Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

vendredi, 05 février 2010

La Naissance de Monarque [Nouvelles/Le Combat du Papillon]

 

« J'ai souvent regretté qu'il n'existât pas des dryades ; c'eut infailliblement été avec elles que j'aurais fixé mon attachement. »

 

                   Jean-Jacques Rousseau (Les Confessions)

 

 

J'étais un libertin.

Un noceur.

Avec tout ce que cela sous-entend de débordements, d'inconséquences.
Et de dépravations.

Mais j'étais heureux.

Du moins en étais-je convaincu.

Je goûtais à tous les plaisirs.
Sans crainte, sans doute et sans regret.
Je ne connaissais aucun tabou, aucun interdit.

J'obtenais ce que je désirais et je désirais ce que j'obtenais.
Rien ne me freinait.

Et si ma conduite indisposait quelqu'un, cela était rapidement et proprement réglé.

Au pistolet, s'il s'agissait d'un homme.

Au lit, s'il s'agissait d'une femme.
Dans les deux cas, je remportais toujours le duel.

J'étais fin tireur.

Ma réputation se répandit comme une traînée de poudre.
Ma compagnie devint un bien très convoité.

J'avais une certaine fortune et un charme certain.

Ce qui ne gâchait absolument rien.

Les hommes m'enviaient ma table.

Les femmes, mes murs.

Les uns comme les autres ma capacité à les séduire par ma seule présence.

Je n'étais pas roi.

Mais je possédais une cour que le monarque lui-même devait me jalouser.

Plus tard, je lui ravirai même ce titre.

 

Une nuit, pourtant, toute cette existence bascula.

Je fis un rêve qui devait changer ma vie à jamais.

Ma vie et surtout mon âme.

 

Dans ce rêve, j'atteignais un endroit d'une beauté sans pareille.
Des arbres immenses et majestueux montaient jusqu'au ciel. Les rivières étaient peuplées d'étoiles, cascadant des nuages et les pétales colorés des fleurs étaient de somptueux papillons qui s'envolaient à mon approche.

C'était comme de marcher dans un vivant poème.

Quelque chose m'avait attiré en ces lieux.

Quelque chose d'important, de vital.

D'inévitable.

L'air était empli de senteurs enivrantes.

Un orchestre invisible jouait une symphonie aux accents enchanteurs accordés à la beauté du paysage dans lequel je m'enfonçais.

A un moment donné, je me suis arrêté au bord d'une rivière, moins pour me désaltérer que pour goûter l'eau dont je devinais la saveur.

Je ne me trompai pas.

Elle était en effet d'une fraîcheur exquise, revigorante. Meilleure en tous points que tous les alcools dont j'avais le loisir d'abuser.

Lorsque je relevai la tête, elle était là, de l'autre côté de la rivière, m'épiant de ses grands yeux dorés. Ses longs cheveux, ainsi que son corps entier, semblaient parfaitement se fondre dans le sous-bois environnant. Seuls ses beaux yeux de biche ressortaient clairement de la nature dans laquelle elle savait si bien se dissimuler.

C'était une nymphe. Une dryade.

Je le sus intuitivement.

Alors mon cœur se mit à battre très fort.
J'eus le sentiment de redevenir un enfant.
Pur, innocent.

Je ne pouvais détacher mon regard de ces yeux, de ce visage.

Ce fut comme une révélation pour moi.

Mon émotion fut si forte qu'elle m'éveilla.

 

Je me retrouvai dans un lit. Des corps de femmes nues étaient couchés près de moi, figés dans des poses obscènes qui me rappelèrent une longue soirée d'orgies.

Je me levai et quittai cette couche impie, en proie à une panique sans nom.

A cet instant précis, j'eus l'horrible sentiment de retomber en enfer, moi qui avais connu le paradis.

Le choc fut terrible.

Je découvris qui j'étais, quelle vie j'avais menée jusqu'alors.

Une vie sans scrupule, sans morale.

Et cette vérité me terrassa littéralement.

Je connaissais mon âme. Je l'avais rencontrée dans ce rêve. J'avais vu sa beauté. Je ne pouvais plus l'ignorer. Mais j'avais un corps qui la retenait prisonnière et faisait de moi un véritable monstre de perversité.

Pendant des années, je m'étais comporté avec la plus parfaite insouciance, prônant le vice, l'érigeant en éducation.

Je m'étais fait geôlier, puis bourreau de mon âme.

Ma nature profonde enfin révélée, il m'était désormais impossible de me conduire comme avant.

Tout du moins, c'est ce que je crus.

Les habitudes revinrent vite.

Si j'avais pu être seul un certain temps, j'aurais pu sans doute m'absorber dans quelque réflexion salutaire. Mais je ne l'étais jamais. Je n'avais jamais ressenti le besoin de l'être auparavant. Des hommes et des femmes étaient sans cesse à mes côtés.

Pour ne pas dire plus près.

Pris dans le tourbillon de ma vie de débauche, j'oubliai mon âme.

Jusqu'à ce que je m'endorme.

Alors elle reprenait tous ses droits et profitant de l'inertie de mon corps épuisé de ses excès, me conduisait naturellement où était ma place et où m'attendait mon destin.

Car bien heureusement, je la revis. La nymphe.

Elle se baignait dans une rivière, son beau corps nu aux couleurs de la forêt dont elle était gardienne, sa chevelure verte et épaisse comme un doux lit de mousse se déversant dans l'onde pure.

Lorsqu'elle sentit qu'elle n'était plus seule, les pétales vivants des fleurs environnantes s'envolèrent et vinrent la couvrir de leur parure multicolore.

Lorsqu'elle se retourna, seul son visage était visible.

Son visage et ses yeux dont le regard me transperçait le cœur avec la vélocité et la précision d'une flèche.
Et son carquois était rempli.

Mais mon regard n'avait rien à envier au sien, comme je devais l'apprendre plus tard.

Mon cœur battant comme un soufflet de forge, je la vis s'avancer vers moi avec une grâce surnaturelle.

le combat du papillon,poésie,romantisme,rêve,fée,ange,âme,dualité,histoire,nouvelle,fantastique,dryade

  Elle était si belle.

Le vêtement qu'elle portait, vivant et animé, chatoyait par instant lorsque les papillons le composant faisaient battre leurs ailes.

La magie était palpable.

Je fus convaincu de vivre le plus beau moment de ma vie.

Elle était si près de moi lorsqu'elle s'arrêta. J'étais paralysé, enraciné au sol.

Comme un chêne.

Je me demande encore comment j'ai pu trouver la force de parler dans de telles circonstances.
Sans doute craignais-je de ne plus jamais en avoir l'occasion.

- Je voudrais devenir comme toi.

Elle m'étudia longuement, moi ainsi que la déclaration que je venais de lui faire.

- C'est impossible.

Ses lèvres avaient à peine bougé. Sa voix avait la douceur d'une caresse.

Sa réplique, elle, me glaça.

- Pourquoi ?

A mon tour, je l'observai intensément, espérant peut-être influencer sa réponse.

Elle parut horrifiée.

- Parce que, moi, je n'ai jamais été comme toi.

A cette annonce, mon cœur se fendit et je sentis des larmes sourdre de mes yeux. A mon grand étonnement, elles ne coulèrent pas, mais remontèrent vers le ciel.

Elle sembla s'amuser de ma réaction. En ces lieux, ce phénomène était naturel.

Je fermai les poings. J'étais décidé à ne pas renoncer au paradis qui s'offrait à moi.

Dans cette forêt, je me sentais chez moi.

En paix.

- Je veux rester ici, implorai-je comme un enfant. Avec toi. Je ne veux pas retourner d'où je viens. Je préfère mourir plutôt que d'y retourner.

Ces grands yeux d'ambre me dévisagèrent alors gravement.

- C'est ce qu'il te faudra faire si tu souhaites rester ici, avec moi. Il te faudra mourir. Car tant que ton âme sera liée à ton corps, elle sera soumise à la réalité dans laquelle il demeure.

Je soupirai.

- Comment ? Si mon destin est de mourir vieux, je ne pourrais supporter de quitter sans cesse ce royaume pour retomber dans l'autre monde. Je ne pourrais le supporter.

Sa main effleura la mienne.

Mon cœur se mit à chanter malgré la peine qui m'accablait.

- Tu viens de te répondre. Ta souffrance te fera trouver le moyen.

Je serrai sa main comme on se raccroche à la vie.

- J'ai pourtant si peur de ne pas y parvenir. J'ai si peur de perdre mon âme et le chemin qui mène jusqu'à toi.

A son tour, elle me serra la main.

- Alors je vais t'aider à ne pas les oublier.

Elle pencha ma tête vers la sienne et déposa ses lèvres sur les miennes.

L'émotion de ce baiser me traversa de toutes parts.

 

Lorsque j'ouvris les yeux, elle avait disparu. La forêt aussi.

Je me retrouvai à nouveau dans un lit encombré de corps nus d'amantes lascives.

Un vertige me prit. Et une envie de vomir.

Je trouvai un coin où me blottir et là, repensant à ma nymphe, à notre conversation et à la chaleur de son baiser, je versai toutes les larmes de mon corps.

Et celles-là ne remontèrent pas vers le ciel.

 

Je perdis rapidement la notion du temps ainsi que le goût de toutes ces bassesses qui jusqu'alors avaient constitué ma vie.

Je redevenais moi, l'essence de moi.

Ce qui ne se faisait pas sans douleur.

Une lutte terrible avait lieu en moi. Celle de mon âme revenue à elle-même et ce corps, cette enveloppe physique sordide, alimentée par le péché, souillée par la perversion, attentive à toute tentation, de l'emprise de laquelle je ne pouvais me défaire qu'en plongeant dans les bras de Morphée, jusque dans son esprit, seul endroit où je savais trouver la paix, la liberté.

Et l'Amour.

 

Bien souvent, je prétextai une fatigue imaginaire ou un mal qui n'était que chimère pour m'étendre seul et profiter de ces siestes afin de rejoindre mon paradis intérieur.

Las.

Pour mon plus grand malheur, par mes soins passés, j'avais rendu ma cour bien trop fidèle à ma présence pour espérer me voir privé d'elle au-delà de quelques instants.

Mes rêves étaient interrompus, toujours prématurément.

Au réveil, la douleur de la séparation cédait rapidement la place à la plus vive des colères. Bien évidemment, mes sujets ne comprenaient pas mon attitude.

Et ils en auraient été bien incapables.

Cela ne faisait qu'attiser mon ire.

Et dans ces moments de fureur indomptable, seuls les plaisirs les plus vils étaient capables de me rasséréner. Mais c'était une consolation provisoire et néfaste, car une fois contenté, je revenais à moi, épris de remords, la conscience torturée et je maudissais ma faiblesse.

Victime d'un cercle en tous points vicieux, je me sentais proche de la mort sans pourtant jamais l'atteindre.

02.jpg
 
 J'ignore combien de temps il s'écoula.

Il n'existait plus qu'un seul temps pour moi. Celui où je pouvais la voir, la retrouver, même de brefs instants. Le reste n'était qu'une attente douloureuse et impie.

Mais la chance finit par poindre à l'horizon, sous une forme des plus improbables.

Un jeune homme se présenta à moi. Un artisan.

J'avais abusé de son épouse. Il demandait réparation. Par les armes.

Il n'avait pas froid aux yeux car il connaissait ma réputation.

Auparavant, je l'aurais à peine regardé et aurais ordonné à l'un de mes valets de se charger de la formalité. Mais j'entrevis en cet homme en apparence simple, le plus grand espoir, une opportunité que je n'attendais plus.

Sans le savoir, il pouvait me permettre de réaliser mon vœu le plus cher.

Oui, l'occasion était trop bonne pour ne pas la saisir.

La haine que j'inspirais à l'offensé était manifeste. Un sentiment de vengeance évident l'animait. Au moins étais-je en mesure de le comprendre. Si elle me fit trembler au premier abord, sa détermination eut ensuite le don de me conforter dans ma décision.

Je pensai faire d'une pierre deux coups.

J'avais changé. Je n'étais plus le même homme. Ce que j'avais fait subir à cet artisan et à sa femme m'épouvantait au plus haut point. Je le regrettai sincèrement et profondément tant que l'idée me vint naturellement de présenter mes excuses.

Mais en fin de compte, j'allais faire bien mieux que cela.

 

Le jour convenu du duel, mes fidèles écuyers tentèrent de me dissuader de m'engager pour si peu. Leur rappelant ma légendaire habileté et leur précisant que je voyais en cette rencontre un divertissement digne de moi, ils ne trouvèrent plus aucune raison d'insister.

Ils finirent même par se dire que cela allait m'aider à redevenir le joyeux luron dont je n'étais plus que l'ombre.

 

A l'heure convenue du duel, nous nous présentâmes, chacun accompagné de nos témoins, à l'orée d'une forêt.

Une forêt. Cela me fit sourire.

Je pensai instinctivement à ma nymphe qui m'attendait dans la sienne.

Bientôt, me dis-je. Bientôt.

Etant l'offensé, l'artisan eut la primeur du premier coup de feu.

Il me manqua.

J'ignorais s'il était exercé. Je l'espérai profondément.

Sa volonté de me châtier jouait assurément en sa faveur.

Je tirai à mon tour. A la surprise de tous, je manquai ma cible.

D'un sourire, je rassurai mes témoins. Ils interprétèrent alors ma maladresse comme une volonté de ma part de prolonger le jeu et ainsi donner de faux espoirs de victoire à mon adversaire.

Nous nous rapprochâmes.

La distance entre nous était encore conséquente, mais je pouvais lire aisément l'expression peinte sur le visage de l'artisan bafoué.

Il voulait ma mort. Ni plus, ni moins.

Il l'ignorait, mais il détenait le pouvoir de se venger autant que celui de me libérer. Il était mon Charon personnel, mon passeur, non pour les enfers - puisqu'il allait me permettre de les quitter - mais bien pour le paradis.

J'entendis le coup de feu. Puis plus rien.

L'artisan avait disparu ainsi que nos témoins respectifs.

Seule la forêt demeurait. Mais elle était métamorphosée. D'une beauté céleste étrangement familière.

Le pistolet n'était plus dans ma main.

Je compris que mon passeur avait fait son office. Nul doute que la joie devait le submerger. Une joie qui ne pouvait avoir d'égale que celle qui me remplissait à l'instant où je me précipitai pour retrouver ma nymphe, ma dryade, ma fée.

Elle m'attendait, rayonnante, comme si elle avait deviné ce qui s'était passé.

Elle me savait libéré.

Nous tombâmes dans les bras l'un de l'autre. La forêt toute entière sembla faire écho à notre bonheur.

Alors ma poitrine s'ouvrit et mon cœur inonda ma nymphe d'une lumière opaline. Lorsqu'elle s'estompa, j'avais devant moi une femme d'une grande beauté aux longs cheveux noirs moirés de vert. Je remarquai aussi que ses paupières étaient fardées et ses lèvres peintes de la même teinte.

C'était bien ma nymphe, mais mon amour pour elle l'avait transfigurée. Elle était devenue un peu moi.

- Comment t'appelles-tu ?

Elle examina son nouveau corps avant de répondre :

- Je m'appelle Vanesse. Reine du Cœur.

Alors sa poitrine s'ouvrit et son cœur m'inonda d'une lumière opaline d'où j'émergeai, transfiguré.

Je me baissai pour examiner mon nouveau corps. J'étais nu, d'une blancheur virginale et dépourvu de sexe. Et tandis que j'admirai mon apparente pureté, tels les pétales d'une fleur, deux ailes de papillon à mes dimensions s'ouvrirent majestueusement dans mon dos.

J'étais devenu un peu elle.

Je m'aperçus, qu'à mon instar, elle arborait elle aussi des ailes de papillon aux couleurs chatoyantes.

Peut-être parce que je la considérais comme ma fée.

Cette vision me fit pleurer et je souris avec elle en voyant mes larmes s'orienter vers la cime des arbres.

- Je m'appelle...Monarque.

Le sourire de Vanesse d'élargit.

- Roi des larmes !

 

Nous étions désormais fée l'un pour l'autre.

 

03.jpg
 
 
 
 

T’as aimé…ou pas

T’as tout lu, tout vu, tout entendu…ou pas

Peu importe, post un com et like la page pour dire que tu existes car ton avis est important pour moi, mais aussi pour le futur de ce blog, un gros merci d’avance !

samedi, 01 août 2009

CRIMinalité INtensive [Nouvelles/Anticipations]

 histoire,nouvelle,anticipation,monde virtuel,jeu vidéo,sf,fantastique

 Prologue

 

Jimmy prit le temps de s'interroger une dernière fois sur l'utilité de son geste.

C'était vraiment tentant, un peu comme donner un bon coup de pied dans la fourmilière et regarder les dégâts se propager. Et puis, il avait pris ses précautions. Personne ne saurait que c'était lui. Il n'en était pas à son coup d'essai. Mais cette fois, ça risquait de foutre une belle pagaille. Tant mieux. Il avait toujours été un peu rancunier, alors forcément de se voir interdire l'accès au forum pour propos injurieux, il n'avait pas pu le digérer. Après tout, il n'avait fait que dire tout haut ce que beaucoup pensaient tout bas.

Il appuya sur la touche, scellant le destin de beaucoup de personnes.

Un sourire s'étira sur son visage d'ado boutonneux.

- A vous de jouer, les gars !

 

CHAPITRE 1

  

John Carson ouvrit les yeux et regretta aussitôt son geste. Il se rappela qu'il vivait dans un monde à bout de souffle. Il jeta un regard au cadran du réveil. Il afficha 6:66 pendant quelques secondes avant d'annoncer plus sérieusement 6:00.

John poussa un soupir. Même les machines devenaient folles.

En se tournant vers la gauche, il oublia momentanément ses idées noires à la vue d'une épaule et d'une jambe gracieuse émergeant de sous le drap. Sa bouche couvrit la première et sa main épousa la seconde. La lumière qui filtrait à travers les persiennes miroitait sur les parties du corps ainsi exposées comme pour l'inviter davantage à s'y attarder.

- Il est un peu tôt, non ? fit la voix enrouée de Linda.

John sourit. Il connaissait ce ton là par cœur. C'était facile de lire entre les lignes après sept ans de vie commune. Tout en continuant à la caresser du bout des doigts, il plongea son visage dans ses boucles blondes:

- Je ralentis ou j'accélère ?

Il l'entendit sourire à son tour.

- Je te laisse deviner.

Elle se tourna vers lui. En scrutant son visage, même maquillé par la pénombre, il se félicita d'avoir ouvert les yeux  de si bonne heure. Il l'embrassa, sa main continuant de masser paresseusement sa cuisse. Elle commença à gémir. L'explosion fut si violente qu'elle ébranla l'appartement.

John bondit du lit :

- Putain, qu'est-ce que c'était ?

Linda s'alarma.

- J'espère que ce n'est pas la bibliothèque. J'ai vu une bande tourner autour ces derniers jours.

John enfila son pantalon de pyjama, prit quelque chose dans sa table de chevet avant de se diriger vers l'entrée. Linda le rejoignit rapidement dans une chemise de nuit vaporeuse.

John ouvrit la porte. N'eut été le vacarme précédent, il aurait pu penser que le brouillard avait recouvert le quartier. Mais il sut qu'il s'agissait en fait d'un monstrueux nuage de fumée. Il était si épais qu'il distingua à peine le vieil homme qui s'époumonait en traversant la rue à vélo :

- C'est la bibliothèque ! Ils ont détruit la bibliothèque, ces petits fumiers !

John s'avança aussi loin que le lui permit la main ferme de Linda.

- Je crois que c'est Henry Swift.

John plaça ses mains en porte-voix, exhibant sans le vouloir le pistolet qu'il tenait dans sa main droite :

- Henry ? C'est John et Linda. On est là !

Ils entendirent les vieilles roues métalliques grincer indiquant que le vieil homme avait entendu leur appel et ralentissait.

- Vous avez vu ce foutoir ?

N'eut été la catastrophe,  John se serait laissé gagner par la joie de revoir leur voisin préféré.

Un moteur de deux roues pétaradant couvrit sa réplique.

John s'avança un peu plus. La fumée semblait se dissiper légèrement grâce à la brise matinale.

Henry était bien là, sur son vieux machin rouillé qu'il appelait affectueusement « son poney ».

Il portait son affreuse chemise à carreaux qui semblait ne jamais le quitter, qu'il vente ou qu'il neige.

John lui sourit. Henry ouvrit la bouche, mais ses mots furent engloutis par le bruit du moteur qui se rapprochait rapidement. John vit Henry se tourner en direction des arrivants. Des voix de pré-pubères crièrent par-dessus le vacarme de l'engin :

- Eh papy, t'as oublié de prendre tes suppos !

Le staccato d'une arme automatique résonna affreusement. Il  ne s'était pas interrompu que Henry Swift gisait déjà au sol, son vélo couché sur la route et sa fidèle chemise à carreaux poissée de sang. A la vue de son corps sans vie, les yeux de John s'agrandirent et son visage se tordit.

Il pointa son arme vers la moto, mais la main prompte de Linda fit avorter son geste.

Le bruit du moteur s'éloigna et la moto disparut dans un concert d'éclats de  rire.

John se tourna vers Linda. Les yeux bleus de la jeune femme jetaient des éclairs.

- Tu veux leur ressembler ? Tu veux devenir comme eux, à distribuer la mort comme on distribue des journaux ?

- On ne peut pas les laisser continuer à foutre cette ville en l'air, merde ! Henry vient d'y passer sous nos yeux. Après, ce sera le tour de qui ? Toi, moi ?

- On n'a qu'à partir ! Qu'est-ce qui nous en empêche ? Il y a bien un endroit en sécurité !

- En sécurité? Tu lis les journaux comme moi. C'est partout pareil. Tout le monde est devenu fou et ceux qui ont encore leur tête finissent comme Henry.

Sur ces mots, John alla s'agenouiller auprès du vieil homme dont il ne put que constater le décès.

Linda s'approcha avec peine.

- John, ne reste pas là. Ils pourraient revenir !

- Qu'ils reviennent, ces petits salauds. Je les attends !

 

Heureusement ils ne revinrent pas. Une ambulance miraculeusement épargnée emporta le cadavre de Henry Swift. La police ne vint pas recueillir leur déposition. Il y a longtemps que la police ne venait plus pour ce genre de choses. Dehors c'était la guerre et les flics étaient depuis longtemps en première ligne.

 

John et Linda s'étaient consolés du drame du mieux qu'ils avaient pu. Ils avaient beaucoup discuté. Ils avaient chacun élevé la voix. Mais ils avaient fini par tomber d'accord. Ce meurtre gratuit avait été la goutte d'eau pour eux. Ils partiraient vers une île perdue dès le lendemain. Le temps de régler quelques affaires courantes, de faire leurs bagages et ils monteraient dans un petit avion loué à un ami qui habitait en dehors de la ville.

- Tu as raison, avait dit John. Si je reste ici encore quelques jours, je finirai par ne plus pouvoir répondre de mes actes.

 

Le soir, Linda était allée faire des courses pendant que John terminait de remplir sa voiture. Tandis qu'il vérifiait le contenu du coffre, la lumière du jour déclina brusquement et levant la tête, il vit la lune monter brusquement dans le ciel comme tirée par un fil invisible. Il secoua la tête. Il était vraiment fatigué. Il était temps que cette journée se termine.

 

Linda abandonna sa voiture sur le parking du supermarché. Elle avait vu peu de gens. Elle n'avait pas osé leur annoncer son départ. De peur sans doute qu'on lui rétorque que sa tentative était vaine.

Elle essaya de chasser ses sombres pensées. Le soir était étrangement calme et l'air vivifiant. Elle trouvait que c'était une bonne idée de rentrer à pieds pour goûter une dernière fois l'atmosphère de cette ville dans laquelle ils avaient séjourné depuis tant de temps.

Elle regarda les sacs qu'elle portait. Elle avait presque envie de se convaincre que c'était un soir comme ceux d'avant, du temps où rien ne perturbait le quotidien, où rien ne menaçait le bonheur cousu au fil des ans avec l'homme de sa vie. Les sacs étaient lourds. John la sermonnerait sûrement d'avoir laissé sa voiture. Mais cela la fit sourire. Un nouveau départ les attendait quelque part. Incertain. Mais ils étaient ensemble. Le reste importait peu en regard de cela.  Elle n'était plus très loin. Elle pouvait même apercevoir la silhouette de John arc-bouté sur la voiture éclairée par le réverbère. La lune était pleine et brillait au-dessus  de la rue.

Elle songeait à l'avertir de son arrivée lorsqu'elle perçut une présence à ses côtés.

 

Le cri déchira le silence comme un éclair peut déchirer la nuit. John se redressa violemment. Il ne pouvait se méprendre sur le son de la voix.

- Linda !

Il courut dans la rue comme un fou. La vision de Henry Swift sans vie revint le hanter. Il la chassa rapidement. Il n'eut pas à courir longtemps. Il trouva le corps allongé sur la route au milieu des aliments et des objets épars. La tête reposait à même le trottoir. Le poignard avait frappé à plusieurs endroits avec la même effroyable indifférence. Un autre tueur fou était en liberté et Linda venait d'en payer le prix. Ses paroles du matin résonnaient maintenant de manière prophétique à son esprit pourtant assoiffé de rationalisme. Ses poings frappèrent le bitume sans qu'il en prenne conscience, y laissant deux inquiétantes cavités.

John ancra son regard sur le visage blafard de la femme de sa vie. Il évita d'attarder son attention sur les blessures profondes à l'image d'un équilibriste qui se désintéresse du vide pour mieux accomplir sa progression.

- Pourquoi tu n'as pas pris ta voiture, pourquoi ?

Une larme coula sur la joue de Linda.

- Il faisait si bon, John. Il faisait si bon.

John saisit son portable - qu'il ne se rappelait pourtant pas avoir emmené - et composa le numéro des urgences.

- Comment il était ? Dis-moi comment il était ce fils de pute !

- Il était jeune. Si jeune. Un enfant avec des yeux bleus. Magnifiques. Tu sais, j'ai cru qu'il voulait m'aider à porter mes courses. Comment je peux être encore aussi naïve après...

John plaça un index sur ses lèvres.

- Ne parle plus, chérie. Economise tes forces. L'ambulance va arriver.

John entendit la voix d'un opérateur. Il essaya de parler calmement.

- Ma femme a été agressée. Elle est grièvement blessée. Elle s'appelle Linda Carson. Oui, je suis avec elle. Très bien. Nous sommes à ...

John ne sentait plus le pouls de Linda. Ses yeux étaient toujours ouverts, mais ils le fixaient sans ciller en un regard désespéré qui lui figea le sang.

- Elle est partie, murmura-t-il sans y croire.

L'opérateur le bombardait de questions, mais John lâcha le téléphone, incapable d'écouter autre chose que le silence de mort qui venait de recouvrir sa femme comme un linceul.

- Linda.

Il la prit dans ses bras et ce fut pire encore. John enfouit son visage dans ses boucles blondes. Pour la dernière fois.

Le bruit d'une moto l'arracha à son cérémonial. Le deux-roues venait dans sa direction. C'était celui de ce matin, il en était persuadé. Sa vengeance n'aurait pas le temps de refroidir. Il ramassa instinctivement l'objet le plus proche de sa main sans regarder si cela pouvait faire office d'arme et le jeta sur le pilote de toutes ses forces :

- De la part d'Henry !

Le pilote se baissa et le passager reçut le projectile en pleine figure. Sous l'impact, ses dents se brisèrent et son nez implosa comme une bombonne. Celui-là allait regretter de ne pas avoir mis de casque. Il tomba inanimé sur la route et tandis que le pilote s'emparait d'un Uzi et faisait feu sur lui, John observa avec fascination l'orange qu'il avait projeté roulait sur elle-même dans une flaque de sang. On aurait dit un astre effectuant sa rotation en une danse macabre. Belle métaphore, se dit-il avant de s'apercevoir qu'il aurait dû être mort. La moto disparut à l'autre bout de la rue. John adressa un dernier regard à Linda. Il l'embrassa et se releva, le regard aussi noir que celui d'un serpent. Il écrasa une pomme sous son talon et s'élança à la poursuite du deux-roues.

 

Il le retrouva facilement sous un porche pourtant mal éclairé. John avait le sentiment d'être dans la peau de quelqu'un d'autre. Comme s'il était entré dans une parenthèse de sa vie. Il avait une mission, un but qui excluait toute idée de pardon, de compassion. John n'avait guère eut le temps de dévisager les criminels, mais il sut qu'ils ne devaient pas avoir trente ans à eux deux.

Ils connaissaient sûrement l'assassin de Linda. Ils se connaissaient tous. Il en était convaincu.

John s'approcha à tâtons. Le jeune fouillait dans un buisson. Et il jurait tant qu'il pouvait.

- Fais chier, il est où ce fusil ? Je l'avais laissé là, bordel ! Ils font chier ces cons à piquer les flingues des autres !

- Tu devrais pas être au lit à cette heure là ?

Le jeune se retourna. Il portait une cagoule, un débardeur blanc, un treillis et des bottes cloutées. Mais John n'avait d'yeux que pour les siens. Ils brillaient comme des saphirs. Des yeux  bleus. Magnifiques.

- Qu'est-ce que tu fous là, toi ? Je t'ai buté !

John s'avança. Il n'avait pas peur. Mais l'autre non plus. Comme si tout ceci n'était vraiment qu'un jeu pour lui. John lui sourit. Un sourire de requin.

- Tu devrais changer de job, alors. Parce que tu t'es loupé en beauté.

Le jeune pointa son Uzi.

- Dégage où je te massacre, enfoiré !

- Pour ça, il faudrait que tu aies des balles. Tu n'en as plus et c'est sans doute pour ça que tu cherches ton fusil.

Les yeux bleus s'agrandirent de stupéfaction.

- Comment tu... c'est toi qui me l'a piqué, enfoiré ! Putain, mais tu te prends pour qui ? Tu pouvais pas rester chez toi ? Je vais te massacrer !

Il lança le pistolet-mitrailleur en espérant sans doute atteindre John au visage. Mais John rattrapa l'arme aussi adroitement que possible. Son index caressa la détente avec un plaisir sadique :

- Dis-moi pourquoi tu as fait ça ? Je ne prétends pas t'épargner, mais cela satisfera ma curiosité.

Le jeune produisit un couteau de chasse presque aussi long que son bras.

- T'es con ou tu le fais exprès. Tu l'as dit toi-même : le chargeur est vide !

Le regard de John se vissa sur la lame. Elle brillait, elle était propre. Ce fumier avait eut le temps de la nettoyer, dieu sait comment. Le visage de Linda traversa son esprit. Comme en réponse, son doigt pressa la détente. Le bruit de l'arme ne le surprit même pas. Elle s'accordait à sa volonté. Le jeune tomba, l'épaule gauche trouée de 9 mm.

John se rapprocha de lui. Le garçon ne semblait pas souffrir de sa blessure. Mais plutôt du fait que le chargeur aurait dû être vide. John voulut lui retirer sa cagoule, mais il craignit que de voir son visage l'empêchât d'accomplir sa besogne.

Le garçon dut comprendre son intention, car il l'implora malgré tout :

- Putain, faites pas ça ! Vous voyez bien que je suis qu'un gosse. J'ai que quinze ans. Faites pas ça, je vous dis. Je suis qu'un gamin !

John hésita. Il voulait venger la mort de Linda. Tout en lui réclamait cette finalité. Mais les paroles mêmes de sa femme s'opposaient à cet acte. Ces paroles qui le désigneraient comme un criminel au même titre que celui qu'il avait sous les yeux. En tirant, n'allait-il pas devenir ce qu'il condamnait ? Le regard sans vie de Linda lui apparut, abrutissant sa lucidité. Elle était partie. Pour toujours. Il n'avait donc rien à espérer. Rien à faire. Rien d'autre qu'honorer sa mémoire. Et cela exigeait un sacrifice.

John mit le garçon en joue. Ses yeux de serpent jetèrent des éclairs.

- Non, tu n'es pas qu'un gamin. Tu es l'assassin de ma femme.

Le bruit de l'arme ponctua sa funeste sentence.

 

- Putain, c'est quoi ce bordel !

Eric gesticulait sur sa chaise comme si elle était électrique.

Son frère Jérôme l'entendit depuis les toilettes. Il tira la chasse d'eau et le rejoignit :

- Qu'est-ce qui t'arrive ? T'as encore perdu ?

- Ouais, y a un connard qui m'a shooté avec mon Uzi. Il avait l'air balèze alors j'ai pris l'option reddition et il m'a quand même buté !

-  Qu'est-ce que tu veux. Y a des joueurs qui respectent rien.

- C'était pas un joueur, c'était l'IA du jeu ! J'ai buté une femme avec mon couteau et apparemment c'était la sienne. C'est un truc de malade !

Jérôme sourit. Il n'avait pas la même passion que son frère, mais cela l'amusait toujours de l'entendre râler à ce sujet.

- Ca prouve que c'est bien fait. Il y a une vraie cohérence. C'est pour ça que le jeu marche aussi bien, non ?

- Ouais, mais j'arrive plus à me connecter avec mon avatar.

- T'as qu'à en changer ?

- T'es ouf, toi ! J'avais débloqué trop de trucs avec Tunk15.

Les magnifiques yeux bleus d'Eric brillaient. Il était au bord des larmes.

- Je suis dégoûté. En plus j'avais réussi à refaire mon visage. J'ai passé des heures sur ce perso !

Eric quittait son rôle de gangster pour redevenir un simple adolescent. Emotif. Vulnérable.

Il se leva de son siège, balança son micro-casque et quitta la chambre, non sans renverser quelques étagères au passage.

Jérôme le regarda s'éloigner avec un sourire. Il savait qu'il allait noyer son chagrin dans un pot de crème au chocolat ou en regardant un épisode de Vyvychibi, son manga préféré. Il prit sa place devant l'ordinateur et détailla les menus de l'écran avec le sentiment d'ouvrir la boîte de Pandore.

Il regarda la jaquette du jeu posé sur le bureau. L'affiche représentait un fusil-mitrailleur sur lequel venait se greffer les mots Criminalité Intensive.

En dehors de cela, le rendu graphique était d'une étonnante sobriété, loin du réalisme et de l'image spectaculaire véhiculés par le jeu. Mais en bas de l'affiche, comme pour les rappeler, s'étalait le slogan connu dans le monde entier : « Maintenant on ne joue plus ! »

 

histoire,nouvelle,anticipation,monde virtuel,jeu vidéo,sf,fantastique

 

2. Succès Déverrouillé : Premières Armes 

                     

Pour John Carson, plus rien ne pouvait avoir de sens.

Il venait de perdre Linda, l'être le plus cher à ses yeux. Et en donnant la mort, il venait aussi de perdre son bien le plus précieux : sa vertu. Sa vengeance assouvie, du moins l'espérait-il, sa conscience faisait de nouveau son boulot. Et elle venait de le mettre sur le banc des accusés.

Il jeta le pistolet-mitrailleur et se recroquevilla comme un enfant. Ce faisant, il ne vit pas le corps du jeune garçon disparaître subitement sans laisser de trace.

John attendit que la police vienne l'arrêter. Car sur l'instant, c'était bien son seul souhait. Il avait commis la chose la plus monstrueuse à ses yeux et aussi à ceux de Linda. Il avait alimenté la violence qui ravageait la société et contre laquelle il s'était indigné.

Et il l'avait fait de la pire des façons.

Il ne sait pas combien de temps il attendit. La nuit était sans doute bien avancée lorsque la pluie s'abattit sur la ville sans crier gare. Peut-être une manière de nettoyer le sang qui avait coulé et de le laver de ses crimes. Mais là, il savait qu'il en faudrait beaucoup plus.

Il se leva et se dirigea vers la moto du gamin. Il fallait qu'il bouge. Il ne savait pas exactement pourquoi, mais il ne devait pas rester là. Les flics n'étaient pas venus, alors son destin n'était pas encore scellé. Et puis, il repensa au corps de Linda allongé dans la rue. Comment avait-il fait pour ne pas y penser plus tôt ? Etait-il réellement devenu un monstre, lui aussi ? Peut-être que lorsqu'on avait tué quelqu'un, les pulsions éveillées empêchaient-elles de revenir vers une nature plus humaine.

John enfourcha la bécane. C'était un engin fait pour les sauts et les acrobaties sur des terrains accidentés, du motocross ou du trial, il ne s'y connaissait guère. Tout en la faisant démarrer sans la moindre anicroche, il se demanda si le jeune qui la pilotait naguère avait l'âge requis pour monter dessus. Il repensa à l'Uzi entre ses doigts frêles et il se mit à rire. L'instant d'après, il s'élançait vers sa maison dans un bruit de moteur pétaradant.

 

Il ne retrouva pas le corps de Linda à l'endroit où il l'avait laissé. Ni même à un autre. Il ratissa tout le quartier. Rien. Pas une trace de sang, pas un indice. Le jeune qui avait reçu l'orange en plaine figure s'était volatilisé lui aussi. Il eut la sensation d'être victime d'un complot avant de comprendre qu'il venait simplement de grossir la liste des victimes de la barbarie qui gangrenait la planète depuis quelques mois. Sa colère explosa.

- Bande de salauds ! Pourquoi vous faites ça ? Pourquoi ?

Comme pour lui répondre, une explosion abîma la nuit au loin dans une fulgurance de jaune et de rouge. Un autre bâtiment important sans nul doute.

John s'écroula au beau milieu de la route et se recroquevilla comme un fœtus. La mort de Linda creusa en lui un sillon de douleur indicible.

Lorsqu'il put retrouver quelque force, les premières lueurs du jour éclairaient la ville, peignant les toits des maisons de couleurs chaudes propres à le réconforter un peu. Tout n'était pas complètement mort. Indifférente au sort des hommes, à leur folie, la nature continuait de produire ses chefs-d'œuvre.

John retourna près de sa voiture. Elle était pleine à craquer. Prête à partir. Il regarda la maison. Et détourna rapidement la tête. Y entrer n'était pas envisageable. Il se sentait bien trop fragile. Sa conscience lui certifiait que la meilleure chose à faire dans l'état actuel des choses était de quitter la ville comme prévu et de se rendre en avion sur une île épargnée par cette montée de violence. Mais une autre voix, une voix qu'il commençait tout juste à apprivoiser, lui assurait que la seule chose désormais qui pouvait donner un sens à sa vie était de devenir la parfaite némésis de ce mal incurable et ravageur. Il savait que cela allait le plonger davantage dans l'obscurité. Mais il ne pouvait se défaire de l'idée que c'était la seule chose véritablement sensée à faire. A quoi lui servirait de fuir ? Il se retrouverait seul, irrémédiablement. Pire que seul. Il ne serait plus avec Linda. Et cette souffrance là, il ne voulait pas la vivre. Rien ne pouvait l'obliger à le faire. S'il devait souffrir, alors il choisirait une autre façon. Et il comptait bien ne pas être le seul à souffrir. Il allait s'en assurer.

Il voulut récupérer son pistolet dans sa table de chevet, mais cela impliquait de retourner dans la maison. Une épreuve qu'il refusait en bloc. Il se prit la tête à deux mains et ce faisant, réalisa qu'il avait le pistolet dans sa main droite. Il l'observa, incapable d'expliquer sa présence. Depuis qu'il avait tué ce gamin, la réalité ne semblait plus tout à fait la même. En fait depuis qu'il avait perdu Linda, l'univers entier semblait lui montrer un autre visage. Comment aurait-il pu en être autrement puisqu'elle incarnait pour lui la vie au sens le plus noble ?

A moins qu'il fut lui-même la source de tous ces changements. L'idée d'être dans un rêve lui traversa l'esprit et il se dit que si tel était le cas, alors il se ferait un devoir d'en faire un cauchemar pour certains. En fait, la réponse lui importait peu, pour le moment.

S'il bénéficiait de ressources supplémentaires pour mener à bien sa mission, alors il n'y avait plus de doute à avoir, plus d'hésitation possible. Sa voie était toute tracée.

Il regarda sa main gauche et la seconde d'après, elle tenait un pistolet identique à celui qu'il possédait déjà. Maintenant que Linda n'était plus là pour agir sur lui comme inhibiteur, il allait pouvoir s'abandonner à ses pulsions les plus refoulées.

Il sourit.

La chasse pouvait commencer.

 

CHAPITRE 3 : L'Avènement de CRIM'IN

 

Dave Matheson était programmeur.

Il avait rejoint l'équipe de Blue Pill trois ans auparavant. Les projets sur lesquels il avait travaillé (souvent au détriment de sa vie privée) ne lui avaient valu que peu de considération et des émoluments pour le moins aléatoires.

Ils n'étaient qu'une dizaine dans l'équipe et les projets - bien que novateurs et attendus - étaient constamment remis en question par la direction, si bien qu'ils avaient l'impression de travailler pour rien. Jusqu'au jour où le studio fut racheté par la société DIEU [Divertissements Informatiques Educatifs Universels] qui après avoir inondé le marché de logiciels révolutionnaires sur la forme, décida d'exploiter l'univers du jeu vidéo et plus particulièrement du jeu en réseau.

Le directeur de DIEU, Donald Buff, était devenu rapidement l'idole de tous. Les adolescents l'adulaient. Les adultes l'adoraient. Lorsqu'il créa TotaLink TM  - un réseau qui rendit possible l'accès à toute une gamme de jeux depuis un PC ou une console - le nom même de sa société lui fut attribué. Il avait réussi, en quelque sorte, à enterrer la hache de guerre, réunissant deux supports jusque-là profondément antagonistes. Un véritable tour de force technologique qui lui avait valu de nombreuses récompenses lors des salons de jeux et des critiques dithyrambiques de la plupart des grandes revues spécialisées comme ZéroOne ou Screenshot.

Ce véritable pont avait alors fait naître dans l'esprit des concepteurs des idées nouvelles.

