris, la Capitale de l’Amour et des amoureux !
J’avais parlé sans m’en rendre compte et de la même manière je vidai mon verre d’un trait.
J’ignore si cela vint de ma formule ou du fait que je faillis m’étrangler, mais Angie s’esclaffa. Et maintenant que j’ai eu la chance de l’entendre, je peux vous assurer que le rire d’Angelina Jolie est certainement le remède à 99% des problèmes dans le monde.
Note : Un peu travaillé, il pourrait même certainement guérir le cancer. Je ne manquerai pas de me pencher sérieusement sur la question si jamais je sors vivant de cette aventure !
- Dire que je suis ici, avec vous, simplement à cause de ça.
Tout en disant cela, j’exhibai le médaillon si généreusement offert par mon cousin. En pensant à lui et à mon ami se moquant de moi, j’eus soudain très envie de les appeler pour leur raconter dans quelle exquise galère j’étais embarqué grâce à leur méchanceté. Mais je craignais trop que dans ce cas ils s’attribuent le mérite – même accidentel – de ma rencontre miraculeuse avec…
Angelina m’arracha littéralement le médaillon des mains. Nos doigts se touchèrent l’espace d’un instant et mon cœur entonna la Marseillaise.
- Mon dieu, mais c’est le médaillon de Tankpur Jilah ! Je reconnais les symboles !
Comme ma mâchoire inférieure était aux abonnées absentes, mes yeux décidèrent de prendre le relais et exprimèrent à leur tour le besoin de s’extirper de mon visage, l’air de rien.
- Quoi ?
Ma compagne étudiait l’objet avec une telle passion que je le jalousais.
- C’est un véritable artefact. Selon la légende, il possèderait des pouvoirs incommensurables. Mais uniquement dans la main de l’élu.
- On joue dans le prochain Tomb Raider, c’est ça ?
Elle me fixa, éberluée. Je compris que j’avais dit une idiotie.
- Ah, non, c’est une nouvelle série !
Nouveau regard appuyé de l’intéressée.
Elle colla alors le médaillon sur mon front et attendit une réaction.
- Il faut que je sache si c’est toi.
Malgré son sérieux à elle et tout ce qui m’était arrivé auparavant, je n’arrivais pas accrocher à cette histoire d’élu et de pouvoirs mystiques. Ca devenait trop ambitieux. J’ai toujours aimé cultiver mon imagination, mais elle-même commençait à y perdre son latin.
- Pourquoi tu me demandes pas plutôt de tirer sur les ailes d’une mouche, comme dans Wanted ?
Sa gifle eut le don de me ramener dans sa réalité à elle.
Je préférais son baiser, mais ça restait quand même un contact privilégié avec mon idole.
- Comment as-tu pu entrer en possession d’un objet aussi précieux si tu n’es pas l’élu ?
- Et bien, en fait, c’est mon cou…
Je m’interrompis à temps. Comment aurais-je pu introduire dans une conversation avec Angelina Jolie mon enfoiré de cousin, collectionneur d’oiseaux morts et de paris débiles ? Non, je pouvais faire mieux que ça. Je me décontractai et produisis un sourire étudié :
- C’est mon courage qui m’a entraîné sur la piste d’un ami archéologue…
Nouvelle gifle. Contact très rapproché. Très privilégié.
Je stoppai un saignement de nez avec un mouchoir brodé à mes initiales.
- T’as la main dure, Angie ! Je ne suis pas de taille pour cette opération, je crois. Pourquoi tu m’as emmené avec toi ?
Oui, je me suis permis de la tutoyer. L’avantage, c’est que comme on parlait en anglais, elle y a vu que du feu.
- Je t’avais repéré devant cette boutique. Mon associé s’est fait liquidé dans l’avion il y a tout juste deux heures. Il me fallait un complice. Tu tombais à pic. D’autres questions, chéri ?
- Chéri ?
Quelque chose détourna son attention. Elle fixa la harpiste qui somnolait sur son instrument.
- Ne bouge pas.
Elle quitta la table et c’est alors seulement que je remarquai la fascination des autres clients et leurs regards envieux. Nous constituions sans aucun doute, Angie et moi, un couple hors norme. Et vous savez quoi ? Ca me plaisait énormément.
Quand je reportai mon attention vers la harpiste, elle semblait avoir changé d’attitude. Ses doigts couraient avec plus de conviction sur les cordes et son corps lui-même dansait souplement au rythme de plus en plus rapide qu’elle imprimait à son instrument.
Et puis, une nouvelle fois, la réalité se plia à d’autres convenances.
La harpe se mit à faire un bruit de guitare électrique et voilà que la harpiste apparut sous les traits de mon Angelina qui avait profité de ma brève distraction pour prendre discrètement la place de la musicienne.
Elle se lança dans un solo dément qui laissa l’assistance sur le cul. Moi-même, je fus subjugué par cette improvisation rocambolesque.
Une première corde finit par casser et vola à travers le restaurant. Avant de sectionner la carotide d’un quinquagénaire qui aromatisa ses spaghettis de son sang. Sa femme hurla évidemment, bientôt imitée par toute l’assemblée.
- Couche-toi sous la table ! cria Angie par-dessus le vacarme naissant.
J’obéis avec une hâte admirable. Seulement au lieu de trouver un refuge confortable sous la table en question, je trouvai deux pistolets-mitrailleurs à mon intention.
Et la voix de ma partenaire – parfaitement synchro – m’ordonna :
- Tue-les tous !
Ok, Angie, c’est bien parce que c’est toi !
Je m’emparai des deux armes et soulevai la table. Me dressant alors comme un improbable ange de la mort – en chemise à rayures et bermuda écossais, je le rappelle pour les deux du fond - j’ouvrai le feu sur les clients attablés avec une incroyable absence de scrupules, échangeant entre deux rafales mortelles un clin d’œil complice avec mon adorée qui de son côté décapitait à merveille avec les cordes de sa harpe.
Le restaurant ne tarda pas à prendre des allures de Colisée romain.
Bien sûr il y eut bien quelques clients réfractaires au massacre savamment orchestré et qui nous défièrent avec moult lancers de fourchettes et de couteaux. Mais Angelina et moi on était réglé comme du papier à musique.
A un moment bien précis, je me souviens qu’Angie lâcha une nouvelle corde qui explosa une bouteille de vin. Les fragments de verre ne trouvèrent rien de mieux à faire que s’éparpiller sur le visage d’un malotru avec une précision chirurgicale.
- Mince, fit Angie, mon millésime préféré !
Perturbé par sa déveine, elle ne vit pas la femme aux allures de vieille baronne lui lancer une paire de baguettes chinoises avec une rage débridée. Heureusement, je veillai au grain. D’une seule rafale, je réduisais les projectiles en miettes et déridais la vilaine.
Et puis comme il n’y avait plus personne à tuer, le silence s’est pointé à la fin du spectacle, l’air de rien. Nous, on l’a laissé s’installer et passer commande. On s’est regardé avec un sourire, ravageur de son côté, un peu béat du mien. Elle m’a lancé un baiser, sans doute pour me remercier de l’avoir sauvée et la table que j’avais soulevée en prenant mes armes a choisi ce moment là pour me retomber dessus. Putain de gravité !
- Tu es peut-être l’élu, finalement !
Fut la dernière chose que j’entendis avant le fondu au noir.
Plus tard – c’est-à-dire une fois sorti des vaps - on a loué une moto japonaise rouge sang à un type un peu louche qu’elle semblait connaître et qui louchait justement. Elle l’a appelé Tonton. Sûrement un nom de code. On en a aussi profité pour changer de fringues dans des cabines téléphoniques modifiées en cabines d’essayage. Le Tonton en question devait être un sacré bricoleur à ses heures perdues. En me regardant dans le miroir, je me reconnus tout en me trouvant quelque chose de changé. J’aurais bien été incapable de dire quoi sur le moment. Mais rien que l’idée me plaisait assez.
Cette expérience avec une véritable icône du septième art que j’idolâtrais depuis longtemps était en train de me transformer. Cétait pas trop tôt. J’allais peut-être enfin avoir ma revanche sur cette merde empaquetée dans du velours que j’appelais ma vie jusqu’à ce jour.
On ressortit de la cabine, vêtus tous les deux d’un jean et d’un débardeur. Je lui souris machinalement. Elle esquissa une moue de satisfaction en me jaugeant des pieds à la tête.
Si c’était vraiment qu’un putain de rêve de plus, celui qui allait me réveiller aller passer le pire moment de sa vie. J’espérais alors profondément que ce serait mon enfoiré de cousin.
Une minute plus tard, j’étais derrière Angie qui pilotait avec une main et se remaquillait un peu de l’autre.
L’adrénaline commençait à retomber et je réalisai dans quelle merde je venais de me mettre rien que pour ses yeux.
- Dis-moi, je peux savoir pourquoi j’ai abattu de sang-froid une trentaine de personnes ?
- C’est top secret ! dit-elle en pensant que j’allais me contenter de ça.
En même temps, je n’avais pas trop le choix. Si ?
- Je travaille avec toi, non ? Tu pourrais quand même me mettre au parfum !
Ouais, vous avez raison, c’est mieux comme ça. Faudrait pas non plus que je passe pour le dernier des guignols.
Je vis son expression amusée dans le rétroviseur.
- T’es mignon quand tu es en colère.
Bah, oui, qu’est-ce que vous voulez ? Quand elle ne disait rien elle était déjà très charismatique, alors imaginez lorsqu’elle me faisait un tel compliment…
Je me sentis rougir jusqu’à la racine des cheveux.
Elle accéléra. Mon visage se noya dans la jungle de ses cheveux. Ils sentaient très bon. Ca ne vous surprend pas, j’imagine.
- C’est quoi le programme, maintenant ? Saut à l’élastique depuis la Tour Eiffel, fouilles archéologiques au Père-Lachaise ?
Le moteur de la moto baissa d’un ton pour que je puisse entendre Angie éclater de rire.
Je vous ai déjà parlé de son rire, je crois, non ? N’hésitez pas à me demander, sinon. Ce serait vraiment trop bête de passer à côté de ce genre de détails.
- C’est tentant, mais non, répondit-elle. Maintenant que nous avons rempli le contrat du restaurant, on doit se rendre à une importante entrevue. Si tout se passe bien, on nous conduira à l’homme que je recherche.
- On fait tout ça pour que tu liquides un grand méchant, c’est ça ?
- C’est ça ! C’est le seul moyen de l’approcher.
- Et qui c’est ce type ?
Oui, j’essayais de me prendre au jeu, qu’est-ce que vous voulez ?
- C’est un chef terroriste. Il est responsable de plusieurs attentats aux Etats-Unis. Depuis quelques temps il a jeté son dévolu sur ton pays.
Je déglutis.
- Il projette quelque chose sur Paris ?
- Précisément.
Comme s’il avait deviné que c’était la fin de la conversation, le moteur de la moto ronronna de plus belle tandis que nous nous élancions à travers un réseau d’étroites ruelles. J’en profitai pour enserrer plus étroitement la taille d’Angie en m’enivrant de son parfum. On aurait dit qu’elle sortait de la douche.
Elle m’avait forcé à la seconder dans un véritable bain de sang et pourtant je la voyais toujours comme une déesse. Pure et rayonnante derrière ses instincts les plus guerriers.
Je crois que ma dévotion pour elle est tout simplement incurable.
Plus tard, nous longeâmes les bords de la Seine. Elle me demanda :
- Tu connais Paris ?
J’aurais voulu lui mentir, mais je sus intuitivement que cela ne servirait à rien. Et puis je l’estimai trop pour la tromper.
- Sûrement moins que toi !
- Dommage.
- Pourquoi ?
- On est suivi.
Je tordis le cou, assez pour voir du coin de l’œil rien moins que quatre Mercedes noires s’approprier la route derrière nous à grands coups de pare-choc.
- C’est peut-être un rallye ? lançai-je sans aucun espoir.
Le fait qu’elle accélérât davantage m’encouragea vivement à me débarrasser de ce genre de réplique à la con.
- Prends ma place !
J’avais à peine saisi l’idée que d’un mouvement souple, mais ferme de son corps athlétique elle m’envoyait sur le siège du pilote et se propulsait sur la plus proche des Mercedes.
Les rétros de la moto étaient d’un type révolutionnaire. J’y voyais aussi bien que sur un écran géant. Tonton était vraiment un pro dans son domaine.
Je la vis atterrir sur le capot de la voiture et y planter la lame d’un sabre pour s’y accrocher, tout en arrosant copieusement l’intérieur de la caisse de son pistolet-mitrailleur. Elle sauta juste à temps avant que la Mercedes privée de pilote ne se lance dans un concours de tonneaux. Je jurai. Cette salope de gravité savait bien se faire oublier quand elle le voulait.
Je ne perdais pas une miette de l’action. Mon héroïne retomba sur la voiture suivante tandis que les deux autres ouvraient le feu sur elle, chacune d’un côté. Là, je sentis un frisson me parcourir à la pensée qu’elle se retrouve sans issue. Mais c’était mal connaître mon Angie.
Elle s’incrusta dans la voiture en se balançant à travers le pare-brise. Là, malgré mon super rétro, je fus bien incapable de voir ce qui se passa. Mais moins d’une minute après, je la vis ressortir par le toit ouvrant telle une panthère en chasse, la lame rougie et le regard fiévreux. Elle était comme habitée. Même sa chevelure semblait animée d’une vie propre.
Le crépitement des balles ennemies lui fit quitter sa brève inertie. Elle bondit à nouveau, laissant le véhicule s’encastrer violemment sous la citerne d’un poids lourd qui avait jugé bon de déraper, histoire de rendre la scène plus spectaculaire.
La citerne explosa et les restes carbonisés de la Mercedes se mirent à pleuvoir sur la route. Tandis que je slalomais pour éviter un décès prématuré, je vis ma partenaire - suspendue en plein vol dans un superbe ralenti - trancher de sa lame effilée une roue enflammée filant droit sur elle tel un météore. Puis elle disparut dans la troisième voiture.
Je poussai un nouveau juron. Elle était en train de se taper tout le boulot. On était associé, non ? Vous serez donc tous d’accord pour dire qu’il était grand temps que je passe à l’action.
Ni une, ni deux, je décélérai pour arriver à la hauteur de l’autre voiture hérissée de canons d’armes de tout acabit. Ou les mecs avaient appris à viser en buvant de la vodka ou j’étais un second rôle plus important que ce que je croyais. Car aucune balle ne vint – même fortuitement – me trouer la peau. Le souci, c’est qu’à ce moment-là je me suis rendu compte que je n’avais aucune arme sur moi. Mais croyez-le ou non j’avais tellement foi en moi que ça m’a pas fait suer une goutte. Y avait un bouton rouge près du compteur de vitesse. J’ai écrasé mon poing dessus comme si j’avais lu le scénario à l’avance. Le résultat ne s’est pas fait attendre. Sauf que ce ne fut pas celui que j’attendais. Un petit con avait dû trouver marrant de réécrire le script au dernier moment.
J’ai filé plein gaz dans un sublime effet de lumière généré par la nitro. C’était bien beau, mais c’était pas ça qui allait aider ma partenaire.
J’ai freiné à mort en jetant un coup d’œil dans mon rétro 16/9 ème. Ce que j’y ai vu m’a littéralement glacé le sang : le buste d’Angie sortait du toit ouvrant de la Mercedes. Elle était aux prises avec un colosse en smoking qui écrasait sa gorge divine malgré le sabre qu’elle lui avait passé au travers du corps.
En même temps que cette vision d’horreur, j’en vis une seconde : l’autre Mercedes se rapprochant dangereusement, avec à bord son lot de tueurs armés jusqu’aux dents qui pointaient leurs flingues sur ma belle sans la moindre once de pitié.
Mon sang ne fit qu’un tour.
Presque sans y réfléchir, je serrai le médaillon dans mon poing et levant les bras au ciel, je hurlai toute ma colère et ma frustration. Quelqu’un de très haut placé dut m’entendre car là aussi le résultat ne traîna pas.
Je m’envolai littéralement au-dessus de la route, abandonnant une moto sans doute faite pour le Guinness des Records, et la rage au cœur, je fonçai comme un kamikaze sur les deux voitures dans un déluge d’éclairs. C’était comme si ma légendaire poisse se transformait et se révélait être tout à coup une arme à double tranchant. Et autant vous dire, qu’il s’agissait cette fois du bon tranchant, de celui qui vous coupe un pépin de pomme en parts égales, à 300 kilomètres de distance, malgré un brouillard épais et un vent à décorner un cocu récidiviste.
J’étais entré dans un état de capacité qui me paraissait infini. Superman m’aurait proposé une marelle que j’aurais accepté sans hésiter, persuadé de lui mettre une toise.
La première Mercedes en fit les frais. A peine l’effleurai-je qu’elle se décomposa autour de moi dans un ballet vertigineux de pièces mécaniques et d’organes humains.
Mon pouvoir était pratique à plus d’un titre. Il m’empêcha aussi d’avoir la gerbe.
Pour la dernière voiture, c’était déjà plus délicat. Angie était à bord, je ne pouvais donc me permettre de la jouer aussi bourrin.
Elle était au bord de l’asphyxie et pourtant, la tête renversée en arrière, elle m’a regardé droit dans les yeux. Je n’oublierai jamais son regard, ni ce qui s’est passé après d’ailleurs.
J’ai concentré mon attention sur le sabre et comme un toutou fidèle, il a répondu illico à mon appel. Il a improvisé une petite chorégraphie qui a réduit le colosse en apéricubes. J’ai pris Angie dans mes bras. Un type qu’elle n’avait pas complètement dessoudé lui a saisi les chevilles. Il aurait été préférable qu’il fasse le mort car deux secondes après, la Mercedes et lui étaient indissociables dans un nuage de cendres.
Je m’envolai loin au-dessus de la route tout en guettant une réaction positive dans les yeux de ma dulcinée. Elle ne tarda pas. L’énergie que je générai autour de moi la réanima en un temps record (Appelez aussi le Guinness pour ça !)
Planant dans les cieux étoilés – oui pour cette scène c’est mieux qu’il fasse nuit - je me sentais enfin son égal, à la fois dieu et ange.
Je me posai sur un monument très bien éclairé qu’on appelle communément Tour Eiffel.
Perché dans sa superstructure métallique, à l’abri des regards indiscrets et des paparazzi, j’ai embrassé Angie avant de perdre mon pouvoir. La pleine lune nous épiait, tentant vainement de me faire de l’ombre. Alors seulement, la bouche mythologique d’Angelina Jolie s’est ouverte rien que pour moi et elle m’a dit dans un murmure ensorceleur :
- Dépose-nous dans un hôtel à l’écart de la ville. Le plus miteux fera l’affaire.
Elle m’aurait dit que j’étais l’homme de sa vie que cela ne m’aurait pas fait plus d’effet.
Comme j’avais pas un rond et qu’Angie était un peu à l’ouest, j’ai pas perdu le nord et je suis rentré par effraction dans une chambre.
Bon, c’est vrai que le fait qu’il n’y avait qu’un seul lit a dû influencer mon choix. Mais mettez-vous deux secondes à ma place.
Je l’ai allongée et une fois assuré qu’elle allait bien, j’ai enfin relâchai le médaillon dans ma main. Je l’avais serré si fort que les symboles à sa surface étaient gravés dans ma paume comme dans Les Aventuriers de l’Arche Perdue.
- C’est donc vraiment toi, l’Elu.
Angie m’observait avec un intérêt nouveau. Cette fois, c’est le médaillon qui m’envia.
Je me suis assis à son chevet et lui ai caressé les cheveux avec une tendresse que je réserve habituellement à mon chat. Son côté félin apprécia sûrement.
- Je ne comprends pas, dis-je plus troublé que je ne voulais le lui montrer. Je croyais qu’ils m’avaient fait une blague, que ce…machin était un bibelot sans valeur.
- Sans valeur pour ceux qui ne le connaissent pas. Cet objet te recherchait. Tu es son porteur. C’est lui qui t’a trouvé. Ceux qui te l’ont refilé ne sont que des instruments du destin.
Je méditai ces paroles en mimant Le Penseur de Rodin à la perfection.
- Il y a autre chose que je ne saisis pas et je pense que tu pourras m’éclairer. Les voitures qui nous ont attaqué étaient des Mercedes tout comme la voiture qui nous a conduit au restaurant. Pourtant ce sont deux camps opposés. Qu’est-ce que ça veut dire ?
Elle soupira d’un air las comme si on lui avait déjà posé cette question des milliers de fois.
- C’est plus facile de reconnaître les méchants comme ça.
Je grimaçai.
- Sérieusement !
Elle haussa les épaules.
- Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Que les Mercedes sont très prisées à Paris ou que l’intrigue est plus complexe que tu ne l’imagines ?
- J’avoue que je préfère la première solution.
- Il y a autre chose que tu veux savoir ?
Elle se mit à caresser le dessus de lit avec ses pieds nus. C’était si sensuel que mes yeux ont dansé la polka autour de ses orteils avant de rentrer chez eux.
- Euh…Je… Non, enfin, si ! Tous ces gens qu’on a tués dans le restaurant. Est-ce qu’ils étaient tous innocents ?
Elle posa sur moi un regard empli de compassion.
- Ca soulagerait un peu ta conscience si je te disais qu’ils valaient pas mieux que ceux qui nous emploient actuellement ?
Je méditai à nouveau, mais pas très longtemps.
- Bah oui, quand même.
- Alors sois rassuré, dit-elle en se levant et en se dirigeant vers la porte. C’était tous des salauds de la pire espèce. Un club de terroristes ennemis, si tu préfères.
- Où vas-tu ?
Elle continua de marcher.
- Je vais ouvrir la porte.
J’avais dû rater une ligne dans le scénario ou alors c’était encore ce petit con qui…
- Mais personne n’a…
Trois coups résonnèrent.
- Tu disais ?
Elle ouvrit la porte pendant que j’essayais péniblement de mettre de l’ordre dans le bordel qui me tenait lieu de cerveau.
« Un médaillon magique qui ne devait pas l’être. Je suis avec Angelina Jolie. Des terroristes à Paris qui préparent un sale coup. D’autres terroristes qu’on a mis hors d’état de nuire pour leur compte. Je suis avec Angelina Jolie. Une entrevue prévue avec un chef terroriste. Je suis l’Elu, j’ai des putains de pouvoir quand j’ai le médaillon et que j’ai la haine. Je suis avec Angelina Jolie. »
Oui, pour une sacrée journée, c’était une sacrée journée. Je pouvais mourir heureux. La femme de mes rêves m’avait embrassé, je l’avais embrassée. On était comme les deux doigts de la main et les péripéties qui nous attendaient en file indienne à la sortie de l’hôtel me disaient que c’était pas près de changer.
J’en étais à ce stade de mes réflexions lorsque je reconnus Tonton par l’entrebâillement de la porte. Il parlait avec les mains à ma partenaire. Je n’entendis pas ce qu’ils se disaient, mais je le vis lui remettre une valise. Ses yeux qui louchaient me regardèrent de travers et il s’éclipsa dans le couloir sans un mot.
- Quand est-ce que tu l’as appelé ? Je t’ai pas quitté des yeux d’une semelle.
Elle m’adressa un sourire reconnaissant et amusé. Mais surtout amusé.
- Pendant que je me battais dans une des Mercedes. J’ai eu un créneau de quelques secondes. J’en ai profité.
- Sérieux ?
Angie ferma la porte et posa la valise sur le lit. Son visage s’était fermé aussi. Elle était revenue de ses émotions. Elle assimilait plus vite que moi. Le bénéfice de l’expérience.
- Un nouveau gadget ? hasardai-je avec entrain.
Elle composa le code d’ouverture à la vitesse de la lumière. Le couvercle bascula et deux serpents se mirent au garde-à-vous. C’est la première fois que j’en voyais d’aussi près. Je compris pourquoi ils avaient si mauvaise réputation. J’ai serré le médaillon dans ma main pour me redonner du courage, mais j’avais pas le feeling qui allait avec visiblement car je sentais que j’allais pas tarder à me pisser dessus.
- Dis-moi, ton oncle se serait pas gourré de valise, par hasard ?
Au lieu de me répondre, Angie émit un bref sifflement. Non, c’était toujours pas pour appeler un taxi. En un éclair, les deux serpents se lovèrent autour de ses avant-bras. Ils dodelinèrent de la tête, comme dans l’attente d’une foudroyante attaque.
- Le meilleur gadget qui soit, dit-elle finalement en contemplant les deux reptiles avec une fascination que je ne parvenais pas à partager.
- Tu peux les contrôler ?
Mon admiration essayait d’être convaincante, mais ma peur lui faisait les gros yeux.
La seconde d’après, les deux serpents me chopaient les paupières.
Je me mis à gesticuler comme si j’étais passé en mode vibreur.
- Putain, mais qu’est-ce que tu fous, Angie ? Merde, mais ça fait un mal de chien !
Evidemment, elle resta super calme.
- Bien sûr que non. Tu es l’Elu et tu as le médaillon.
Je me rendis compte que c’était vrai.
- Ah, oui.
Les deux serpents pendaient devant ma figure comme des guirlandes de mauvais goût : c’était quand même suffisant pour me contrarier.
- Tu pourrais les enlever, s’il te plaît ?
Nouveau sifflement. Les deux serpents reprirent machinalement leur position tels des bracelets vivants.
Angie se fendit d’un de ces sourires de reine dont elle avait le secret et qui faisait qu’on pouvait tout lui pardonner.
- Avec ça, on va éliminer la garde rapprochée de notre cible en silence et en douceur.
- Je croyais qu’on devait obtenir un rendez-vous avec lui ?
- C’est ce qui est prévu. On a rencard demain matin dans un château à quelques kilomètres d’ici. Mais les choses peuvent mal tourner. Je préfère me préparer à toute éventualité.
Je regardai les deux reptiles en leur cherchant des qualités. J’y parvins.
- Au moins, ces armes passeront sans problème aux détecteurs de métal. Mais, dis-moi, comment tu fais pour les contrôler ? C’est de la télépathie ou…
Au point où j’en étais, je crois que j’étais prêt à tout entendre. La réponse fut plus sensée que ce à quoi je m’attendais.
- Ils sentent mon pouls. C’est comme un langage pour eux. Il me suffit d’augmenter mon rythme cardiaque pour qu’ils comprennent qu’ils doivent passer à l’attaque.
- Fascinant.
J’étais sincère.
Angie approcha l’un des serpents de mon visage.
- Tu veux essayer ?
- Sans façon.
Là aussi, j’étais sincère.
- Dis, t’aurais pas plutôt envie de dormir un peu au lieu de jouer avec tes deux affreux, là ?
C’est là qu’elle prit véritablement conscience de l’ameublement sommaire de la pièce.
- Pourquoi tu as pris une chambre avec un seul lit ?
Je déglutis.
- Les autres étaient occupées.
Evidemment je mentis très mal.
Evidemment elle s’en amusa.
Quand je vous disais qu’on était fait l’un pour l’autre.
Est-ce que c’est utile que je dise que j’ai gerbé à ce moment-là ?
Vous avez raison, ça ferait vraiment tache.
Comme on avait un peu la dalle et que j’avais toujours rien de valeur dans les poches – à part le médaillon et mon trajet retour pour ma province natale - on commanda des pizzas qu’on paya avec un sourire d’Angie. Le jeune en scooter qui nous livra était tellement hypnotisé qu’il nous rendit même la monnaie.
Enfin un peu d’argent qui rentrait ! En cas de coup dur, ça pourrait toujours servir.
Pendant qu’elle finissait de manger sa quatre fromages, j’ai pris une douche, histoire de me décrasser et surtout de me laver du sang du restaurant. Bah, oui, j’avais beau avoir des circonstances atténuantes et un bon alibi, j’arrivais toujours pas à m’en remettre.
Quand je suis sorti de la salle de bains, Angie regardait les infos à la télé. On devait sans doute parler de nous vu le nombre de cadavres et le bordel qu’on avait laissé derrière nous. Heureusement, les témoins – s’il y en avait eu – avaient dû trouver mieux à faire que de nous balancer car nos tronches n’ont pas été diffusées. Même pas une vague description.
Quand elle a éteint le poste, j’ai regardé Angie avec un air triste qui la surprit.
- Désolé, Angie. Y a plus d’eau chaude. J’ai vraiment pris un hôtel pourri.
Elle sourit.
- C’est pas grave. J’ai tellement chaud qu’un bon bain froid me fera le plus grand bien. Tu as l’air vanné, tu devrais dormir maintenant. On va se lever de bonne heure.
- Excellent conseil, dis-je en évitant, sans succès, d’imaginer son corps nu dans la baignoire.
J’avais remis mes fringues sales. J’ai pas osé me déshabiller devant elle. J’ai attendu qu’elle soit dans la salle de bains et je me suis glissé dans le lit en sous-vêtements.
Dieu sait si j’avais rêvé d’un moment pareil. En arrivant à l’hôtel, quand j’ai compris qu’il pouvait enfin se réaliser, j’ai exploité le filon à mort.
Seulement, maintenant que je le voyais se profiler à l’horizon, bah, comment dire… J’avais les fesses qui faisaient bravo. Le constat était navrant.
Après tout ce que j’avais vécu, j’aurais dû être en mesure de vivre pleinement une situation pareille. J’étais un homme, merde ! Mieux que ça, j’étais l’Elu, putain !
Heureusement, en pensant à ça, une idée géniale m’a traversé l’esprit.
Au moment où je me suis penché pour choper le médaillon dans ma poche de jean, Angelina Jolie est sortie de la salle de bains.
Là, mes yeux m’ont définitivement abandonné. Et comme mon nez n’a jamais été très expressif, un organe qui jusque-là s’était fait plutôt discret s’est mis à sortir le grand jeu.
Je ne vous ferai pas l’affront de préciser lequel.
Angie était sertie dans une serviette blanche qui avait comme rétréci au lavage et qui du coup cachait juste ce qu’il fallait en laissant deviner juste ce qu’il faut.
J’ai laissé tomber mon jean et je me suis raidi sous les draps comme une momie dans son sarcophage. J’ai tout de suite voulu détendre l’atmosphère à la demande générale de moi-même, mais tout ce qui sortit de ma bouche fut un bruit qui ressemblait à ça :
En moins évident.
Angie traversa mon champ de vision. Elle n’avait pourtant que quelques mètres à faire, mais le temps – qui comme la gravité a lui aussi son petit caractère – décida qu’il n’y avait pas le feu au lac. Au lac peut-être pas, mais du côté de mon bas-ventre, ça donnait à peu près ça :
Comme j’avais pas de canadair à portée de main, j’ai serré les jambes pour étouffer l’incendie. Quand Angie s’est installée à coté de moi, elle a gardé la serviette sur elle. Mais c’était une maigre compensation, car comme ce coup-ci elle sortait vraiment de la douche, elle sentait encore plus bon qu’auparavant. Un mélange de senteurs exotiques avec une pointe de santal dominante qui eut le don de réveiller mon nez en sursaut. Du coup, question expression corporelle, il prit un peu la relève, ce qui atténua le brasier sous mon caleçon.
J’avais bien fait les choses. Le lit était vraiment petit et même en voulant préserver une intimité naturelle, Angelina Jolie me touchait d’un peu trop près, je dois dire.
Quoi, c’est encore moi qui viens de dire un truc pareil ?!!
Fallait que je me ressaisisse. Et vite ! Le problème c’est que je ne savais pas précisément en quoi ça consistait. Dans le doute, j’ai fait le mort. Enfin, la majorité de mon corps l’a fait. Car il y avait toujours un irréductible menhir gaulois qui se dressait contre l’envahissante pudeur qui me caractérisait.
Au bout de quelques minutes, comme il ne se passait rien, la tension est retombée. Et avec elle mon ardente passion pour les courbes féminines d’Angie.
J’ai alors commencé à me dire que c’était plutôt bien. Je passais pas pour un salaud et elle pour une fille facile. Notre première nuit ensemble se devait d’être fidèle à l’image que j’avais d’elle et de moi séparément. Un modèle de…
Si vous venez d’entendre le son caractéristique d’un vinyle qui dérape, c’est normal.
- Dis-moi, Angie, t’as pensé à enlever tes serpents pour dormir ?
- Pourquoi ?
- Je crois qu’il y en a un qui est en train de ramper sur ma cuisse.
Elle produisit un reniflement ambigu.
- Si je te disais que c’est seulement ma main, ça te rassurerait ?
Bizarrement, j’avais tellement la trouille que j’aurais préféré que ce soit le serpent.
Elle dût lire dans mes pensées car elle ajouta :
- Je peux la retirer si tu préfères ?
Là, elle jouait un peu avec le feu pour employer une métaphore facile.
- Euh, non ça va, c’est juste que…
L’incendie s’est rallumé de plus belle et le menhir s’est redressé comme un super conquérant.
(Non, rien à voir avec le cahier !)
Les mots qui m’avaient tant trahi jusque-là ont fini par venir en renfort. C’était moins une.
- Tu sais pourquoi on s’entend si bien, Angie ? C’est parce que malgré tout ce qui peut nous séparer, je crois que foncièrement on est fait du même bois, toi et moi. J’ai toujours été borderline, je veux dire, intérieurement. Pas d’histoire d’alcool, de drogue, de sexe ou de violence. Simplement, un rapport conflictuel permanent avec l’existence en général. Une sorte de « Je t’aime, moi non plus », si tu vois ce que je veux dire. Tu comprends, Angie, depuis que je t’ai rencontrée, c’est comme si je pouvais enfin faire un pied de nez à la réalité. Et ça, pour moi, ça vaut tout l’or du…
Bah, oui, ça s’est terminé comme ça. Elle s’est endormie et j’ai fini par en faire autant. En même temps, on avait bien le droit de se payer une bonne nuit de sommeil après tout ce qu’on venait de faire pour sauver la France.
Et puis, on est romantique ou on ne l’est pas.
Quoi ? C’est pas ce que vous attendiez ? Ah, ok, je vois ! Vous auriez peut-être préféré entendre ça, bande de coquins :
Remarquez, l’histoire n’est pas encore terminée. Je vous réserve encore bien des surprises. Parole d’Elu !
Ouais, ça vaut ce que ça vaut.
Je m’attendais à me réveiller dans mon studio meublé fleurant bon l’humidité et le shit de mes voisins de palier, mais cette fois, seul le soleil radieux d’un nouveau jour m’a ouvert les yeux.
J’étais toujours dans la chambre d’hôtel. Tout était resté à sa place. Je n’avais donc pas rêvé. Ou bien mon rêve se plaisait à jouer les prolongations.
Ca m’allait tout à fait.
J’ai tourné la tête vers Angie. Son absence me dévisagea en haussant les épaules. Elle n’avait pas laissé de mot pour expliquer sa sortie. Mais pour me faire comprendre qu’elle allait revenir, elle avait pris soin de laisser sur son oreiller la rose que je l’avais vue glisser dans ses cheveux…J’avais l’impression que ça faisait une éternité de ça.
J’ai humé la rose encore fraîche et j’ai respiré à pleins poumons son oreiller et l’endroit même où son corps – fantasme parmi les fantasmes, joyau du monde terrestre, St Graal de la carnation – avait reposé près du mien.
Il était encore chaud.
Quand elle est rentrée dans la chambre, elle a jeté des sacs plastiques sur le parquet.
Je n’ai pu réprimer des larmes de joie devant son apparition christique, sa silhouette adorée se découpant sur le soleil levant, créant la quintessence de l’ombre chinoise.
J’ai hoqueté tellement c’était beau.
- Tu es magnifique !
Lorsqu’elle s’est avancée vers le lit, j’ai reconnu le livreur de pizzas.
- Vos vêtements, m’sieur-dame.
Là, j'ai eu une réaction complètement naturelle :
Il a dû croire que j’avais picolé. Je vous avoue que j’aurais préféré.
Sur ces entrefaites, Angie est sortie de la salle de bains, toujours en serviette de bain. Elle a lancé une pièce au livreur en guise de pourboire. Du coup, il a piétiné sur place comme un chien fou à qui on aurait filé un os de mammouth à ronger. Elle lui aurait offert un cintre qu’il lui aurait manifesté autant de gratitude.
J’ai écouté le scooter s’éloigner...
...avant de me tourner vers ma partenaire.
Mais comme j’avais déjà servi mes lignes de texte, je me suis contenté de la regarder en souriant bêtement.
- Tu sais, dit-elle en fouillant dans un des sacs, je suis désolé pour cette nuit.
J’ai immédiatement pensé à sa main sur ma cuisse. Voilà qu’elle regrettait son geste. C’était touchant. Je n’allais pas la laisser culpabiliser quand même, elle qui avait été si attentionnée envers moi.
- C’est rien, Angie. Tu es toute pardonnée. Nous sommes deux adultes civilisés, intelligents et dans la force de l’âge. Ce sont des choses qui arrivent, voilà tout. C’est la nature. C’est la vie.
Elle eut l’air physiquement soulagée.
- Content que tu le prennes comme ça. Je me faisais un sang d’encre à l’idée que tu avais pu passer une mauvaise nuit à cause de ça et de voir que ce n’est pas le cas me ravit. Des tacs de mecs m’ont largué à cause de cette manie. Tu ne m’en veux vraiment pas ?
Mon corps entier exprima assez bien ma consternation.
- Mais non, voyons, c’est ridicule ! Enfin, ça peut arriver à tout le monde. C’est humain, ça ne se contrôle pas et puis venant de toi, c’est plutôt un compliment. Comment je pourrais le prendre mal ?
Elle fit glisser la serviette au bas de ses chevilles avec un érotisme inouïe. La sensualité elle-même ne savait même pas que ça existait et elle s’invita dans notre chambre, histoire de prendre des notes pour plus tard.
La porte était restée ouverte, si bien que le soleil – heureux complice de la pudeur – camoufla par un habile jeu d’ombres et de lumière les formes sensuelles de ma partenaire.
Lorsqu’elle se tourna vers moi, elle portait un ensemble noir qui la rendait irrésistible.
Pour changer.
- Un compliment, tu trouves ? Une femme qui ronfle n’a pourtant rien d’un aphrodisiaque, avoue-le !
Ca devait être la journée du quiproquo sur mon calendrier personnel. Mais comme j’ai jamais été doué pour retenir les dates importantes, j’ai décidé de fermer ma gueule jusqu’au moment où ma vie en dépendrait.
Elle me lança un sac.
- Habille-toi ! Notre chauffeur est déjà là. On a une grosse journée devant nous. Et pas question de la foirer.
Je l’ai observé à nouveau converser avec le chauffeur de la Mercedes dont je ne devais jamais voir le visage.
Une fois en route vers le mystérieux château évoqué la veille, j’ai ouvert la fermeture éclair que j’avais soudé mentalement sur ma bouche.
