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mercredi, 20 juillet 2016

Anticorps : la Défense Ultime [Nouvelles/Anticipations]

 

 Bagdad. Dans un futur pas très lointain.

 

 

- Je vois le témoin.

- Il a ses gardes du corps ?

- Non, il est seul.

- Bien, tu arrives au bon moment, alors.

La voix dans son oreillette était celle de Jürgen Slot, chef de l’organisation anti-terroriste ANTICORPS.

- Le tueur engagé par Sergeï Vladinov doit déjà être sur les lieux. Regarde autour de toi.

Kurt Stetson, dit « Le Muscle », observa la foule du marché. C’était un jour faste à Bagdad.

Il y avait beaucoup de bruit, de mouvements et de couleurs, ce qui ne facilitait pas le repérage.

La chaleur suffocante n’arrangeait rien. Kurt transpirait sous les vêtements civils qui camouflaient sa tenue d’espion dernier cri.     

- Pas si vite ! intervint Dan Douglas dit  « l’œil ». La Flèche est peut-être l’un des satellites les plus rapides au monde, mais quand même. Laisse-moi le temps de scanner tous ces types.

A des kilomètres de là, dans la salle d’opérations d’ANTICORPS, Dan Douglas contrôlait une mosaïque d’écrans et de claviers. Au centre de la salle, Jürgen Slot dit « Le Cerveau » supervisait l’opération en cours, légèrement appuyé sur sa canne, toujours impeccablement vêtu.

Kurt jura.

- J’ai pas besoin de ton foutu satellite pour repérer un gus. Je connais mon boulot, l’intello !

Dan se tourna vers Jürgen, dans l’espoir d’obtenir un soutien quelconque. Il l’obtint rapidement.

- Kurt, te rappelles-tu à quel point la synergie est importante dans une entreprise comme la nôtre?

- Comment je pourrais l’oublier ? Vous me le rabâchez tous les jours.

- Cela ne semble pas inutile étant donné ta facilité à la négliger. Dan est tout aussi compétent que toi dans sa fonction. Laisse-le donc œuvrer comme il l’entend. Il ne t’a jamais mis de bâtons dans les roues, il me semble, c’est même plutôt le contraire. Pourquoi continuer à rejeter le soutien qu’il peut t’apporter sur le terrain ?

Dan sourit, ravi de l’intervention de son supérieur en sa faveur.

Kurt sourit. Mais c’était plus une grimace qu’autre chose.

- Sur le terrain ? Sur le terrain, je suis seul et je l’ai toujours été. Et ça me va très bien comme ça. De savoir que ce machin est greffé à mes faits et gestes presque 24 h sur 24, ça me file la gerbe. J’ai l’impression d’avoir une épée de la Dame aux Clefs au-dessus de ma tête.

- Damoclès, rectifia Slot.

- Quoi ?

- Une épée de Damoclès au-dessus de la tête.

- Ouais, c’est ce que j’ai dit.

- Ca y est ! s’écria Dan. J’ai repéré un type qui correspond à la photo.

- C’est lequel ?

A deux heures, près du stand de fruits. Le grand type chauve.

- Y a trop de monde devant. Je vois rien.

- Attends, je te le surligne.

La silhouette du tueur se découpa brièvement à travers la foule.

Kurt entendit le rire familier de Jürgen Slot dans son oreillette.

- Tu as des yeux qui valent de l’or, mon cher Muscle !

- Puisqu’on parle de ça, je me souviens pas avoir signé pour cette opération. J’ai d’autres organes reliés à ce foutu satellite ?

Un silence s’ensuivit.

 - Quoi ? Vous pouvez quand même pas me faire pisser quand vous voulez ?

- Non, répondit hâtivement Dan, bien sûr que non !

Il échangea un regard paniqué avec son supérieur, visiblement amusé de la situation.

- Tu rigoles, reprit Dan de son ton le plus rassurant. On en est quand même pas là !

- Y a intérêt. Si j’apprends que vous pouvez faire joujou avec moi sans que je le sache, je vous jure que ça va chier.

- Le témoin bouge, annonça Dan, ravi de pouvoir détourner la conversation.

- Surveille-le, moi je file le tueur.

- Non, Kurt ! Tu te charges du témoin. Et rappelle-toi qu’il nous faut ce tueur vivant, insista Slot. Lui seul peut nous conduire à Sergeï.

- C’est marrant ! Pourquoi il faut que vous m’appeliez par mon prénom seulement quand vous êtes en rogne contre moi ?

Dan décida que c’était le bon moment de rendre l’ascenseur à son supérieur.