Car il faut dire qu'à cette époque, cela remontait à presque cinq ans, si les jeux en réseau pullulaient sur le net, il n'en était pas moins vrai qu'un seul d'entre eux monopolisait l'attention et entretenait l'attente des joueurs, tous profils confondus : le monde fantastique de Wind Of Reign (WOR pour les intimes et rebaptisé rapidement WHORE par ses détracteurs et il y en avait).

Rarement un jeu avait développé un tel esprit communautaire. Mais parallèlement à cet engouement massif, il divisait aussi beaucoup. On lui reprochait la médiocrité de ses graphismes, son univers hermétique, sa terminologie et ses règles d'évolution complexes. Quant au système de magie, il était régulièrement décrié à cause de la fâcheuse tendance qu'avaient les sorts à ne pas toujours produire les mêmes effets. La goutte d'eau avait été l'annulation de Devils & Devouts, une extension espérée par tous les joueurs et la médiocre adaptation ciné qui avait suivi.

Des erreurs, des défauts qui avaient fini par en dégoûter beaucoup, par en lasser d'autres.

Au fur et à mesure, la brèche s'agrandit, permettant à une nouvelle attente des joueurs de naître. Instinctivement, tous les regards convergèrent vers Donald Buff, le dieu de DIEU.

Et Donald Buff ne déçut personne.

Le lancement de CRIMinalité INtensive (qui allait rapidement devenir CRIM'IN dans la bouche et le cœur de millions de fans) fit l'effet d'une bombe.

La campagne de marketing envahit les médias. Tel un conquérant, Buff se rendit maître de tous les espaces publicitaires possibles et imaginables. Et ceux qui n'existaient pas, il les créa de toutes pièces. En seulement deux semaines, trois mois avant sa sortie officielle, CRIM'IN fut sur toutes les lèvres et devint la poule aux œufs d'or faisant de DIEU le nouvel El Dorado des Jeux Vidéos. Relayé par un formidable bouche à oreille, la promotion du futur hit n'épargna rien, ni personne. Et progressivement les éléments le constituant furent portés à la connaissance du public, gonflant un peu plus une popularité déjà phénoménale : un monde hyperréaliste, contemporain (à l'opposé de celui de WOR en quelque sorte), une surface de jeu immense sous la forme de plusieurs états imitant les Etats-Unis, une personnalisation extrêmement poussée de l'avatar, un sentiment de liberté total, des possibilités d'action innombrables, un gameplay intuitif, un nombre de caméras jamais vu...Bref, tout concourait à en faire le Saint-Graal des divertissements, l'idéal vidéoludique fantasmé par des générations de joueurs dans le monde entier.

Ceux qui s'étaient détournés des loisirs électroniques se surprirent à contempler les affiches et les couvertures des magazines avec une avidité presque coupable.

Le débat était lancé : Crim'In allait-il être le chef-d'œuvre annoncé, le digne successeur de WOR - désormais à bout de souffle - et satisfaire un public en mal de sensations fortes?

Ou bien Donald Buff n'avait-il fait qu'attiser l'intérêt général pour redorer un blason qui n'en avait guère besoin ? On le soupçonnait bien un peu d'être mégalomane, milliardaire et donc un peu mythomane. Mais quand même. Ses réussites passées jouaient indéniablement en sa faveur.

Lorsque Crim'In débarqua en grandes pompes dans le commerce - un 14 juillet ensoleillé à souhait - la question n'eut plus lieu d'être. Les magasins explosèrent leur chiffre, les serveurs furent saturés. En l'espace d'une semaine, DIEU remboursa le coût de sa campagne promotionnelle. En à peine un mois, les frais liés au développement même du jeu furent eux aussi remboursés et la société toucha des bénéfices substantiels, aidé en cela par un redoutable merchandising.

Non seulement, Crim'In trouva immédiatement son public, mais l'euphorie qu'il suscita fit passer l'intérêt de WOR pour une simple lubie.

La machine commerciale s'emballa. Tout se passa très vite. Trop vite au dire de certains.

Avant même que l'on devine toutes les implications liées à la vente de ce produit, Crim'In était devenu LA référence dans tous les domaines. Sa Bande Originale se vendait comme des petits pains. Les hommages des joueurs fleurissaient un peu partout sur le net sous forme de vidéos amateurs, de fics. Le jeu avait même son émission télé présentée par une star du journalisme. Chaque jour, elle interviewait une vedette américaine chez elle, en train de jouer et qui vendait Crim'In avec autant de conviction que s'il s'agissait d'un candidat à la Maison Blanche.

Celui qui ne connaissait pas Crim'In était traité d'ermite. Celui qui n'y avait jamais joué était considéré comme un autiste.

En raison de sa violence et de son langage cru - le système TotaLinkTM autorisait les joueurs à transmettre intégralement leurs paroles à leur avatar - le jeu était interdit aux moins de 18 ans. Mais sa popularité avait eu rapidement raison de la législation et les parents, dépassés par l'ampleur des évènements, avaient bien du mal à s'assurer que leurs enfants n'étaient pas trop exposés.

Il y eut bien une levée de boucliers de certains syndicats, d'associations familiales et de personnalités qui jugeaient Crim'In comme un catalyseur de perversion pour une jeunesse déjà en manque de repères.

Donald Buff garda longtemps le silence avant de s'exprimer sur cette polémique face aux caméras lors d'une soirée de bienfaisance. Ses mots furent choisis avec le soin dont il était coutumier et devaient rester longtemps en mémoire. Il annonça des chiffres bientôt repris par les médias du monde entier. Pas les chiffres de vente du soft, ni le nombre de connexions par jour. Il annonça que depuis la sortie de Crim'In, le taux de criminalité avait baissé de 30 % dans les grandes villes.  Nouvelle bombe !

L'enquête fut approfondie et l'on fut rapidement en mesure d'affirmer que ce pourcentage était en deçà de la réalité. La vente d'armes avait aussi baissé de manière sensible, et dans le même temps on nota une réduction des guérillas urbaines et de la violence dans les écoles qui avait justement atteint un stade critique.  Même les conflits domestiques se raréfièrent.

La nature propre de l'homme semblait sur le point de connaître un changement et pas des moindres.

Au début, on ne put clairement certifier que cette évolution des mœurs était directement liée au succès de Crim'In ni même si elle avait fait partie des ambitions de Donald « DIEU » Buff.

Mais le temps finit par dissiper toute hésitation à ce sujet. Les ventes continuaient de grimper et la seule chose qui explosait désormais était le chiffre d'audience des émissions qui avaient pour thème le jeu aux mille records.

On en profita pour montrer du doigt ceux qui avaient crié au scandale.

La même année, lorsqu'on voulut décerner une récompense importante à Donald Buff, celui-ci la refusa poliment en se contentant de dire :

« Je suis président des Divertissements Informatiques Educatifs Universels. Et j'aime mon métier ».

 

4. Succès déverrouillé : Grand Theft Auto



John repéra une Dodge Viper accidentée qui avait dû servir de rempart lors d’une fusillade à en juger par les innombrables impacts de balle qui grêlaient sa carrosserie. John ne renonça pas à l’utiliser pour autant. Il avisa plusieurs autres voitures dans le même état et sentit une violente décharge électrique le parcourir des pieds à la tête. Ses yeux s’illuminèrent d’un feu surnaturel et brandissant ses mains, il commença à les faire danser devant lui tel un marionnettiste. Les épaves qui jonchaient la route se désassemblèrent violemment et il comprit qu’il était en mesure de manipuler les débris résultant de cette opération. Il créa avec un plaisir manifeste un ballet surréaliste de portières, de calandres, de capots et de pare-chocs avant d’orienter les pièces détachées sur la Viper. Sous l’emprise d’un nouveau et stupéfiant pouvoir, il les positionna et les souda habilement, confectionnant en un temps record un blindage du plus bel effet. Encore sous le choc de sa réussite, il monta dans la voiture qui avait maintenant des airs de forteresse. Il ne trouva pas les clés et s’en moqua bien. Le simple fait de poser ses mains sur le volant fit vrombir le moteur. Le bruit eut le don d’agrandir encore son sourire.
Il jeta un coup d’œil dans le rétroviseur intérieur et grimaça en voyant ses cheveux châtains et bouclés qui ne lui avaient jamais vraiment plu. Son regard s’intensifia et sitôt après il vit avec ravissement sa chevelure noircir et retomber sur ses épaules avec un léger éclat bleuté. Il en profita aussi pour transformer un peu son visage qu’il affina et dota d’une cicatrice esthétique sous l’œil droit. Mû par une vive inspiration, il saisit le lobe de son oreille droite entre deux doigts afin d’y incruster un piercing scintillant. Ses vêtements anodins avaient eux aussi besoin d’une petite retouche. Il inspira à fond et lorsqu’il expira, son corps se muscla avant de se couvrir de cuir noir comme une deuxième peau. Maintenant que son apparence physique s’accordait parfaitement à sa psychologie, il était prêt à œuvrer en toute quiétude.
Des vestiges du visage et de la voix de Linda menacèrent un instant de briser sa nouvelle personnalité, mais c’était sans compter sa volonté farouche de refuser l’état de martyre.
Et à ce jeu là, il était en train de passer maître.
Il démarra en trombe. Comme un signal adressé à son intention, l’horizon vomit une nouvelle explosion.

 

CHAPITRE 5 : Chasse à l’homme



Lorsque Eric revint prendre place devant son PC, son frère Jérôme n’était plus là. Mais il trouva un mot de sa part scotché sur l’écran :

Une petite surprise t’attend dans ton jeu préféré.

Intrigué, Eric accéda à l’interface de Crim’In. Il ouvrit démesurément ses beaux yeux bleus en découvrant qu’il avait un nouvel avatar. Il répondait au nom de Dielsel45 et était un sosie plutôt fidèle de son acteur préféré : Vin Diesel. Il poussa un cri de joie. Eric lui avait fait un énorme cadeau qu’il n’était pas prêt d’oublier, d’autant plus qu’il le savait plutôt réfractaire à ce genre de jeu. Désireux au plus vite de tester son personnage, il se connecta, un sourire fendant son visage d’ange heureux. Il fit le tour des différentes maps fréquentées. Avant d’en sélectionner une, il prit le soin de déposer dans chaque état de nombreux avis de recherche ainsi libellés :

IA RECHERCHé : JOHN CARSON
TRES DANGEREU-REDITION IMPOSSIBLE-NEUTRALIZE AVATAR
CONTACTé DIELSEL45



En dessous du message figurait le portrait d’un homme aux cheveux châtains bouclés et aux yeux marron.

 

6. Succès déverrouillé : Œil de Lynx



Les trois policiers en uniforme attendaient d’hypothétiques renforts avec un espoir qui forçait l’admiration. Le déluge de feu qui s’abattait sur eux depuis dix minutes ne semblait en rien entamer leur moral au contraire de la voiture de patrouille qui leur servait de gilet pare-balles et qui prenait de sérieuses allures de passoire.
De l’autre côté de la rue, derrière une barricade faite d’un conglomérat de débris, deux gangsters rivalisaient d’acharnement. Le premier était un sosie de Al Pacino. Il portait une chemise hawaïenne et vidait son fusil-mitrailleur sur les flics avec exultation.
Le second portait une combinaison noire et un masque de paint-ball. Son expression était invisible mais les deux Uzis qu’il pointait devant lui étaient un excellent reflet de la hargne qui le possédait. Tandis que son complice harcelait les agents, lui s’amusait à tirer près d’un quatrième policier au sol que ses collègues hésitaient à secourir.
Le tireur masqué cessa brusquement de faire feu. Les policiers comprirent qu’il venait de vider ses chargeurs. Encouragé par ses partenaires qui se mirent à le couvrir du mieux qu’ils purent, l’un d’eux s’élança vers le blessé. Il l’empoigna par un bras et commença à le traîner vers la voiture qui menaçait pourtant d’exploser à tout moment. La casquette du flic inconscient tomba, dévoilant un chignon noir. Le secouriste serra les dents, sachant combien le temps lui était compté. La balle d’un sniper lui traversa le crâne et il tomba à son tour.
- Putain je lai eu ! s’écria Eric. Trop fort !
Jérôme revint sur ces entrefaites.
- Ca y est, tu es reparti pour une nuit blanche !
- Merci pour Vin, t’as trop assuré, franchement ! Je te revaudrais ça !
Jérôme sourit à l’idée de ce qu’il allait lui demander.
- Et si en échange, tu me promettais de te coucher avant qu’il fasse jour.
- Tu me crées un super perso et tu veux que je m’arrêtes ?
Le sourire de Jérôme pâlit.
- Effectivement, c’est un peu dur, mais ça me plairait de savoir que tu as dormi. Les parents rentrent pas avant demain soir. Je dois m’assurer que tu fasses pas que jouer. Tiens j’ai apporté une pizza. Faut que tu manges aussi.
Mais Eric l’avait à peine entendu.
- Regarde bien. Je vais m’en faire un autre ! Y vont rien voir, ces cons ! Regarde !
Les deux policiers jetaient des regards affolés vers les deux victimes. Ils essayèrent de repérer la position du sniper dans l’immeuble dévasté en face d’eux et tirèrent au jugé.
- Merde, lâcha Eric. Ils vont m’avoir !
A l’idée qu’ils pourraient perdre définitivement cet avatar comme le précédent, il décida de s’adresser aux deux fous furieux en bas de l’immeuble qui canardaient à tout va. Le gamertag des joueurs qui les manoeuvraient apparaissait clairement au-dessus de leur tête.
- Scarefaith et Jazz-on, couvrez-moi, je suis au-dessus de vous, les mecs. Je vais les allumer !
Les deux intéressés levèrent le nez et éclatèrent de rire en voyant un colosse chauve leur faire signe.
- Eh, Diesel45, la prochaine fois, télécharge un mod vocal. Parce que Vin Diesel avec une voix de fillette, franchement ça le fait pas !

Eric comprit qu’il n’était pas forcément le bienvenu et que ça allait être du chacun pour soi. Il s’en fichait. Il allait montrer à ces crétins ce dont il était capable.
Il enclencha le zoom de son fusil et explorant la voiture des flics, repéra le symbole de tête de mort qui indiquait des chances de destruction maximales. Avec un peu de chances, les deux autres guignols en prendraient plein les yeux. Littéralement. Il pressa la détente : l’explosion qui en résulta le fit frissonner de plaisir. Il déchanta subitement lorsqu’il vit la boule de feu se figer sans avoir pu causer le moindre dommage aux flics.
- Non, putain de bug de merde !
Scarefaith et Jazz-on se désintéressèrent de leurs cibles lorsqu’ils remarquèrent un personnage aux cheveux longs, entièrement vêtu de cuir noir s’avancer dans leur direction. Il était descendu d’une voiture de sport déguisée en char d’assaut, ce qui était la moindre des raisons de s’intéresser à lui.
Max et Shane se dévisagèrent. Ils jouaient côte à côte, le premier sur un PC dernier cri, l’autre sur une console next-gen. Ils étaient potes, dans la vie comme dans le virtuel.
- Si c’est pas un joueur, il est mort ! dit Shane. De le tuer, ça doit débloquer quelque chose, à tous les coups.
- Si c’est un joueur, dit Max on lui demande comment il a eu le code pour faire ça !
Ils rapprochèrent la caméra de l’arrivant pour repérer s’il avait un gamertag. Mais tandis qu’il avançait d’une démarche souple, rien n’était visible au-dessus de sa tête. La fumée rémanente n’aidait en rien l’observation. Alors que l’homme entrait dans la zone de la fusillade, quelque chose se matérialisa au-dessus de sa tête. Ce n’était pas un gamertag. Juste trois mots.
VOUS ETES MORTS !
Jazz-on reçut une flopée de balles dans la tête et dans la poitrine. Son masque de paint-ball ne lui fut d’aucun secours. Les flics en avaient profité pour reprendre leurs esprits et maintenant ils jouaient les cow-boys. Le tueur tomba avant de disparaître.
- Merde ! s’écria Shane. Les enfoirés !
Max ne quittait pas son écran des yeux.
- Vite, reconnecte-toi ! On va tous se les faire à deux, comme d’hab.
Ils échangèrent rapidement une poignée de main secrète et hurlèrent leur cri de guerre :
- Crim’In, pas de panique ! Crim’In, on vous nique !
Shane était entré dans les menus de l’interface, et progressivement son visage trahit un sentiment de panique.
- Je le crois pas !
- Dépêche-toi, les flics me font chier, là !
Le visage de Shane était livide.
- Je peux plus me connecter ! Mon profil est corrompu. J’ai tout perdu, putain !
- Bâtards !
Scarefaith ne prit même pas la peine de viser. Il actionna le lance-grenades dont était muni son fusil-mitrailleur. L’explosion aurait dû tuer les deux flics. Mais une fois encore, l’image de la déflagration fut stoppée dans son animation et dans ses effets.
Scarefaith bondit par-dessus la barricade et fit face à John Carson.
- C’est toi qu’es mort !
Il tira.
John esquiva la grenade d’une simple torsion du coup. Le projectile rebondit au sol avant de s’immobiliser sous la Viper. L’explosion souleva le véhicule dans les airs comme un jouet. La voiture effectua une magnifique série de soleils avant de faire mine de s’abattre sur John. Ne sentant visiblement pas la menace approcher, il dégaina l’un de ses pistolets.
- Pauvre naze, dit Max, tu sais pas à qui t’as affaire.
- Il va falloir qu’ils améliorent encore l’IA, souligna Shane.
Mais les choses ne se passèrent pas comme prévu. John pointa son arme vers le ciel et la calandre de la Viper se vissa dessus comme sur un aimant.
C’est à peine si sous le poids son coude plia.
Eric suivait la scène, abasourdi.
- C’est quoi ce mec encore!
- Tire dans le réservoir ! s’exclama Shane. Explose-le !
Scarefaith allait s’exécuter, mais rapide comme l’éclair, John dégaina son deuxième pistolet et lui explosa la tête.
- A moi de jouer, fit Eric.
Il effectua un zoom sur la Viper et remarqua le symbole caractéristique en forme de crâne. Il allait tirer, mais se ravisa. Cela ne servait à rien. Le gars était capable d’arrêter les explosions. Il baissa alors le canon de son fusil et ajusta la tête de John. Ce dernier baissa son bras. Son pistolet et la Viper accompagnèrent le mouvement comme une extension de lui.
C’est alors que Eric aperçut quelque chose se matérialiser au-dessus de la tête de sa cible. Pas un gamertag. Juste deux mots.
ENCAISSE CA !
La détonation retentit et la Viper fila à la vitesse d’une balle, s’encastrant violemment dans le bâtiment où le sniper s’était retranché. L’édifice – qui était déjà mal en point – s’écroula complètement dans un volumineux nuage de poussière.
John rejoint les deux policiers qui tentaient de réanimer leur partenaire.
- Merci, dit l’un d’eux. Sans vous…
- Mais comment vous avez fait ce truc avec la voiture ?
John afficha un sourire las.
- Faites comme moi. Ne cherchez pas à comprendre.
Les flics essayèrent le massage cardiaque, le bouche à bouche, sans succès.
John s’agenouilla auprès de la jeune femme inconscience. Il se surprit à la trouver jolie.
Il lui suffit de placer une main au-dessus de son visage pour qu’elle ouvre les yeux.
Les flics observèrent la scène bouche bée.
- Comment vous…commença l’un d’eux avant de se rappeler le conseil de John.
- Elle va bien, mais elle est encore très fragile. Je vais l’emmener vers un lieu sûr.
- Un lieu sûr ? Mais il n’y plus aucun lieu sûr depuis longtemps. Ici, à Slaughterfalls, comme partout ailleurs, c'est le chaos total, l'anarchie !
John se releva, la femme dans ses bras.
- Alors elle restera à mes côtés. Je ne connais pas d’endroit plus sûr.
Il émit un bref sifflement. Dans un grand envol de gravats, la Viper jaillit des décombres de l’immeuble et retomba sur ses roues. John installa la femme sur le siège du passager.
Les deux flics dévisagèrent John, comme attendant qu’il s’occupe aussi d’eux.
Et c’est ce qu’il fit.
Il tendit une main vers la voiture de patrouille et elle fut comme neuve. Il s’approcha ensuite des deux flics et posa une main sur une de leurs épaules.
- Ainsi SWAT-ils !
Le temps d’un clin d’œil, il se retrouva assis au volant de la Viper et démarra en trombe.
Les deux flics assistèrent à son départ, muets comme des carpes, avant de réaliser qu’ils portaient des uniformes d’élite et des armes de gros calibre.
- Ce mec est un dieu ! déclara l’un d’eux.
Ils montèrent dans leur voiture et quittèrent les lieux à leur tour.

La jeune femme remua sur son siège et jeta des regards affolés autour d’elle.
- Qu’est-ce qui s’est passé ? Qui êtes-vous ?
John sourit. Il était ravi d’avoir un peu de compagnie.
- Vous avez été attaquée par des voyous. Vous êtes en sécurité, maintenant. Je m’appelle…
Il hésita. Il voulait s’éloigner encore un peu plus de l’homme qu’il avait incarné jadis. Il avait changé d’état d’esprit, d’apparence. Il était capable de faire des choses hors du commun sans même y penser. Il avait en quelque sorte enfanté une autre version de lui. Une version infiniment supérieure. Il ignorait comment, il ignorait pourquoi. Pour l’instant, il se contentait de l’accepter et ça lui réussissait plutôt bien.
Il était donc tout naturel qu’il change aussi de nom.
- Appelez-moi John...son.
La femme sourit avec chaleur.
- Merci d’être venu à mon secours, Johnson. Moi je m’appelle…
- Rachel Evans, dit Johnson avec une extraordinaire assurance.
La femme ouvrit de grands yeux, ne pouvant cacher sa consternation.
- Mais comment…
Johnson se mordit la lèvre inférieure. Ses pouvoirs commençaient à le mettre dans l’embarras.
- C’est écrit au-dessus de votre tête.
- Quoi ?
Puis elle éclata de rire.
- Vous avez failli me faire marcher, vous savez.
Elle posa alors une main près de l’insigne cousu sur son uniforme où était écrit :
Rachel Evans – Pour vous Protéger et vous Servir

Une silhouette massive jaillit des vestiges de l’immeuble, les vêtements déchirés, le corps ensanglanté. Diesel45 s’avança en traînant les pieds jusqu’à l’endroit où les deux explosions étaient encore inertes. Son crâne glabre était maculé de sang et de poussière. Mais ses yeux jetaient des éclairs.
- J’ai pas dit mon dernier mot, fit la voix juvénile de Eric.

Rachel allait ajouter un mot, mais Johnson leva un index.
- Un instant. J’ai quelque chose à terminer.
Il fit claquer ses doigts.
Les deux explosions achevèrent bruyamment leur œuvre, catapultant Dielsel45 plus de dix mètres au-dessus du sol et l’envoyant heurter un panneau d’affichage arborant la célèbre jaquette de Crim’In et son non moins illustre slogan : On ne joue plus !

 

CHAPITRE 7. Lettre à D.I.E.U.

 

Les yeux rougis pas les larmes, Eric tentait vainement de calmer sa rage en envoyant à travers sa chambre tout ce qui pouvait lui tomber sous la main. Il venait de reperdre un avatar qu’il chérissait, que son frère avait pris la peine et le temps de lui créer. Et voilà qu’à nouveau ce bug qui l’empêchait de se reconnecter. Pour la bonne raison que Dielsel45 était introuvable.
Il s’apprêtait à lancer le clavier à travers l’écran de son PC lorsque Jérôme arriva, les cheveux en bataille, portant simplement un caleçon. Il attrapa le clavier à temps et adressa un regard de grand frère responsable et contrarié à Eric, tremblant comme un épileptique :
- Calme-toi, Eric. Assis-toi et calme-toi !
Eric obtempéra, non sans jurer entre ses dents. Jérôme s’assit sur le lit, à côté de lui :
- Tu es fatigué, vas dormir. Tu joueras mieux demain.
Jérôme tendit une main pour éteindre l’ordinateur, mais Eric l’arrêta :
- Pas encore, geignit-il.
Jérôme lui jeta un regard noir. Eric s’empressa alors d’ajouter :
- Je jouerai pas, je te jure. Je veux juste envoyer un mail à Buff. C’est pas normal que l’IA débloque comme ça. Je suis dégoûté, je viens de perdre Diesel45. Tu venais juste de le faire.
Jerôme sourit. Il n’arrivait pas lui en vouloir. Il ne supportait pas ses gamineries, mais Eric était un frère plutôt sympa en dehors de ça.
- C’est pas grave. Je t’en referai un encore mieux. Jason Statham, tu l’aimes bien aussi, je crois ?
Eric opina avec un grand sourire.
- Ok, on verra ça demain. Envoie ton mail si tu veux, mais après dodo, d’accord ?
Eric acquiesça de nouveau.

 

CHAPITRE 8 : Dans les coulisses



Tout comme Donald Buff, Dave Matheson aimait lui aussi son travail. Et il l’aimait chaque jour un peu plus depuis qu’il oeuvrait sur les fondations mêmes de Crim’In.
Assis devant son PC dernière – et même prochaine – génération, il s’appliquait présentement à résoudre les bugs de toutes sortes détectés par les programmes, les autres techniciens ou encore les joueurs eux-mêmes via quelques mails parfois virulents. Mais la plupart des messages que le studio Dead Zone recevait était plutôt sympathique.
Les joueurs remerciaient régulièrement les concepteurs d’avoir « crée un jeu aussi génial » et ils s’imaginaient souvent grâce à quelques compliments bien appuyés pouvoir accéder aux coulisses de fabrication du soft. Mais un tel privilège n’était pas encore à l’ordre du jour. Le studio Dead Zone – filiale de D.I.E.U. – était devenu l’un des endroits les mieux gardés des Etats-Unis. Et forcément aussi, l’un des plus recherchés.
On l’avait localisé à une centaine d’endroits d’après des sources sûres.
Bien entendu, tous s’étaient avérés faux.
La carte de Crim’In était découpée en 13 états de taille et de forme variables. Sous sa forme quadrillée, elle représentait 26 carrés de large – notés de A à Z – et 30 carrés de haut – évidemment notés de 1 à 30. En tout, 180 carrés comme autant de zones à surveiller, chacune d’elles étant placée sous la responsabilité d’un programmeur attitré. Selon le planning, les responsabilités pouvaient permuter. Et le planning était plutôt souple.
En ce jour, Dave Matheson avait la charge de la zone L-17 autrement dit la bourgade de Slaughterfalls. Et il apparaissait que cette contrée - d’ordinaire si dépourvue d’anomalies techniques – était devenue depuis peu un formidable aimant à bugs. Les joueurs depuis plusieurs heures inondaient la boite mail d’infos à ce sujet et bien souvent dans un langage peu châtié. Dave avait conscience que les concepteurs comme lui étaient des stars aux yeux des gamers, mais dès lors que les problèmes survenaient, ils devenaient rapidement la lie de l’humanité.
Dave inspecta toutes les données compilées. Il arrivait régulièrement que des bugs apparaissent en quantité dès que le nombre de membres connectés atteignait un certain niveau. Mais en consultant les archives, il s’aperçut qu’aux heures où les anomalies avaient été signalées, le nombre de connexions était relativement faible. C’était donc un souci lié au moteur graphique du jeu. Un moteur révolutionnaire baptisé Golgotha dont Dead Zone était l’inventeur et l’unique détenteur. Encore expérimental, il pouvait néanmoins afficher un nombre record d’éléments sans aucun ralentissement. Les mises à jour étaient fréquentes, mais il était encore largement perfectible. D’autant que les extensions – produites plus ou moins à la hâte pour satisfaire les attentes – repoussaient à chaque fois un peu plus les limites de ses capacités.


Dave était une sorte de nettoyeur et c’est d’ailleurs ainsi que les joueurs surnommaient affectueusement les techniciens comme lui. Ce n’était pas une tache ingrate. Bien au contraire. Dave avait connu bien pire du temps de Blue Pill et puis, maintenant, il avait la reconnaissance. A commencer par celle de son supérieur direct.

Lorsque Harvey Wizard entrait dans les bureaux de Dead Zone – qui ne méritait pas leur nom vu le nombre d’employés et l’agitation qu’ils généraient – il avait l’impression d’être un responsable de la NASA. En observant les programmeurs, les designers et tous les artistes concentrés sur leurs travaux respectifs, il voyait moins en eux les bâtisseurs du loisir le plus coté au monde que des techniciens chargés de maintenir une navette dans les airs le plus longtemps possible. Une navette avec beaucoup de gens dedans. Oui, la navette Crim’In. C’est ainsi qu’ils avaient tous baptisé le jeu qui avait ni plus ni moins sauvé la face du monde.
Ils soignaient le mal par le mal. Un mal réel par un mal virtuel. Mais plus qu’un mal nécessaire, Crim’In était devenu le super antidote, une boule anti-stress manipulée par des millions de personnes. Qu’importait si ce remède consistait à massacrer des ersatz d’humains. Dans les rues, les cités, le calme avait repris ses droits. On réglait les conflits manette en main. Le clavier et la souris avaient remplacé le fusil et la grenade. Le son des balles déchirant les chairs en THX avait fini par être plus séduisant que le bruit des vraies détonations. La mort était devenue trop esthétique sur les écrans HD. On pouvait régler la couleur du sang, tuner ses armes comme des voitures de course, enregistrer ses faits d’armes, les revoir sous des angles cinématographiques avec des ralentissements à rendre jaloux John Woo en personne.
Ce jour-là, lorsque Harvey Wizard entra dans les locaux de Dead Zone, il eut ce frisson qu’il ressentait à chaque fois. Il pensait aux innombrables joueurs connectés qui prenaient un immense plaisir à arpenter le monde de Crim’in, improvisant des alliances, des compétitions, des défis et des objectifs. Il s’imaginait à la place des vétérans, fins stratèges ou bulldozers, éliminant leurs rivaux avec une efficacité admirable, maîtrisant à la perfection les combinaisons de touches et connaissant la map sur le bout des doigts, faisant exploser les records tous les quarts d’heure. Il s’imaginait à la place des novices dont la première partie à Crim’In faisait figure de dépucelage, avec comme récompenses, une montée sensationnelle d’adrénaline et une jouissance à la même mesure qu’elle soit synonyme de victoire ou d’échec.
Il sourit en pensant à eux avant de s’adresser à ses troupes :
- Salut tout le monde. Comment va Crim’In, aujourd’hui ?


C’était une simple formule d’usage, car tout en disant cela, Harvey contempla le tableau holographique affichant la map entière de Crim’In, les zones et le nom du programmeur associé à chacune d’elle ainsi que le nombre de connexions et les gamertags des joueurs en activité. Il effleura une icône et consulta les derniers mails reçus. L’un d’eux retint particulièrement son intention. Il était adressé à Donald Buff, mais Harvey avait l’habitude de cette maladresse et il avait appris à l’accepter. Cela le faisait même sourire.
Maintenant que D.I.E.U. rentrait largement dans ses frais, que le studio se portait bien et que la mécanique était bien huilée, Buff chapeautait toujours le projet, mais de manière de plus en plus distante et ponctuelle. Il appelait régulièrement Harry et ils déjeunaient ensemble de temps en temps dans sa villa en se congratulant des résultats, mais leurs rapports devenaient purement anecdotiques. Harvey soupçonnait même Buff de travailler sur un nouveau projet. Ce qui aurait été tout à fait digne de lui.
Le mail avait été envoyé par un garçon de 15 ans originaire d’Orléans en France. Il était rédigé ainsi :

Monsieur Donald Buff,

Je m’apelle Eric, j’ai 15 ans et je vous écri car j’adore CRIMIN et que je j’y joue tout les jours. Mais en ce moment ya des petit problème qui m’énerve un peut. Il ya des pnj qui sont trop cheatés et qui ont tué mes deus derniés avatars et je peux plus jouer avec. C’est pas normal. Je vous envoi les images car j’ai acheté le mod DIRECTOR que je trouve super pour enregistré les actions et les envoyé aux potes. J’espère que ça vous aidera a réparé ce qui va pas. Merci pour tout ce que vous faisez sur le jeu. J’espère que la prochaine extension va biento sortir.

Avec tout le respé que je vous doit,

Eric



Harvey se dit que cela valait peut-être la peine de jeter un coup d’œil à l’enregistrement en question. Il arrivait souvent que les joueurs envoient les vidéos de leurs exploits afin d’épater les développeurs et peut-être Buff lui-même pour obtenir une hypothétique rencontre avec le directeur de D.I.E.U. en personne. Certains avaient même poussé le vice en créant un avatar à l’image de Buff. Ce qui, évidemment, n’était pas forcément de très bon goût. Mais Harvey savait que les mails étaient en général filtrés au préalable par des opérateurs bien attentionnés avant qu’il prenne la peine d’y accéder. Une sorte d’accord tacite.
Lorsqu’il visionna les images, il ne regretta pas sa décision et contacta sitôt après Dave Matheson avec qui, par ailleurs il entretenait d’excellents rapports. Il se réjouissait presque de devoir résoudre ce problème avec lui. Il pressa son lobe gauche :
- Salut Dave, tu vas bien ? Bon, écoute, je viens de consulter les mails et l’un d’eux s’est avéré fort pertinent. Tu es sur la zone sensible, c’est pour ça que je m’adresse à toi.
- Je m’attendais à votre appel. J’ai regardé la vidéo. Effectivement, un gros problème d’IA défaillante. J’avais encore jamais vu ça. Je suis en train d’essayer de localiser le sujet.
- Comment il s’appelle ?
- Le premier qu’on voit c’est John Carson. Le second, je ne sais pas. Il n’apparaît pas dans la mémoire et ce n’est pas un avatar de joueur. Très étrange.
- Ok, je te laisse chercher, je viens te voir dans un quart d’heure.
Ce qui implicitement voulait dire « tu as un quart d’heure pour démêler ce nœud avant que je ne vienne t’aider en faisant les gros yeux ».
Harvey allait couper la communication, mais il crut bon d’ajouter :
- Pendant que tu y es, recherche le nom du programmeur qui a crée ce gars-là. Avec un peu de chance, avant midi, tout sera rentré dans l’ordre.
Evidemment, Harvey Wizard ne pouvait pas savoir qu’avant midi, la face du monde allait de nouveau être bouleversée.

 

9. Succès déverrouillé : Corps d’Acier



Johnson ne savait pas trop pourquoi, mais de se retrouver aux côtés d’une femme, même très différente de Linda, lui ôtait toute envie de se confronter à nouveau à la violence et encore moins de la nourrir.
En fait, il eut subitement envie de reprendre le cours de son ancienne vie. Il voulait quitter la ville, fuir les combats, prendre cet avion et aller sur cette île dans le fol espoir de trouver la paix, la sérénité et un nouveau sens à sa vie.
Rachel s’alarma en voyant un panneau annoncer une prochaine sortie.
- Où nous emmenez-vous ?
- Loin de tout ça, loin de slaughterfalls. Je connais quelqu’un qui possède un petit avion. Je sais piloter.
- Mais je ne peux partir comme ça…avec vous, se sentit-elle obligée de rajouter pour le convaincre de son ineptie. J’ai une vie, ici, un travail !
De son côté, Johnson se sentit plus qu’obligé de rétorquer :
- Une vie ? Un travail ? Vous voulez rire ! Vous faites simplement comme tout le monde. Vous essayez seulement de survivre.
La remarque était cinglante, mais Rachel ne comptait pas s’en contenter.
- On ne se connaît pas. Je ne sais pas qui vous êtes.
- Moi non plus je ne sais plus qui je suis.
Johnson poussa un soupir qui en disait long, mais pas assez à son goût. Alors il comprit qu’il était légitime de se confier un peu à Rachel :
- J’ai perdu ma femme cette nuit. Un gosse l’a poignardée.
Il préféra ignorer l’expression d’épouvante de la jeune femme et poursuivit du même ton :
- Je l’ai retrouvé et je l’ai abattu à mon tour. De sang-froid. Et puis à partir de là, tout s’est accéléré. Je me suis mis à faire des choses, à voir des choses.
Il s’interrompit pour regarder ses mains posées sur le volant.
- jusqu’à maintenant, j’ai préféré tout ignoré et me laissé emporter par cette formidable force qui m’a envahi et qui grandit en moi un peu plus à chaque seconde. Ce n’est pas juste la colère et la vengeance qui m’habitent. C’est autre chose. C’est plus compliqué. Car il n’y a pas que ça.
Il se tourna vers Rachel, le temps pour lui de s’assurer qu’il avait toute son attention. Et il ne fut pas déçu.
- Il se passe des choses autour de moi, autour de nous dont nous ne sommes absolument pas responsables. Des choses inexplicables. Et je ne parle pas de la violence et des gangs. Les corps des morts disparaissent. Des mots apparaissent au-dessus des gens. Comme des noms de code. Vous voyez quelque chose au-dessus de ma tête ?
Rachel hésita avant de secouer la tête. Elle le scrutait comme si elle avait affaire à un fou.
Johnson s’en rendait bien compte.
- Et maintenant ?
Trois mots lumineux s’inscrivirent devant son visage.
FAITES-MOI CONFIANCE !
Rachel hoqueta de surprise.
- Comment vous faites ça ?
- Vous le faites aussi. C’est comme ça que j’ai su comment vous vous appeliez. En fait, tout le monde le fait, mais apparemment, je suis le seul pour le moment à le comprendre et à le contrôler.
A son tour, Rachel poussa un soupir lourd de sous-entendus.
- A mon niveau, j’ai entendu pas mal de choses inquiétantes. C’est peut-être une méthode de surveillance créée par le gouvernement.
- Tiens, parlons de lui. Où est-il ? Que fait-il ? Les autorités sont aux abonnés absents depuis un moment maintenant. Ils nous laissent dans notre merde. Ils se foutent bien de ce qui peut nous arriver. Et vous savez pourquoi ?
- Ils sont complices.
- Exact. Et ce chaos n’est ni plus ni moins devenu une sorte de contrôle pour eux. Pendant que nous essayons désespérément de nous protéger, les politiques peuvent s’adonner à leurs plus basses besognes en toute impunité. Dans ces conditions, pourquoi interviendraient-ils ?
Rachel se recroquevilla un peu sur son siège.
- Ca fait peur. C’est donc la fin ?
- Je ne sais pas. Il faut que je sache pourquoi je suis ce que je suis. Et il faut que je sache si je suis le seul.

Johnson freina sans crier gare et s’arrêta sur le trottoir. Il tendit un bras et décolla une affiche sur le mur couvert de graffitis provocateurs. Le message qu’il put lire était ainsi libellé :


IA RECHERCHé : JOHN CARSON
TRES DANGEREU-REDITION INéFICASSE-NEUTRALIZE AVATAR
CONTACTé DIELSEL45



En dessous du texte figurait le portrait d’un homme aux cheveux châtains bouclés et aux yeux marron.
- Vous le connaissez ? interrogea Rachel.
Johnson ressentit à nouveau cette sensation étouffante d’être la victime d’un complot à grande échelle. Il répondit sans vraiment y penser :
- Oui, c’était moi.
- Quoi ?
La détonation n’avait pas fini de retentir que la Viper traversait violemment le mur dans une explosion de briques et de débris métalliques.
De l’autre côté de la route, un char d’assaut pointa son canon entra deux maisons - qu’il démolit allègrement sur son passage – avant de s’arrêter près d’une borne à incendie.
La trappe d’accès s’ouvrit et un ado de dix-neuf ans apparut. Il était torse nu. Il portait un bermuda version camouflage et un casque de GI sur lequel était inscrit son gamertag : BORNKILLER. Une cigarette était rivée au coin de sa bouche. Il exhiba un fusil à canon scié recouvert de logos et tira dans la borne à incendie, libérant un puissant geyser d’eau. Il appuya son dos contre la trappe, allongea ses jambes et laissa l’averse le rafraîchir.
La voix du pilote – qui répondait au nom de DWAYNE et qui avait tout d’un catcheur – se fit entendre :
- T’es sûr que c’était la bonne caisse ?
L’autre observait le soleil à son zénith sans même cligner des yeux :
- Absolument. La description sur le forum était très détaillée. Le joueur a dit qu’il l’avait vue d’assez près.
- Pourquoi il vient pas nous rejoindre ?
- Il a dit qu’il avait des problèmes de connexion et qu’il devait se refaire un avatar. Et d’après lui c’est à cause du mec qu’on vient d’exploser.
- Jamais entendu parler d’un truc pareil. Comme si l’IA pouvait interférer avec le réseau. N’importe quoi !
- En tout cas, reprit BORNKILLER, on va attendre un peu ici. Je lui envoie notre position. Il nous rejoindra dès que possible.
- Tu crois que c’était un boss caché ?
- Non. On aurait remporté des points bonus et là c’est pas le cas.
- Tu crois qu’on l’a eu ?
BORNKILLER tapota la surface du char comme s’il se fut agi d’un animal de compagnie :
- Tu parles qu’on l’a eu. Rien ne peut résister à Texas.
Il avait baptisé le char ainsi en hommage à son labrador, mort quelques jours auparavant.
Il n’avait pas plus tôt dit cela que quelque chose s’élevait des ruines encore fumantes devant eux. BORNKILLER n’en crut pas ses yeux lorsqu’il vit une silhouette humaine se découper sur le disque jaune du soleil. Il se redressa.
- Merde, c’est lui là-haut ! On va lui envoyer un Baby Jaw !
Johnson tenait Rachel dans ses bras. Et il flottait dans le ciel sans le moindre effort à faire. Mais c’était là la dernière de ses préoccupations. Il contempla le visage de la jeune femme en essayant vainement de ne pas penser à celui de Linda juste avant qu’elle ne meure dans ses bras. Les lèvres de Rachel remuèrent. Elle eut comme un sursaut, mais tout ce qui sortit de sa bouche fut une giclée de sang. Johnson sut qu’elle venait de le quitter. Et comme pour chasser le doute à ce sujet, son corps disparut. Comme tous les autres. La surprise de Johnson fut de courte durée. Sa fureur beaucoup moins.
- T’es sûr que c’est lui ? s’enquit DWAYNE. Il a l’air différent de la description.
Johnson était maintenant un colosse chauve au torse nu exhibant une pléthore de cicatrices et de tatouages tribaux qui à eux seuls auraient pu faire fuir une armée. Une cape noire déchirée se soulevait dans son dos de manière surnaturelle, s’agitant nerveusement comme la queue d’un félin contrarié.
- Feu !
Le canon du char cracha un obus titanesque doté d’un aileron sur lequel était dessiné un bébé à la mâchoire de requin. Johnson gonfla son biceps et lança son poing droit devant lui. Le choc de la collision brouilla l’image sur l’écran HD. L’étudiant et l’ouvrier assis au comptoir du Mike’s Bar échangèrent un bref regard avant de river de nouveau leur attention sur la télé, imités par une trentaine de clients, spectateurs assidus du jeu. C’est Mike, le patron, qui avait eu l’idée d’organiser ces séances publiques. Cela amenait pas mal de monde, les strip-teaseuses ne faisant plus vraiment recette.
Lorsque le nuage de poussière se dissipa, les deux joueurs et l'assistance derrière eux eurent une vision qui les laissa momentanément sans voix.
Johnson s’était fait un gantelet de l’obus destiné à l’anéantir.