Oui, je prenais de très gros risques. Mais on est aventurier ou on ne l’est pas !
- Tu sais, Angie, j’ai repensé au massacre dans le restaurant et à ce que tu m’as dit pour me réconforter. S’il y avait quelques innocents, ce n’est pas si grave, finalement. Tu peux me le dire. Tu sais pourquoi ? J’ai aussi repensé à une scène de Wanted quand tu dis « En en tuant un, peut-être est-il possible d’en sauver des centaines. »
T’imagines combien on a sauvé de vies, dans ce cas ? Toute croisade nécessite des sacrifices. Et nous sommes en croisade, pas vrai ?
Elle a retiré ses écouteurs.
- Tu disais ?
J’allais refermer définitivement ma fermeture éclair lorsqu’elle m’a touché le bras avec ferveur.
- Je te fais marcher. Je sais ce que tu as dit. J’ai appris à lire sur les lèvres.
Mon esprit de cinéphile s’alluma comme un sapin de Noël :
- Comme Tom Cruise dans Mission Impossible 3 ?
Elle eut un regard équivoque.
- C’est marrant que tu me parles de lui.
- Pourquoi ?
- Pour rien.
Puis elle enchaîna rapidement :
- Ca fait deux fois que tu cites Wanted. Tu dois l’aimer ce film !
Je ne pus cacher mon enthousiasme.
- Si je l’aime ? C’est un pur film ! Les balles à trajectoire courbe, les messages codés dans le métier à tisser, la scène d’intro et celle à la fin dans la bibliothèque, quand ton personnage…
- Chut ! Il y en a peut-être qui ne l’ont pas encore vu. Ce serait dommage de leur gâcher la surprise, non ?
- Oui, c’est vrai, désolé ! Je m’emporte si facilement dès qu’il est question de cinéma. Je suis pourtant le premier à détester qu’on me raconte la fin !
Angie prit alors une pose plus recherchée. Elle croisa ses jambes de gazelle et fit battre ses yeux de biche avec un rythme étudié. Sûrement à l’école des biches.
- Tu sais que j’ai fait d’autres films importants, à part celui-là. Tu les as vus ?
Ca y est, elle me mettait à l’épreuve. Et je comptais bien remporter le défi qu’elle venait de me lancer sur mon terrain préféré.
- Bien sûr ! m’exclamai-je. Je suis ton plus grand fan, Angie, ne l’oublie pas !
- Alors tu as certainement vu celui qui m’a fait gagner l’oscar du meilleur second rôle.
Une Vie Volée ! J’en avais entendu parler, bien sûr, mais honte à moi, je n’avais jamais eu la curiosité de le visionner.
Ce qui était sur le point de me coûter très cher.
Elle releva l’une de ses manches, exhibant l’un des serpents tout prêt à me chiquer la paupière. Ou que sais-je d’autre ?
Sans quitter des yeux sa vilaine petite tête triangulaire, j’ai essayé de me rappeler où j’avais mis mon médaillon.
- On dirait que ça veut dire non.
Je vis le serpent se dresser pour mordre. Et puis, Angie s’est mise à rire et elle a rengainer son copain à sang froid.
- Ce n’est pas grave si tu ne l’as pas vu. Et tu sais pourquoi ?
Je secouai la tête comme un forcené.
- Parce que mon job d’actrice n’est qu’une couverture.
J’ai ouvert la bouche, mais le son a tâté le terrain quelques secondes avant d’envisager de sortir :
- Ah ?
J’ai repris une contenance.
- Tu veux dire qu’espionne c’est un travail à temps plein ?
Elle opina.
Cette révélation, si elle était pour le moins étonnante, n’en expliquait pas moins un certain nombre de choses, notamment…
- Tes cascades ! Ca me surprend plus que tu les fasses presque toutes toi-même. Ca doit même être un crève-cœur de te faire doubler !
Elle opina à nouveau.
- Pas de croisade sans sacrifice ! me dit-elle avec une complicité qui transforma mes genoux en guimauve. Heureusement, j’étais assis.
Mais cette révélation impliquait aussi forcément une existence plus complexe que celle laissée en pâture à la presse et au grand public.
- Mais ta vie de famille, c’est du concret quand même ! Ca n’est pas aussi une couverture !
Le regard qu’elle me jeta me fit regretter amèrement d’avoir osé poser la question.
Sa rancune regagna ses pénates et elle se détendit à nouveau.
- Tu sais beaucoup de choses sur moi, mais qu’en est-il de toi ?
J’aurais dû être flatté qu’Angelina Jolie me manifeste autant d’intérêt, seulement vous imaginez bien que question frissons, ma vie était loin d’égaler la sienne, pour employer un doux euphémisme.
Je me raclai brièvement la gorge comme si, moi aussi, j’allais faire une grande révélation.
- Et bien, il n’y a pas grand-chose à dire. Je vis dans un appartement très modeste et je bosse à mi-temps dans un vidéo-club qui ne va pas tarder à fermer à cause du piratage sur internet. J’ai donc un peu de mal à joindre les deux bouts. Pourtant à la base, je suis issu d’une famille aristocratique.
Je la vis hausser les sourcils. Malheureusement, la suite n’allait pas embellir le tableau que j’étais en train de peindre.
- Mon nom a une particule, mais je l’ai définitivement abandonnée lorsque mon père a choisi de me déshériter. Tout ça parce que je ne voulais pas devenir médecin ou avocat ou n’importe quel autre métier qui aurait donné du poids à son nom. Tu vois le genre.
Nouveau hochement de tête.
- A sa mort, c’est donc mon enfoiré de cousin qui a tiré le jackpot à ma place. Au-delà de leur lien évident, mon père et le sien étaient très proches. Et comme mon cousin clamait haut et fort qu’il voulait devenir médecin ou avocat…
Depuis il a beaucoup d’argent, d’arrogance et de temps à perdre. Et son passe-temps préféré est vite devenu de concocter des blagues débiles à mon insu avec un type que je croyais être un ami. Comme tu le vois, j’ai des raisons de me sentir seul.
D’un coup d’œil discret, j’ai vérifié qu’Angie ne dormait pas – prêt à refermer ma fermeture-éclair – mais ce n’était pas le cas. Bien au contraire. Elle était visiblement très attentive. Ca ne pouvait que me toucher.
- Et ta mère ?
- Quand mes parents se sont séparés, elle est partie vivre dans le sud avec sa famille. Depuis, je n’ai plus trop de nouvelles. On s’entendait plutôt bien, pourtant. Mais la même année, j’ai eu le malheur d’oublier son anniversaire et la Fête des Mères. Je crois qu’elle m’aimait tellement qu’elle a pris ça pour une trahison. Et je crois qu’elle ne me l’a jamais pardonné. C’est triste parce que c’est juste un petit problème de mémoire. J’ai toujours eu du mal à retenir les dates importantes. Enfin, comme tu le vois, la famille, c’est pas vraiment ça.
Elle était toujours aussi attentive et même émue je crois. Alors je me suis rappelé un détail de sa vie à elle qui pouvait l’expliquer en partie.
- Je crois que tu as eu aussi quelques soucis avec ton père. J’étais très heureux que vous vous retrouviez dans Tomb Raider. C’est une scène très symbolique.
Elle posa une main sur la mienne.
- Merci, dit-elle dans un souffle.
Je n’ai rien ajouté. J’ai préféré attendre qu’elle parle à nouveau.
- C’est pour ça j’imagine que tu vis seul. Tu n’as eu pas ce qu’on pourrait appeler d’excellents modèles.
- C’est vrai, mais j’ai un chat qui vaut toute une famille pour moi. Quand on aura rempli cette mission, si tu veux, tu pourras rentrer avec moi. Comme ça, je te le présenterai. Ca lui ferait sûrement plaisir. Vous avez les mêmes yeux.
Je voyais déjà la scène d'ici.
- C’est très séduisant comme programme. Je te promets d’y réfléchir dès que j’en aurais l’occasion.
- Entre deux coups de feu, par exemple.
Elle savait que je me référais à l’appel de Tonton dans la Mercedes.
On éclata de rire.
Sur la même longueur d’onde, je vous dis !
Le chauffeur a donné quelques coups contre la vitre teintée qui nous séparait de lui.
On en arrivait en vue du château.
En fait de château, c’était une vieille bâtisse sur cinq étages paumée en pleine campagne.
Mais avouez que si je vous avais dit ça en premier ça aurait eu tout de suite moins de gueule.
On est descendu de la voiture et un type BCBG genre premier de la classe est venu nous accueillir avec un blazer qui devait valoir un billet pour la Lune.
- Bienvenue au Domaine de la Motte Beurrée Saint-Sépulcre.
Oui, j’eus la même réaction que vous :
- Mais qu’est-ce que c’est que ce nom à la con ?
Angie et notre guide m’ont foudroyé du regard à l’unisson.
- Je veux dire…C’est un très joli nom, charmant, très…poétique !
Le type nous a ensuite fait l’historique des lieux.
Le site était classé Monument Historique du fait qu’il avait soi-disant résisté à toutes les guerres. J’en avais pourtant jamais entendu parler.
J’écoutai distraitement en m’imaginant rouler dans le champ de fleurs à côté avec Angie.
Evidemment, même dans ce genre de fantasme libérateur et apparemment sans risque, je réussis quand même à rouler dans une merde de chien. Et autant vous dire que c’était pas celle d’un caniche.
- Le propriétaire a des chiens ? Je veux dire des gros ?
Angie fronça les sourcils. Elle pensait à tort que je me rencardais maladroitement sur le niveau de sécurité du château.
Oui, je sais ce que vous pensez. Ma fermeture éclair !
D’un mouvement de tête, ma partenaire signifia à notre guide qu’il pouvait poursuivre sa présentation. Je ne pus m’empêcher de penser que je commençais à perdre un peu trop de points au moment crucial de l’aventure. Si jamais je foutais tout en l’air à cause d’une connerie de ce genre, je ne me le pardonnerai pas. Et Angie non plus.
Je vis que sous son air absorbé de touriste curieuse de tout, elle était en réalité en mode repérage.
Cette femme ne cessait de m’étonner.
-…et sur la gauche, vous pouvez apercevoir la célèbre Tour Prend Reine en A4, un modèle d’architecture gothique qui a permis de repousser les Barbares en 1515 à Marignane grâce à l’ingénieuse catapulte romaine camouflée dans les fondations et dont nous devons l’existence au célébrissime Leonardo Da Vinci…
C’est moi ou ce type raconte n’importe quoi ?
Mon anglais commençait peut-être à rouiller. En même temps, il marchait à plein régime depuis presque vingt-quatre heures.
Heureusement, Angie s’occupait de réagir convenablement aux informations apportées par notre guide avec force exclamations de surprise et onomatopées d'admiration.
On est actrice ou on ne l’est pas.
C’est alors que j’ai fait un constat pour le moins troublant.
Angelina Jolie était connue dans le monde entier et pourtant, cela ne l’empêchait pas d’effectuer son métier d’agent secret à visage découvert.
Mais rapidement, j’ai compris aussi que c’était le meilleur subterfuge au monde. Elle était tellement naturelle que ceux qui la reconnaissaient devaient se dire que ça ne pouvait pas être elle, la vraie, et du coup, ils se persuadaient tout seul que ce n’était qu’un sosie.
Heureusement, je n’étais pas tombé dans le panneau. Et je crois que rien que ça me rendait digne d’être un partenaire de mission idéal.
Je l’observai à son insu. Une beauté et une intelligence pareilles dans un seul corps de femme et j’avais la chance d’en être si proche…
…quand j’ai atterri, on était dans un salon décoré avec beaucoup de goût, enfin, avec beaucoup de bibelots qui servaient à rien et qui n’allaient pas ensemble, mais qui avaient l’air d’avoir coûté tellement cher que ça faisait passer la pilule.
Notre guide prit congé avec un assortiment impressionnant de révérences et de formules de politesse qui me firent sérieusement douter de me trouver dans le repaire de terroristes.
Les deux colosses en treillis qui lui succédèrent beaucoup moins.
Sans un mot, ils nous escortèrent jusqu’à un grand escalier, tellement haut que même vu d’en bas il donnait le vertige. Tandis que nous montions, Angie me glissa furtivement à l’oreille :
- N’oublie pas ce que je t’ai dit !
Comme je ne voyais pas précisément ce qu’elle voulait dire, j’ai prié très fort pour que nous ne soyons pas séparés. J’ai de la chance que ce ne fut pas le cas et à dire vrai, vous aussi, sinon vous auriez été privé de plusieurs scènes d’un grand intérêt narratif.
Durant le trajet jusqu’à notre destination, j’ai remué dans tous les sens le conseil qu’elle venait de me donner et qui valait certainement son pesant d’or. Le hic c’est qu’elle m’en avait dit des choses depuis notre rencontre.
Bon, bien sûr, j’ai fait un tri sélectif préalable, je ne suis pas complètement con.
Mais après ça, il me restait encore trois possibilités :
- Soit elle avait voulu me rappeler la présence des serpents sous ses manches et sous-entendre qu’en cas de grabuge, elle se chargeait de calmer le jeu à coup de venin.
- Soit elle avait voulu me rappeler que cette mission était primordiale et qu’il était exclus que je commette une nouvelle bourde.
- Soit, enfin, elle avait voulu me rappeler que nous avions affaire à de dangereux énergumènes et qu’à partir de là, la menace pesant sur nous était maximale.
Comme aucune n’était franchement réconfortante, j’ai préféré me dire finalement que j’avais tout faux et que c’était rien de tout ça.
Les trois à la fois ?
C’est pas faux.
Bon évitez d’en rajouter, j’en menais déjà pas large.
Lorsque enfin on est arrivé dans la salle de l’entrevue, on a eu une drôle de surprise.
Les deux gorilles – qui se ressemblaient par ailleurs comme deux gouttes d’eau - nous ont invité à nous asseoir sur des espèces de fauteuils de dentiste placés côte à côte.
Oui, bizarrement, j’ai tout de suite pensé à ça.
- Euh, si c’est pour un détartrage…
Le regard d’Angie ne me laissa pas terminer.
- Allez-y, dit-elle en s’asseyant.
Je l’ai imité.
L’un des types m’a collé une électrode sur un poignet. En voyant son jumeau s’apprêter à faire de même sur Angie, j’ai eu un frisson intégral.
Elle arrêta le type d’un sourire gêné :
- Désolé, j’ai des cicatrices…une erreur de jeunesse.
L’intéressé eut l’air de comprendre car il lui colla finalement l’électrode dans le cou.
Quelle actrice, je vous dis ! Rien que cette réplique improvisée aurait mérité un autre oscar.
Les électrodes étaient reliées à un appareil que j’avais vu dans un certain nombre de films d’espionnage. Celui-là avait l’air particulièrement évolué.
Les types allaient nous passer au détecteur de mensonges. L’entrevue attendue était en fait un interrogatoire. Ca sentait déjà un peu le roussi, surtout connaissant ma légendaire incapacité à sortir un bobard sans rougir jusqu’aux oreilles.
Je regardais une dernière fois en direction d’Angie, un modèle de sérénité, avant de prendre une grande inspiration.
C’était le moment de vérité. Dans tous les sens du terme.
L’un des deux terroristes s’est ensuite ramené avec une seringue longue comme le bras.
J’ai avalé mon inspiration de travers.
- C’est obligé ? Je suis allergique aux piqûres.
L’aiguille me transperça le bras.
- Et nous aux imposteurs.
Angie reçut la seringue dans le cou. Pas un son ne sortit de sa bouche. J’admirai son courage. A sa place j’aurais hurlé tous les noms d’oiseaux que je connaissais. Et à cause de mon cousin qui les collectionnait, j’en connaissais un paquet.
La première question tomba rapidement.
- Quel est le nom de code de l’opération ?
J’ai ouvert les yeux, comme victime d’une illumination. J’avais la réponse ! Pour une fois que je pouvais gagner le gros lot ! J’ai répondu sans même réfléchir :
- Aucune idée, m’sieur, je suis qu’un minable employé dans un vidéoclub qui va bientôt fermer à cause du piratage sur internet.
Oui, comme vous pouvez le constater, leur sérum de vérité était très efficace.
Les deux gorilles ont immédiatement dégainé leur silencieux.
Ce qui m’a un peu vexé.
Angie les a stoppé net d’un sifflement.
- Je n’ai pas encore répondu, moi !
Elle a tendu ses bras dans leur direction et deux secondes après, ils étaient au tapis, battus à plat de couture par deux serpents.
- T’as vu, ai-je fait en me levant, c’était des jumeaux !
Oui, je supportais très mal le sérum.
- Ne sois pas naïf, m’a répondu Angie en prenant leurs armes. C’était seulement des clones.
J’ai pris le pistolet qu’elle me tendait avec l’air d’un parfait abruti.
- Ca te fait rien, toi, la piqûre ?
Angie a repéré un ascenseur. On allait monter dedans lorsque j’ai eu une vision effroyable.
- Et si c’était un ascenseur piégé, comme dans L’Espion qui m’aimait ?
Tu imagines si on tombe nez à nez avec un requin ?
Ca n'a pas eu l'air de l'inquiéter.
- Je lui donnerai un coup de poing.
J'ai forcément repensé à une scène similaire dans l'un de ses films.
- Alors dans Tomb Raider 2, c'était pas truqué ?!!
Elle m’a poussé dans la cabine et elle a appuyé sur le bouton du dernier étage.
- On va être attendus, maintenant. Y avait sûrement des caméras et des micros dans cette salle.
Mon raisonnement se tenait.
Angie était trop concentrée pour le remarquer.
- Ca n’a plus d’importance. Le chef est ici. Il faut en finir rapidement.
- Comment tu sais qu’il est là ?
- J’ai reconnu sa voiture près de la tour quand on est arrivé. Une Ferrari vert pomme avec un autocollant : « Je suis le roi du monde ! » ça ne s’oublie pas !
- Tiens, ai-je fait, mon père en avait une comme ça, aussi.
- Ton père ?
Les portes se sont ouvertes. On s’est retrouvé assis au bout d’une table longue d’un kilomètre. Le repas était servi et il était encore chaud. Ca avait l’air bon, je me suis mis à manger.
Angie m’a filé son coude dans les côtes !
- Qu’est-ce que tu fais ?
- On a pas pris de petit-déjeuner, je te signale. Et chez moi, le p’tit déj, c’est sacré !
Notre guide de tout à l’heure est arrivé à notre hauteur avec son plus beau sourire. J’ai rien vu de plus flippant. Il a soulevé une cloche. Sur le plateau il y avait un ordinateur portable.
On a pas fait d’histoire. On a posé l'ordinateur sur la table et on l'a allumé.
Il y avait quelqu’un à l’autre bout de la table. Son visage apparut sur l’écran et sa voix se fit entendre.
- Bienvenue au Domaine de La Motte Beurrée Saint Sépulcre.
- Merci, on y a déjà eu droit, fis-je remarquer en engloutissant un croissant croustillant à souhait.
J’en ai bien proposé un à Angie, mais elle n’avait pas l’air d’avoir faim.
Le chef des terroristes avait l’air…d’un chef des terroristes. Il faisait peur et en même temps il était séduisant. Comme sa voix.
- Vous avez passé avec succès les différentes étapes de notre grand jeu et vous avez donc gagné le droit exclusif d’intégrer l’Opération Hollywood Panic !
- Putain, me suis-je exclamé. C’était ça la réponse de tout à l’heure !
Puis ma paranoïa est revenue de vacances.
- Fais gaffe, Angie, il a peut-être un flingue sous la table, comme dans…
Elle prit un air pincé.
- L’Espion qui m’aimait ?
- Comment tu sais ?
Plus je détaillais le méchant sur l’écran, plus son visage me semblait familier.
- Tu le connais ? s’enquit Angie.
Je pensais que non, mais en fait, je ne cherchais pas où il fallait.
- On dirait Alan Rickman, l’acteur qui incarne le chef des terroristes dans Piège de Cristal, un monument du film d’action, soit dit en passant !
- Alan Rickman ou pas, il va dérouiller dans pas longtemps !
Notre hôte se leva.
- Vous resterez bien pour le plat de résistance !
De chaque côté de la salle, des portes s’ouvrirent et avec une incroyable chorégraphie, des domestiques tirés à quatre épingles apparurent, chacun équipé d’une cloche à repas.
- Je le sens pas ! fit Angie.
Comme il était évident qu’on allait de nouveau passer à l’action pour un pur morceau d’anthologie, j’ai fouillé dans ma poche à la recherche de…
- Mon médaillon ! Merde, je l’ai oublié dans mon jean, dans la chambre d’hôtel ! Quel con !
Est-ce que l’Elu pouvait commettre une bévue pareille ?
- Si jamais quelqu’un le récupère ! ajoutai-je en proie à une panique sans nom.
Angie était d’un calme olympien.
- Ca ne fait rien. C’est toi l’Elu et le médaillon ne sert à rien, ni à personne en dehors de toi.
- Le problème c’est que l’inverse est vrai aussi.
Angie soupira et prit ma main.
- Regarde ! Les symboles sont incrustés dans ta paume. Ce sont eux qui te donnent ton pouvoir. Tu n’as plus besoin du médaillon. Enfin, si je ne me trompe pas.
- Ouais, ça demande quand même à être vérifié.
- Très bien. A trois, on y va. Un…deux…
- Attends, attends ! Un, deux, trois, on y va ou bien un, deux, et trois on y va ?
En guise de réponse, elle a sauté sur la table et a commencé à tirer dans tous les sens.
J’ai rien trouvé de mieux à faire que l’imiter ne sachant absolument pas ou cela allait nous mener.
Les domestiques ont soulevé leur cloche et à tour de rôle ont annoncé :
- Fusil-mitrailleur M16 sur son trépied en acier trempé.
- Lance-roquettes Ultimatum avec guidage thermique et culasse anti-surchauffe.
- Pistolet-mitrailleur MP5 avec silencieux et chargeur double capacité.
- Etc…
De cette manière, pas moins de vingt armes plus destructrices les unes que les autres furent braquées sur nous en un temps record tandis qu’Angie et moi nous courions sur la table, chacun couvrant l’autre en arrosant un côté de la salle.
Entre deux rafales, Angie se baissa et ramassa une bouteille de vin. Elle but une gorgée au goulot avant de déclarer :
- Mon millésime préféré !
Une balle perdue fracassa la bouteille, ce qui, évidemment, fut très loin de lui plaire.
- Monumentale erreur !
Angie refit le portrait du tireur maladroit au 9 mm, façon picasso.
Me prenant les pieds dans un plat, c’est elle qui arriva en premier face à notre hôte. Comme elle n’avait plus de munitions, elle jeta son pistolet et retroussa ses manches. Ses deux fidèles serpents se mirent au garde-à-vous.
Le sosie d’Alan Rickman ricana.
Il retroussa les siennes et deux mangoustes se jetèrent sur les reptiles pour les dévorer vivants.
- Moi aussi, j’aime les animaux.
Profitant de la stupeur d’Angie, je vis le terroriste sortir un pistolet de l’intérieur de sa veste en cachemire.
Là, mon cœur a cessé de battre et toute la scène s’est figée comme dans un arrêt sur image.
Sauf que je pouvais quand même bouger.
Je crois que j’ai hurlé son prénom et que je me suis élancé sur la table, glissant dessus sur plusieurs dizaines de mètres avant d’atteindre mon objectif.
Bon, il est vrai que je ne le ferai pas tous les jours.
Angie gisait au sol, ses vêtements poissés de sang. Elle tenait une main appuyée sur son ventre. J’ai regardé la blessure avec horreur. Mon point de vue fit littéralement volte-face. Je priai pour être dans un cauchemar et me réveiller au plus vite. De préférence, dans les bras d’Angie et dans notre minable chambre d’hôtel sans eau chaude.
Mais rien d’équivalent n’arriva.
Je vis qu’Angie voulait dire quelque chose. Je fus victime du plus cruel des dilemmes. Je voulais entendre sa voix, mais je ne voulais pas qu’elle me parle, de peur d’écouter ses derniers mots.
Je lui ai redressé la tête.
- Tiens, me dit-elle en me tendant ses écouteurs. Ca te donnera de la force.
Je les ai posés sur mes oreilles. Je me disais que c’était sa façon de me dire « Je t’aime ».
Comme je n’avais pas d’écouteurs à lui offrir, j’ai posé mes lèvres sur les siennes pour lui donner aussi de la force.
- Tiens le coup, Angie. Je reviendrai !
Je lui ai serré les mains en guise de garantie.
Je me suis relevé. Je me suis senti de nouveau invincible, comme si j’avais absorbé tous les codes secrets du jeu vidéo de ma vie.
J’ai regardé autour de moi. Le Grand Méchant en avait profité pour filé en douce.
J’ai regardé la paume de main. Elle s’illumina d’un éclat bleuté surnaturel. Mes yeux en ont fait de même.
- Maintenant, ça va chier !
La musique a commencé à envahir mon esprit au moment où les tueurs restants se sont précipités sur moi.
Le premier est arrivé sans crier gare, alors j’ai pris le train en marche. Je l’ai décapité du tranchant de ma main droite et l’ai éventré de la gauche.
Le deuxième et le troisième se crurent plus malins en me prenant en traître. Ils en furent pour leurs frais. Je leur ai attrapé les cheveux et d’un double coup de genou sauté, je leur ai enlevé les amygdales sans anesthésie locale.
L’un des deux m’a murmuré qu’il les avait déjà perdues au Vietnam à cause d’une explosion au napalm. Alors je lui ai arraché la langue pour qu’il arrête de dire des conneries.
Le quatrième, le cinquième et le sixième tueur sont venus en renfort et m’ont encerclé pour me truffer de plomb. J’ai filé un aller-retour à la première balle et vu qu’elle n’était pas conne, elle a fait passer les mots à toutes ses copines. Résultat : retour à l’envoyeur et trois méchants de moins sur ma liste.
Le septième me colla son fusil à pompe entre les omoplates. Mais avant qu’il ait pu tirer, je m’étais retourné et j’avais glissé un doigt dans le canon de son flingue. Mon majeur, histoire de le provoquer. Ca a marché. Il a quand même tiré et s’en est tout de suite mordu les doigts. Enfin, il a mordu ce qu’il a pu vu que le fusil a explosé et lui a amputé les deux bras.
Comme les derniers tueurs ont compris que les armes à feu ne me faisaient rien d’autre que des chatouilles, ils ont essayé de me submerger par le nombre.
Ils se sont pointés à onze. Pas de bol, j’ai toujours détesté le foot. D’un coup de pied j’ai arraché la tête du plus proche et j’ai fait un magnifique strike avec ma boule de bowling improvisée. Je préfère ne pas vous raconter l’état des quilles.
Celui qui avait le moins morflé a rampé vers moi. Je l’ai regardé du haut de mon mètre soixante dix-huit.
- J’ai horreur des serpents !
J’ai sauté à pieds joints sur son dos en hurlant comme un coyote façon Bruce Lee.
Comme il n’y avait plus personne pour me tenir tête, je suis retourné auprès d’Angie qui respirait faiblement. Je me disais que mon pouvoir était sûrement assez fort pour me permettre de la sauver une seconde fois. Je me suis concentré à mort. Jusqu’à ce que l’hélicoptère de mon ennemi me canarde à travers les fenêtres. J’ai dit à Angie que je revenais et d’un bond j’ai traversé la salle et la fenêtre en face de moi. J’ai chopé une pâle de l’hélico entre mes dents et d’un coup sec je l’ai arrachée. L’hélico a aussitôt piqué du nez et s’est écrasé sur la pelouse. Le sosie d’Alan Rickman est sorti des décombres juste avant l’explosion. Tant mieux, j’aurais regretté de ne pas pouvoir lui faire sa fête à mains nues.
Son costume était déchiré, mais ce qui était franchement bizarre c’était que son visage l’était aussi. C’est là que j’ai compris qu’il portait un masque. Il l’a retiré complètement et mon coeur a cessé de battre une seconde fois. C’était mon père !
Il a marché vers moi.
- Un terroriste, il n’y a que lorsqu’on le croit mort qu’on cesse de le chercher.
J’étais abasourdi et pourtant je me suis entendu lui répondre :
- Tu cites Piège de Cristal, toi, maintenant ?!!
- C’est de ta faute. Tu m’as obligé à regarder ce film des dizaines de fois. Ca a fini par me donner des idées.
Je comprenais mieux pourquoi il avait pris les traits d’Alan Rickman. Une sorte de mimétisme résultant d’une crise d’identité. Pour plus de détails, voir avec un psychiatre agrégé.
Mon père a poursuivi :
- J’avais déjà suffisamment d’argent donc je ne me voyais guère braquer des banques ou des entreprises pour passer le temps. Alors je me suis dit que faire péter des immeubles de temps en temps, ça pouvait être marrant. Une sorte de jeu vidéo grandeur nature.
Ajoutez mégalomanie, appelée aussi syndrome du « Je suis le Roi du Monde ».
J’ai repensé à ce que m’avait dit Angie. En regardant près de la tour, j’ai moi aussi reconnu sa voiture. Tout était clair, maintenant.
-Tu as fait croire à ta mort pour être au-dessus de tout soupçon et pouvoir agir à ta guise. Ca ne t’a pas suffi de me déshériter au profit de mon enfoiré de cousin, il a fallu que tu tires sur la femme de ma vie.
Il pointa un doigt méprisant en direction du château.
- Elle ? Cette actrice minable ?
Il s’esclaffa.
A mon tour, j’ai marché vers lui.
- C’est ta dernière erreur.
Il m’a regardé me rapprocher.
- Tu es ici parce que je l’ai décidé. Et elle aussi. Rien n’est dû au hasard. J’ai appris la véritable nature du médaillon et de ses pouvoirs après ma mort factice. C’est un objet que j’avais possédé pendant des années sans en soupçonner une seconde le potentiel. Lorsque je l’ai découvert, j’ai réalisé qu’il était désormais en possession de mon cher neveu. Alors pour le récupérer, je lui ai envoyé un pigeon porteur d’un message. Je savais qu’il collectionnait les oiseaux morts et qu’il ne manquerait pas d’ajouter celui-là à son tableau de chasse. Le message lui ordonnait de concocter un pari avec ton ami pour te faire entrer en possession du médaillon et te faire croire qu’il s’agissait d’un objet inestimable. Tu es crédule, mais ton cousin l'est tout autant surtout quand on signe « Le Dieu des Oiseaux te punira si tu ne fais pas ce qui est écrit ». Son penchant naturel pour la facétie a fait le reste.
Ces explications, aussi limpides étaient-elles, ne me suffisaient pas encore.
- Mais pourquoi moi ? Pourquoi n’avoir pas demandé directement à mon cousin de venir de te le donner ? Pourquoi n’avoir pas envoyer tes hommes le voler ?
Il eut un sourire de mauvais augure.
- Toute croisade mérite des sacrifices, non ? J’ai toujours voulu me débarrasser de toi. Et j’avais l’occasion idéale de faire d’une pierre deux coups. Tu représentes le déshonneur de la famille. Quand j’ai du mauvais sang, je me le fais tirer. Philippe Noiret. Le Bossu.
Je ne croyais pas mon père aussi cinéphile. Je l’avais peut-être aidé malgré moi à le devenir. En tous les cas, cela n’allait pas adoucir la mort que je lui réservais.
Il dégaina un objet cylindrique de sa ceinture.
- Je suis ton père.
Oui, décidément, je l’avais bien éduqué.
- Ton plan est stupide ! C’est moi l’Elu. Je suis le seul à pouvoir me servir du médaillon. Et de toutes façons, je l’ai oublié à l’hôtel, alors c’est mort !
Il s’est à nouveau esclaffé.
- C’est toi qui es stupide. Tu as dû oublier de lire les petites lignes du mode d’emploi. Le pouvoir ne vient pas de toi, il vient de la lignée, du sang.
Là il y eut un gros plan sur ses yeux maléfiques.
- De mon sang. Je suis le seul héritier digne de ce nom qui mérite de porter le médaillon de Tankpur Jilah !
A mon tour j’ai fait un zoom sur mon regard à son intention. Me demandez pas comment !
- Le médaillon, c’est moi, maintenant !
J’ai tendu ma paume gravée des symboles dans sa direction.
Cela n’a pas intimidé mon père le moins du monde. Il était entré en mode « C’est moi qui vais gagner ! » Ce que confirma sa dernière réplique :
- Si je dois t’arracher la main et me la greffer, je le ferai !
Quant à moi, je suis entré en mode « Non, c’est moi ! »
Ma paume de main s’est alors illuminée. Mes yeux ont jeté des éclairs.
Il a brandi son arme pour les repousser. En vain. Alors il a lancé son sabre laser vers moi.
La bonne nouvelle c’est que j’ai transformé mon père en grillade et la pelouse du Domaine de la Motte Beurrée Saint-Sépulcre en barbecue.
La mauvaise nouvelle, c’est que pendant ce temps là, son sabre m’a tranché la main. Et de préférence la main gravée des symboles du médaillon de Tankpur Jilah.
J’ai rien senti, mais j’ai quand même eu mal.
Car privé de ma main, j’étais aussi privé de mon pouvoir. Et sans mon pouvoir, j’étais aussi utile pour Angie qu'un pansement sur une jambe de bois.
Je suis retourné dans le château pour aller la chercher. Son pouls était très faible. Il fallait que je fasse vite. Je l’ai prise dans mes bras et je l’ai déposée sur la pelouse. J’ai fouillé le cadavre de mon père. Un homme tel que lui ne pouvait se passer de téléphone. Une chance, il avait un modèle ignifugé. J’ai appelé les urgences. En insistant bien sur le caractère urgent.
J’ai rassuré Angie en lui caressant le front.
- Les secours vont arriver. Tout va bien.
Elle m’a regardé comme un héros, comme un chevalier en armure.
- Tu l’as eu ?
- Je les ai tous eu ! Grâce à toi, Angie !
Je ne suis pas rentré dans les détails. Je ne voulais pas l’embêter avec mes histoires de famille. Je suis donc resté très vague quant aux circonstances de ma victoire. C’était un moment privilégié entre nous. Je ne voulais pas le gâcher en lui parlant de mon père.
Elle a commencé à fermer les yeux. Là mon cœur a retenu sa respiration. Si ça continuait, il allait battre le record d’apnée.
- Angie, reste avec moi, je t’en prie ! On a encore tellement d’aventures à vivre ensemble !
Elle a posé une main sur ma joue ce qui a fait barrage avec le raz-de-marée de mes larmes.
- On les vivra. Dans tes rêves.
Ses derniers mots furent en français et ils furent pour moi.
Alors j’ai fait la chose la plus terrible de toute mon existence. J’ai fermé pour toujours les grands yeux clairs et limpides d’Angelina Jolie et j’ai embrassé une dernière fois ses lèvres généreuses aussi aphrodisiaques que la plus belle plage du monde.
J’ai posé ma tête sur sa poitrine aussi légendaire que toute sa personne et j’ai pleuré comme un enfant à qui on aurait confisqué un super jouet de Noël.
Je n’ai pas entendu l’ambulance et les pompiers arriver. Impuissant, j’ai regardé des hommes emporter mon grand amour et placer son corps dans un corbillard.
Moi j’avais pris de l’avance. J’étais déjà six pieds sous terre.
On m’a posé des questions. Je ne me souviens plus de ce que j’ai répondu. Ca devait être la vérité car le sérum faisait sûrement encore effet. On m’a félicité, on m’a serré la main. Ca me faisait une belle jambe. Un médecin m’a dit qu’on pouvait s’occuper de ma main gratuitement en compensation. J’étais tellement déboussolé que j’ai juste demandé un billet retour pour ma province natale. J’avais le sentiment de n’avoir plus rien d’autre à faire que rentrer chez moi.
La fête était finie, le rêve terminé. Il était temps de retourner dans cette bonne vieille réalité.
Je me sentais vide, dépossédé. Tel un automate, je reprenais progressivement le cours de mon existence, comme sorti d’une parenthèse. Tout était flou. Je ne savais plus trop qui j’étais ni ce que j’avais fait. Comme si je sortais d’un tour de montagnes russes.
C’est sans doute pour ça que j’ai gerbé.
En seconde classe, les passagers ne sont pas si pauvres que ça. Ils ont des ordinateurs portables et des téléphones dernier cri. Ce jour-là, pour mon plus grand malheur. Le trajet s’est effectué au rythme des multiples hommages que rendait le monde entier à Angelina Jolie. Personne ne mentionna son implication dans des actions anti-terroristes de grande envergure telle que celle qui nous avait réuni. Bien sûr, puisque tout le monde était censé l’ignorer. Pour le public, les médias et le septième art, elle était Angelina Jolie, l’actrice. Et c’était déjà beaucoup. Le Président des Etats-Unis lui-même fit une déclaration à la télévision qui devait rester dans les mémoires :
« Le cinéma a perdu un trésor, le monde un diamant, mais le ciel, lui, a gagné un ange. »
J’avoue que je n’aurais pas mieux dit.
J’ai tourné mon regard vers la vitre en réprimant le besoin viscéral de révéler la vérité à tous les passagers du train. J’ai regardé défiler le paysage comme je l’ai toujours fait sauf que dans ma tête défilaient aussi mes meilleurs scènes avec Angie.
Je vous donne la musique. Je vous laisse faire votre propre bande-annonce :
En me souvenant de tout ce qu’on avait vécu, j’ai à nouveau ouvert les vannes.
Quelques heures plus tard, je suis descendu du train, le cœur aussi lourd qu’une enclume.
J’ai quitté la gare en effervescence en ignorant les réactions des gens à la nouvelle qui tremblait maintenant sur toutes les lèvres.
Je suis allé rejoindre mon studio meublé qui fleurait bon l’humidité et le shit de mes voisins de palier en me faisant l’effet d’un animal qu’on traînerait à l’abattoir.
J’habitais cette ville depuis des années et pourtant je ne reconnaissais plus rien. Sur les façades des immeubles et sur les vitrines des magasins, je ne voyais plus qu’une seule chose : le visage d’Angelina Jolie qui me souriait.
Dans une boutique, une télé s’est allumée. Je me suis approché. Le visage d’Angie est apparu. Elle était rayonnante :
- C’est toi le meilleur !
Elle m’a dédié une œillade complice et tous les autres visages autour de moi l’ont imitée.
Je crois que j’ai perdu connaissance à ce moment là.
Quand je suis revenu à moi, j’étais appuyé sur le garde-fou d’un pont. Le torrent était impétueux et je crois qu’il me faisait de l’œil. Il ne m’en fallait pas plus pour être séduit.
J’ai agrippé la rambarde pour l’enjamber et une voix d’homme m’a dit :
- Elle vaut mieux que ça, tu ne crois pas ?
J’ai cru halluciner en reconnaissant Tonton…Je veux dire Monsieur Bricolage, enfin… le type qui refourguait à Angie tous ses gadgets très utiles. Il louchait toujours autant, mais c’est pas ça qui m’a empêché de me jeter dans ses bras.