- Le témoin a l’air paniqué. Je crois qu’il vient de se rendre compte qu’il a perdu ses gorilles.

Kurt le rejoignit discrètement.

- Suivez-moi sans dire un mot, je viens vous sortir de ce merdier.

Le témoin avait tout du touriste.

- Quoi ? Mais qui me dit que vous n’êtes pas un tueur à la solde de Vladinov ?

Mais il avait oublié d'être idiot.

Kurt se racla la gorge.

- Parce que le tueur est derrière moi. Le grand type chauve près du stand de fruits.

- Je…je ne vois rien. Il y a beaucoup trop de monde.

- Dommage que je ne puisse pas vous prêter mes yeux.

- Pardon ?

- Rien. Suivez-moi, c’est tout.

- Mais, non, je n’ai aucune…

- Ecoute, ducon, si j’avais voulu te tuer…

- Kurt, t’es repéré ! le prévint Dan. Dégage, mais fais en sorte que le tueur vous suive !

Kurt empoigna le témoin et fonça vers une destination connue de lui seule, bousculant les passants et certains étals. Une balle de silencieux siffla au-dessus de son épaule.

- Fais chier !

- Prends à droite dans la ruelle ! dit Dan, les yeux rivés sur un écran.

Kurt s’engagea dans l’étroit passage, entraînant le témoin dans son sillage. Il en profita quand même pour se débarrasser promptement de ses habits civils, révélant une combinaison ajustée faite de sangles, d’étuis et d’accessoires plus ou moins identifiables.

Le témoin s’alarma.

- Vous êtes un espion ?

- Tout juste, Auguste !

- Comment vous connaissez mon nom ?

- Coup de bol !

Le tueur apparut à l’entrée de la ruelle.

- Baissez-vous ! hurla Dan.

Kurt s’exécuta, ce qui permit aux deux hommes d’éviter un chapelet de balles.

- J’ai quand même le droit de riposter, non ?

Il n’attendit pas l’approbation et fit feu.

La balle ricocha contre un mur près du tueur. De la poussière et des fragments de pierre l’aveuglèrent. Kurt en profita pour creuser l’écart.

Il remonta la rue perpendiculaire en direction de la sortie de la ville.

Arrivé à la hauteur d’une jeep militaire, il envoya le dénommé Auguste sur le siège du passager et s’installa au volant. Il se baissa pour trafiquer les fils. Le pare-brise explosa. Auguste poussa un cri.

- J’ai pas signé pour ça !

Kurt le toisa avec un grand sourire.

- Moi, si !

La jeep démarra sur les chapeaux de roue.

- Il nous suit ?

Auguste se retourna.

- Je…je ne sais pas, moi !

- Je ne vous parle pas. Vous, restez couché et fermez-là !

- Il est dans un break blanc immatriculé…

- C’est bon, Dan, pas la peine de me sortir tout le topo. Je le vois.

Recroquevillé sur son siège, Auguste écarquilla les yeux.

- Dan ? Mais à qui vous parlez ?

Kurt sourit.

- A mon ami imaginaire.

Dan Grimaça.

- Sympa pour moi !

- Je déconne. Tu sais que je t’adore, Dan !

- Tu me flatteras plus tard. Je te signale que le tueur vous rattrape !

Comme pour confirmer l’information, de nouvelles balles ricochèrent dans l’habitacle.

- Vous pouvez pas le semer ? interrogea Auguste.

Kurt évita juste à temps une bande de gamins débraillés.

- Il faut que je t’assomme Auguste pour avoir la paix ?

La seconde d’après, la jeep percutait un camion venu de nulle part.

Jürgen Slot assista à la scène sur un écran géant. Sa déception fut manifeste.

- Et bien, Dan ?

- Désolé, Monsieur, je ne l’ai pas vu arriver. Kurt ? Tout va bien ? Kurt, tu m’entends ?

La voix d’Auguste se fit entendre.

- Excusez-moi de m’en mêler, mais je crois que votre ami a perdu connaissance.

Jürgen frappa le sol de la pointe de sa canne.

- Bon sang, manquait plus que ça ! Réveille-le !

- A vos ordres !

Dan pressa quelques touches et activa une commande.

Le corps inerte de Kurt fut secoué de spasmes sous l’œil terrifié d’Auguste qui voyait dans le même temps le tueur descendre de son véhicule et s’approcher de lui, son arme à la main.

- Ca ne fonctionne pas, Monsieur ! Qu’est-ce qu’on fait ?

Jürgen Slot médita quelques seconde avant de déclarer :

- A vous de jouer, Dan !

Il lança un regard appuyé à l’ingénieur qui s’affaira aussitôt sur ses instruments.