Au-dessus de sa tête des lettres lumineuses apparurent, formant rapidement quelques mots à l’attention des assassins de Rachel :
J’IGNORE SI DIEU EXISTE MAIS VOUS VENEZ DE CREER LE DIABLE !
- Qu’est-ce que c’est que ce délire ? fit Mike les yeux rivés sur l’écran, essuyant distraitement un verre.
- T’es sûr que c’est pas un boss ? demanda l’ouvrier à son partenaire.
Mais au lieu de lui répondre l’étudiant hurla :
- Feu !
Johnson venait de projeter le Baby Jaw en direction du char, usant de son bras armé comme d’un lance-missiles.
DWAYNE s’exécuta aussi rapidement que possible et le canon cracha un nouvel obus.
Les deux projectiles se heurtèrent avec une violence inouïe. Un éclair envahit l’écran et aveugla momentanément toutes les personnes présentes dans le bar. L’écran s’éteignit une seconde avant de se rallumer, occasionnant une indicible frayeur chez les spectateurs.
Johnson poussa un râle en voyant qu’il avait échoué. Mais le regain de rage qu’il ressentit juste après lui fit oublier sa déveine. Il se recula un peu comme pour se préparer à fondre sur le char. Un missile l’atteignit de plein fouet. Il fut projeté à plusieurs mètres. Sa colère connut un nouvel essor. Il lança un regard lourd d’un funeste présage en direction de la menace. Car ce n’est pas le char qui venait de tirer. Un hélicoptère de type gazelle venait de se profiler. A l’intérieur un clone de l’acteur Jason Statham vêtu d’un smoking. Au-dessus des pales en mouvement apparaissait le gamertag du joueur : HITMAN.
- Salut les mecs ! fit Eric. On dirait que j’arrive à temps !

Jerôme entra dans la cuisine. Il était presque 11h00. Il se gratta la tête. Il avait fait un drôle de rêve. Dans son rêve, Eric était prisonnier du jeu Crim’In. Il frappait contre l’écran pour esssyer d’en sortir et surtout pour l’avertir. Mais lui, ne comprenant rien, continuait de lui tirer dessus avec son avatar. Plus tard leurs parents rentraient et se mettaient à jouer eux aussi avec un enthousiasme malsain.
Eric finissait criblé de balles, massacré par sa propre famille.
Jérôme secoua la tête. Il fallait qu’il oublie cette horrible vision sinon il allait passer une très mauvaise journée. Les parents rentraient le soir. Cela le réconfortait un peu. S’occuper d’Eric ne lui avait jamais posé de problèmes. Bien au contraire. Mais en ce moment, il avait ses propres soucis. Des problèmes de cœur (au sens métaphorique) et une certaine incertitude quand à son devenir professionnel.
- Eric, tu as mangé ?
Il devait être sur son PC. Mais au moins avait-il dormi un peu. Aujourd’hui ils iraient faire un peu de skate. Jérôme regarda par la fenêtre de la cuisine. Le quartier était calme, comme d’habitude. Il faisait beau.
Ca pouvait être une bonne journée, en fait.

BORNKILLER regarda l’hélicoptère qui filait en direction du colosse tout en l’arrosant copieusement de projectiles assassins. Il tira en l’air avec son fusil à canon scié comme pour l’encourager puis s’adressant à son comparse :
- Balance un autre Baby Jaw !
- J’en ai plus, fit DWAYNE de sa grosse voix.
- Fais le code que je t’ai donné.
La peau de Johnson se couvrit progressivement d’éclats métalliques tels des implants, lui conférant une image encore plus menaçante. Ses yeux jetaient littéralement des éclairs.
Eric jubilait de voir son ennemi ainsi harcelé. Mais il déchanta lorsqu’il s’aperçut qu’il n’avait plus de munitions.
L’ouvrier se tourna vers l’étudiant :
- C’est quoi le code déjà ?
La cape noire de Johnson prit soudain vie et le recouvrit. La seconde d’après, il réapparaissait, les muscles bandés à l’extrême. Les fragments de missiles dont son corps était criblé s’abattirent sur l’hélicoptère et Eric eut tout le mal du monde à le maîtriser. Il était touché, désarmé. Il ne voyait plus qu’une option.
- Le code ? Je te l’ai donné tout à l’heure. Je sais plus, moi. C’était pourtant facile à retenir !
Eric déséquilibra l’appareil, orientant les pales vers le bas.
- Eric, tu viens manger ?
- S’il est si facile ce code, pourquoi tu peux pas me le redonner ?

Eric était maintenant suffisamment près. Il allait découper son ennemi comme un vulgaire morceau de viande. Le regard acéré de Johnson plongea à travers le pare-brise. Mais ce n’est pas Jason Statham qu’il vit assis à l’intérieur du cockpit. NON. Il vit un gamin de quinze ans à l’air innocent et aux magnifiques yeux bleus. Le visage de Johnson se tordit :
- TOI !
Son bras se détendit à la vitesse de l’éclair et sa main se referma sur une des pâles destinées à le déchiqueter. Instantanément elles cessèrent de tourner et l’appareil se figea.
- C’était à toi de le retenir ! C’est toi le tireur !
- Eric ! Lâche le jeu, ça va refroidir ! J’ai fait du pain grillé comme t’aimes !

Le corps de Johnson commença à produire des éclairs tout autour de lui comme s’il se prenait tout à coup pour une centrale électrique. Il rapprocha l’appareil de lui et colla son visage haineux contre la vitre :
- Tu m’as crée. Tu as fait de moi ce que je suis. Je te dois la vie. Mais je te dois aussi la mort.
La mort de Linda, ma femme. Et la mort de John Carson, celui que j’étais.
Johnson ne se rendit pas compte qu’il pleurait. Eric le regardait, terrifié. Ce n’était pas une simple Intelligence Artificielle. Ce regard, cette expression de douleur et de colère mêlées.
Ce n’était pas possible.
D’un simple mouvement, Johnson balança l’hélicoptère vers le sol. A la vitesse d’un missile, l’appareil s’écrasa sur le char prénommé Texas. L’explosion qui s’ensuivit eut un certain nombre de conséquences. Elle rasa les habitations alentours. L’écran HD de Mike explosa, répandant des débris sur les joueurs et les spectateurs. Harvey Wizard venait de rejoindre Dave Matheson lorsque les écrans et les lumières du studio Dead Zone s’éteignirent quelques secondes avant de se rallumer.
Jérôme entra dans la chambre d’Eric. Ce dernier était bien assis devant son PC, immobile, hypnotisé par l’action dont il était l’acteur et le témoin privilégiés.
- Tu devrais jouer sans le casque de temps en temps. Tu vas finir par te bousiller les tympans.
Jérôme retira les écouteurs. Du sang coula des oreilles d’Eric. Il regarda son visage. Ses magnifiques yeux bleus étaient désespérément grand ouverts.
Lorsqu’il lui prit le pouls, il réalisa que son coeur ne battait plus.

 

CHAPITRE 10 : Naissance d’un remède



12h29 France Orléans

Eric était entre la vie et la mort. Jérôme essayait de ne pas se sentir trop coupable, mais quand ses parents le rejoignirent en catastrophe à l’hôpital – écourtant un important séminaire – ce fut peine perdue.
- On t’avait pourtant dit de ne pas le laisser toute la journée devant son écran !
- Ces jeux sont dangereux ! C’est une vraie drogue et ton frère vient de faire une overdose !

Quand ils rentrèrent à la maison - après avoir eu la garantie des médecins qu’ils feraient tout ce qui était en leur pouvoir pour tirer Eric de son coma – les parents de Jérôme continuèrent à le sermonner. Mais face à son silence désespéré, ils ne trouvèrent rien de mieux à faire que s’invectiver l’un l’autre :
- Je t’avais dit que nous n’avions pas besoin d’être deux là-bas !
- Ca c’est certain ! Tu as passé ton temps à te maquiller !
Jérôme soupira avant de trouver refuge dans la chambre d’Eric.

Johnson filait dans le ciel à la vitesse du son. Il atteignit l’île en moins d’une minute. A peine posé sur la plage de sable fin, il tomba à genoux. Son corps de guerrier invincible se flétrit et il redevint provisoirement John Carson, un simple être humain, rongé par la perte de la femme aimée, de sa moitié.
Il n’avait pas pu retrouver son corps, mais il lui devait toujours une sépulture digne de ce nom. Le visage de Linda revint danser dans son esprit. Et avec lui, tout un cortège de souvenirs à l’ineffable beauté. Il se rappela leurs dernières vacances. Un voyage exceptionnel au Tibet grâce à des années d’économie. Un voyage et une seconde Lune de Miel.
Il contempla ses mains à travers le rideau de ses larmes. Ses pouvoirs allaient peut-être enfin lui servir à autre chose qu’à tuer et à détruire. Ses mâchoires se crispèrent et il plongea ses bras jusqu’aux coudes dans le sable. Des éclairs jaillirent à nouveau de son corps. Il redressa la tête et regarda la montagne s’élever devant lui.

Jérôme regarda autour de lui. Chaque objet de la pièce avait une histoire qu’il connaissait. Il se rappela chacune d’elle avec une émotion plus vive qu’il ne l’eut souhaité.
Ici, un poster glané à un concert de rock. Là, une planche de skateboard offerte à son anniversaire : le fruit de plusieurs années d’économie. C’était un modèle unique. Il avait fait gravé le nom de son frère et celui de son idole dans cette discipline.
Des idoles, Eric en avait des tas. Mais Jérôme avait toujours tout fait pour être en haut de la liste.
Il prit place devant le PC et se mit à pleurer doucement, sans un bruit. Et puis son regard tomba sur la jaquette de Crim’In dédicacée par Donald Buff en personne :

Pour Eric, un joueur plein d’avenir.

D.B
.


Ses larmes séchèrent instantanément. Il pianota sur le clavier pour s’inscrire sur le forum officiel du jeu.


03h32 Los Angeles - Studio Dead Zone

- Il est au Tibet.
- Quoi ?
- John Blossom, le créateur de John Carson. Il est en vacances au Tibet. Et il en a encore pour une semaine. Je crois qu’on peut faire une croix sur lui.
Harvey eut un regard de dieu courroucé.
- Foutu alpiniste !
Puis il fixa Dave avec toute la sympathie dont il était capable dans sa situation.
- Donne-moi une bonne nouvelle. Tu as localisé cet emmerdeur ?
- J’ai consulté les vidéos et les témoignages les plus récents des joueurs. Il a été vu pour la dernière fois à la sortie de Slaughterfalls. Là même où habitait John Carson. Il apparaît de plus en plus probable que ce bug est apparu au moment même où ce John Carson a disparu des effectifs de l’IA.
Harvey ne fit aucun effort pour cacher son inquiétude.
- Tu es en train de parler d’évolution ?
Dave se contenta d’un simple haussement d’épaules. Harvey renonça à s’emporter. La panique était la dernière des options.
- A moins de trois mois de la sortie de la prochaine extension, on ne peut pas se permettre ce genre d’anicroche. Les joueurs parlent entre eux. Les forums sont faits pour ça. S’il y a un élément qui fait obstacle à leur plaisir de joueur, la réputation de Crim’In est menacée.
- On peut mettre tout le monde sur le coup. On peut en faire notre nouvelle priorité.
Harvey caressa son menton rasé de près.
- Non. Il est hors de question de changer nos plans. Et puis Donald ne doit rien savoir. Il y a sûrement un moyen de préserver notre intégrité et nos enjeux premiers.
Après quelques secondes le visage de Dave s’illumina.
- Tournons la situation à notre avantage.
Les sourcils d’Harvey lui intimèrent de s’expliquer.
- Faisons croire que ce bug est sous notre contrôle, qu’il est un choix délibéré de notre part. Ici, nous avons quasiment les mains liées. Mais pas certains joueurs. Organisons un concours. Celui qui parviendra à éliminer John Carson – ou plutôt ce qu’il est devenu – se verra offrir un séjour tous frais payés dans les locaux de Dead Zone avec en prime le privilège d’assister au développement de la prochaine extension. Imaginez la réaction. Le rêve pour des millions de fans. Une telle offre, une telle récompense ! Qui voudrait passer à côté ?

Sur les forums et dans les conversations en général, la tension commençait sérieusement à monter et la liste des doléances des joueurs grossissait de minute en minute. L’existence d’un mystérieux personnage capable de neutraliser les joueurs les plus aguerris était maintenant connue de tous. Il avait eu droit à bien des surnoms depuis ses premiers exploits, mais tout le monde s’était finalement accordé pour l’appeler Big Bug. Un nom plutôt justifié à défaut d’être réellement inspiré. En quelques heures Big Bug avait considérablement éclairci le nombre de joueurs connectés sur le réseau. Et c’était une raison suffisante pour faire de lui le scoop le plus important du moment au même titre que la sortie de Fire From Ashes, la prochaine extension de Crim’In. Quand il fut avéré que les deux étaient intimement liés par un défi lancé aux joueurs du monde entier par Dead Zone, ceux qui se trouvaient dans l’incapacité d’y participer virent leur frustration monter d’un cran. Les autres discutaient déjà stratégie et graissaient virtuellement leurs armes. Crim’In n’en finissait pas de monopoliser l’attention. Question d’habitude. Mais cette fois la situation exigeait des joueurs un investissement tout a fait inédit.
Des affiches improvisées fleurirent dans les différents états du jeu. On pouvait y voir les différents visages connus de l’ennemi virtuel numéro un, accompagnés du message suivant : "Avez-vous vu ce type ?" et d'une adresse internet.

Mais cette chasse à l’homme - aussi séduisante était-elle – ne faisait malgré tout pas l’unanimité parmi les joueurs. Si la plupart voyaient en Big Bug une poule aux œufs d’or, d’autres l’avaient élevé au rang d’icône intouchable et de ce fait voyaient d’un très mauvais œil cette campagne destinée à l’anéantir sans autre forme de procès. Pour eux, ce n’était ni une anomalie, ni une carotte pour amadouer les geeks. Mais bien l’avènement d’une ère nouvelle ou l’IA avait enfin son mot à dire. Cette croyance devint très vite une croisade et ses sympathisants eurent tôt fait de se trouver un leader à la mesure de la tâche. C’était une jeune femme de 21 ans prénommée Iko, originaire du Japon. Elle baptisa son groupe les Protecteurs et déclara rapidement la guerre aux Chasseurs qui trouvèrent également un chef digne d’eux.

 

11. Succès déverrouillé : Wargames



Iko pilotait sa fidèle Manta verte et rose estampillée 52, le tout dernier modèle de moto de course de Kawasaki. Il n’était même pas encore sorti chez les concessionnaires. Crim’In était devenu la parfaite vitrine virtuelle pour toutes les grandes entreprises. C’est aussi grâce à ce stratagème que Donald Buff avait engrangé un maximum d’argent. Suite au succès fulgurant du jeu, les fabricants de tous horizons avaient fait la queue devant D.I.E.U. pour signer un contrat exclusif de partenariat. Crim’In générait plus de publicité qu’un bouquet de chaînes satellites.
Iko progressait sur le toit des immeubles, bondissant comme un fauve. En contrebas, un convoi mêlant jeeps, camionnettes et 4x4 remontait l’avenue. A sa tête, une rutilante Ferrari noire qui abritait sans nul doute le chef des Chasseurs.
Iko jeta un bref coup d’œil au convoi avant de s’adresser à ses troupes encore invisibles :
- Ils ont localisé Big Bug un peu plus loin, à MicroSouth. L’info vient d’être confirmée. Ils ne soupçonnent pas que nous le savons.
Sur un autre toit, un Protecteur mettait le défilé en joue avec son fusil de sniper.
- Qui est la taupe ?
- Peu importe, répondit sèchement Iko. A vous de jouer !
Ces mots à peine achevés, des explosions tonitruantes vinrent décimer la petite armée. Deux motos jaillirent de nulle part et se rabattirent sur les flancs de la Ferrari qui accéléra de plus belle. Le passager d’un des pilotes braqua un lance-roquettes sur le bolide. Et jubila.
- Tu vas t’envoler, T-Hawk !
Au moment où son doigt allait presser la détente, le toit de la voiture s’éjecta. Les quatre Protecteurs furent stupéfaits en voyant qu’il n’y avait ni pilote, ni passager.
- C’est un piège ! Foutons le camp !
La Ferrari devait être truffée de C4, car l’explosion qui s’ensuivit rasa pratiquement tout le quartier.
La Manta s’arrêta au bord d’un toit. Iko ôta son casque et ce faisant, son gamertag se modifia et devint T-Hawk. Quant à son visage, ce n’était pas celui d’une jeune japonaise. C’était celui d’un jeune français aux traits durcis, au regard de braise. Il s’appelait Jérôme.
Lui qui n’avait connu le jeu que par les exploits de son frère s’était métamorphosé en machine de guerre virtuelle en un temps record. Les astuces, les codes, les mods, tout ce qui permettait à un joueur de supplanter les autres et de dominer le jeu, Jérôme les avait traqués. Il n’avait pas l’expérience, ni le temps et la patience de l’obtenir. Alors il avait utilisé d’autres moyens.
Détruire Big Bug ne lui garantirait aucunement la survie d’Eric. Mais il était convaincu que cela pencherait dans la balance. Et à partir de là, tout ce qui se ferait obstacle à sa quête serait une menace pour son frère. Et un ennemi pour lui.
Des tirs de gros calibre l’arrachèrent à ses réflexions. Un avion de chasse venait de le prendre pour cible. Le Harrier Miller41 était encore au stade de prototype dans les usines réelles, mais qu’importait, dans le ciel de Crim’In il évoluait déjà avec une aisance stupéfiante pour un appareil de son envergure. Avant que la poursuite ne s’engage, Jérôme eut le temps de voir une inscription sur le fuselage :
IKO Guide des Protecteurs de BIG BUG
Contrairement à lui, elle ne se cachait pas.
Aux commandes, la belle asiatique affichait autant de détermination que son ennemi. Et les rafales de mitrailleuse qu’elle lui adressa constituaient déjà de sérieux avertissements.
Jérôme avait triché avec son image, retournant la situation à son avantage. Cette manipulation faisait de lui un génie pour certains. Pour Iko, cela ne faisait qu’accroître la haine qu’il lui inspirait.
La Manta franchit le vide la séparant de la route et tandis qu’elle s’éjectait du toit, l’immeuble derrière elle disparut dans une explosion dantesque. Le lance-missiles du Miller41 n’était pas encore breveté qu’il faisait déjà des prouesses.
La moto bondit par-dessus les décombres. Sur elle planait l’ombre du Harrier, tel un oiseau de proie futuriste. Iko renversa son appareil à la verticale, le nez pointé vers le sol. Grâce à ses tuyères orientables, le Harrier pouvait s’affranchir un maximum de la gravité. Iko ouvrit le toit du cockpit et après avoir évalué les risques, elle enclencha l’éjection et se retrouva derrière Jérôme.

Dans le cybercafé le plus populaire d’Hiroshima, les cris des spectateurs saluèrent son exploit. Tous les joueurs sans exception s’étaient détournés de leur propre partie en réseau pour venir assister au spectacle. Dans la rue, c’était la cohue et des journalistes avaient même fait le déplacement pour couvrir l’évènement. Le quotidien de Crim’In devenait facilement une exclu alors quand les chefs des deux factions les plus importantes s’affrontaient, les chaînes se déchaînaient pour avoir la primeur de l’évènement. Les paris étaient lancés. L’affaire était forcément juteuse.


Chez Dead Zone, on se frottait les mains. L’agitation atteignait aussi son paroxysme. Harvey Wizard crut sage d’user de son autorité afin de restaurer le calme et un professionnalisme plus que salutaire.
- Que les joueurs ne se contrôlent pas, c’est dans l’ordre des choses. C’est ce qui fait vivre Crim’In. Que vous les imitiez, non.
Lorsque l’équipe technique reprit son activité, Dave leva le nez de son écran pour s’adresser à son supérieur :
- Devons-nous intervenir ?
- Pourquoi le devrions-nous ?
- A votre avis qu’en pense Donald ?
Harvey repensa à l’image de la navette Crim’In. Fallait-il songer au crash ? Non. Harvey s’interdisait de le penser.
- Je l’appellerais quand je le jugerais nécessaire.
Dave tressaillit en regardant son écran. Harvey l’imita.
- Que se passe-t-il encore ?
- Un pic d’activité sur l’île sans nom, au large du continent.
- Activité des joueurs ?
- Non.
- Activité de L’IA ?
- Je ne sais pas. La signature est inconnue.
- Alors c’est sûrement lui. Que fait-il ?
- Il est en train de modifier le relief. On dirait qu’il … Il est en train de façonner une montagne.
Harvey quitta l’écran des yeux et s’abîma dans ses réflexions. Il ne savait pas pourquoi Donald Buff n’était pas encore au courant de la situation. Avec les médias, qui pouvait l’ignorer. Peut-être l’ignorait-il délibérément. Peut-être était-ce une forme de test. Et si ce bug était ni plus moins la dernière œuvre de Buff afin d’asseoir sa réputation ? Il était assez fondu pour ça. Mais encore une fois, Harvey refusa d’aller où son imagination l’entraînait.
C’était juste un problème. Et il fallait le résoudre.
- Transmettez sa position aux joueurs.
- Un joueur est à l’hôpital. Des incidents ont été signalés un peu partout. A commencer par ici. Vous le savez. Si on fait ça, il y aura peut-être des morts, Harvey ! Nous naviguons en terre inconnue, désormais.
Dave dévisagea son supérieur avec une gravité inaccoutumée. Harvey soutint son regard avec une assurance qui en disait long sur son propre jugement.
- Dois-je t’en tenir responsable ?
Dave se recroquevilla sur sa chaise. Harvey croisa ses bras sur sa poitrine.
- Lâchons les chiens. Que la curée commence.

Iko dégaina le sabre ornant son dos pour décapiter Jérôme. Ce dernier la prit de vitesse. Il s’appuya sur les poignée de la moto et se soulevant, lança une furieuse ruade. Frappée de plein fouet, Iko fut catapultée en arrière pour réintégrer malgré elle le cockpit du Harrier qui l’avait sagement suivi. Elle lança une bordée d’injures dans sa langue natale. Reprenant le manche, elle redressa le nez de l’appareil tandis que la Manta filait plein gaz vers l’entrée d’un immeuble vitré d’une vingtaine d’étages.

- Jérôme, tu viens manger ?
Il n’était pas loin de 14h. Jérôme savait qu’il était contre-nature de faire ce qu’il faisait alors que la vie de son frère ne tenait qu’à un fil. Il devrait être en train de prier, de se recueillir avec ses parents, d’éplucher les albums de photos, n’importe quoi qui puisse témoigner de l’amour qu’il lui avait toujours porté. Mais il savait aussi que ce qu’il était en train de faire était paradoxalement la meilleure preuve d’amour qu’il puisse lui témoigner. Il reprenait son flambeau, il marchait sur ses traces. Il devenait le personnage que son frère avait toujours voulu incarner. Si Eric s’éveillait et apprenait son ascension dans Crim’In, il serait fier de lui comme jamais. Fier d’être son frère. Et cette perspective valait à elle seule l’entreprise désespérée dans laquelle il s’était embarqué si précipitamment.
- Ne m’attendez pas. Je n’ai pas faim.
Aussi il avait faim. Faim de victoire, de succès. Faim de suprématie. Lui qui était en quête de son avenir venait enfin d’en trouver un qui le comblait.

L’avion mitrailla la façade du bâtiment alors que la moto plongeait à l’intérieur.
Iko enclencha le détecteur de chaleur. Le signal était perturbé par des émissions diverses provenant des canalisations et des appareils électriques.
Le jeu était parfois si réaliste que cela faisait froid dans le dos.
Elle stabilisa l’appareil. Au 21ème étage, le détecteur repéra une source de chaleur extrêmement véloce. Elle allait presser la commande du lance-missiles, puis se ravisa. C’était un peu trop facile. Elle attendit. Lancée à plein régime la Manta traversa une fenêtre et s’élança vers l’avion inerte. Iko écarquilla les yeux de stupeur. Le pilote n’était pas sur la moto. Elle le repéra du coin de l’œil, suspendu à la façade au moyen d’un grappin. Dans son autre main, il tenait un détonateur. Et il jubilait.
- Envole-toi, Iko !
Iko enclencha derechef l’éjection. La moto transformée en bombe percuta le Harrier, le réduisant à un amas de métal carbonisé. Jérôme produisit une grenade qu’il lança avec adresse. L’explosion déchira le parachute de son adversaire. Iko regarda le sol se rapprocher. Elle était beaucoup trop haute. La chute allait la tuer. Si son avatar mourrait, elle n’était pas certaine de pouvoir se reconnecter. BIG BUG semblait avoir bloqué toutes les entrées depuis peu.
Il lui fallait des ailes dans le dos.

Un joueur qui se trouvait tout près d’elle lui murmura quelque chose à l’oreille. Elle le dévisagea un instant avant de l’embrasser sur la bouche, provoquant une mini émeute dans le cybercafé.

Elle entra le code et sitôt après son avatar fut nanti d’un jet pack qui le propulsa vers son adversaire abasourdi.
Jérôme reprit rapidement ses esprits. D’un mouvement souple, il se balança à l’intérieur du bâtiment. A peine atterri, Iko le projeta violemment au sol. Jérôme lança sa jambe en avant, mais se retournant habilement, Iko se servit de son propulseur comme d’un bouclier efficace. Jérôme se jeta sur elle. Ils improvisèrent une danse avant de basculer à travers une vitre. Iko enclencha son jet-pack, leur épargnant une chute mortelle, et d’un coup de tête se dégagea de l’étreinte de Jérôme. Ce dernier perdit la seule prise qu’il avait et tomba vers le sol.

Iko poussa un soupir repris par ses admirateurs.

Jérôme en profita pour lui mettre littéralement le grappin dessus. Ecoeurée, l’asiatique contempla son ennemi relié à elle et qui s’efforçait visiblement de l’entraîner vers le bas. Elle dégaina alors son sabre. D’un coup de lame, elle trancha comme un fruit mûr la grenade que venait de lui lancer Jérôme avant de couper le câble du grappin qui lui mordait la cuisse.
Jérôme regarda son avatar se rapprocher dangereusement du sol. Sans trop s’inquiéter. Et pour cause. Lorsqu’il heurta le bitume crevassé de la route, son corps ricocha comme une balle. Iko ne put rien faire pour l’arrêter. Il la percuta avec une brutalité qui fit frémir les fans de la joueuse experte. Il y eut une sorte d’éclair et la seconde d’après, Iko était précipitée vers le sol. Epouvantée, elle regarda son ennemi ajuster le jet-pack sur son dos. Elle comprit qu’il avait toutes les cartes en main. Elle comprit qu’il avait tous les atouts. Tous ? Non, il lui en restait un : le sabre explosif ! Elle tâtonna dans son dos à la recherche de son arme avant de l’apercevoir dans la main de Jérôme. Et il jubilait.
- C’est sûrement ça que tu cherches !
La seconde d’après, il balançait le sabre vers elle. Lorsque la lame transperça la poitrine de la belle asiatique, l’explosion qui résultat de l’impact mit fin aux espoirs d’un très grand nombre.
Un homme creva péniblement la foule de curieux avant de pouvoir approcher une Iko en piteux état. Il s’inclina respectueusement avant de déclarer :
- Je sais où est BIG BUG !
Iko le toisa avec sévérité.
- C’est de source sûre ?
- Oui. Une fuite du studio.
Cette annonce ne fit qu’attiser la douleur de la jeune femme. Elle remercia l’informateur avant d’essayer de se reconnecter. Bien entendu, elle n’y parvint pas. Pas plus que les autres joueurs présents dans l’établissement. Elle renifla pour s’empêcher de pleurer. L’homme qu’elle rêvait de rencontrer, qu’elle avait tout fait pour protéger l’empêchait involontairement de l’aider.
Elle se tourna vers l’informateur :
- Les chasseurs sont au courant ?

- C’est de source sûre ? demanda Jérôme à son informateur. Celui-ci n’était autre qu'un joueur connu sous le pseudo de AZERTY.
- Oui. C’est une annonce non officielle. Une fuite de Dead Zone.
Suspendu entre ciel et terre au moyen du jet-pack, Jérôme semblait consulter l’horizon comme pour y trouver la solution à un épineux problème.
- S’il est là-bas, je le trouverai et je le détruirai. Fais passer le mot aux autres.
Jérôme allait couper la communication, mais il ajouta :
- Tu m’as bien aidé depuis le début. Je te donnerai le prix du concours quand je l’aurai gagné.
AZERTY sourit tellement que cela s’entendit presque.
- Mais si Dead Zone fait des histoires ?
- Ils n’en feront pas. Ils n’en font jamais. Les histoires c’est les joueurs qui les font.
- J’espère vraiment que ton frère va s’en sortir.
- Je l’espère aussi. Sinon c’est Donald Buff qui va en subir les frais. Et ce sera pas virtuel, cette fois.


- Ils ont tous mordu à l’appât, fit Dave en réfrénant maladroitement sa fierté.
Harvey posa une main sur son épaule. Ce qui était évidemment plus qu’un simple geste de reconnaissance.
- Bien joué le coup de la fuite, Dave. Au terme de cette mésaventure, tu pourrais devenir un bon chef de projet. Chez Blue Pill, apparemment, il leur manque un mec inspiré et réactif. Tu ferais parfaitement l’affaire. En plus, tu as déjà travaillé chez eux.
Dave allait rétorquer qu’il se trouvait très bien à Dead Zone et que la perspective de retourner chez son ancien employeur ne l’enchantait pas particulièrement, mais quelque chose lui dit que ce n’était pas la réponse qu’attendait Harvey. Peut-être était-ce dû à la pression sensible de sa main sur son épaule.
- Ce serait un honneur, Harvey.
- Bien, bien. D’autres bonnes idées ?
Harvey avait raison. Dave se sentait vraiment inspiré.
- On pourrait reprogrammer l’IA pour donner des alliés aux Chasseurs.
Le regard et la main de Harvey se firent moins tendres.
- Allons, Dave. Tu viens à peine de gagner des points que tu en perds déjà. Si c’est l’IA qui supprime BIG BUG, à qui je remettrai le prix ?

La montagne était achevée. Sa cime se perdait dans les nuages. A son sommet, il avait édifié un temple semblable à celui qu’ils avaient visité durant leur séjour au Tibet. Et dans la montagne même, creusant la roche de ses mains nues, il avait sculpté le visage de Linda à la manière des figures des présidents américains taillés sur le mont Rushmore.
Cette nouvelle merveille du monde ne manquerait pas d’attirer l’attention sur lui. Il s’en moquait. Rien n’était trop beau pour Linda. Cette montagne était comme une pyramide, le tombeau d’une reine. Suspendu entre ciel et terre par des moyens dont il ignorait toujours la provenance, John semblait consulter l’horizon comme s’il y était inscrit la solution à un épineux problème. C’est comme ça qu’il vit les hélicoptères de combat et les avions de chasse approcher. Ils venaient pour lui. Il le savait. Tout comme il savait qu’ils ne feraient pas le poids face à lui. Il contempla une dernière fois son œuvre avant de fermer les poings et de s’élancer vers l’armée venue l’anéantir.

Bien qu’étant incapable d’œuvrer directement dans le jeu, Iko n’en était pas impotente pour autant. Via une web-cam, elle organisa un briefing avec ses troupes. Elle savait que les Chasseurs allaient choisir la voie aérienne pour se rendre sur l’île. Alors elle ordonna aux Protecteurs de prendre la mer.

- Harvey, on vient de recevoir un message du frère du jeune joueur français qui est à l’hôpital.
Harvey grimaça.
- On s’est excusé, non ?
- Il veut plus.
La grimace de Harvey aurait fait rire Dave dans d’autres circonstances.
- Non, pas d’argent, le rassura Dave. Il veut juste des codes.
- Des codes ?
- Oui. Il dit qu’il en a récupéré pas mal, mais que les meilleurs sont sans doute encore chez nous. Il veut qu’on les lui donne. Il n’y a qu’à cette condition qu’il pourra être certain de vaincre BIG BUG. Inutile de vous rappeler que ça arrangerait tout le monde qu’il réussisse.
- S’il réussit, il gagnera le concours et nous devrons l’accueillir ici à bras ouverts. Et à dire vrai, cela ne m’enchante pas. Il nous tient en grande partie responsable de ce qui est arrivé à son frère, même s’il est resté plutôt discret sur le sujet. Je sais lire entre les lignes. Sitôt qu’il aura fait sa fête à Superman, je me dis qu’il aurait bien l’intention de venir foutre la merde ici.
- S’il avait dû le faire, vous ne croyez pas qu’il l’aurait fait depuis longtemps.
Harvey expira bruyamment.
- Qui sait ce qui peut passer par la tête d’un français ?
Il mit ses mains derrière le dos et commença à arpenter nerveusement la pièce. L’image de la navette Crim’In revint alors le hanter.
- Donne lui les codes. Même ceux de la prochaine extension.
Dave ne put s’empêcher de sourire. La bataille qui s’annonçait resterait à coup sûr dans les mémoires.

 

12. Succès déverrouillé : God of War



L’océan fourmillait de navires en tout genre. Pour leur baroud d’honneur, les Protecteurs avaient mis le paquet.
Certains Protecteurs étaient des joueurs parmi les plus expérimentés aussi la flotte entière bénéficiait-elle de leur savoir-faire. Les porte-avions et torpilleurs progressaient de concert avec des catamarans, des yachts et des scooters de mer, tous armés et transformés en conséquence. Sous la surface plusieurs sous-marins. Dans l’un d’eux – le Normandie – un joueur connu sous le nom de Freeman dirigeait cette opération de grande envergure. Il tenait ses ordres de Iko. Durant les derniers mois, ils avaient régulièrement joué en COOPération. Ils avaient donc partagé un certain nombre de victoires. Maintenant qu’il était seul, il comptait bien ne pas la décevoir.
Quand Jérôme arriva en vue de l’hétéroclite armada, il se dit que ce serait l’occasion idéale de tester ses tous nouveaux pouvoirs avant d’en découdre avec BIG BUG.
Il ôta le jet-pack de ses épaules et le regarda tomber vers l’océan s’étendant sous lui. Il sourit jusqu’aux oreilles en voyant qu’il demeurait en totale apesanteur. Les codes que lui avait fourni Dead Zone fonctionnaient à merveille. Il avait désormais le pouvoir de voler et il n’allait pas s’en priver.
- On vient de repérer BIG BUG. Il est juste au-dessus de nous !
Freeman scanna le ciel à l’aide des drones caméras survolant la flotte et obtint une image de la cible.
- Non, ce n’est pas BIG BUG. Mais c’est quand même un ennemi. C’est T-Hawk, le chef des Chasseurs. C’est lui qui nous a privé d’ Iko. Ne lui faisons aucun cadeau.
Dans les secondes qui suivirent, le ciel se moucheta de noir. Jérôme se retrouva pris dans un concert de tirs et de déflagrations. Il vit la barre d’énergie de son avatar diminuer sensiblement malgré les codes d’immunité fournis par le studio. Il prit conscience que tout comme lui les Protecteurs devaient bénéficier d’un certain nombre de ressources exclusives acquises grâce à leur expérience commune du jeu. Mais c’était loin d’être suffisant pour le ralentir.
Il tomba en piqué vers l’océan. Les projectiles – d’où qu’ils venaient – ricochèrent sur lui en produisant de vives étincelles. Le porte-avions qui accueillit sa chute se brisa littéralement en deux, précipitant dans l’eau les appareils qu’il transportait. Jérôme poursuivit sa trajectoire sous l’océan. Il sourit en apercevant la silhouette furtive d’un sous-marin. Son sourire s’élargit lorsqu’il repéra l’avatar se tenant à l’intérieur.
A bord du Normandie, Freeman s’inquiétait de ne plus voir leur adversaire. Et puis il s’aperçut que le submersible se rapprochait inexplicablement de la surface. Sans qu’il en ait donné l’ordre.
- Qui est-ce qui…
Le sous-marin creva la surface de l’océan dans un puissant geyser d’eau et monta dans le ciel, au-dessus de la flotte, tel un dirigeable. Jérôme le soulevait à bout de bras. Il souriait. Il était comme un enfant s'amusant avec ses jouets dans son bain.
- Torpille droit devant !
Il balança le sous-marin vers les bâtiments de guerre les plus redoutables. La collision fut inévitable.

Tandis qu’il privait un chasseur de ses ailes, Johnson aperçut l’explosion. Apparemment il n’y avait pas qu’un champ de bataille. Il ignorait ce que cela impliquait, mais cela ne le tracassait pas. Il le saurait bien assez tôt. Et puis, il avait d’autres chats à fouetter. Ou plutôt d’autres oiseaux.
Le pilote d’un hélicoptère lourdement armé le verrouilla. Le joueur qui était aux commandes ne put se retenir de le faire savoir.
- Je l’ai dans ma ligne de mire !
Seulement Johnson l’entendit. Une seconde plus tard, l’hélicoptère coupé en deux se crashait dans l’océan.
Une escouade de chasseurs lança une vague de missiles à tête chercheuse sur la cible. Mais les projectiles sitôt arrivés à proximité de Johnson se détournèrent de lui et retournèrent à l’envoyeur. Avec infiniment plus de résultat.
- Utilisez vos boucliers ! hurla un joueur.
La situation n’était pas réjouissante. Johnson avait déjà réduit l’escadrille de moitié en quelques mouvements. Mais le plus inquiétant restait à venir.
Johnson s’enferma dans une sphère translucide imperméable aux tirs adverses. Son diamètre augmenta rapidement, tant et si bien qu’elle engloutit bientôt la totalité des Chasseurs, les attirant à elle comme un aimant. Une fois à l’intérieur, les avatars des joueurs étaient incontrôlables.
Johnson ferma les yeux.
- Rendez-moi Linda. Rendez-moi ma femme.
Sa voix claire et tonnante fut entendue par tous les joueurs.
- Rendez-la moi ou vous mourrez tous.
La menace n’était pas à prendre à la légère. Grâce à de nombreux témoignages – dont celui de Jérôme - tout le monde le savait. Mais aucun des joueurs n’était en mesure de répondre favorablement à sa requête.
- Pourquoi vous l’avez tué ? Pourquoi vous voulez ma peau ? Qu’est-ce que je représente pour vous ? Dites-moi qui je suis ?
Ses yeux s’étaient rouverts. Ses pupilles étaient devenues des feux follets.
Après un silence interminable, un joueur osa prendre la parole :
- Demande à D.I.E.U.
Johnson secoua la tête comme pour refuser la réponse.
- Dieu ?
Ou une idée plus terrible encore.
- Alors qu’il me pardonne.
L’instant d’après, la sphère éblouissait l’écran de chaque joueur susceptible de la voir.
Et pour un certain nombre, ce fut la dernière chose qu’ils virent.

 

Chapitre 13 : Criminalité Intensive



- C’est une catastrophe !
Harvey Wizard, Dave Matheson ainsi que tout l’équipe du studio regardaient les images des journaux télévisés. Partout les mêmes scènes de violence surréaliste. Des affrontements qu’on n’avait pas vu depuis des années. Depuis l’avènement de Crim’In, en fait.
Les Chasseurs et les Protecteurs poursuivaient leur guerre dans la réalité. Mais les conséquences n’étaient plus les mêmes. Et quand ils ne se battaient pas, c’était le studio Dead Zone qu’ils pointaient du doigt. Des joueurs avaient été grièvement blessés suite à la dernière attaque de BIG BUG. D’autres avaient eu moins de chance. Les avocats du studio étaient déjà en pleine plaidoirie. Ca sentait vraiment le roussi. Le vandalisme était revenu lui aussi au goût du jour. Les affiches du jeu en avaient fait les frais. On pouvait lire :

CRIM’INels !!!



Ou encore :

DEAD ZONE IS DEAD



Mais d’autres messages étaient moins aimables.
Harvey et Dave se dévisagèrent. Ils avaient le sentiment de partager la responsabilité de ce chaos. Et ce n’était pas qu’un sentiment.
La voix d’un employé se fit entendre dans l’oreillette du responsable.
- Oui, Ed. Ok, passe-le moi !
Dave dévisagea son supérieur. La crainte le disputait à l’espoir.
Après avoir coupé l’appel, Harvey s’assit. Il paraissait avoir le souffle coupé.
- C’était un dénommé Jimmy Bottleweek. Il prétend être la cause de toute cette pagaille.
Dave l’invita à poursuivre.
- Il a été banni du forum du jeu pour avoir tenu des propos diffamatoires sur D.I.E.U. et Buff. Pour se venger, il a crée un virus dont il ignorait les effets exacts. Il est convaincu que c’est ce qui a donné naissance à BIG BUG. Il ne voulait pas que ça aille aussi loin. Il assume complètement ses actes, mais avant de payer son crime, il tient à réparer les dégâts. C’est pour ça qu’il a appelé.
Dave prit quelques instants pour digérer l’information.
- Il a donné une solution ?
Harvey soupira.
- J’ai envoyé quelqu’un le chercher. Il sera bientôt là. On a de la chance, il habite l’état.
Dave reporta son attention sur son écran.
- Il ne reste plus qu’un joueur pour affronter BIG BUG. C’est le frère d’Eric.
Harvey secoua la tête.
- Envoie-lui l’info. En espérant que cela suffise à le faire renoncer.
Mais aucun des deux hommes n’en était convaincu.