- Elle va me manquer à moi aussi.
- Mais qu’est-ce que vous faites ici ? ai-je demandé entre deux sanglots.
- Et si je te disais que tu peux la revoir, tu me suivrais ?
C’était comme de donner du miel à un ours ou une tétine à un bébé.
A l’intérieur de mon corps ce fut le 14 juillet.
- Où ça ?
Tonton s’écarta un peu et retira son masque.
Tom Cruise me sourit et m’adressa un clin d’œil complice :
- Aux States, mon pote, aux States !
Distribution :
Angelina Jolie (Angie)....................Elle-même
Le Narrateur..............................Le mec qui la suit
Le Père du Narrateur.........Alan rickman/Dark Vador
Tonton.........Tom Cruise
Le Chauffeur de la Mercedes...........Un mec que tu connais pas et moi non plus
Illustrations Sonores :
Chewbacca
La Chèvre de Monsieur Seguin
Effets Spéciaux, Montage :
Clavier AZERTY
Cascades :
montagnes de l'O. des E.-U. et du Canada, parallèles à la chaîne côtière; culminant à 4392 m.
(Définition du dictionnaire encyclopédique Hachette, édition 2002)
Crédits musicaux :
L'Ode à la Joie de Ludwig Van Beethoven
Dies Irae de Giuseppe Verdi
O Fortuna (extrait de Carmina Burana) de Carl Orff
Thème de Mission Impossible (crée par Lalo Shifrin, réorchestré par Michael Giacchino)
Smoke gets in your eyes interprétée par The Platters
L'auteur tient tout particulièrement à remercier les propriétaires du Domaine de la Motte beurrée Saint-Sépulcre pour leur précieux concours
Cette histoire est dédiée à ma mémoire car c'est bien connu :
"j'ai la mémoire qui flanche, je ne me souviens plus très bien..."
Angelina Jolie reviendra-t-elle ?
Le billet de train retour du narrateur a-t-il été retrouvé dans la chambre d'hôtel ?
Le Colonel Moutarde a-t-il fait le coup ? (à moins que ce soit Tonton Luc !!!)
Vous le saurez en lisant Hollywood Panic
Attention scène bonus exclusive rien que pour ceux qui sont restés sur leur siège après le générique de fin !!!
Un jeune livreur de pizzas – et de vêtements à l’occasion – se glissa furtivement dans la chambre d’un hôtel miteux qui n’avait même plus d’eau chaude.
Il respira à pleins poumons les draps du lit avant de faire les poches des vêtements sales oubliés par mégarde (mais surtout par moi).
Bien sûr il trouva le médaillon de Tankpur Jilah.
Il le contempla un instant et tandis qu’il détaillait les symboles gravés à sa surface, une étrange lueur bleue éclaira son regard.
Alors il émit un rire diabolique :
FIN
Si vous aimez, découvrez :
dans ma tête, Les Aventuriers de l'Arc Tendu et Polaroïd
T’as aimé…ou pas
T’as tout lu, tout vu, tout entendu…ou pas
Peu importe, post un com et like la page pour dire que tu existes car ton avis est important pour moi, mais aussi pour le futur de ce blog, un gros merci d’avance !
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mardi, 22 juin 2010
Le Songe des Ecureuils
CHAPITRE 1
You are so Beautiful
- Allez, dis-moi où on va ? répéta Catherine, suppliante.
Elle était allongée sur le sofa, ses longs cheveux noirs se déversant jusqu'au sol telle une cascade de soie. David les caressait avec religion. Penché au-dessus d'elle, il contemplait son visage comme pour la première fois. Ce n'était pas simplement dû à sa beauté. Son regard trahissait une vive intelligence, une rare bonté d'âme et une douceur à fleur de peau.
- Ce n'est plus une surprise, si je te le dis.
- Mais tu sais très bien que c'est moi qui conduirai.
- N'empêche que je ne dirai rien quand même.
Ils étaient coutumiers de ces petites joutes verbales. Comme tous les couples, ils se chamaillaient régulièrement, surtout pour des broutilles, alors ils appréciaient particulièrement de les inventer de toutes pièces. Ainsi, ils s'en sentaient maîtres et pouvaient leur donner la forme qu'ils souhaitaient les voir prendre; une forme de liberté.
Catherine fronça les sourcils, mimant une contrariété.
- Je ne suis pas bête. Je verrai les panneaux. Je trouverai bien.
David leva un sourcil, feignant l'indifférence.
- Peuh. Ce ne sera sûrement pas indiqué. Tu peux me croire, notre destination demeurera secrète jusqu'au bout. Tu sauras où on va que quand on y sera, ma chère.
Elle fit la moue.
- C'est un patelin paumé ou quoi ?
David prit un air de supériorité exagéré.
- Tu verras.
- Ca existe, au moins ? J'espère que ce n'est pas encore une de tes inventions, genre la ville imaginaire de trou perdu-les oubliettes.
- C'est très réel, tu verras par toi-même. Et puis d'abord, la réalité ça n'existe que pour ceux qui n'ont pas d'imagination.
Catherine siffla.
- Faudra que je la replace celle-là. Mais, dis-moi, je dois le prendre comment ? T'es en train de dire que je n'ai aucune imagination, c'est ça ?
De la voir singer la colère la rendait irrésistible. David l'embrassa.
- Mais non. J'adore cette phrase, je trouve qu'elle en jette. Alors dès que je peux la placer, je n'hésite pas. Tu me connaîs.
Catherine eut l'air dubitatif.
- Je suis sceptique. Fais-toi pardonner.
- Ca tombe bien, dit-il en lui caressant le visage, j'ai quelque chose à te dire qui va sûrement te plaire.
- Si c'est une phrase du même acabit, tu peux te la garder.
- Mais non, grande râleuse. Celle-là, tu vas l'adorer, je te le garantis.
- Vas-y, alors. Je suis tout ouïe.
David bougea légèrement comme pour mieux se préparer à la convaincre.
- Quelle est la différence entre un homme et une femme ?
Catherine pouffa.
- Alors là, c'est facile. Au moins un million d'années d'évolution.
David pinça les lèvres, singeant la contrariété.
- C'est la féministe qui parle ?
- Non, juste la scientifique.
- En tout cas, ce n'est pas la bonne réponse.
- Ca m'étonnerait. J'ai fait des études très poussées.
- Et je paris que j'étais un très bon sujet d'études.
- Comment tu as deviné ?
- De toutes façons, ce n'est pas la bonne réponse.
A son tour, elle feignit l'indifférence.
- Alors je m'en fiche.
- Je te dis qu'elle va te plaire.
- Très bien, je t'écoute.
- Donnez un fusil à un homme et il vous demandera qui il doit tuer. Donnez ce même fusil à une femme et elle vous demandera qui il a tué.
A la manière dont le visage de Catherine reprit son sérieux, David sut que la réponse avait fait plus que lui plaire.
- Qui a dit ça ?
- C'est le slogan de mon prochain bouquin.
- Et c'est moi que tu traites de féministe !
Ils s'embrassèrent.
Ils étaient enlacés comme des enfants tentent de se réchauffer par une glaciale nuit d'hiver.
Mais Catherine et David n'avaient pas besoin d'avoir froid.
Catherine appelait ça la position des écureuils. Elle trouvait ça mignon. L'image lui plaisait beaucoup.
David, lui, appelait ça la position des musaraignes, sûrement par ironie, surtout par esprit de contradiction.
- Pourquoi des écureuils ? Je ne comprends toujours pas.
- C'est normal, tu es un homme.
- Ah ! Ah ! Très drôle. C'est tout ce que tu as trouvé comme explication ?
- Non. C'est beaucoup plus complexe en fait.
- Ah, tiens donc !
- Et c'est pour ça que tu ne peux pas comprendre.
- Je te signale que je ne suis pas un homme.
- Ah, bon ! C'est nouveau ça ! Et tu es quoi, au juste ?
- Je suis un artiste, madame, déclara David en bombant le torse.
- Pour ce que ça change.
- Tu n'es vraiment pas gentille.
- Et toi pour un artiste, tu manques vraiment d'imagination. Si j'appelle ça la position des écureuils, c'est parce que les écureuils font comme ça pour se réchauffer. Na !
- Parce que tu vas me dire que tu as déjà vu des écureuils s'enlacer peut-être !
- Non, mais je suis sûre qu'ils font comme nous.
- Si ça se trouve, c'est nous qui avons inventé cette position. Si ça se trouve, les écureuils nous l'ont piquée et font croire qu'ils en sont les inventeurs. Au départ, ça s'appelait sûrement la position de Catherine et David.
Ils éclatèrent de rire.
- A ton tour de te justifier. Pourquoi des musaraignes ? Je ne sais même pas à quoi ça ressemble vraiment.
- C'est une sorte de petit rongeur. Un peu comme un écureuil, en fait, très mignon aussi.
- Et tu vas prétendre avoir déjà vu des musaraignes s'enlacer alors que le commun des mortels n'en verra jamais la queue d'une !
- Bien sûr, je suis un artiste. J'ai tout vu.
- Quelle déception ! Moi qui croyais que tu avais simplement de l'inspiration. En fait, tu viens d'avouer que tu n'as aucun mérite. Tu n'inventes rien. La vérité, c'est que tu n'as aucune imagination.
- Je n'en ai pas besoin. Je t'ai, toi.
- Oui, moi, ta musaraigne.
- Non, ma muse tout court.
Ils s'embrassèrent.
- Alors où tu m'emmènes ?
- Tu perds pas le nord, toi ! Oublie ça, je ne te dirai rien.
- Même pas sous la torture ?
- Non.
- Même pas sous mes caresses ?
David allait répondre quelque chose, mais son assurance venait d'être subitement ébranlée.
- Faut voir.
CHAPITRE 2
Unintended
- Tu es sûr que c'est par là ?
- Bah oui, je sais lire une carte.
- Une carte de vœux, peut-être...
- Tu m'insultes là ?
Elle le dévisagea franchement.
- Non, je t'informe, c'est tout.
A son tour, il la scruta intensément, quêtant un trait d'ironie. N'en trouvant aucun, il commença à grimacer.
Ils éclatèrent de rire tous les deux.
La voiture empruntait une route déserte traversant une forêt.
- Mets-nous un peu de musique.
Il alluma l'autoradio.
- A vos ordres.
Il chercha une station, guettant à chaque fois une réaction positive.
Il avait presque fait le tour des possibilités lorsque les premières mesures d'une chanson envahirent l'habitacle. Ils se figèrent au même moment et immédiatement le même frisson les parcourut des pieds à la tête.
Ils se dévisagèrent. C'était Unintended de Muse.
Tous les couples ont une chanson. Celle-ci était la leur.
Elle avait le don de les guérir de tout, de sublimer l'un aux yeux de l'autre, comme écrite rien pour eux. Lorsqu'ils l'entendaient, leur amour prenait la place du monde entier.
Tout à leur émotion, ils ne virent pas le croisement, pas plus que le poids lourd venant dans leur direction.
Il les heurta de plein fouet.
La voiture quitta la route et roula sous les arbres comme un jouet fou. Lorsqu'elle s'immobilisa, leur chanson se faisait toujours entendre, en dépit de tout, comme se riant de la tragédie.
Catherine essaya de bouger. Elle avait du sang sur les yeux et sa tête pesait aussi lourd qu'une enclume. Sous le choc, sa portière s'était ouverte. Elle se tourna vers David.
Il était inconscient.
La voiture avait arrêté sa course folle contre un arbre au milieu d'un talus, en pleine forêt. La vitre du côté passager s'était brisée si bien que la tête de David était appuyée à même l'écorce.
- David.
Pas de réponse.
Il fallait qu'ils sortent de là pendant qu'ils le pouvaient encore.
Catherine allait défaire sa ceinture lorsqu'elle entendit un craquement de sinistre augure. D'un revers de main, elle essuya le sang qui lui obscurcissait la vue et plissant les yeux, s'aperçut avec horreur que le tronc d'arbre était sur le point de céder. Si cela se produisait, ils perdaient leur seule chance de s'en sortir vivants. Elle en était convaincue. Toute l'étendue de son angoisse s'exprima dans un seul mot :
- David !
Seul le silence lui répondit.
Catherine s'escrima à défaire sa ceinture, les craquements de l'écorce accompagnant ses efforts, les décuplant. La chanson continuait, imperturbable :
"You could be my unintended choice
To live my life extended
You should be the one I'll always love..."
Brusquement, les craquements cessèrent.
Catherine se figea. Elle tourna la tête vers l'arbre, seul rempart entre eux et la mort qui les attendait en bas de la pente. Lorsqu'elle comprit qu'il allait céder, elle n'eut d'yeux que pour l'homme inerte, assis à côté d'elle, avec lequel elle avait pensé finir ses jours.
- David !
Elle ne trouva rien d'autre à faire que refermer sa portière et fermer les yeux.
Mais ce n'était pas un simple tour de montagnes russes qui les attendait.
Le tronc se déchira et dans le silence qui s'était installé, cela fit l'effet d'une explosion.
La voiture se remit à rouler dans un chaos indescriptible de tôle froissée, les arbres se renvoyant le véhicule comme une balle de flipper. La dernière pensée de Catherine, avant que son esprit ne sombre dans le néant, fut qu'elle ignorerait pour toujours où David avait prévu de les conduire.
La carcasse s'arrêta au bord d'une rivière, en contrebas.
La chanson se tut brusquement comme si elle avait compris qu'elle ne servait plus à rien.
CHAPITRE 3
Il ouvrit les yeux.
Il ne comprit pas.
Il était allongé dans un lit. Sa tête n'était qu'une douleur sur ses épaules trop petites pour la supporter. Le côté droit de son corps aussi était endolori. La pièce qu'il occupait n'avait rien d'une chambre d'hôtel. Un peu trop épurée.
- Hôpital, murmura-t-il comme pour mieux se faire à l'idée d'un séjour forcé. Il se serait retrouvé en prison que cela lui aurait probablement fait le même effet.
Il regarda autour de lui en préservant au maximum la motricité réduite de son cou. Il était seul. Il ignorait depuis combien de temps il était ici. Mais cela l'inquiétait infiniment moins que de savoir où pouvait bien être...
- Catherine !
Une vision traversa son esprit avec la fulgurance d'un éclair.
Et des dégâts similaires.
Il revit la route déserte. Le silence. L'insouciance.
Il revit le choc terrible de la collision.
Il revit l'intérieur de la voiture tournoyant comme un manège devenu fou. Il entendit leurs cris à tous les deux, intimement mêlés.
Il se rappela les hurlements de la carcasse dévalant la pente de la forêt.
Il revit leur impuissance commune.
Il revit le visage doux et serein de Catherine tourné vers lui alors que l'autoradio jouait leur chanson, leur hymne personnel.
Son cœur s'emballa et son corps entier se couvrit d'une sueur glacée.
- Catherine !
La porte de la chambre s'ouvrit comme pour répondre à son appel.
Mais ce n'est pas la femme invoquée qui entra.
Si elle avait l'air amène, elle n'en était pas moins une étrangère.
Elle lui sourit.
Il l'ignora. Tout ce qu'il lui importait c'était de serrer Catherine dans ses bras pour les consoler tous deux du drame qu'ils venaient de vivre.
Il l'imaginait, isolée dans une chambre comme lui, torturée par les images de l'accident. En vie, mais dans quel état ?
- Où est Catherine ? Où est ma femme ? Comment va-t-elle ?
Le sourire de l'infirmière se crispa.
- Le docteur va venir vous voir.
Après un temps qui lui parut une éternité, le docteur entra dans sa chambre, tout auréolé de son statut d'oiseau de bon ou mauvais augure. David voyait moins en lui un médecin que l'incarnation de son avenir, de son destin.
Dieu en quelque sorte, venu lui rendre une petite visite pour l'informer des dernières nouvelles sur sa vie.
Son sourire magnanime cachait de lourdes responsabilités.
Et un secret aussi pesant.
- Comment allez-vous Monsieur Cross ?
David ignora superbement la question. Il savait le docteur très bien renseigné à son sujet. De plus, il avait le pouvoir de l'emmener en enfer ou au paradis et il ne pouvait supporter plus long délai d'attente.
- Comment va Catherine ?
Le visage du docteur se crispa. Il prit une longue inspiration.
- Elle est décédée dans l'accident. Je suis sincèrement désolé.
Ce n'est pas la phrase qu'attendait David aussi la retourna-t-il dans tous les sens comme un problème insoluble. Il traitait ces quelques mots prononcés à voix basse comme une énigme complexe et vitale. Il avait employait le mot « décédée ». Qu'est-ce que cela voulait-il dire déjà ? David ne s'en souvenait plus. Son cerveau était parasité. Il ne comprenait pas la réponse qui venait de lui être faite. Il essaya alors d'interpréter l'intonation et l'expression du médecin comme probablement un chien tente de comprendre les réflexions de son maître d'après l'inflexion de sa voix. Sans succès.
Décédée. Le mot en lui même n'avait pas l'air si terrible. Il sonnait même plutôt bien. David savait qu'il le connaissait, qu'il l'avait déjà entendu plusieurs fois. Mais jamais auparavant il n'avait été appliqué si intimement à sa propre existence. Et ce simple détail rendait son sens totalement étranger.
Le docteur vit bien le trouble qui était le sien. Alors il eut recours à un autre moyen pour lui transmettre l'odieuse vérité.
- Catherine est morte, David. Elle n'a pas survécu à l'accident. Je suis vraiment navré.
Le praticien l'était manifestement et c'est comme ça que David comprit le sort de sa femme.
La douleur lui coupa toute envie, tout besoin. Ses blessures physiques devinrent inexistantes. Une vague d'émotions aussi multiples que contradictoires le submergea. Une boule de haine grossit en lui. Il en voulait au docteur d'avoir tué son espoir, ses rêves, son avenir, sa vie.
Et Catherine.
En usant du pouvoir de quelques mots, il avait tout brisé en lui.
Rien de visible, rien de palpable, juste des mots et une pensée infernale à laquelle il devait se résoudre désormais. Et à jamais.
Comment se venger de quelque chose qui n'a pas de forme ?
Impossible.
Alors David laissa sa colère inapte se consumer sous un déluge de larmes. Il enfouit son visage dans ses mains.
Il ne pourrait plus rien construire avec elle. Sa vie avec Catherine s'arrêterait désormais aux souvenirs qu'il en garderait.
En prenant conscience de cela, il eut la sensation de mourir.
- Laissez-moi, dit-il sans même regarder le médecin.
Sa voix était à peine reconnaissable.
Le Docteur avait l'habitude de ce genre de situations. A force il s'était immunisé. Et c'est peut-être de le savoir qui enragea le plus David :
Il s'emporta.
- Sortez de cette chambre, nom de dieu !
Le médecin s'exécuta. Il en avait assez fait.
CHAPITRE 4
Goodbye my lover
David rentra chez lui, seul.
Il était rentré chez lui, seul, sans doute des centaines de fois, mais auparavant, il ne s'était senti seul dans ces moments là que d'un point de vue physique et le « chez lui » était un « chez eux » synonyme de solitude passagère, de prochaines retrouvailles, de futures étreintes, de tendres baisers, de dialogues passionnés, ...
Cette fois, le mot « seul » prenait tout son sens, s'imposait dans sa plus terrible et sa plus pesante réalité.
Il se sentait seul de tous les points de vue possibles et imaginables et il n'en était encore qu'aux balbutiements. Il le savait et c'était certainement ça le pire, cette conviction que l'enfer qu'il semblait avoir atteint n'en était en vérité que l'antichambre.
Il tourna la clé dans la serrure avec une lenteur surhumaine, désirant retarder au maximum la fulgurante fatalité de sa nouvelle condition, le moindre geste le rapprochant un peu plus de la réalité de son état.
Il n'y aurait pas de solitude passagère, pas de prochaines retrouvailles, ni de futures étreintes ou de tendres baisers, pas plus que de dialogues passionnés.
Elle ne l'attendait pas dans le salon, ni dans la chambre. Elle n'était pas occupée à lui préparer un de ses plats préférés, elle ne prenait pas de douche, n'essayait pas de se faire belle pour son retour.
La maison serait vide, et pas parce qu'elle aurait encore fait des heures supplémentaires pour faciliter le départ d'une collègue mère de trois enfants ou parce qu'elle se serait une fois de plus attardée dans le rayon produits de beauté d'un supermarché ouvert jusqu'à une heure indécente. Non.
La maison serait vide parce que Catherine était morte et qu'elle ne l'occuperait plus jamais de sa présence qu'il avait cru toutes deux indissociables.
Il le savait, une partie de son esprit le lui hurlait de toutes ses forces à lui en faire exploser le crâne. Mais une autre s'opposait à la plus impitoyable raison en lui répétant que tant qu'il n'entrait pas, tout était encore possible, que tant qu'il n'aurait pas inspecté chaque recoin de chaque pièce, il avait peut-être la possibilité de la retrouver comme si l'accident n'était non pas le souvenir d'une expérience, mais la persistance d'un mauvais rêve, d'une idée folle.
Il tourna la poignée et entra dans sa nouvelle vie.
Debout dans le hall, il vit Catherine entrer dans la cuisine sur sa droite. L'émotion le paralysa. Son bref passage fut comme un ouragan. Son pas alerte, presque dansant, le gracieux mouvement de sa chevelure aussi beau et précis que celui de sa main, et sa silhouette, grande, épanouie, élégante qui transportait son âme jusque dans ses profondeurs. Il dut fermer les poings pour ne pas se laisser submerger par l'émotion. Il fit un premier pas, un deuxième. Les suivants l'emportèrent à l'entrée de la cuisine où il la découvrit absorbée dans la préparation d'une pâtisserie. Brusquement, comme devinant sa présence dans l'embrasure, elle releva la tête et le dévisagea. Son regard avait toujours exercé sur lui la plus absolue fascination quelque fut sa nature. Ses yeux détenaient une telle vie, un tel feu intérieur. On disait que les yeux étaient le miroir de l'âme : les siens donnaient tout son sens à cette métaphore. Ils devinrent brillants et dans la seconde qui suivit, elle se jeta dans ses bras. Il la serra contre lui, se réappropriant son corps comme une partie du sien trop longtemps séparée. Il plongea une main dans ses cheveux et admira la beauté de cette alliance. Son autre main se lova sur son visage et en parcourut la courbe satinée. Et puis soudain, tout disparut. Elle disparut. Et il comprit qu'il n'avait fait que fantasmer une scène qui s'était produite d'innombrables fois dans sa vie. Il l'avait instinctivement reproduite comme si son cerveau était resté sourd aux nouvelles du jour.
David caressa le plan de travail vierge de toute recette, si détestablement propre, brillant, net.
Elle ne viendrait plus le salir de farine et de sucre et d'autres poudres odorantes plus mystérieuses, sur lesquelles il avait eu tant de mal à mettre un nom.
Il serra le poing et frappa violemment la céramique.
Cette pièce lui faisait trop mal. Il décida d'en sortir.
Lorsqu'il entra dans le salon, il sut que cela n'allait rien arranger.
Bien au contraire.
Ici aussi, leur intimité avait eu sa place. Il revit tout en quelques secondes. Les moments les plus forts de leur existence que cette pièce avait pu accueillir, il les retrouva dans une telle intégralité, une si parfaite authenticité qu'il sentit ses jambes ployer sous lui. Il tomba à genoux et se raccrocha au bras d'un fauteuil que la main de Catherine avait si souvent épousé. Chacun de ses souvenirs devenait une lame aiguë qui le poignardait, une balle tirée à bout portant qui lui explosait la poitrine, et qui en se succédant dans sa tête meurtrie, à un rythme infernal, composait un ballet de morts violentes dont il se relevait à chaque fois comme on relève un défi.
Cela aurait dû lui suffire, le décourager de poursuivre.
Pourtant il continua le voyage.
Il revint dans le couloir et s'immobilisant devant l'escalier en bois, jeta un regard à l'étage. Leur chambre s'y trouvait. Comparé à ce qui l'attendait là-haut, le salon n'était qu'un avant-goût. Il le savait pertinemment. C'était pure folie de vouloir replonger dans son passé, mais toute raison semblait l'avoir quitté depuis la funeste annonce. L'amour et la mort s'épousaient en lui de manière si violente que de cette union naissait un formidable désir de s'abandonner aux plus cruelles expériences de l'âme humaine.
Il grimpa chaque marche avec un profond soupir.
Arrivé sur le palier, il chancela.
Le couloir était encore saturé de son parfum, un mélange enivrant de santal et d'autres essences de bois.
Ne va pas dans la chambre, se répétait David comme pour conjurer la malédiction qu'il était en train de subir. N'y va pas. Tu vas devenir fou !
La porte n'était pas fermée. Catherine ne fermait jamais les portes. Il la poussa facilement. Les souvenirs commencèrent à affluer comme s'échappant de la pièce pour venir s'engouffrer en masse dans son crâne trop étroit pour leur donner refuge à tous.
Il entra instantanément dans un état second. La pièce chavira autour de lui avant de retrouver un semblant d'inertie. Il revit Catherine en train de se vêtir, de se dévêtir, de se maquiller, de s'étirer, de se parfumer, de se coucher. Il ouvrit son armoire. La vue de ses vêtements occasionna en lui une nouvelle explosion de visions aussi terribles que les précédentes. Il toucha les chemisiers, les tailleurs, les jupes, les manteaux et les pantalons du bout des doigts avec un mélange d'effroi et de fascination. Ce n'était que du tissu et pourtant ces morceaux d'étoffe colorée avaient le pouvoir de faire ressurgir en lui les sensations que ses mains avaient gardé en les foulant. Il ferma les yeux et laissa ses sens lui délivrer leur mémoire. Il se rappela la volupté associée à chaque parure et la peau de Catherine en faisait partie intégrante.
Lorsque sa main rencontra une robe noire en satin, il ouvrit brusquement les yeux. Il ôta le vêtement de son support et l'emporta. Depuis le premier jour où il l'avait vue, David avait considéré cette robe comme le parfait écrin de la beauté de Catherine. Une vérité lui apparut alors : durant tout le temps qu'il avait passé avec elle, il n'avait pas ressenti le besoin de vivre, simplement de l'aimer.
Il s'allongea sur le lit, à sa place à elle, serrant la robe contre lui et s'imaginant le corps qui l'avait habité.
CHAPITRE 5
- Merde, Kevin, tu sais très bien que je déteste ce genre d’endroit !
Kevin guidait David à travers la salle bondée comme un boucher traînerait un animal vers l’abattoir.
- Tu veux être publié, oui ou non ? Alors tu vas me faire le plaisir de te mêler un peu à la foule. Je ne sais pas si tu as remarqué, mais il y a des gens connus et respectés ici. Tu crois que ça été facile d’obtenir deux invitations à une soirée pareille ?
- Fallait pas te donner tant de mal.
Kevin s’arrêta et fustigea son ami du regard.
- Là, tu commences sérieusement à me gonfler. J’aime ce que tu fais, David, je respecte énormément ton travail, tu le sais. Et je serai le premier à me réjouir si tes œuvres étaient enfin reconnues à leur juste valeur. Mais il ne suffit pas de le vouloir. Il faut aussi s’en donner les moyens.
- C’est facile pour toi de dire ça. Tu n’es pas dans ma situation.
- Précisément. C’est pour ça que je suis ton aide la plus précieuse.
David grimaça, signifiant par là qu’il reconnaissait cette vérité, mais qu’en certaines occasions – comme en ce jour – cela ne l’enchantait pas particulièrement.
Après avoir fondu sur trois ou quatre buffets froids – à ce jeu-là, David et Kevin s’entendaient très bien – ils arrivèrent en vue d’un homme d’une cinquantaine d’années dont la suffisance n’était pas vraiment au goût de David. Et c’est avec un profond regret qu’il entendit son ami lui annoncer :
- Voilà Michael Manfred Senior, agent littéraire, producteur de films, et dénicheur de perles rares à ses heures.
Kevin passa un bras amical autour des épaules de David et le dévisagea avec de grands yeux :
- Tout à fait ce qu’il te faut, mon gars.
Puis il sourit dans une grande débauche d’émail.
Qui s’affaissa lorsqu’il vit l’expression défaitiste de David.
- Ce sera sans moi. T’as vu ce type ? On dirait un candidat aux élections en pleine représentation. Et que je te serre la main, et que je te tape la bise, et que je te souris et que je te dis du bien…
Une hôtesse charmante leur présenta un plateau de cocktails. David tendit une main pour prendre un verre, mais Kevin retint son geste.
- Excusez-nous, mademoiselle, on a un compte à régler avant.
Il emporta David qui adressa un regard idiot à la serveuse et le plaqua contre le mur d’une alcôve.
- Ecoute-moi bien, monsieur-je veux être riche et célèbre, va falloir que tu songes sérieusement à mettre de l’eau dans ton vin si tu espères mettre un jour du beurre dans tes épinards.
David avait toujours ce regard idiot qu’il se confectionnait naturellement quand les choses tournaient mal pour lui et qu’il ne voulait pas l’accepter.
- Et toi t’es qui ? Le cuistot de service ?
Kevin était noir et l’on sait que les noirs ne rougissent pas facilement. Pourtant en cet instant, David aurait juré que le visage de son ami s’était empourpré. Ce que vint confirmer un regard féroce de prédateur ulcéré que Kevin se confectionnait naturellement quand les choses et les gens n’allaient pas dans son sens.
- Là, mon ami, tu dépasses les bornes de mes limites.
Kevin resserra sa pression sur les épaules de David qui se voyait déjà installé à sa machine à écrire, amputé des deux bras.
L’image le fit sourire et puis rire.
Consterné par sa réaction, Kevin l’observa partir dans un fou rire complètement déplacé.
- Enfoiré, mais tu te fous de ma gueule !
Kevin le relâcha brutalement.
- Démerde-toi tout seul. T’es vraiment qu’un connard qui mérite que ce qu’il a.
Il fit demi-tour et disparut dans la foule.
Lorsque David le perdit de vue, il s’arrêta de rire. Et lorsqu’il s’arrêta de rire, il comprit qu’il venait peut-être de perdre son meilleur ami.
Là, son visage se rembrunit.
C’est vrai qu’il était un connard. Il avait vraiment le chic pour saboter la moindre de ses chances. Que ce soit avec le boulot ou avec les femmes, c’était pareil. Combien de fois Kevin l’avait branché sur des coups du tonnerre qu’il avait lamentablement esquivé, oublié, ignoré, rejeté. La liste était longue dans tous les cas.
Il sa rappela subitement une fille à qui il avait tapé dans l’œil. Une fille vraiment mignonne, pas vulgaire, attachante et surtout libre. Livrée sur un plateau d’argent. Un plateau qu’il avait renversé faute de croire à son propre bonheur.
Sans Kevin, sa vie professionnelle et sentimentale allait vite devenir synonyme de désert.
Il sortit de l’alcôve et jeta un regard noir à Michael Manfred Senior, la source de tout son malheur. Il savait qu’il n’était pas responsable le moins du monde, mais ça lui faisait tellement plaisir de s’en convaincre.
Les mains dans les poches, la tête basse, comme un gamin qui aurait perdu toutes ses billes à la récré, il se lamentait sur son sort lorsqu’une voix l’interrompit dans son suicide psychologique.
- Excusez-moi, vous savez où sont les toilettes de cette baraque?
Instinctivement, avant même de dévisager son interlocuteur, David trouva que l’emploi du terme « baraque » pour qualifier un manoir somptueusement meublé méritait à lui seul de s’intéresser à la personne. Mais lorsqu’il releva la tête, il sut aussi intuitivement qu’il allait faire bien plus que s’intéresser à cette personne.
La femme était grande, belle, bien coiffée, bien habillée. Une vraie star de cinéma. Elle portait le chignon et une robe noire en satin qui épousait son corps de diva.
David en resta bouche bée. Il oublia la question, Kevin, les gens autour, tout. Ou presque tout.
- Vous connaissez Michael Manfred ?
CHAPITRE 6
L’Ode à la Joie
- Vous avez un téléphone ? Vous devriez appeler votre ami.
Elle s’appelait catherine.
David n’osait la dévorer des yeux de peur d’être indécent et surtout de peur d’être le énième pauvre type à le faire. Il détestait les normes, ce qui aide fatalement à devenir marginal.
Mais cette rencontre était une bénédiction. Surtout quand il avait appris que cette rencontre avait pour nom Catherine Manfred.
- Vous avez raison, répondit-il en essayant maladroitement de dissimuler son trouble. J’attends juste le bon moment.
Catherine se leva brusquement comme si elle venait de se rappeler qu’elle avait quelque chose sur le feu.
- Il faut absolument que je vous présente à mon père.
L’usage de cette formule l’honora. Il n’en l’aima que davantage.
- Il recherche justement quelqu’un pour booster les ventes de Squirrel Editions.
- Squirrel ?
Catherine se fendit d’un sourire de reine.
- Oui, écureuil. C’est mon animal fétiche. Mon père m’a fait ce cadeau pour mes vingt-deux ans.
David écarquilla les yeux.
- Impressionnant.
Ce n’était pas tous les jours qu’il avait un tel vent en poupe. Kevin aurait été sans doute fier de lui bien qu’il n’ait rien fait de particulier en vérité. Bizarrement, la chance avait tourné au moment même où son meilleur ami s’était éclipsé. Fallait-il y voir une relation de cause à effet ? David savait qu’il aurait été injuste de sa part de penser une telle chose. Mais il manquait d’inspiration pour trouver une meilleure explication.
David suivit Catherine qui le guida jusqu’au cinquantenaire auquel il avait jeté un regard noir quelques instants plus tôt. L’ironie de la situation ne lui échappa pas. Il se mit à sourire. Michael Manfred Senior prit ce sourire comme une marque de politesse et sourit à son tour.
Catherine fut enchantée de ce premier contact. Elle connaissait suffisamment son père pour savoir que le premier était en général déterminant.
- Papa, je te présente David Cross. Il est écrivain. J’ai pensé que cela pouvait t’intéresser.
L’éditeur dévisagea sa fille, puis porta son attention sur David.
- Excellente déduction. Tu as vraiment de qui tenir, dit-il en riant.
Puis il enchaîna :
- Alors Monsieur David Cross, quel genre de littérature me proposeriez-vous ? Je suis sûr que c’est ambitieux, sinon Catherine n’aurait pas fait le déplacement.
Il lui adressa un clin d’œil complice.
- Elle me connaît assez.
La jeune femme haussa ses sourcils et hocha la tête en signe d’approbation.
David se sentait particulièrement petit et frêle entre ses deux personnages si débordants de charisme. Mais il ne voulait pas les décevoir. Et il se dit que ce serait bien d’annoncer à Kevin qu’il avait finalement pu approcher le grand patron de Squirrel Editions en obtenant une promesse de contrat juteux. Et pour sa gloire personnelle – qui se faisait plutôt la malle ces temps-ci – c’était une occasion en or. Bref, il avait trop à y gagner pour se laisser bouffer par le trac.
Comme David Cross n’avait pas l’étoffe suffisante pour se sortir de là, il entra alors dans la peau de Conrad Conley, un aventurier qu’il avait crée sur le papier pour une série de bouquins bon marché. Un mec sûr de lui, un brin charmeur, arrogant, pétri d’un savoir complètement inutile, blagueur de série z et doté d’un sens de l’humeur en perpétuel équilibre. Rien à voir avec lui, quoi. Enfin, il s’en persuadait.
Catherine vit tout de suite le changement s’opérer en lui. D’abord déboussolée, elle en vint vite à être fasciné par sa performance.
- Et bien Monsieur Manfred Senior, on ne va pas tourner autour du pot. J’ai un bouquin actuellement qui a tout pour redorer votre blason. Si tant est qu’il en ait besoin. Mais bon, c’est toujours bon à prendre me direz-vous. Deux couches de peinture valent mieux qu’une seule.
David s’esclaffa de sa plaisanterie. Il fut d’ailleurs le seul.
L’éditeur le scruta avec méfiance. David n’osa vérifier l’expression de Catherine de peur d’y voir celle du regret le plus sincère.
Il eut un instant de doute et de profonde solitude. Venait-il de saboter une fois de plus les chances de changer sa vie ? Il refusa cette éventualité en sentant la présence de Catherine à ses côtés et son hypothétique soutien dans cette épreuve.
Dans un sourire, il reprit une nouvelle dose d’assurance.
- L’histoire que j’ai à vous proposer va révolutionner la littérature. Je vous promets une histoire d’amour sans aucun précédent. Je vous promets un vertige d’émotions, une somme inédite de rebondissements, un déluge de tristesse, un sommet du drame humain. Je vous promets la peine, l’espoir et la joie dans leur vérité la plus totale. Je vous promets la richesse et la grandeur d’une vie, d’une passion, d’un homme et d’une femme. Je vous promets l’incertitude, le soulagement, la déception et le désespoir. Je vous promets une âme, un cœur et un esprit. Je vous promets tout cela et bien plus encore. Car cette histoire ne se contentera pas d’être belle. Elle changera la vôtre, la sublimera jusqu’à remettre totalement son sens en question. Elle modifiera votre passé, altèrera votre présent et vous forgera un nouvel avenir. Elle fera partie intégrante de votre identité, de votre destin. Cette histoire est une bombe qui va changer la face du monde. Alors oui, je pense que c’est assez ambitieux pour vous plaire.
Visiblement Michael Manfred ne s’attendait pas à pareille déclaration. Et il apprécia vite la chose à sa juste valeur.
Il jeta un regard empli de sous-entendus à Catherine qui ne savait pas si elle devait se réjouir ou bien disparaître. Lorsque son père posa une main sur l’épaule de David, elle sut.
- Et bien, Monsieur Cross, voilà ce qui s’appelle se vendre. Vous avez la langue bien pendue. J’ose espérer que votre plume est aussi aiguisée. Catherine va vous donner mes coordonnées. Je compte sur vous pour me faire parvenir très vite ce chef d’œuvre en devenir.
Nouvelle œillade. Puis le grand patron de Squirrel Editions prit congé.
Catherine se rua sur David, le cœur battant.
- Dites-moi que vous l’avez écrit et qu’il ne vous reste plus qu’à le peaufiner.
David la regarda avec son sourire idiot.
- Pas une seule ligne.
- Quoi ? Vous rigo…
Elle vit qu’il ne rigolait pas.
Alors la douceur de ses traits prit la tangente.
- Vous savez quelle sorte d’engagement nous venons de prendre auprès de mon père? Je suis dans le même bain que vous, figurez-vous ! Je vous avais fait confiance, je croyais…
David l’interrompit d’un geste étudié qui le surprit lui-même.
- Faites-moi toujours confiance.
Il la dévisagea ouvertement sans savoir si son attitude lui était dictée par Conrad Conley ou par lui-même.