- Prions seulement pour qu’il ne le sache jamais !

Toujours inconscient, Kurt trouva tout de même le moyen de redémarrer la jeep, ses mains et ses pieds oeuvrant sous une mystérieuse impulsion.

La voiture recula brusquement, défonçant la calandre du break. Auguste jeta un coup d’œil en arrière. Le tueur était invisible. L’attaque avait dû le surprendre totalement.

- Vous l’avez eu ! s’écria-t-il. Avant de réaliser que l’espion était toujours dans le coma.

Cela ne l’empêcha pas de passer les vitesses et d’accélérer. La jeep fumait à l’avant, mais les dégâts dus à la collision  ne semblaient pas plus graves que cela.

- Mais qui conduit, bordel ?

Auguste trépignait sur son siège, en proie à une terreur bien compréhensible. Sa vitre explosa.

Lorsque la main ensanglantée du tueur se ferma autour de sa gorge, cela ne fit évidemment qu’empirer son malaise.

Dans la salle d’opérations de l’agence ANTICORPS, la tension était tout autant palpable. Les deux hommes présents dans la salle bardée d’électronique suivaient les évènements sans mot dire. Dan pilotait le corps de Kurt du mieux possible. L’expérience était encore nouvelle. Heureusement, Dan s’adaptait très vite, c’est d’ailleurs sûrement l’une des raisons pour lesquelles il avait été engagé dans cette élite.

Le tueur se tenait sur le toit de la jeep. Il avait perdu son arme, mais pas sa vocation. Auguste commençait à manquer de souffle. Kurt garda une main sur le volant et de l’autre il dégaina une bombe lacrymo. Au moment où le visage du tueur apparut à découvert, Dan fit entendre sa voix dans l’habitacle via un haut-parleur inséré dans la tenue de l’espion groggy :

- Auguste, fermez les yeux !

En entendant cette voix jaillie de nulle part, l’intéressé crut qu’il s’agissait de son propre ange-gardien. Il obéit aveuglément. Kurt tendit le bras et aspergea le visage du tueur. Ce dernier poussa un cri et tomba de la jeep. Kurt freina brutalement ou tout du moins le pied qui lui appartenait.

Ils avaient atteint un quartier plutôt désert. Sentant le danger rôder, quelques passants s’empressèrent de pousser la porte la plus proche.

Auguste se jeta sur le corps désespérément inerte de l’espion.

- Réveillez-vous, bon sang ! Réveillez-vous !

La seconde d’après, le canon d’un pistolet se collait contre sa tempe.

- Lâche-moi immédiatement, Auguste, ou le seul qui recueillera ton témoignage s’appellera Saint-Pierre !

Auguste desserra lentement son étreinte et s’écarta.

Kurt baissa son arme et secoua la tête.

- Comment on est arrivé là ? Je crois que j’ai perdu connaissance.

- Et bien, il s’est passé de drôles de choses. Vous avez commencé par…

La voix de Dan retentit dans l’oreillette de Kurt, couvrant celle d’Auguste.

- J’ai pris le contrôle de la jeep. Un jeu d’enfant.

Kurt émit un sifflement.

- Tu peux faire ça, L’oeil ?

- Bien sûr !

Jürgen Slot félicita l’ingénieur de sa trouvaille d’un signe du pouce.

- Le tueur est neutralisé, mais il vaut mieux vérifier. Il est au sol, derrière toi.

- Ok, merci d’avoir pris le relais.

Kurt respira un grand coup avant de se tourner vers son passager.

- Toi, tu ne bouges pas.

Il descendit de la voiture s’éloigna de quelques pas avant de revenir en courant :

- Rien de cassé ?

Auguste avait le visage cramoisi. Il se massait la gorge en fulminant.

- C’est maintenant que vous demandez ?

Rassuré, Kurt se posta près du corps inanimé du tueur. Il inspecta les environs.

- Aucune menace, nota Dan.

Kurt essuya le sang qui coulait d’une légère blessure au crâne.

- Tes pronostics tu te les gardes, L’œil !

Il retourna le corps. Le tueur avait le visage brûlé. Pourtant il souriait tant qu’il pouvait. C’était sans doute dû à la présence du détonateur dans sa main droite.

- Putain de merde !

Kurt bondit sur le côté. Mais à la stupeur de tous, ce n’est pas le corps du tueur qui explosa. La jeep se désintégra dans une boule de feu. Son occupant avec elle.

Kurt se redressa, le visage crispé.

- Fils de pute !

Le tueur semblait chercher une nouvelle arme dans ses vêtements. Kurt ne lui laissa pas le temps de prolonger ses investigations. Il lui colla une balle entre les yeux.