 

14. Succès déverrouillé : Duel



Il ne restait donc que Jérôme et BIG BUG. Chacun de son côté avait œuvré pour en arriver là.
Chacun avait décimé une armée en usant de pouvoirs propres à le faire passer pour un dieu.
La nouvelle de leur affrontement imminent eut tôt fait d’être colporté sur Internet, de forums en forums et de sites en sites. Rapidement des écrans géants furent installés un peu partout, principalement dans les grandes villes et les capitales. Los Angeles, New York, Washington, Miami, Paris, Tours, Orléans, Marseille, Madrid, Londres, Berlin, Rome, Moscou, Athènes, Sydney, Tokyo et Hiroshima furent bientôt les témoins du duel de pixels le plus mémorable de toute l’histoire vidéoludique. Ce qui pour eut effet d’éteindre momentanément le brasier de haine qui avait soufflé sur le monde. Les émeutiers déposèrent les armes et les yeux rivés sur l’écran le plus proche, ils découvrirent la scène suivante :

Johnson se posa près de sa maison. Sa voiture était toujours là, remplie de leurs affaires, prête au départ. Cette vision lui causa un véritable choc. Il se rappela cette sensation d’entrer dans une sorte de parenthèse de sa vie juste avant qu’il ne devienne à son tour un assassin. Elle n’était toujours pas fermée, il en était toujours prisonnier. Tant qu’il ne reverrait pas Linda, il ne pourrait en être autrement.
Il poussa la porte de la maison et se rendit dans la chambre sans s’arrêter. Il ouvrit sa commode et fouilla les tiroirs. Il crut pendant un moment que Linda avait fini par le jeter à son insu. Elle l’avait toujours détesté. Et puis il le trouva enfin. Il déplia le T-Shirt. Il y avait une série de logos dessus et les mots suivants :

D.I.E.U. et Dead Zone sont fiers de vous présenter :

CRIMINALITE INTENSIVE

Maintenant, on ne joue plus !


Ce message l’avait toujours intrigué sans qu’il ait pu véritablement savoir pourquoi. Aujourd’hui, ce simple vêtement imprimé lui apparaissait sous un nouveau jour, comme détenteur d’une vérité suprême.
« Demande à Dieu. » avait dit l’un des pilotes.
Oui. A présent, cela était évident. Seul Dieu pouvait avoir les réponses à ses questions.
Mike avait fermé son bar, mais ses fidèles clients l’avaient accompagné jusqu’à la place où étaient diffusées les images du jeu. A côté de lui, l’ouvrier et l’étudiant s’interrogeaient sur le devenir de BIG BUG. Etait-il en train de comprendre qui il était ? En était-il capable ? Les programmeurs avaient vraiment de l’imagination. Le scénario était du jamais vu dans l’histoire des jeux vidéos. Un oscar a la clé pour Dead Zone ?
Iko était littéralement hypnotisée par les images de son idole. Elle priait comme elle n’avait jamais prié. Elle aurait tellement voulu être là pour le réconforter. Elle voyait moins en lui un dieu courroucé qu’un enfant perdu et incompris. Elle aurait tellement voulu le réconforter. Au lieu de cela, sa tête était mise à prix. Comme un vulgaire criminel. Ses yeux se posèrent sur une affiche du concours accrochée à la hâte sur un mur. Elle la fusilla des yeux avant de cracher dessus.
John entendit un bruit venant du dehors. Il reposa le T-Shirt et sortit de la maison.
Un jeune homme était dans la rue. Il était revêtu d’une combinaison de moto. Il le dévisageait intensément. Son regard en disait long sur ses intentions. Au-dessus de sa tête flottait son nom : T-Hawk. Il serra les poings. Le nom disparut.
- A cause de toi, mon frère va peut-être mourir !
John le scruta à son tour.
- J’ai tué beaucoup de gens. Je ne l’ai pas voulu. Celui qui a tué ma femme a tout déclenché. C’est lui le véritable meurtrier.
Voyant que cela ne calmait pas le visiteur, John demanda :
- Comment était ton frère ?
Jérôme avait les larmes aux yeux. Il repensa à la dernière fois qu’il avait vu Eric, à la dernière fois qu’il lui avait parlé.
- Tu n’as pas pu l’oublier. Il n’avait que quinze ans. Et il avait les yeux bleus.
- Des yeux magnifiques, compléta Johnson.
Les deux adversaires se jaugèrent.
Tout discours ou débat était désormais superflu. Seuls leurs pouvoirs pourraient parler en leur nom.
- Pas ici, décréta Johnson.
Puis il disparut. Il réapparut sur un parking. Jérôme était là lui aussi. Il plongea le bras à travers le pare-brise d’une limousine et empoignant le volant, souleva la voiture dans les airs. Johnson enfonça son bras droit dans la calandre d’un semi-remorque et brandit le véhicule avec un air de défi. Jérôme afficha sa contrariété. Il reposa la limousine. Il regarda autour de lui et son visage s’éclaira à la vue d’un bus scolaire. A son tour, il enfonça son bras droit dans la calandre et souleva le véhicule dans les airs. D’un mouvement défiant le regard, il porta un coup dévastateur devant lui. Le camion s’écrasa au sol dans une pluie de débris métalliques. Aucune trace de son adversaire.
Jérôme poussa un cri de rage mêlée de contentement. En portant son attention vers son arme improvisée, il frémit à la vue de son ennemi courant sur le flanc du bus. Johnson disparut subitement et la seconde d’après son pied droit percutait la mâchoire de Jérôme. Le garçon fut projeté dans les airs et son arme lui échappa. Il passa à travers un immeuble, percuta la route et son corps s’immobilisa contre une devanture de magasin qu’il fractura. Sur l’une des vitres figurait le portrait de Johnson, l'adresse d'un site internet et entre les deux, le message suivant :


Avez-vous vu ce type ?
 
 

Johnson effectua un bond démesuré pour le rejoindre, mais ce faisant, il vit la nuit tomber en un clin d’oeil. Il comprit que son adversaire avait le pouvoir de plier la réalité comme lui. Il n’était donc pas seul. Ils étaient pareils. Alors pourquoi se battaient-ils ?
Johnson atterrit sur le capot d’un coupé sport qu’il enfonça sans difficulté. Ses yeux fouillèrent la nuit à la recherche d’un signe de vie. Il en profita pour renouer un dialogue qui ne lui paraissait pas si vain que cela :
- Toi et moi, nous avons le même pouvoir. Pourquoi nous entretuer ? Nous sommes des jouets, manipulés par des forces qui nous dépassent. Faisons un meilleur choix que celui que l’on veut nous imposer.
Johnson s’écarta à temps pour éviter de se faire broyer sous un bulldozer. Il se concentra un instant et son corps exsuda une aura aveuglante qui illumina le quartier. Ses yeux désormais dépourvus de pupille furent en mesure de voir à travers les bâtiments et les différents obstacles présents autour de lui et susceptibles de dissimuler sa cible. Il inspecta minutieusement l’environnement. Il cru discerner un mouvement près d’un arrêt de bus, puis s’aperçut que ce n’était que le vent qui faisait voler un journal abandonné. Néanmoins cela lui donna une idée. Il se concentra à nouveau et le vent se mit à souffler plus fort. Les débris les plus légers commencèrent à voler à travers la rue, puis la cime des arbres se coucha. Les vitres tremblèrent, les antennes télé ployèrent. Johnson poussa un hurlement comme pour donner plus de force encore au phénomène. Et l’effet fut immédiat. Les poteaux électriques furent pliés par le souffle dévastateur, les voitures s’envolèrent comme des feuilles mortes. Tout cela dans un silence absolu qui donnait à la scène une allure surréaliste de fin du monde.
Les bâtiments s’effondrèrent un par un, répandant des monceaux de pierre, de verre et de métal sur le sol fendu. Un cri résonna à peu de distance suivit de la chute d’un corps.
Une silhouette auparavant intégralement camouflée dans le paysage urbain se matérialisa.
Jérôme était couché, le dos appuyé contre un monticule de gravats anciennement magasin d’alimentation. Le cataclysme cessa instantanément. Le jeune garçon toisa son ennemi d’un regard plus noir encore que la nuit qu’il avait fait s’abattre sur la ville.
- Je ne sais pas qui tu es. Certains te prennent pour un dieu, d’autres pour une simple erreur technique qui a dégénéré. Ceux qui t’on crée affirment de leur côté que tu n’es que l’homme à abattre pour accéder au prix d’un concours qu’ils ont organisé. Le gros lot d’une fête foraine virtuelle. Personnellement je me fous de tout ça. Tout ce que je vois devant moi, c’est le meurtrier de mon frère. J’ai les moyens de t’empêcher de nuire et je ne vais pas m’en priver.
Les épaules de Johnson s’affaissèrent, indiquant sa consternation. Il ne comprenait rien. A l’entendre ils ne faisaient pas partie du même monde. Comme si une frontière invisible les séparait. Il s’approcha de Jérôme.
- Mais d’où viens-tu ?
Jérôme durcit davantage son regard.
- De la réalité, mon vieux. Tu crois être vivant, peut-être ?
A ces mots, Jérôme produisit un fusil à pompe. Il tira plusieurs fois. Alors que son adversaire reculait à peine, un fusil-mitrailleur apparut dans ses mains. Il vida plusieurs chargeurs et sans attendre épaula un lance-roquettes.
Johnson secoua la tête.
- Si je ne suis pas vivant, comment pourrais-je mourir ?
La roquette fusa, mais à mi-parcours elle fut stoppée net dans sa course par un éclair. Johnson contempla le projectile auquel il venait de se relier.
- Suis-je réel ? Si je ne le suis pas, qu’est-ce qu’il l’est ?
La roquette se mit à tournoyer comme une toupie.
Jérôme restait allongé. Malgré la surpuissance de BIG BUG, il ne se sentait pas menacé. Peut-être justement parce que contrairement à lui, BIG BUG n’avait pas la possibilité de se réfugier dans une autre réalité que la sienne. Evidemment, en pensant cela, il oubliait ce qui était arrivé à Eric.
Johnson semblait avoir perdu toute hargne. Il regardait la roquette effectuait un véritable ballet aérien à sa seule demande.
- Mais peut-être suis-je déjà mort ? Prisonnier d’un rêve éternel, luttant dans un cauchemar sans fin, affrontant mes peurs les plus intimes. Enfer.
- Il philosophe. Il est capable de philosopher.
Iko ne se rendit pas compte qu’elle pleurait.
Elle posa une main sur l’écran, sur le visage de Johnson.
- Il ne faut pas que tu meures.
Le visage de Johnson s’assombrit. Un rictus déforma ses traits. Il regarda Jérôme.
- Je tuerai mille hommes pour la revoir ne serait-ce qu’une seconde. Si Dieu ne comprend pas ça, comment lui expliquer autrement ?
La roquette arrêta de tournoyer et se figea brutalement, cerclée d’électricité.
L’explosion qui s’ensuivit éblouit tous les spectateurs.
Dans la ville d’Orléans, pratiquement au même moment, les parents de Jérôme trouvèrent son corps inanimé dans la chambre de son frère, Eric, assis devant les restes calcinés d’un ordinateur. Et pratiquement au même moment, dans une chambre d’hôpital, Eric ouvrit ses magnifiques yeux bleus.

Harvey Wizard se tenait la tête à deux mains. Plusieurs ordinateurs du studio venaient de rendre l’âme suite au coup de grâce donné par BIG BUG à son ultime adversaire.
Mais évidemment, ce n’était pas ça qui le mettait dans tous ses états. Il regarda l’écran géant sur lequel lui et l’ensemble de l’équipe avaient suivi toute l’action. Ils avaient tout enregistré. En sachant désormais que ces images joueraient un rôle posthume pour le jeune Jérôme.
Dave Matheson se leva. Les mots lui manquaient. Le standard était saturé d’appels, la boîte mail débordait de messages : des menaces de mort autant que d’éloges. En tous les cas, personne n’était indifférent à la situation. Les chaînes avaient relayé l’info et diffusaient déjà en boucle le combat homérique. Dans les villes, les rues étaient encombrées de véhicules. Les conducteurs au même titre que les passants avaient assisté au duel sur l’écran le plus proche, ce qui avait occasionné des embouteillages monstrueux un peu partout.
Tout le monde allait reprendre le cours de sa vie lorsque Johnson apparut de nouveau à l’image. Il était désormais seul au monde et aucun de ces pouvoirs ne pourraient changer cela. Son visage exprima suffisamment bien cet état de fait pour que la plupart des spectateurs soient émus par son sort.
- Vous allez pas chialer, fit un homme à ses voisins. C’est même pas un film !
Si Crim’In n’était effectivement pas un film, ces derniers temps il en avait pourtant restituer toute la saveur, toute l’émotion. Personne ou presque ne s’y était trompé. Un chef d’œuvre. Un chef d’œuvre qui avait coûté des millions et hélas plusieurs vies.
Les parents de Jérôme et d’Eric pleuraient leur fils disparu autant que celui qui venait de revenir. Et Eric aurait tout le loisir de maudire son retour à la vie lorsqu’il apprendrait la mort de son frère. Cruelle ironie du sort.
Tout cela, évidemment, John Carson était loin de le deviner. Mais comment aurait-il pu ?
Il n’ y avait qu’une seule personne capable d’arrêter ce tourment. Une seule. En quatre lettres.
- Rends-la moi, hurla Johnson s’adressant à la lune, au ciel, aux étoiles.
- Réponds-moi ou je te jure que je trouverai le moyen de te rejoindre et tu devras répondre de tes propres crimes !
John tomba à genoux. Il n’était plus le titan invincible. Il était l’homme désespéré. Pourtant son pouvoir ne le quittait pas. Bien au contraire. Les écrans se brouillaient par intermittence et une tension presque palpable régnait dans le studio comme dans les avenues surchargées des mégalopoles.
C’était comme un compte à rebours avant l’explosion finale. Invisible, mais terriblement perceptible.
- Vous le sentez comme moi, fit Dave. Il peut tous nous tuer, maintenant. Sans même s’en rendre compte. Nous n’avons plus besoin d’être connectées pour constituer des cibles de choix. Oui, il peut tous nous tuer, en un éclair. Il en est capable.
Harvey soupira. Il n’était plus le chef de projet intuitif et optimiste. Il était l’homme désespéré. Et son pouvoir l’avait complètement quitté.
- Qu’est-ce que nous pouvons faire ?
Dave produisit un sourire mi-figue mi-raisin.
- Je crois que c’est le bon moment pour l’appeler.



15. Succès déverrouillé : Origines



Donald Buff se redressa dans son lit. Sa femme dormait toujours à poings fermés quelque soit le bruit. Lui devait toujours mettre des boules quiès de peur de s’éveiller au moindre grincement. Il devait tenir ça de son père. Il les ôta. Il n’avait pourtant rien entendu grâce à elles, mais ce cauchemar lui avait paru si réel que son cerveau avait préféré prendre la tangente. Les dernières bribes de souvenir de son rêve fuyaient déjà. Lorsque le téléphone sonna, il l’oublia totalement. Le jour se levait à peine. Qui pouvait bien l’appeler à cette heure-là ? Il décrocha sans grand entrain.
- Oui ?
- Donald, c’est Harvey. Désolé de vous dérangé si tôt, mais on a actuellement un sacré bug sur Crim’In.
- Allons, Harvey, des bugs, il y en a toujours eu.
- Pas des comme ça, je vous assure.
Donald posa le combiné sur ses genoux, jeta un coup d’œil à sa femme avant de demander :
- De quel genre de bug s’agit-il ?
Il y eut un silence qui ne présageait rien de bon. Puis Harvey finit par répondre :
- Le bug veut vous parler.
 

Lorsque Donald pénétra dans le studio, Harvey et Dave n’eurent pas besoin de le briefer. Sur le trajet, le président de D.I.E.U. avait eu toutes les informations nécessaires en écoutant la radio et en visionnant les principaux enregistrements. Il n’avait pas encore tout assimilé, mais son esprit était encore vif et il avait retenu l’essentiel. Le temps était compté.
Les trois hommes se postèrent devant l’écran géant et étudièrent les images comme s’il s’agissait d’un documentaire.
John Carson était agenouillé devant la montagne et le temple qu’il avait crée à la mémoire de Linda. On aurait dit qu’il méditait.
- On dirait qu’il essaye de la faire revenir, commenta Dave.
- Apparemment, il en est incapable, observa Donald en nettoyant ses lunettes.
Il donnait l’image d’un homme totalement détaché des évènements. Mais c’était sa manière d’y faire face. Et cela lui avait plutôt bien réussi jusqu’à maintenant.
- D’après ce que j’ai pu voir, c’est d’ailleurs la seule chose qu’il lui soit interdite.
Harvey essayait de se faire tout petit. Rien de tel pour se faire remarquer.
Donald le toisa sans animosité.
- Ce jeune qui a avoué être l’auteur du bug…
- Jimmy Bottleweek ! Il arrive d’une minute à l’autre.
- Vous ne trouvez pas ça extraordinaire, fit Dave en observant le héros de Crim’In. Il pleure sa femme. Si seulement John Blossom pouvait voi…
Il s’interrompit lorsque son regard croisa celui de Donald.
- Dave, dois-je vous rappeler que plusieurs morts sont à déplorer. Certains joueurs sont encore dans un état critique. C’est loin d’être la politique de la maison. Mon avatar est prêt ?
Dave opina du chef avant d’inviter les deux hommes à rejoindre son poste. Il désigna alors son écran.
- Voilà. J’ai fait comme vous m’avez dit. Il vous ressemble beaucoup. Pour la tenue, j’ai choisi quelque chose de simple. Je me suis dit que c’était important.
D’une simple moue, Donald lui signifia qu’il avait eu raison.
- Bon, déclara-t-il, on ne va pas tergiverser. Il représente une menace. Il l’a suffisamment prouvé. Dans d’autres circonstances, j’aurais loué ce qu’il représente, d’autant plus qu’il n’est pas de notre fabrication. Mais bon, Dieu en a décidé autrement.
- Dieu, c’est vous désormais, nota Dave.
Il tourna son regard vers l’écran géant.
- En tout cas pour lui.
- Comment va-t-on vous faire entrer ? s’enquit Harvey qui essayait de justifier sa présence comme il pouvait. Il a bloqué tous les accès au réseau TotaLink. On ne peut même plus ajouté d’IA. Il s’est construit une véritable tour d’ivoire.
- Il me laissera entrer, dit Donald avec un calme olympien. Il réclame une entrevue. Il l’a clairement exprimé. Il a besoin de parler, de se confier. Il ne veut plus se battre. Il va localiser le signal que nous lui enverrons et il l’interprètera comme la venue de celui qu’il attend. Je crois qu’il commence à comprendre que son monde n’est pas réel. Le problème c’est que tout comme lui, son amour a dépassé très largement le cadre d’un simple programme.
Il se mit à sourire.
- J’ai fait un cauchemar cette nuit. Mais je crois que je n’en ai pas fini avec lui.

John poussait son esprit dans ses derniers retranchements. Il ne savait s’il priait ou s’il invoquait des forces en lui encore insoupçonnées. Il capta le signal émis par Dead Zone. Il se persuada que c’était la réponse qu’il l’attendait. Pourquoi pas Linda ? Il déverrouilla mentalement l’accès au monde déserté de Crim’In comme on laisserait une idée s’épanouir dans notre tête. Il avait les yeux fermés. Il les ouvrit lorsqu’il entendit une voix près de lui.
- Je suis là.
Il se redressa et fit face à Donald Buff. Le président de D.I.E.U. – Dieu tout court pour l’occasion – portait un pantalon de toile blanche et une chemise hawaïenne. Ses cheveux presque blancs et ses lunettes lui conféraient l’image d’un savant déluré. Mais pour John Carson, il représentait les réponses à toutes ses questions et peut-être le terme de son agonie.
Son regard alla successivement de son visiteur à l’océan s’étendant à perte de vue tout près d’eux.
- Où sommes-nous exactement ?
Donald entendit la voix d’Harvey.
- Vous ne devriez pas lui dire la vérité. S’il pète les plombs, notre compte est bon !
Donald leva une main et Harvey comprit qu’il n’avait pas intérêt à jouer les entremetteurs.
- Cet endroit est le monde qui t’a vu naître, ni plus, ni moins. Que tu en sois devenu le maître, n’y change rien.
John l’étudia longuement.
- Le maître de ce monde, c’est plutôt vous, n’est-ce pas ? Pourquoi n’êtres-vous pas venu plus tôt ? Pourquoi avoir laissé ce chaos s’installer ? Pourquoi avoir permis tant d’injustice ?
A ces mots, John ne put s’empêcher de tourner son regard vers la montagne arborant le visage adoré de Linda. Ses poings se fermèrent sans qu’il en prenne conscience. Des éclairs commencèrent à zébrer l’espace des deux côtés de l’écran.
Harvey arrêta de respirer. Dave resta suspendu aux lèvres de Donald. Il le connaissait beaucoup moins qu’Harvey, mais il avait une totale confiance en lui. Après tout, c’était lui, le véritable architecte de Crim’In.
Donald essuya ses lunettes.
- Si pour toi, il n’existe qu’une seule réalité, pour moi c’est une toute autre affaire. Pour te donner une image plus parlante, ton monde n’est peut-être pour moi qu’un rêve dans lequel éclosent des éléments de mon inconscient que je contrôle donc plus ou moins bien. Ces éléments viennent naturellement à se transformer et certains le font de manière si radicale qu’ils ont vite fait de changer le rêve en cauchemar.
- Il est dingue, chuchota Harvey à l’oreille de Dave. Il se prend vraiment pour Dieu !
Dave sourit.
- Qui ne le ferait pas à sa place. Il n’est pas dingue. Il est inspiré comme jamais. Je crois qu’il est en train de pondre son nouveau chef-d’œuvre.
 

John observa le mouvement des vagues. Elles se déplaçaient constamment, se fondant les unes dans les autres, reproduisant un même phénomène à l’infini. Etait-ce cela qu’on essayait de lui dire ? Le monde était un océan et lui une simple vague. Plus grande, plus puissante, mais une vague quand même, avec un rôle précis, inscrit dans un schéma à plus grande échelle, au-delà de sa perception. Une vague avait-elle conscience d’être une vague ? Et quand bien même, pouvait-elle savoir que malgré ses efforts et ses intentions, elle ne faisait que participer à un rythme séculaire sans autre finalité que le prolonger encore et encore.
John se perdait dans ses pensées. Il ne devait pas perdre le fil.
- Ces gens qui sont morts, ces gens que j’ai tué, ne sont-ils alors que des créations de votre esprit tourmenté ? Suis-je aussi l’une de vos créations ?
Les yeux de Harvey menaçaient de sortir de leur orbite.
- Terrain glissant !
La porte de la salle s’ouvrit. Deux hommes en costume entrèrent dans la pièce. Ils encadraient un garçon qui aurait pu être séduisant si son visage n’avait pas été la proie de l’acnée.
- C’est Jimmy Bottleweek ! annonça l’un des employés.
Les deux représentants de Dead Zone s’animèrent brusquement.
- On peut dire que tu arrives à temps, fit remarquer Harvey avec soulagement.
Ils l’installèrent devant l’écran de Dave ce qui ne manqua pas de le stupéfier.
- Ouhaou ! Si j’avais su que j’atterrirai ici ! Ca valait presque le coup de le balancer, ce virus.
Deux paires d’yeux hostiles le firent sérieusement réfléchir à ce qu’il venait de dire.
- Au fait, si je détruis BIG BUG, je gagne le concours, non ? L’avantage c’est que je suis déjà sur place pour la visite !
Dave ne put s’empêcher de sourire.
- Et bien on peut dire que tu perds pas le nord, toi !
Harvey était beaucoup moins sensible à l’humour de l’ado.
- Dis-donc, le geek, fais ton boulot, après on en reparlera, tu veux ! Tu sais comment faire, au moins ?
Jimmy fit craquer ses doigts.
- Oui, y a juste un souci, c’est que…
Il détailla pour la première fois l’homme debout devant l’écran géant.
- Eh, mais c’est Donald Buff !
Harvey posa un doigt sur ses lèvres pour lui intimer le silence.
- Tu n’as pas besoin de ta bouche pour travailler ! Mais si c’est trop dur pour toi, on peut te donner un coup de main!
Jimmy comprit très bien l’allusion.
- Ok, ok !
- Alors exécution !
Tout en raccordant un appareil au PC de Dave – sous l’œil soupçonneux de Harvey – Jimmy murmura :
- Vous savez tous ces trucs que j’ai balancés sur Buff et sa société. En fait je les pensais pas. Je suis super fan de Crim’In. Je voulais juste faire chier certains mecs du forum.
Dave le dévisagea avec un peu moins de tendresse.
- Et ce virus, c’était aussi pour faire chier certains mecs du forum ?
Harvey vint en renfort :
- La prochaine fois que t’es contrarié, fais une partie de jeu vidéo pour te calmer les nerfs au lieu d’essayer d’en bousiller un !
Jimmy savait qu’il n’allait pas être accueilli à bras ouverts, mais il espérait malgré tout un peu d’indulgence.
- Je vous jure que je voulais pas que ça aille aussi loin. C’est vrai, je regrette vraiment tout ce qui s’est passé et…
- Bon, coupa sèchement Harvey, tu disais qu’il y avait juste un souci.
Jimmy termina ses branchements et commença à entrer dans l’interface du jeu sous le regard vigilant de Dave.
- Oui. En fait, la solution va consister à implanter un nouveau virus dans le jeu. Un virus localisé. Le premier que j’ai balancé s’est placé un peu au hasard. Il aurait pu causer d’autres dégâts s’il avait pas ciblé ce John Carson. Mais bon, Dieu en a décidé autrement. Ce coup-ci je vais cibler délibérément John Carson. Mais étant donné sa puissance, non seulement, il risque de le repérer, mais en plus il peut être assez fort pour le neutraliser voire de s’en servir comme une source de pouvoir supplémentaire.
Harvey le toisa avec un air de pit-bull enragé :
- T’avais dit que t’avais la solution.
Jimmy sourit nerveusement.
- Oui. Il me faut juste un véhicule pour mon virus. De préférence au-dessus de tout soupçon.
 

Donald parlait peu et lentement. La dernière question de John restait toujours en suspens. Donald savait que John était devenu un être très évolué. Il pensait énormément. Et de ce fait, il élaborait les propres réponses à ses questions à partir d’éléments succincts. Oui, en d’autres circonstances, il aurait vraiment apprécié son existence et tout ce quelle impliquait.
Le regard de John changea. Son visage s’éclaira. Donald comprit qu’il venait de comprendre quelque chose d’essentiel.
- Si nous sommes tous issus de votre imaginaire, vous avez pouvoir de vie et de mort sur chacun d’entre nous. Vous pouvez nous détruire, mais vous pouvez nous créer.
A nouveau, son regard se tourna vers la montagne.
- Et même nous faire renaître !
Il dévisagea Donald réellement comme un démiurge, capable des plus grands miracles.
- Je ne peux pas la faire revenir, mais vous, vous le pouvez, n’est-ce pas ? Vous l’avez dit, ce monde est votre rêve. Tout est donc possible. Il n’y a pas de limite !
Donald le gratifia d’un sourire.
- Pour ça, je dois m’en aller, John.
Il tendit sa main droite.
- Je suis content de t’avoir rencontré.
John hésita un instant, puis il lui sembla inconcevable de ne pas saisir cette chance qui s’offrait à lui. Il lui serra la main et le vit disparaître dans un éclair.
Il regarda la montagne et le visage de Linda. Son cœur ne pourrait pas attendre longtemps. Il fallait qu’elle revienne très vite. Pour transformer ce cauchemar en rêve, cet enfer en paradis. Elle en avait le pouvoir.
Quelque chose troubla son esprit. Quelqu’un venait à sa rencontre. Il était bien trop en confiance pour lui refuser l’accès. Même si ce n’était qu’à nouveau son divin visiteur, il s’en ferait une joie. Leur conversation l’avait éclairé comme jamais sur la nature des choses. Il se sentait privilégié d’un tel savoir. Le partager avec quelqu’un d’autre serait un bonheur incommensurable. Seul c’était un terrible fardeau.
Il porta son attention sur l’océan, sur les vagues. Une silhouette avançait sur la surface de l’eau, se découpant en ombre chinoise sur l’éclat du soleil couchant. Il plissa les yeux en oubliant qu’il avait le pouvoir de voir même à travers la pierre. Il était John Carson et il ne voulait être personne d’autre. Lorsqu’il reconnut la silhouette s’approchant de lui, il fut plus que jamais John Carson. Car ce n’était autre que Linda qui le rejoignait ainsi, défiant elle aussi les lois les plus élémentaires. Elle rayonnait littéralement. Les boucles blondes de ses cheveux étincelaient comme de l’or. Ses yeux bleus semblaient extraits des eaux mêmes qu’elle dominait de son allure altière. Elle portait la chemise de nuit qu’il affectionnait. Son visage souriait. Ses pieds nus, délicats, se posèrent sur le sable. On aurait dit un ange.
John était bouleversé par cette apparition. Il avait l’impression qu’il ne s’arrêterait jamais de pleurer.
- Merci, murmura-t-il. Merci, mon Dieu !
Lorsqu’ils s’enlacèrent, son cœur lui offrit une symphonie.
 
Les spectateurs n’étaient pas en reste et avaient bien du mal à ne pas se laisser submerger par l’émotion des retrouvailles. Iko, elle, ne refusa aucune larme. Ce moment était trop précieux pour être vécu à demi.
Le couple à nouveau réuni retrouva en un instant le confort de sa chambre à coucher. Le lit conjugal accueillit bientôt leurs étreintes effrénées.
John plongea son visage dans les boucles blondes de Linda :
- Je ralentis ou j’accélère ?
Il l’entendit sourire à son tour.
- Je te laisse deviner.
John oublia tout : le gamin aux yeux bleus magnifiques, son frère, les gens qu’il avait tué, les gens qu’il avait vu mourir. Il ne se rendit sensible qu’à cet intense moment d’extase partagé.

- On devrait peut-être afficher une interdiction aux mineurs, proposa Harvey.
- Vous savez, dit Jimmy, j’ai déjà vu pire que ça sur Internet !
Donald essuya ses lunettes.
- Ca va marcher ?
Jimmy tentait de suivre la progression des ébats malgré la silhouette imposante de Harvey.
- Ca me paraît en bonne voie.


16. Succès déverrouillé : Le Repos du Guerrier


La nouvelle fit le tour du monde. On en oublia presque le sort des victimes de la colère de BIG BUG. En début d’après-midi, certains américains purent à nouveau se connecter au réseau TotaLink et sillonner à nouveau le monde de Crim’In avec un avatar flambant neuf.
Dead Zone avait visiblement trouvé le remède adéquat. Le volcan s’était rendormi et avec lui la crainte d’être foudroyé.

John Carson ouvrit les yeux et regretta aussitôt son geste. Il se rappela qu’il vivait dans un monde à bout de souffle. Il jeta un regard au cadran du réveil. Il afficha 6:66 pendant quelques secondes avant d’annoncer plus sérieusement 6:00.
John poussa un soupir. Même les machines devenaient folles.
En se tournant vers la gauche, il oublia momentanément ses idées noires à la vue d’une épaule et d’une jambe gracieuse émergeant de sous le drap. Sa bouche couvrit la première et sa main épousa la seconde. La lumière qui filtrait à travers les persiennes miroitait sur les parties du corps ainsi exposées comme pour l’inviter davantage à s’y attarder.
- Il est un peu tôt, non ? fit la voix enrouée de Linda.
John sourit. Il connaissait ce ton là par cœur. C’était facile de lire entre les lignes après sept ans de vie commune. Tout en continuant à la caresser du bout des doigts, il plongea son visage dans ses boucles blondes:
- Je ralentis ou j’accélère ?
Il l’entendit sourire à son tour.
- Je te laisse deviner.
Elle se tourna vers lui. En scrutant son visage, même maquillé par la pénombre, il se félicita d’avoir ouvert les yeux de si bonne heure. Il l’embrassa, sa main continuant de masser paresseusement sa cuisse. Elle commença à gémir. L’explosion fut si violente qu’elle ébranla l’appartement.
John bondit du lit :
- Putain, qu’est-ce que c’était ?
Linda s’alarma.
- J’espère que ce n’est pas la bibliothèque. J’ai vu une bande tourner autour ces derniers jours.
John enfila son pantalon de pyjama, prit quelque chose dans sa table de chevet avant de se diriger vers l’entrée. Linda le rejoignit rapidement dans une chemise de nuit vaporeuse.
John ouvrit la porte. N’eut été le vacarme précédent, il aurait pu penser que le brouillard avait recouvert le quartier. Mais il sut qu’il s’agissait en fait d’un monstrueux nuage de fumée. Il était si épais qu’il distingua à peine le garçon sur les marches du perron.
Il ne devait pas avoir plus de quinze ans. Et il avait les yeux bleus.
Des yeux bleus magnifiques.
- De la part de Jérôme !
Il produisit un fusil à pompe SPAS 12 et tira deux coups consécutifs.
John et Linda s’écroulèrent violemment dans l’entrée, le visage éclaboussé par leur propre sang. Eric regarda leurs corps avec intensité comme dans l’attente d’un miracle. Et le miracle se produisit bel et bien. Les deux corps disparurent.
Il leva alors les bras en signe de victoire et hurla comme un fou.
Derrière lui, un groupe de Chasseurs l’imita.
 
Sur l’île sans nom, les Protecteurs oeuvrèrent aussi. A leur manière. Dans la montagne créée par John Carson ils ajoutèrent son visage aux côtés de celui de sa bien-aimée, réunis pour toujours. En tous cas dans la mémoire des joueurs. Leur travail consistait désormais à préserver cette œuvre des attaques de joueurs mal intentionnés qui ne souhaitaient qu’une chose : la détruire entièrement. Et parmi ces vandales, les Chasseurs figuraient bien entendu en bonne place.
Il ne se passa d’ailleurs guère de temps avant que certains ne parviennent à s’infiltrer sur l’île à la barbe des Protecteurs dont l’attention était parfois savamment détournée par leurs ennemis jurés.
Eric contempla le monument accompagné de quatre camarades : Scarefaith, Jazz-on, Dwayne et Bornkiller. Il avait été facile de les rallier à sa cause.
- Placez les explosifs sur la montagne, je m’occupe du temple.
Eric déploya son jet-pack et s’éleva dans le ciel. Arrivé à la hauteur des deux visages, il cracha sur celui de John :
- Personne se souviendra de toi. Personne !
En disant cela, Eric occultait volontairement que depuis sa disparition, John Carson, alias BIG BUG, faisait l’objet d’un véritable culte. Des objets et des figurines à son effigie inondaient le marché. Ce qui faisait fureur depuis peu, c’était les vêtements arborant ses répliques cultes. Des phrases d’anthologie telles que :
 
VOUS ETES MORTS !
 
ENCAISSE CA !
 
Et la plus cotée :
 
J’IGNORE SI DIEU EXISTE,
MAIS VOUS VENEZ DE CREER LE DIABLE !
 
Eric continua son ascension. Il atteignit le sommet de la montagne. Mais une surprise de taille l’attendait en haut. Un sabre lui transperça la poitrine avant qu’il ait pu flairer la menace.
Sur la plage, un groupe de Protecteurs jaillit du sable et fondit sur les Chasseurs.
Freeman était à leur tête. Le combat était inégal.
Iko regarda Eric droit dans les yeux. Il y eut comme un éclair et le jet-pack se retrouva dans le dos de la belle asiatique qui enfourchait présentement sa fidèle Manta vert et rose.
- John Carson vivra. Et tu ne pourras rien n’y changer.
Eric tomba comme une pierre avant d’exploser en pleine chute. Ses alliés connurent un sort similaire. Iko enclencha le propulseur et sa moto prit les airs.
En contrebas, les Protecteurs saluèrent leur leader victorieux.

- C’est fini, déclara Harvey.
Il termina son café et s’en resservit un aussitôt.
- Maintenant leur petite guéguerre c’est du pipi de chat à côté. On a plus à s’en soucier.
Jimmy s’était endormi dans un coin.
Dave donnait des directives à des collègues et Donald songeait qu’il était grand temps de finir sa nuit.
- Je vais vous laisser, messieurs. Je n’ai plus votre âge et ma femme m’attend.
Il salua ceux qui étaient en mesure de le voir partir.
- Harvey, on se téléphone plus tard, hein ?
L’interpellé renversa sa tasse.
- Mais, euh…Que fait-on du gamin, Donald ?
Donald jeta un coup d’œil à la silhouette fluette recroquevillée sur un fauteuil.
- Vous n’avez qu’à l’engager, Harvey.
Puis il franchit la porte.
Harvey se tourna alors vers Dave. Ce denier paraissait soucieux. Il avait du boulot, certes, mais Harvey sentait qu’il était profondément affecté par la tournure des choses.
- Qu’est-ce qu’il y a, Dave ? dit-il en en lui tapotant amicalement le dos. On dirait que tu es déçu qu’il soit mort !
Dave observa pensivement une affiche du concours BIG BUG et plus particulièrement les différents visages connus de John Carson.
- Ce n’est pas ça. C’est juste que…C’était une première dans l’histoire. Il y a eu des conséquences très lourdes. Mais il reste que cela été une aventure unique et exceptionnelle. Nous en avons été les témoins privilégiés. Oui, c’était vraiment une première.
Harvey n’avait bien évidemment pas tout à fait la même vision des choses.
- Ouais, bah, espérons que ce soit aussi la dernière.
Il dévisagea Dave avec une expression hilare inédite :
- On va dire que c’est juste le bug du millénaire qui est arrivé avec un peu de retard.
Il attendit une réaction de Dave qui ne vint jamais et s’autorisa enfin à exploser de rire.

Donald Buff sortit des studios. C’était une belle journée, ensoleillée à souhait. Il grimpa dans sa décapotable. Il y avait encore beaucoup à faire pour rétablir une certaine sérénité surtout depuis que BIG BUG avait grossi la rubrique nécrologique et donnait raison aux détracteurs de Crim’In. Malgré tout il se sentait en confiance. Le meilleur avocat du jeu finalement c’était le jeu lui-même. Tout système était perfectible. Il fallait simplement le reconnaître. Quelques heures de perturbation ne pouvaient rivaliser avec l’incroyable équilibre social qu’avait engendré la mise en place de Crim’In dans les foyers.
Donald démarra sur les chapeaux de roue et s’élança sur la route de campagne baignée d’une lumière printanière.
 
 
Epilogue 2ème version
 
 
Le joueur répondant au nom de Full-Gore venait de récupérer la M-60 de Sylvester Stallone dans Rambo II et il comptait bien faire un carton histoire de rentabiliser son achat.
Il avisa la vitrine d'un supermarché. Son avatar afficha un sourire avant de commencer à tirer. Les clients et les caissières poussèrent des cris et tombèrent les uns après les autres. Mais cela ne suffit pas. Full-Gore entra dans le magasin et continua à faire feu sans répit, réduisant les corps en charpie et le mobilier et les articles en miettes sans distinction.
Après plusieurs minutes de fusillade ininterrompue, il se figea brusquement en embrassant du regard la VHS extrêmement rare d'un film fantastique qu'il recherchait depuis des années.
Il pouvait l'avoir à condition d'allonger la monnaie, encore une fois avec de vrais dollars. Mais contrairement au flingue de Rambo, la VHS lui serait livrée dans la réalité. Et ça, ça valait bien de flinguer son compte épargne.
Il en était encore à baver sur le monstre de la jaquette lorsqu'il entendit du verre crisser sous des pieds. Il se retourna vivement et sa mâchoire inférieure faillit tomber à la vue des clients et des caissières qui se tenaient devant lui, armés jusqu'aux dents.
La dernière chose qu'entendit Ernest Cunningham, 42 ans, père de 2 enfants avant de mourir fut cette phrase déclamée comme d'une seule voix par tous les PNJ :
- De la part de John Carson !
 
 
 
Epilogue 1ère version


John Blossom venait d’atteindre le sommet de la montagne. Seul, sans aide, sans sherpa. A la seule force des poignets et des chevilles. Un exploit digne des meilleurs alpinistes, lui qui n’était qu’un amateur chevronné. Il fut rempli d’un sentiment de fierté et de plénitude qui l’enivra totalement. Loin de l’agitation du monde moderne, loin de son boulot, de Dead Zone et du phénomène Crim’In, il s’éveillait à d’autres envies, à d’autres besoins qu’il estimait tellement plus essentiels.
Il fallait absolument qu’il prenne des photos. Linda n’avait pas pu l’accompagner cette fois, mais il comptait bien partager cette expérience avec elle. Car tout comme lui, elle aimait particulièrement cette région du Tibet. Le panorama était fantastique. C’était comme d’être dans un autre monde, sur une autre planète. La sérénité et la majesté que dégageaient ces pics enneigés étaient surnaturelles. Et puis c’était un pays mythique pour plus d’une raison.
John avait le souffle court. L’ascension lui avait pratiquement ôté toutes ses forces. Il commençait à en prendre conscience. Il but une longue gorgée d’eau et fouilla dans son sac à dos à la recherche de son appareil numérique. C’est ainsi qu’il observa un phénomène étrange. Pour une raison qui lui échappait totalement, son ombre semblait clignoter sur le sol enneigé. Il se rappela les effets néfastes du manque d’oxygène en hauteur et comprit qu’il avait sans soute une hallucination. Lorsqu’il se retourna pour prendre une photo, il faillit lâcher l’appareil. Pendant un instant, il aurait juré que le soleil avait disparu avant de réapparaître aussitôt. Il n’ y avait pourtant aucun nuage.
John secoua la tête et prit une série de clichés.