- Quelque chose me dit que je vais l’écrire rapidement.
Il venait de trouver une source d’inspiration bien plus efficace que toutes celles qui avaient généré ces médiocres créations passées.
Elle le dévisagea et à son grand dam, sut qu’il ne mentait pas.
A ce moment, comme pour briser l’intimité qui commençait à naître, le téléphone de David se mit à sonner. Sa sonnerie était l’Ode à la Joie. Une évidente ironie pour quelqu’un habitué à collectionner les mauvaises nouvelles. Jusqu’à maintenant. Car quelque chose lui disait que c’était en train de changer.
- Excusez-moi, Catherine.
Il prit l’appel.
- Kevin ? Oui. Tout à fait d’accord avec toi. Fou ?
L’occasion était vraiment trop bonne et David se sentait bien trop en veine pour la manquer.
- Oui, absolument, je suis fou.
Il dévora enfin Catherine des yeux.
- Oui, fou amoureux.
CHAPITRE 7
David fut réveillé par la sonnerie du téléphone. Sa main trempée de sueur étreignait encore la robe de satin noire. Les larmes lui vinrent rapidement. Le visage de Catherine occupa son esprit tout entier comme un diamant trouve le parfait écrin pour le sertir. Il ne pouvait imaginer continuer à vivre sans elle à ses côtés. Ils étaient devenus indissociables. Sans elle, il n’était qu’une moitié de lui-même. Et sûrement pas la meilleure.
La sonnerie insistait, se moquant de ses états d’âme.
Il décrocha dans l’espoir totalement absurde d’entendre la voix de Catherine, de l’entendre lui reprocher d’avoir oublié de faire les courses, d’avoir oublié de venir la chercher chez Betsy, sa meilleure amie, d’écrire tard dans la nuit en oubliant d’être à ses côtés, n’importe quel grief pourvu que ce soit sa voix et celle de personne d’autre.
- Je suis désolé, David, j’étais retenu à l’autre bout du pays. Quand je suis arrivé, t’étais déjà sorti de l’hôpital. Je ne sais pas quoi dire. Catherine…C’est…Tu veux que je passe à la maison ? Je suis tellement…
David raccrocha.
Il avait un deuil à faire. A Kevin de faire le sien.
David dormit longtemps. Dans ses rêves dansait le visage de Catherine. Dans ses rêves, ils survivaient tous deux à l’accident, leur vie se poursuivait. Et ils étaient heureux.
Epaulé par ses souvenirs, l’esprit de David en construisait de nouveaux. Mais à un moment donné, le rêve basculait.
Ils étaient tous les deux invités à une soirée, se tenant à une distance respectable l’un de l’autre. David se sentait paralysé. Malgré tous ses efforts, il ne parvenait pas à se rapprocher d’elle. Ils se dévisageaient de temps à autre, ni plus, ni moins, puis la mort dans l’âme, David voyait Catherine quitter les lieux et monter dans une imposante voiture noire conduite par un homme aux cheveux bouclés qu’elle semblait connaître intimement. Au moment où il les voyait s’enlacer…
Il se réveilla en sueur, le cœur battant à tout rompre. Son regard se porta sur la robe noire en satin dans laquelle il s’était à moitié enroulé. Il sentit les larmes venir à nouveau. Il se prit la tête entre les mains. Ce dernier rêve – ce cauchemar – avait effacé la beauté des précédents. En dépit de la présence de Catherine, il lui avait laissé une terrible impression, une sensation glaciale, comme si la réalité de sa nouvelle vie voulait s’imposer à lui, même dans son inconscient.
Elle n’est plus à toi. Tu ne peux plus la rejoindre. Vous êtes séparés à jamais. Tu es tout seul. Elle est morte. Elle est morte. Elle est morte. Morte. Morte. Morte. Morte. Morte. Morte. Morte. Morte. Morte. Et sans doute enterrée.
L’image fut un poignard dans son esprit. Catherine enterrée. Catherine reposant sous terre. Catherine enfermée dans une boîte. Catherine pourrissant, dévorée par les vers. Ce fut insoutenable.
- Je vais devenir fou. Catherine…
A peine le visage de la jeune femme revenait-il à son esprit qu’il ressentait une plaie béante s’ouvrir en lui et anéantir toute sa volonté de surpasser ce drame.
Il se recroquevilla comme un enfant, serrant la robe de satin noire contre lui, faisant d’elle un linceul. Probablement le sien.
CHAPITRE 8
Il perdit rapidement la notion du temps.
Il s’éternisait dans son sommeil, ses nuits dévorant ses jours.
Seule la faim avait autorité sur lui pour le ramener à la réalité.
Le reste du temps, il restait allongé comme dans l’espoir de ne pas se réveiller ou de se réveiller à ses côtés.
Il ouvrait les yeux, fiévreux, abruti, plus fatigué encore. Ses rêves l’épuisaient. Il poussait son esprit dans ses derniers retranchements. Il faisait tournait sa mémoire comme un cheval fou autour d’une piste de cirque, inlassablement, encore et encore, se réappropriant chacun des moments passés avec elle, comme pour mieux les imprimer, comme un dessin sur lequel on repasse le crayon pour mieux en marquer les traits. Mais s’il continuait comme ça, il allait déchirer la feuille.
Qu’importait. Le mal qu’il pouvait se faire ne pouvait égaler celui qu’il avait reçu.
Gratuit !
Ce mot lui revenait sans cesse à l’esprit.
Tout cela était totalement dénué de sens, de justification.
Etait-elle morte pour lui permettre de comprendre à quel point le bonheur avait un prix ?
Quelle était la morale de l’histoire ?
Son cerveau n’arrivait pas à lui fournir la moindre réponse.
Il était embouteillé, parasité.
Il n’y en avait pas, tout simplement. Parce que la mort n’est pas une question ouverte ou fermée. C’est un impératif.
Il ne l’acceptait pas.
Trop radical.
« Je veux voir le responsable ! » se dit-il, ne sachant s’il était sérieux ou s’il se raccrochait à un trait d’humour rattrapé in extremis.
Il ne pouvait se faire à l’aspect définitif de sa situation.
« Tu es veuf, mon gars ! Faut te faire une raison. Une de perdue… »
- Ta gueule !
Il ouvrit les yeux. Il était à genoux sur le parquet de la chambre. Il tenait toujours la robe de Catherine.
Et il était toujours seul.
Une semaine passa ainsi. Peut-être plus.
David ne se levait que pour manger un peu et entretenir un semblant d’hygiène.
Un jour, des coups résonnèrent à la porte d’entrée.
David émergea d’une énième sieste. Groggy, comme sous l’effet de puissantes drogues, il analysa le bruit. Cela venait bien de chez lui. Etait-ce amical ? Etait-ce important ?
Il se rappela qu’il n’y avait rien de plus important que de rejoindre Catherine, une fois de plus, de la seule manière qui lui était désormais permise. Rien ni personne ne pouvait empêcher cela.
Il fit retomber sa tête sur l’oreiller et rajusta la robe de Catherine sur lui.
- Allez tous vous faire foutre !
Puis son visage se radoucit.
- J’arrive, chérie. J’arrive tout de suite.
Les coups redoublèrent.
- David, ouvre ! C’est moi, Kevin ! Ouvre cette porte, nom de Dieu !
Un long silence s’instaura.
- David, je te préviens : si tu n’ouvres pas cette foutue porte dans cinq secondes, je la défonce sans hésiter !
Au bout de trente secondes, Kevin adopta une posture menaçante. Il allait faire de son épaule musclée un bélier efficace lorsque la porte s’ouvrit.
David se tenait dans l’entrée. Il faisait peine à voir. L’expression de Kevin se radoucit aussitôt.
CHAPITRE 9
Les deux hommes étaient assis à la table de la cuisine dont le plateau disparaissait sous un monceau de lettres et de prospectus. Ils n’avaient pratiquement pas échangé un seul mot. L’absence de Catherine pesait de tout son poids sur eux. Son absence étouffait leur voix.
Les mots leur semblaient de toutes façons insuffisants, blessants même.
Kevin posa sa main sur le bras de David. Ce geste de réconfort, de soutien lui rappela combien la situation était douloureuse et combien elle était surnaturelle et inacceptable.
- Tu devrais rebrancher le téléphone, risqua Kevin.
David ne répondit rien. Il semblait être ailleurs, refusant une réalité où la femme de sa vie n’existait plus, refusant cette réalité et tout ce qui s’y rapportait. Kevin comprit qu’il faisait désormais partie d’une vie que David voulait à tout prix abandonner. Malgré lui, son attitude venait rappeler la tragédie. Kevin serra les poings. Contrairement à David, il ne pouvait pas faire autrement. Il était le seul à pouvoir l’aider à surmonter cette épreuve. Il avait déjà joué ce rôle d’ange gardien avec plus ou moins de réussite, David n’étant pas ce qu’on pouvait appeler un homme facile. Mais cette fois, il devait y arriver coûte que coûte. L’enjeu était trop important.
Catherine était morte.
Et David n’était plus tout à fait vivant.
- Il faudrait que tu sortes un peu. Je t’invite au restau. Il y a une éternité qu’on ne s’est pas fait un mexicain.
Kevin sentit qu’il tenait le bon bout pour réveiller de bons souvenirs et détendre l’atmosphère.
- Tu te souviens de cette soirée avec Rita, la serveuse du « El Gringo » ? Bon dieu, je n’avais jamais vu une fille aussi chaude. Elle nous a littéralement harcelé. On ne savait plus où se foutre. Il a fallu que le patron en personne se déplace pour qu’elle nous laisse manger. Ce n’est pas qu’elle n’était pas attirante, loin de là, mais ce jour-là, elle avait dû se vider la bouteille de parfum sur la tronche. Ma parole, ça puait l’essence de rose à des kilomètres. Tu te souviens, j’ai même failli gerber mon chili !
Kevin s’esclaffa bruyamment comme il savait si bien le faire. Seulement sa bonne humeur fut loin d’être contagieuse. David demeurait prostré sur sa chaise, sans laisser supposer qu’il avait écouté le récit de son ami.
Kevin s’interrompit. Cela devenait franchement gênant.
David se tourna subitement vers lui.
- Je sais pourquoi tu fais ça. Mais ça ne sert à rien. Je veux que tu partes. Tu ne peux rien faire.
Kevin déglutit. Il avait espéré un peu plus de résultat. Il ne pouvait accepter d’en rester là.
- J’aimais Catherine. Tu ne peux pas imaginer à quel point je l’aimais. C’était une bénédiction pour moi de connaître une femme comme elle.
Il s’empara d’un coupe-papier.
- Si me couper un bras pouvait la ramener, je n’hésiterai pas une seconde. Mais ça ne servirait à rien. Ce serait stupide. Ce qui ne l’est pas, en revanche, c’est que je fasse tout ce qui est en mon pouvoir pour t’épauler. Je te le dois et je lui dois à elle. Tu dois lui survivre. Tu mérites d’être encore heureux. Arrête de te faire du mal.
David se leva et fit mine de quitter la pièce. Kevin lui empoigna le bras.
- Je ne te laisserai pas tomber. Je te le jure. Etre ton meilleur ami n’a jamais été un slogan bon marché pour moi et tu le sais. Notre amitié est ce que j’ai de plus précieux.
David se dégagea et le fusilla du regard.
- Alors ne reviens plus si tu y tiens tant que ça !
Puis il disparut dans l’escalier.
Le visage de Kevin se crispa. La seconde d’après, il renversait le courrier sur le sol de la cuisine.
CHAPITRE 10
David se réveilla en sursaut. Il venait de sentir la présence de Catherine comme jamais. Son cœur devint fou. Il scruta la pièce comme s’attendant à tout moment à la voir apparaître.
- La salle de bains !
Il se rua dans la pièce. Vide. La baignoire avait été utilisée récemment. Par lui ? Il ne savait plus. Non. Il avait dormi depuis bien trop longtemps. Et puis ces derniers temps, sa toilette laissait sérieusement à désirer.
- Catherine ? C’est toi ?
Elle était dans la maison, cela ne faisait aucun doute. Sa présence était détectable. Presque palpable. Il ne pouvait se tromper. Elle était là, en dépit de tout ce que cela pouvait remettre en question.
- Catherine ?
Il descendit.
Il entra dans la cuisine.
Le courrier n’était plus là. Quelqu’un l’avait rangé.
- Catherine, où es-tu ?
Il traversa le vestibule et pénétra dans le salon. Vide aussi.
Elle était donc sortie.
Et puis soudain il entendit sa voix.
- Je ne supporte pas de te voir comme ça.
Il se retourna. Elle semblait si proche, pourquoi ne la voyait-il pas ? Et pourquoi ne lui répondait-elle pas ? Sa voix était si triste. On aurait dit qu’elle pleurait.
- Catherine, réponds moi !
- Si seulement on pouvait être à nouveau ensemble.
David courut, revint sur ses pas. Il inspecta de nouveau l’étage avant de regagner le hall. Il devenait fou. De l’entendre lui parler et d’être dans l’incapacité de la voir était pire que tout.
Il ouvrit la porte d’entrée.
Il ne se rendit pas compte de l’effet qu’il fit sur le voisinage. Ses yeux pleuraient et son regard trahissait un état proche de la démence.
- Catherine ! Mais dis-moi où tu es ! Réponds-moi, nom de Dieu !
Une voiture s’arrêta à un feu. Les vitres étaient baissées. Le conducteur écoutait de la musique. David chancela et se raccrocha de justesse au chambranle de la porte.
C’était Unintended de Muse.
(à suivre)
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lundi, 14 juin 2010
La Peau de l'Ours [Red Dead Redemption FanFic]
Il fixait l’antre de la bête depuis bientôt une heure. Malgré ses vêtements fourrés et sa toque de trappeur, il commençait à sentir le froid lui transpercer les os. Il passa une main sur son œil droit pour chasser un flocon de neige égaré et raffermit ensuite la prise sur sa winchester à canon long.
L’animal qu’il convoitait était une légende vivante. Il avait existé quelques autres spécimens comme lui, du temps où son père lui apprenait les rudiments de la chasse, mais Gwarl était de loin le grizzly le plus dangereux qui ait été répertorié dans la contrée de Tall Trees. Son tableau de chasse était connu jusqu’à Armadillo et il ne comprenait pas que des mouflons : chasseurs, voyageurs égarés, bandits, chasseurs de primes, un paquet de gars téméraires avaient laissé leur peau sous ses griffes meurtrières.
Le trappeur qui observait pour l’heure sa tanière, songeait qu’en le tuant, il allait faire bien plus que remplir sa bourse et gonfler sa réputation : il allait débarrasser le pays d’un monstre assoiffé de chair et de sang. Il secoua la tête pour chasser cette pensée lorsqu’il repéra un mouvement dans la pénombre de la grotte. Quelque chose de massif était en train de s’en extraire. Le tireur s’était embusqué sur une hauteur, dominant de ce fait sa cible d’une bonne trentaine de mètres. Il s’était recouvert de neige afin de se fondre davantage dans le décor. Des bêtes comme Gwarl avaient un flair et un bon, il était donc pure folie de penser que l’on pouvait, sans précautions, se soustraire facilement à ses sens aiguisés.
La silhouette repérée émergea enfin de l’ombre. Le chasseur aux aguets faillit faire feu, mais se ravisa juste à temps en poussant un soupir. Ce n’était pas sa proie. L’animal était plus petit et sa fourrure plus claire comparée aux descriptions et illustrations qui circulaient à Blackwater.
Sa déception fut grande, mais il ne perdit pas espoir pour autant. Gwarl avait sans doute une progéniture dont personne jusqu’alors n’avait soupçonné l’existence. L’homme caressa la gâchette de sa carabine en songeant qu’il était peut-être sage d’empêcher une autre génération de carnassier tueur de prospérer.
Un halètement rauque caractéristique mit brutalement fin à cette perspective. Le temps de se retourner, le trappeur vit sa proie se dresser au-dessus de lui dans une attitude qui ne laisser planer aucun doute sur ses intentions. Gwarl se tenait face à lui, dans toute sa magnificence. La beauté du diable, aurait-on presque pu dire à son sujet. Sa fourrure noire miroitait sous le soleil de midi, ses narines palpitaient de rage et ses yeux jetaient des feux qui auraient alimenté la chaudière d’une locomotive lancée à plein régime. Quant à ses griffes et ses crocs, ils avaient de quoi rendre jaloux n’importe quel autre prédateur digne de ce nom. Une impression de puissance et de sauvagerie indescriptible émanait de son corps en furie, tendu et prêt à faire un nouveau carnage. « Le salaud, il m’a senti ! »
L’homme brandit son fusil en avant pour abattre l’animal à bout portant, mais d’un coup de patte ce dernier fit voler l’armer au loin. L’homme, lui-même, faillit bien l’imiter. Il roula sur le côté pour éviter une autre attaque qui lui entailla légèrement le flanc. Puis se retrouvant sur le postérieur, il recula tant bien que mal, les griffes du Grizzly creusant entre ses jambes d’inquiétantes tranchées. Il réalisa bientôt que le sol descendait. Il exécuta une roulade arrière, perdit sa toque dans la manœuvre que l’ours s’empressa de déchiqueter comme pour calmer sa faim. L’homme se retrouva le dos contre un arbre. Il n’eut que le temps de baisser la tête pour éviter de la perdre. Les griffes de son adversaire sabrèrent le tronc dont il ne resta qu’une maigre souche.
Le chasseur devenu proie se sentant à nouveau maître de lui, se nourrit de l’adrénaline du combat pour en tirer sa plus grande force. Il dégaina son couteau de chasse et se jeta contre le poitrail de la bête. Cela lui fit l’effet de percuter un mur d’enceinte. Mais lorsque la lame s’enfonça, Gwarl produisit un hurlement prodigieux qui en disait long sur sa colère et sa douleur. L’instant d’après, il projeta le trappeur d’un ample coup de patte. L’homme dévala la pente, souillant la neige par endroits du sang d’une nouvelle blessure. Il arrêta sa course au bord d’un torrent dont l’eau glacée eut le don de le ranimer rapidement. Il se redressa en gémissant. L’ours lui avait ouvert la poitrine, manquant peu son cœur. Visiblement, lui aussi avait manqué le sien. Même de sa position, il pouvait entendre aisément l’animal furieux pousser des grondements à la mesure de son courroux. Le trappeur sursauta en entendant un cri aigu juste à côté de lui. Il faillit éclater de rire en voyant un castor trottinait de son allure pataude en direction du cours d’eau.
- Salut, toi !
Il grimaça en sentant sa plaie ouverte.
- Désolé, mais je vais pas pouvoir rester faire la conversation. Ca aurait été avec grand plaisir, mais je ne peux pas laisser le couteau de mon père dans la panse d’un ours qui respire encore.
Il essaya de se relever complètement, mais se tordit sous la douleur. On aurait dit que quelqu’un lui cajolait la peau avec un tisonnier. C’est précisément à ce moment là qu’il remarqua une embarcation laissée à l’abandon à quelques mètres de lui. Et surtout la rame qui reposait à l’intérieur. Il la cassa en deux sur son genou et commença à remonter la pente en appuyant ses pieds bottés sur les troncs d’arbres jalonnant le chemin jusqu’à sa cible.
Gwarl faisait fonctionner son odorat à plein régime. Il sentait le sang, celui de l’homme, mais aussi le sien, chose qui lui était beaucoup moins familière. La lame enfoncée jusqu’à la garde dans son cuir le brûlait comme un morceau de charbon chauffé à blanc, mais elle avait aussi le don de décupler ses réflexes de chasseur. Il retomba sur ses membres antérieurs et commença à descendre en direction du torrent, là où il avait cru voir sa proie tomber. Un mouvement inattendu lui fit lever les yeux. Instinctivement, il se dressa à nouveau. Il eut le temps de reconnaître l’homme responsable de ses maux, bondissant dans les airs tel un cabri, avant de sentir la pointes de deux lances improvisées s’enfoncer dans sa gorge. Le grizzly s’abattit sur le sol poudreux avec une violence inouïe, soulevant dans sa chute des paquets de neige comme pour conférer à sa mort une allure presque divine.
Le trappeur était retombé sur son flanc blessé, ce qui l’empêcha d’apprécier immédiatement sa victoire. Mais lorsqu’il fut en mesure de rejoindre la carcasse inerte de Gwarl, il esquissa un sourire et récupéra son couteau poisseux des entrailles de la bête. Jack Marston nettoya la lame, puis l’embrassa en souriant franchement :
- Tu m’en aurais voulu, P’pa, n’est-ce pas ?
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Le Glas sonne toujours Trois fois [Red Dead Redemption FanFic]
Le soleil effleurait le sommet déchiré des falaises rouges de ses doigts de lumière comme un amant attentionné caresserait lascivement le corps d’une femme assoupie à ses côtés, une femme depuis longtemps convoitée.
La chaleur faisait miroiter le sol et l’air tout autour des deux hommes, debouts face à face. Comme dans un duel. Et justement, c’en était un.
Les jambes légèrement écartées, la moustache luisante et le pardessus fringant, Gordon Blackmore défiait son adversaire du regard en caressant nerveusement la crosse nacrée de son six coups, gagné au poker deux jours plus tôt.
L’autre se tenait droit comme un I, comme pour le provoquer davantage, et mâchonnait un brin d’herbe en lorgnant le levant.
Ou ce type était fou à lier ou c’était un tireur émérite.
Gordon s’en moquait bien, il avait déjà réduit au silence plusieurs représentants des deux catégories. Sa réputation à Armadillo n’était plus à faire.
Les témoins se gardaient bien de prévenir le Marshall officiant dans la ville. Un duel était moins un crime qu’une attraction par ici et moins encore un simple règlement de compte.
Un duel au soleil était de loin la plus belle façon de mourir à cette époque où la sauvagerie des loups n’avait rien à envier à celle des hommes.
Le brin d’herbe fut brusquement éjecté d’entre les lèvres de l’étranger. C’était le signal. Il y en avait toujours un, peu importait sa forme.
Les témoins retinrent leur souffle. Certains, plus téméraires, osèrent se rapprocher de quelques pas, comme pour mieux voir à quoi ressemblait la mort.
Un hardi garçonnet avait même pris congé de ses parents à leur insu pour assister au spectacle. Planqué derrière l’auge des chevaux, il scrutait de ses beaux yeux bleus innocents les deux pistoleros en leur inventant à chacun un passé héroïque.
Sûrement plus reluisant que le véritable.
Le coup partit si vite que les regards les plus vifs furent pris de vitesse. Dans le silence qui s’était fait maître de la rue, la détonation fit l’effet d’une explosion.
Les deux hommes avaient dégainé et ne semblaient pas être blessés. Certains observèrent les canons pour connaître celui qui avait tiré. Le garçonnet vit une mince volute de fumée s’échapper du colt noir et argent de l’étranger. Gordon lâcha son arme et éructa. Sa bouche cracha une giclée de sang et il bascula en avant dans un grand envol de poussière et de tissu.
Alors c’était à ça que ressemblait la mort ?
Les plus désappointés reprirent rapidement leur activité interrompue en se demandant ce qui avait bien pu leur faire espérer autre chose.
Les autres, éblouis par la chute d’un géant, restèrent sur place, le regard accroché sur le cadavre et l’étranger qui rangea son arme fumante dans son étui.
Sa dégaine était celle d’un baroudeur solitaire, mais son assurance et l’expression franche de son visage bronzé dénotait un instinct social des plus aiguisés.
Il ne portait pas de chapeau. Ses cheveux blonds étaient singulièrement longs et ses vêtements aux couleurs passées lui conféraient l’allure d’un vagabond.
Le genre de type dont on ne se méfiait pas. Pas assez.
Gordon Blackmore venait de faire les frais de cette erreur. Il aurait pourtant dû savoir depuis le temps qu’une bonne main au poker pouvait être synonyme d’aller simple en Enfer pour qui contestait un peu trop la fortune des autres.
Le goudron et les plumes, c’était dépassé. Dommage pour Gordon. Il apprendrait à voler autrement, désormais.
L’étranger venait de s’agenouiller auprès du corps inerte du joueur invétéré. Ses mains expertes fouillèrent ses habits poussiéreux. Il en extirpa quelque chose qu’il dissimula bien vite dans sa besace avant de poser son regard perçant sur le garçonnet ébahi.
- Tu devrais rentrer chez toi, petit. Tu es un peu trop jeune pour voir de telles choses. Si j’avais su, j’aurais attendu que tu partes. De si beaux yeux ne devraient pas être souillés par cette parodie de justice.
L’étranger avait une voix plutôt douce qu’il s’efforçait visiblement de durcir pour paraître plus effrayant.
Il se leva, jeta un dernier regard à l’enfant fasciné, avant de pousser les portes battantes du saloon.
L’étranger s’installa nonchalamment au comptoir en ignorant l’attention dont il faisait l’objet.
- Un whisky !
- Offert par la maison ! lança le barman, jovial. Ce Blackmore m’a toujours fait l’effet d’une sale crapule, sans cesse dans l'attente d’un mauvais coup. Il rançonnait d’honnêtes gens depuis trop longtemps avec ses jeux et ses paris stupides. Je suis content que quelqu’un ait fini par lui clouer le bec une bonne fois pour toutes.
Sa mine s’assombrit lorsque deux hommes entrèrent dans la salle.
Ils portaient des chapeaux ronds et affichaient une élégance relative. Leur costume avait connu des jours meilleurs et sans doute qu’eux aussi à en juger par leur rictus commun. L’un d’eux sortit son arme et pulvérisa le verre que l’étranger s’apprêtait à vider.
- Gordon Blackmore était peut-être une grande gueule et un flambeur, mais ce qui est sûr c’est qu’il ne méritait pas de finir troué par un traîne-savate dans ton genre.
- Pourtant, c’est bien lui que le croque-mort est en train d’embaumer.
L’étranger lécha l’alcool qui avait aspergé son visage avec une lenteur provocatrice.
- Dans quelques minutes, ce sera ton tour, blondinet de mes deux !
Une seconde plus tard, les deux comparses de Blackmore ressortirent du saloon, avec chacun une balle dans le cœur.
- J’avais très soif, déclara l’étranger comme pour justifier sa justice expéditive aux clients attablés. Et quand j’ai très soif, je suis très susceptible.
Le barman lui servit un autre verre tout en fixant les portes battantes qui grinçaient encore.
- Tu as un nom, l’étranger.
L’intéressé vida son verre d’un trait avant de se coller un nouveau brin d’herbe entre les dents.
- Ouais.
- Lequel ? fit le commerçant, éberlué.
- Way, c'est mon nom. Je m’appelle William Way. Et j’ai encore pas mal de chemin à faire. Alors, ne m’en veuillez pas si je ne reste pas plus longtemps dans votre charmante bourgade.
Sur ces mots, il quitta l’établissement et il ne fut bientôt plus qu’une silhouette indistincte à l’horizon, un mirage comme on peut en voir tant d’autres du côté de Cholla Springs.
T’as aimé…ou pas
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dimanche, 07 février 2010
La Naissance de Morpho [Nouvelles/Le Combat du Papillon]
« Dieu fit la liberté, l'homme fit l'esclavage. »
M.J.Chenier, Fénelon
« Et quand tes fils sont condamnés aux fers et plongés dans l'obscurité du cachot humide,
ils sauvent la patrie par leur martyre et la gloire de la liberté ouvre l'aile à tous les vents. »
Lord Byron, Le prisonnier de Chillon
« Ce que la lumière est aux yeux
ce que l'air est aux poumons
ce que l'amour est au cœur
la liberté est à l'âme humaine. »
R.G. INGERSOLL, Progrès
J'étais noir.
J'étais esclave.
Et à l'époque, c'est tout ce que j'étais.
Du moins aux yeux de ceux qui nous opprimaient, moi et mes compagnons.
Nous travaillions dans les plantations, sur les voies de chemin fer, dans les carrières, partout où la vigueur de nos bras pouvait accomplir son œuvre.
Lorsque nous n'étions pas assez vigoureux ou assez rapides, ils avaient recours aux menaces. Et si cela ne suffisait pas, il y avait toujours le fouet.
Je connais bien sa morsure. Elle m'a longtemps accompagné.
J'étais parmi les plus assidus au travail, mais cela ne les empêchait pas de me flageller régulièrement. C'était un moyen efficace pour encourager les plus lents à redoubler d'efforts.
Je n'en voulais à personne, en aucun cas à mes compagnons. Je ne gardais aucune rancœur.
C'était une condition et je l'acceptais, résigné. J'espérais, toujours en secret, qu'un jour ou l'autre ma docilité serait récompensée.
D'une manière ou d'une autre.
Mais mon obéissance aveugle finit par se retourner contre moi.
Mes compagnons finirent par voir d'un mauvais œil ce qu'il prenait à tort pour du zèle. Ils ne me faisaient aucun reproche de vive voix, mais leurs regards parlaient pour eux.
Non seulement, je n'étais pas libre, mais très vite, je me sentis plus seul que jamais.
Seul au monde.
C'est à partir de ce moment que naturellement, comme un réflexe de survie, j'ai tourné mon regard vers l'intérieur. Et là, j'ai eu accès à un monde nouveau qui avait toujours été là, mais dont j'avais ignoré l'existence.
Ou plutôt que j'avais oublié.
J'ai commencé à faire des rêves étranges.
Je découvrais des paysages magnifiques, des forêts, des montagnes, des océans.
Je les survolais.
Mon âme était libre et rien ne lui était impossible.
Je goûtais à toutes les joies de la délivrance, des joies que sur terre je n'aurais même pas pu imaginer.
Le réveil était violent. Comme une déchirure.
Je me retrouvais enchaîné, entouré de gens qui me méprisaient.
La douleur était atroce.
Je maudissais le jour et je bénissais la nuit.
Tandis que j'abattais ma part de travail, je songeais aux splendeurs que j'allais pouvoir retrouver dès l'instant où je pourrais fermer les yeux et m'abandonner au sommeil.
Plus d'une fois, j'endurai le mépris de mes frères et le fouet de nos tortionnaires en m'imaginant dans ces contrées, délivré de toute entrave.
La vie me permettait de rêver et le rêve me permettait de vivre.
Mon sort devint dès lors plus supportable. D'autant que je me découvris un don nouveau.
Je pouvais parler aux animaux.
Passant nos journées en pleine nature, il était courant de faire des rencontres avec la faune locale. Je m'aperçus que les petits animaux n'étaient pas effarouchés par ma présence et que la proximité des plus grands ne m'effrayait pas. Bien au contraire.
C'est parmi les bêtes que je me fis mes meilleurs amis. Car contrairement aux hommes, les bêtes, elles, ne vous jugent pas. Elles vous acceptent ou vous rejettent, mais elles ne vous condamnent jamais.
Les liens privilégiés que je nouai avec un certain nombre de rongeurs, de chats et de chiens sauvages et même d'oiseaux commença à attirer l'attention.
Evidemment, je me serais bien passer de me faire remarquer davantage.
On commença à murmurer dans mon dos. Me prenait-on pour une sorte de sorcier ?
Les oppresseurs, nos maîtres, exprimèrent cruellement leur antipathie vis-à-vis de mon empathie.
Un jour, ils exécutèrent froidement et sous mes yeux plusieurs animaux auxquels je m'étais attaché. Ils n'admettaient pas que je puisse trouver une distraction, un exutoire.
Ils voulaient que je souffre et ils voulaient me voir souffrir.
Malgré moi, je leur donnai satisfaction.
Cela parut soulager tout le monde.
Tout redevint comme avant.
Les hommes se remirent à chanter.
Et le fouet à siffler.
Et le sommeil venait me délivrer de mon martyre.
Un autre jour, alors que nous établissions un campement en pleine forêt, un de nos maîtres surprit une ourse en maraude. Je sus intuitivement que c'était une femelle. Craignant pour la vie de ses petits, elle voyait d'un mauvais œil la présence d'hommes - qui plus est armés - à proximité de sa tanière. J'étais, hélas, fait pour la comprendre.
Bien entendu, le maître en question n'avait aucune chance face à la furie de l'animal. Je me réjouissais presque de voir le malheureux mis en pièces, moi qui n'ai pourtant jamais eu aucun goût pour la violence.
Lorsque je vis les fusils se lever pour abattre l'ourse, je réagis sans même y penser.
Je m'approchai de la bête furieuse et sans un mot, lui communiquai mon désir de la voir calmée. Je parvins à la rassurer et comprenant que sa vie et celle de ses petits n'étaient pas menacées, elle retomba sur ses puissantes pattes et fit demi-tour.
Cet exploit aurait dû faire de moi un héros.
Tout du moins, un homme de valeur.
Las. Je devins la bête noire.
On pensa même que c'était moi qui avais attiré l'ourse dans l'intention de semer la panique et permettre ma fuite. Je ne trouvai aucun avocat parmi mes compagnons.
Me mépriser leur faisait du bien car cela ne leur coûtait rien. Aucun coup de fouet à redouter. Alors c'était une raison suffisante pour eux de se comporter ainsi avec moi.
Je devins un homme maudit, banni de son propre clan.
Il ne me restait plus rien pour soulager ma peine. Sans soutien d'aucune sorte, je faiblissais et ne tardai pas à rejoindre les plus lents.
Le sort s'acharnait contre moi.
L'espoir me revint ce fameux jour où l'un de nos plus vieux frères tomba de fatigue.
Les maîtres ne voulurent rien savoir. Nous avions déjà pris du retard sur les travaux à cause de la chaleur.
Le fouet claqua une fois, puis deux.
Il n'y eut pas de troisième fois.
Voyant là l'occasion idéale de reconquérir l'estime de mes compagnons et de sauver la vie de l'un des plus estimés, je méprisai les conséquences d'une telle entreprise et me jetai de tout mon poids sur le tortionnaire.
Il me fit regretter mon geste. Des coups de bâton se mirent à pleuvoir sur moi.
N'eut été l'outil que je représentais à leurs yeux, nul doute qu'ils m'eurent frappé à mort, sans l'once d'un regret.
Je perdis connaissance.
Lorsque j'ouvris les yeux, je demeurai curieusement dans le noir.
A l'écoute des sons environnants, nul doute pourtant que le jour se fut levé.
Je reconnaissais la brûlure familière du soleil sur ma peau.
Mais je ne voyais rien.
Manifestement, ma tête n'était pas encore remise des effets de ma récente bastonnade.
L'obscurité se prolongeant tout autour de moi de manière inquiétante, je songeai avec terreur que mon cerveau avait pu être atteint trop fortement.
J'appelai à l'aide, paniqué par cette éventualité.
Un maître vint.
- Je suis aveugle, dis-je. Je ne vois rien.
J'entendis le maître sourire.
- Je sais. C'est moi qui tenais le charbon ardent.
Cette déclaration me coupa la respiration. Je tombai à genoux.
J'avais perdu la vue. Définitivement. Ils me l'avaient volée.
C'était ma punition. Ma bravoure m'avait coûté le dernier bien qui me restait.
Je crus mourir.
On peut penser que dans mon état, la besogne qui faisait mon quotidien me serait épargnée.
Aucunement.
La réalité se faisait plus terrible encore.
Alors naturellement, mes rêves se faisaient plus beaux.
Et mes réveils plus douloureux.
Et ainsi de suite.
Je ne voyais qu'une solution, qu'une seule issue pour quitter cet enfer.
J'attendis sagement que l'occasion se présente.
Et elle se présenta.
On nous chargea de réparer un pont.
Beaucoup de mes compagnons avaient le vertige.
Pour moi, le problème ne se posait même pas.
Je fus conduit sur la construction.
Je n'avais pas besoin de voir pour accomplir ma tâche. Mes mains étaient mes yeux et elles oeuvrèrent avec habileté.
Tous mes autres sens en alerte, je m'efforçai de repérer le bon moment pour agir.
Un incident survint. Il y eut un craquement. Des voix.
Une planche avait cédé sous le poids d'un homme.
Une aubaine inespérée.
On répara la planche. Mais par bonheur, je trouvai sa sœur jumelle.
Je tus ma découverte, priant pour que mon secret demeure intact.
Le lendemain, je retrouvai l'endroit précis.
Le maître responsable de ma cécité vint me railler sur mon handicap. C'était devenu son nouveau jeu et il y prenait beaucoup de plaisir.
Je me souviens avoir souri avant de lui dire :
- Vous avez peut-être pris mes yeux, mais vous n'aurez jamais mon âme.
Puis j'ai sauté de tout mon poids sur la planche pourrie.
Nous sommes tombés tous les deux.
Une chute mortelle.
Mais je n'ai rien senti.
A l'instant où mon corps a touché le sol, mon âme s'est envolée.
J'ai déserté mon corps, recouvrant la vue et la liberté.
Mes rêves sont devenus mon quotidien.
Plus besoin d'attendre la nuit et le sommeil pour les rejoindre.
J'ai retrouvé mes amis les animaux. J'ai pu de nouveau parler avec eux.
Je me suis aussi découvert un don nouveau.
Je pouvais devenir l'animal que je voulais être.
Cette capacité à me métamorphoser a décidé de mon nom, j'imagine.
A moins que cela ne vint des magnifiques ailes de papillon dont je devins l'heureux acquéreur.
A l'instant où mon corps a touché le sol, mon âme s'est envolée.
Et elle vole toujours.
J'étais noir.
J'étais esclave.
Mais aujourd'hui, cela ne signifie plus rien pour moi.
Car mon âme est libre.
Et l'âme n'a pas de couleur.
T’as aimé…ou pas
T’as tout lu, tout vu, tout entendu…ou pas
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vendredi, 05 février 2010
La Naissance de Monarque [Nouvelles/Le Combat du Papillon]
« J'ai souvent regretté qu'il n'existât pas des dryades ; c'eut infailliblement été avec elles que j'aurais fixé mon attachement. »
Jean-Jacques Rousseau (Les Confessions)
J'étais un libertin.
Un noceur.
Avec tout ce que cela sous-entend de débordements, d'inconséquences.
Et de dépravations.
Mais j'étais heureux.
Du moins en étais-je convaincu.
Je goûtais à tous les plaisirs.
Sans crainte, sans doute et sans regret.
Je ne connaissais aucun tabou, aucun interdit.
J'obtenais ce que je désirais et je désirais ce que j'obtenais.
Rien ne me freinait.
Et si ma conduite indisposait quelqu'un, cela était rapidement et proprement réglé.
Au pistolet, s'il s'agissait d'un homme.
Au lit, s'il s'agissait d'une femme.
Dans les deux cas, je remportais toujours le duel.
J'étais fin tireur.
Ma réputation se répandit comme une traînée de poudre.
Ma compagnie devint un bien très convoité.
J'avais une certaine fortune et un charme certain.
Ce qui ne gâchait absolument rien.
Les hommes m'enviaient ma table.
Les femmes, mes murs.