- Tu l’as tué ? s’écria Slot. Mais il nous le fallait vivant ! Sans lui, comment allons-nous pénétrer dans le repaire de Sergeï ?

- Parce que tu crois que j’ai eu le choix ! C’était lui ou moi, je te signale ! Et bizarrement, j’ai préféré que ce soit lui.

- Ecoute, je ne dis pas le contraire, c’est juste que…Ca va être beaucoup moins simple, maintenant. Et ça ne l’était déjà pas beaucoup avant. Il était le seul à pouvoir te faire entrer discrètement. Sergeï a toute confiance en lui.

- Tant pis, j’aviserai sur place. On abandonne pas.

- Ce n’est pas toi qui décide !

- Je croyais que tu voulais ce gars ?

- Précisément. C’est pour ça que je refuse que tu y ailles en l’état.

- Super, la confiance règne ! De mieux en mieux ! Je me demande vraiment à quoi je sers. Le Muscle, tu parles ! Je te signale que Le Muscle a aussi un cerveau et qu’il est pas au régime !

Un silence ponctua cette dernière réplique.

- J’ai peut-être une solution, déclara Dan, espérant du même coup détendre l’atmosphère. Mais tu vas pas aimer.

- Dis toujours, répondit Kurt tout en fouillant les décombres calcinés de la jeep.

- Tu prends son identité.

- Quoi ? Je te signale que je suis pas comédien !

- Pas besoin. J’ai reçu un nouveau logiciel. Camouflage optique 3D temps réel.

- Ca en jette, mais est-ce que ça marche ?

- C’est encore à l’essai.

- Ca veut dire que ça peut foirer ?

- A tout moment.

- Heureusement que vous voulez pas que j’improvise. Bon, je suppose que c’est notre seule option.

- A dire vrai, j’en avais une autre qui consistait à modifier directement ton visage, mais au stade où en est la technologie, c’est encore trop douloureux.

- Tu me ménages ? C’est nouveau, ça ! Bon, comment on procède ?

- Lève-lui la tête, les yeux vers le ciel. Il faut que je scanne son visage.

- Il a un peu morflé.

- Ca ne fait rien. J’ai récupéré des vidéos qui vont nous servir. Je vais modifier ton apparence. Et aussi ta voix.

- Tu vas pas me trafiquer les cordes vocales ?

- Non. Je vais utiliser un champ de résonance.

- Je vais ressentir quelque chose.

- Si tout se passe bien, non. Je vais créer une image tridimensionnelle du tueur autour de toi qui fera illusion.

- Combien de temps ?

- Pas longtemps. Ca va pomper pas mal d’énergie. Faudra que tu fasses vite pour limiter les risques de défaillance du camouflage.

- Ok. Au fait, désolé pour Auguste. Ca avait l’air d’être un brave type.

- C’était une pourriture, rectifia Slot en improvisant une élégante chorégraphie avec sa canne ouvragée. Il a été reconditionné pour servir d’appât à notre tueur. Il n’y a jamais eu de témoin des méfaits de Sergeï Vladinov.  Et je compte bien qu’il n’y en ait jamais, car je compte bien faire cesser les activités de ce terroriste !

 

Le repaire de Sergeï Vladinov était une anonyme masure d’un blanc immaculé qui tranchait évidemment avec la noirceur de ses actes renommés.

Les pays européens autant que les Etats-Unis avaient beaucoup souffert ces dernières années de son penchant pour la libre expression à grand renfort de détonations. On le disait affilié de près ou de loin au légendaire terroriste Karl Arms qui ne donnait plus signe de vie après un mémorable baroud d’honneur qui avait laissé bon nombre de capitales occidentales à feu et à sang.

Les rumeurs allaient bon train depuis la disparition de Arms et sa mort présumée dans une embuscade. On cherchait à tout prix son héritier afin de prévenir la prochaine vague de terreur. Il semblait que Vladinov était tout désigné pour perpétrer le même type de chaos que Arms. En tout cas du point de vue de Jürgen Slot.

 

- Putain, j’ai vraiment une sale gueule !

Kurt Stetson observait son nouveau visage dans la vitre d’une voiture.

- C’est pas le moment de t’admirer, le tança Dan. T’as du pain sur la planche.

- Lâche-moi, je suis arrivé !

L’espion grimaça.

- Oh et puis cette voix !

- Justement, pour la voix je suis pas sûr de moi. C’est un échantillonnage approximatif. J’avais peu de références en la matière. Ce tueur n’était pas connu pour…

- Ca veut dire quoi ?