 

Ce blog c'est pas juste un passe-temps
j'y bosse dur tous les jours
Je ne te demande pas d'argent
mais juste en retour
un petit commentaire
Ce sera mon salaire
C'est plus précieux que ça en a l'air

Wolverine Wars [FanFic]

 
1944 France - Logan est séparé de son frère lors d'une embuscade. Il en profite alors pour se détacher de l'ombre de Victor qui n'hésite pas à massacrer des innocents. Il espère ainsi secourir comme il l'entend les habitants démunis, victimes de la barbarie nazie.


Ils étaient tous attachés et alignés contre le grand mur de la place du village. Les hommes et les femmes avaient été bâillonnés. Pas les enfants, afin que leurs cris et leurs pleurs résonnent dans le soir comme un funeste prélude à la mort qui allait bientôt s'abattre sur eux tous.
Des écharpes de brume dansaient autour des neuf soldats allemands comme des esprits tourmentés cherchant le salut auprès de leurs tortionnaires.
L'air sentait l'humidité. L'humidité et la peur.
Un soldat équipé d'un lance-flammes s'avança vers la douzaine de prisonniers. Il appuyait régulièrement sur la gâchette, produisant une flamme sporadique dont le souffle était propre à terroriser n'importe qui.
- T'as du feu pour moi ?
Une silhouette massive sortit de l'ombre, un cigare rivé au coin des lèvres. Cela faisait peut-être dix minutes qu'il était là, attendant le bon moment pour se manifester. Dix minutes ou bien des heures. C'est cette incertitude qui troubla profondément les neufs soldats pourtant armés jusqu'aux dents. Pouvait-il exister quelqu'un de plus sadique qu'eux ? Ils n'osaient l'imaginer.
Ensuite ils remarquèrent son allure. Il n'avait pas tout à fait l'air d'un soldat malgré l'uniforme américain. De quoi exactement, ils l'ignoraient. Mais ils le sauraient bien assez tôt. Pour leur plus grand malheur. Car son regard ne trahissait rien de ses intentions. Logan était partisan de la loi du plus fort. Jusqu'à un certain point. Ces pourritures avaient dépassé la limite. Et il comptait bien le leur faire comprendre. A sa manière.

En le voyant apparaître dans l'éclairage diffus d'un réverbère, les enfants cessèrent instantanément de pleurer et les yeux de tous les prisonniers s'agrandirent. Ils virent en Logan un sauveur, improbable mais sauveur quand même.
Le mutant vit l'espoir qu'il suscita en eux. Il crut bon de leur préciser :
- Je vous conseille de fermer les yeux. Ca va pas être joli à voir.
Logan s'élança en poussant un cri animal.
Le gradé donna des ordres. L'homme au lance-flammes s'avança et pressa la gâchette de son arme. Le canon cracha un geyser de feu. Logan s'élança dedans comme s'il s'agissait d'un simple nuage de moustiques. Les piqûres, il les sentit. Et pas qu'un peu. Aux yeux de ses adversaires et des civils, il fit l'effet d'un démon vomi des enfers. Lorsque ses griffes jaillirent de ses mains, cette vision acheva de les convaincre. Logan planta ses griffes sous la bordure du casque. Il entendit le staccato des armes automatiques autour de lui et il sentit le picotement caractéristique des balles lui trouant la peau. Il s'empara de l'arme du soldat mort et visa les soldats les plus proches.
- C'est vous qui allez cramer, bande de chiens !
En réponse il reçut un chapelet de balles dans la tête. Ce qui acheva de le mettre hors de lui. Il attendit qu'ils s'approchent et saisissant le pistolet de l'allemand tira dans le réservoir d'essence sur son dos. La déflagration tua trois soldats et projeta le corps carbonisé de Logan contre le mur d'une maison.
L'officier envoya deux de ses hommes vérifier l'état du kamikaze. L'un d'eux se pencha et secoua la tête. L'officier poussa un râle victorieux avant de se tourner vers les prisonniers.
- Personne sauvera vous !
Pour son plus grand contentement, les regards des français exprimèrent la peur qui revenait les saisir. Avant de se diriger vers un point précis derrière lui. Intrigué, le gradé se retourna. Son sang se glaça lorsqu'il remarqua Logan debout, son uniforme en lambeaux et son corps musclé couvert de brûlures aussi bénignes pour lui que des tatouages. Autre détail d'importance, ses griffes étaient plantées dans la gorge des deux soldats qui avaient fait l'erreur de le croire mort.
Logan cracha.
- Tu me dois un cigare, mec !
Ses griffes se rétractèrent et les nazis tombèrent au sol.

L'officier recula instinctivement de quelques pas. D'un geste nerveux de sa main gantée il fit signe aux deux soldats restants de s'occuper de la créature. Les deux hommes s'approchèrent en ayant le sentiment d'être pris entre deux feux. Ils brandirent leur fusil-mitrailleur moins comme une arme que comme un bouclier. Logan s'avança, la tête rentrée entre les épaules, tel un prédateur en chasse. Il n'avait d'yeux que pour l'officier.

- Tu vas connaître quelque chose de plus atroce que la mort et la souffrance. Tu vas connaître ma  colère et mes griffes.

- Utilisez vos couteaux ! hurla l'officier en allemand. Coupez-lui ses griffes !

Les deux hommes mirent leur arme de côté et dégainèrent chacun une sorte de coutelas. En voyant la longueur de la lame, Logan ne put empêcher un rictus d'étirer ses lèvres :

- D'accord !

Les prisonniers retenaient leur souffle. Cet homme - mais pouvait-on encore le nommer ainsi - était leur seul rempart contre la mort qui les attendait. Les plus croyants ne savaient pas trop s'ils devaient remercier le ciel de sa venue. Mais peut-être que parfois, Dieu lui-même faisait appel aux démons pour rétablir l'équilibre.

Lorsqu'il s'estima suffisamment proche, l'un des soldats se fendit. Sa lame trouva le vide, mais les griffes de Logan trouvèrent le poing qui la tenait. Le soldat hurla. Son équipier porta un coup violent. Logan manipula le poing du nazi et son coutelas para l'autre lame avec une vive étincelle. Le mutant profita de ce répit pour plonger ses trois autres griffes dans le cœur du premier soldat qui s'écroula à ses pieds. L'autre boula au sol avec souplesse et en se redressant, arbora un coutelas dans chaque main. Il avait bien l'intention de venger la mort de son partenaire. Les deux hommes se firent face quelques secondes, puis s'élancèrent avec une hargne égale. Le nazi esquiva et feinta avec une adresse admirable. Plus d'une fois il faillit parvenir à ses fins. Mais Logan sortait et rétractait ses griffes avec une stratégie payante, empêchant son adversaire de le désarmer d'un coup de lame. Tout à sa tâche, c'est à peine si le mutant remarqua les deux lames plantées dans sa poitrine. Il eut un hoquet de surprise en les voyant avant de considérer son adversaire triomphant :

- Je crois pas que tu aies mesuré dans quelle merde tu t'es mis !

Le soldat se recula, terrifié par le sourire de Logan. Ce dernier empoigna les manches des coutelas et commença à les extirper très lentement de son corps qui en vérité en avait vu d'autres.

Le soldat rejoignit son supérieur en courant, mais d'un bond Logan fut sur lui et lui brisa le cou. Il allait s'occuper de son dernier adversaire, mais il se figea lorsqu'il vit l'officier pointer son pistolet contre le front d'une jeune prisonnière. Logan montra les dents. Son poing droit était collé contre la tempe de l'allemand.

L'officier le jaugea avec mépris, mais surtout avec un manque d'assurance évident.

- Je suis comme le Führer, dit-il en allemand. J'adore les expériences. Voyons si tes griffes sont plus rapides qu'une balle.

Les prisonniers observaient leur sauveur avec un mélange d'effroi et de fascination. Il était assurément de leur côté, mais était-il disposé à sacrifier l'un d'entre eux pour remporter une victoire définitive ?

Un coup de feu claqua. Les yeux de Logan s'écarquillèrent. La jeune femme ferma les yeux.

L'officier s'abattit à ses pieds. Sous l'émotion, la prisonnière éclata en sanglots.

Quatre français en civil rejoignirent le mutant. C'est l'un d'eux qui venait de tirer, épargnant à Logan une douloureuse décision.

Tandis qu'ils libéraient les prisonniers, celui qui paraissait être leur chef s'adressa à Logan :

- Je m'appelle Charles Girard. On est de la résistance. Vous avez fait du bon boulot, merci. Vous êtes en piteux état. Vous avez perdu votre section ?

Logan observa les cadavres épars jonchant le sol.

- Je suis tombé au bon endroit. Au bon moment.

- On va vous soigner.

- Non. Occupez-vous plutôt d'eux, ils en ont besoin.

Le chef secoua la tête :

- Vous avez raison. On peut vous donner des armes et des munitions. On a pas beaucoup de moyens, mais on vous doit bien ça !

Logan fixa ses phalanges en souriant.

- J'ai tout ce qu'il me faut.

 

Plus tard, alors que les résistants s'assuraient de l'état des villageois, l'un d'eux s'approcha discrètement de Logan qui finissait d'enfiler des vêtements civils.

- Merci monsieur. Personne ici n'oubliera ce que vous avez fait pour nous. On ne sait pas trop comment vous remercier. Sachez que vous serez toujours le bienvenu. Quel est votre nom ?

Logan le détailla comme s'il soupçonnait un piège.

- Pourquoi ? Vous voulez me recommander pour une médaille ?

Sa réaction surprit l'homme, mais il essaya de rester aussi chaleureux.

- Vous la mériteriez en tout cas.

- J'en ai rencontré plus d'un qui la mériterait plus que moi. Pourquoi pas vous ?

- Moi ? Mais...

- Croyez-moi, j'ai rien d'un héros.

Logan regarda de nouveau ses mains.

L'homme l'imita avant de reprendre :

- C'est à ce propos aussi que je venais vous parler.

Il tourna rapidement la tête pour s'assurer qu'ils n'étaient pas observés, puis ajouta :

- Avant que vous arriviez, des soldats ont emmené un enfant. Il s'appelle Simon.

- Il est juif ? s'enquit Logan sans trop paraître s'émouvoir.

L'homme se frotta nerveusement les mains.

- Non. C'est difficile à dire. Disons qu'il est un peu différent de nous.

Logan fit jaillir ses griffes encore ensanglantées.

- Différent comme ça ?

L'homme secoua la tête.

- Il avait aussi un pouvoir. Il pouvait réparer ou détruire les choses. Sans les toucher. Je pense que c'est pour ça qu'ils l'ont emmené.

- Vous savez où ?

- Je comprends un peu l'allemand. Je les ai écoutés et apparemment ils ont un camp pas très loin d'ici, à l'est.

Il indiqua un chemin de terre qui s'enfonçait dans la campagne.

- En prenant cette route, vous devriez le trouver. Mais êtes-vous certain de vouloir y aller ?

Logan lui décocha un regard qui en disait long sur ses motivations.

- C'est un boulot pour moi.

Il allait prendre congé, puis se tourna subitement vers le villageois :

- Finalement, vous pouvez peut-être faire quelque chose pour moi.

A cette annonce, le visage de l'homme s'éclaira.

Logan sourit de toutes ses dents.

- Z'auriez pas un cigare ?

http://dartetdamour.hautetfort.com/media/01/02/1567442782.jpg

Un grand merci à l'auteur du blog Les Contes de Hell's Kitchen pour le gros coup de pub !

 

 

T’as aimé…ou pas

T’as tout lu, tout vu, tout entendu…ou pas

Peu importe, post un com et like la page pour dire que tu existes car ton avis est important pour moi, mais aussi pour le futur de ce blog, un gros merci d’avance !

mardi, 10 février 2009

Horreur à Slaughterfalls [Dessins/Mes Histoires]


Horreur à Slaughterfalls 2.jpg
 
Horreur à Slaughterfalls.jpg
 
La Poursuite (Rouge).jpg
 
MoonWolf3.jpg
 
horreur à slaughterfalls,nouvelle d'épouvante,horreur,fantastique,loup-garou,pleine lune
 
 
 
 

T’as aimé…ou pas

T’as tout lu, tout vu, tout entendu…ou pas

Peu importe, post un com et like la page pour dire que tu existes car ton avis est important pour moi, mais aussi pour le futur de ce blog, un gros merci d’avance !

dimanche, 08 février 2009

L'Eternité contre le Néant

 

 

Le temps est un corridor fermé que l’être humain arpente de long en large en croyant qu’il est infini.              

 

                                                                                               -  Seiko -

 

 

 

 PROLOGUE

 

 

 

Il était 8h43. Noel Milkawn descendait l’escalier menant au bas du talus lorsqu’il vit l’homme jeter quelque chose à travers l’une des fenêtres de sa propriété. Son sang ne fit qu’un tour et il se lança à la poursuite du vandale. Il l’avait presque rejoint lorsque l’explosion les jeta tous deux au sol. Noel se redressa sur un bras et frissonna à la vue du trou béant qui avait constitué sa chambre dans un passé encore récent. L’instant d’après, il fusillait du regard le terroriste qui menaçait de lui échapper. D’un bond, il se jeta sur lui. L’autre le regarda comme s’il venait de voir un fantôme. Ils luttèrent, leurs poings frappant confusément tout ce qui se trouvait à leur portée. Noel se sentit soulevé du sol et il traversa la porte-fenêtre du salon. A demi groggy, il vint s’affaisser contre un secrétaire. Ses yeux s’écarquillèrent comme si une idée l’avait soudainement frappé. Sa main droite glissa vers l’un des tiroirs au moment où son agresseur s’écrasa sur lui. Des mains se nouèrent autour de sa gorge et il sut dès lors qu’il n’aurait pas le choix. D’une main, il tenta de repousser son adversaire, de l’autre, il ouvrit le tiroir. Il plongea ses doigts avides à l’intérieur, mais sa fouille se solda par un échec. Proche de l’asphyxie, son instinct de survie lui ordonna d’improviser. Alors d’un coup de tiroir, il assomma le tueur qui  s’écroula lourdement.  

Noel se redressa, exténué, la gorge endolorie. Mais qui pouvait bien être ce type pour lui en vouloir à ce point ? Il avait bien quelques ennemis et des détracteurs désireux de le voir en fâcheuse posture. Mais de là à vouloir l’éliminer chez lui et de manière aussi radicale…

 Il s’avança vers son agresseur inerte et entreprit une fouille au corps minutieuse. Il trouva ses papiers et apprit qu’il se nommait Miguel Darras.

Evidemment c’était peut-être un nom d’emprunt. Il perçut un mouvement sur sa droite. Un homme élégant le mettait en joue. Il eut le temps de reconnaître le revolver caché habituellement dans son secrétaire avant que la détonation n’éclate.

 

 

 

 PREMIERE PARTIE

 

 

 

 Leon Wilkman ouvrit les yeux en soupirant bruyamment. L’incroyable intensité du rêve lui martelait le crâne. Epuisé – alors qu’il avait dormi huit heures d’affilée – il s’assit sur son lit en essayant douloureusement de regagner le présent calme et confortable de son existence. Une sonnerie retentit. Il fixa son réveil avant de se persuader que le bruit venait d’ailleurs. Il enfila un pantalon de pyjama et une chemise assortie. En sortant de la chambre, son regard caressa le sabre de collection, véritable antiquité, accroché au-dessus de la porte. Cet objet, lorsqu’il le contemplait, avait le don de l’apaiser. C’était donc devenu une sorte de rituel pour lui.

Un sourire aux lèvres, il se rendit dans le hall. Il pressa une commande sur le mur et la porte d’entrée devint transparente. Un homme en uniforme bleu et gris se tenait devant lui. Il portait un paquet anonyme sous le bras.

Leon vérifia son haleine et haussa les épaules avant d’ouvrir la porte.

L’employé lui dédicaça son sourire le plus vendeur.

- Bonjour Monsieur. Vous êtes bien Leon Wilkman ?

L’intéressé jaugea le paquet du regard en essayant d’imaginer ce qu’il pouvait contenir. Mais son cerveau de mercenaire retraité faisait le piquet de grève.

Il acquiesça.

Le facteur lui tendit un registre.

- J’ai un colis pour vous. Signez juste ici.

Leon ne sut pas pourquoi, mais il avait la conviction qu’il lui fallait gagner du temps.

- Un instant, s’il vous plaît. Je vais chercher mes lunettes. J’y vois rien sans mes lunettes.

Il s’éloigna et se dirigea vers le secrétaire.

« J’ai pas de lunettes, se dit-il. Pourquoi j’ai dit un truc pareil ? »

Le facteur pressa une main sur son oreille droite.

- Est-ce qu’il portait des lunettes ? murmura-t-il à un interlocuteur invisible. Réponds, ça urge.  Il n’a pas l’air dans son assiette. Je veux un oui ou un non, c’est tout. Est-ce que dans ton rêve il portait des lunettes ?

- Je suis désolé, dit Leon en regardant autour de lui. Je ne sais plus où je les ai rangées.

L’employé redressa la tête en lui balançant son sourire de commercial.

« Ce n’est qu’un postier, songea Leon. Pourquoi je me méfie autant de lui ? C’est peut-être son sourire. On dirait qu’il veut me vendre quelque chose sans me le dire. Comme ces colporteurs du dimanche. C’est complètement insensé ! »

Le postier secoua la tête et lui fit signe de la main.

- Monsieur Wilkman. J’ai juste besoin d’une signature, vous savez. Vous n’avez pas besoin…

Leon revint sur ses pas.

- Vous avez raison. Ca n’en vaut vraiment pas la peine. Excusez-moi, vous m’avez tiré du lit et…

Leon prit le stylo et parapha l’endroit désigné.

L’employé lui remit le colis.

- Et voilà pour vous. Bonne journée, Monsieur Wilkman.

Leon l’observa monter l’escalier menant en haut du talus où l’attendait sa camionnette. Puis il reporta son attention sur le mystérieux paquet.

Il l’agita, mais n’entendit aucun bruit distinctif.

Il l’avait presque rejoint lorsque l’explosion les jeta tous deux au sol.

Leon frissonna. Il venait d’avoir un terrible pressentiment. C’était un piège.

Il regarda le facteur monter dans son véhicule.

L’instant d’après, il fusillait du regard le terroriste qui menaçait de lui échapper. Son sang ne fit qu’un tour et il se lança à la poursuite du vandale.

Comme dans un état second, Leon courut jusqu’au bas du talus.

L’employé mit le contact. Il adressa un dernier regard à la maison de Leon Wilkman. Et eut le souffle coupé en le voyant lui balancer le colis qu’il venait de lui remettre.

- L’enfoiré !

Le facteur éjecta la portière au moyen d’une commande et bondit hors de l’habitacle. Alors qu’il dévalait la pente, la camionnette disparut dans une explosion tonitruante.

- L’enfoiré ! éructa Leon.

Il regagna le hall et tenta de reprendre ses esprits. Son regard s’attarda sur le secrétaire. Il ouvrit un tiroir et plongea une main à l’intérieur.

…et il sut dès lors qu’il n’aurait pas le choix.

- C’est cela que vous cherchez sans doute.

Leon se retourna, stupéfait.

Un homme élégant lui faisait face. Il pointait un revolver sur lui. Son revolver.

Le postier arriva sur ces entrefaites. Son uniforme était pitoyable et lui-même faisait peine à voir.

- Putain, il a failli m’avoir !

L’homme élégant lui sourit.

- Les risques du métier, mon cher samuel.

Leon les dévisagea tour à tour. Une rencontre du troisième type lui aurait paru moins incongrue que cette embuscade matinale complètement surréaliste.

- Qui êtes-vous ? Qu’est-ce que vous me voulez ?

L’homme élégant semblait s’amuser de la situation.

- Je n’ai malheureusement pas encore toutes les réponses. Mais je suis plutôt en bonne voie. On est dans le même bain, mon cher Leon. Ou devrais-je plutôt dire Monsieur Noel Milkawn.

Leon se prit la tête à deux mains. Son crâne se prenait pour une cocotte-minute. Une terrible sensation de déjà-vu le parcourut de long en large.

Sally Redfield n’était pas loin. Elle avait entendu l’explosion. Si Noel était mort, ils le paieraient très cher. Elle regarda à travers la porte-fenêtre. Lorsqu’elle vit le tueur tirer sur son associé,  son cœur cessa de battre aussi.

Quelque chose traversa un carreau et une seconde plus tard la pièce était noyée dans un nuage de fumée impénétrable. Une main à la fois douce et ferme s’empara de celle de Leon qui se laissa entraîner par cet ange providentiel.

Quand il rouvrit les yeux, il était assis dans une conduite intérieure. A ses côtés, une rousse au visage fermé tenait le volant entre ses mains comme elle tenait leurs vies.

- Allys Freddeil ! Mais qu’est-ce que tu fous là ? Je comprends rien à ce qui se passe !

La jeune femme resta concentrée sur sa conduite.

- J’avoue que j’ai moi-même un peu de mal à tout saisir. Mais dans les grandes lignes… Disons pour faire court qu’on a la mort aux trousses et que ce n’est pas la première fois. Si tu as échappé à l’explosion, tu dois savoir de quoi je parle.

Leon fit un effort pour ne pas la décevoir.

- Ce rêve !  J’ai la sensation que tout est lié à ce rêve que j’ai fait.

- Ce n’est pas un rêve, dit Allys.

La voiture fit une embardée. Une volée de klaxons accompagna sa trajectoire.

Les yeux de Leon la supplièrent de lui expliquer.

Elle ne se fit pas trop prier.

- Ces quatre enfoirés veulent notre peau. Je n’ai pas encore trouvé la raison, mais j’y travaille d’arrache-pied. Ce que je sais, c’est qu’ils ne sont pas à leur coup d’essai. La dernière fois, je suis arrivée trop tard. Mais cette fois…

Le cerveau de Leon manifesta le désir de vouloir revenir au boulot.

- Tu veux dire qu’ils ont déjà essayé dans le passé ?

Allys se tourna vers lui en lui adressant son plus beau sourire.

- Si c’était aussi simple, mon chou !

Quand elle l’appelait comme ça, c’était rarement pour le rassurer.

Ils étaient vraiment dans la merde, seulement Leon ignorait dans quelle genre de merde ils pataugeaient et ça, ça avait le don de la rendre encore plus merdique.

Sur ces entrefaites, son cerveau revint prendre son poste.

- Dis-moi, tu as bien dit « quatre enfoirés » tout à l’heure ? Où sont les deux autres ?

La lunette arrière se désintégra, rapidement imitée par la sérénité de Leon.

- Putain de merde !

Allys se fendit d’un nouveau sourire.

- J’ai bien dit quatre, mon chou !

Elle orienta son rétroviseur au moyen d’une commande et l’image de leurs poursuivants apparut sur le pare-brise : une conduite comme la leur avec à son bord deux hommes en complet-veston dont l’un arborait une arme d’un acabit plutôt édifiant.

Leon déglutit.

- J’imagine que tu ne comptes pas les semer.

En guise de réponse, elle pressa une commande. Un compartiment s’ouvrit entre elle et lui et la crosse métallisée d’une arme à feu s’érigea.

Leon s’en empara machinalement.

- Je suppose que ça veut dire non.

Puis il lorgna du côté de sa portière.

- J’imagine qu’ensuite tu vas me propulser au dehors au moyen d’un de tes gadgets et que je vais devoir me faire un plaisir d’arroser ces deux lascars.

A nouveau ce sourire délicieux qui chez Allys annonçait rarement une bonne nouvelle.

La portière s’escamota et le siège de Leon se télescopa à l’extérieur, au milieu d’une enfilade de véhicules et de ricochets de balles sifflantes.

- Bordel de…

Il sut qu’il n’avait pas beaucoup le choix s’il voulait que ce cauchemar se termine rapidement. Il lui fallait faire feu de tout bois. Ca tombait bien, il avait entre les mains une bûche du feu de Dieu.

Le fusil mitrailleur vomit un geyser de métal hurlant sur la conduite des malfrats.

Tant et si bien que le véhicule se transforma en puzzle 3D. Ses propriétaires avec.

Allys siffla son admiration.

- Tu n’as pas perdu la main, dis-moi !

Leon la fusilla du regard avant de pointer son arme sur elle.

Elle pressa la commande et son partenaire réintégra instantanément l’habitacle.

- Tu veux autre chose, mon chou ?

Leon replaça l’arme dans son logement.

- Oui. Je veux prendre mon petit-déjeuner et mettre des vêtements décents.

Puis son visage devint cramoisi.

- Et arrête-moi cette foutue bagnole !

 

 

Elle lui avait sauvé la vie. Cela ne la rendait que plus séduisante.

Il la regarda dormir et eut soudain très envie de dormir à ses côtés.

Il s’allongea près d’elle. Cherchant sa main, il trouva son poignet qu’il caressa tendrement. Un frémissement lui apprit qu’elle était réveillée. Un soupir lui fit comprendre qu’elle ne souhaitait pas qu’il s’arrête.

Le motel s’appelait « Au Bonheur des Ames ». Et cette nuit-là,  il ne déméritait nullement son enseigne.

 

Ulrich secoua l’épaule de Samuel.

- Réveille-toi, il faut qu’on y aille.

Samuel étouffa un bâillement.

- Mais où ? Steve et Mario ne donnent plus signes de vie. On n’a aucun indice sur l’endroit où ils sont allés.

Ulrich démarra la conduite.

- Maintenant si.

Ses yeux sourirent.

- Je sais où ils vont dormir cette nuit.

Samuel scruta son mentor.

- Il va se passer quelque chose cette nuit ?

L’interrogé fit ronronner le moteur.

 - Pas si on l’empêche.

 

Tandis qu’il l’enserrait sans crainte de l’étouffer, elle sentit la vie se répandre en elle. Elle sut dès lors que cette nuit annonçait pour eux un futur empli de félicité.

 

Allys se réveilla. Encore un de ces rêves étranges.

Elle regarda le cadran de sa montre. 13h09. Ils avaient roulé toute la matinée.

Elle regarda Leon installé au volant. Il avait beau avoir une coupe affreuse et un pyjama ridicule, elle ne pouvait s’empêcher de le trouver à son goût. Elle regrettait de l’avoir laissé si longtemps sans nouvelle. Il ne méritait pas son indifférence. Mais c’était peut-être justement cela même qui l’avait incitée à laisser le temps les séparer. Elle n’était que trop consciente de l’effort constant qu’elle faisait pour continuer à le considérer comme un associé. Et seulement comme tel.

Leon lui dédia un regard qui fit fondre sa résolution.

- Bien dormi, mon chou ?

Elle sourit. Sa gouaille légendaire faisait la grasse mat’. Elle laissa un silence s’installer, puis demanda comme pour le rompre :

- Tu sais où tu nous conduis ?

- J’espérais que tu me le dirais. Tu n’aurais pas eu une de ces fameuses visions qui nous assaillent en ce moment ?

Elle rougit en repensant au contenu de son rêve. Elle espéra qu’il ne l’avait pas remarqué.

- Ca te dit quelque chose « Au Bonheur des Ames ? »

Le cerveau de Leon se plia en quatre. Mais comme il manquait de souplesse…

- On dirait le titre d’un bouquin.

- C’est un motel. Plus loin. A l’ouest.

Leon acquiesça.

- Tu y es déjà allé ?

Nouveau rougissement.

- Oui. Et toi aussi.

Il inspira profondément.

- Tu ne peux toujours pas m’expliquer ce qui nous arrive ? Je suis un grand garçon, tu sais. Je sais faire preuve d’imagination.

Elle le dévisagea abruptement.

- Est-ce que tu aurais le courage d’accepter l’idée que d’une certaine manière nous avons déjà vécu cette vie ainsi que tous ces évènements avec lesquels nous nous sentons si familiers ?

- Tu veux parler de réincarnation ?

Allys se recroquevilla sur son siège comme une enfant.

- Je veux parler d’un concept beaucoup moins répandu. Celui du temps orthogonal.

Le silence de Leon lui conseilla vivement de rentrer dans les détails.

- Une sorte de réalité alternative, de présent parallèle.

Leon esquissa une grimace. Cela pouvait évidemment expliquer pas mal de choses. A commencer par ses rêves, ses pressentiments et ses impressions de déjà-vu. Ce qui n’était pas spécialement fait pour le réconforter. L’ignorance était parfois tellement plus confortable.

Leon se mit à penser à voix haute.

- Ces hommes qui veulent nous tuer, nous les avons déjà rencontrés et nous leur avons déjà échappés. Qu’est-ce que c’est ? Un gag de répétition ? Dieu s’est offert une photocopieuse et s’amuse avec comme un gamin avec un nouveau jouet ?!!

Deux détails lui revinrent en mémoire.

- L’un de mes agresseurs de ce matin, il savait où je planquais mon revolver. Et il m’a appelé par un autre nom…

Allys opinait du chef comme si les informations qu’il lui transmettait venaient conforter sa vision des choses.

D’un haussement de sourcils, Leon l’invita à s’exprimer. Elle s’exécuta :

- Pour employer une image plus parlante, disons qu’au moment où nous parlons il existe un autre exemplaire de nous auquel nous sommes indubitablement connectés. Ce que nous avons initialement pris pour des rêves sont vraisemblablement les bribes d’une autre vie que ces doublent mènent à notre insu en dehors de la réalité que nous connaissons.

Leon fit l’effort notable de digérer les révélations sans broncher. Mais cela lui fit l’effet de recevoir un parpaing sur le crâne. Et sans anesthésie locale.

- Si je comprends bien ta logique, cela signifie que ces autres exemplaires rêvent probablement de nous eux aussi. Peut-être même sont-ils en train de rêver de nous en ce moment même.

Leon commençait à se prendre au jeu, malgré lui. Les possibilités qu’impliquait une telle théorie le fascinaient autant qu’elles le terrorisaient.

- Oui. Peut-être rêvent-ils de nous en train de parler d’eux. Il y a de quoi devenir dingue.

- Je ne te le fais pas dire, dit Allys. C’est le problème avec la connaissance et la vérité en générale. Elles ont une sérieuse tendance à nous dépasser.

Leon médita en silence sur ce qui venait d’être dit avant de déclarer :

- Reprends le volant, s’il te plaît. J’ai besoin de me reposer le cerveau.

- A tes ordres, mon chou.

Alors qu’elle actionnait une commande, il grimaça :

- Je déteste ça.

Elle jubila.

- Moi, j’adore.

Le siège de Leon coulissa brusquement en arrière - permettant à celui de sa partenaire d’intégrer le poste de pilotage – puis il subit un virage de quatre-vingt dix degrés pour venir occuper l’espace réservé au passager.

 

- Et si nous échouons ? s’enquit Samuel. Que se passera-t-il ?

Ulrich Sand crispa ses mains sur le volant.

- Je préfère imaginer le pire.

- Mais si comme nous le pensons, ces rêves que tu fais ne sont pas des prémonitions, pourquoi leur faire confiance ? Pourquoi aller dans leur sens ?

Ulrich soupira.

- Ecoute, j’ignore pourquoi mon inconscient me dicte toutes ces choses, mais ce que je sais c’est que nous devons aller jusqu’au bout. Je n’ai jamais tué personne, et pourtant je peux te jurer que je ne serai pas tranquille tant que je n’aurai pas vu leurs cadavres de mes yeux. L’enjeu est trop important. Je le ressens au plus profond de moi. C’est une croyance qui dépasse tout ce en quoi j’ai pu croire jusqu’à présent.

 

Leon ouvrit les yeux. Il avait la bouche pâteuse et la tête en compote.

- Je peux savoir de quoi tu as rêvé tout à l’heure ?

Allys crispa ses mains sur le volant en repensant à son rêve.

- Qui t’as dit que j’avais rêvé ?

Leon se fendit d’un sourire.

- Comme par hasard, dès que tu te réveilles, tu sais très exactement où nous sommes censés aller.

Allys vit bien qu’elle ne pourrait pas le mener en bateau.

- Ok, j’ai rêvé. J’ai rêvé du motel.

Leon n’en finissait pas de sourire.

- Mais je suis certain que tu as rêvé d’autre chose, n’est-ce pas ?

Allys était gênée au plus haut point et elle ne fut capable d’émettre qu’un silence en guise de réponse.

Leon jubila.

- Tu as rêvé que nous faisions l’amour, hein, mon petit chou ?

Allys se tourna vers lui, furibonde.

- Espèce de… Sous prétexte que tu viens de faire le même rêve que moi, cela ne t’autorise pas à jouer avec mes sentiments! Petit con !

- Attention !

Allys tourna le volant à temps, évitant de justesse le pois lourd venant dans l’autre sens.

 

Tandis que Leon s’entretenait avec le réceptionniste, Allys jeta un coup d’œil au cadran de sa montre. 17h56. Ils avaient bien roulé. C’était étrange. Elle avait le sentiment qu’on lui avait donné rendez-vous ici. Et qu’elle était sur le point de faire une rencontre primordiale. Elle était inexplicablement tendue.

- Combien pour deux chambres ? s’enquit Leon.

- Navré, monsieur, il ne nous en reste plus qu’une seule. La sept.

Leon sourit malgré lui.

- Elle a deux lits ?

L’employé secoua la tête.

 

- Pourquoi tu fais la grimace ? s’emporta Leon en s’asseyant sur le lit. On aurait très bien pu aller ailleurs. Je suis certain qu’il y a des dizaines d’autres établissements dans le coin qui ont des tas de chambres libres. C’est toi qui as insisté pour qu’on reste ici.

Allys tournait comme un lion en cage. Elle se rongeait les ongles.

- Je sais, je sais. Mais c’est plus fort que moi. J’ai l’impression que c’est ce qu’il faut faire.

Leon avait de la peine de la voir dans cet état, elle qui, d’habitude, était si sereine. Il se leva et lui empoigna les bras :

- Si ces visions ne sont pas des prémonitions, pourquoi les respecter à la lettre ? Pourquoi ne pas suivre un autre chemin ?

Allys le dévisagea avec gravité. Tant qu’il en fut troublé. Elle se libéra et s’assit sur le lit en se recroquevillant comme une enfant.

Leon s’assit à côté d’elle. Ni trop près, ni trop loin. Allys avait besoin de réconfort. Il n’était pas maître en la matière, d’autant que la situation ne s’était jamais présentée.

- Tu crois que nous sommes les seuls à ressentir cela ? Tu crois que tous les êtres humains sur cette terre ont des doubles aussi dont ils ignorent l’existence et qui pourtant influencent leur destinée ?

Allys se tourna vers lui. A son sourire, il comprit qu’il ne s’en était pas trop mal tiré.

- Prends-moi dans tes bras.

Leon n’avait plus du tout envie de rire. Lui aussi avait rêvé qu’ils faisaient l’amour. Et en dépit des apparences, il était au moins aussi désemparé qu’elle à l’idée que cela puisse se produire.

- Pourquoi veulent-ils nous tuer ? Nous sommes des personnes honnêtes,  bienveillantes.

Au son de sa voix, Leon devina qu’Allys s’efforçait de ne pas pleurer. Elle était en train de craquer. Il lui caressa les cheveux.

 

Samuel Girard jeta un coup d’œil à l’horloge de bord.

18h36.

- Tu veux que je prenne le volant ? Tu as conduit toute la journée. Tu dois être crevé.

Ulrich Sand s’aperçut que ses yeux se fermaient. Il secoua la tête.

- Non, ça va. Je vais bien.

- Tu as peur de faire de nouveaux rêves ? Ca nous aiderait pourtant à y voir plus clair. Tu sais ce qui nous attend si nous allons jusqu’au terme de cette histoire.

Ulrich se tourna vers son associé. Toute trace de fatigue avait soudainement déserté son visage.

- Je sais ce qui nous attend si nous n’y allons pas.

 

Leon était installé au bureau dont était nanti la chambre. Allys s’était endormie sur le lit toute habillée. Lui était toujours en pyjama. A présent, il s’en amusait. Sur un morceau de papier, il avait écrit :

 

Noel Milkon      Noel Milkaun       Noel Milkawn = Leon Wilkman

 

Il sourit.

- Un anagramme!

Puis il commença à rire nerveusement.

«  Je ne sais pas qui fait les règles du jeu, mais en tout cas, il doit bien se marrer cet enfoiré! »

Allys gémit et se tourna. Leon l’observa.

Elle lui avait sauvé la vie. Cela ne la rendait que plus séduisante.

Il la regarda dormir et eut soudain très envie de dormir à ses côtés.

Il s’allongea près d’elle. Cherchant sa main, il trouva son poignet qu’il caressa tendrement. Un frémissement lui apprit qu’elle était réveillée. Un soupir lui fit comprendre qu’elle ne souhaitait pas qu’il s’arrête.

Le motel s’appelait « Au Bonheur des Ames ». Et cette nuit-là,  il ne déméritait nullement son enseigne.

 

Ulrich arrêta la voiture et vérifia le chargeur du revolver.

Il prit une profonde inspiration.

Samuel le fixa.

- Il n’a peut-être pas écouté ses rêves comme tu l’as fait. Ils ne sont peut-être pas dans le motel.

Ulrich observait la façade de l’établissement.

- C’est bizarre. Il y a une faute d’orthographe au nom de l’enseigne.

- Tu as entendu ce que je t’ai dit ? s’emporta Samuel.

Ulrich le scruta avec une froide détermination.

- Il a évité la bombe. Crois-moi, ils sont dans le motel.

Il sortit de la conduite.

 

Leon s’arc-bouta pour embrasser Allys et transmettre dans ce baiser toute la force de son amour.

Et tandis qu’il l’enserrait sans crainte de l’étouffer, elle sentit la vie se répandre en elle. Elle sut dès lors que cette nuit annonçait pour eux un futur empli de félicité.

 

Ulrich et Samuel s’arrêtèrent devant la porte de la chambre numéro sept.

Ulrich vérifia son arme pour la énième fois. Il dévisagea son partenaire et lui transmit toute sa résolution dans un simple regard.

D’un coup d’épaule, il ouvrit la porte et les deux hommes se ruèrent dans la pièce plongée dans l’obscurité. Le couple se dressa sur le lit. Ulrich fit feu sans hésiter. Il vida le chargeur entier.

- Allume !

Samuel trouva le commutateur et l’actionna.

Les draps étaient imbibés de sang. Un vrai carnage.

Ulrich s’approcha des corps. Lorsqu’il les identifia, il se laissa tomber à genoux.

Samuel le rejoignit.

- Oh, mon dieu !

Occupé à contempler les corps exsangues des deux homosexuels, Samuel ne vit pas Ulrich pointer son arme sur sa tempe.

Un coup de feu éclata tandis qu’à l’extérieur, la vieille enseigne du « Rue des Bons Hameau » grinçait dans la tempête naissante.

 

- Maudit ! Tu as triché ! Tu as changé le nom de l’enseigne !

Le Sombre Adversaire scruta sereinement le Grand Programmateur qui venait de l’invectiver.

- Je n’ai fait que changer l’ordre des lettres. C’est tout à fait réglementaire, mon cher. Et puis, de toute manière, je n’ai pas l’apanage de la fourberie, il me semble. En d’autres temps, tu n’as toi-même pas hésité à l’employer afin de l’emporter. Car tout comme moi, tu sais très bien  que si nous jouions seulement selon les règles, la partie ne serait pas aussi passionnante, pas aussi incertaine et durable. Car ne me dis pas que tu n’y as jamais songé : si le jeu fait de nous ce que nous sommes, que deviendrions-nous s’il devait s’arrêter ? Notre existence pourrait-elle se poursuivre ? Nous n’en savons absolument rien. Rien ne nous permet de croire qu’après le jeu, il existe un futur pour nous deux. L’éternité contre le néant, que choisis-tu ?

Le Grand Programmateur ne répondit rien. Il savait que le Sombre Adversaire était dans le vrai. Et cela ne l’enchantait pas particulièrement.

Il commençait à être fatigué de cette partie interminable. Il se demandait même parfois s’il n’avait pas intérêt à laisser son rival gagner. Mais quelque chose venait à chaque fois le tancer de n’en rien faire. L’enjeu était trop important. Ils ignoraient tous deux à quel point. La finalité de tout ceci leur échappait.

 

 

 

  DEUXIEME PARTIE

 

 

 

  Ralf Del Itoh regardait son album photo. D’aucun aurait trouvé cette occupation des plus incongrues compte tenu des circonstances. Mais c’était la moindre des complexités de la personnalité du dictateur.

Des coups résonnèrent à la porte.

- Entrez ! fit l’ancien chancelier sans détourner le regard des photographies.

Un homme en uniforme tendit le bras avant de se mettre au garde-à-vous.

- Mon Maître, l’Amérique vient de capituler. Les Alliés sont vaincus. Nous avons gagné la guerre. Le Troisième Empire va pouvoir débuter son règne et tout cela grâce à vous.

Ralf Del Itoh sourit. Le soldat ne l’avait jamais vu sourire ainsi.

- Non, dit le dictateur en lui tendant une photo de son album. C’est à eux que nous le devons.

Le soldat prit la photo et la détailla. Il y avait une belle jeune femme rousse dont le ventre rebondi témoignait d’un heureux évènement. Un homme séduisant la tenait dans ses bras. Ils avaient l’air très heureux d’être ensemble. Piqué par la curiosité, le soldat retourna la photo. Il y avait un message au verso :

 

 

 

Merci pour ce merveilleux cadeau que tu nous fais. Pour les prénoms, j’ai beaucoup réfléchi. Je propose Ralph si c’est un garçon. Et si c’est une fille… Et bien, appelons-la Ralphie ! Je plaisante. Je suis sûr que ce sera un garçon. Encore un pressentiment. Je t’embrasse très fort.