Les uns comme les autres ma capacité à les séduire par ma seule présence.
Je n'étais pas roi.
Mais je possédais une cour que le monarque lui-même devait me jalouser.
Plus tard, je lui ravirai même ce titre.
Une nuit, pourtant, toute cette existence bascula.
Je fis un rêve qui devait changer ma vie à jamais.
Ma vie et surtout mon âme.
Dans ce rêve, j'atteignais un endroit d'une beauté sans pareille.
Des arbres immenses et majestueux montaient jusqu'au ciel. Les rivières étaient peuplées d'étoiles, cascadant des nuages et les pétales colorés des fleurs étaient de somptueux papillons qui s'envolaient à mon approche.
C'était comme de marcher dans un vivant poème.
Quelque chose m'avait attiré en ces lieux.
Quelque chose d'important, de vital.
D'inévitable.
L'air était empli de senteurs enivrantes.
Un orchestre invisible jouait une symphonie aux accents enchanteurs accordés à la beauté du paysage dans lequel je m'enfonçais.
A un moment donné, je me suis arrêté au bord d'une rivière, moins pour me désaltérer que pour goûter l'eau dont je devinais la saveur.
Je ne me trompai pas.
Elle était en effet d'une fraîcheur exquise, revigorante. Meilleure en tous points que tous les alcools dont j'avais le loisir d'abuser.
Lorsque je relevai la tête, elle était là, de l'autre côté de la rivière, m'épiant de ses grands yeux dorés. Ses longs cheveux, ainsi que son corps entier, semblaient parfaitement se fondre dans le sous-bois environnant. Seuls ses beaux yeux de biche ressortaient clairement de la nature dans laquelle elle savait si bien se dissimuler.
C'était une nymphe. Une dryade.
Je le sus intuitivement.
Alors mon cœur se mit à battre très fort.
J'eus le sentiment de redevenir un enfant.
Pur, innocent.
Je ne pouvais détacher mon regard de ces yeux, de ce visage.
Ce fut comme une révélation pour moi.
Mon émotion fut si forte qu'elle m'éveilla.
Je me retrouvai dans un lit. Des corps de femmes nues étaient couchés près de moi, figés dans des poses obscènes qui me rappelèrent une longue soirée d'orgies.
Je me levai et quittai cette couche impie, en proie à une panique sans nom.
A cet instant précis, j'eus l'horrible sentiment de retomber en enfer, moi qui avais connu le paradis.
Le choc fut terrible.
Je découvris qui j'étais, quelle vie j'avais menée jusqu'alors.
Une vie sans scrupule, sans morale.
Et cette vérité me terrassa littéralement.
Je connaissais mon âme. Je l'avais rencontrée dans ce rêve. J'avais vu sa beauté. Je ne pouvais plus l'ignorer. Mais j'avais un corps qui la retenait prisonnière et faisait de moi un véritable monstre de perversité.
Pendant des années, je m'étais comporté avec la plus parfaite insouciance, prônant le vice, l'érigeant en éducation.
Je m'étais fait geôlier, puis bourreau de mon âme.
Ma nature profonde enfin révélée, il m'était désormais impossible de me conduire comme avant.
Tout du moins, c'est ce que je crus.
Les habitudes revinrent vite.
Si j'avais pu être seul un certain temps, j'aurais pu sans doute m'absorber dans quelque réflexion salutaire. Mais je ne l'étais jamais. Je n'avais jamais ressenti le besoin de l'être auparavant. Des hommes et des femmes étaient sans cesse à mes côtés.
Pour ne pas dire plus près.
Pris dans le tourbillon de ma vie de débauche, j'oubliai mon âme.
Jusqu'à ce que je m'endorme.
Alors elle reprenait tous ses droits et profitant de l'inertie de mon corps épuisé de ses excès, me conduisait naturellement où était ma place et où m'attendait mon destin.
Car bien heureusement, je la revis. La nymphe.
Elle se baignait dans une rivière, son beau corps nu aux couleurs de la forêt dont elle était gardienne, sa chevelure verte et épaisse comme un doux lit de mousse se déversant dans l'onde pure.
Lorsqu'elle sentit qu'elle n'était plus seule, les pétales vivants des fleurs environnantes s'envolèrent et vinrent la couvrir de leur parure multicolore.
Lorsqu'elle se retourna, seul son visage était visible.
Son visage et ses yeux dont le regard me transperçait le cœur avec la vélocité et la précision d'une flèche.
Et son carquois était rempli.
Mais mon regard n'avait rien à envier au sien, comme je devais l'apprendre plus tard.
Mon cœur battant comme un soufflet de forge, je la vis s'avancer vers moi avec une grâce surnaturelle.
Le vêtement qu'elle portait, vivant et animé, chatoyait par instant lorsque les papillons le composant faisaient battre leurs ailes.
La magie était palpable.
Je fus convaincu de vivre le plus beau moment de ma vie.
Elle était si près de moi lorsqu'elle s'arrêta. J'étais paralysé, enraciné au sol.
Comme un chêne.
Je me demande encore comment j'ai pu trouver la force de parler dans de telles circonstances.
Sans doute craignais-je de ne plus jamais en avoir l'occasion.
- Je voudrais devenir comme toi.
Elle m'étudia longuement, moi ainsi que la déclaration que je venais de lui faire.
- C'est impossible.
Ses lèvres avaient à peine bougé. Sa voix avait la douceur d'une caresse.
Sa réplique, elle, me glaça.
- Pourquoi ?
A mon tour, je l'observai intensément, espérant peut-être influencer sa réponse.
Elle parut horrifiée.
- Parce que, moi, je n'ai jamais été comme toi.
A cette annonce, mon cœur se fendit et je sentis des larmes sourdre de mes yeux. A mon grand étonnement, elles ne coulèrent pas, mais remontèrent vers le ciel.
Elle sembla s'amuser de ma réaction. En ces lieux, ce phénomène était naturel.
Je fermai les poings. J'étais décidé à ne pas renoncer au paradis qui s'offrait à moi.
Dans cette forêt, je me sentais chez moi.
En paix.
- Je veux rester ici, implorai-je comme un enfant. Avec toi. Je ne veux pas retourner d'où je viens. Je préfère mourir plutôt que d'y retourner.
Ces grands yeux d'ambre me dévisagèrent alors gravement.
- C'est ce qu'il te faudra faire si tu souhaites rester ici, avec moi. Il te faudra mourir. Car tant que ton âme sera liée à ton corps, elle sera soumise à la réalité dans laquelle il demeure.
Je soupirai.
- Comment ? Si mon destin est de mourir vieux, je ne pourrais supporter de quitter sans cesse ce royaume pour retomber dans l'autre monde. Je ne pourrais le supporter.
Sa main effleura la mienne.
Mon cœur se mit à chanter malgré la peine qui m'accablait.
- Tu viens de te répondre. Ta souffrance te fera trouver le moyen.
Je serrai sa main comme on se raccroche à la vie.
- J'ai pourtant si peur de ne pas y parvenir. J'ai si peur de perdre mon âme et le chemin qui mène jusqu'à toi.
A son tour, elle me serra la main.
- Alors je vais t'aider à ne pas les oublier.
Elle pencha ma tête vers la sienne et déposa ses lèvres sur les miennes.
L'émotion de ce baiser me traversa de toutes parts.
Lorsque j'ouvris les yeux, elle avait disparu. La forêt aussi.
Je me retrouvai à nouveau dans un lit encombré de corps nus d'amantes lascives.
Un vertige me prit. Et une envie de vomir.
Je trouvai un coin où me blottir et là, repensant à ma nymphe, à notre conversation et à la chaleur de son baiser, je versai toutes les larmes de mon corps.
Et celles-là ne remontèrent pas vers le ciel.
Je perdis rapidement la notion du temps ainsi que le goût de toutes ces bassesses qui jusqu'alors avaient constitué ma vie.
Je redevenais moi, l'essence de moi.
Ce qui ne se faisait pas sans douleur.
Une lutte terrible avait lieu en moi. Celle de mon âme revenue à elle-même et ce corps, cette enveloppe physique sordide, alimentée par le péché, souillée par la perversion, attentive à toute tentation, de l'emprise de laquelle je ne pouvais me défaire qu'en plongeant dans les bras de Morphée, jusque dans son esprit, seul endroit où je savais trouver la paix, la liberté.
Et l'Amour.
Bien souvent, je prétextai une fatigue imaginaire ou un mal qui n'était que chimère pour m'étendre seul et profiter de ces siestes afin de rejoindre mon paradis intérieur.
Las.
Pour mon plus grand malheur, par mes soins passés, j'avais rendu ma cour bien trop fidèle à ma présence pour espérer me voir privé d'elle au-delà de quelques instants.
Mes rêves étaient interrompus, toujours prématurément.
Au réveil, la douleur de la séparation cédait rapidement la place à la plus vive des colères. Bien évidemment, mes sujets ne comprenaient pas mon attitude.
Et ils en auraient été bien incapables.
Cela ne faisait qu'attiser mon ire.
Et dans ces moments de fureur indomptable, seuls les plaisirs les plus vils étaient capables de me rasséréner. Mais c'était une consolation provisoire et néfaste, car une fois contenté, je revenais à moi, épris de remords, la conscience torturée et je maudissais ma faiblesse.
Victime d'un cercle en tous points vicieux, je me sentais proche de la mort sans pourtant jamais l'atteindre.
Il n'existait plus qu'un seul temps pour moi. Celui où je pouvais la voir, la retrouver, même de brefs instants. Le reste n'était qu'une attente douloureuse et impie.
Mais la chance finit par poindre à l'horizon, sous une forme des plus improbables.
Un jeune homme se présenta à moi. Un artisan.
J'avais abusé de son épouse. Il demandait réparation. Par les armes.
Il n'avait pas froid aux yeux car il connaissait ma réputation.
Auparavant, je l'aurais à peine regardé et aurais ordonné à l'un de mes valets de se charger de la formalité. Mais j'entrevis en cet homme en apparence simple, le plus grand espoir, une opportunité que je n'attendais plus.
Sans le savoir, il pouvait me permettre de réaliser mon vœu le plus cher.
Oui, l'occasion était trop bonne pour ne pas la saisir.
La haine que j'inspirais à l'offensé était manifeste. Un sentiment de vengeance évident l'animait. Au moins étais-je en mesure de le comprendre. Si elle me fit trembler au premier abord, sa détermination eut ensuite le don de me conforter dans ma décision.
Je pensai faire d'une pierre deux coups.
J'avais changé. Je n'étais plus le même homme. Ce que j'avais fait subir à cet artisan et à sa femme m'épouvantait au plus haut point. Je le regrettai sincèrement et profondément tant que l'idée me vint naturellement de présenter mes excuses.
Mais en fin de compte, j'allais faire bien mieux que cela.
Le jour convenu du duel, mes fidèles écuyers tentèrent de me dissuader de m'engager pour si peu. Leur rappelant ma légendaire habileté et leur précisant que je voyais en cette rencontre un divertissement digne de moi, ils ne trouvèrent plus aucune raison d'insister.
Ils finirent même par se dire que cela allait m'aider à redevenir le joyeux luron dont je n'étais plus que l'ombre.
A l'heure convenue du duel, nous nous présentâmes, chacun accompagné de nos témoins, à l'orée d'une forêt.
Une forêt. Cela me fit sourire.
Je pensai instinctivement à ma nymphe qui m'attendait dans la sienne.
Bientôt, me dis-je. Bientôt.
Etant l'offensé, l'artisan eut la primeur du premier coup de feu.
Il me manqua.
J'ignorais s'il était exercé. Je l'espérai profondément.
Sa volonté de me châtier jouait assurément en sa faveur.
Je tirai à mon tour. A la surprise de tous, je manquai ma cible.
D'un sourire, je rassurai mes témoins. Ils interprétèrent alors ma maladresse comme une volonté de ma part de prolonger le jeu et ainsi donner de faux espoirs de victoire à mon adversaire.
Nous nous rapprochâmes.
La distance entre nous était encore conséquente, mais je pouvais lire aisément l'expression peinte sur le visage de l'artisan bafoué.
Il voulait ma mort. Ni plus, ni moins.
Il l'ignorait, mais il détenait le pouvoir de se venger autant que celui de me libérer. Il était mon Charon personnel, mon passeur, non pour les enfers - puisqu'il allait me permettre de les quitter - mais bien pour le paradis.
J'entendis le coup de feu. Puis plus rien.
L'artisan avait disparu ainsi que nos témoins respectifs.
Seule la forêt demeurait. Mais elle était métamorphosée. D'une beauté céleste étrangement familière.
Le pistolet n'était plus dans ma main.
Je compris que mon passeur avait fait son office. Nul doute que la joie devait le submerger. Une joie qui ne pouvait avoir d'égale que celle qui me remplissait à l'instant où je me précipitai pour retrouver ma nymphe, ma dryade, ma fée.
Elle m'attendait, rayonnante, comme si elle avait deviné ce qui s'était passé.
Elle me savait libéré.
Nous tombâmes dans les bras l'un de l'autre. La forêt toute entière sembla faire écho à notre bonheur.
Alors ma poitrine s'ouvrit et mon cœur inonda ma nymphe d'une lumière opaline. Lorsqu'elle s'estompa, j'avais devant moi une femme d'une grande beauté aux longs cheveux noirs moirés de vert. Je remarquai aussi que ses paupières étaient fardées et ses lèvres peintes de la même teinte.
C'était bien ma nymphe, mais mon amour pour elle l'avait transfigurée. Elle était devenue un peu moi.
- Comment t'appelles-tu ?
Elle examina son nouveau corps avant de répondre :
- Je m'appelle Vanesse. Reine du Cœur.
Alors sa poitrine s'ouvrit et son cœur m'inonda d'une lumière opaline d'où j'émergeai, transfiguré.
Je me baissai pour examiner mon nouveau corps. J'étais nu, d'une blancheur virginale et dépourvu de sexe. Et tandis que j'admirai mon apparente pureté, tels les pétales d'une fleur, deux ailes de papillon à mes dimensions s'ouvrirent majestueusement dans mon dos.
J'étais devenu un peu elle.
Je m'aperçus, qu'à mon instar, elle arborait elle aussi des ailes de papillon aux couleurs chatoyantes.
Peut-être parce que je la considérais comme ma fée.
Cette vision me fit pleurer et je souris avec elle en voyant mes larmes s'orienter vers la cime des arbres.
- Je m'appelle...Monarque.
Le sourire de Vanesse d'élargit.
- Roi des larmes !
Nous étions désormais fée l'un pour l'autre.
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lundi, 01 février 2010
1. Johnny Behemoth contre Dr Nuke
Chapitre 1 : Rien que pour vos capsules
Un soleil de plomb. Une fournaise. Un sol craquelé, habillé de chétifs arbustes menaçant de s'embraser à tout moment. Et pourtant l'homme marchait, seul, nullement incommodé par l'atmosphère suffocante de cette contrée qu'il semblait connaître sur le bout des doigts, dont il semblait être devenu le parfait habitant.
Il s'arrêta un instant au-dessus d'un cadavre pour lui arracher le maigre trésor que ses lambeaux retenaient encore captif et qui avait échappé par miracle à l'avidité des raiders et des récupérateurs.
- T'en auras plus besoin, mon gars, observa-t-il d'une voix éraillée.
Puis il se remit en marche, ignorant qu'il faisait depuis peu l'objet de toutes les convoitises.
Johnny jeta un œil dans la lunette de son magnum 44 amélioré.
C'était un mercenaire de la vieille école préférant les armes démodées qui faisaient encore leurs preuves aux dernières technologies, excepté un certain attrait pour une gatling laser baptisée Emma qui rouillait présentement dans un sous-sol en attendant de pouvoir être réparée. Les pièces manquantes étaient rares, cette arme ne figurant généralement que dans l'équipement de l'Enclave ou celui de la Confrérie de l'Acier.
Il respectait trop la confrérie pour aller la dépouiller. Il ne portait pas l'Enclave dans son cœur, mais ses troupes étaient solidement armées et organisées en conséquence. Les déposséder de leur armement restait une tâche risquée, même pour un aventurier de sa trempe. En attendant une opportunité digne de ses attentes, il se faisait la main sur des bandes isolées de maraudeurs. Un passe-temps comme un autre pour un homme qui avait eu l'infortune de naître après l'holocauste.
Rocky aboya. Johnny poussa d'une pichenette la boîte de haricots et le chien fourra son museau à l'intérieur. Reprenant son observation, il décela plusieurs silhouettes accroupies derrière des carcasses de voitures.
- Ce pauvre type se dirige droit vers une embuscade.
Il avait dit cela d'un ton détaché, comme faisant un simple constat, tout en regardant Rocky faire un sort aux haricots froids.
- Avec un peu de chance, je vais peut-être récupérer quelques munitions pour mon fusil.
Sous l'excitation, son corps se tendit un peu, faisant crisser son armure de cuir.
Un fusil d'assaut chinois barrait son dos et son omoplate droite s'ornait d'un fusil à canon scié dans son holster.
Johnny caressa son visage mal rasé, puis ses rares cheveux teintés par des années passés à arpenter les Terres Désolées sous l'implacable canicule.
Il cracha une giclée de sauce entre ses dents.
- Rocky ! A toi de jouer. Tu connais la méthode.
A l'écoute de son nom, le chien délaissa la boîte de conserve, saisit entre ses mâchoires la boîte à sandwiches que lui tendit son maître, puis commença à dévaler la pente poussiéreuse.
- Regarde, Carl, y a un clebard qui s'amène.
Le raider indiqua du doigt le chien qui était en train de les rejoindre. L'intéressé plissa son seul œil valide. Ses trois compagnons se regroupèrent autour de lui.
Ils portaient tous une armure hétéroclite faite de bouts de métal et de cuir qui leur donnait une allure barbare délibérée. Leur casque et leur coiffure ne faisaient que rajouter à cette impression.
L'un d'eux pointa son fusil de sniper sur l'animal.
- Il a quelque chose dans la gueule. On dirait une boîte.
Le chef des pillards arbora un sourire qui avait dû être séduisant dans une autre vie.
- Il a dû dénicher un truc intéressant sur un cadavre. Il va sûrement aller l'enterrer. Je crois que c'est vraiment notre jour de chance les gars.
L'un de ses hommes s'énerva.
- On a qu'à lui prendre tout de suite !
Carl se contenta d'un regard pour le remettre à sa place.
- On attend sagement.
- Chef, je l'ai dans ma ligne de mire, fit le sniper.
- Si tu tirais aussi bien que tu bois, il y a longtemps que je t'aurais ordonné de l'abattre, Freddy !
Le chien s'arrêta à mi chemin entre les raiders et le vagabond solitaire. Il commença à gratter le sol, soulevant un nuage de poussière.
Johnny sourit.
- Bien, Rocky. T'as tout compris !
Le sniper déplaça son canon.
- Merde ! Je crois que le type vient de voir le chien. Il court droit vers nous.
Carl ricana.
- Ce con va essayer de nous piquer notre trésor. C'est parfait. On fera deux prises en un coup.
- Merde ! lâcha Johnny entre ses dents. Ca c'était pas prévu au programme.
L'étranger siffla pour appeler le chien. Rocky l'ignora superbement. Une fois la boîte ensevelie, il courut rejoindre son maître.
- Qu'est-ce qu'on fait, Carl ?
- Tue-le ! ordonna froidement le leader des raiders.
Freddy pointa son fusil de sniper en direction du vagabond. Il but une rapide gorgée de nuka cola quantum au goulot et fit feu.
Le vagabond poussa un cri et s'écroula en se tenant une jambe.
Le sniper sentit le poids du regard de Carl sur lui au point que ses épaules s'affaissèrent.
- Crétin ! Allez l'achever et récupérez-moi cette boîte !
Les trois raiders eurent tôt fait de s'exécuter. La colère de Carl était aussi redoutable qu'un écorcheur.
Freddy s'agenouilla et commença à déterrer l'objet. Les deux autres firent mine de se diriger vers le vagabond gémissant.
- Attendez ! Y a un truc bizarre.
Ses compagnons se figèrent.
- Hein ?
Les yeux de Freddy n'en finissaient pas de rouler dans leur orbite tandis qu'il détaillait le contenu de la boîte à sandwich.
- Je peux me tromper, les gars, mais on dirait une grenade. Et on dirait que la goupille est reliée à un fil.
Johnny sourit. A travers la lunette de son magnum, il observait aisément l'étonnement des raiders.
- Bye, bye, les cons !
Il tira sur le fil.
L'explosion souleva une gerbe de terre et des puzzles de corps. Non loin de là, le vagabond commença à ramper pour se mettre à l'abri de la menace qu'il ne pouvait encore identifier.
- L'enfoiré !
Carl empoigna son bâton hérissé de pointes et courut vers l'homme au sol. Pour lui, cela ne faisait aucun doute. Il leur avait tendu un piège à l'aide de ce chien. L'arroseur arrosé en quelque sorte. Et cela, il ne le supportait pas. Il arriva rapidement près du vagabond qu'il retourna d'un coup de pied. Ses yeux s'agrandirent lorsqu'il le dévisagea. Il leva son bâton au-dessus de sa tête :
- Tu vas pas faire de vieux os, face de...
Le canon scié d'un fusil dans sa bouche l'empêcha de rentrer dans les détails.
Johnny fixa Carl avec tout le dédain qu'il réservait aux raiders.
- Tu te demandes certainement qui je suis, hein ?
Rocky s'assit aux côtés de son maître et observa Carl à son tour. Le raider comprit alors qu'il s'était fourvoyé depuis le début. Ça sentait la retraite anticipée pour lui. Et surtout le sapin.
- Je suis le dentiste des Terres Désolées, annonça Johnny.
Il arma son fusil.
- Et je fais pas d'anesthésie !
La balle arracha la tête de Carl et son corps bascula en arrière.
Rocky salua cette victoire d'un aboiement.
Johnny lui tapota la tête.
- Oui, quatre de plus à notre palmarès.
Rocky aboya trois fois.
- Comment ça, trois pour toi ? C'est moi qui ai tiré le fil !
Rocky montra les dents.
- OK, t'énerve pas. Trois pour toi ! Mais la prochaine fois...
- HUM !
Le vagabond venait de se racler la gorge comme pour rappeler son existence.
- Excusez-moi, mais vous avez l'intention de me tuer moi aussi ?
Son visage était comme bouffé par l'acide. Les muscles et les tendons mis à nu. De quoi gerber.
Johnny soupira. Il aida le vagabond à se relever.
- J'ai rien contre les goules.
- Tant mieux, j'ai rien contre les peaux lisses qui me sauvent la vie. Vous avez dit que vous étiez dentiste. Vous seriez pas médecin aussi ?
Johnny jeta un coup d'œil à sa jambe.
- La balle a traversé. Rien de grave. Comment tu t'appelles ?
- Murphy.
- Moi c'est Johnny. Johnny Behemoth.
La goule ouvrit la bouche.
- Ca alors ! Le célèbre Johnny Behemoth !
Johnny haussa un sourcil.
- Célèbre ?
- Bah, oui. Vous écoutez jamais Galaxy News Radio, Three Dog, la voix des Terres Désolées ?
- Non, j'ai franchement mieux à faire.
Johnny confectionna un garrot qu'il fixa à la jambe blessée de Murphy.
- C'est vrai qu'on vous appelle comme ça parce que quand vous étiez petit vous avez tué un Behemoth, seul et sans arme ?
Johnny serra le garrot et Murphy poussa un cri.
- Non. C'est moi qui ai lancé cette rumeur. J'aurais jamais cru que ça ferait le tour si vite. Les télés ne fonctionnent plus, mais le bouche à oreille fait toujours son effet, on dirait.
Murphy se mit à sourire ce qui accentua davantage son expression de mort-vivant.
Johnny grimaça.
- Je sens que je vais gerber les haricots, dit-il en l'aidant à se relever.
- Pardon ? fit la goule.
- Rien, je me demandais juste ce que vous pouviez foutre tout seul dans un endroit pareil.
Johnny laissa Murphy s'accoutumer à sa blessure et commença à fouiller les cadavres des raiders.
- Je fais un peu de récup'. Comme tout le monde ici, non ?
- Y a des endroits moins risqués, observa le mercenaire.
- Vous croyez ?
- Vous étiez complètement à découvert. Avouez que vous l'avez un peu cherché.
Johnny se remplit les poches et embrassa les cartouches récoltées comme de vieilles amies.
- En fait, je sors rarement. Et pour tout vous avouer, c'est un type comme vous que je cherchais. J'ai pris un risque, mais j'estime que ça en valait la peine.
- Ok, je vois. Vous avez un sale boulot à me refiler. C'est bien payé, j'imagine.
Johnny détourna le regard à temps pour ne pas voir la goule sourire à nouveau.
- Vous jugerez.
Johnny l'interrogea du regard.
- Je dois vous conduire où je vis. Ce n'est pas très loin, rassurez-vous. Je ne fais jamais de grandes promenades.
Rocky émit une plainte.
Comme s'il avait compris, Johnny scruta Murphy avec sévérité.
- Si tu comptes nous emmener à Underworld, tu peux faire une croix sur notre partenariat. J'y ai mis les pieds qu'une seule fois et je me suis...enfin on s'est juré de ne plus jamais y retourner.
- Toutes les goules civilisées ne vivent pas à Underworld. J'habite un petit local dans une station de métro. Northwest-Seneca. Vous connaissez ?
Johnny fit un geste de la main qui pouvait signifier tout et son contraire.
- Ces mercenaires, grommela Murphy.
- Quoi ?
- Rien. Je me demandais juste si on risquait de rencontrer encore du monde sur la route ?
Johnny rechargea son fusil à canon scié.
- J'espère bien, pas vous ?
- Je suis pas armé.
Johnny sourit de toutes ses dents jaunies.
- Maintenant vous l'êtes !
Chapitre 2 : Pour quelques rads de plus
Effectivement la station n'était pas loin. L'hétéroclite trio ne fit pas d'autre rencontre au grand dam de Johnny et de Rocky dont l'appétit d'aventures était insatiable. Murphy, quant à lui, en fut soulagé. Ce genre d'incursion était déjà assez déplaisant comme ça à ses yeux.
Ils passèrent devant une sorte d'épicerie - que Johnny nota mentalement - puis pénétrèrent dans la station en empruntant un couloir enténébré où s'entassaient des vieilleries métalliques.
Ils passèrent un portique et sur leur droite se dessina bientôt une ouverture.
Une goule armée d'un fusil d'assaut et à l'air taciturne se tenait dans l'embrasure.
- Et bien c'est pas trop tôt ! fit-elle de la même voix éraillée que Murphy.
Elle détailla rapidement Johnny et son chien.
- Qui c'est ?
Murphy fit un geste étudié de la main pour le calmer.
- Tout doux, Garrett. Ils m'ont sauvé des griffes des raiders.
- Je t'avais dit de ne pas sortir seul. A quoi je sers, tu peux me dire ?
Murphy fit entrer ses invités dans son atelier, une petite pièce comportant un comptoir et des étagères surchargées.
- Je ne peux pas laisser la boutique sans surveillance. Tu devrais le comprendre depuis le temps.
Le dénommé Barrett grogna et se contenta ensuite d'examiner les nouveaux venus en caressant nerveusement la crosse de son arme.
Tandis que Murphy commençait à fouiller dans son bazar, Johnny jaugea Barrett avec un dédain manifeste. Ce qui déplut forcément au garde du corps :
- On est allergique aux goules ?
Johnny grimaça un sourire.
- Juste à la connerie. Et comme moi, on dirait qu'elle se fout bien des radiations.
Contrairement à Johnny, Barrett n'avait pas l'esprit très affûté. Se sentant insulté, il brandit son arme. Sa tête heurta le comptoir et il s'écroula sur le dos.
Murphy se redressa.
- Hein ?
Johnny pointa son pouce en direction du corps inanimé.
- Je crois qu'il aurait besoin de prendre l'air.
Puis il planta ses yeux dans ceux de la goule, malgré la répugnance que cela lui inspirait.
- Assez perdu de temps. C'est quoi le contrat ?
Son calibre 12 vint souligner la gravité de la question autant que la mâchoire de son probable employeur.
Murphy se recroquevilla avant de le conduire dans un local attenant. Il déploya une bâche et découvrit ce qui ressemblait à une carcasse de moto comme on pouvait en trouver des tas dans les ruines des Terres Désolées. Sauf que celle-ci avait une particularité. Une espèce de siège était soudée au flanc droit du deux roues.
- Ca s'appelle un side-car, annonça triomphalement Murphy.
- Ca me fait une belle jambe.
- Ca peut emmener jusqu'à trois personnes, renchérit le bricoleur.
Johnny croisa ses bras sur sa poitrine.
- Dans tes rêves, sûrement. Perso, depuis le temps que je sillonne ce trou du cul qui nous sert de monde, j'ai pas encore vu un seul bidon de carburant.
Murphy sourit, ravi à l'idée de surprendre un baroudeur de la trempe de JohnnyBehemoth.
- Cet engin ne fonctionne pas avec du carburant ordinaire. Je l'ai trafiqué. Il consomme des cellules à énergie. Normalement on s'en sert pour certaines armes. Mais j'ai découvert qu'en nombre suffisant et avec un peu de modifs, elles peuvent parfaitement faire office de carburant.
Johnny avait le plus grand mal à se décrisper. Les miracles, il y avait belle lurette qu'il n'y croyait plus.
- Tu l'as testé, ton...
- Side-car ! Et bien, en fait pas vraiment. Il me manque juste deux pièces.
Johnny se frappa le front.
- Bah, oui, évidemment.
- Mais, reprit rapidement le savant, ce sont des pièces très répandues. Il me manque simplement un frein et un réservoir de moto.
- Pourquoi un réservoir ? Ya pas d'essence.
Les yeux de Murphy brillèrent derrière ses lunettes.
- C'est pour l'esthétique, voyons !
Les yeux du mercenaire sortirent de leur orbite.
- C'est ça mon boulot ? Tu veux que j'aille chercher deux pièces de moto dont tout le monde se fout royalement !
- Ecoutez, ça n'en sera que plus facile pour vous !
Johnny tourna les talons.
- Allez, viens, Rocky. Y a des raiders qui nous attendent.
Le chien accueillit la nouvelle avec un aboiement enthousiaste.
Alors qu'ils quittaient l'atelier, la voix de Murphy leur parvint :
- Si vous me les rapporter, le side-car est à vous !
Johnny se figea. Il fronça les sourcils, étudia le regard de Rocky avant de revenir se planter devant la goule :
- C'était inutile de le préciser. Cela va de soi !
Murphy tendit une main décharnée.
Johnny surmonta son dégoût et la lui serra brièvement.
- Dites-moi, pendant que j'y pense, vous n'auriez pas récupéré des bombes sucrées durant vos déambulations ? Je mets au point un truc très sympa pour booster les capacités. Mon fournisseur habituel est quelqu'un de très occupé et ça fait un moment que je ne l'ai pas vu. On parle beaucoup de lui aussi sur Galaxy News radio.
Johnny secoua la tête.
- Rien trouvé qui mérite ce nom. Et votre fournisseur, il en a un de nom ?
- On l'appelle l'habitant de l'abri 101. Ne vous inquiétez pas. Ses exploits ne vous font pas encore de l'ombre.
- Tant mieux, grogna le mercenaire. Manquerait plus que je croise un nerveux de la gâchette comme moi !
Johnny sembla méditer, ce qui en règle général signifiait qu'il cherchait où se trouvait son intérêt.
- Ce truc très sympa, c'est quoi exactement ? T'as un peu de stock ? Parce que, si je dois me balader pour ton compte autant que tu me fournisses l'équipement adéquat.
Murphy parut à son tour réfléchir. Il finit par émettre un épouvantable bruit de gorge.
- Je crois qu'on se comprend tous les deux. J'ai justement besoin de tester le dernier stade de mon produit. De l'ultra jet que ça s'appelle.
Le mercenaire grimaça un sourire.
- Et ça fait quoi exactement ?
La goule exhiba ce qui lui tenait lieu de dents :
- Vous allez adorer !
Chapitre 3 : Nuka Cola Quantum of Solace
Les deux compagnons quittèrent le métro sans trop savoir ce qui les attendait.
Johnny glissa une cigarette qui avait connu de meilleurs jours entre ses lèvres desséchées. Il n'avait pas de briquet, rien pour l'allumer. Alors il fit comme si elle l'était.
- Tu vois, Rocky, j'ai l'impression qu'on est comme ma cigarette. Tellement usés qu'on est prêt à faire n'importe quoi du moment qu'on a l'impression d'exister.
Le chien lui dédia un regard empli de compassion.
- Ouais, je sais, fit son maître. Je débloque un max. C'est cette chaleur. Si seulement, il pouvait pleuvoir une fois de temps en temps. Ca me rafraîchirait les idées.
Il s'arrêta un instant de marcher. Il prit quelque chose dans sa poche. C'était une photo. Il la regarda quelques instants. Pas trop, juste ce qu'il faut pour ne pas perdre son sang-froid. Puis il la rangea, le cœur battant et la gorge nouée.
Le temps était compté pour elle et les autres prisonniers. Ce fumier de négrier de Dr Nuke allait payer pour sa trahison. Livrer sa petite amie et d'autres esclaves à des super mutants pour obtenir une dose de tranquillité serait sa dernière mauvaise idée.
Johnny allait tout faire pour s'en assurer.
Mais pour l'heure, il devait rejoindre le convoi avant qu'il n'atteigne l'abri 87.
Il imagina un super mutant avec de longs cheveux blonds le poursuivant pour lui faire un câlin. Très peu pour lui. La situation était dramatique, mais il s'interdisait d'avoir peur, de douter.
- Avec cette moto, dit Johnny, je pourrai sans problème leur couper la route. Il reste encore le problème de l'armement.
Rocky se mit à aboyer très fort.
Johnny leva les yeux à temps pour voir la silhouette d'un vertiptère de l'Enclave se profiler dans le ciel.
- Cachons-nous ! Ils nous ont peut-être pas repérés !
Les deux compagnons se jetèrent derrière une ligne de rochers au moment où l'appareil se posait. Trois hommes en armure ainsi qu'un officier en uniforme en descendirent ainsi que du matériel en conséquence.
Au moyen du viseur de son magnum, Johnny les observa édifier une petite base.
Il mâchonna nerveusement sa cigarette éteinte. Ses yeux s'illuminèrent lorsqu'il s'aperçut que l'une des sentinelles était armée d'une gatling laser.
- Putain, c'est la chance de ma vie. La chance de pouvoir enfin réparer Emma et de la sortir de l'ombre !
Il essuya ses mains soudain devenues moites. Il prit une boite de conserve dans son sac ainsi qu'une grenade.
- Tu connais la manœuvre, hein Rocky ?
Le chien ne fit pas un bruit, mais son expression hilare parlait pour lui.
Equipés de leur pesante armure métallique, les trois soldats de l'enclave paraissaient invincibles. Comme l'avait remarqué Johnny, l'un d'eux était armé d'une gatling laser qu'il tenait contre sa hanche, prêt à l'employer à tout moment. C'était le vétéran. Les deux autres portaient un fusil laser. Ils marchaient tous nerveusement autour du camp. L'officier, quant à lui, était occupé à rentrer des données dans un terminal.
- Regardez, fit le vétéran.
Ils regardèrent tous dans la direction indiquée et aperçurent un chien gratter le sol. Dans la gueule, il tenait une boite de conserve.
- Laissez-le, fit l'officier. Ne commencez pas à être distraits.
Le vétéran se râcla la gorge.
- On a pas mangé grand-chose aujourd'hui. Et nos vivres sont presque épuisées. Si ça se trouve, cette boite contient de la nourriture.
Sans détacher son attention de son écran, l'officier répondit :
- Si ça se trouve, c'est un piège des raiders.
Des rires fusèrent.
- Raison de plus pour s'en occuper, non ? fit l'un des deux soldats.
L'officier garda le silence. Ils prirent ça pour un consentement.
Les deux soldats s'approchèrent du chien, suivi de près par le vétéran et son arme impressionnante qui avait coupé la chique à plus d'un écorcheur.
Le canidé venait de finir d'ensevelir la boite et il commençait à repartir.
Le vétéran pointa sa gatling vers lui.
- Du ragoût de chien, ça vous dit les gars ?
- Si j'étais toi je ne ferai pas ça !
Les trois soldats se retournèrent comme un seul homme. Leur casque empêcha de voir leur expression, mais leur silence fut le parfait écho de leur stupéfaction.
Johnny tenait son magnum 44 appuyé contre la nuque de l'officier toujours installé devant son terminal, les mains suspendues au-dessus du clavier.
- J'organise un concours du plus beau trio de connards des Terres désolées. Et vous venez de remporter le prix. Haut la main.
Le vétéran appuya son doigt sur la gâchette de son arme. Mais ce qu'ils ignoraient tous, c'est que Johnny venait d'utiliser le super jet offert par Murphy. Ses capacités de réaction décuplées, il fut en mesure d'anticiper royalement les gestes de ses adversaires. Il commença par tirer là-même où Rocky avait enterré la boite avant de faire feu sur les têtes casquées des soldats. Le temps, comme ralenti pour Johnny, s'accéléra brutalement dès qu'il eut achevé ses actions. Une explosion jeta les hommes de l'Enclave à terre, leurs jambes tronçonnées par la grenade et leur casque criblé de calibre 44.
Johnny émit un sifflement :
- Tu parles que j'aime ça ! Merci, Murphy !
L'officier profita de la confusion pour appuyer rapidement sur une série de touches. D'un aboiement sec, Rocky alerta son maître d'une menace imminente.
- Qui êtes-vous ? s'enquit l'officier tandis que la porte d'un container s'ouvrait dans un grincement lugubre.
Johnny entendit des pas pesants et une respiration animale qu'il redoutait plus que tout au monde.
- Je suis le douanier des Terres Désolées. Et t'as plus rien à déclarer.
Il tira dans la nuque de l'officier, détruisant du même coup son précieux terminal.
La créature sortit lentement du container. Elle marchait sur de puissants membres. Son corps musclé, athlétique, était ocre, comme la poussière que charriait continuellement le vent. Ses longs bras étaient terminés par des griffes qui avaient grandement contribué à son appellation. Sa tête rappelait vaguement celle d'un reptile. En moins hospitalier. Ses petits yeux étaient habités par une lueur démoniaque. Oui, un démon, voilà à quoi elle ressemblait.
Sur son crâne était fixé un étrange appareillage métallique. Johnny comprit qu'il s'agissait d'un écorcheur modifié, un spécimen capturé par l'Enclave en vue d'expériences pour le moins mystérieuses.
S'employait-elle à les dresser, à les contrôler ?
Le mercenaire n'eut pas le loisir de poursuivre ses interrogations.
La créature venait de le repérer.