- Ca veut dire qu’il faudra que tu parles le moins possible.

Kurt réfléchit un instant avant de paraître satisfait.

- Ca me va.

- Tu as trouvé quelque chose d’intéressant sur son corps ? s’enquit Slot.

- Rien qui puisse me servir à atteindre Vladinov plus facilement.

- Attention, prévint Dan, deux hommes s’approchent de toi.

- Ils parlent russe, précisa Slot.

- Je m’en occupe, rassura Dan en activant un programme connu de lui seul.

Slot s’appuya sur le pommeau de sa canne comme il avait coutume de le faire au moment de faire une grande déclaration :

- Il faudra que nous trouvions un quatrième membre pour ANTICORPS, un nouvel organe et de préférence un organe qui puisse vous seconder efficacement afin que vous déléguiez un maximum le travail de piratage et d’archivage des données. Ainsi serez-vous à même de concentrer tous vos efforts sur les possibilités offertes par notre satellite d’exception.

Dan acquiesça.

- Une femme ?

Slot s’esclaffa.

Dan d’ajouter :

- C'est-à-dire que depuis que je suis entré à votre service, je ne suis pas beaucoup sorti d’ici. Un peu de compagnie ne serait pas du luxe, si vous voyez ce que je veux dire.

- C’est entendu, Dan. Nous recruterons en priorité un agent féminin. Le Muscle sera certainement jaloux, mais je saurai lui accorder à lui aussi une faveur digne de ce nom.

 

Un voyant s’alluma. Les pensées de Kurt étaient en train de leur parvenir. C’était un autre programme crée par Dan. Une sonde à l’intérieur du cerveau de l’espion renvoyait son activité neuronale et un logiciel spécifique décryptait les signaux enregistrés. Avec parfois quelques approximations, mais dans l’ensemble le procédé fonctionnait. Au grand dam de Stetson qui voyait là une nouvelle occasion pour son comparse d’avoir la main mise sur sa personne. Alors parfois, il ne se privait pas de donner libre cours à ses sentiments. Histoire de donner le change.

Dan alluma le haut-parleur pour que son supérieur puisse l’entendre aussi :

« … à pas me faire dire n’importe quoi. Sinon je te jure que je vais faire un suppositoire de ton satellite à la con et te le mettre bien profond ! »

Les deux hommes s’empêchèrent de rire. Sitôt après, Dan reprit son sérieux.

- Ils veulent te serrer la main. Qu’est-ce que tu attends ?

« Ca va traverser le camouflage, non ? Je suis foutu s’ils voient la combine ! »

Dan soupira comme s’il avait affaire à un enfant.

- Tu regardes souvent la main des gens, toi, dans ces moments-là ?

Kurt tendit le bras en retenant sa respiration. Les deux russes le dévisagèrent avec une once de méfiance avant de lui indiquer de les suivre. Kurt obtempéra.

« Bon, on dirait que ça se présente pas trop mal. Mais vivement que je mette la main sur notre homme. Ce genre de jeu, c’est pas trop mon truc ! »

Mais Dan ne l’écoutait que d’une oreille. Il était davantage concentré sur les mots qu’échangeaient les deux russes dans leur langue. Il opéra un mouvement de caméra pour les avoir de face sur son écran principal. Ils étaient en train de sortir leur pistolet de sous leur ceinture. Ca sentait le roussi.

Les mains de Jürgen Slot se crispèrent sur sa canne.

- Dan, diversion. Maintenant !

- Ok, obturation !

Un disque d’un noir luisant recouvrit chaque oreille de Kurt.

Dan propagea une onde ultra-sonore. Les vitres alentours explosèrent. Les trois gardes se bouchèrent les oreilles. Kurt les exécuta en un éclair.

- Merde, qu’est-ce qui s’est passé ? On a pourtant assuré, non ?

- Je comprends pas, dit Dan. Ton camouflage a pourtant fonctionné à cent pour cent.

- Faut croire que leur détecteur de coup foireux aussi ! observa Kurt. Qu’est-ce que je fais, maintenant ?

Slot s’approcha de l’écran de contrôle de Dan.

- Tu continues. On garde la même approche. Tu rentres dans la planque de Sergeï et tu le neutralises. J’insiste sur le mot neutralises. Sa capture est vitale. C’est entendu ?

- Oui, grommela Kurt. A vos ordres. Mais si jamais y a encore des gus qui reniflent un piège ?

- Compte sur moi, dit Dan. Est-ce que je t’ai déjà abandonné ?

- Non et c’est bien dommage !

Kurt frappa à la porte de la masure.