 

                                                                         Leon, ton chou.

 

 

Le Grand Programmateur fixa le Sombre Adversaire. Il le fixa sans mot dire puis fixa le jeu placé entre eux.

Il était fatigué de devoir résoudre cette équation qui s’étalait sous ses yeux. Fatigué d’en modifier les termes, de la transformer.

Il était surtout en fâcheuse posture. Et tous les deux le savaient.

Mais la partie était loin d’être finie. Le Grand Programmateur détenait encore de bonnes pièces. Et surtout une stratégie qui avait maintes fois fait ses preuves dans le passé. Il sourit. La victoire était encore possible. Son expression s’assombrit lorsqu’il vit le Sombre Adversaire se lever et prendre congé.

Il savait pourtant que cela le mettait hors de lui. Le Sombre Adversaire se retirait pour savourer son succès. Il reviendrait disputer la partie plus tard.

En attendant, des hommes et des femmes allaient subir la folie d’un empereur au sommet de sa gloire.

Le Grand Programmateur jura. Il ne pouvait plus le supporter. C’était arrivé déjà trop souvent. Il vérifia une dernière fois qu’il était bien seul et reprit une de ses pièces perdues précédemment qu’il replaça sur le plateau.

Un sourire illumina son visage.

- Il est grand temps de remettre en jeu l’un de mes meilleurs atouts

 

 

- Et si nous échouons ? s’enquit Samuel. Que se passera-t-il ?

Ulrich Sand crispa ses mains sur le volant.

- Je préfère imaginer le pire.

- Mais si comme nous le pensons, ces rêves que tu fais ne sont pas des prémonitions, pourquoi leur faire confiance ? Pourquoi aller dans leur sens ?

Ulrich soupira.

- Ecoute, j’ignore pourquoi mon inconscient me dicte toutes ces choses, mais ce que je sais c’est que nous devons aller jusqu’au bout. Je n’ai jamais tué personne, et pourtant je peux te jurer que je ne serai pas tranquille tant que je n’aurai pas vu leurs cadavres de mes yeux. L’enjeu est trop important. Je le ressens au plus profond de moi. C’est une croyance qui dépasse tout ce en quoi j’ai pu croire jusqu’à présent.

 

Chris Ludan se réveilla. Il secoua la tête pour quitter définitivement ce rêve sordide. Un rêve qui dépassait en intensité tous ceux qu’il avait pu faire auparavant.

La réalité se rappela violemment à lui sous la forme d’un étendard noir orné d’un aigle rouge sang. L’emblème des forces de Ralph Del Itoh, ennemi suprême de la liberté et de la tolérance. Il observa les autres résistants qui l’accompagnaient. Fatigués, blessés physiquement et moralement mais toujours armés et surtout déterminés à repousser les hordes impies du Troisième Règne.

Il y avait eu le règne du Saint Empire romain germanique.

Il y avait eu le règne de l’empire fondé par Marc Bisk.

Il n’y aurait pas celui de Ralf Del Itoh.

Chris Ludan rassembla ses compagnons d’armes autour de la table sur laquelle était dressé la position des forces ennemies.

Pour eux, la partie ne faisait que commencer.

 

Triomphant, debout sur un Char de combat de type Blinkbowl, Ralf Del Itoh défilait le bras tendu au son de la flamboyante Marche de Radetzky. Il souriait.

C’était son air favori et il en avait fait depuis des années son hymne personnel.

Il trouvait enfin, en ce glorieux jour d’ascension, l’occasion idéale d’en faire retentir les percutantes mesures. Il n’avait pas lésiné sur les moyens. Un orchestre entier, remorqué par le char, jouait en direct devant un public médusé. Tous les habitants de Washington semblaient sous le charme de la musique. Les fusils-mitrailleurs Juggernaut pointés dans leur dos avaient sans doute le don de développer leur fibre musicale.

 

- Vous allez bien, Capitaine Ludan ?

Chris Ludan fixa son équipier avec un sourire qui se voulait rassurant. Ces affreuses migraines le reprenaient. Mais ce n’était pas en montrant une telle faiblesse qu’il allait pouvoir obtenir le meilleur de ses troupes. Il devait s’en accommoder.

- Ce n’est rien, Andy. J’ai dû avoir mon compte de gueules de bois dans une autre vie. Faut croire que maintenant j’en paye le prix.

Andy s’esclaffa. Chris l’accompagna.

Il profita du fait que tous ses hommes l’observaient pour faire une annonce spéciale.

- Maintenant que ce cher Ralf croit avoir remporté une victoire totale et définitive, il va s’empresser de donner aux hommes qu’il a perdu une sépulture décente afin d’honorer leur mémoire comme il convient. Histoire d’en faire des martyrs de guerre, des héros sacrifiés pour la bonne cause. C’est là que nous allons entrer en jeu.

A cette annonce, les visages se défirent. Les hommes du Capitaine Ludan étaient coutumiers de ses plans peu orthodoxes. Mais là, ça frôlait la démence.

Jerry Cold, son bras droit, parla pour tout le monde :

- Tu veux qu’on enterre les cadavres à la place de ces salauds ?!

Ludan leur dédia un sourire équivoque.

- Mieux que ça. Nous allons faire en sorte que certains d’entre eux ne soient jamais morts.

Sur ces mots, il s’empara d’un fusil à grenades Hellfire, une arme ennemie qui avait causé d’énormes pertes dans les rangs alliés.

- Del Itoh croit que toute résistance est anéantie. Nous allons nous charger d’entretenir son utopie.

 

Il aurait été mensonger de dire que Ralf Del Itoh était aux anges. Non. C’était bien plus que cela. Il exultait littéralement de joie. Son cœur battait au rythme de la musique tant et si bien que le dictateur avait le sentiment que c’est de sa poitrine même que sortait les accents enchanteurs des cuivres, des cordes et des percussions. Et cela ne faisait que renforcer son exaltation. Son bras droit, Buruts,  vint le rejoindre.

Del Itoh lui adressa un sourire paternel.
- Je ne sais pas si je te l’ai déjà dit, mais cette magnifique marche a été écrite par Johann Strauss Senior en hommage au feld-maréchal autrichien comte Joseph Radetzky. Ce brave Joseph a livré bataille contre les troupes françaises pendant les guerres napoléoniennes. Il n’avait pas moins de 82 ans lorsqu’il a mené son ultime campagne en Italie en 1849. Un bel exemple à suivre.

Buruts regarda la foule de prisonniers américains constituant l’auditoire.

Cette scène lui laissait un arrière-goût dans la bouche. Del Itoh ne voyait pas le mal qu’il était en train de faire autour de lui. Il y a longtemps qu’il ne le voyait plus. Il avait construit sa vie, bâti ses rêves et forgé sa destinée sur la souffrance des autres. Comment pourrait-il faire marche arrière ? Il avait dépassé le point de non-retour depuis trop longtemps.

Buruts avait crû parfois déceler un regain de conscience chez le dictateur, une ombre de doute, d’hésitation à des moments stratégiques, comme lorsqu’il avait pris la décision de multiplier les Camps de Contrition. Ces installations pénitentiaires avaient servi de base aux plus dangereux scientifiques du Troisième Empire. Les prisonniers, pour la plupart des hommes et des femmes de couleur ainsi que nombre de mutilés et d’handicapés, avaient constitué des cobayes idéales pour des expériences contre nature : lavages de cerveaux, lobotomisations, conditionnements, greffes, clonages. Devant cette escalade d’horreur, Buruts n’avait pu rester de marbre et avait tenté de décourager son père de continuer à employer de telles méthodes.  Il était parvenu à l’émouvoir en élaborant un discours mettant en jeu leurs propres relations. Cela n’avait pas duré. Là encore, cette impression de lucidité s’était rapidement évanouie pour faire place à une froide détermination, un engagement sans faille.

Les atrocités avaient repris de plus belle.

Buruts médita ces souvenirs glaçants. Il scruta à nouveau la foule.

Réflexion faite, il n’y avait qu’un seul prisonnier. Del Itoh, lui-même. Prisonnier de lui-même, de sa faiblesse.

L’aide de camp savait qu’il avait aussi les mains couvertes de sang. Il avait toujours su se tenir à l’écart de la guerre proprement dite, mais il s’était rendu lui aussi coupable de toutes les atrocités commises par son silence et son allégeance forcenée.

Il ne valait pas mieux que Del Itoh lui-même. C’est peut-être pour cette raison qu’il n’avait pu s’empêcher de grimper sur le char et de se tenir aux côtés du dictateur. Pour extérioriser cette image de complicité. Et certainement pas parce qu’il était son fils adoptif.

Il regarda son père. D’un sourire, il fit mourir le sentiment de haine qu’il ressentit pour la première fois à son égard.

- Si je puis me permettre, père, vous marchez sur les traces de Radetzky. Vous pouvez être fier de vous.

 

Le Grand Programmateur ne put s’empêcher de rire. Ca sentait le roussi pour le dictateur. Une bonne faille à exploiter, se dit-il. Il vérifia que le Sombre Adversaire était toujours hors de vue et s’approcha d’une armoire vétuste dans le fond de la pièce. Il commença à fouiller avidement à la recherche d’un objet précis.

- Mais où est-elle, bon sang !

Tandis qu’il la recherchait activement, sans s’occuper du bruit qu’il générait, une pensée terrible se fit jour en lui : « Pourvu qu’il ne l’ait pas jetée ! C’est vrai, depuis tout ce temps qu’elle n’a pas été utilisée ! Si jamais elle est perdue, je ne m’en remettrai jamais ! Une telle personnalité ! Un tel potentiel ! »

Il poussa un cri de joie lorsque ses doigts rencontrèrent la figurine. Elle était un peu ternie, certes, mais elle était encore en état de jouer et c’était tout ce qui importait. Le Grand Programmateur l’embrassa.

- Qu’est-ce que tu fais ?

Le Sombre Adversaire était revenu.

Le Grand Programmateur cacha la figurine dans son poing et alla s’asseoir devant le plateau de jeu.

- Je contemplais l’étendue de mes pertes. Force m’est de constater que tu es un très bon joueur.

Le Sombre Adversaire se fendit d’un sourire et se rendit jusqu’à l’armoire qu’il verrouilla. Il remit la clé autour de son cou et revint prendre sa place.

Il scruta son adversaire avec malice.

- Epargne-moi tes flatteries d’origine suspecte. Je ne sais pas ce que tu manigances, mais je compte bien le découvrir.

Il reporta son attention sur le plateau de jeu.

- Hum, tu n’as pas perdu de temps, on dirait. J’ai l’impression qu’il y a eu un petit peu de changement en mon absence.

Un bruit insolite lui fit tourner la tête.

Le Grand Programmateur en profita pour placer son nouvel atout dans la partie.

 

Elle sentit les flammes lui lécher les pieds. L’odeur de sa propre chair brûlée remonta jusqu’à elle. Elle eut envie de vomir, mais la douleur l’en empêcha. Elle voulut crier, mais sa voix fut étouffée par le rugissement du brasier. La chaleur fit bouillir son sang dans ses artères et fit fondre ses vêtements et sa peau comme de la cire. Plus que quelques instants et ce serait la fin.

 

 Jenna se réveilla. L’air empestait encore la chair brûlée. Mais ce n’était pas la sienne. Elle était sur un bateau volé à l’ennemi. Ses hommes s’affairaient, vérifiant les munitions, distribuant les rations, peaufinant la stratégie établie.

Elle avait des bottes de cuir, un ceinturon dans lequel était glissé un pistolet. Elle portait un pantalon fauve, une simple chemise de teinte claire et ses longs cheveux châtains étaient retenus par une élégante queue de cheval.

Elle évitait de regarder le brassard noir orné de l’aigle rouge qu’elle arborait et qu’elle savait faire partie intégrante de l’uniforme du Troisième Empire.

Ils traversaient la mer de Crète. Les monuments rattachés à l’illustre mythologie grecque avaient été pillés et détruits par les troupes impies de Del Itoh, parfois sans son consentement. La folie était vite devenue contagieuse, comme un immonde relent charrié par le vent de la guerre.

Ils n’étaient pas loin des côtes. L’épouvantable odeur qui l’avait tirée du sommeil provenait des charniers abandonnés. Elle n’osait imaginer l’état des corps. Elle savait qu’il n’y avait pas que des adultes.

Son visage se crispa, ses poings se serrèrent. En l’espace d’un instant, elle ne fut plus la jeune israélienne orpheline jetée malgré elle dans la tourmente. Elle redevint Jenna d’Acre, la Panthère de Dieu, la Vierge de Fer.

Elle se redressa et improvisa une réunion. Une centaine d’hommes se tenait avec elle sur le bâtiment. Tous voués corps et âme à sa cause. Ils s’étaient baptisés « Les Frères de la Délivrance. »

- Mes Frères, dit Jenna de sa voix claire et autoritaire, nous arrivons bientôt en Italie, pays d’origine de ce mal innommable. D’après des sources sûres, Del Itoh en personne s’y rendra afin de faire signer la capitulation aux dirigeants alliés. La ville dans laquelle aura lieu l’assemblée ne nous a pas encore été communiquée. Certains pensent que ce sera Rome ou Venise. Moi je suis persuadée que ce sera Milan. Car c’est la ville natale de Del Itoh. Sa vanité est notre plus précieux allié pour anticiper ses intentions. Et jusqu’à présent, mon instinct ne m’a jamais trompé. Elle ajusta sa casquette sur sa tête. Alors, où irons-nous, mes frères ?

Tous les hommes levèrent le bras comme un seul et crièrent :

- Milan !

 

C’était une bien triste besogne et cruelle à plus d’un titre. Mais la victoire l’exigeait. Les hommes du Capitaine Ludan dépouillaient les cadavres, les inhumaient et revêtaient les uniformes pris aux morts, devenant par là même ceux qu’ils faisaient disparaître.

Chris vit un soldat jeter le brassard faisant partie intégrante de l’uniforme ennemi. Il marcha jusqu’à lui.

- Ramasse-le et porte-le. C’est un ordre. Nous leur ressemblerons autant que possible. Il y aura suffisamment d’occasions pour nous trahir, alors je veux mettre toutes les chances de notre côté. Ca ne m’enchante pas plus que toi, mais ça fait partie du plan et nous le suivrons à la lettre.

Le soldat soupira et ramassa le brassard.

Chris improvisa une réunion dans les restes d’un hôtel. Une carte des Etats-Unis était déroulée sur une table et punaisée par endroits.

- D’ici quelques jours, les troupes de Del Itoh viendront jusqu’ici. D’après eux, il n’y a plus âme qui vive en Géorgie. Cet état a été l’un des plus bombardés. Nous en savons quelque chose.

Les visages se durcirent au souvenir des pertes humaines. Les chasseurs et les bombardiers avaient fait place nette, détruisant d’importants stocks de nourriture et de munitions ainsi que les principaux générateurs d’énergie.

Les bâtiments de guerre piégés en haute mer par les nouvelles mines Deathwash avaient mis fin officiellement à la résistance de ce côté-ci du monde.

Tout cela avait laissé un goût amer dans la bouche des survivants. Il avait fallu à Chris Ludan déployer des trésors d’ingéniosité pour les convaincre de s’engager avec lui dans un nouveau combat. Vivre libre ou mourir, tel était leur credo. Ce n’était pas très original, mais c’était un argument qui avait déjà fait ses preuves dans le passé. Il leur avait répété qu’il existait d’autres poches de résistance ailleurs telle que la leur et qu’elles attendaient tout comme la leur de réunir tous les éléments nécessaires pour se fortifier. En temps et en heure leurs efforts combinés se verraient récompensés. Il fallait être patient et persévérant.

Chris regarda ses hommes. Il éprouva une immense fierté d’être à la tête de tels soldats. Il poursuivit :

-  Dès ce soir, nous marcherons vers la capitale. Nous avons récupéré quelques blindés de type Kougar en état de marche. Nous nous ferons passer pour un commando Slasher chargé de récupérer du matériel de guerre en vue de l’acheminer vers la côte. Comme vous avez pu le remarquer, je n’ai pas enfilé la tenue d’un officier, mais celle d’un simple fantassin comme la vôtre. Je crois que j’en ai un peu marre des responsabilités.

Les hommes rirent. Chris se félicita de ce trait d’humour. C’était vital de pouvoir encore rire en une telle période. Il reprit son sérieux.

- En fait cela leur évitera de poser trop de questions embarrassantes. Nous dirons simplement que le Général…

Chris sortit des papiers qu’il avait rangés dans sa poche :

-… Banco…

Nouveaux rires.

- …Ca ne s’invente pas. Donc nous dirons que notre supérieur, ce brave Général Banco, a marché sur une mine et que nous rentrons retrouver Del Itoh en vue de l’escorter jusqu’en Europe. Je sais que la plupart d’entre vous sont de très bons pilotes qui ont déjà fait leurs preuves. Moi-même, j’ai toujours aimé me retrouver dans un cockpit. De ce fait, nous demanderons à intégrer humblement une escadrille de chasseurs. On va jouer à l’arroseur arrosé, on va retourne sa stratégie contre lui. Vous m’avez compris ? On va se faire le plaisir de dézinguer son zinc à ce fumier !

Les hommes saluèrent le discours avec force cris et gesticulations. Il y eut même quelques rafales tirées en l’air. Devant ce débordement de joie, Chris sourit. Mais son visage s’assombrit lorsqu’il repéra la triste figure de Calvin Carson.

- Carson ! Tu as quelque chose à me dire ?

Le silence revint. Tous les regards se tournèrent vers l’intéressé. Qui ne se fit pas prier plus longtemps :

- Je pense que tu n’as pas oublié que très peu d’entre nous, voire aucun, ne parle l’italien. Je ne veux inquiéter personne, mais je pense que ce détail peut éventuellement avoir son importance dans le plan que nous devons suivre.

Une rumeur sourde gagna l’assemblée que Chris fit cesser rapidement.

- Jerry !

Le bras droit du Capitaine fendit la foule et s’avança jusqu’à Carson aux pieds duquel il déposa une caisse noircie par la fumée.

- Qu’est-ce que c’est ?

Sur un signe de Chris, Jerry l’ouvrit. A l’intérieur, il pêcha un petit appareil emballé dans du plastique qu’il jeta à Carson. Ce dernier inspecta l’objet dont il ignorait le nom autant que la fonction.

Chris se chargea de combler ses lacunes :

- On a baptisé ça un vox imperati. Je peux me tromper, mon latin n’est plus ce qu’il était. Autrement dit, c’est un appareil qui permet de comprendre et de parler la langue ennemie. On a trouvé cette caisse il y a deux jours. Très bien planquée. Une bénédiction. Il y en a assez pour nous tous.

Consterné, Carson contemplait l’appareil sous tous les angles.

- Fais-nous une démonstration, lui proposa Jerry.

Carson ôta le vox imperati de sa protection. Il ajusta l’oreillette couleur chair dans son oreille droite et ajusta le modulateur vocal sur sa pomme d’Adam avec l’aide de Jerry. Il se racla plusieurs fois la gorge puis déclara :

- Il piace spaghettis !

Ce qui ne manqua pas de provoquer l’hilarité générale.

 

 

- Tu as entendu ce bruit ?

Le Grand Programmateur haussa les épaules.

- Ce n’était probablement rien. Le coin est plutôt calme. C’est le moins que l’on puisse dire.

Le Sombre Adversaire commença à trépigner sur sa chaise.

- Tu ne voudrais pas aller jeter un coup d’œil ? C’est le genre de choses qui me perturbe facilement. Et je n’arriverai pas à jouer correctement si je ne suis pas tranquillisé.

Le Grand Programmateur feignit de se concentrer sur le jeu.

- C’est ton problème, il me semble. Tu n’as qu’à vérifier par toi-même.

Le Sombre Adversaire produisit un rictus à la mesure de sa frustration.

A son tour, il fit mine de reporter toute son attention sur la partie en cours.

- A titre informatif, si je devais perdre à cause de cette…broutille, tu ne pourrais pas t’attribuer tout le mérite de ta victoire. Et quel intérêt dans ce cas ?

Le Grand Programmateur releva la tête. Il arrivait toujours un moment où ils redevenaient de simples enfants, chahutant, se querellant et se piégeant sans vergogne.

Il pointa un doigt en direction du Sombre Adversaire et l’agita nerveusement comme dans l’intention de proférer une menace. Puis il soupira et se leva.

Il écarta le rideau qui masquait l’autre côté de la pièce et disparut.

Le Sombre Adversaire glissa une main dans sa poche, embrassa la figurine qui s’y trouvait et la déposa rapidement sur le plateau.

Le Grand Programmateur revint à sa place.

Le Sombre Adversaire le dévisagea :

- Alors ?

- Je n’ai rien vu. Ca ne valait vraiment pas le coup que je me déplace.

Le Sombre Adversaire sourit.

- Tu m’en vois désolé.

 

- Jenna, la Sicile est en vue !

La jeune femme rejoignit Jonas au poste de pilotage. Elle sourit.

- Très bien.

Elle dévisagea son équipier avec gravité.

- Je crois qu’il est temps.

Elle posa une mallette sur une table et l’ouvrit. Elle saisit son contenu qu’elle appliqua soigneusement sur son visage. Lorsqu’elle se retourna, son équipier eut un mouvement de recul.

- Mon dieu ! C’est à s’y méprendre !

Ralf Del Itoh sourit.

- Avec un modulateur vocal ce sera vraiment à s’y méprendre, fit la voix de Jenna d’Acre.

 

Jenna vérifia une dernière fois l’efficacité de son déguisement. Elle compara le reflet que lui renvoyait le miroir avec une photo de Del Itoh prise sur l’ennemi.

Elle avait pris l’apparence de l’homme que le monde libre haïssait le plus, de l’homme qu’elle haïssait le plus. Un paradoxe qui allait pourtant peut-être leur permettre de remporter la victoire. Peu importait les moyens. L’enjeu exigeait les solutions les plus inacceptables.

Elle frissonna en s’apercevant  qu’ils avaient les mêmes yeux.

Au moins, elle n’aurait pas à supporter le port de lentilles qu’elle trouvait douloureux. Elle étira les lèvres, faisant sourire le dictateur.

- Bene.

Elle se retourna et c’est alors qu’elle remarqua le message déposé sur son bureau.

En le découvrant, elle écarquilla les yeux de stupeur. Une terreur sourde l’envahit, faisant trembler ses mains. Puis ses sourcils se froncèrent et son visage se durcit. Elle quitta sa cabine en furie.

Gad, le radio, était à l’avant du bâtiment, partageant une discussion animée avec les mécanos. Lorsque ces derniers virent Jena marcher vers eux, ils tremblèrent à l’idée d’avoir commis une bévue. Elle avait retiré son masque et son visage était déformé par une colère sans nom. Lorsqu’elle agita le message radio, ils remercièrent le ciel.

- Pourquoi tu ne m’as pas averti ?!

Gad ne l’avait jamais vu si en colère. Il regretta profondément d’en être la cause.

- Je pensais que c’était secondaire étant donné nos dispositions.

- Si c’est secondaire, c’est à moi seule d’en juger.

Ses yeux s’embuèrent.

- Et puis, comment as-tu pu une seule seconde penser que ça pouvait être secondaire ? Des vies sont en jeu, des hommes sont en danger, des hommes comme nous, des soldats qui luttent pour la liberté et la justice. Nous ne pouvons pas en toute conscience feindre de l’ignorer.

A présent, elle s’adressait à tous.

- Nous n’avons pas le droit de les abandonner. Si ce message nous est parvenu, ce n’est pas un hasard. Je ne crois pas aux hasards. Et je sais que vous non plus.

Il y eut un silence. Puis un homme demanda :

- Où sont-ils ?

Le visage de Jenna s’éclaira instantanément.

- En France. A Orléans.

Jonas fendit la foule et se planta devant elle.

- On ne peut pas saborder une stratégie qui nous a demandé des semaines de préparation. Tout est fin prêt. Excuse-moi, Jenna, je pensais ne jamais avoir à te dire ça, mais je te trouve complètement inconsciente.

Elle planta ses yeux noirs dans les siens, le défiant avec superbe.

- Qui m’aime me suive.

 

Le capitaine Ludan et ses hommes eurent bientôt l’occasion d’éprouver l’efficacité du vox imperati.

Une garnison flanquée de soldats motocyclés vint à leur rencontre. Chris descendit prestement d’un char Kougar et se chargea du compte-rendu. En italien.

- Mes respects, Mon Général. Soldat Siri, artilleur du septième commando Slasher. Content de vous voir. On a perdu notre radio. Impossible de communiquer notre position. Le Général Bingo, paix à son âme, a péri, il y a deux jours, sur une de ces saloperies de mines rampantes.

Le chef de la garnison détailla le détachement avec une attention qui inquiéta les hommes de Ludan. Si jamais leur imposture n’était pas parfaite, ils le sauraient très bientôt. Après un examen qui leur parut interminable, le général se rapprocha de Chris qu’il dévisagea gravement.

- C’est étrange. Vous ne ressemblez pas à des hommes du Troisième Empire.

Chris s’empêcha de déglutir. Lorsqu’il vit le gradé plonger une main dans son manteau, il s’apprêta à faire signe à ses hommes d’ouvrir le feu.

- Vous avez dû passer trop de temps en Amérique !

Le général fit jaillir un flacon de cognac.

- Bienvenue en Italie !

Puis il éclata de rire.

 

Un appareil de ravitaillement attendait sur la berge. Les deux pilotes italiens s’interrogeaient mutuellement sur l’avenir du monde en fumant une cigarette.

Le navire de guerre Di Galio accosta à ce moment. Les deux pilotes  allèrent à sa rencontre. A l’avant se dressait Ralf Del Itoh, mains croisées dans le dos,  telle une figure de proue, escorté de deux soldats figés comme des statues.

Déconcertés par cette apparition, les pilotes le saluèrent néanmoins en tendant le bras.

- Mes respects, Mon Maître.

- Nous vous croyions en Amérique, là où la victoire s’est affirmée.

Les deux gardes du corps du dictateur abattirent les deux pilotes.

Jenna rejoignit la terre ferme.

« Les Frères de la Délivrance » acheminèrent leur matériel à l’intérieur du cargo aérien. Il ne leur fallut en tout et pour tout qu’une demi-heure pour prendre totalement possession de l’appareil. Sitôt chargé, il décolla en mettant le cap vers l’hexagone.

 

L’arrivée de Ludan et de ses hommes à Washington fut une douleur sans nom.

Les monuments les plus symboliques de la capitale avaient particulièrement souffert des bombardements et des offensives aux canons lourds Ouranos. Sûrement à dessein.

De l’obélisque, il ne restait plus que la base et la statue de Lincoln était décapitée. Quant à la Maison Blanche, emblème de souveraineté, elle arborait une façade meurtrie par les tirs de harcèlement des mitrailleuses françaises Hallebarde. Un des éléments déterminants dans la suprématie de l’Italie avait été sa capacité à incorporer presque systématiquement l’armement ennemi dans le sien et à s’y adapter rapidement, multipliant ainsi sa puissance de feu et décuplant l’efficacité de sa stratégie.

L’aéroport était déjà infesté d’appareils impériaux de toute catégorie : des chasseurs américains Sweeping en passant par les bombardiers anglais Skycrush. Les italiens s’étaient même payés le luxe de dérober un Stormaker, un appareil de guerre qui abritait dans ses soutes une véritable usine d’armement. On le surnommait à juste titre « l’arsenal volant. »

Ralf Del Itoh avait déjà embarqué à bord du « Mein Kampf », son avion personnel. L’appareil ressemblait à un aigle géant. Son museau imitait presque à la perfection le bec vorace du rapace. Le soleil miroitait sur le fuselage blindé, lui conférant une beauté qu’il ne méritait pas.

 

Après avoir fait montre de leurs talents de pilote, Chris Ludan et ses hommes furent assignés à l’escorte du « Mein Kampf. » Aucune parole ne fut prononcée, juste des regards encourageants invitant à la prudence.

Avant de se diriger vers la capitale, Chris avait répété inlassablement la stratégie d’attaque avec ses hommes. Parmi ses hommes, une femme s’était détachée par son panache et ses idées. Elle se nommait Lisa Derdefyll. Chris l’estimait beaucoup. Peut-être un peu trop. Il l’avait prise comme co-pilote et ils montèrent ensemble à bord d’un Sweeping.

Lisa rayonnait littéralement. La perspective d’une victoire sur le Troisième Empire avait le don de sublimer sa beauté. Chris eut beaucoup de peine à s’arracher à cette contemplation. Ce n’était guère le moment de se laisser distraire. Il reporta son attention sur le ciel fourmillant d’appareils. Ils étaient en bonne position. Le « Mein Kampf » était juste un peu plus loin devant eux. Une fois que les autres auraient fait place nette, ils n’auraient plus qu’à mettre un terme à l’existence de Ralf Del Itoh.

Il s’adressa à Lisa, mais se rappela qu’il parlait toujours dans la langue du despote. Il arracha son vox imperati et l’écrasa sous le talon de sa botte.

- C’est maintenant que tout va se jouer.

Lisa lui serra la main. Il se retint de l’embrasser.

 

Tandis que le cargo italien amorçait sa descente, Jonas interrogea Jenna :

- J’aurais pu moi-même me charger de cette mission. Tu serais restée en Italie avec la moitié des hommes. Pourquoi à tout prix changer notre plan ? Pourquoi risquer une capitulation complète alors que la victoire était en train de nous sourire ?

La jeune israélienne ne semblait pas avoir entendu. Elle regardait droit devant elle. Elle semblait essayer de se rappeler quelque chose. Jonas allait réitérer sa question lorsqu’elle dit :

- C’est important. Plus important que tu ne peux le croire. Plus important que je ne peux l’imaginer.

Jonas ne pouvait se contenter d’une telle réponse.

- Comment peux-tu le savoir ?

Jenna était dans un état second.

- Je ne sais pas comment. Fais-moi juste confiance comme tu as su si bien le faire jusqu’à présent.

Jonas comprit que toute contestation était vaine. Jena était à nouveau dans une transe mystique à l’échelle de celle qui lui avait permis de se lancer à la tête d’une petite armée pour gagner une guerre qui donnait tous les signes d’être perdue. Il l’avait suivie une première fois, émerveillé par sa fougue. Pourquoi renoncerait-il maintenant à partager avec elle une victoire acquise par d’autres moyens ?

- Quels sont les effectifs ?

Jenna ne put s’empêcher de sourire. Il était revenu avec elle et elle s’en félicitait intérieurement.

- Le message mentionnait une centaine de fantassins français. Du côté italien, deux tanks Blinkbowl qui les prennent en tenaille.

- De quel armement dispose nos alliés?

- Apparemment, rien de menaçant. C’est là que le bât blesse.

- Nous n’avons pas grand-chose non plus.

- Nous avons l’effet de surprise. C’est bien plus qu’il n’en faut.

Elle produisit un objet cylindrique.

- Et puis, je compte bien sur les grenades magnétiques ainsi que sur les mines rampantes pour atomiser ces salauds.

 

Ralf Del Itoh était installé dans le salon somptueusement décoré. Il avait fait ramener à bord d’illustres toiles de maîtres dérobées aux alliés. Il aimait la peinture. Il aimait l’art. Il s’était d’ailleurs toujours senti artiste dans l’âme. Sans doute l’avait-il été dans une autre vie. Il se plaisait à le penser.

Buruts le rejoignit avec deux verres et une bouteille de vin rouge.

Il n’avait pas choisi un grand crû de sorte qu’il savait que l’arrière-goût du poison foudroyant passerait comme une lettre à la poste.

- Pourquoi avoir baptisé cet avion « Mein Kampf » ? Pourquoi pas quelque chose qui sonne un peu plus italien ? Je sais que les allemands nous soutiennent depuis longtemps dans nos actions, mais je trouve que c’est quand même leur faire beaucoup d’honneur.

Le dictateur sourit sans apparemment prendre ombrage de la remarque.

- Je pense que je n’étais pas simplement artiste dans une autre vie. Je devais être aussi allemand. J’ai toujours admiré cette langue, ses accents, sa richesse, sa poésie.

Buruts était loin de partager une telle passion. Mais comme à son habitude, il ne dit mot et remplit les deux verres.

- Et que signifie « Mein Kampf », déjà ? J’oublie à chaque fois.

- Mon combat.

Del Itoh parut s’enfermer dans un songe enchanteur. Son sourire se déploya. Il porta le verre à ses lèvres.

- Ca ferait un bon titre pour un bouquin.

La bouteille de vin explosa dans la main de Buruts.

Des crépitements de balles résonnèrent sur la carlingue de l’appareil.

Le visage du dictateur devint cramoisi. L’air s’engouffra par le hublot. Il laissa tomber son verre.

- Bon sang, mais qu’est-ce que c’est que ce bordel !

L’opération  « Délivrance » venait de commencer.

L’avion de Ludan se faufila vers le « Mein Kampf », couvert par les autres chasseurs de son unité.

Dans le cockpit de l’aigle d’acier, les informations parvenaient dans la plus grande confusion aux oreilles des deux pilotes. Des informations et un vacarme de cris et d’explosions qui ne laissaient aucun doute sur son origine.

Des voix américaines se faisaient entendre sur une de leurs fréquences. Leur escadrille était en train de se faire attaquer !

Furieux, le Maître se tourna vers son fils pour réclamer une explication.

Il sut qu’il n’en aurait pas lorsqu’il vit son corps inanimé sur le sol de la cabine. Sa poitrine était rouge. Et ce n’était pas du vin.

 

 

 

« NON ! »

Le Grand Programmateur serra les poings. « Mauvais timing ! »

A trop accumuler les atouts, il finissait par les saboter. Il venait d’en sacrifier un inutilement. Il se mordit la lèvre et jeta un coup d’œil furtif au Sombre Adversaire. Ce dernier était étrangement calme en dépit des évènements.

«  Il avait dû prévoir cette attaque. »

Il reporta son attention sur le jeu.

Et espéra que rien d’autre ne viendrait enrayer la parfaite mécanique de sa stratégie.

 

Jenna terminait de briefer « les Frères de la Délivrance. » Jonas la rejoignit rapidement et lui donna un sac de munitions qu’elle ajusta sur ses épaules.

- Allons-y.

Elle grimpa sur un amas de ruines – un centre commercial dans un passé encore récent – et porta une paire de jumelles à ses yeux.

- Je vois le premier char tout en haut de l’avenue. On avance jusqu’à la barricade, là-bas, et on lâche les mines rampantes.

Les détonations des canons ébranlèrent l’atmosphère.

En dépit de la menace et du spectacle de désolation que la cité assiégée offrait au regard, Jenna se sentait étrangement sereine. Comme si elle était en terrain connu. Peut-être ce sentiment de déjà-vu qu’elle ressentait n’était pas étranger à son état presque euphorique. La victoire ne faisait aucun doute. Elle était presque palpable.

Jonas donna un violent coup de pied dans ses convictions.

- Et si c’était un piège !

Tout en progressant, Jena le dévisagea avec perplexité.

- Aucune raison que ça en soit un. Personne ne sait que nous existons.

- Nos exploits au Moyen-Orient ont été retentissants. Ta réputation a pu te précéder.

Jenna s’arrêta et fixa son allié avec une sorte de compassion.

- Tout le monde me croit morte. Ce simulacre d’assassinat nous a coûté suffisamment en explosifs.

Jonas sourit en se projetant la scène. Cet attentat à la voiture piégée avait été un bon moyen d’avoir les coudées franches. Il est vrai que le résultat avait été à la hauteur de leurs espérances. Mais contrairement à Jenna, d’être à Orléans lui procurait un sentiment de malaise qui ne le laissait pas en paix et le faisait douter de tout.

- Tu as sûrement raison. C’est juste que nous n’avons jamais été aussi proches de la victoire.

Elle lui serra la main. Il se retint de l’embrasser.

 

Les chasseurs impériaux tombaient comme des mouches.

Del Itoh avait actionné le mode transparence du « Mein Kampf » et à travers le fuselage fantôme il pouvait voir son escorte se dissoudre dans de fulgurantes détonations  et autant de lugubres flèches de fumées noires pleuvant vers le sol.

C’était pire que dans ses cauchemars les plus fous. Quelqu’un avait réussi à se dresser contre lui, dans le plus parfait anonymat. Et ça ne pouvait pas être cette maudite « Vierge de fer » puisqu’il la savait à Orléans, prête à tomber dans son embuscade. Non, c’était quelqu’un d’autre. Et d’ignorer son nom et son visage le mettait dans une rage sans nom. Il pénétra dans le poste de pilotage.

- Actionnez l’armement du « Mein Kampf ! »

L’un des pilotes osa le mettre en garde.

- Mon maître, nous risquons de ne pas avoir assez d’énergie pour rallier l’Europe.

Le regard légendaire de Ralf Del Itoh fit le reste.

 

Le chasseur du Capitaine Ludan louvoyait habilement, évitant les tirs ennemis et les morceaux d’épaves constellant le ciel transformé en enfer l’espace de quelques minutes. Multipliant les morceaux de bravoure, il n’hésita pas à secourir un allié en difficulté tout en arrosant copieusement sa cible prioritaire qui soudain commença à se transformer de manière inquiétante.

- Merde, c’est quoi ce bordel ?

L’aigle de métal venait de se dresser à la verticale tout en se stabilisant. Les parties de son fuselage étaient en train de coulisser, de s’escamoter dans une parfaite harmonie tel un puzzle grandeur nature exécuté par des doigts invisibles et experts.

En moins d’une minute, le « Mein Kampf » devint un humanoïde surréaliste, un titan à tête de rapace qui déversa un déluge de feu au moyen de canons mitrailleurs intégrés dans ce qui lui tenait lieu de bras.

- Mon Maître, nous ne savons même pas sur qui tirer. Nous risquons de toucher votre escorte.

Le dictateur produisit un râle de dédain.

- Pour ce qu’il en reste et vu son efficacité, je saurai m’en passer.

 

Pourtant la présence du géant de fer eut un effet foudroyant sur les survivants du Troisième Empire. Il leur inspira une vaillance qui mit à mal les efforts des hommes de Ludan.

- Ils se laissent pas faire, Mon Capitaine, rugit Jerry Cold. C’est à cause de ce putain de robot! Maintenant, ils sont chargés à bloc!

- J’en fais mon affaire ! déclara Chris. Continuez à faire le ménage.

- On a détruit tous les bombardiers, mais il reste le Stormaker ! aboya Carson.

- Laissez-le nous! ordonna Lisa. Puis elle se tourna vers Chris :

- Ces Stormakers sont de véritables armureries ambulantes.

Chris se tourna vers elle, intrigué.

- On  n’égratignera même pas ce robot avec nos missiles Sunshot, ajouta-t-elle.

Chris sourit en devinant sa pensée.

- Doublement ravi que tu sois à bord.

Tandis qu’une partie des hommes – menée par Jonas - harcelaient l’un des deux chars Blinkbowl pour offrir un peu de répit à leurs alliés assiégés, l’autre – vouée aux ordres de Jenna – s’occupaient de positionner une escouade de mines rampantes dans les égouts. Ceci fait, ils remontèrent en surface et vérifièrent sa position sur un écran tactile que Jenna arborait sur son bras gauche.

- Déploiement !

Les points lumineux figurant les mines se frayèrent un chemin dans le réseau souterrain.

La voix de Jonas retentit dans son oreillette :

- On est obligé de battre en retraite !

- Bien reçu. Nous prenons la suite des opérations. Dirigez-vous vers le second char. Terminé.

 Les mines n’étaient plus qu’à quelques mètres de leur objectif.

- Jenna, il y a quelque chose qui cloche !

- Quoi ?

Je viens d’effectuer un scan sur votre cible. Il n’y a personne à bord.

- Qu’est-ce que tu veux dire ?

- Ces chars sont automatisés. Ce n’est pas normal. Ca pue le coup fourré !

- Les chars automatisés sont connus pour leur précision. C’est un atout stratégique, rien de plus.

- S’ils sont si précis, pourquoi n’ont-ils toujours pas fait leur boulot ?

- T’es parano. Je poursuis l’opération comme prévue. Terminé.

 

Jonas jura. Jenna était complètement aveuglée. Jusqu’ici cet entêtement avait représenté une force. Mais désormais, cela risquait de devenir leur talon d’Achille à tous.

Une explosion tonitruante l’arracha à ses pensées. Sous ses yeux, le char automatisé se fendit en deux. Des cris de joie résonnèrent autour de lui. Qu’il ne fut pas d’humeur à partager.

Il suivit ses hommes vers le second char, persuadé qu’ils allaient droit dans la gueule du loup. Lorsqu’il repéra une bombe dissimulée sous un grava, ses craintes se virent justifiées. Rapidement, son regard balaya le périmètre. Le terrain était truffé d’explosifs. C’était bel et bien une embuscade.

- On met les voiles ! On était attendu. C’est bourré de C4. C’est une embuscade ! Je répète, c’est une embuscade !

Jena avait grimpé sur les restes du char et brandissait héroïquement son fusil telle une déesse martiale en plein triomphe. Et la réaction de ses hommes venait parfaire cette belle image de guerrière assouvie.

Rien ne pouvait venir saboter cela, pas même le discours inquiétant qu’elle recevait dans son oreillette.

Accompagnée de sa troupe - aussi aliénée qu’elle- elle vint à bout du second char en utilisant les grenades magnétiques qui éventrèrent littéralement le blindé.

Elle arracha son oreillette et laissa ses hommes la porter en triomphe jusqu’aux survivants assiégés dans les ruines de l’hôtel de ville.

 

 Andy enchaînait les tonneaux et les acrobaties de toutes sortes comme dans un concours d’aéronautique. Sauf que c’était moins pour épater la galerie que pour sauver sa peau. Deux chasseurs impériaux étaient à ses trousses et son sillage portait l’empreinte de leurs tirs assidus.