Le mercenaire pointa son flingue et pressa la détente. Silence. Le 44 était vide.
Johnny poussa un juron. Il vit Rocky se rapprocher et montrer les dents pour menacer l'écorcheur qui avançait avec une lenteur machiavélique. Johnny savait que c'était une prudence feinte. Il se préparait à bondir. Et ce bond serait assurément meurtrier.
- Dégage, Rocky ! On a pas affaire à un rataupe ou à un raider défoncé ! Tu fais pas le poids, là !
L'avertissement sembla énerver l'écorcheur. Il bondit sur Rocky, toutes griffes dehors.
- Non !
Johnny brandit son canon scié, sachant que cela n'arrêterait pas la bête dans son élan.
Une masse verdâtre jaillit du container pour venir s'aplatir sur l'écorcheur juste avant qu'il n'atteigne le chien. Un combat dantesque s'ensuivit. Dans cette mêlée sauvage, Johnny écarquilla les yeux de stupeur en identifiant le nouveau venu : un super mutant !
Qu'est-ce qu'il pouvait bien foutre ici ?
L'écorcheur était couché sur le dos, le mutant par-dessus lui. Ce dernier empoigna les bras de son adversaire pour l'empêcher de le décapiter et lui distribua une série de coups de tête, manquant peu à chaque fois de se faire croquer la figure. La gueule écumante de sang, l'écorcheur le repoussa d'une violente ruade. Le mutant réintégra malgré lui l'intérieur du container. D'un bond, l'écorcheur le rejoignit. Sous le regard effaré de Johnny et Rocky, le container se mit à tressauter comme s'il était animé d'une vie propre. Des cris rauques s'en échappèrent indiquant combien la bataille faisait rage. Et puis d'un seul coup, plus rien. Rien qu'un silence de mort.
Johnny ramassa la gatling laser et s'approcha précautionneusement de l'ouverture, escorté par Rocky, le poil hérissé comme un chat. L'écorcheur dressa sa solide carcasse avant de basculer. Le mutant se leva et sortit du container. Il avait une vilaine meurtrisse au flanc et à l'épaule gauche. Mais il était vivant. Ce qui n'était pas rien. Combien pouvait se vanter d'un tel exploit ?
Johnny le scruta, hébété, avant de faire feu sans la moindre sommation. La gatling laser cracha une salve qui mit en pièces l'écorcheur blessé bondissant sur le super mutant.
Ce dernier n'eut soudain d'yeux que pour l'arme que tenait Johnny.
Il fit alors entendre sa grosse voix :
- Dis, tu la donnes à Fawkes ?
- Ok, mais à une condition. Tu viens avec moi.
Johnny regretta sa décision lorsque le dénommé Fawkes le serra dans sas bras pour le remercier.
Un peu plus tard, lorsque tout le monde eut repris ses esprits, Johnny put interroger Fawkes tout en fouillant le matériel de l'Enclave.
Le super mutant s'était fait repérer par une patrouille volante. Ce qui n'était pas très étonnant vu son gabarit et sa gouaille. Au lieu de le tuer, les soldats lui avaient injecté à bonne distance un puissant anesthésiant. Apparemment, ils n'avaient pas mis la bonne dose. Heureusement pour Johnny, il s'était réveillé plus tôt que prévu.
- Je savais pas que l'Enclave s'intéressait d'aussi près aux super mutants. T'es modifié ? J'aurais jamais cru devoir un jour la vie à l'un d'entre vous. Le monde part vraiment en couille.
Fawkes jouait avec Rocky. Il sirotait un nuka cola quantum - apparemment c'était sa boisson préférée - tout en balançant la tête d'un soldat de l'Enclave en guise de balle.
Ce qui convenait très bien au chien du mercenaire.
- Ces gars-là sont bizarres. Mais ils valent pas mieux que les écorcheurs. Fawkes les écrase tous autant qu'ils sont. Oui, tous autant qu'ils sont !
- Ca, je te crois, fit Johnny. Ils avaient quand même pas dans l'idée de t'accoupler avec cet écorcheur ?
Fawkes s'arrêta brusquement de jouer et de boire. En voyant son expression, Johnny faillit pisser de rire.
- C'était juste une hypothèse. De toutes façons, t'es asexué. Mais peut-être quand mélangeant votre ADN... J'ai détruit leur terminal. Y avait sûrement des infos sur ta captivité. Tant pis. Qu'est-ce que tu faisais dans le coin ? Un mutant solitaire et amical ça court pas les Terres désolées !
- Fawkes pas comme les autres. Fawkes plus intelligent. Fawkes cherchait à aider les autres et à punir les abrutis. Mutants ou pas mutants.
- Très intéressant, murmura Johnny, particulièrement songeur. J'ai un programme bien précis et il se trouve que tu cadres parfaitement avec. Des mutants abrutis, on va en rencontrer très bientôt.
Fawkes lui dédicaça son plus beau sourire.
- Quand est-ce qu'on part ?
- Dès que j'aurais résolu un problème.
Johnny fixa son nouvel allié avec un intérêt encore plus grand.
- Dis-moi, t'aurais pas vu un réservoir et un frein de moto, par hasard ?
Chapitre 4 : Les Amants sont Eternels
La nuit tomba trop tôt au goût de Johnny. Mais il s'en réjouit néanmoins. Personne ne les verrait entrer dans sa planque secrète.
Grâce à Fawkes et sa connaissance des environs, il ne leur avait fallu que quelques heures pour mettre la main sur les deux objets demandés par Murphy.
Un récupérateur leur avait fait un échange avantageux. Johnny avait troqué son fusil d'assaut chinois rouillé et les quelques capsules en sa possession.
Il se sentait vraiment en veine.
Le trio descendit dans le souterrain.
- Ca pue le radcafard ! gogna Fawkes.
Johnny sourit.
- Ah, bon ? Je croyais que c'était ton parfum.
Il composa un mot de passe sur un terminal et une porte blindée s'ouvrit.
Ils entrèrent dans une pièce comportant des casiers, un matelas poussiéreux en guise de lit ainsi qu'un bureau et une table. Sur la table, un objet mystérieux était recouvert d'une bâche. Lorsque Johnny la souleva avec un geste excessivement cérémonial, il découvrit une gatling laser semblable à celle que tenait amoureusement Fawkes.
- Passons aux choses sérieuses !
Les trois compagnons se firent un festin des vivres volées à l'Enclave avant de se lancer dans la réparation d'Emma, accompagné dans cette passionnante entreprise par les ronflements de Rocky.
Le mercenaire se félicita d'avoir rencontré le super mutant. Malgré sa rudesse, il était visiblement doué pour tout ce qui touchait à la mécanique. Il savait que tous les super mutants actuels étaient nés dans l'abri 87, seul endroit au monde où cette espèce pouvait trouver les moyens de se reproduire. Tout comme ses congénères, Fawkes avait été un être humain dans une autre vie. Et il en gardait assurément des réflexes. Johnny ressentit de la pitié pour lui. Et cela l'encouragea plus que jamais à remplir la mission qu'il s'était fixé.
- Tu l'appelles vraiment Emma ? demanda Fawkes.
- Hein ? croassa Johnny en revenant à la réalité.
- La sulfateuse, là, tu l'appelles vraiment Emma ? C'est pas un prénom de fille, ça ?
Les yeux de Johnny s'embuèrent sans qu'il s'en rende compte.
- C'est le prénom d'une fille très importante pour moi. J'imagine que j'ai eu cette idée pour ne pas l'oublier. Tu vas m'aider à la délivrer.
- Fini ! s'écria Fawkes en contemplant le fruit de leur travail.
Il s'empara de la gatling laser, comme prêt à combattre une armée à lui tout seul.
Ce qui amusa beaucoup le mercenaire.
- Vous êtes faits l'un pour l'autre !
- C'est quoi le programme, chef ?
- Direction la station de métro Northwest-Seneca. Je te présenterai un autre ami.
- Ouais ! beugla le super mutant.
- Mais avant, on va dormir un peu. Enfin, si on y arrive, ajouta Johnny en écoutant les ronflements de son chien.
Chapitre 5 : Highway To Hell
Barrett restait silencieux dans un coin de la pièce, ses petits yeux méchants observant les trois visiteurs avec un égal mépris. Mais sa mâchoire encore endolorie venait lui rappeler qu'il n'avait pas trop son mot à dire.
Fawkes essayait de se faire tout petit, mais les dimensions de l'atelier de Murphy ne l'y aidaient pas vraiment. Rocky rongeait un fémur d'écorcheur en regardant distraitement le trio penché sur le prototype de side-car.
- Ca peut vraiment rouler, l'ami, déclara le super mutant en faisant mine d'étaler sa science.
- Je veux, dit Murphy avec autant de fierté.
- Ouais, en gros, il y a que moi qui ai un doute, remarqua tristement Johnny. C'est con, parce que c'est quand même moi qui est censé piloter cet engin.
Fawkes lui donna une tape amicale dans le dos qui faillit lui faire sauter les vertèbres.
- T'as de la chance. T'as trouvé les deux meilleurs mécanos des Terres Désolées !
Johnny serra les dents.
- Ou les deux plus cinglés ! Enfin, j'ai pas trop le choix. A vous de jouer, les gars.
Au bout de plusieurs heures, le temps pour Murphy de faire les derniers ajustements et de peindre la moto, le trio poussa le véhicule jusqu'à l'extérieur de la station.
Le soleil à son zénith aveugla un instant Johnny. Lorsqu'il put enfin contempler le side-car, il en eut le souffle coupé. L'engin brillait de mille feux. On l'aurait dit tout droit sorti d'une usine. Sur le réservoir, il eut la surprise de lire son nom et son prénom en lettres de feu.
- Ca c'est moi qu'ai eu l'idée, apprit Fawkes. Ca te plaît ?
Johnny fut tout sourire.
- Si en plus ça roule, je vais vraiment me sentir au paradis !
- Y a qu'une seule façon de le savoir, dit Murphy en essuyant ses mains avec un chiffon plus sale encore.
Il indiqua le siège du pilote.
- En route, monsieur le dentiste des Terres Désolées !
Le mercenaire prit un plaisir fou à s'asseoir sur l'engin. Lorsqu'il le démarra, il entendit une série de cliquetis qui ne présageaient rien de bon.
Et si tout explosait au premier coup d'accélérateur ?
Mais il était trop tard pour être pessimiste. Comme pour lui assurer son soutien, Rocky vint s'installer dans le cockpit réservé au passager.
- Ok, mon chien, accroche-toi !
Johnny mit les gaz. Il y eut un bruit de décharge électrique et le side-car partit comme une flèche. Un sourire vissé sur les lèvres, Johnny goûtait pleinement à un sentiment de liberté qu'il n'avait jamais ressenti de toute son existence.
Il eut tout le mal du monde à revenir vers la station. Il avait presque oublié l'existence de ses compagnons et en plus de cela, le side-car avait le plus grand mal à tourner.
- C'est rien, rassura Murphy. Quelques réglages supplémentaires devraient suffire. Mais pour un premier essai, c'est plutôt concluant, non ?
Johnny serrait les poignées avec un plaisir communicatif :
- Tu peux déposer le brevet, Murphy et commencer la distribution. Car je peux t'assurer que bientôt tout le monde en voudra une !
- Dis-donc, grogna Fawkes, j'ai pas l'intention de te suivre à pieds ! Y a pas une petite place pour moi ?
Cloisonné dans le « panier », Fawkes riait à gorge déployée, tenant sur ses genoux un Rocky apparemment aux anges. Murphy leur avait fourni des casques et des lunettes de moto à tous les trois ce qui donnait un aspect burlesque au trio déjà détenteur d'un fort potentiel comique.
Sur les conseils du super mutant - avec qui il s'était très bien entendu - Murphy avait également ajouté un pied sur l'avant du panier pour y monter la laser gatling. Ainsi, même en roulant, il lui serait permis de faire joujou, le cas échéant.
Ils avaient remercié le savant avant de prendre définitivement la route.
Johnny ne se serait jamais imaginé aussi reconnaissant envers une goule. Décidément, sa vie lui réservait bien des surprises.
Il avait promis à Murphy de ne revenir le voir qu'en possession d'un important stock de bombes sucrées. Il lui avait touché deux mots quant à l'efficacité de l'ultra-jet.
Puis il lui avait demandé :
- Pourquoi ne pas garder cette prodigieuse machine pour toi. Tu devais me la donner, c'est vrai, c'était le deal. Mais je peux pas m'empêcher d'avoir l'impression de te la voler. C'est quand même le fruit de plusieurs années de recherche.
- Qu'est-ce que tu veux ? avait répondu Murphy. Je suis un scientifique, et toi un aventurier. Nous n'avons pas les mêmes motivations, ni les mêmes ambitions. Je suis très fier de mon travail. J'ai réussi. C'est tout ce qui compte pour moi. A toi maintenant de lui donner un autre sens.
Et Johnny comptait bien satisfaire cette condition.
La moto laissait dans son sillage un nuage de poussière, ce qui inquiétait un peu Johnny. Un vertiptère en reconnaissance risquait de les repérer plus facilement. En compensation, le moteur à énergie conçu par Murphy faisait très peu de bruit.
La route menant à l'abri 87 était dégagée. Pas d'édifices importants à proximité, ils devraient à priori ne pas être trop embêtés. Il avait un super mutant comme escorte, il avait réparé Emma et il fonçait droit vers son objectif en étant assuré de l'atteindre à temps. C'était plus qu'il n'en fallait pour être rassuré sur ses chances de succès.
Sans oublier cette moto dernier cri ! Johnny se relaxa complètement et en profita pour détailler le petit tableau de bord qu'il avait sous les yeux. Sous les cadrans indiquant la vitesse et le niveau d'énergie, il y avait quelques boutons dont il ignorait complètement la fonction. Ils ne servaient peut-être à rien. Sans doute Murphy les avait-il placé là sans autre but que de combler son souci d'esthétisme. Il décida quand même d'en essayer un. Fawkes se mit soudain à beugler.
- Eh, la machine se détraque !
Johnny vit avec étonnement le panier et ses deux occupants effectuer une rotation et se retrouver dans l'autre sens.
Désormais, Fawkes et Rocky regardaient en arrière et il ne leur fallut pas longtemps pour être couvert de la poussière et des débris que soulevait le side-car en avançant.
- Eh, remets-nous à l'endroit, c'est pas drôle, Johnny !
- Désolé, fit l'intéressé en riant.
Il allait s'exécuter lorsqu'un autre cri du mutant l'interrompit dans son geste.
- Attends, il y a quelque chose qui arrive droit sur nous !
Johnny jeta un coup d'œil dans son rétro en essayant de distinguer un éventuel poursuivant au-delà du nuage de poussière. Il ne vit rien. Il comprit qu'il fallait qu'il lève les yeux. Il se raidit instantanément en reconnaissant la silhouette familière de deux vertiptères.
- Merde, c'est l'Enclave ! Fallait s'en douter !
Johnny accéléra, mais se rendit rapidement compte qu'il ne parviendrait pas à distancer les deux appareils. Une boule de feu germa sur sa gauche manquant peu les changer en grillades. Le trio comprit que l'Enclave n'était pas venue faire des prisonniers.
Johnny se tourna brièvement vers Fawkes :
- Qu'est-ce que tu attends ? Dézingue-moi ces connards !
Le mutant éclata d'un grand rire avant d'empoigner la gatling laser.
- Venez, mes mignons, c'est tonton Fawkes qui régale !
Dans la seconde qui suivit, le vertiptère de tête subit des tirs nourris qui l'obligèrent à virevolter. Ce faisant il heurta le flanc de l'autre appareil qui éjecta accidentellement l'un de ses passagers en armure dans un grand fracas métallique.
L'un des tireurs fit alors parler son incinérateur lourd. Le canon vomit une nouvelle boule de feu.
Fawkes et Rocky la virent arriver sur eux avec horreur.
- Projectile en approche ! hurla le mutant accompagné d'aboiements véhéments du chien.
Johnny effectua une manœuvre qui faillit renverser la moto, mais leur permit néanmoins d'esquiver l'ardent missile qui ne trouva rien de mieux à faire que carboniser une malheureuse brahmine somnolente.
Fawkes en fut tout retourné.
- Zut, un stock de steaks qui part en fumée !
Il poussa un grognement et se remit à tirer comme un forcené sur les appareils beaucoup trop proches. L'un des tireurs pointa un fusil d'étrange facture en direction du véhicule. Quand il pressa la détente de son arme, un filin terminé par un grappin en jaillit. Johnny sentit une terrible secousse. La moto échappa brutalement à son contrôle et menaça de quitter le sol.
- Putain, qu'est-ce que...
- Je crois qu'ils veulent la moto ! fit Fawkes en voyant le grappin fiché dans l'arrière du side-car.
Johnny se retourna, menaçant. Enfin, moins que le canon de son calibre 12.
- Ils peuvent toujours rêver !
Il fit feu. Le câble fut sectionné et le side-car retomba sur ses roues après quelques inquiétants soubresauts.
Profitant de la consternation de leurs ennemis, Fawkes lança une nouvelle offensive et une salve de laser désintégra le vertiptère de tête dans un grand flamboiement de débris métalliques.
- Et de un ! annonça-t-il triomphalement.
- C'est pas trop tôt, répliqua Johnny avec aigreur.
Mais l'Enclave n'avait pas dit son dernier mot.
Une série de boules de feu se mit à pleuvoir tout autour d'eux transformant ce qui était au départ une agréable ballade en chemin de croix, en véritable autoroute pour l'enfer !
- Les fumiers ! rugit le mercenaire.
Un autre grappin fusa dans leur direction. Johnny louvoyait pour leur éviter une incinération gratuite et ce faisant, le grappin manqua sa cible et transperça l'épaule droite du super mutant.
- Ah, non ! C'est pas du jeu !
Fawkes s'empara du câble qu'il tira violemment vers lui. Le soldat fut éjecté du vertiptère et tomba au sol, rapidement remorqué par la moto comme un poids mort.
Fawkes continua de tirer le filin, ramenant le soldat inanimé vers le side-car. Le soldat reprit ses esprits au moment même où le mutant braquait sur lui le canon de sa gatling laser :
- Fais risette !
Johnny fulminait.
- Doit bien y avoir d'autres gadgets sur cet engin!
Il pressa un bouton. Sitôt après, le panier pivota pour retrouver sa position d'origine.
- Non ! beugla Fawkes. Pas maintenant, Johnny !
- Merde !
Le soldat s'agrippa d'une main au side-car et de l'autre empoigna un fusil laser avec l'évidente intention de l'utiliser contre le pilote. Des crocs de chien dans son bras lui firent abandonner son projet. Cramponné au soldat, Rocky se mit en devoir de lui faire lâcher prise. Fawkes fulminait :
- Johnny, fais-moi tourner ! Rocky est en danger !
Le mercenaire était au bord de la crise de nerfs. Cette course-poursuite n'en finissait plus. L'image d'une jeune femme blonde suffit pourtant à lui procurer la concentration requise. Il appuya sur le premier bouton, inversant le panier et autorisant Fawkes à suivre la lutte entre Rocky et son adversaire. Le soldat avait lâché son arme, mais sa main libre était resserrée autour de la gorge du chien.
- Lâche-le, bouffon en scaphandre ! vociféra le mutant.
A ces mots, il orienta sa gatling vers le soldat et tira une courte rafale. Le méchant perdit sa prise sur la moto et sur Rocky et tout espoir de voler le side-car, à peu près dans cet ordre. Fawkes récupéra Rocky au vol et regarda le soldat rouler derrière eux. Lorsqu'il s'arrêta de rouler, il secoua sa tête endolorie. Il pesta contre sa mauvaise fortune, mais apprécia bien vit le fait d'être encore en vie. En voyant la moto s'éloigner, il porta une main à sa grenade à plasma.
- Si nous ne pouvons l'avoir, alors elle ne sera à personne !
Fawkes offrait un déluge de caresses à Rocky, mais il s'arrêta net en voyant un petit objet métallique dépasser de sa gueule.
- Bah, qu'est-ce que tu manges ?
Cela ressemblait assez à une goupille de grenade. L'explosion qui pulvérisa le soldat de l'Enclave derrière eux le confirma.
- Sacré toutou ! fit Fawkes en lui ébouriffant la tête ! C'est toi le meilleur !
- Et moi, je fais la sieste, peut-être !
La patience de Johnny commençait à se faire aussi rare qu'un sourire sur un fangeux.
- Allez, Murphy, tu as forcément pensé à mettre une arme secrète à utiliser en cas d'urgence !
Il appuya sur les boutons restants, priant pour déclencher un phénomène positif.
Venue de nulle part, une voix d'homme se fit soudainement entendre :
- Ici, Three Dog, Yeeehou ! La voix libre des Terres Désolées, pour vous. Et maintenant, un peu de musique...
Johnny comprit que Murphy lui avait installé la fameuse Galaxy News Radio. Charmante intention qui pour l'heure ajoutait à sa fureur.
Le vertiptère les bombardait sans relâche et creusait sensiblement l'écart au son de « a Wonderful Guy ».
- Ca devient super urgent ! souligna Fawkes.
Johnny actionna le dernier bouton.
Le flanc gauche de la moto s'escamota, libérant un missile dans un grand panache de fumée. La lueur de l'explosion éclaira le visage hilare du super mutant !
- Touché ! Et de deux !
L'appareil de l'Enclave perdit rapidement de l'altitude pour finir par s'écraser mollement sur la terre ferme.
Johnny n'en fut pas rasséréné pour autant. Il effectua un demi-tour avec difficulté et s'arrêta à la hauteur de la carcasse fumante du vertiptère. Il descendit de la moto et s'approcha du cockpit. Quelques coups de feu résonnèrent.
- C'est bon, Fawkes. Ils sont tous morts !
- Ouais, continuons, alors !
Johnny allait retourner sur le side-car lorsqu'une idée complètement folle traversa son esprit en ébullition.
- Dis-donc, il a l'air de pouvoir encore voler. Ca vous dirait un baptême de l'air ?
Chapitre 6 : La Liberté en Prime
A bord du vertiptère volé à l'Enclave, le trio survolait les Terres Désolées avec un sentiment de supériorité bien compréhensible. Fawkes se tenait dans la soute, regardant avec fascination le sol aride défiler sous eux. Il tenait la gatling laser contre lui en vérifiant de temps à autre que le side-car restait en place.
Johnny, quant à lui, pilotait son nouveau joujou sous le regard complice de Rocky assis à ses côtés, visiblement ravi de la promenade.
- Quel pied !
Les trois amis eurent tôt fait de distinguer une étrange cohorte.
- Ce sont eux ! annonça Johnny comme s'il avait vu une oasis.
- Ils ont l'air nombreux, dit Fawkes. Même pour nous.
Johnny lui jeta un regard inquiet.
- Je rigole, ajouta le super mutant.
Il leva sa gatling.
- On va se les faire !
- Ouais, bah, oublie pas que y a pas que des monstres en bas. Y aussi des innocents et parmi eux ma fiancée.
Johnny osa enfin s'angoisser un peu.
- Ouais, va falloir la jouer pas trop bourrin, cette fois.
- Tu comprends ce que ça veut dire « pas trop bourrin », Fawkes ?
- Moi je veux bien, mais avec Emma, j'ai dû mal à tirer au coup par coup !
Johnny faillit s'étrangler en détectant le sous-entendu grivois, mais accidentel, du super mutant.
Il ralentit un peu et amorça sa descente.
Il devait y avoir une trentaine de mutants et moitié moins de prisonniers. Il y avait des maîtres et des brutes solidement armés.
Le mercenaire comptait bien sur l'effet de surprise.
Il essaya de repérer sa dulcinée. Il distingua une frêle silhouette avec des cheveux blonds. Il se persuada que c'était Emma.
- Eh, hurla Fawkes à l'adresse de ses congénères. Vous avez dix secondes pour relâcher les otages sinon on ouvre le feu !
- Qu'est-ce qui te prend ? le morigéna Johnny.
- Excuse-moi, mais j'ai toujours rêvé de dire ça !
La file indienne s'arrêta et tous levèrent les yeux vers l'appareil qui les dominait.
Les prisonniers faisaient peine à voir, mais en voyant le vertiptère, une lueur d'espoir sembla illuminer leur regard. Les mutants, quant à eux, ne trouvèrent rien de mieux à faire que de s'esclaffer bruyamment.
- Je crois qu'ils nous prennent pas au sérieux, observa Fawkes avec une remarquable lucidité.
- On va les faire changer d'avis.
Johnny s'empara de l'incinérateur lourd et tira une salve.
L'un des mutants riait encore lorsque la boule de feu le changea en grillade.
Un silence terrible succéda à l'attaque. Puis un maître mutant épaula son lance-missiles :
- Abattez-moi ce traître !
- Traître ? s'indigna Fawkes. Mais j'ai jamais été de votre côté !
Johnny évita de justesse la roquette, mais les balles se mirent à ricocher contre la carlingue de l'appareil.
- Merde, on a tout fait foirer !
C'est ce moment que choisit un groupe de paladins de la Confrérie de l'Acier pour se mêler à la bataille. Ils jaillirent de derrière une formation rocheuse et se jetèrent sur les super mutants, les affrontant si nécessaire au corps à corps armés de leur éventreur.
- On a vraiment du cul, Fawkes ! Apparemment, on était pas les seuls à s'intéresser à eux !
Johnny posa tant bien que mal le vertiptère.
- Rocky, tu restes là. Trop dangereux pour toi.
Il ignora les jérémiades du chien et Fawkes et lui descendirent pour affronter le bataillon de mutants en pleine débâcle.
- Fawkes, il faut qu'on s'occupe des prisonniers. Il faut les isoler de la bataille.
- Je suis avec vous ! hurla son compagnon tandis qu'il était la cible des paladins.
Johnny sourit.
- Tu devrais te trouver un déguisement !
L'instant d'après, il enflammait deux mutants.
Les balles sifflaient autour du mercenaire qui s'attendait à tout moment à en prendre une. Il fit bien car l'une d'elle lui entailla le bras gauche. Il se mordit les lèvres et continua d'avancer jusqu'à un groupe de prisonniers qui hésitaient à fuir. L'un d'eux semblait les exhorter à profiter de la confusion pour filer en douce. C'était une femme. Johnny s'avança plus près. C'était Emma ! Son Emma !
Il la prit dans ses bras, interrompant brutalement son discours. Il ne la relâcha qu'à contrecœur. Elle avait le visage fatigué et semblait faible. Mais de pouvoir à nouveau la toucher et plonger ses yeux dans les siens suffit à le rendre heureux. Elle le regarda, totalement hébétée, ne réalisant pas qu'il avait pu venir la sauver.
- Viens avec moi ! Venez tous avec moi !
Johnny entraîna la jeune femme vers la formation rocheuse d'où avait jailli la Confrérie de l'Acier.
- Fawkes, tu nous couvres !
- Avec plaisir, chef !
Le bruit caractéristique de la gatling laser ponctua sa déclaration.
Ils n'avaient pas fait dix mètres que trois mutants leur tombaient dessus, armés de bâtons cloutés.
- C'est pas gentil de nous fausser compagnie, firent-ils de leur grosse voix.
Johnny embrasa le plus proche, mais vida du même coup le réservoir de son incinérateur lourd.
- Merde ! Je crois qu' on est cuit, nous aussi !
Un bruit de tronçonneuse se fit entendre. La tête d'un des mutants s'envola de ses épaules et le dernier reçut la lame d'un éventreur en plein cœur.
Tandis que les corps sans vie s'abattaient sur le sol, un paladin apparut, couvert de sang et de viscères.
- Je suis le paladin Cross ! fit une voix déterminée de femme. Elle était revêtue d'une armure assistée et d'un casque assorti, comme tous ses frères d'armes.
- Je vais vous escorter en lieu sûr. On fera les présentations plus tard.
- Bonne idée, fit Johnny avant de la suivre, le contact rassurant de la main d'Emma dans la sienne.
Fawkes n'avait pas perdu son temps. Rapidement, il avait prouvé qu'il était bien du côté des membres de la Confrérie qui avait cessé devant ses exploits de l'importuner comme un vulgaire super mutant. Hélas Emma - l'autre Emma - avait rendu l'âme et il se battait désormais à l'aide d'armes plus ou moins improvisées.
Fawkes repéra un de ses congénères particulièrement dangereux. Il mitraillait à tout va avec son mini-gun, sans se soucier s'il tirait sur des humains ou non. Il avait déjà tué quatre paladins, trois mutants et trois esclaves dans sa folie meurtrière. Fawkes attendit qu'il recharge pour se charger de son cas. Tandis qu'il s'élançait avec pour seule arme ses poings nus, un paladin attentionné lui lança une super masse qu'il attrapa au vol.
- Merci l'ami !
D'un bond puissant, il se jeta de tout son poids sur son adversaire, une brute de la pire espèce. Il lui assena trois coups consécutifs. L'autre ne broncha pas et lui porta un coup terrible avec son mini-gun. Fawkes tomba au sol, groggy, avant de balancer son arme vers la brute. Celle-ci la reçut en pleine face et tomba à genoux sous le choc.
- C'est l'heure de payer la facture, mon gars !
Fawkes lui empoigna le crâne et le dévissa avec tout le savoir-faire d'un mécano hors pair.
La bataille touchait à sa fin. La confrérie avait pris nettement le dessus, même si elle avait sacrifié beaucoup de soldats dans cette lutte sans merci.
Fawkes coupa court aux félicitations des paladins pour rejoindre son ami.
Johnny laissa Cross et les autres paladins s'occuper des esclaves pour passer un peu de temps avec Emma. Elle était encore sous le choc de ce qu'elle venait de vivre. Elle n'arrivait plus à parler. Elle pleurait de temps en temps, se serrant contre le mercenaire en murmurant son prénom. Il lui caressait les cheveux.
- C'est fini, Emma. C'est terminé. Tu n'as plus rien à craindre.
Elle poussa un hurlement qui démentit son affirmation.
Johnny se retourna. Un Behemoth leur faisait face, un bâton orné d'une bouche d'égoût en guise d'arme. Il était énorme. Il représentait le stade ultime de l'évolution des super mutants. Heureusement, il en existait peu dans les Terres Désolées.
Johnny mesura combien il avait de la chance avec un sourire amer.
Il n'avait pas vu de Behemoth depuis... depuis ce fameux jour où enfant, il était tombé nez à nez avec l'un d'entre eux. Il avait massacré ses parents et avait voulu l'ajouter à son tableau de chasse. Il s'en souvenait comme si c'était hier. Le colosse le dominait, debout sur une montagne de carcasses de voitures. Sans se rendre compte de ce qu'il faisait, Johnny avait ramassé une grenade sur le corps de son père et l'avait balancé devant lui. Au moment où le Behemoth s'était jeté sur lui, l'explosion avait enflammé les véhicules, produisant une boule de feu cataclysmique qui envoya le monstre en plein ciel. Johnny ne le vit jamais redescendre. Seul son bras droit retomba devant lui. Un bras qu'il avait conservé longtemps, comme pour se rappeler de ce jour néfaste teinté d'un soupçon de miracle.
Oui, il avait bel et bien menti à Murphy. Il avait réellement vaincu un Béhémoth à lui seul quand il n'était qu'un enfant. Ce Béhémoth à qui il devait de s'appeler ainsi.
Il observa le colosse qui à présent les menaçait tous. Johnny senti un frisson glacial parcourir sa colonne vertébrale lorsqu'il vit que le Behemoth n'avait qu'un seul bras.
- On dirait que le destin a décidé que je devais finir le travail.
Plusieurs paladins, dont Cross, voulurent s'interposer. Le monstre les balaya tous de sa massue improvisée. Puis il baissa la tête pour dévisager Johnny qui n'en menait pas large.
Comme s'il l'avait reconnu, ses yeux s'agrandirent et il poussa un hurlement à décorner un troupeau de brahmines.
Johnny serra les poings.
- Je t'ai massacré quand j'avais dix ans, c'est pas maintenant que je vais me défiler. Deuxième round !
Le mercenaire repoussa Emma qui le retenait et força le monstrueux mutant à lui courir après. C'était son combat, son duel. Personne d'autre ne devait s'en mêler.
Mais Fawkes en décida autrement. Il avait grimpé à bord du vertiptère et heurta de plein fouet le Behemoth. Sous le choc, l'appareil menaça de s'écraser. Le Behemoth tomba un genou au sol, à peine ébranlé. Johnny en profita pour ramasser quelque chose au sol. Il grimpa sur la jambe du colosse qui poussa un nouveau hurlement de rage. Johnny jeta dans sa gueule écumante ce qu'il avait ramassé. Il s'apprêtait à s'enfuir, mais son adversaire l'emprisonna dans sa main valide. Le mercenaire sentit une pression terrible sur ses os. Il se voyait déjà réduit en poussières lorsque la tête du Behemoth implosa dans un immonde geyser.
Son corps s'écroula dans un bruit de tonnerre. Les paladins vinrent aider Johnny à se libérer. Ceci fait, il cracha plusieurs goupilles et se laissa tomber dans les bras d'Emma, totalement épuisé.
Chapitre 7 : Bons Baisers des Terres Désolées
Quand il récupéra un peu, Le paladin Cross expliqua à Johnny que la Confrérie avait repéré ce groupe de mutants quelques temps auparavant. Elle le soupçonnait de se rendre à l'abri 87 pour y produire de nouveaux spécimens de leur espèce. On peut dire qu'ils avaient vu juste.
- Cet abri 87, il faudrait le détruire une bonne fois pour toutes ! s'emporta le mercenaire en observant Fawkes.
Ce dernier afficha une triste moue.
- On pourrait peut-être en parler à Murphy, avant. Il a l'air doué, ce petit gars. Il pourrait trouver un moyen d'inverser le processus, non ?
Johnny ne put s'empêcher de sourire.
- Pourquoi ? Tu ne te plais plus en mutant ?
Fawkes eut l'air gêné.
- Bah, en fait...
Johnny s'aperçut qu'Emma acceptait mal la présence de Fawkes après ce qu'elle venait de vivre. Elle acceptait encore moins son évidente complicité avec son fiancé.
- Je comprends, dit Johnny. Je comprends. Ce n'est pas comme si tu avais toujours été mutant, crut-il bon de rappeler.
- Je veux qu'on parte d'ici, le supplia Emma.
- Oui, dit Johnny en lui caressant la joue. On va y aller. Mais j'ai encore un petit travail à terminer.
Il scruta l'horizon.
- Tout le monde n'a pas encore payé la facture.
- Vous voulez parler du Dr Nuke ? interrogea Cross comme si elle avait lu dans ses pensées.
Elle avait retiré son casque. C'était une belle femme à la peau noire et aux cheveux courts, étonnamment blancs.
- Qu'est-ce que vous savez à son sujet ?
- Il n'est plus de ce monde. On a trouvé son cadavre non loin d'ici. Voilà ce que c'est que de traiter avec les super mutants.
Johnny poussa un soupir en dévisageant Emma.
- Dommage. J'aurais bien voulu m'en occuper moi-même.
- Si ça peut vous rassurer, ajouta Cross. Des pourritures comme lui, c'est pas ce qui manque dans les Terres Désolées.
Puis elle remit son casque.
- Nous allons escorter ces gens en lieu sûr. Vous voulez nous accompagner ?
- Non, merci, répondit le mercenaire.
- Vous savez que vous feriez un très bon paladin. Votre ami Fawkes, aussi, d'ailleurs !
En entendant son nom, le mutant devint tout guilleret.
- Chef, c'est une bonne idée, non ?
Johnny afficha un air las.
- Rejoins-les si tu veux, Fawkes. Tu es libre.
Le mutant devint tout penaud.
- Mais...
Johnny lui serra la main.
- Je suis vraiment heureux de t'avoir rencontré, Fawkes. On te doit beaucoup.
Le mutant lui serra la main, attristé.
- Je viendrai te voir de temps en temps à la Citadelle.
Ce qui réussit à faire sourire l'intéressé.
- T'as intérêt, sinon...
Le couple regarda les rescapés de la bataille monter à bord du vertiptère piloté par Fawkes et disparaître dans le couchant.
- Je crois qu'il est temps de partir, annonça Johnny.
Quelques instants plus tard, le side-car roulait à tombeaux ouverts. Emma était assise derrière Johnny, enlaçant sa poitrine de ses bras et Rocky était dans le panier, regrettant l'absence de l'imposant mutant.
Le mercenaire avait allumé la radio.
« Salut les Terres Désolées, ici, Three Dog. Yahouuu ! Pour votre plus grand plaisir. Encore une nouvelle journée de passée en Post-Apocalyptia. Et si je vous disais, les amis, que notre célèbre héros vient encore de faire parler de lui. Non, non, non. Je ne vous parle pas de notre valeureux habitant de l'abri 101, ni même du légendaire Johnny Behemoth. Je vous parle d'un super mutant qui a carrément viré sa cutie pour aider la Confrérie de l'acier à éradiquer les membres de son espèce. C'est pas un truc dingue, ça ? Si vous avez du mal à digérer une nouvelle pareille, je vous rassure, c'est tout à fait normal. Alors pour vous faire passer la pilule plus facilement, je ne vois qu'un seul remède : un peu de musique...
- Ca alors, fit Johnny, on aura tout vu !
La chanson « Way Back Home » se fit alors entendre dans la nuit, accompagnant le trio de ses sonorités délicieusement rétros, sous un ciel paré d'étoiles scintillantes.
- Merde, ils connaissent pas le rock'n roll à GNR !
Au loin une soucoupe volante se crasha.
Une journée tout à fait normale en somme dans les Terres Désolées de la Capitale.
En attendant la prochaine...
T’as aimé…ou pas
T’as tout lu, tout vu, tout entendu…ou pas
Peu importe, post un com et like la page pour dire que tu existes car ton avis est important pour moi, mais aussi pour le futur de ce blog, un gros merci d’avance !
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samedi, 01 août 2009
CRIMinalité INtensive [Nouvelles/Anticipations]
Prologue
Jimmy prit le temps de s'interroger une dernière fois sur l'utilité de son geste.
C'était vraiment tentant, un peu comme donner un bon coup de pied dans la fourmilière et regarder les dégâts se propager. Et puis, il avait pris ses précautions. Personne ne saurait que c'était lui. Il n'en était pas à son coup d'essai. Mais cette fois, ça risquait de foutre une belle pagaille. Tant mieux. Il avait toujours été un peu rancunier, alors forcément de se voir interdire l'accès au forum pour propos injurieux, il n'avait pas pu le digérer. Après tout, il n'avait fait que dire tout haut ce que beaucoup pensaient tout bas.
Il appuya sur la touche, scellant le destin de beaucoup de personnes.
Un sourire s'étira sur son visage d'ado boutonneux.
- A vous de jouer, les gars !