- Un instant, dit Dan, il y a quelque chose qui cloche. Je crois que je suis en train de perdre ton signal, Kurt. Il doit y avoir un bouclier. Kurt ! Ne rentre pas ! Kurt ?

Mais Kurt Stetson avait déjà pénétré dans la masure. Pour le meilleur et pour le pire.

Dan leva les yeux et dévisagea gravement Slot debout à ses côtés.

- J’ai plus rien, plus d’émission. On est coupé.

Slot caressa nerveusement le pommeau de sa canne.

- Sergeï n’est pas un débutant. Il connaît la technologie. Il a appris à attaquer, mais aussi à se protéger. Pour une fois, Kurt est livré à lui-même. Mais c’est dans ses moments là qu’il peut démontrer tout son savoir-faire. Je ne m’inquiète pas pour lui.

Dan n’était pas rassuré pour autant. Cette fois, il abandonnait Kurt, malgré lui. Et cela ne lui plaisait vraiment pas. Pour lui, ils fonctionnaient en binôme depuis bien trop de temps pour que la situation soit aussi évidente qu’elle semblait l’être pour Slot.

Il se crispa sur son fauteuil. C’était la première fois qu’il se sentait aussi impotent. Soudain, il tressaillit.

- Le camouflage, il a dû disparaître au moment où Kurt est entré !

A ce moment, Dan récupéra le signal. Et du même coup la mauvaise humeur de Kurt Stetson. Mais cette fois, ce ne fut pas pour lui déplaire.

- …m’entendez ! Je sais pas ce qui s’est passé, putain ! C’était l’enfer, là-dedans ! Ils se sont mis à me canarder. J’en ai allumé un paquet, mais j’en ai encore plusieurs au cul !

Les écrans se rallumèrent et Dan put à nouveau avoir une vue d’ensemble de la situation, aussi bien par les yeux de Kurt que par les différents yeux du satellite.

- Je te vois ! braya l’ingénieur, qui avait bien du mal à ne pas cacher sa joie. Désolé, Vladinov a installé un bouclier. On a perdu ton signal quand tu es entré.

Kurt venait de jaillir de la masure comme un diable sorti de sa boite. La caméra tressautait au rythme de la course effrénée de l’espion.

Il se mit rapidement à couvert derrière une camionnette. Les hommes de Vladinov étaient au nombre de sept et ils eurent tôt fait de transformer son rempart en passoire.

- L’oeil, fais quelque chose ! Je suis cerné et presque à sec !

L’intéressé prit une profonde inspiration. Il étudia un écran de contrôle lui indiquant le trafique aérien aux environs de Bagdad. Un sourire se dessina sur ses lèvres.

- J’ai ce qu’il te faut. Tiens encore quelques minutes.

Kurt hurla pour couvrir le bruit des rafales.

- J’ai pas quelques minutes !

- Inutile de hurler, dit Dan, tu sais bien que je peux lire dans tes pensées.

« Va te faire foutre » pensa Kurt.

- C’est pas gentil, le tança gentiment l’ingénieur. Heureusement pour toi, je ne suis pas rancunier. Tourne la tête.

Kurt s’exécuta, ne sachant trop à quoi s’attendre, mais espérant profondément pour qu’il s’agisse d’un miracle. Il ne fut pas trop déçu de ce côté-là lorsqu’il vit le cargo militaire An-70 atterrir sur la place, au mépris de l’espace disponible, sacrifiant quelques bâtiments et véhicules au passage avant de s’immobiliser comme le plus improbable taxi. La soute de l’avion s’ouvrit. Les deux pilotes très mécontents de s’être faits détournés de la sorte le furent encore plus en voyant les hommes de Vladinov leur tirer dessus sans crier gare. Profitant de leur consternation, Kurt les abattit avant de plonger à l’intérieur de l’appareil.

- Tu me surprendras toujours, s’exclama Kurt en découvrant la nature de la cargaison.

Dan jubilait.

- Le plaisir est partagé. Maintenant à toi de jouer !

Les hommes de Vladinov en avaient profité pour se rapprocher et échanger des propos virulents. Ils rechargeaient leurs armes lorsque leur cible refit son apparition.

Kurt épaula les deux lance-roquettes en sa possession et fit feu.

Les deux explosions firent pleuvoir de la terre, du sable et aussi beaucoup de sang.

L’espion bomba le torse en voyant qu’il n’y avait plus aucun garde en vie.

- Y a pas à chier. C’est dans ces moments là que je me sens vivant !

- Chapeau, Stetson !

C’était Slot.

- Désolé pour cette boutade, mais elle m’amuse toujours autant. Tu as de bonnes nouvelles à me donner concernant Sergeï Vladinov.