Il effectua un virage à quatre-vingt dix degrés, évitant un avion ennemi arrivant droit devant lui. Une explosion lui apprit qu’il avait fait d’une pierre deux coups. Il attendit que son second assaillant se rapproche suffisamment et exécuta un looping qui le plaça juste derrière lui. A peine positionné, son index écrasa la gâchette reliée aux mitrailleuses qui perforèrent l’appareil de l’italien. Ce dernier perdit rapidement de l’altitude. Mais dans son malheur, il se retrouva dans la trajectoire du chasseur de Ludan. Il décida alors de tenter le tout pour le tout.

 

Lisa termina de s’harnacher. Elle arbora le jet-pack à la manière d’une nouvelle robe, ce qui fit sourire Chris.

- Tu ne veux vraiment pas que je m’en charge ?

Elle le regarda d’un air railleur.

- Tu vas me dire que c’est un travail d’homme, peut-être ?

- Non, ce serait superflu.

Elle se rapprocha de lui.

- Merci, mon chou.

En surface, elle affichait une apparente désinvolture. Mais en profondeur, c’est elle qui retenait à son tour une effusion.

La voix paniquée de Andy les arracha à leur intimité.

- Un rital arrive droit sur vous. Je l’ai touché, il va s’écraser !

Un vacarme leur arracha les oreilles et leur apprit que Andy venait de rallonger la liste des victimes de l’invincible titan de métal.

Chris déporta son appareil, mais tout en explosant, le kamikaze le percuta à l’arrière, détruisant l’une de ses tuyères. A son tour, son chasseur partit en vrille.

- Lisa, sors de là !

La jeune femme était pétrifiée. Elle regardait tour à tour la brèche par laquelle elle savait pouvoir s’échapper et le pilote cramponné aux commandes qui s’égosiller pour la convaincre de l’abandonner.

- Il n’y a qu’un jet-pack, Chris !

Le Capitaine se fendit d’un sourire sans joie.

- Alors on dirait que j’ai intérêt à poser cet appareil.

Puis la pensée soudaine de perdre Lisa renfloua son autorité :

- Fous le camp avant qu’il soit trop tard ! C’est un ordre et il n’est pas négociable !

Une déflagration leur apprit qu’une autre tuyère venait de rendre l’âme. Lisa ferma les yeux et s’élança par l’ouverture.

Elle eut le temps de voir le chasseur tomber en piqué et terminer sa course contre un appareil ennemi avant d’être projetée en plein coeur des affres de la bataille aérienne.

 

« C’est pas vrai ! Non, pas lui ! »

Le Grand Programmateur redoublait d’efforts pour contenir la colère et la frustration qui le submergeaient. Un par un, il perdait ses atouts les plus précieux !

Et le terrifiant regard du Sombre Adversaire qui semblait lui dire : « Et tu n’as encore rien vu ! »

 

Jenna et ses hommes pénétrèrent dans les vestiges de l’hôtel de ville. Mais ils n’eurent pas l’accueil attendu. Une centaine de soldats impériaux vêtus d’uniformes français les menaçaient de leurs Juggernaut.

« Jonas avait raison. Depuis le début ! »

Jenna pâlit. Elle avait délibérément ignoré ses avertissements. Une fois de plus, elle s’était laissée emportée par cette exaltation mystique qui défiait toute règle, toute raison. Mais cette fois, cela pouvait leur coûter très cher.

- Jonas, tu avais raison ! C’est un guet-apens ! Nous sommes assiégés à l’hôtel de ville. Il n’y a pas d’alliés. Je répète il n’y a pas d’alliés. Ce sont tous des hommes de Del Itoh !

A l’instant où Jonas entendait cette déclaration qu’il redoutait autant qu’il espérait, des tirs de sniper déclenchèrent les bombes disséminées tout autour d’eux.

Jenna arracha son oreillette, évitant de justesse la surdité. Ce qui ne l’empêcha pas de percevoir la tonitruante série d’explosions qui venaient de réduire à néant un hypothétique renfort.

- Jonas !

Jena se laissa tomber à genoux et ferma les yeux. Elle venait d’ouvrir la boîte de Pandore. Elle avait livré le monde au mal absolu, elle, qui s’était sentie née pour l’éradiquer. Elle était maudite. A jamais.

Lorsqu’elle ouvrit les yeux, elle vit ses hommes tomber les uns après les autres, subissant les tirs des lance-grenades Hellfire. Alors elle serra les poings et bondissant telle une lionne enragée, elle fit feu sur leurs ennemis regroupé tels des démons impies.

Elle en avait occis près d’une vingtaine lorsqu’un tir de sniper l’arrêta net dans son élan rédempteur.

Elle se renversa en arrière tandis que les troupes du Troisième Empire mettaient un terme à l’escarmouche.

 

Le Grand Programmateur ne put étouffer un cri. C’en était fini.

Il camoufla sa détresse derrière le regard haineux qu’il décocha au Sombre Adversaire drapé dans sa méprisante assurance.

« Cette fois, il ne veut pas gagner. Il veut m’humilier. »

- Ce n’est pas encore fini, si tu regardes bien.

Le Grand Programmateur dévisagea intensément son rival avant d’observer la partie. Il avait pourtant raison. Un élément en sa possession semblait porter en lui un grand potentiel. Un potentiel déterminant pour l’issue de la bataille ? De la partie ? Le Grand Programmateur n’osait y croire. Il avait été échaudé tant de fois en si peu de temps. Mais le désir et le besoin de remporter le défi s’imposèrent à lui. Gagner contre toute attente, contre tout espoir serait pour lui l’occasion de retourner complètement la situation. Et si c’était pour lui le moyen ultime d’humilier son adversaire ? Son rictus s’altéra et devint un sourire. Il décida de reprendre les rênes et de miser sur cet outsider.

 

Lisa n’eut pas le loisir de pleurer longtemps la perte du Capitaine Chris Ludan.

Un appareil venait de la prendre en chasse.

- Ils ont eu Chris ! lâcha-t-elle en serrant les dents.

- Les fumiers ! fit Jerry Cold. Ils vont le regretter !

En voyant son objectif sous le feu des américains, Lisa s’alarma :

- Ne tirez pas sur le Stormaker ! Je répète : ne tirez pas sur le Stormaker !

- C’est pourtant une cible facile ! argumenta Carson.

- Je sais, mais c’est notre seule arme contre ce satané robot ! Je vais m’introduire à l’intérieur de l’avion, le lancer sur la tête et m’éjecter au dernier moment. Moi seule le peux !

- Bien reçu ! On va tâcher de le distraire un peu. Terminé.

- Je m’occupe de te couvrir, Lisa, fit la voix de Jerry.

- Parfait. A charge de revanche !

« Ca s’est fait, songea Lisa. Au suivant ! »

Elle accéléra pour distancer le chasseur à ses trousses, mais ce dernier apparut bientôt sur sa gauche.

A 15h, un autre chasseur semblait l’avoir prise pour cible.

«  Manquait plus que ça ! »

Mais à peine arrivé, cet ennemi importun disparut aussi vite, détruit par une salve salvatrice tirée à point nommée par Jerry. La proximité de l’explosion chahuta la jeune femme qui vit avec horreur une aile perforée fondre sur elle en tournoyant. Elle glissa in extremis à l’intérieur du projectile et l’entendit avec bonheur s’encastrer mortellement dans le cockpit de son premier poursuivant. A peine remise de cette échauffourée, elle s’aperçut que son manège venait d’attirer l’attention de deux autres Sweeping italiens. Le premier était rivé à son sillage comme si sa vie en dépendait, quant au second, il venait face à elle, tirant sans discontinuer. Elle était rapide, mobile, mais si désespérément vulnérable face au feu véloce de l’ennemi. Heureusement, Lisa avait deux atouts de poids pour palier à cette faiblesse : une parfaite maîtrise du propulseur qui ornait son dos et un degré d’astuce équivalent. Chris avait eu le temps de la connaître suffisamment. Pas assez selon elle mais suffisamment pour savoir qu’il était plus sage que ce soit elle qui conserve le jet-pack. Elle prit le temps de formuler une fervente prière à son intention avant de se lancer dans un ahurissant numéro d’acrobaties. Elle virevolta telle une étoile filante euphorique, échappant de justesse aux chapelets mortels que les deux chasseurs lui distribuaient sans compter. Profitant d’une impulsion, elle plongea sous un feu nourri provenant des deux côtés. Qui ne fut pas perdu pour tout le monde. Le Sweeping se trouvant dans son dos se décomposa violemment sous l’impact. L’autre eut plus de chance. Il se déporta à temps et ne sacrifia que son pare-brise. Le pilote n’eut pourtant pas le loisir de savourer cette victoire. Profitant de l’accalmie, Lisa s’était transporté jusqu’au chasseur en difficulté. Le pilote n’eut que le temps de la voir jeter une mine – ventouse dans le cockpit avant que son appareil vole en éclats.

La jeune femme eut bien vite l’occasion de renvoyer l’ascenseur à Jerry. A son tour, il fut la proie d’un chasseur dont la ténacité le repoussait dans ses derniers retranchements. Elle se lança alors dans le sillage de l’italien et colla une mine ventouse au niveau de ses tuyères. Elle se propulsa ensuite à hauteur du cockpit. Le pilote se tourna vers elle, ahuri, et elle lui adressa un petit geste de la main. Avant que la queue de son appareil ne disparaisse dans une boule de feu.

- Merci Lisa ! Il commençait à me saper le moral !

- De rien, Jerry. J’ai toujours détesté les dettes !

Cependant qu’ils devisaient de la sorte, le pilote italien s’éjecta de son appareil à leur insu. Calvin repéra la toile de son parachute et se chargea de la perforer d’un tir bien ajusté. Libéré de ses suspentes, le pilote tomba comme une pierre avant de remonter subitement vers la bataille, véhiculé par un jet-pack savamment camouflé. Son propulseur s’escamota sur chacun de ses flancs, lui distribuant une mine-ventouse dans chaque main. Il repéra un allié en mauvaise posture et se fit une joie de le débarrasser de leur ennemi commun.

- Merde ! aboya Carson. Il y a un fumier de rital qui se balade en jet-pack. Il vient de descendre Rudy ! Ce n’était qu’un gosse !

- Bien reçu, Andy. Je m’occupe de ce plagiaire !

Lisa évita une rafale avant de fondre sur sa nouvelle cible prioritaire.

L’italien porta une main à son oreille droite et se retourna. Lisa comprit qu’un de ses alliés venait de lui communiquer sa position. Elle dégaina son pistolet et fit feu à plusieurs reprises. L’autre  esquiva et se trouva derrière elle en un éclair.

- Bye bye Wonder Woman !

Lisa entendit le rire lugubre de son adversaire en même temps qu’un objet métallique se coller contre son propulseur. Elle fut glacée d’effroi en comprenant qu’elle portait une mine-ventouse. Sans réfléchir, elle se libéra de son harnais et repoussa le jet-pack. Ce dernier ne trouva rien d’autre à faire que percuter un chasseur américain. Le souffle de l’explosion grilla le visage de Lisa et la projeta sur l’italien auquel elle s’accrocha désespérément. Soit elle avait un ange gardien, soit elle était vraiment Wonder Woman ! La lutte fut de courte durée. Elle supporta stoïquement les secousses et les jurons de l’italien avant de l’assommer d’un coup de crosse. Réduisant la vitesse de son jet-pack, elle put s’en emparer et regarda le corps inerte de son adversaire filer vers le sol.

- Bye bye Superman !

Grâce aux soutiens de Jerry, de Carson et de quelques autres, elle arriva sans plus de mal jusqu’à l’arsenal volant. Seulement, l’accès de la soute était verrouillé de l’intérieur et elle avait utilisé sa dernière mine-ventouse pour secourir Jerry.

- Besoin d’un serrurier, mam’zelle ?

Justement c’était Jerry. Il avait gardé un œil sur elle et tous deux s’en félicitèrent.

Il se positionna correctement avant de lâcher une courte salve.

La porte fut pulvérisée,  permettant à la jeune femme de pénétrer dans l’appareil.

- Merci Jerry. Me revoilà ta débitrice !

Elle était attendue. Trois soldats accoururent, armé chacun d’un fusil - mitrailleur Juggernaut. Elle dégaina son pistolet et abattit le premier. L’un des deux autres lui logea une balle dans l’épaule gauche. Elle tomba derrière un amas de caisses. Serrant les dents, elle toucha mortellement le tireur. Elle arrosa copieusement le dernier avant de constater qu’elle n’avait plus de munitions. Heureusement lui non plus. Elle se releva avec peine et leva les bras en signe de reddition. L’italien dit quelque chose en se rapprochant qu’elle ne prit pas la peine de traduire. En même temps qu’elle faisait volte-face, elle s’arc-bouta et enclencha les fusées de son jet-pack qui se chargèrent d’incinérer vivant le soldat impérial.

Se débarrasser des pilotes fut chose plus aisée. Elle libéra un siège et s’installa aux commandes.

- Je suis en place. Jerry, Calvin, vous me recevez ?

Un long silence meurtrier lui répondit. Elle était peut-être désormais la seule survivante de leur escadrille. Elle poussa un long soupir et dirigea l’appareil vers la tête du titan qui semblait ne pas l’avoir repérer dans tout ce chaos.

Elle enclencha le MVR ou Mode de Vision Rapprochée.

Le cockpit du « Mein Kampf » occupa en transparence tout l’espace de son champ de vision. Elle eut alors le loisir de détailler les deux pilotes absorbés dans leurs manœuvres et surtout Ralf Del Itoh en personne. C’était donc cet homme qui avait monopolisé tant de moyens, alimenté tant de haine, de courage, de dévotion. Elle observa son visage. Il fallait qu’il meure, tout en elle le lui ordonnait, et pourtant, une voix obscure, surgie d’un recoin perdu de son inconscient se dressa contre la plus intraitable logique. Pourquoi ressentait-elle un lien particulier avec ce monstre de tyran ? Pourquoi cette impérieuse voix intérieure lui affirmait qu’en tuant cet homme, elle allait indéniablement tuer une partie d’elle-même ? Cela n’avait aucun sens. C’était pure folie.

La voix de Jerry retentit dans l’habitacle comme pour mettre un terme à l’inconcevable dilemme.

- Lisa, qu’est-ce que tu fous, enclenche la PAU ! Ce salaud est à nous !

Il se garda bien de lui dire que son appareil était en feu et qu’il n’avait plus que quelques instants à vivre.

La voix de Jerry emplit le cockpit du « Mein Kampf ».

- Vous savez ce qu’il dit ? interrogea Del Itoh.

L’un des pilotes tendit l’oreille et plissa les yeux.

- Ces foutus américains bouffent la moitié des mots ! On dirait qu’ils préparent quelque chose. Il s’inquiète au sujet d’une manœuvre.

 Le dictateur détailla les appareils occupant le ciel. Puis soudain il pâlit.

- Ils vont lancer le Stormaker contre nous !

L’un des pilotes secoua la tête.

- Il est beaucoup trop lent.

L’autre pilote secoua la tête à son tour :

- Pas si elle actionne la Propulsion Auxiliaire d’Urgence. Ce système a été conçu pour éviter qu’un tel appareil puisse exploser n’importe où et endommager d’importantes unités impériales. Grâce à cela, il peut acquérir la vitesse d’un chasseur pendant une période suffisante. Et nous ne pourrions probablement pas l’éviter !

Le regard de Del Itoh s’embrasa.

- Alors détruisez-le !

Le pilote allait s’exécuter, mais une pression sur son épaule le retint.

- Qu’y a-t-il, maître ?

Del Itoh regardait droit devant lui. Son regard semblait traverser l’espace jusqu’à atteindre le pilote même du Stormaker.

- Je ne sais pas. Je ressens une impression étrange. Comme si j’allais regretter ce geste.

- C’est pourtant la seule chose à faire, mon Maître.

- Oui, cela ne fait aucun doute.

Le bras armé du titan menaça le Stormaker.

Lisa ôta son casque, libérant une somptueuse chevelure rousse.

- Je ne peux pas. Pardonnez-moi.

Elle était en pleurs.

Ralf Del Itoh poussa un soupir à fendre l’âme.

- Feu !

Le poing du robot cracha une série d’éclairs qui pulvérisèrent le bombardier.

 

Les poings du Grand Programmateur s’abattirent sur le plateau, menaçant d’y apporter plus de confusion encore. Il ignora l’expression de son rival et se laissa complètement choir sur sa chaise. Sa manière de signifier sa reddition.

Le Sombre Adversaire croisa ses doigts avec une évidente délectation.

- Une taupe qui s’ignore est une taupe qui vaut de l’or.

Le Grand Programmateur se laissa gagner par une reposante léthargie.

- Epargne-moi les maximes de ton esprit tordu.

- Tu ne veux pas voir ce que j’ai réservé à ton atout majeur ? Ca vaut le coup, crois-moi sur parole. Tu sais quoi, je crois que je connais enfin mon plus gros défaut.

- La folie ?

- L’ironie.

 

Jena ouvrit les yeux. Elle fut déçue de constater qu’elle n’était pas morte. Le sniper s’était contenté de lui injecter un tranquillisant. Une charmante attention qu’elle devait sans nul doute à Ralf Del Itoh lui-même.

Elle était assise sur une chaise, pieds et poings liés. On lui avait retiré son uniforme, ses bottes. Il ne lui restait que ses sous-vêtements. Elle se demanda si les soldats l’avaient violée pendant qu’elle était inconsciente.

Un officier sortit de l’ombre et comme s’il avait lu dans ses pensées, il s’adressa à elle dans un anglais approximatif :

- Pas peur. Le Maître arriver bientôt. Faire pas mal à toi avant.

Il lui empoigna la mâchoire et lui assena un coup de poing.

- Pour ça, dire que toi tomber.

Elle aurait nettement préféré que cette brute d’officier s’occupe de son sort. Car elle savait qu’il serait de toutes façons toujours plus enviable que celui que pouvait lui réserver le dictateur. Elle cracha une giclée de sang avant de s’adresser à lui :

- Mes hommes ?

L’officier haussa les épaules.

- La guerre. Pas beaucoup choix.

Jena tourna la tête et se retint de pleurer en pensant à Jonas. Elle l’avait trahi. Ni plus, ni moins. Lui et tous les Frères de la Délivrance qui l’avaient suivi sans état d’âmes jusqu’au bout de son obsession. Au lieu de les mener à la victoire, elle les avait mené à une mort certaine. Elle méritait ce qui allait lui arriver. Quoi que ce fut.

 

Chris Ludan était perdu. Il avait l’impression de sortir du coma ou quelque chose d’approchant. Il se souvenait de la bataille aérienne, de Lisa s’échappant du Sweeping avec le jet-pack, mais après…

Il chercha son avion du regard. S’il s’était écrasé, comme ce devait être le cas,  il devrait rester au moins une épave, des fragments, quelque chose. Pourtant il n’y avait aucune trace du chasseur. Le sol était vierge de tout impact. Comme s’il s’était totalement désintégré.

Et comme si cela ne suffisait pas pour le perturber, lui-même n’avait aucune blessure. Il avait dû tomber dans la quatrième dimension.

Il secoua la tête pour chasser cette élucubration. Ce n’était pas le moment de divaguer. Il leva les yeux. Le ciel était d’une étrange teinte, baignant tout le paysage dans un curieux contraste de jour et de nuit. Comme si la nature n’arrivait pas à se décider. Chris avait l’impression surréaliste d’avancer dans une peinture. « J’espère que c’est une toile de maître ! »

D’être tombé sur la terre ferme était inconcevable. D’après ce qu’il se rappelait, ils étaient encore très loin du continent au moment où ils avaient engagé la bataille. Avait-il pu dériver à ce point ? Dans ce cas, où était –il ? Sur une île perdue ? En Angleterre ? En France ? Les deux pays étaient aux mains des italiens du Troisième Règne ce qui impliquait qu’il ne serait pas le bienvenu s’il avait bien atterri en Europe.

Il poussa un soupir de soulagement en découvrant un pistolet glissé dans sa ceinture. Puis il eut l’idée de jeter un coup d’œil à sa montre-boussole.

Le cadran était intact, mais elle ne marchait plus. C’était pourtant un modèle dernier cri si l’on en juger par l’électronique dont elle était saturée jusqu’au bracelet. Elle était capable de déterminer l’heure, la température, le taux d’humidité, la qualité de l’air et bien d’autres choses encore. Mais soit le coin avait souffert d’intenses décharges magnétiques, soit il était sur une autre planète. Car tous les détecteurs affichaient NEANT.

Il ne se sentit plus de joie lorsqu’il repéra enfin une espèce de baraque aussi paumée que lui. Il s’approcha néanmoins à pas de loups, ne sachant sur qui il pouvait tomber. Il s’empara de son arme. Il n’y avait pas de fenêtre, juste une porte. Pas de sonnette. Pas de poignée. Un simple panneau de ce qui semblait être du bois avec d’étranges reflets irisés. Chris le poussa doucement d’une main et pénétra à l’intérieur.

 

De l’eau glacée !

Jena sortit de sa torpeur, le visage dégoulinant. L’officier se tenait devant elle, un seau à la main, un sourire aux lèvres.

- Pas dormir. Le Maître ici.

Décidément, elle aurait préféré mourir. Mais elle était maudite et le martyr était apparemment devenu sa nouvelle vocation. « Qu’il en soit ainsi. »

Une main lui saisit à nouveau la mâchoire, mais ce n’était pas celle de l’officier. Son regard plongea dans le regard de Ralf Del Itoh.

Elle était face à son pire ennemi, face au bourreau de l’Humanité. Et elle était pieds et poings liés. Son destin était d’une cruelle ironie.

- Alors c’est toi la Panthère de Dieu, la Vierge de Fer. L’es-tu seulement encore, vierge ?

L’officier acquiesça.

Del Itoh sourit.

- Je crains que tes vœux de chasteté ne trouvent en moi aucun écho de compassion. Tu t’es abstenue pour rien.

Jena entendit l’officier éclater de rire. Del Itoh avait dû faire une remarque spirituelle, mais comme elle ne comprenait pas un mot d’italien.

Le dictateur, lui, gardait un sérieux inquiétant.

- Vos efforts à tous ont été honorables, mais un peu trop tardifs. Tes alliés américains ont eux aussi essayé de m’arrêter. Très audacieux de leur part. Mais on ne gagne pas une guerre comme celle-ci avec de l’audace.

Il leva le poing et la voix :

- Il faut de la rage au cœur !

Il sourit. Jena se dit que ce n’était pas de bon augure pour elle.

- Je n’ai jamais crû en ta mort présumée. Mais puisque tu tiens tant à mourir, ton Maître va t’exaucer. C’est devenu sa spécialité.

Il se recula.

- Qu’on la détache et qu’on l’emmène sur la place.

L’officier s’exécuta.

Sous bonne escorte, Del Itoh conduisit la jeune femme sur la place dite, au centre de laquelle se dressait la statue d’un cavalier. Ou plutôt d’une cavalière.

- Tu sais qui c’est ?

C’était Jeanne d’Arc, immortalisée pour ses exploits. Une farouche combattante, une femme à la foi inébranlable. Comme Jena.

La jeune femme était hypnotisée par la sculpture. Sa vie trouvait un sens nouveau à la vue et au souvenir de cette guerrière et de ce qu’elle avait enduré.

« Nous nous ressemblons tellement.  Mais contrairement à elle, j’ai échoué. Si près du but. »

- Attachez-là à la statue, ordonna Del Itoh.

Deux hommes s’emparèrent de la jeune femme et la ligotèrent au piédestal.

Des fusils furent dressés, en nombre suffisant pour lui garantir une mort rapide. Sauf s’ils étaient très mauvais tireurs. Jena ne savait si elle devait rire ou pleurer. Dans le doute, elle ne fit rien. Il y a longtemps que les choses lui avaient échappé. Elle n’avait été maîtresse de rien. Elle n’avait été qu’un jouet, un instrument aux mains d’un esprit malin. Que cette mascarade se termine enfin ne pouvait que lui procurer un certain réconfort.

L’officier leva une main.

- En joue.

Les soldats obtempérèrent.

- Non !

Ralf Del Itoh dévisagea Jena et la statue avant de se diriger vers un soldat en particulier.

- Puisqu’elles se ressemblent tant, qu’elles meurent toutes les deux de la même façon.

Le soldat s’avança et pointa la gueule de son lance-flammes vers la jeune femme. Alors elle comprit toute la portée de ses cauchemars.

L’officier baissa le bras.

- Feu !

 

- Tu n’es qu’un ignoble monstre sadique !

Le Grand Programmateur se leva pour éviter un drame.

L’autre se fit un plaisir de jeter de l’huile sur le feu.

- Tu comprends ce que je voulais dire en parlant d’ironie ?

- Il vaut mieux que je sorte sinon je suis capable de…

- De me tuer ? acheva le Sombre Adversaire. Tu sais bien que c’est impossible. Pas à mains nues en tout cas. Et tu sais comme moi qu’il n’y a plus d’armes ici.

Le Grand Programmateur lui jeta un regard noir.

- A qui la faute ? Tu as tiré la dernière balle, provoquant l’extinction d’une espèce qui avait obtenu mille fois plus ma faveur que cette déplorable race humaine avec qui j’ai dû composer pendant tout ce temps. Cela n’a jamais été mon choix. Et pourtant, tu dois le reconnaître, je me suis bien battu.

- J’en conviens tout à fait. Mais nous avons toujours été à armes égales. A toi d’en convenir.

- Impossible. Ce jeu est conçu pour un esprit que je n’ai pas. Je suis trop innocent.

Le Sombre Adversaire s’esclaffa.

- Si ça ce n’est pas de l’ironie !

Il sursauta.

- J’ai entendu un bruit.

Le Grand Programmateur ne cacha pas son dédain.

- Merci, mais tu m’as déjà fait le coup. Tu n’as plus besoin d’employer de telles bassesses pour l’emporter. Tu as gagné au cas où tu ne l’aurais pas remarqué. Et je n’ai pas l’intention de rejouer si tu veux tout savoir.

Le Sombre Adversaire se leva.

- Quoi ? Mais tu plaisantes, nous devons absolument poursuivre le jeu ! Ce n’est pas ma première victoire et ça ne doit pas être ma dernière ! Tu sais très bien que nous ne sommes plus rien sans ce jeu !

- Parle pour toi.

Le Sombre Adversaire se rassit.

- Te souviens-tu de ce que tu faisais avant le jeu ?

Son interlocuteur le regarda sans mot dire. Il connaissait ses arguments par cœur.

- Non, évidemment, reprit le Sombre Adversaire, tout comme moi. Cela fait si longtemps que nous jouons que nous ne nous souvenons de rien d’autre.

Le Grand Programmateur se dirigea vers le rideau.

- Je vais sortir d’ici. J’en ai soupé de tout ceci. Ce jeu, cette pièce. Toi…

Le Sombre Adversaire fut soudain pris de panique. Il se dressa et balbutia :

- On pourrait échanger nos places! C’est très simple et ça ne coûte rien d’essayer !

Le Grand Programmateur haussa les épaules en reniflant bruyamment. Il écarta le rideau et se recula brusquement comme s’il venait de voir un fantôme.

Une arme était braquée sur lui. Chris Ludan s’avança dans la pièce.

- Que personne ne bouge !

Le Sombre Adversaire dévisagea l’arrivant. Il glissa une main dans sa poche.

- Comment est-ce possible ? Il ne devrait pas être ici ! Comment est-il arrivé ?

Le Grand Programmateur semblait ému de se retrouver face à son champion. Il le scrutait à la manière d’un père qui rencontrerait son fils pour la première fois. Il n’en perdit pas pour autant son brillant esprit d’analyse.

- On dirait bien qu’à force de les utiliser, certains d’entre eux ont fini par acquérir plus de pouvoir que nous ne l’imaginions. Il faut croire que nous ne connaissons pas encore toutes les règles du jeu.

La patience de Chris se fit la belle. Il devint menaçant.

- Arrêtez ces messes basses ! De quoi parlez-vous ? Qui êtes-vous ? Vous êtes anglais, américains ?

Le Grand Programmateur lui adressa un regard magnanime.

- Je pense qu’au point où en sont les choses, rien ne nous interdit de te le dire. Surtout si ça peut mettre fin une bonne fois pour toutes à ce jeu stupide.

Le Sombre Adversaire se leva.

- Ne lui dis pas ! Ne lui dis rien !

- Toujours ta peur obsessionnelle du néant ?

Le Sombre Adversaire jeta un regard méprisant à Chris.

- Pourquoi devrions-nous nous soumettre ? Ce n’est qu’un pion. Son arme ne fonctionne certainement pas ici !

Chris rendit son regard au Sombre Adversaire avant de braquer son pistolet vers une armoire. Il pressa la détente. Une détonation retentit et la porte de l’armoire s’ouvrit.

- Apparemment, elle fonctionne.

Il plaça le Sombre Adversaire dans sa ligne de mire.

- Mais je peux faire un nouvel essai pour vous convaincre.

Le Sombre Adversaire s’assit en essayant de se faire tout petit.

- C’est inconcevable ! Ca ne peut-être qu’une anomalie !

Le Grand Programmateur continuait d’observer Chris avec un mélange de stupeur et de fascination.

- Peut-être que le jeu lui-même a développé une forme de conscience. Et qu’elle commence à se manifester…

Chris le menaça de son arme.

- Sois plus clair ou tu n’auras plus le loisir de cogiter.

Du menton, le Grand Programmateur désigna le plateau du jeu.

- Tout est là. Tout est dans le jeu. Tout ce qui a existé, tout ce qui est arrivé, tout ce que tu as connu est son œuvre. Nous ne sommes là que pour entretenir la mécanique si je puis m’exprimer ainsi. Même si nous avons le plus grand mal à nous en rappeler, il est très raisonnable de penser que le jeu était là bien avant nous.

Chris dévisagea les deux joueurs.

- Amnésiques ?

Le Sombre Adversaire produisit un sourire plein de malice.

- Immortels.

Chris ignora ce qu’il prit pour un sarcasme et s’approcha de la table. Il détailla le plateau.

- Je ne comprends rien à ce que vous me racontez et je ne vois pas grand-chose là dedans.

- C’est naturel, reprit le Grand Programmateur. C’est la première fois que tu le vois. Si tu avais la même expérience du jeu que nous, tu verrais de l’eau, des continents, des forêts, des villes, des hommes, des femmes, des soldats, la guerre, le Troisième Empire régnant sur toute la sur…

- Ferme-là ! rugit le Sombre Adversaire.

Chris le frappa de la crosse de son arme.

- Non, toi, ferme-la !

Il examina tour à tour le jeu et le Grand Programmateur.

- Tu es en train de me dire que ce que vous appelez le jeu est une représentation du monde que vous supervisez comme bon vous semble ? Vous me croyez assez bête pour avaler ça ?

Le Sombre Adversaire prit quelque chose sur le bord de la table.

Chris pointa son arme sur lui, mais se détendit lorsque l’autre ouvrit son poing. A l’intérieur, il y avait une figurine humaine. Chris la prit et la regarda parce que c’était ce qu’on attendait de lui. Le niveau de détails était impressionnant.

Le personnage lui semblait terriblement familier. Au point qu’il en ressentait un douloureux malaise.

- C’est toi, dit le Grand Programmateur.

- Tu ne fais plus partie du jeu à l’heure actuelle. Tu es mort.

- Mort ? Je n’ai rien d’un mort, sauf si vous l’êtes aussi.

Le Sombre Adversaire décida de changer son fusil d’épaule. C’était peut-être aussi bien que cet intrus soit là. Il allait peut-être enfin pouvoir partager ce poids, cette responsabilité qu’il détenait seul depuis si longtemps ; le partager avec quelqu’un de tout à fait… extérieur. Cela mettrait un peu de piment dans son existence.

- Quand tu auras compris tout le fonctionnement du jeu, tu sauras que le mot « mort » n’est en fait  qu’une façon de dire qu’un pion n’est plus valide jusqu’à ce qu’il soit de nouveau remis en jeu. Chaque pion est réutilisable. Ce qui laisse un certain nombre de possibilités. Il n’y a pour ainsi dire pas de limite. Pas de fin.

Chris avait trop peur de comprendre. Il se raccrocha à sa perception prosaïque du monde.

- Qu’est-ce que cela veut dire ?

Le Grand Programmateur désigna du menton l’armoire ouverte précédemment.

Chris redonna la figurine au Sombre Adversaire et s’approcha du meuble.

 A l’intérieur il y avait d’innombrables boîtes dont le couvercle était recouvert d’inscriptions indéchiffrables. En tout cas pour lui.

A l’intérieur de chaque boîte, il y avait d’innombrables figurines. Comme celle qu’il avait tenu dans sa main. Il fut pris d’un vertige. Il lâcha son arme et se laissa tomber sur le sol.

- Ce n’est possible, ça ne peut pas être ça ! La vie ne peut pas se résumer à ça !

Le Sombre Adversaire se tourna vers son éternel rival :

- Je crois qu’il a besoin d’une preuve.

Le Grand Programmateur opina du chef.

- Où voudrais-tu être si tu pouvais retourner sur Terre ?

Chris les dévisagea, espérant qu’ils allaient éclater de rire et lui dire ensuite qu’ils s’étaient bien foutus de lui. Mais ils affichaient un sérieux qui le glaça jusqu’aux os.

- Je voudrais être aux côtés de Lisa, Lisa Derdefyll. Je veux savoir ce qu’il lui est arrivé.

Le Sombre Adversaire observa la figurine représentant Chris.

- Rien de plus simple.

Puis il la plaça dans le jeu.

Chris disparut de la pièce et…

 

… se retrouva dans l’eau, manquant se noyer, lui qui était pourtant un nageur émérite. Autour de lui flottaient d’innombrables fragments d’avions. Cette vision fut l’ultime preuve de la folle théorie qu’avançaient les deux énigmatiques joueurs. Il reconnut les restes de  plusieurs Sweeping et ceux d’un Stormaker. Et c’est à ce moment qu’il comprit le sort de Lisa. S’il était bien à l’endroit voulu, cela ne pouvait signifier qu’une seule chose : la jeune femme avait péri durant la bataille.

Une tristesse terrible le submergea. Ses yeux se fermèrent comme pour censurer le drame. Il leva la tête vers le ciel et sa bouche s’ouvrit pour expulser toute sa rage :

- Pas elle !

 

Lorsqu’il rouvrit les yeux la seconde d’après, il était de nouveau dans la pièce en compagnie des deux joueurs. Il s’écroula derechef contre l’armoire et ne put refouler l’émotion d’une telle découverte :

- Nous ne sommes donc que des figurines entre vos mains, des pions sans aucune volonté!

Les deux adversaires se dévisagèrent. Ils avaient le sentiment d’avoir impunément péché toute leur vie et d’être enfin démasqués et jugés. Auparavant, il ne leur avait jamais semblé utile de ressentir la moindre culpabilité. Personne n’était jamais venu leur reprocher quoi que ce soit. Ils étaient même plutôt fiers de leurs prestations. Et voilà qu’un imprévu venait tout remettre en question.

- Vous n’avez donc jamais expérimenté la vie autrement que par ce jeu ?

Le Grand Programmateur inspira longuement avant de répondre.

- Comme nous le disions tout à l’heure, nous ne nous souvenons de rien à part du jeu. Si nous avons fait et vécu autre chose avant, et bien, nous l’avons oublié. Et c’est sûrement mieux ainsi.

Chris se releva, les yeux baignés de larmes, les dents serrés par la haine :

- Vous ne valez pas mieux que ce salopard de Del Itoh !

Il renversa une boîte au sol, éparpillant des dizaines de figurines.

Le Sombre Adversaire s’avança vers lui. Le pistolet de Chris revint le menacer.

- Ne bouge pas, ordure ! Le jeu est terminé ! Vous allez tous les deux pointer au chômage !

Il renversa le contenu d’autres boîtes. Ses semelles écrasèrent plusieurs figurines.

Le Sombre Adversaire empoigna son partenaire de jeu :

- On ne peut pas le laisser faire ! Il va tuer des tas d’innocents !

Le Grand Programmateur regardait la scène avec un sourire discret, mais perceptible.

- Que crois-tu que nous avons fait jusque-là ?

Chris était comme dans un état de second. Il pensait à l’histoire avec un grand H ainsi qu’à toutes les autres, moindres en apparence. Il pensait à sa propre histoire. Il ne savait pas s’il devait rire, pleurer ou hurler. Tout ce qu’il était capable de faire pour le moment était de saccager cette maudite armoire. C’était un exutoire comme un autre. Vivre libre ou mourir !

Le Sombre Adversaire se rapprocha doucement de lui :

- Arrête, tu es en train de tuer des gens !

- Non, je les délivre. Je les délivre tous de leur état de marionnettes, de leur condition d’esclaves !

- Ce ne sont pas des marionnettes. Tu n’es pas une marionnette. Tu as toujours conservé un libre-arbitre sur lequel nous étions incapables d’influer.

Chris s’immobilisa et se tourna vers le Sombre Adversaire.

- Ah, oui ! Dis-moi quand, alors ? Quand j’ai envoyé mes hommes se faire massacrer en plein ciel ou quand j’ai laissé Lisa quitter le chasseur pour…

- Elle serait restée avec toi, elle serait morte quand même.

Chris lui décocha un coup de poing.

- Elle m’aurait alors peut-être rejoint ici, alors !

Le Grand Programmateur pointa un index en direction de la table :

- Vous pouvez à nouveau être ensemble. C’est encore possible. Il suffit que l’on modifie le jeu. Nous faisons cela tout le temps. Il n’y a ni passé, ni futur, rien qu’un éternel présent que l’on reconfigure selon nos besoins respectifs.  Moi je suis de ton côté. Je l’ai toujours été.

Le Sombre Adversaire essuya le sang qui coulait de son menton.

- Regardez-moi ce pleutre. Et si tu lui disais plutôt qui est vraiment Lisa. Si tu lui disais qui elle était avant d’être cette vaillante résistante! Si tu lui disais pourquoi elle n’a pas pu tirer sur Del Itoh quand elle en a eu l’occa…

- La ferme ! cria le Grand Programmateur.

Chris orienta son arme vers lui.

- Non, toi, ferme-la.

Il s’adressa au Sombre Adversaire.

- Qu’est-ce que tu vas m’annoncer ? Que c’était une femme dépravée ? Un tueur sadique ? Peut-être Jack l’éventreur ?

Le Sombre Adversaire sourit.

- Tellement pire que tout cela réuni.

D’un regard dépourvu de pitié, Chris l’invita à être plus précis.

- Elle était la mère de Del Itoh. Et toi-même, tu as essayé de la tuer, elle et le père du futur Maître. Ayant échoué, tu t’es suicidé. Une balle dans la tête. Tu n’as jamais vraiment su d’où venaient ces terribles migraines dont tu as souffert toute ta vie, n’est-ce pas ?

Chris se caressa la tempe, en proie à un formidable sentiment d’impuissance face à la perspective qui lui était progressivement dévoilée. Ce qu’il avait considéré comme la réalité n’avait été en fait que la partie émergée de l’iceberg.

Et puis la colère dénatura ses traits :

- Espèces de …

Le Sombre Adversaire se jeta sur lui pour s’emparer du pistolet. Une première balle siffla au-dessus de la tête du Grand Programmateur, une seconde troua le rideau. Ses yeux s’écarquillèrent quand il vit le canon de l’arme se diriger dangereusement vers la table. Il se jeta sur le côté et poussa un cri lorsque la balle s’enfonça dans sa poitrine. Il bascula en arrière.

Chris fixa le corps avec hébétude.

- Je l’ai tué ?

Le Sombre Adversaire profita de sa consternation pour lui arracher le pistolet des mains. Il  s’agenouilla auprès du corps.

- Ce n’est qu’une question de temps.

Il rangea le pistolet dans une poche. L’évènement eut le don d’instaurer une trêve dans les esprits. Chris rejoignit le Sombre Adversaire. Il se pencha vers le Grand Programmateur. En découvrant sa blessure et son expression douloureuse, il éprouva une grande pitié. Et il prit conscience que si cet homme mourrait, ce serait aussi une partie de lui qui disparaîtrait. A ce titre, il partageait une émotion commune avec le Sombre Adversaire. Ce dernier devait aussi beaucoup de son existence à son interaction avec le Grand Programmateur. Pour lui, ce n’était pas seulement un très bon adversaire qui allait partir. C’était tellement plus que cela.

Chris sentit un nouveau vertige le prendre. Il pria pour se réveiller de ce cauchemar tout en apposant ses mains jointes sur la poitrine exsangue.

- Il faut faire quelque chose. Vous avez une trousse de secours ?

Le Sombre Adversaire baissa la tête.

-  Il n’y a rien pour soigner, ici. Je vous l’ai dit, nous sommes immortels. Enfin, nous pensions l’être jusqu’à votre arrivée.

Tous deux acceptaient mal leur impuissance. Le Sombre Adversaire prit la main du Grand Programmateur. Il se devait de l’accompagner jusqu’au bout. Histoire peut-être de prouver et de se prouver qu’il était un joueur fair-play contrairement aux apparences.

Le Grand Programmateur ouvrit la bouche. Les deux autres se figèrent, attentifs à ses dernières paroles. Mais il n’y eut qu’un hoquet suivi d’une giclée de sang. Chris abaissa ses paupières. Le Sombre Adversaire fixa le mort, le souffle coupé. Cette image défiait la raison. Ils avaient toujours été deux. Qu’allait-il devenir sans lui ?

Il se leva et regagna lentement sa place. Il observa le jeu qui lui apparaissait sous un nouveau jour.

Chris s’approcha de la table. Malgré les explications qu’il avait reçues par les deux joueurs, le jeu était encore une énigme pour lui. Il le contemplait sans comprendre comment il était possible de maîtriser tant de paramètres. « Jouer à Dieu n’est sans doute pas à la portée de tout le monde. » L’esprit des deux joueurs devait faire partie intégrante du jeu. C’est sans doute pour cette raison qu’il n’en distinguait que la superstructure.