CHAPITRE 1
John Carson ouvrit les yeux et regretta aussitôt son geste. Il se rappela qu'il vivait dans un monde à bout de souffle. Il jeta un regard au cadran du réveil. Il afficha 6:66 pendant quelques secondes avant d'annoncer plus sérieusement 6:00.
John poussa un soupir. Même les machines devenaient folles.
En se tournant vers la gauche, il oublia momentanément ses idées noires à la vue d'une épaule et d'une jambe gracieuse émergeant de sous le drap. Sa bouche couvrit la première et sa main épousa la seconde. La lumière qui filtrait à travers les persiennes miroitait sur les parties du corps ainsi exposées comme pour l'inviter davantage à s'y attarder.
- Il est un peu tôt, non ? fit la voix enrouée de Linda.
John sourit. Il connaissait ce ton là par cœur. C'était facile de lire entre les lignes après sept ans de vie commune. Tout en continuant à la caresser du bout des doigts, il plongea son visage dans ses boucles blondes:
- Je ralentis ou j'accélère ?
Il l'entendit sourire à son tour.
- Je te laisse deviner.
Elle se tourna vers lui. En scrutant son visage, même maquillé par la pénombre, il se félicita d'avoir ouvert les yeux de si bonne heure. Il l'embrassa, sa main continuant de masser paresseusement sa cuisse. Elle commença à gémir. L'explosion fut si violente qu'elle ébranla l'appartement.
John bondit du lit :
- Putain, qu'est-ce que c'était ?
Linda s'alarma.
- J'espère que ce n'est pas la bibliothèque. J'ai vu une bande tourner autour ces derniers jours.
John enfila son pantalon de pyjama, prit quelque chose dans sa table de chevet avant de se diriger vers l'entrée. Linda le rejoignit rapidement dans une chemise de nuit vaporeuse.
John ouvrit la porte. N'eut été le vacarme précédent, il aurait pu penser que le brouillard avait recouvert le quartier. Mais il sut qu'il s'agissait en fait d'un monstrueux nuage de fumée. Il était si épais qu'il distingua à peine le vieil homme qui s'époumonait en traversant la rue à vélo :
- C'est la bibliothèque ! Ils ont détruit la bibliothèque, ces petits fumiers !
John s'avança aussi loin que le lui permit la main ferme de Linda.
- Je crois que c'est Henry Swift.
John plaça ses mains en porte-voix, exhibant sans le vouloir le pistolet qu'il tenait dans sa main droite :
- Henry ? C'est John et Linda. On est là !
Ils entendirent les vieilles roues métalliques grincer indiquant que le vieil homme avait entendu leur appel et ralentissait.
- Vous avez vu ce foutoir ?
N'eut été la catastrophe, John se serait laissé gagner par la joie de revoir leur voisin préféré.
Un moteur de deux roues pétaradant couvrit sa réplique.
John s'avança un peu plus. La fumée semblait se dissiper légèrement grâce à la brise matinale.
Henry était bien là, sur son vieux machin rouillé qu'il appelait affectueusement « son poney ».
Il portait son affreuse chemise à carreaux qui semblait ne jamais le quitter, qu'il vente ou qu'il neige.
John lui sourit. Henry ouvrit la bouche, mais ses mots furent engloutis par le bruit du moteur qui se rapprochait rapidement. John vit Henry se tourner en direction des arrivants. Des voix de pré-pubères crièrent par-dessus le vacarme de l'engin :
- Eh papy, t'as oublié de prendre tes suppos !
Le staccato d'une arme automatique résonna affreusement. Il ne s'était pas interrompu que Henry Swift gisait déjà au sol, son vélo couché sur la route et sa fidèle chemise à carreaux poissée de sang. A la vue de son corps sans vie, les yeux de John s'agrandirent et son visage se tordit.
Il pointa son arme vers la moto, mais la main prompte de Linda fit avorter son geste.
Le bruit du moteur s'éloigna et la moto disparut dans un concert d'éclats de rire.
John se tourna vers Linda. Les yeux bleus de la jeune femme jetaient des éclairs.
- Tu veux leur ressembler ? Tu veux devenir comme eux, à distribuer la mort comme on distribue des journaux ?
- On ne peut pas les laisser continuer à foutre cette ville en l'air, merde ! Henry vient d'y passer sous nos yeux. Après, ce sera le tour de qui ? Toi, moi ?
- On n'a qu'à partir ! Qu'est-ce qui nous en empêche ? Il y a bien un endroit en sécurité !
- En sécurité? Tu lis les journaux comme moi. C'est partout pareil. Tout le monde est devenu fou et ceux qui ont encore leur tête finissent comme Henry.
Sur ces mots, John alla s'agenouiller auprès du vieil homme dont il ne put que constater le décès.
Linda s'approcha avec peine.
- John, ne reste pas là. Ils pourraient revenir !
- Qu'ils reviennent, ces petits salauds. Je les attends !
Heureusement ils ne revinrent pas. Une ambulance miraculeusement épargnée emporta le cadavre de Henry Swift. La police ne vint pas recueillir leur déposition. Il y a longtemps que la police ne venait plus pour ce genre de choses. Dehors c'était la guerre et les flics étaient depuis longtemps en première ligne.
John et Linda s'étaient consolés du drame du mieux qu'ils avaient pu. Ils avaient beaucoup discuté. Ils avaient chacun élevé la voix. Mais ils avaient fini par tomber d'accord. Ce meurtre gratuit avait été la goutte d'eau pour eux. Ils partiraient vers une île perdue dès le lendemain. Le temps de régler quelques affaires courantes, de faire leurs bagages et ils monteraient dans un petit avion loué à un ami qui habitait en dehors de la ville.
- Tu as raison, avait dit John. Si je reste ici encore quelques jours, je finirai par ne plus pouvoir répondre de mes actes.
Le soir, Linda était allée faire des courses pendant que John terminait de remplir sa voiture. Tandis qu'il vérifiait le contenu du coffre, la lumière du jour déclina brusquement et levant la tête, il vit la lune monter brusquement dans le ciel comme tirée par un fil invisible. Il secoua la tête. Il était vraiment fatigué. Il était temps que cette journée se termine.
Linda abandonna sa voiture sur le parking du supermarché. Elle avait vu peu de gens. Elle n'avait pas osé leur annoncer son départ. De peur sans doute qu'on lui rétorque que sa tentative était vaine.
Elle essaya de chasser ses sombres pensées. Le soir était étrangement calme et l'air vivifiant. Elle trouvait que c'était une bonne idée de rentrer à pieds pour goûter une dernière fois l'atmosphère de cette ville dans laquelle ils avaient séjourné depuis tant de temps.
Elle regarda les sacs qu'elle portait. Elle avait presque envie de se convaincre que c'était un soir comme ceux d'avant, du temps où rien ne perturbait le quotidien, où rien ne menaçait le bonheur cousu au fil des ans avec l'homme de sa vie. Les sacs étaient lourds. John la sermonnerait sûrement d'avoir laissé sa voiture. Mais cela la fit sourire. Un nouveau départ les attendait quelque part. Incertain. Mais ils étaient ensemble. Le reste importait peu en regard de cela. Elle n'était plus très loin. Elle pouvait même apercevoir la silhouette de John arc-bouté sur la voiture éclairée par le réverbère. La lune était pleine et brillait au-dessus de la rue.
Elle songeait à l'avertir de son arrivée lorsqu'elle perçut une présence à ses côtés.
Le cri déchira le silence comme un éclair peut déchirer la nuit. John se redressa violemment. Il ne pouvait se méprendre sur le son de la voix.
- Linda !
Il courut dans la rue comme un fou. La vision de Henry Swift sans vie revint le hanter. Il la chassa rapidement. Il n'eut pas à courir longtemps. Il trouva le corps allongé sur la route au milieu des aliments et des objets épars. La tête reposait à même le trottoir. Le poignard avait frappé à plusieurs endroits avec la même effroyable indifférence. Un autre tueur fou était en liberté et Linda venait d'en payer le prix. Ses paroles du matin résonnaient maintenant de manière prophétique à son esprit pourtant assoiffé de rationalisme. Ses poings frappèrent le bitume sans qu'il en prenne conscience, y laissant deux inquiétantes cavités.
John ancra son regard sur le visage blafard de la femme de sa vie. Il évita d'attarder son attention sur les blessures profondes à l'image d'un équilibriste qui se désintéresse du vide pour mieux accomplir sa progression.
- Pourquoi tu n'as pas pris ta voiture, pourquoi ?
Une larme coula sur la joue de Linda.
- Il faisait si bon, John. Il faisait si bon.
John saisit son portable - qu'il ne se rappelait pourtant pas avoir emmené - et composa le numéro des urgences.
- Comment il était ? Dis-moi comment il était ce fils de pute !
- Il était jeune. Si jeune. Un enfant avec des yeux bleus. Magnifiques. Tu sais, j'ai cru qu'il voulait m'aider à porter mes courses. Comment je peux être encore aussi naïve après...
John plaça un index sur ses lèvres.
- Ne parle plus, chérie. Economise tes forces. L'ambulance va arriver.
John entendit la voix d'un opérateur. Il essaya de parler calmement.
- Ma femme a été agressée. Elle est grièvement blessée. Elle s'appelle Linda Carson. Oui, je suis avec elle. Très bien. Nous sommes à ...
John ne sentait plus le pouls de Linda. Ses yeux étaient toujours ouverts, mais ils le fixaient sans ciller en un regard désespéré qui lui figea le sang.
- Elle est partie, murmura-t-il sans y croire.
L'opérateur le bombardait de questions, mais John lâcha le téléphone, incapable d'écouter autre chose que le silence de mort qui venait de recouvrir sa femme comme un linceul.
- Linda.
Il la prit dans ses bras et ce fut pire encore. John enfouit son visage dans ses boucles blondes. Pour la dernière fois.
Le bruit d'une moto l'arracha à son cérémonial. Le deux-roues venait dans sa direction. C'était celui de ce matin, il en était persuadé. Sa vengeance n'aurait pas le temps de refroidir. Il ramassa instinctivement l'objet le plus proche de sa main sans regarder si cela pouvait faire office d'arme et le jeta sur le pilote de toutes ses forces :
- De la part d'Henry !
Le pilote se baissa et le passager reçut le projectile en pleine figure. Sous l'impact, ses dents se brisèrent et son nez implosa comme une bombonne. Celui-là allait regretter de ne pas avoir mis de casque. Il tomba inanimé sur la route et tandis que le pilote s'emparait d'un Uzi et faisait feu sur lui, John observa avec fascination l'orange qu'il avait projeté roulait sur elle-même dans une flaque de sang. On aurait dit un astre effectuant sa rotation en une danse macabre. Belle métaphore, se dit-il avant de s'apercevoir qu'il aurait dû être mort. La moto disparut à l'autre bout de la rue. John adressa un dernier regard à Linda. Il l'embrassa et se releva, le regard aussi noir que celui d'un serpent. Il écrasa une pomme sous son talon et s'élança à la poursuite du deux-roues.
Il le retrouva facilement sous un porche pourtant mal éclairé. John avait le sentiment d'être dans la peau de quelqu'un d'autre. Comme s'il était entré dans une parenthèse de sa vie. Il avait une mission, un but qui excluait toute idée de pardon, de compassion. John n'avait guère eut le temps de dévisager les criminels, mais il sut qu'ils ne devaient pas avoir trente ans à eux deux.
Ils connaissaient sûrement l'assassin de Linda. Ils se connaissaient tous. Il en était convaincu.
John s'approcha à tâtons. Le jeune fouillait dans un buisson. Et il jurait tant qu'il pouvait.
- Fais chier, il est où ce fusil ? Je l'avais laissé là, bordel ! Ils font chier ces cons à piquer les flingues des autres !
- Tu devrais pas être au lit à cette heure là ?
Le jeune se retourna. Il portait une cagoule, un débardeur blanc, un treillis et des bottes cloutées. Mais John n'avait d'yeux que pour les siens. Ils brillaient comme des saphirs. Des yeux bleus. Magnifiques.
- Qu'est-ce que tu fous là, toi ? Je t'ai buté !
John s'avança. Il n'avait pas peur. Mais l'autre non plus. Comme si tout ceci n'était vraiment qu'un jeu pour lui. John lui sourit. Un sourire de requin.
- Tu devrais changer de job, alors. Parce que tu t'es loupé en beauté.
Le jeune pointa son Uzi.
- Dégage où je te massacre, enfoiré !
- Pour ça, il faudrait que tu aies des balles. Tu n'en as plus et c'est sans doute pour ça que tu cherches ton fusil.
Les yeux bleus s'agrandirent de stupéfaction.
- Comment tu... c'est toi qui me l'a piqué, enfoiré ! Putain, mais tu te prends pour qui ? Tu pouvais pas rester chez toi ? Je vais te massacrer !
Il lança le pistolet-mitrailleur en espérant sans doute atteindre John au visage. Mais John rattrapa l'arme aussi adroitement que possible. Son index caressa la détente avec un plaisir sadique :
- Dis-moi pourquoi tu as fait ça ? Je ne prétends pas t'épargner, mais cela satisfera ma curiosité.
Le jeune produisit un couteau de chasse presque aussi long que son bras.
- T'es con ou tu le fais exprès. Tu l'as dit toi-même : le chargeur est vide !
Le regard de John se vissa sur la lame. Elle brillait, elle était propre. Ce fumier avait eut le temps de la nettoyer, dieu sait comment. Le visage de Linda traversa son esprit. Comme en réponse, son doigt pressa la détente. Le bruit de l'arme ne le surprit même pas. Elle s'accordait à sa volonté. Le jeune tomba, l'épaule gauche trouée de 9 mm.
John se rapprocha de lui. Le garçon ne semblait pas souffrir de sa blessure. Mais plutôt du fait que le chargeur aurait dû être vide. John voulut lui retirer sa cagoule, mais il craignit que de voir son visage l'empêchât d'accomplir sa besogne.
Le garçon dut comprendre son intention, car il l'implora malgré tout :
- Putain, faites pas ça ! Vous voyez bien que je suis qu'un gosse. J'ai que quinze ans. Faites pas ça, je vous dis. Je suis qu'un gamin !
John hésita. Il voulait venger la mort de Linda. Tout en lui réclamait cette finalité. Mais les paroles mêmes de sa femme s'opposaient à cet acte. Ces paroles qui le désigneraient comme un criminel au même titre que celui qu'il avait sous les yeux. En tirant, n'allait-il pas devenir ce qu'il condamnait ? Le regard sans vie de Linda lui apparut, abrutissant sa lucidité. Elle était partie. Pour toujours. Il n'avait donc rien à espérer. Rien à faire. Rien d'autre qu'honorer sa mémoire. Et cela exigeait un sacrifice.
John mit le garçon en joue. Ses yeux de serpent jetèrent des éclairs.
- Non, tu n'es pas qu'un gamin. Tu es l'assassin de ma femme.
Le bruit de l'arme ponctua sa funeste sentence.
- Putain, c'est quoi ce bordel !
Eric gesticulait sur sa chaise comme si elle était électrique.
Son frère Jérôme l'entendit depuis les toilettes. Il tira la chasse d'eau et le rejoignit :
- Qu'est-ce qui t'arrive ? T'as encore perdu ?
- Ouais, y a un connard qui m'a shooté avec mon Uzi. Il avait l'air balèze alors j'ai pris l'option reddition et il m'a quand même buté !
- Qu'est-ce que tu veux. Y a des joueurs qui respectent rien.
- C'était pas un joueur, c'était l'IA du jeu ! J'ai buté une femme avec mon couteau et apparemment c'était la sienne. C'est un truc de malade !
Jérôme sourit. Il n'avait pas la même passion que son frère, mais cela l'amusait toujours de l'entendre râler à ce sujet.
- Ca prouve que c'est bien fait. Il y a une vraie cohérence. C'est pour ça que le jeu marche aussi bien, non ?
- Ouais, mais j'arrive plus à me connecter avec mon avatar.
- T'as qu'à en changer ?
- T'es ouf, toi ! J'avais débloqué trop de trucs avec Tunk15.
Les magnifiques yeux bleus d'Eric brillaient. Il était au bord des larmes.
- Je suis dégoûté. En plus j'avais réussi à refaire mon visage. J'ai passé des heures sur ce perso !
Eric quittait son rôle de gangster pour redevenir un simple adolescent. Emotif. Vulnérable.
Il se leva de son siège, balança son micro-casque et quitta la chambre, non sans renverser quelques étagères au passage.
Jérôme le regarda s'éloigner avec un sourire. Il savait qu'il allait noyer son chagrin dans un pot de crème au chocolat ou en regardant un épisode de Vyvychibi, son manga préféré. Il prit sa place devant l'ordinateur et détailla les menus de l'écran avec le sentiment d'ouvrir la boîte de Pandore.
Il regarda la jaquette du jeu posé sur le bureau. L'affiche représentait un fusil-mitrailleur sur lequel venait se greffer les mots Criminalité Intensive.
En dehors de cela, le rendu graphique était d'une étonnante sobriété, loin du réalisme et de l'image spectaculaire véhiculés par le jeu. Mais en bas de l'affiche, comme pour les rappeler, s'étalait le slogan connu dans le monde entier : « Maintenant on ne joue plus ! »
2. Succès Déverrouillé : Premières Armes
Pour John Carson, plus rien ne pouvait avoir de sens.
Il venait de perdre Linda, l'être le plus cher à ses yeux. Et en donnant la mort, il venait aussi de perdre son bien le plus précieux : sa vertu. Sa vengeance assouvie, du moins l'espérait-il, sa conscience faisait de nouveau son boulot. Et elle venait de le mettre sur le banc des accusés.
Il jeta le pistolet-mitrailleur et se recroquevilla comme un enfant. Ce faisant, il ne vit pas le corps du jeune garçon disparaître subitement sans laisser de trace.
John attendit que la police vienne l'arrêter. Car sur l'instant, c'était bien son seul souhait. Il avait commis la chose la plus monstrueuse à ses yeux et aussi à ceux de Linda. Il avait alimenté la violence qui ravageait la société et contre laquelle il s'était indigné.
Et il l'avait fait de la pire des façons.
Il ne sait pas combien de temps il attendit. La nuit était sans doute bien avancée lorsque la pluie s'abattit sur la ville sans crier gare. Peut-être une manière de nettoyer le sang qui avait coulé et de le laver de ses crimes. Mais là, il savait qu'il en faudrait beaucoup plus.
Il se leva et se dirigea vers la moto du gamin. Il fallait qu'il bouge. Il ne savait pas exactement pourquoi, mais il ne devait pas rester là. Les flics n'étaient pas venus, alors son destin n'était pas encore scellé. Et puis, il repensa au corps de Linda allongé dans la rue. Comment avait-il fait pour ne pas y penser plus tôt ? Etait-il réellement devenu un monstre, lui aussi ? Peut-être que lorsqu'on avait tué quelqu'un, les pulsions éveillées empêchaient-elles de revenir vers une nature plus humaine.
John enfourcha la bécane. C'était un engin fait pour les sauts et les acrobaties sur des terrains accidentés, du motocross ou du trial, il ne s'y connaissait guère. Tout en la faisant démarrer sans la moindre anicroche, il se demanda si le jeune qui la pilotait naguère avait l'âge requis pour monter dessus. Il repensa à l'Uzi entre ses doigts frêles et il se mit à rire. L'instant d'après, il s'élançait vers sa maison dans un bruit de moteur pétaradant.
Il ne retrouva pas le corps de Linda à l'endroit où il l'avait laissé. Ni même à un autre. Il ratissa tout le quartier. Rien. Pas une trace de sang, pas un indice. Le jeune qui avait reçu l'orange en plaine figure s'était volatilisé lui aussi. Il eut la sensation d'être victime d'un complot avant de comprendre qu'il venait simplement de grossir la liste des victimes de la barbarie qui gangrenait la planète depuis quelques mois. Sa colère explosa.
- Bande de salauds ! Pourquoi vous faites ça ? Pourquoi ?
Comme pour lui répondre, une explosion abîma la nuit au loin dans une fulgurance de jaune et de rouge. Un autre bâtiment important sans nul doute.
John s'écroula au beau milieu de la route et se recroquevilla comme un fœtus. La mort de Linda creusa en lui un sillon de douleur indicible.
Lorsqu'il put retrouver quelque force, les premières lueurs du jour éclairaient la ville, peignant les toits des maisons de couleurs chaudes propres à le réconforter un peu. Tout n'était pas complètement mort. Indifférente au sort des hommes, à leur folie, la nature continuait de produire ses chefs-d'œuvre.
John retourna près de sa voiture. Elle était pleine à craquer. Prête à partir. Il regarda la maison. Et détourna rapidement la tête. Y entrer n'était pas envisageable. Il se sentait bien trop fragile. Sa conscience lui certifiait que la meilleure chose à faire dans l'état actuel des choses était de quitter la ville comme prévu et de se rendre en avion sur une île épargnée par cette montée de violence. Mais une autre voix, une voix qu'il commençait tout juste à apprivoiser, lui assurait que la seule chose désormais qui pouvait donner un sens à sa vie était de devenir la parfaite némésis de ce mal incurable et ravageur. Il savait que cela allait le plonger davantage dans l'obscurité. Mais il ne pouvait se défaire de l'idée que c'était la seule chose véritablement sensée à faire. A quoi lui servirait de fuir ? Il se retrouverait seul, irrémédiablement. Pire que seul. Il ne serait plus avec Linda. Et cette souffrance là, il ne voulait pas la vivre. Rien ne pouvait l'obliger à le faire. S'il devait souffrir, alors il choisirait une autre façon. Et il comptait bien ne pas être le seul à souffrir. Il allait s'en assurer.
Il voulut récupérer son pistolet dans sa table de chevet, mais cela impliquait de retourner dans la maison. Une épreuve qu'il refusait en bloc. Il se prit la tête à deux mains et ce faisant, réalisa qu'il avait le pistolet dans sa main droite. Il l'observa, incapable d'expliquer sa présence. Depuis qu'il avait tué ce gamin, la réalité ne semblait plus tout à fait la même. En fait depuis qu'il avait perdu Linda, l'univers entier semblait lui montrer un autre visage. Comment aurait-il pu en être autrement puisqu'elle incarnait pour lui la vie au sens le plus noble ?
A moins qu'il fut lui-même la source de tous ces changements. L'idée d'être dans un rêve lui traversa l'esprit et il se dit que si tel était le cas, alors il se ferait un devoir d'en faire un cauchemar pour certains. En fait, la réponse lui importait peu, pour le moment.
S'il bénéficiait de ressources supplémentaires pour mener à bien sa mission, alors il n'y avait plus de doute à avoir, plus d'hésitation possible. Sa voie était toute tracée.
Il regarda sa main gauche et la seconde d'après, elle tenait un pistolet identique à celui qu'il possédait déjà. Maintenant que Linda n'était plus là pour agir sur lui comme inhibiteur, il allait pouvoir s'abandonner à ses pulsions les plus refoulées.
Il sourit.
La chasse pouvait commencer.
CHAPITRE 3 : L'Avènement de CRIM'IN
Dave Matheson était programmeur.
Il avait rejoint l'équipe de Blue Pill trois ans auparavant. Les projets sur lesquels il avait travaillé (souvent au détriment de sa vie privée) ne lui avaient valu que peu de considération et des émoluments pour le moins aléatoires.
Ils n'étaient qu'une dizaine dans l'équipe et les projets - bien que novateurs et attendus - étaient constamment remis en question par la direction, si bien qu'ils avaient l'impression de travailler pour rien. Jusqu'au jour où le studio fut racheté par la société DIEU [Divertissements Informatiques Educatifs Universels] qui après avoir inondé le marché de logiciels révolutionnaires sur la forme, décida d'exploiter l'univers du jeu vidéo et plus particulièrement du jeu en réseau.
Le directeur de DIEU, Donald Buff, était devenu rapidement l'idole de tous. Les adolescents l'adulaient. Les adultes l'adoraient. Lorsqu'il créa TotaLink TM - un réseau qui rendit possible l'accès à toute une gamme de jeux depuis un PC ou une console - le nom même de sa société lui fut attribué. Il avait réussi, en quelque sorte, à enterrer la hache de guerre, réunissant deux supports jusque-là profondément antagonistes. Un véritable tour de force technologique qui lui avait valu de nombreuses récompenses lors des salons de jeux et des critiques dithyrambiques de la plupart des grandes revues spécialisées comme ZéroOne ou Screenshot.
Ce véritable pont avait alors fait naître dans l'esprit des concepteurs des idées nouvelles.
Car il faut dire qu'à cette époque, cela remontait à presque cinq ans, si les jeux en réseau pullulaient sur le net, il n'en était pas moins vrai qu'un seul d'entre eux monopolisait l'attention et entretenait l'attente des joueurs, tous profils confondus : le monde fantastique de Wind Of Reign (WOR pour les intimes et rebaptisé rapidement WHORE par ses détracteurs et il y en avait).
Rarement un jeu avait développé un tel esprit communautaire. Mais parallèlement à cet engouement massif, il divisait aussi beaucoup. On lui reprochait la médiocrité de ses graphismes, son univers hermétique, sa terminologie et ses règles d'évolution complexes. Quant au système de magie, il était régulièrement décrié à cause de la fâcheuse tendance qu'avaient les sorts à ne pas toujours produire les mêmes effets. La goutte d'eau avait été l'annulation de Devils & Devouts, une extension espérée par tous les joueurs et la médiocre adaptation ciné qui avait suivi.
Des erreurs, des défauts qui avaient fini par en dégoûter beaucoup, par en lasser d'autres.
Au fur et à mesure, la brèche s'agrandit, permettant à une nouvelle attente des joueurs de naître. Instinctivement, tous les regards convergèrent vers Donald Buff, le dieu de DIEU.
Et Donald Buff ne déçut personne.
Le lancement de CRIMinalité INtensive (qui allait rapidement devenir CRIM'IN dans la bouche et le cœur de millions de fans) fit l'effet d'une bombe.
La campagne de marketing envahit les médias. Tel un conquérant, Buff se rendit maître de tous les espaces publicitaires possibles et imaginables. Et ceux qui n'existaient pas, il les créa de toutes pièces. En seulement deux semaines, trois mois avant sa sortie officielle, CRIM'IN fut sur toutes les lèvres et devint la poule aux œufs d'or faisant de DIEU le nouvel El Dorado des Jeux Vidéos. Relayé par un formidable bouche à oreille, la promotion du futur hit n'épargna rien, ni personne. Et progressivement les éléments le constituant furent portés à la connaissance du public, gonflant un peu plus une popularité déjà phénoménale : un monde hyperréaliste, contemporain (à l'opposé de celui de WOR en quelque sorte), une surface de jeu immense sous la forme de plusieurs états imitant les Etats-Unis, une personnalisation extrêmement poussée de l'avatar, un sentiment de liberté total, des possibilités d'action innombrables, un gameplay intuitif, un nombre de caméras jamais vu...Bref, tout concourait à en faire le Saint-Graal des divertissements, l'idéal vidéoludique fantasmé par des générations de joueurs dans le monde entier.
Ceux qui s'étaient détournés des loisirs électroniques se surprirent à contempler les affiches et les couvertures des magazines avec une avidité presque coupable.
Le débat était lancé : Crim'In allait-il être le chef-d'œuvre annoncé, le digne successeur de WOR - désormais à bout de souffle - et satisfaire un public en mal de sensations fortes?
Ou bien Donald Buff n'avait-il fait qu'attiser l'intérêt général pour redorer un blason qui n'en avait guère besoin ? On le soupçonnait bien un peu d'être mégalomane, milliardaire et donc un peu mythomane. Mais quand même. Ses réussites passées jouaient indéniablement en sa faveur.
Lorsque Crim'In débarqua en grandes pompes dans le commerce - un 14 juillet ensoleillé à souhait - la question n'eut plus lieu d'être. Les magasins explosèrent leur chiffre, les serveurs furent saturés. En l'espace d'une semaine, DIEU remboursa le coût de sa campagne promotionnelle. En à peine un mois, les frais liés au développement même du jeu furent eux aussi remboursés et la société toucha des bénéfices substantiels, aidé en cela par un redoutable merchandising.
Non seulement, Crim'In trouva immédiatement son public, mais l'euphorie qu'il suscita fit passer l'intérêt de WOR pour une simple lubie.
La machine commerciale s'emballa. Tout se passa très vite. Trop vite au dire de certains.
Avant même que l'on devine toutes les implications liées à la vente de ce produit, Crim'In était devenu LA référence dans tous les domaines. Sa Bande Originale se vendait comme des petits pains. Les hommages des joueurs fleurissaient un peu partout sur le net sous forme de vidéos amateurs, de fics. Le jeu avait même son émission télé présentée par une star du journalisme. Chaque jour, elle interviewait une vedette américaine chez elle, en train de jouer et qui vendait Crim'In avec autant de conviction que s'il s'agissait d'un candidat à la Maison Blanche.
Celui qui ne connaissait pas Crim'In était traité d'ermite. Celui qui n'y avait jamais joué était considéré comme un autiste.
En raison de sa violence et de son langage cru - le système TotaLinkTM autorisait les joueurs à transmettre intégralement leurs paroles à leur avatar - le jeu était interdit aux moins de 18 ans. Mais sa popularité avait eu rapidement raison de la législation et les parents, dépassés par l'ampleur des évènements, avaient bien du mal à s'assurer que leurs enfants n'étaient pas trop exposés.
Il y eut bien une levée de boucliers de certains syndicats, d'associations familiales et de personnalités qui jugeaient Crim'In comme un catalyseur de perversion pour une jeunesse déjà en manque de repères.
Donald Buff garda longtemps le silence avant de s'exprimer sur cette polémique face aux caméras lors d'une soirée de bienfaisance. Ses mots furent choisis avec le soin dont il était coutumier et devaient rester longtemps en mémoire. Il annonça des chiffres bientôt repris par les médias du monde entier. Pas les chiffres de vente du soft, ni le nombre de connexions par jour. Il annonça que depuis la sortie de Crim'In, le taux de criminalité avait baissé de 30 % dans les grandes villes. Nouvelle bombe !
L'enquête fut approfondie et l'on fut rapidement en mesure d'affirmer que ce pourcentage était en deçà de la réalité. La vente d'armes avait aussi baissé de manière sensible, et dans le même temps on nota une réduction des guérillas urbaines et de la violence dans les écoles qui avait justement atteint un stade critique. Même les conflits domestiques se raréfièrent.
La nature propre de l'homme semblait sur le point de connaître un changement et pas des moindres.
Au début, on ne put clairement certifier que cette évolution des mœurs était directement liée au succès de Crim'In ni même si elle avait fait partie des ambitions de Donald « DIEU » Buff.
Mais le temps finit par dissiper toute hésitation à ce sujet. Les ventes continuaient de grimper et la seule chose qui explosait désormais était le chiffre d'audience des émissions qui avaient pour thème le jeu aux mille records.
On en profita pour montrer du doigt ceux qui avaient crié au scandale.
La même année, lorsqu'on voulut décerner une récompense importante à Donald Buff, celui-ci la refusa poliment en se contentant de dire :
« Je suis président des Divertissements Informatiques Educatifs Universels. Et j'aime mon métier ».
John repéra une Dodge Viper accidentée qui avait dû servir de rempart lors d’une fusillade à en juger par les innombrables impacts de balle qui grêlaient sa carrosserie. John ne renonça pas à l’utiliser pour autant. Il avisa plusieurs autres voitures dans le même état et sentit une violente décharge électrique le parcourir des pieds à la tête. Ses yeux s’illuminèrent d’un feu surnaturel et brandissant ses mains, il commença à les faire danser devant lui tel un marionnettiste. Les épaves qui jonchaient la route se désassemblèrent violemment et il comprit qu’il était en mesure de manipuler les débris résultant de cette opération. Il créa avec un plaisir manifeste un ballet surréaliste de portières, de calandres, de capots et de pare-chocs avant d’orienter les pièces détachées sur la Viper. Sous l’emprise d’un nouveau et stupéfiant pouvoir, il les positionna et les souda habilement, confectionnant en un temps record un blindage du plus bel effet. Encore sous le choc de sa réussite, il monta dans la voiture qui avait maintenant des airs de forteresse. Il ne trouva pas les clés et s’en moqua bien. Le simple fait de poser ses mains sur le volant fit vrombir le moteur. Le bruit eut le don d’agrandir encore son sourire.
Il jeta un coup d’œil dans le rétroviseur intérieur et grimaça en voyant ses cheveux châtains et bouclés qui ne lui avaient jamais vraiment plu. Son regard s’intensifia et sitôt après il vit avec ravissement sa chevelure noircir et retomber sur ses épaules avec un léger éclat bleuté. Il en profita aussi pour transformer un peu son visage qu’il affina et dota d’une cicatrice esthétique sous l’œil droit. Mû par une vive inspiration, il saisit le lobe de son oreille droite entre deux doigts afin d’y incruster un piercing scintillant. Ses vêtements anodins avaient eux aussi besoin d’une petite retouche. Il inspira à fond et lorsqu’il expira, son corps se muscla avant de se couvrir de cuir noir comme une deuxième peau. Maintenant que son apparence physique s’accordait parfaitement à sa psychologie, il était prêt à œuvrer en toute quiétude.
Des vestiges du visage et de la voix de Linda menacèrent un instant de briser sa nouvelle personnalité, mais c’était sans compter sa volonté farouche de refuser l’état de martyre.
Et à ce jeu là, il était en train de passer maître.
Il démarra en trombe. Comme un signal adressé à son intention, l’horizon vomit une nouvelle explosion.
Lorsque Eric revint prendre place devant son PC, son frère Jérôme n’était plus là. Mais il trouva un mot de sa part scotché sur l’écran :
Une petite surprise t’attend dans ton jeu préféré.
Intrigué, Eric accéda à l’interface de Crim’In. Il ouvrit démesurément ses beaux yeux bleus en découvrant qu’il avait un nouvel avatar. Il répondait au nom de Dielsel45 et était un sosie plutôt fidèle de son acteur préféré : Vin Diesel. Il poussa un cri de joie. Eric lui avait fait un énorme cadeau qu’il n’était pas prêt d’oublier, d’autant plus qu’il le savait plutôt réfractaire à ce genre de jeu. Désireux au plus vite de tester son personnage, il se connecta, un sourire fendant son visage d’ange heureux. Il fit le tour des différentes maps fréquentées. Avant d’en sélectionner une, il prit le soin de déposer dans chaque état de nombreux avis de recherche ainsi libellés :
TRES DANGEREU-REDITION IMPOSSIBLE-NEUTRALIZE AVATAR
CONTACTé DIELSEL45
En dessous du message figurait le portrait d’un homme aux cheveux châtains bouclés et aux yeux marron.
Les trois policiers en uniforme attendaient d’hypothétiques renforts avec un espoir qui forçait l’admiration. Le déluge de feu qui s’abattait sur eux depuis dix minutes ne semblait en rien entamer leur moral au contraire de la voiture de patrouille qui leur servait de gilet pare-balles et qui prenait de sérieuses allures de passoire.
De l’autre côté de la rue, derrière une barricade faite d’un conglomérat de débris, deux gangsters rivalisaient d’acharnement. Le premier était un sosie de Al Pacino. Il portait une chemise hawaïenne et vidait son fusil-mitrailleur sur les flics avec exultation.
Le second portait une combinaison noire et un masque de paint-ball. Son expression était invisible mais les deux Uzis qu’il pointait devant lui étaient un excellent reflet de la hargne qui le possédait. Tandis que son complice harcelait les agents, lui s’amusait à tirer près d’un quatrième policier au sol que ses collègues hésitaient à secourir.
Le tireur masqué cessa brusquement de faire feu. Les policiers comprirent qu’il venait de vider ses chargeurs. Encouragé par ses partenaires qui se mirent à le couvrir du mieux qu’ils purent, l’un d’eux s’élança vers le blessé. Il l’empoigna par un bras et commença à le traîner vers la voiture qui menaçait pourtant d’exploser à tout moment. La casquette du flic inconscient tomba, dévoilant un chignon noir. Le secouriste serra les dents, sachant combien le temps lui était compté. La balle d’un sniper lui traversa le crâne et il tomba à son tour.
- Putain je lai eu ! s’écria Eric. Trop fort !
Jérôme revint sur ces entrefaites.
- Ca y est, tu es reparti pour une nuit blanche !
- Merci pour Vin, t’as trop assuré, franchement ! Je te revaudrais ça !
Jérôme sourit à l’idée de ce qu’il allait lui demander.
- Et si en échange, tu me promettais de te coucher avant qu’il fasse jour.
- Tu me crées un super perso et tu veux que je m’arrêtes ?
Le sourire de Jérôme pâlit.
- Effectivement, c’est un peu dur, mais ça me plairait de savoir que tu as dormi. Les parents rentrent pas avant demain soir. Je dois m’assurer que tu fasses pas que jouer. Tiens j’ai apporté une pizza. Faut que tu manges aussi.
Mais Eric l’avait à peine entendu.
- Regarde bien. Je vais m’en faire un autre ! Y vont rien voir, ces cons ! Regarde !
Les deux policiers jetaient des regards affolés vers les deux victimes. Ils essayèrent de repérer la position du sniper dans l’immeuble dévasté en face d’eux et tirèrent au jugé.
- Merde, lâcha Eric. Ils vont m’avoir !
A l’idée qu’ils pourraient perdre définitivement cet avatar comme le précédent, il décida de s’adresser aux deux fous furieux en bas de l’immeuble qui canardaient à tout va. Le gamertag des joueurs qui les manoeuvraient apparaissait clairement au-dessus de leur tête.
- Scarefaith et Jazz-on, couvrez-moi, je suis au-dessus de vous, les mecs. Je vais les allumer !
Les deux intéressés levèrent le nez et éclatèrent de rire en voyant un colosse chauve leur faire signe.
- Eh, Diesel45, la prochaine fois, télécharge un mod vocal. Parce que Vin Diesel avec une voix de fillette, franchement ça le fait pas !
Eric comprit qu’il n’était pas forcément le bienvenu et que ça allait être du chacun pour soi. Il s’en fichait. Il allait montrer à ces crétins ce dont il était capable.
Il enclencha le zoom de son fusil et explorant la voiture des flics, repéra le symbole de tête de mort qui indiquait des chances de destruction maximales. Avec un peu de chances, les deux autres guignols en prendraient plein les yeux. Littéralement. Il pressa la détente : l’explosion qui en résulta le fit frissonner de plaisir. Il déchanta subitement lorsqu’il vit la boule de feu se figer sans avoir pu causer le moindre dommage aux flics.
- Non, putain de bug de merde !
Scarefaith et Jazz-on se désintéressèrent de leurs cibles lorsqu’ils remarquèrent un personnage aux cheveux longs, entièrement vêtu de cuir noir s’avancer dans leur direction. Il était descendu d’une voiture de sport déguisée en char d’assaut, ce qui était la moindre des raisons de s’intéresser à lui.