- Il est en vie. Je vais le chercher, annonça Kurt en retournant vers la masure.

- Non ! aboya Dan. Si tu fais ça, on va encore perdre ton signal.

- Mais c’est qu’il aurait presque peur pour moi !

- Il y a encore un risque.

- Aucun, certifia Kurt. J’ai fait le ménage. Et à ma manière. Préparez le tapis rouge, je suis là dans quelques heures.

 

- Mais qui êtes-vous ? grogna Sergeï Vladinov.

Le terroriste était solidement attaché à une chaise dans un bureau décoré avec goût.

Jürgen Slot lui faisait face. Et il exprimait assez bien sa satisfaction. L’opération mise en place depuis des mois avait été un franc succès. Et ANTICORPS allait très bientôt pouvoir en bénéficier. Directement.

- Vous êtes un baron du crime organisé. Et bien, disons que je suis un baron de la lutte organisée contre le crime organisé.

Notre organisation fonctionne comme une entité vivante. Chaque membre représente une partie active, un organe aussi vital et précieux que ceux qui constituent le corps d’un être humain.

Slot faisait danser sa canne devant lui avec une sophistication exagérée.

Vladinov restait calme. Il en avait vu d’autres.

- Pourquoi vous me dites tout ça ? Vous allez me tuer, n’est-ce pas ? Alors faites-le, qu’on en finisse. Je suis prêt, depuis longtemps.

Mais Jürgen Slot semblait vouloir prendre son temps avec son hôte.

Il désigna la vitre du pommeau de sa canne.

- Vous voyez ces deux hommes ? Ils ne s’en souviennent plus maintenant, mais chacun d’eux a été en son temps un modèle de terreur, de monstruosité, mais aussi un exemple de ténacité et de force. Et si j’ai appris une chose au cours de mon existence, c’est qu’il y a mieux à faire que combattre directement le crime organisé. C’est le retourner contre lui-même. C’est la base même de cette organisation, le sens de son existence. Et quand je dis sa base, ce n’est pas qu’une métaphore. Vous connaissiez certainement Karl Arms dit « Le Spectre ».

A l’évocation de ce nom, les yeux de Vladinov s’écarquillèrent.

- Bien sûr, on s’est même rencontré plusieurs fois. Je l’admirais beaucoup. J’ai beaucoup appris de lui. Et je ne suis pas le seul. Il a disparu brusquement. Les autorités n’ont jamais pu mettre la main sur lui. Il reste le maître incontesté dans son domaine.

- Et si je vous disais que vous l’avez retrouvé, que vous êtes même en train de lui parler, en ce moment.

Vladinov dévisagea Slot, quêtant un trait d’ironie. Pour son plus grand malheur, il n’en décela aucun.

- Quoi ? Vous délirez !

Le visage de Slot devint un masque de cire.

- Alors comment je saurais que tu n’as que trois orteils à ton pied gauche et que tu dois cette infirmité à l’explosion prématurée de l’une de tes propres bombes ?

Vladinov sembla se recroqueviller. Ce qui constituait évidemment un exploit.

- Oui, ça fait un choc ! poursuivit Slot avec entrain. Je ne te cache pas que j’ai beaucoup abusé de la chirurgie esthétique. Karl Arms n’a pas disparu. Enfin, pas au sens où l’on entend. C’est moi qui l’ai mis hors d’état de nuire il y a trois ans. Pour le bien de tous. Comment ? Pourquoi ? Tu as dû entendre parler de cette embuscade que m’ont tendue des agents américains. Elle a bien failli réussir. Deux de mes fidèles m’ont sauvé in extremis, mais je suis resté tout de même dans le coma pendant plusieurs mois. Quand j’en suis revenu, j’étais complètement changé. Un autre homme. J’ai découvert ce que j’avais fait, mes actes et ma nature passée. Cela m’a terrassé au début. J’ai fait ce qu’on appelle communément une dépression. Et puis, progressivement, j’ai compris deux choses. Que si je m’en étais sorti, c’est que j’avais encore des choses à faire en ce monde. Et surtout que si j’avais changé, je pouvais alors remédier à tout le mal que j’avais semé sur cette terre pendant des années. Le moyen était tout trouvé. J’avais subi une complète reconversion par l’entremise de mon coma. Un conditionnement naturel. C’est là que l’idée d’ANTICORPS m’est venue.

Brusquement, il s’esclaffa.

- Mais le coup du bouclier, à Bagdad, j’avoue que j’ai été bluffé. Visiblement tu es un élève studieux. Mes discours ne sont pas tombés dans l’oreille d’un sourd. Mais je n’ai pas perdu mon temps, moi non plus.