Le Sombre Adversaire observait maintenant le corps inanimé du Grand Programmateur. « Ce vieux fou a finalement réussi à quitter le jeu. Lui qui voulait en être délivré, le voilà servi. Mais quel égoïste ! » Son attention se porta alors sur Chris, aussi songeur que lui. Et son visage s’éclaira.

- On dirait bien que même à notre niveau, nous n’échappons pas au destin. Et il vient de parler.

Il désigna la chaise vide du menton :

- J’ai besoin d’un partenaire.

Chris se recula, horrifié.

- Même si je le voulais,  je ne pourrai pas le remplacer. Je suis issu du jeu.

Il scruta le Sombre Adversaire. Ses sourcils se froncèrent.

- A moins que vous ne m’ayez bluffé depuis le début.

Sa méfiance fit sourire son interlocuteur.

- Aucunement. Tu es bien issu du jeu. Mais ce n’est en rien un obstacle.

Le Sombre Adversaire glissa une main dans une poche et la tendit vers Chris.

Ce dernier manqua défaillir en voyant les deux figurines qu’il lui présentait.

Il les prit dans sa main et les examina pour s’assurer de leur réalité.

L’une d’elle représentait indéniablement le Sombre Adversaire. Quant à l’autre, bien que brisée en deux, il était évident qu’elle était la réplique miniature de feu le Grand Programmateur.

- Il ne l’a jamais su. J’ai préféré le lui cacher, révéla le Sombre Adversaire. Ca valait mieux pour lui. Et aussi pour moi. Tu n’es pas le premier à être parvenu jusqu’ici. Ces figurines ont toujours été là pour me le rappeler. Au fur et à mesure que j’ai compris les subtilités du  jeu, j’ai aussi compris que notre place était ici désormais et qu’il était plus sage d’oublier que nous avions pu être autre chose que ces deux joueurs assidus que nous incarnons depuis des temps immémoriaux. J’ai préféré l’oubli à la folie. Je crois que c’est pour ça que je les ai conservées  dans ma poche pendant tout ce temps à son insu. Pour garder à l’esprit que nous avions trouvé le meilleur rôle de notre vie.

Chris était captivé par le récit. Il en oubliait ses craintes et sa colère.

- Vous n’avez jamais voulu partir ?

- Si, plus d’une fois. Surtout lui. C’est même ce qu’il s’apprêtait à faire lorsque tu es arrivé. Mais à chaque fois que j’évoquais l’idée qu’à l’extérieur c’était le néant et qu’il ne trouverait rien, il changeait brusquement d’avis. Il s’est bien éclipsé quelques fois, mais désespéré, il a toujours fini par revenir au bercail. S’il y a quelque chose en dehors de cette maison, ce n’est certainement pas à côté. Mieux vaut passer le temps à jouer qu’à chercher un hypothétique éden. Nous ne sommes pas si mal lotis. En tout cas, c’est loin d’être l’enfer.

Chris secoua la tête.

- Et si je ne veux pas rester ici. Et si je préférais retourner dans le jeu ?

Le Sombre Adversaire produisit une suite de clappements de langue.

- En sachant tout ce que tu sais, tu serais vraiment prêt à y retourner ? Cela m’étonnerait fort. Je te vois mal remettre les chaînes que tu viens juste de briser.

- Tu me crois assez fou pour infliger à d’autres le traitement que j’ai moi-même subi ?

- Bien au contraire. Je te crois assez intelligent pour le leur éviter. En restant ici, à mes côtés, tu as le pouvoir de changer le monde d’une manière que tu n’aurais jamais osé imaginer. Tu veux renverser Del Itoh ? Qu’à cela ne tienne ! Jouons une partie et que le meilleur gagne ! Tu aimes Lisa, tu veux la protéger ? Nous pouvons la remettre en jeu et tu deviendras alors le meilleur ange gardien qu’elle puisse avoir !

Chris pointa un doigt accusateur sur le jeu.

- Je n’ai pas besoin de m’abaisser à cela. Il me suffit de briser la figurine de Del Itoh et le Troisième Empire n’aura jamais existé.

Le Sombre Adversaire lui adressa un regard presque compatissant.

- S’il est une chose indissociable de l’être humain, c’est bien la souffrance. Mais c’est un mal que j’ai eu tout le loisir de juger comme nécessaire. Sans l’épreuve pour le transcender, l’homme n’a guère de chance de se fortifier, d’évoluer. C’est une condition siné qua non.

Chris le fusilla du regard.

- J’ai déjà donné ma réponse. Tu vas immédiatement replacer ma figurine dans le jeu. Ainsi que celle de Lisa.

Le Sombre Adversaire pointa le pistolet sur lui.

- Tu vas immédiatement t’asseoir sur cette chaise.

Chris obéit. Il se baissa un instant avant de se redresser et de dévisager son rival avec une déconcertante assurance.

- Tu crois peut-être que je n’ai aucun moyen de pression sur toi ?

Du menton, il indiqua le sol.

Le Sombre Adversaire aperçut avec horreur sa figurine dépassant sous la botte de Chris.

- Mais qu’est-ce que tu…

Chris profita de son trouble pour lui tordre le poignet et récupérer son arme.

- Je n’ai peut-être pas encore tout assimilé, mais il me semble que si j’appuie suffisamment là-dessus, tu risques d’en pâtir sérieusement. Qu’en dis-tu ?

Le visage du Sombre Adversaire devint rouge.

- Le jeu nécessite deux joueurs, sinon il ne fonctionne pas ! Et s’il ne fonctionne pas…

- Alors l’Humanité sera enfin délivré du joug de pseudo dieux ! Il ne t’est jamais venu à l’idée que le jeu avait peut-être une autre fonction que celle que vous lui avez attribuée et que vous l’avez tout simplement dénaturé, perverti ?

Le Sombre Adversaire sentit qu’il perdait le contrôle de la situation. Un comble pour quelqu’un habitué à manipuler les esprits. Et cela ne l’enchantait pas.

Comme il ne répondait pas, Chris ajouta :

- Tu auras bientôt tout le temps d’y réfléchir.

Le Sombre Adversaire balança l’une de ses dernières cartouches :

- Tout à l’heure, tu as eu de la chance. Si tu retournes dans le jeu, tu ne pourras peut-être plus jamais revenir ici.

Chris étala un sourire.

- Que Dieu m’en préserve. Maintenant tu vas faire en sorte de me ramener où est ma place. Et ne t’avise surtout pas de me jouer un sale tour. Que ce soit ici ou ailleurs, je te garde en otage, dit-il en arborant la figurine du Sombre Adversaire. Tu as intérêt à ne pas me mettre de bâtons dans les roues. Ce sera moi contre Del Itoh. Aucune intervention de ta part. Au moindre faux pas, je te brise.

Dépité, le Sombre Adversaire n’en demeurait pas moins sur ses positions.

- Vous n’avez pas appris à ne penser que par vous-même. Toi comme les autres, vous ne pourrez pas vous passer très longtemps de notre action.

Chris sourit derechef.

- Quelque chose me dit qu’on saura très bien s’en passer.

Tout en le mettant en joue, il inspecta les figurines du Grand Programmateur récemment retirées du jeu. Lorsqu’il reconnut celle de Lisa, son sourire s’éploya sur tout son visage.

 

 

 

TROISIEME PARTIE

 

 

 

Chris disparut de la pièce et se retrouva dans l’eau, manquant se noyer, lui qui était pourtant un nageur émérite. Autour de lui flottaient d’innombrables fragments d’avions. Cette vision fut l’ultime preuve de la folle théorie qu’avançaient les deux énigmatiques joueurs. Il reconnut les restes de  plusieurs Sweeping et ceux d’un Stormaker. Et c’est à ce moment qu’il comprit le sort de Lisa. S’il était bien à l’endroit voulu, cela ne pouvait signifier qu’une seule chose : la jeune femme avait péri durant la bataille.

Une tristesse terrible le submergea. Ses yeux se fermèrent comme pour censurer le drame. Il leva la tête vers le ciel et sa bouche s’ouvrit pour expulser toute sa rage :

- Pas elle !

 

Chris Ludan ouvrit les yeux. Le réveil fut douloureux. D’un point de vue physique seulement. Car lorsqu’il découvrit qu’il était aux commandes d’un Sweeping avec Lisa Derdefyll comme co-pilote, la joie qui s’empara de lui fut d’une toute autre nature.

- Bien dormi, mon chou ?

Les mots étaient superflus. Car il se souvenait de tout. Depuis sa chute en avion jusqu’à son affrontement avec le Sombre Adversaire en passant par la mort du Grand Programmateur. Mais pour l’heure, c’était de retrouver Lisa vivante, indemne, inchangée qui lui procurait la plus vive effusion. Il la serra dans ses bras, ému jusqu’aux larmes. Déconcertée, elle voulut d’emblée le railler « eh, Dom Juan, tu vas nous faire crasher ! » Mais elle avait elle-même si souvent désiré un tel rapprochement qu’elle se tut et goûta pleinement la chaleur de cet enlacement inespéré.

Au bout d’une minute, Chris se fit violence pour s’arracher à cette merveilleuse étreinte. Il reprit sa place et tenta de remettre un peu d’ordre dans ses idées. Il plongea une main dans sa poche et sourit en ouvrant son poing. La figurine du Sombre Adversaire était toujours en sa possession.

Lisa s’éclaircit la gorge.

- Qu’est-ce que c’est ?

Chris se tourna vers elle. A la lueur de ses plus récentes expériences, la présence de Lisa à ses côtés signifiait tellement de choses. Il se rappela ce que le Sombre Adversaire avait dit en évoquant la vie antérieure de la jeune femme :

 

« Elle était la mère de Del Itoh. Et toi-même, tu as essayé de la tuer, elle et le père du futur Maître. Ayant échoué, tu t’es suicidé. Une balle dans la tête. Tu n’as jamais vraiment su d’où venaient ces terribles migraines dont tu as souffert toute ta vie, n’est-ce pas ? »

 

Lisa et lui s’étaient déjà rencontrés sous de regrettables auspices. Peut-être même plus de fois que ne l’avaient laissé supposer les révélations du Sombre Adversaire. De vie en vie leurs rapports avaient incroyablement évolué. D’ennemis farouches ils étaient devenus amis. Amants ? Il était encore trop tôt pour le dire. Il fallait pour cela que la guerre leur laisse un peu plus de place, un  peu plus d’espoir. Mais Chris comptait bien sur cette nouvelle chance pour leur ouvrir de nouvelles perspectives.

- Chris ? Tu vas bien ?

Chris avait à peine entendu la question de Lisa.

- Oui, on ne peut mieux.

- Qu’est-ce que c’est ? répéta-t-elle.

Chris fit jouer la figurine entre ses doigts.

- Une garantie.

- Quelle garantie ?

Chris savoura sa future réponse dans un soupir.

- La garantie d’être libres.

Un profond sentiment de malaise sabota son euphorie. Il se rappela les figurines, les deux joueurs, maîtres du destin et bien sûr le jeu lui-même, cette représentation du monde qui avait de quoi ébranlé l’esprit le plus solide. C’était tellement surréaliste et en même temps d’une logique si prévisible.

En concevant tous ces jeux de société, ces jeux vidéo si élaborés, l’homme n’avait fait que reproduire à une autre échelle la réalité qui préexistait depuis une éternité. Le monde n’était qu’un microcosme, le morceau d’un puzzle fabriqué au format de l’univers.

Chris eut un vertige, une envie de vomir. De vomir tout ce qu’il savait. Tout ce qu’il savait, il l’avait intégré si facilement. Il avait dû vivre un paquet de fois cette pathétique pantomime qu’il appelait jusque-là la vie. Inconsciemment, il avait dû être préparé à digérer sans trop broncher une pareille somme de révélations sur la nature des choses. Mais cette pensée, loin de le rassurer, avait le don de le plonger dans un état d’extrême confusion.

Il suffisait d’ailleurs qu’il pense à quelque chose, anodin ou pas, pour se rendre compte à quel point sa perception du monde était irrémédiablement changée. Pour le meilleur et pour le pire.

Il comprit qu’il était vital pour lui de trouver un compromis avec son expérience. Ne pas oublier – de toutes façons le pouvait-il ? – mais considérer les faits avec un maximum de recul, de légèreté. Dans la mesure du possible.

L’humour et la dérision. Voilà quelles seraient ses prochaines armes pour vaincre. Vaincre un ennemi peut-être plus impitoyable que la guerre, que Del Itoh lui-même : la folie !

Maintenant qu’il était revenu du purgatoire, sa connaissance était un mal qui le rongeait et dont il devait rapidement trouver l’antidote.

 

«  Monsieur, vous souffrez d’une exposition prolongée à la vérité. Je vous recommande un grand bol d’amnésie, matin, midi et soir ainsi qu’un bain quotidien dans l’auto-dérision. »

 

Oui, songea-t-il, l’ironie va peut-être pouvoir me sauver.

Il se sentait comme un personnage de cartoon qui aurait eu accès aux coulisses du film et qui de retour sur le plateau serait condamné à faire semblant de ne rien avoir vu afin d’apprécier l’histoire, son propre rôle et celui des autres.

Mais si la vie était une mise en scène et la mort un simulacre, pourquoi ne pas s’en amuser ?

Pourquoi ne pas jouer comme un enfant ?

Il connaissait les règles, autant en profiter. Il avait une revanche à prendre sur pas mal de choses. Et enfin les moyens de ses ambitions.

Il serra la main de Lisa.

- Cette fois, on va l’avoir !

Ses sentiments pour elle eurent un effet curateur sur sa santé mentale plutôt claudicante.

Jusqu’à ce qu’il doute de leur authenticité. L’aimait-il vraiment ou l’aimait-il parce que le jeu l’avait nécessité ?

A quoi bon me torturer, se dit-il. De toutes façons, on aime rarement pour de bonnes raisons.

Sa lucidité récemment acquise le terrifiait comme une arme dernier cri dont on ne mesure qu’avec crainte tout le potentiel. S’il ne devenait pas fou, qu’allait-il bien pouvoir devenir ?

La voix précipitée de Lisa l’arracha à ses réflexions :

- Voila son avion !

Le Sombre Adversaire observait l’action se dérouler sous ses yeux.

Avec un goût amer dans la bouche.

Ne pas y prendre part relevait pour lui de la science-fiction. Il caressa l’idée d’ajouter une petite touche personnelle, discrète, mais conséquente. Ludan n’était sûrement pas assez intelligent pour faire la distinction entre ses agissements et ceux de ses congénères. Après tout, Ludan n’était qu’un être humain

Il avança une main vers le plateau. Mais se ravisa au dernier moment. Non, Ludan n’était pas qu’un simple être humain. En croyant cela, il se mentait délibérément. Ludan savait trop de choses. Sa conscience était devenue trop puissante. Sans doute était-ce pour cela qu’il n’avait pas pu lui effacer la mémoire. Son esprit s’était affranchi de bien des codes.

Le Sombre Adversaire scruta la figurine du Capitaine. « Moi aussi je peux te briser ! »

Il allait s’exécuter lorsqu’il se rappela un détail d’importance. Ludan détenait sa figurine. Il risquait très gros. En brisant la figurine de Ludan, il briserait probablement la sienne aussi. Il était bel et bien piégé.

Il se tourna vers le corps du Grand Programmateur, plus ému qu’il ne l’eut souhaité.

- C’est sûrement toi le plus heureux, maintenant.

Ne trouvant rien de mieux à faire, il quitta la table pour donner une sépulture décente à son regretté rival. Il l’enveloppa dans le rideau de la pièce et emporta son corps au dehors. Mais tandis qu’il s’évertuait à lui creuser une tombe, il fut dans l’incapacité d’assister à un étrange phénomène. Le plateau du jeu s’éclairait progressivement d’un feu intérieur tout à fait inexpliqué.

 

- Vous avez l’air inquiet.

Buruts venait d’entrer dans le salon soigneusement aménagé dans le « Mein Kampf. » Ralf Del Itoh était assis et pianotait sur son CODEDO personnel.

Il affichait effectivement une mine soucieuse.

- Je suis en train de vérifier un détail qui n’en est peut-être pas un. Un certain Siri a rejoint mon escorte. Mais il m’est tout à coup revenu à l’esprit un rapport selon lequel un dénommé Siri était mort en Géorgie. Je m’en souviens car j’ai appris sa mort juste avant d’apprendre la capitulation des Etats-Unis.

- Alors il n’est pas mort pour rien, ironisa Buruts.

Mais le Maître ne paraissait pas enclin à plaisanter.

- Ce qui m’importe c’est qu’il le soit bel et bien.

 

Buruts le rejoignit avec deux verres et une bouteille de vin rouge.

Il n’avait pas choisi un grand crû de sorte qu’il savait que l’arrière-goût du poison foudroyant passerait comme une lettre à la poste.

Des crépitements de balles résonnèrent sur la carlingue de l’appareil.

Le visage du dictateur devint cramoisi. L’air s’engouffra par le hublot. Il laissa tomber son verre.

 

Ce rêve n’avait cessé de poursuivre le fils adoptif du dictateur.

Dans sa vision, il se décidait enfin à assassiner Del Itoh. Sa tentative échouait. Et apparemment, les américains n’y étaient pas pour rien. Jusque-là, il avait toujours négligé cet avertissement, l’incombant davantage à une obsession personnelle qu’à un don prophétique.

Mais compte tenu des évènements, il était maintenant forcé d’y voir une forme de prémonition.

Il se tenait debout, droit comme un i, les mains dans le dos. Et dans ses mains il tenait un pistolet muni d’un silencieux.

« Bien placée, une balle peut faire l’effet d’un poison foudroyant. »

Il observa le hublot qu’il suspectait de figurer dans son rêve avant de s’en écarter discrètement.

« Si j’arrive à l’amener devant, non seulement, j’économise une balle, mais en plus je m’innocente de ce crime. »

Le COmpilateur DE DOnnées venait de terminer la vérification lancée par Del Itoh.

Lorsqu’il vit le résultat affiché sur l’écran, le Maître se leva brusquement.

- Préviens tous nos pilotes sur une fréquence codée. Ce Siri et ses hommes sont des salopards d’imposteurs américains !

Buruts décida de lui laisser une ultime chance de se préserver d’une mort instantanée.

- Il se peut qu’il y ait deux Siri dans notre armée.

Le regard de Del Itoh lui assura que non. Le Maître lui tourna le dos et contempla l’escadrille à travers le hublot.

Alors Buruts ponta son pistolet vers lui.

Alors une explosion tonitruante ébranla l’appareil.

Buruts perdit son arme et se retrouva au sol. Del Itoh jura, puis enclencha le mode transparence du « Mein Kampf. »  A travers le fuselage fantôme de l’appareil, il vit avec horreur les avions de son escorte tombaient comme des mouches.

Ce spectacle laissa le dictateur sans voix. Mais ce n’était rien comparé à ce qui se passait au-dessus de l’escadrille. Le ciel était en feu. Littéralement ! Le firmament n’était plus qu’un torrent de lave en ébullition vomissant sporadiquement des sphères incandescentes. En tombant les astres zébraient l’espace et anéantissaient irrémédiablement tout objet volant présent sur leur trajectoire.

Del Itoh déglutit péniblement.

- Les larmes du Diable !

Buruts oublia subitement son projet d’assassinat lorsqu’il découvrit à son tour la vision cataclysmique.

- Vous avez déclenché l’Apocalypse !

Del Itoh eut un haussement de sourcils ironique avant de répondre :

- Je n’en espérais pas temps.

Puis il se dirigea vers le poste de pilotage.

Après avoir détruit une vingtaine d’appareils, les météorites s’immobilisèrent dans le ciel sans une once d’explication. Puis sans plus de préambule, elles décidèrent d’éclore et de cracher de leur sein une immonde créature ailée qui ne méritait d’autre nom que celui de démon. Leur aspect et leur taille variaient, mais tous les témoins de leur naissance s’accordèrent à penser qu’ils se valaient en matière d’épouvante. Ils étaient tous nantis d’une paire d’ailes protubérantes qui fouettaient l’air en produisant une fumée noire nauséabonde.

- Del Itoh ! Ici, le Capitaine Chris Ludan de l’armée américaine ! Ne me dites pas que c’est le fruit de vos expériences contre-nature !

Il parlait en italien. Il avait oublié d’ôter son vox imperati.

- Je n’y suis absolument pour rien ! tempêta le Maître. Même si j’aurais préféré vous donner une autre réponse.

Il poussa un cri et se recula. Un démon venait de passer un bras à travers la vitre. Saisissant l’un des pilotes par le cou, il l’arracha de son siège. L’italien poussa un hurlement que le démon éteignit rapidement en lui croquant le visage avant de laisser tomber son corps sans vie.

Des balles crépitèrent sur l’épiderme rouge et luisant de la créature. Piquée au vif, elle se transporta jusqu’à un autre appareil avant de cracher sur lui un souffle de feu dévastateur.

 

- Merde ! Qu’est-ce que c’est que ça ?

Le cargo Di Galio venait d’entrer dans une zone de turbulences pour le moins inattendue. Jena et Jonas voyaient l’enfer se déchaîner au dehors et leur cerveau mettait un point d’honneur à leur fournir une explication digne de ce nom.

Ils se persuadèrent que leur imposture avait été révélée et que la DCA se faisait un malin plaisir de les canonner. Jusqu’au moment où ils réalisèrent que les projectiles venaient bel et bien d’en haut. A peine remis du choc de ce constat, ils subirent une violente avarie qui plongea l’équipage entier dans une grand moment de doute quant au succès de leur équipée.

Tandis que l’avion embrasé piquait sérieusement du nez, Jonas ne put s’empêcher de sourire :

- Comme renfort, on fait mieux !

- Le pire n’est jamais décevant, renchérit Jena.

L’explosion d’un moteur les invita à reprendre leur sérieux. Ils se cramponnèrent aux commandes et abandonnèrent définitivement l’idée d’atterrir à Orléans.

Une autre ville s’étendait sous eux. S’ils s’en sortaient vivants, ils savaient que ce serait de courte durée. Les italiens se feraient une joie de finir le boulot.

Tout en serrant les dents, Jonas interrogea :

- On avait un plan de rechange où cas où ça tournerait mal ?

Jena ne prit pas le temps de réfléchir :

- Oui. Improviser.

 

Comme les démons s’en prenaient indifféremment aux italiens et aux américains, Ludan écarta  une hypothétique intervention du Sombre Adversaire. La bataille qu’il pensait livrer prenait une toute autre tournure. Les perspectives n’étaient plus les mêmes. Le vieil adage « L’union fait la force » devenait une option de moins en moins inacceptable. De ce fait, Ludan crut bon de s’adresser à leur ennemi juré :

- Ecoutez-moi, Del Itoh, c’est l’hécatombe dans chaque camp. Je ne sais pas d’où viennent ces saloperies et visiblement vous non plus. Alors on va passer directement à une autre priorité : restez en vie ! Et pour ça, je ne vois qu’une seule solution : ou on décide de coopérer provisoirement ou on dit adieu à nos ambitions respectives. Qu’est-ce que vous décidez ?

Le silence qui s’ensuivit – troublé par les rugissements des explosions – inquiéta Chris et Lisa au point qu’ils se demandèrent si la traduction avait été correctement effectuée.

Finalement la voix du Maître se fit entendre :

- J’accepte de vous assister.

Ils comprirent alors que cette attente n’était qu’un effet pervers de sa mégalomanie.

 

Le pilote rescapé du « Mein Kampf » quitta son siège et endossa son jet-pack.

Del Itoh le toisa avec humeur.

- Qu’est-ce que vous faites ?

L’intéressé lui prêta une attention toute relative.

- Vous servir a été un honneur, mon Maître. Mais là…

Puis il s’engagea dans la coursive en direction du salon.

Le maître devint rouge.

- Buruts, arrête-moi ce…

Buruts venait d’apparaître. Il laissa passer le pilote et pointa son pistolet en direction du dictateur.

- Je crois que le pire démon est à bord de cet avion.

Del Itoh s’avança.

- Ma parole ! Vous vous êtes tous donné le mot ! Je savais que c’était dans l’épreuve qu’on reconnaissait ses amis, mais là…

Un hublot éclata. Un appendice flexible – peut-être une langue – s’enroula autour de Buruts. Il hurla de douleur. Le tentacule était brûlant. Il jeta un regard perplexe à son père avant d’être happé au-dehors.

Le pilote détourna la tête et ouvrit rapidement la porte.

- Putain de merde ! Mais qu’est-ce que c’est que ça ?

Il s’élança au dehors tel un missile. Et regretta aussitôt le confort du cockpit. Il ne trouva pas les mots pour décrire la vision d’horreur dont il fut l’infortuné témoin. Partout la mort frappait, avec une précision de chirurgien. Les démons s’engouffraient dans les avions et massacraient les équipages à la chaîne. Comment pouvait-il espérer en réchapper ? Sur sa lancée, il évita de justesse une aile squameuse jaillie de nulle part selon ses sens. Pour être décapité une seconde plus tard par des serres impies et impitoyables. Son corps acéphale décrivit une trajectoire aléatoire avant de s’encastrer violemment dans la queue d’un Sweeping.

- Merde ! Qu’est-ce que c’était ?

Andy encaissa durement le choc de la collision. Il venait d’assister, impuissant, à la mort de Carson, brûlé vif dans son chasseur, et la perspective de l’imiter ne l’enchantait pas plus que cela. Mourir comme un martyr, d’accord. Mais comme une merguez…

- Eh, les gars, regardez ! L’avion de Del Itoh !

C’était Jerry Cold. Les regards convergèrent vers l’appareil du dictateur qui, pour l’heure, semblait être une proie de choix pour les démons insatiables. Sept d’entre eux s’agrippaient à son fuselage et menaçaient de le mettre en pièces.

Del Itoh sourit en constatant leur présence sur son scan externe.

- Ok, mes mignons. Del Itoh va s’occuper de vous.

Le dictateur s’installa au poste de pilotage et se rappelant les gestes observés - semblait-il dans une autre vie - il commença à effectuer une série d’opérations.

A la surprise de tous, le « Mein Kampf » se dressa à la verticale.

- Qu’est-ce qu’il fait ? interrogea Lisa.

Chris plissa les yeux et serra la commande des missiles Sunshot.

- Si c’est une entourloupe, les démons n’auront pas le loisir de goûter du dictateur en sauce.

L’avion était en train de se transformer. Les différentes pièces le constituant, coulissant, s’imbriquant différemment en vue d’une toute nouvelle configuration. Pris au piège, certains démons furent écrasés par la mécanique en mouvement. Ce que personne ne regretta.

Lorsque l’opération s’acheva, c’est un humanoïde à tête d’aigle qui répondait désormais au nom de « Mein Kampf . »

- Tu parles d’une arme secrète ! s’exclama Andy.

Chris et Lisa frissonnèrent à la vue du titan made in Italia.

- Avec ça, ce salaud nous aurait laminé !

Del Itoh produisit un sourire à la mesure de son orgueil. Il sentait que tous les regards autant que tous les espoirs reposaient sur lui, désormais. Et cela justifiait, selon lui, toutes ses récentes déceptions.

- Ici, Del Itoh, à l’attention de tous les pilotes. Faites place nette, il va y avoir du grabuge !

Les canons-mitrailleurs du robot se mirent à cracher un déluge de feu et de fer sur l’armée démoniaque et tandis que le dictateur riait à gorge déployée en les voyant se disloquer, la Marche de Radetzky résonnait, tonitruante, dans tous les cockpits.

Chris assistait au massacre, en se persuadant qu’il ne rêvait pas.

- Ce salaud est en train de faire un carton ! Si on m’avait dit qu’un jour je rendrai grâce à sa folie !

Lisa n’en pensait pas moins. Qu’un bourreau comme Del Itoh puisse faire figure de héros l’espace d’un instant, ça forçait, sinon au dégoût, en tous cas à l’embarras le plus total.

Elle s’alarma brusquement en voyant un démon plus coriace s’intéressait de très près au Stormaker  dont il épluchait présentement le fuselage comme un fruit  mûr.

- Del Itoh ! Concentrez votre feu sur le gros à …

Elle allait lui indiquer la position précise lorsque les deux bras armés du titan pulvérisèrent l’appareil et le démon le chevauchant dans un éblouissant feu d’artifices, réduisant en poussières les chasseurs sataniques à proximité.

- Je sais ce que j’ai à faire, chiens d’américains !

 

Le cargo heurta si violemment la route qu’il faillit bien se briser en deux sous le choc.

Un brasier emporta une partie de l’équipage et les deux pilotes eux-mêmes sentirent le souffle brûlant leur griller les omoplates.

Jena et Jonas savaient désormais que les choses ne leur appartenaient plus. La piste était dégagée. Tout ce qu’ils espéraient c’était que l’avion continue droit sur sa lancée et ne heurte aucun obstacle en cours de route. Le cargo s’immobilisa si brusquement qu’il s’en fallut de peu que les deux pilotes ne soient éjectés de l’appareil. Rapidement rassurés sur leur propre sort, ils s’enquirent de l’état des hommes à l’arrière.

L’odeur de chair brûlée saturant la soute les prit à la gorge. Jena fut assaillie par une horde de sensations terriblement familières. Cette odeur lui apparaissait monstrueusement intime, comme faisant partie d’elle, comme liée inextricablement à des souvenirs d’enfance, mais si lointains qu’elle était incapable de les visualiser.

La découverte de survivants la ramena à la réalité et dés lors elle n’eut plus d’attention que pour eux, comme une mère rivée au chevet de ses enfants malades.

Elle pleura presque en voyant Gad se dégager de sous un corps carbonisé. Le radio se jeta à moitié dans ses bras.

- J’ai juste eu le temps d’éloigner les explosifs avant que…

Jena lui caressa les cheveux avant de le dévisager gravement. Il comprit qu’à ses yeux il venait de se racheter. La récompense était de taille.

Quittant les décombres du cargo, les « Frères de la Délivrance » - désormais réduits à un maigre peloton – inspectèrent les environs. Leur atterrissage forcé n’avait pu passer inaperçu. Restait à savoir quel genre d’accueil  leur serait réservé.

- Ce ne sera sûrement pas très chaleureux ! supputa Jonas.

- Tant mieux, fit un des soldats. Car question chaleur on a été servi.

La phrase avait été dite sans aucune ironie. Les sourires se crispèrent rapidement. Leurs pertes étaient incommensurables. La tragédie qui venait de les endeuiller n’était pas près de les quitter.

- Qu’est-ce que c’était ? fit un autre soldat, se faisant l’écho de tous. La DCA ?

- Non, répondit Jena. Et quelque chose me dit que nous allons le regretter.

Jonas s’alarma.

- Regardez là-bas !

La ville – ils ignoraient encore laquelle – avait souffert des bombardements italiens comme tant d’autres, mais également d’un autre fléau. Plus récent et infiniment plus destructeur.

Ils découvrirent des corps brûlés et mutilés dans des proportions qui excluaient d’emblée une attaque ordinaire. Jonas s’agenouilla pour les examiner.

- Il y a des français, mais aussi des italiens. Comme si une force les avait frappés avec la même intension.

Jena promena son regard acéré tout autour d’eux.

- Une force égale à celle qui nous a pris tous nos frères.

- Venez voir par ici !

C’était la voix affolée de Gad. Les autres le rejoignirent et se figèrent à la vue d’une sphère à l’aspect surréaliste. Elle était aussi haute qu’un homme et elle fumait comme si elle venait d’être crachée par un volcan.

- C’est une des choses qui nous a heurté !

Jena observa l’objet avec un mélange de haine, d’effroi et de fascination.

- Qu’est-ce que c’est ? firent plusieurs voix derrière elle.

- Sûrement la nouvelle arme de Del Itoh. Quand on connaît le spécimen, on se dit que ce serait tout à fait de lui d’inventer une atrocité pareille. Seulement…

Jonas étudiait la chose avec au moins autant d’intérêt et il compléta  sans peine :

- … A première vue, ça n’a pas l’air de sortir d’une usine d’armement.

L’un des soldats s’avança. La haine déformait son visage.

- Mon frère est mort à cause de cette saloperie et vous êtes là à disserter comme si c’était une œuvre d’art ! Je me fous d’où elle peut venir ! Bousillons-la !

Joignant le geste à la parole, il lâcha une rafale. Qui parut n’occasionner aucun dégât visible sur la surface de la sphère. Jena et Jonas le fustigèrent du regard. Un craquement riva de nouveau leur attention sur la mystérieuse arme. Elle était en train de s’ouvrir. D’un geste, Jonas ordonna à tous les hommes de reculer et de se tenir prêts à ouvrir le feu.

- Et si c’était un œuf de dragon ? glissa un soldat à l’oreille de son équipier.

Ce dernier peina à sourire.

- Parle pas de malheur !

Rapide comme l’éclair un appendice jaillit de l’œuf pour venir s’enrouler autour de Gad.

- Mon dieu ! Aidez-moi !

Les « Frères de la Délivrance » accoururent pour le secourir. Certains, comme Jonas, firent feu sur la sphère et le tentacule. Les autres, dont Jena, s’accrochèrent au radio pour l’empêcher d’être emporté par la chose. Suite à toutes ces réactions, l’appendice se figea. Pour s’embraser une seconde plus tard. Jena se jeta au sol juste à temps. Elle vit avec horreur Gad et ceux qui l’étreignaient encore disparaître dans un mur de flammes et un concert de cris déchirants.

- Non !

L’œuf s’ouvrit alors complètement, expulsant un être démoniaque qui, s’il n’avait pas le gabarit d’un dragon, en présentait néanmoins toute la force et la férocité. La seule apparition de cette créature eut un effet presque aussi dévastateur que sa langue sur les survivants regroupés derrière leurs deux charismatiques leaders.

Jonas contemplait le démon sans pouvoir se convaincre de sa réalité.

- Ce n’est pas une arme de Del Itoh, ça !

En détaillant le corps écarlate et vaguement humain, Jena sentit son courage se recroqueviller.

Dans un nuage de cendres chaudes, la langue du démon se rétracta.

- Visez la tête !

Les soldats rouvrirent le feu. Le dos musclé du monstre vomit deux ailes de cuir membraneuses qu’il plaça devant lui en guise de bouclier. Les balles ricochèrent comme sur un tank. Sans crier gare, sa langue se déroula et s’enroula autour de l’arme de Jonas. Il lutta âprement pour la récupérer, mais réalisa bien vite qu’il n’était pas de taille. La vision de Gad et des autres consumés par le feu fut un électrochoc pour Jena. Que Jonas puisse subir le même sort était inconcevable.

- Lâche-la !

Jonas vit le regard affolé de la jeune femme. Il s’exécuta. Les ailes du démon s’écartèrent et sa langue se rétracta. Le fusil-mitrailleur se retrouva dans sa gueule écumante. Alors Jonas eut une idée.

- Balancez les grenades magnétiques !

Les hommes ne se firent pas prier. Les projectiles fusèrent dans toutes les directions pour brusquement infléchir leur course vers une seule trajectoire. En une seconde le corps de l’arme fut hérissé d’explosifs. Comprenant le danger, la créature cracha le morceau de métal qui obstruait ses mâchoires.

- Couchez-vous !

La détonation qui suivit couvrit les «  Frères de la Délivrance » de débris organiques. En se relevant, Chris rejeta la monstrueuse langue qui avait failli avoir sa peau et qui maintenant ne représentait qu’un écoeurant trophée de chasse. Après s’être assurés qu’ils étaient tous sains et saufs et qu’ils ne risquaient plus rien, ils se rassemblèrent, encore sous le choc de cette confrontation surnaturelle.

- Quelque chose me dit que la France entière doit être envahie de ces choses, dit Jonas.

- Et probablement le reste du monde, ajouta Jena.

 

L’escadrille parvint à rallier la France sans encombres. Ils atterrirent dans la capitale où le Maître savait pouvoir compter sur de nombreuses forces alliées. Du moins en théorie.

Del Itoh souhaitait gagner l’Italie au plus vite – de peur qu’elle n’ait succombé elle aussi aux attaques démoniaques – mais il était impératif de recharger les batteries du « Mein Kampf » s’il voulait pouvoir défendre sa patrie efficacement. Les leaders avaient chacun tenté de joindre par radio leur pays respectif. Sans succès. Ce qui ne manquait pas de les inquiéter.

Tandis que l’avion impérial reprenait sa forme initiale et se posait sur une piste intacte de l’Aéroport d’Orly, Chris Ludan faisait un topo de la situation avec ses hommes.

- Nous ne sommes plus beaucoup et nous ignorons l’étendue exacte de la menace. Sommes-nous les seuls à avoir été attaqués de la sorte ? Je ne le pense pas.

Jerry observa Del Itoh descendre de son appareil. Il serra les poings.

- Et lui ! On ne va quand même pas le laisser repartir sous prétexte qu’il nous a filé un coup de main. Il n’avait pas le choix de toutes façons. On était dans le même bain.

Chris jeta un regard à Lisa, occupée à soigner les blessés, puis il reporta son attention sur le dictateur.

- Je vais m’occuper de ça. Pendant ce temps, faites le recensement de ce que nous avons et de ce que nous avons besoin.

Le capitaine vit bien que sa réponse ne faisait pas l’unanimité, mais il n’y eut pas de contestation.

Lorsqu’il arriva auprès de Del Itoh, celui-ci était occupé à dessiner des motifs sur le fuselage de son avion.

Chris se dit que c’était une entrée en matière comme une autre.

- Elles sont bizarres vos croix.

- Ce sont des svastikas, informa le dictateur sans s’arrêter.

Tandis qu’il alignait les symboles comme autant de victoires sur leur ennemi commun, un bout de langue pointait entre ses lèvres, lui conférant l’aspect d’un enfant appliqué.

Chris ne savait s’il devait rire ou pleurer devant ce spectacle. Mais depuis quelques temps, l’étrange faisait partie de son quotidien. Maintenant qu’il savait plus ou moins comment le monde fonctionnait, il n’arrivait plus à considérer le dictateur comme avant, en tout cas plus comme les autres. Lui aussi avait été un pantin. A quel point ? Cela, il l’ignorait.

- C’est de quelle origine ? On dirait le nom d’un alcool russe.

- Pas du tout ! s’emporta Del Itoh. Ca vient d’Inde. Il y a des choses de ce pays que je trouve très intéressantes d’un point de vue symbolique.

- Moi, c’est le Japon qui m’a toujours fasciné. Ses rites ancestraux, ses codes, ses légendes aussi.

Chris sourit nerveusement. Il était en train d’avoir une conversation culturelle avec l’incarnation du mal. Pour être étrange, sa vie devenait vraiment étrange. Mais il en vint à se dire que le mal avait peut-être trouvé une nouvelle incarnation.

- Ces… choses qui nous ont attaqué tout à l’heure, vous ne croyez pas que c’est le mal incarné ?

Cette fois, Del Itoh s’interrompit dans sa tâche et se tourna vers son interlocuteur :

- Le mal incarné ?  Mais c’est moi, le mal incarné ! Si je n’ai plus ça, que me reste-t-il ?

Chris contempla le pinceau dans la main du Maître. Il sourit à nouveau.

- Il vous reste la peinture.

 

 Sources d'Inspiration :

 

Théorie du Temps Orthogonal par Philip K. Dick

 

                  anticipation,uchronie,monde parallèle,présent alternatif,temps orthogonal,philip k. dick,fantastique,s-f,roman,histoireanticipation,uchronie,monde parallèle,présent alternatif,temps orthogonal,philip k. dick,fantastique,s-f,roman,histoire

A l'époque où la série Medal of Honor était encore ancrée dans la deuxième guerre mondiale, l'idée d'incarner une femme renforcée par ces artworks où on la voyait combattre activement l'ennemi m'a fait forte impression et m'est restée à l'esprit des années après au point que j'ai souhaité rendre hommage à cette figure de femme héroïque. Le personnage de Jenna d'Acre est directement inspiré de ces éléments.

anticipation,uchronie,monde parallèle,présent alternatif,temps orthogonal,philip k. dick,fantastique,s-f,roman,histoire

A noter que comme indiqué ci-dessus la musique du jeu a été composée par Michael Giacchino, connu depuis pour avoir illustré des blockbusters comme Les Indestructibles, Mission Impossible 3 et Protocole Fantôme et bien sûr les films estampillés J.J. Abrams (Star Trek 1 &2, Super 8). Il a par ailleurs participé à la création du thème principal du jeu Black, autre FPS emblématique. Des compositeurs de films oeuvrant sur des jeux vidéo, c'est maintenant devenue chose courante, par exemple Hans Zimmer (Man Of Steel, Inception) sur Crysis 2 et Brian Tyler (Insaisissables) sur Assasin's Creed IV.

 

 

T’as aimé…ou pas

T’as tout lu, tout vu, tout entendu…ou pas

Peu importe, post un com et like la page pour dire que tu existes car ton avis est important pour moi, mais aussi pour le futur de ce blog, un gros merci d’avance !

lundi, 02 février 2009

Monarque

                    
2 Ter.jpg
    
 
20.jpg
 
17.jpg
   



T’as aimé…ou pas

T’as tout lu, tout vu, tout entendu…ou pas

Peu importe, post un com et like la page pour dire que tu existes car ton avis est important pour moi, mais aussi pour le futur de ce blog, un gros merci d’avance !

mardi, 20 janvier 2009

Amalgâme

Amalgâme.jpg
 
Recueil de contes fantastiques publié aux éditions Littetgraphie.

  

 

 

 

T’as aimé…ou pas

T’as tout lu, tout vu, tout entendu…ou pas

Peu importe, post un com et like la page pour dire que tu existes car ton avis est important pour moi, mais aussi pour le futur de ce blog, un gros merci d’avance !

dimanche, 18 janvier 2009

Féminité

Woman's World.jpg
La Pudeur.jpg A.L.jpgUn Miracle Ordinaire.jpg
VioloncELLE.jpg
 
 
 

 

 

T’as aimé…ou pas

T’as tout lu, tout vu, tout entendu…ou pas

Peu importe, post un com et like la page pour dire que tu existes car ton avis est important pour moi, mais aussi pour le futur de ce blog, un gros merci d’avance !