Max et Shane se dévisagèrent. Ils jouaient côte à côte, le premier sur un PC dernier cri, l’autre sur une console next-gen. Ils étaient potes, dans la vie comme dans le virtuel.
- Si c’est pas un joueur, il est mort ! dit Shane. De le tuer, ça doit débloquer quelque chose, à tous les coups.
- Si c’est un joueur, dit Max on lui demande comment il a eu le code pour faire ça !
Ils rapprochèrent la caméra de l’arrivant pour repérer s’il avait un gamertag. Mais tandis qu’il avançait d’une démarche souple, rien n’était visible au-dessus de sa tête. La fumée rémanente n’aidait en rien l’observation. Alors que l’homme entrait dans la zone de la fusillade, quelque chose se matérialisa au-dessus de sa tête. Ce n’était pas un gamertag. Juste trois mots.
VOUS ETES MORTS !
Jazz-on reçut une flopée de balles dans la tête et dans la poitrine. Son masque de paint-ball ne lui fut d’aucun secours. Les flics en avaient profité pour reprendre leurs esprits et maintenant ils jouaient les cow-boys. Le tueur tomba avant de disparaître.
- Merde ! s’écria Shane. Les enfoirés !
Max ne quittait pas son écran des yeux.
- Vite, reconnecte-toi ! On va tous se les faire à deux, comme d’hab.
Ils échangèrent rapidement une poignée de main secrète et hurlèrent leur cri de guerre :
- Crim’In, pas de panique ! Crim’In, on vous nique !
Shane était entré dans les menus de l’interface, et progressivement son visage trahit un sentiment de panique.
- Je le crois pas !
- Dépêche-toi, les flics me font chier, là !
Le visage de Shane était livide.
- Je peux plus me connecter ! Mon profil est corrompu. J’ai tout perdu, putain !
- Bâtards !
Scarefaith ne prit même pas la peine de viser. Il actionna le lance-grenades dont était muni son fusil-mitrailleur. L’explosion aurait dû tuer les deux flics. Mais une fois encore, l’image de la déflagration fut stoppée dans son animation et dans ses effets.
Scarefaith bondit par-dessus la barricade et fit face à John Carson.
- C’est toi qu’es mort !
Il tira.
John esquiva la grenade d’une simple torsion du coup. Le projectile rebondit au sol avant de s’immobiliser sous la Viper. L’explosion souleva le véhicule dans les airs comme un jouet. La voiture effectua une magnifique série de soleils avant de faire mine de s’abattre sur John. Ne sentant visiblement pas la menace approcher, il dégaina l’un de ses pistolets.
- Pauvre naze, dit Max, tu sais pas à qui t’as affaire.
- Il va falloir qu’ils améliorent encore l’IA, souligna Shane.
Mais les choses ne se passèrent pas comme prévu. John pointa son arme vers le ciel et la calandre de la Viper se vissa dessus comme sur un aimant.
C’est à peine si sous le poids son coude plia.
Eric suivait la scène, abasourdi.
- C’est quoi ce mec encore!
- Tire dans le réservoir ! s’exclama Shane. Explose-le !
Scarefaith allait s’exécuter, mais rapide comme l’éclair, John dégaina son deuxième pistolet et lui explosa la tête.
- A moi de jouer, fit Eric.
Il effectua un zoom sur la Viper et remarqua le symbole caractéristique en forme de crâne. Il allait tirer, mais se ravisa. Cela ne servait à rien. Le gars était capable d’arrêter les explosions. Il baissa alors le canon de son fusil et ajusta la tête de John. Ce dernier baissa son bras. Son pistolet et la Viper accompagnèrent le mouvement comme une extension de lui.
C’est alors que Eric aperçut quelque chose se matérialiser au-dessus de la tête de sa cible. Pas un gamertag. Juste deux mots.
ENCAISSE CA !
La détonation retentit et la Viper fila à la vitesse d’une balle, s’encastrant violemment dans le bâtiment où le sniper s’était retranché. L’édifice – qui était déjà mal en point – s’écroula complètement dans un volumineux nuage de poussière.
John rejoint les deux policiers qui tentaient de réanimer leur partenaire.
- Merci, dit l’un d’eux. Sans vous…
- Mais comment vous avez fait ce truc avec la voiture ?
John afficha un sourire las.
- Faites comme moi. Ne cherchez pas à comprendre.
Les flics essayèrent le massage cardiaque, le bouche à bouche, sans succès.
John s’agenouilla auprès de la jeune femme inconscience. Il se surprit à la trouver jolie.
Il lui suffit de placer une main au-dessus de son visage pour qu’elle ouvre les yeux.
Les flics observèrent la scène bouche bée.
- Comment vous…commença l’un d’eux avant de se rappeler le conseil de John.
- Elle va bien, mais elle est encore très fragile. Je vais l’emmener vers un lieu sûr.
- Un lieu sûr ? Mais il n’y plus aucun lieu sûr depuis longtemps. Ici, à Slaughterfalls, comme partout ailleurs, c'est le chaos total, l'anarchie !
John se releva, la femme dans ses bras.
- Alors elle restera à mes côtés. Je ne connais pas d’endroit plus sûr.
Il émit un bref sifflement. Dans un grand envol de gravats, la Viper jaillit des décombres de l’immeuble et retomba sur ses roues. John installa la femme sur le siège du passager.
Les deux flics dévisagèrent John, comme attendant qu’il s’occupe aussi d’eux.
Et c’est ce qu’il fit.
Il tendit une main vers la voiture de patrouille et elle fut comme neuve. Il s’approcha ensuite des deux flics et posa une main sur une de leurs épaules.
- Ainsi SWAT-ils !
Le temps d’un clin d’œil, il se retrouva assis au volant de la Viper et démarra en trombe.
Les deux flics assistèrent à son départ, muets comme des carpes, avant de réaliser qu’ils portaient des uniformes d’élite et des armes de gros calibre.
- Ce mec est un dieu ! déclara l’un d’eux.
Ils montèrent dans leur voiture et quittèrent les lieux à leur tour.
La jeune femme remua sur son siège et jeta des regards affolés autour d’elle.
- Qu’est-ce qui s’est passé ? Qui êtes-vous ?
John sourit. Il était ravi d’avoir un peu de compagnie.
- Vous avez été attaquée par des voyous. Vous êtes en sécurité, maintenant. Je m’appelle…
Il hésita. Il voulait s’éloigner encore un peu plus de l’homme qu’il avait incarné jadis. Il avait changé d’état d’esprit, d’apparence. Il était capable de faire des choses hors du commun sans même y penser. Il avait en quelque sorte enfanté une autre version de lui. Une version infiniment supérieure. Il ignorait comment, il ignorait pourquoi. Pour l’instant, il se contentait de l’accepter et ça lui réussissait plutôt bien.
Il était donc tout naturel qu’il change aussi de nom.
- Appelez-moi John...son.
La femme sourit avec chaleur.
- Merci d’être venu à mon secours, Johnson. Moi je m’appelle…
- Rachel Evans, dit Johnson avec une extraordinaire assurance.
La femme ouvrit de grands yeux, ne pouvant cacher sa consternation.
- Mais comment…
Johnson se mordit la lèvre inférieure. Ses pouvoirs commençaient à le mettre dans l’embarras.
- C’est écrit au-dessus de votre tête.
- Quoi ?
Puis elle éclata de rire.
- Vous avez failli me faire marcher, vous savez.
Elle posa alors une main près de l’insigne cousu sur son uniforme où était écrit :
Rachel Evans – Pour vous Protéger et vous Servir
Une silhouette massive jaillit des vestiges de l’immeuble, les vêtements déchirés, le corps ensanglanté. Diesel45 s’avança en traînant les pieds jusqu’à l’endroit où les deux explosions étaient encore inertes. Son crâne glabre était maculé de sang et de poussière. Mais ses yeux jetaient des éclairs.
- J’ai pas dit mon dernier mot, fit la voix juvénile de Eric.
Rachel allait ajouter un mot, mais Johnson leva un index.
- Un instant. J’ai quelque chose à terminer.
Il fit claquer ses doigts.
Les deux explosions achevèrent bruyamment leur œuvre, catapultant Dielsel45 plus de dix mètres au-dessus du sol et l’envoyant heurter un panneau d’affichage arborant la célèbre jaquette de Crim’In et son non moins illustre slogan : On ne joue plus !
Les yeux rougis pas les larmes, Eric tentait vainement de calmer sa rage en envoyant à travers sa chambre tout ce qui pouvait lui tomber sous la main. Il venait de reperdre un avatar qu’il chérissait, que son frère avait pris la peine et le temps de lui créer. Et voilà qu’à nouveau ce bug qui l’empêchait de se reconnecter. Pour la bonne raison que Dielsel45 était introuvable.
Il s’apprêtait à lancer le clavier à travers l’écran de son PC lorsque Jérôme arriva, les cheveux en bataille, portant simplement un caleçon. Il attrapa le clavier à temps et adressa un regard de grand frère responsable et contrarié à Eric, tremblant comme un épileptique :
- Calme-toi, Eric. Assis-toi et calme-toi !
Eric obtempéra, non sans jurer entre ses dents. Jérôme s’assit sur le lit, à côté de lui :
- Tu es fatigué, vas dormir. Tu joueras mieux demain.
Jérôme tendit une main pour éteindre l’ordinateur, mais Eric l’arrêta :
- Pas encore, geignit-il.
Jérôme lui jeta un regard noir. Eric s’empressa alors d’ajouter :
- Je jouerai pas, je te jure. Je veux juste envoyer un mail à Buff. C’est pas normal que l’IA débloque comme ça. Je suis dégoûté, je viens de perdre Diesel45. Tu venais juste de le faire.
Jerôme sourit. Il n’arrivait pas lui en vouloir. Il ne supportait pas ses gamineries, mais Eric était un frère plutôt sympa en dehors de ça.
- C’est pas grave. Je t’en referai un encore mieux. Jason Statham, tu l’aimes bien aussi, je crois ?
Eric opina avec un grand sourire.
- Ok, on verra ça demain. Envoie ton mail si tu veux, mais après dodo, d’accord ?
Eric acquiesça de nouveau.
Tout comme Donald Buff, Dave Matheson aimait lui aussi son travail. Et il l’aimait chaque jour un peu plus depuis qu’il oeuvrait sur les fondations mêmes de Crim’In.
Assis devant son PC dernière – et même prochaine – génération, il s’appliquait présentement à résoudre les bugs de toutes sortes détectés par les programmes, les autres techniciens ou encore les joueurs eux-mêmes via quelques mails parfois virulents. Mais la plupart des messages que le studio Dead Zone recevait était plutôt sympathique.
Les joueurs remerciaient régulièrement les concepteurs d’avoir « crée un jeu aussi génial » et ils s’imaginaient souvent grâce à quelques compliments bien appuyés pouvoir accéder aux coulisses de fabrication du soft. Mais un tel privilège n’était pas encore à l’ordre du jour. Le studio Dead Zone – filiale de D.I.E.U. – était devenu l’un des endroits les mieux gardés des Etats-Unis. Et forcément aussi, l’un des plus recherchés.
On l’avait localisé à une centaine d’endroits d’après des sources sûres.
Bien entendu, tous s’étaient avérés faux.
La carte de Crim’In était découpée en 13 états de taille et de forme variables. Sous sa forme quadrillée, elle représentait 26 carrés de large – notés de A à Z – et 30 carrés de haut – évidemment notés de 1 à 30. En tout, 180 carrés comme autant de zones à surveiller, chacune d’elles étant placée sous la responsabilité d’un programmeur attitré. Selon le planning, les responsabilités pouvaient permuter. Et le planning était plutôt souple.
En ce jour, Dave Matheson avait la charge de la zone L-17 autrement dit la bourgade de Slaughterfalls. Et il apparaissait que cette contrée - d’ordinaire si dépourvue d’anomalies techniques – était devenue depuis peu un formidable aimant à bugs. Les joueurs depuis plusieurs heures inondaient la boite mail d’infos à ce sujet et bien souvent dans un langage peu châtié. Dave avait conscience que les concepteurs comme lui étaient des stars aux yeux des gamers, mais dès lors que les problèmes survenaient, ils devenaient rapidement la lie de l’humanité.
Dave inspecta toutes les données compilées. Il arrivait régulièrement que des bugs apparaissent en quantité dès que le nombre de membres connectés atteignait un certain niveau. Mais en consultant les archives, il s’aperçut qu’aux heures où les anomalies avaient été signalées, le nombre de connexions était relativement faible. C’était donc un souci lié au moteur graphique du jeu. Un moteur révolutionnaire baptisé Golgotha dont Dead Zone était l’inventeur et l’unique détenteur. Encore expérimental, il pouvait néanmoins afficher un nombre record d’éléments sans aucun ralentissement. Les mises à jour étaient fréquentes, mais il était encore largement perfectible. D’autant que les extensions – produites plus ou moins à la hâte pour satisfaire les attentes – repoussaient à chaque fois un peu plus les limites de ses capacités.
Dave était une sorte de nettoyeur et c’est d’ailleurs ainsi que les joueurs surnommaient affectueusement les techniciens comme lui. Ce n’était pas une tache ingrate. Bien au contraire. Dave avait connu bien pire du temps de Blue Pill et puis, maintenant, il avait la reconnaissance. A commencer par celle de son supérieur direct.
Lorsque Harvey Wizard entrait dans les bureaux de Dead Zone – qui ne méritait pas leur nom vu le nombre d’employés et l’agitation qu’ils généraient – il avait l’impression d’être un responsable de la NASA. En observant les programmeurs, les designers et tous les artistes concentrés sur leurs travaux respectifs, il voyait moins en eux les bâtisseurs du loisir le plus coté au monde que des techniciens chargés de maintenir une navette dans les airs le plus longtemps possible. Une navette avec beaucoup de gens dedans. Oui, la navette Crim’In. C’est ainsi qu’ils avaient tous baptisé le jeu qui avait ni plus ni moins sauvé la face du monde.
Ils soignaient le mal par le mal. Un mal réel par un mal virtuel. Mais plus qu’un mal nécessaire, Crim’In était devenu le super antidote, une boule anti-stress manipulée par des millions de personnes. Qu’importait si ce remède consistait à massacrer des ersatz d’humains. Dans les rues, les cités, le calme avait repris ses droits. On réglait les conflits manette en main. Le clavier et la souris avaient remplacé le fusil et la grenade. Le son des balles déchirant les chairs en THX avait fini par être plus séduisant que le bruit des vraies détonations. La mort était devenue trop esthétique sur les écrans HD. On pouvait régler la couleur du sang, tuner ses armes comme des voitures de course, enregistrer ses faits d’armes, les revoir sous des angles cinématographiques avec des ralentissements à rendre jaloux John Woo en personne.
Ce jour-là, lorsque Harvey Wizard entra dans les locaux de Dead Zone, il eut ce frisson qu’il ressentait à chaque fois. Il pensait aux innombrables joueurs connectés qui prenaient un immense plaisir à arpenter le monde de Crim’in, improvisant des alliances, des compétitions, des défis et des objectifs. Il s’imaginait à la place des vétérans, fins stratèges ou bulldozers, éliminant leurs rivaux avec une efficacité admirable, maîtrisant à la perfection les combinaisons de touches et connaissant la map sur le bout des doigts, faisant exploser les records tous les quarts d’heure. Il s’imaginait à la place des novices dont la première partie à Crim’In faisait figure de dépucelage, avec comme récompenses, une montée sensationnelle d’adrénaline et une jouissance à la même mesure qu’elle soit synonyme de victoire ou d’échec.
Il sourit en pensant à eux avant de s’adresser à ses troupes :
- Salut tout le monde. Comment va Crim’In, aujourd’hui ?
C’était une simple formule d’usage, car tout en disant cela, Harvey contempla le tableau holographique affichant la map entière de Crim’In, les zones et le nom du programmeur associé à chacune d’elle ainsi que le nombre de connexions et les gamertags des joueurs en activité. Il effleura une icône et consulta les derniers mails reçus. L’un d’eux retint particulièrement son intention. Il était adressé à Donald Buff, mais Harvey avait l’habitude de cette maladresse et il avait appris à l’accepter. Cela le faisait même sourire.
Maintenant que D.I.E.U. rentrait largement dans ses frais, que le studio se portait bien et que la mécanique était bien huilée, Buff chapeautait toujours le projet, mais de manière de plus en plus distante et ponctuelle. Il appelait régulièrement Harry et ils déjeunaient ensemble de temps en temps dans sa villa en se congratulant des résultats, mais leurs rapports devenaient purement anecdotiques. Harvey soupçonnait même Buff de travailler sur un nouveau projet. Ce qui aurait été tout à fait digne de lui.
Le mail avait été envoyé par un garçon de 15 ans originaire d’Orléans en France. Il était rédigé ainsi :
Monsieur Donald Buff,
Je m’apelle Eric, j’ai 15 ans et je vous écri car j’adore CRIMIN et que je j’y joue tout les jours. Mais en ce moment ya des petit problème qui m’énerve un peut. Il ya des pnj qui sont trop cheatés et qui ont tué mes deus derniés avatars et je peux plus jouer avec. C’est pas normal. Je vous envoi les images car j’ai acheté le mod DIRECTOR que je trouve super pour enregistré les actions et les envoyé aux potes. J’espère que ça vous aidera a réparé ce qui va pas. Merci pour tout ce que vous faisez sur le jeu. J’espère que la prochaine extension va biento sortir.
Avec tout le respé que je vous doit,
Eric
Harvey se dit que cela valait peut-être la peine de jeter un coup d’œil à l’enregistrement en question. Il arrivait souvent que les joueurs envoient les vidéos de leurs exploits afin d’épater les développeurs et peut-être Buff lui-même pour obtenir une hypothétique rencontre avec le directeur de D.I.E.U. en personne. Certains avaient même poussé le vice en créant un avatar à l’image de Buff. Ce qui, évidemment, n’était pas forcément de très bon goût. Mais Harvey savait que les mails étaient en général filtrés au préalable par des opérateurs bien attentionnés avant qu’il prenne la peine d’y accéder. Une sorte d’accord tacite.
Lorsqu’il visionna les images, il ne regretta pas sa décision et contacta sitôt après Dave Matheson avec qui, par ailleurs il entretenait d’excellents rapports. Il se réjouissait presque de devoir résoudre ce problème avec lui. Il pressa son lobe gauche :
- Salut Dave, tu vas bien ? Bon, écoute, je viens de consulter les mails et l’un d’eux s’est avéré fort pertinent. Tu es sur la zone sensible, c’est pour ça que je m’adresse à toi.
- Je m’attendais à votre appel. J’ai regardé la vidéo. Effectivement, un gros problème d’IA défaillante. J’avais encore jamais vu ça. Je suis en train d’essayer de localiser le sujet.
- Comment il s’appelle ?
- Le premier qu’on voit c’est John Carson. Le second, je ne sais pas. Il n’apparaît pas dans la mémoire et ce n’est pas un avatar de joueur. Très étrange.
- Ok, je te laisse chercher, je viens te voir dans un quart d’heure.
Ce qui implicitement voulait dire « tu as un quart d’heure pour démêler ce nœud avant que je ne vienne t’aider en faisant les gros yeux ».
Harvey allait couper la communication, mais il crut bon d’ajouter :
- Pendant que tu y es, recherche le nom du programmeur qui a crée ce gars-là. Avec un peu de chance, avant midi, tout sera rentré dans l’ordre.
Evidemment, Harvey Wizard ne pouvait pas savoir qu’avant midi, la face du monde allait de nouveau être bouleversée.
Johnson ne savait pas trop pourquoi, mais de se retrouver aux côtés d’une femme, même très différente de Linda, lui ôtait toute envie de se confronter à nouveau à la violence et encore moins de la nourrir.
En fait, il eut subitement envie de reprendre le cours de son ancienne vie. Il voulait quitter la ville, fuir les combats, prendre cet avion et aller sur cette île dans le fol espoir de trouver la paix, la sérénité et un nouveau sens à sa vie.
Rachel s’alarma en voyant un panneau annoncer une prochaine sortie.
- Où nous emmenez-vous ?
- Loin de tout ça, loin de slaughterfalls. Je connais quelqu’un qui possède un petit avion. Je sais piloter.
- Mais je ne peux partir comme ça…avec vous, se sentit-elle obligée de rajouter pour le convaincre de son ineptie. J’ai une vie, ici, un travail !
De son côté, Johnson se sentit plus qu’obligé de rétorquer :
- Une vie ? Un travail ? Vous voulez rire ! Vous faites simplement comme tout le monde. Vous essayez seulement de survivre.
La remarque était cinglante, mais Rachel ne comptait pas s’en contenter.
- On ne se connaît pas. Je ne sais pas qui vous êtes.
- Moi non plus je ne sais plus qui je suis.
Johnson poussa un soupir qui en disait long, mais pas assez à son goût. Alors il comprit qu’il était légitime de se confier un peu à Rachel :
- J’ai perdu ma femme cette nuit. Un gosse l’a poignardée.
Il préféra ignorer l’expression d’épouvante de la jeune femme et poursuivit du même ton :
- Je l’ai retrouvé et je l’ai abattu à mon tour. De sang-froid. Et puis à partir de là, tout s’est accéléré. Je me suis mis à faire des choses, à voir des choses.
Il s’interrompit pour regarder ses mains posées sur le volant.
- jusqu’à maintenant, j’ai préféré tout ignoré et me laissé emporter par cette formidable force qui m’a envahi et qui grandit en moi un peu plus à chaque seconde. Ce n’est pas juste la colère et la vengeance qui m’habitent. C’est autre chose. C’est plus compliqué. Car il n’y a pas que ça.
Il se tourna vers Rachel, le temps pour lui de s’assurer qu’il avait toute son attention. Et il ne fut pas déçu.
- Il se passe des choses autour de moi, autour de nous dont nous ne sommes absolument pas responsables. Des choses inexplicables. Et je ne parle pas de la violence et des gangs. Les corps des morts disparaissent. Des mots apparaissent au-dessus des gens. Comme des noms de code. Vous voyez quelque chose au-dessus de ma tête ?
Rachel hésita avant de secouer la tête. Elle le scrutait comme si elle avait affaire à un fou.
Johnson s’en rendait bien compte.
- Et maintenant ?
Trois mots lumineux s’inscrivirent devant son visage.
FAITES-MOI CONFIANCE !
Rachel hoqueta de surprise.
- Comment vous faites ça ?
- Vous le faites aussi. C’est comme ça que j’ai su comment vous vous appeliez. En fait, tout le monde le fait, mais apparemment, je suis le seul pour le moment à le comprendre et à le contrôler.
A son tour, Rachel poussa un soupir lourd de sous-entendus.
- A mon niveau, j’ai entendu pas mal de choses inquiétantes. C’est peut-être une méthode de surveillance créée par le gouvernement.
- Tiens, parlons de lui. Où est-il ? Que fait-il ? Les autorités sont aux abonnés absents depuis un moment maintenant. Ils nous laissent dans notre merde. Ils se foutent bien de ce qui peut nous arriver. Et vous savez pourquoi ?
- Ils sont complices.
- Exact. Et ce chaos n’est ni plus ni moins devenu une sorte de contrôle pour eux. Pendant que nous essayons désespérément de nous protéger, les politiques peuvent s’adonner à leurs plus basses besognes en toute impunité. Dans ces conditions, pourquoi interviendraient-ils ?
Rachel se recroquevilla un peu sur son siège.
- Ca fait peur. C’est donc la fin ?
- Je ne sais pas. Il faut que je sache pourquoi je suis ce que je suis. Et il faut que je sache si je suis le seul.
Johnson freina sans crier gare et s’arrêta sur le trottoir. Il tendit un bras et décolla une affiche sur le mur couvert de graffitis provocateurs. Le message qu’il put lire était ainsi libellé :
TRES DANGEREU-REDITION INéFICASSE-NEUTRALIZE AVATAR
CONTACTé DIELSEL45
En dessous du texte figurait le portrait d’un homme aux cheveux châtains bouclés et aux yeux marron.
- Vous le connaissez ? interrogea Rachel.
Johnson ressentit à nouveau cette sensation étouffante d’être la victime d’un complot à grande échelle. Il répondit sans vraiment y penser :
- Oui, c’était moi.
- Quoi ?
La détonation n’avait pas fini de retentir que la Viper traversait violemment le mur dans une explosion de briques et de débris métalliques.
De l’autre côté de la route, un char d’assaut pointa son canon entra deux maisons - qu’il démolit allègrement sur son passage – avant de s’arrêter près d’une borne à incendie.
La trappe d’accès s’ouvrit et un ado de dix-neuf ans apparut. Il était torse nu. Il portait un bermuda version camouflage et un casque de GI sur lequel était inscrit son gamertag : BORNKILLER. Une cigarette était rivée au coin de sa bouche. Il exhiba un fusil à canon scié recouvert de logos et tira dans la borne à incendie, libérant un puissant geyser d’eau. Il appuya son dos contre la trappe, allongea ses jambes et laissa l’averse le rafraîchir.
La voix du pilote – qui répondait au nom de DWAYNE et qui avait tout d’un catcheur – se fit entendre :
- T’es sûr que c’était la bonne caisse ?
L’autre observait le soleil à son zénith sans même cligner des yeux :
- Absolument. La description sur le forum était très détaillée. Le joueur a dit qu’il l’avait vue d’assez près.
- Pourquoi il vient pas nous rejoindre ?
- Il a dit qu’il avait des problèmes de connexion et qu’il devait se refaire un avatar. Et d’après lui c’est à cause du mec qu’on vient d’exploser.
- Jamais entendu parler d’un truc pareil. Comme si l’IA pouvait interférer avec le réseau. N’importe quoi !
- En tout cas, reprit BORNKILLER, on va attendre un peu ici. Je lui envoie notre position. Il nous rejoindra dès que possible.
- Tu crois que c’était un boss caché ?
- Non. On aurait remporté des points bonus et là c’est pas le cas.
- Tu crois qu’on l’a eu ?
BORNKILLER tapota la surface du char comme s’il se fut agi d’un animal de compagnie :
- Tu parles qu’on l’a eu. Rien ne peut résister à Texas.
Il avait baptisé le char ainsi en hommage à son labrador, mort quelques jours auparavant.
Il n’avait pas plus tôt dit cela que quelque chose s’élevait des ruines encore fumantes devant eux. BORNKILLER n’en crut pas ses yeux lorsqu’il vit une silhouette humaine se découper sur le disque jaune du soleil. Il se redressa.
- Merde, c’est lui là-haut ! On va lui envoyer un Baby Jaw !
Johnson tenait Rachel dans ses bras. Et il flottait dans le ciel sans le moindre effort à faire. Mais c’était là la dernière de ses préoccupations. Il contempla le visage de la jeune femme en essayant vainement de ne pas penser à celui de Linda juste avant qu’elle ne meure dans ses bras. Les lèvres de Rachel remuèrent. Elle eut comme un sursaut, mais tout ce qui sortit de sa bouche fut une giclée de sang. Johnson sut qu’elle venait de le quitter. Et comme pour chasser le doute à ce sujet, son corps disparut. Comme tous les autres. La surprise de Johnson fut de courte durée. Sa fureur beaucoup moins.
- T’es sûr que c’est lui ? s’enquit DWAYNE. Il a l’air différent de la description.
Johnson était maintenant un colosse chauve au torse nu exhibant une pléthore de cicatrices et de tatouages tribaux qui à eux seuls auraient pu faire fuir une armée. Une cape noire déchirée se soulevait dans son dos de manière surnaturelle, s’agitant nerveusement comme la queue d’un félin contrarié.
- Feu !
Le canon du char cracha un obus titanesque doté d’un aileron sur lequel était dessiné un bébé à la mâchoire de requin. Johnson gonfla son biceps et lança son poing droit devant lui. Le choc de la collision brouilla l’image sur l’écran HD. L’étudiant et l’ouvrier assis au comptoir du Mike’s Bar échangèrent un bref regard avant de river de nouveau leur attention sur la télé, imités par une trentaine de clients, spectateurs assidus du jeu. C’est Mike, le patron, qui avait eu l’idée d’organiser ces séances publiques. Cela amenait pas mal de monde, les strip-teaseuses ne faisant plus vraiment recette.
Lorsque le nuage de poussière se dissipa, les deux joueurs et l'assistance derrière eux eurent une vision qui les laissa momentanément sans voix.
Johnson s’était fait un gantelet de l’obus destiné à l’anéantir.
Au-dessus de sa tête des lettres lumineuses apparurent, formant rapidement quelques mots à l’attention des assassins de Rachel :
J’IGNORE SI DIEU EXISTE MAIS VOUS VENEZ DE CREER LE DIABLE !
- Qu’est-ce que c’est que ce délire ? fit Mike les yeux rivés sur l’écran, essuyant distraitement un verre.
- T’es sûr que c’est pas un boss ? demanda l’ouvrier à son partenaire.
Mais au lieu de lui répondre l’étudiant hurla :
- Feu !
Johnson venait de projeter le Baby Jaw en direction du char, usant de son bras armé comme d’un lance-missiles.
DWAYNE s’exécuta aussi rapidement que possible et le canon cracha un nouvel obus.
Les deux projectiles se heurtèrent avec une violence inouïe. Un éclair envahit l’écran et aveugla momentanément toutes les personnes présentes dans le bar. L’écran s’éteignit une seconde avant de se rallumer, occasionnant une indicible frayeur chez les spectateurs.
Johnson poussa un râle en voyant qu’il avait échoué. Mais le regain de rage qu’il ressentit juste après lui fit oublier sa déveine. Il se recula un peu comme pour se préparer à fondre sur le char. Un missile l’atteignit de plein fouet. Il fut projeté à plusieurs mètres. Sa colère connut un nouvel essor. Il lança un regard lourd d’un funeste présage en direction de la menace. Car ce n’est pas le char qui venait de tirer. Un hélicoptère de type gazelle venait de se profiler. A l’intérieur un clone de l’acteur Jason Statham vêtu d’un smoking. Au-dessus des pales en mouvement apparaissait le gamertag du joueur : HITMAN.
- Salut les mecs ! fit Eric. On dirait que j’arrive à temps !
Jerôme entra dans la cuisine. Il était presque 11h00. Il se gratta la tête. Il avait fait un drôle de rêve. Dans son rêve, Eric était prisonnier du jeu Crim’In. Il frappait contre l’écran pour esssyer d’en sortir et surtout pour l’avertir. Mais lui, ne comprenant rien, continuait de lui tirer dessus avec son avatar. Plus tard leurs parents rentraient et se mettaient à jouer eux aussi avec un enthousiasme malsain.
Eric finissait criblé de balles, massacré par sa propre famille.
Jérôme secoua la tête. Il fallait qu’il oublie cette horrible vision sinon il allait passer une très mauvaise journée. Les parents rentraient le soir. Cela le réconfortait un peu. S’occuper d’Eric ne lui avait jamais posé de problèmes. Bien au contraire. Mais en ce moment, il avait ses propres soucis. Des problèmes de cœur (au sens métaphorique) et une certaine incertitude quand à son devenir professionnel.
- Eric, tu as mangé ?
Il devait être sur son PC. Mais au moins avait-il dormi un peu. Aujourd’hui ils iraient faire un peu de skate. Jérôme regarda par la fenêtre de la cuisine. Le quartier était calme, comme d’habitude. Il faisait beau.
Ca pouvait être une bonne journée, en fait.
BORNKILLER regarda l’hélicoptère qui filait en direction du colosse tout en l’arrosant copieusement de projectiles assassins. Il tira en l’air avec son fusil à canon scié comme pour l’encourager puis s’adressant à son comparse :
- Balance un autre Baby Jaw !
- J’en ai plus, fit DWAYNE de sa grosse voix.
- Fais le code que je t’ai donné.
La peau de Johnson se couvrit progressivement d’éclats métalliques tels des implants, lui conférant une image encore plus menaçante. Ses yeux jetaient littéralement des éclairs.
Eric jubilait de voir son ennemi ainsi harcelé. Mais il déchanta lorsqu’il s’aperçut qu’il n’avait plus de munitions.
L’ouvrier se tourna vers l’étudiant :
- C’est quoi le code déjà ?
La cape noire de Johnson prit soudain vie et le recouvrit. La seconde d’après, il réapparaissait, les muscles bandés à l’extrême. Les fragments de missiles dont son corps était criblé s’abattirent sur l’hélicoptère et Eric eut tout le mal du monde à le maîtriser. Il était touché, désarmé. Il ne voyait plus qu’une option.
- Le code ? Je te l’ai donné tout à l’heure. Je sais plus, moi. C’était pourtant facile à retenir !
Eric déséquilibra l’appareil, orientant les pales vers le bas.
- Eric, tu viens manger ?
- S’il est si facile ce code, pourquoi tu peux pas me le redonner ?
Eric était maintenant suffisamment près. Il allait découper son ennemi comme un vulgaire morceau de viande. Le regard acéré de Johnson plongea à travers le pare-brise. Mais ce n’est pas Jason Statham qu’il vit assis à l’intérieur du cockpit. NON. Il vit un gamin de quinze ans à l’air innocent et aux magnifiques yeux bleus. Le visage de Johnson se tordit :
- TOI !
Son bras se détendit à la vitesse de l’éclair et sa main se referma sur une des pâles destinées à le déchiqueter. Instantanément elles cessèrent de tourner et l’appareil se figea.
- C’était à toi de le retenir ! C’est toi le tireur !
- Eric ! Lâche le jeu, ça va refroidir ! J’ai fait du pain grillé comme t’aimes !
Le corps de Johnson commença à produire des éclairs tout autour de lui comme s’il se prenait tout à coup pour une centrale électrique. Il rapprocha l’appareil de lui et colla son visage haineux contre la vitre :
- Tu m’as crée. Tu as fait de moi ce que je suis. Je te dois la vie. Mais je te dois aussi la mort.
La mort de Linda, ma femme. Et la mort de John Carson, celui que j’étais.
Johnson ne se rendit pas compte qu’il pleurait. Eric le regardait, terrifié. Ce n’était pas une simple Intelligence Artificielle. Ce regard, cette expression de douleur et de colère mêlées.
Ce n’était pas possible.
D’un simple mouvement, Johnson balança l’hélicoptère vers le sol. A la vitesse d’un missile, l’appareil s’écrasa sur le char prénommé Texas. L’explosion qui s’ensuivit eut un certain nombre de conséquences. Elle rasa les habitations alentours. L’écran HD de Mike explosa, répandant des débris sur les joueurs et les spectateurs. Harvey Wizard venait de rejoindre Dave Matheson lorsque les écrans et les lumières du studio Dead Zone s’éteignirent quelques secondes avant de se rallumer.
Jérôme entra dans la chambre d’Eric. Ce dernier était bien assis devant son PC, immobile, hypnotisé par l’action dont il était l’acteur et le témoin privilégiés.
- Tu devrais jouer sans le casque de temps en temps. Tu vas finir par te bousiller les tympans.
Jérôme retira les écouteurs. Du sang coula des oreilles d’Eric. Il regarda son visage. Ses magnifiques yeux bleus étaient désespérément grand ouverts.
Lorsqu’il lui prit le pouls, il réalisa que son coeur ne battait plus.
12h29 France Orléans
Eric était entre la vie et la mort. Jérôme essayait de ne pas se sentir trop coupable, mais quand ses parents le rejoignirent en catastrophe à l’hôpital – écourtant un important séminaire – ce fut peine perdue.
- On t’avait pourtant dit de ne pas le laisser toute la journée devant son écran !
- Ces jeux sont dangereux ! C’est une vraie drogue et ton frère vient de faire une overdose !
Quand ils rentrèrent à la maison - après avoir eu la garantie des médecins qu’ils feraient tout ce qui était en leur pouvoir pour tirer Eric de son coma – les parents de Jérôme continuèrent à le sermonner. Mais face à son silence désespéré, ils ne trouvèrent rien de mieux à faire que s’invectiver l’un l’autre :
- Je t’avais dit que nous n’avions pas besoin d’être deux là-bas !
- Ca c’est certain ! Tu as passé ton temps à te maquiller !
Jérôme soupira avant de trouver refuge dans la chambre d’Eric.
Johnson filait dans le ciel à la vitesse du son. Il atteignit l’île en moins d’une minute. A peine posé sur la plage de sable fin, il tomba à genoux. Son corps de guerrier invincible se flétrit et il redevint provisoirement John Carson, un simple être humain, rongé par la perte de la femme aimée, de sa moitié.
Il n’avait pas pu retrouver son corps, mais il lui devait toujours une sépulture digne de ce nom. Le visage de Linda revint danser dans son esprit. Et avec lui, tout un cortège de souvenirs à l’ineffable beauté. Il se rappela leurs dernières vacances. Un voyage exceptionnel au Tibet grâce à des années d’économie. Un voyage et une seconde Lune de Miel.
Il contempla ses mains à travers le rideau de ses larmes. Ses pouvoirs allaient peut-être enfin lui servir à autre chose qu’à tuer et à détruire. Ses mâchoires se crispèrent et il plongea ses bras jusqu’aux coudes dans le sable. Des éclairs jaillirent à nouveau de son corps. Il redressa la tête et regarda la montagne s’élever devant lui.
Jérôme regarda autour de lui. Chaque objet de la pièce avait une histoire qu’il connaissait. Il se rappela chacune d’elle avec une émotion plus vive qu’il ne l’eut souhaité.
Ici, un poster glané à un concert de rock. Là, une planche de skateboard offerte à son anniversaire : le fruit de plusieurs années d’économie. C’était un modèle unique. Il avait fait gravé le nom de son frère et celui de son idole dans cette discipline.
Des idoles, Eric en avait des tas. Mais Jérôme avait toujours tout fait pour être en haut de la liste.
Il prit place devant le PC et se mit à pleurer doucement, sans un bruit. Et puis son regard tomba sur la jaquette de Crim’In dédicacée par Donald Buff en personne :
Pour Eric, un joueur plein d’avenir.
D.B.
Ses larmes séchèrent instantanément. Il pianota sur le clavier pour s’inscrire sur le forum officiel du jeu.
03h32 Los Angeles - Studio Dead Zone
- Il est au Tibet.
- Quoi ?
- John Blossom, le créateur de John Carson. Il est en vacances au Tibet. Et il en a encore pour une semaine. Je crois qu’on peut faire une croix sur lui.
Harvey eut un regard de dieu courroucé.
- Foutu alpiniste !
Puis il fixa Dave avec toute la sympathie dont il était capable dans sa situation.
- Donne-moi une bonne nouvelle. Tu as localisé cet emmerdeur ?
- J’ai consulté les vidéos et les témoignages les plus récents des joueurs. Il a été vu pour la dernière fois à la sort