Le calme de Vladinov commençait à être menacé.

- Tu as construit La Flèche, le satellite, celui que tu évoquais à chaque fois et qui nous faisait tous fantasmer ?

Slot fut tout sourire.

- Comment crois-tu que mon agent soit entré si facilement dans ton repaire ? Mais c’est là la moindre des révélations que j’ai à te faire. Crois-moi.

Mes fidèles associés ont tous deux bénéficié de la chirurgie eux aussi et d’un total reconditionnement afin de servir mes nouveaux desseins. A leur insu, bien entendu. D’anciens terroristes luttant contre de nouveaux terroristes. Oui, c’est ironique, mais tellement efficace. Chaque jour, je loue l’inspiration qui m’a été donnée. Car si je t’ai révélé tous mes secrets, ce n’est pas parce que je vais te tuer. Tu n’es pas ici pour être torturé, ni même interrogé. Nous ne t’avons pas poursuivi dans un esprit de justice ou de vengeance. Non, c’est beaucoup mieux que cela. Tu es ici pour être des nôtres, à ton tour, converti comme l’ont été tous les membres de cette organisation.

Le visage de Sergeï Vladinov s’empourpra. Son calme vola en éclats. Il fit basculer sa chaise contre la vitre et pressa son visage contre le verre en hurlant :

- Il vous a manipulé ! Vous êtes tous des terroristes comme moi ! Il veut me laver le cerveau comme il vous l’a fait ! Sortez-moi de là ! Réveillez-vous !

Bien entendu la pièce était insonorisée.

- Je sais pas ce que lui dit le patron, mais ça n’a pas l’air de le rendre heureux, observa Dan Douglas, pour le moins amusé.

Il servit une coupe de champagne à son équipier.

- Tu crois qu’il nous demande de l’aide ?

Kurt Stetson se fendit d’un sourire.

- Non, je crois qu’il a juste très envie de pisser !

Ils s’esclaffèrent en faisant tinter le cristal.

En les voyant s’amuser de la sorte, Sergeï Vladinov sut que c’était peine perdue. Il était fait comme un rat.

Jürgen Slot dit « Le Cerveau » regarda ses hommes avec fierté. Il leur adressa un large sourire. Ils avaient vraiment tous fait du bon boulot. Il reporta son attention sur le terroriste en proie à la plus intense panique.

- Si ça peut te rassurer, Sergeï, bientôt tu auras tout oublier, toi aussi. Et tu me souriras, comme eux en ce moment. Bienvenue dans la crème de l’action anti-terroriste, bienvenue à ANTICORPS. Tes capacités vont nous être très utiles. Tu répondras désormais au nom de « La Main ».

Deux hommes entrèrent dans le bureau. L’un d’eux était armé d’une seringue.

Slot haussa les épaules.

- J’avais promis à Dan une jolie partenaire. Il va être très déçu.

Slot souleva le couvercle du pommeau de sa canne.

- Enfin, pas vraiment.

Il pressa le bouton jusque-là dissimulé et observa Dan Douglas et Kurt Stetson perdre connaissance simultanément. D’autres agents vinrent s’occuper d’eux. Il était temps de les reconfigurer eux aussi. Pour le bien-être de l’organisation. Pour le bien-être du monde libre.

 

Anticorps : Molécules de défense de l'organisme, protéines (immunoglobulines) fabriquées par les lymphocytes (globules blancs du sang), en réponse à la présence d'un corps étranger, l'antigène.

 

 

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L'Esprit Fantastique de Sylvester Synaptik [Nouvelles/Anticipations]

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-Je n'y arriverai jamais !
Sylvester martelait son piano depuis plusieurs heures. Sans succès.
- Viens manger, dit sa soeur d'un ton compatissant. Ca te fera du bien. Je t'ai fait ton plat préféré.
Sylvester contempla les touches comme autant d'amantes lascives, mais inaccessibles.
- Je comprends pas. Dans ma tête c'est si limpide. Mais dès que je suis en contact avec l'instrument...
Il se leva, abattu, et se jeta dans les bras de sa soeur pour se consoler.
Derrière lui, une vingtaine de modèles de pianos - droits et à queue - occupaient l'immense salon.

Le déjeuner se caractérisa par une relative froideur. Du point de vue de l'ambiance, s'entend bien, car comme à son habitude, Adèle avait mis les petits plats dans les grands et concocté un menu dont elle seule avait le secret. Pour autant, son frère restait de marbre, pétrifié par son inaptitude à transmettre ses émotions.
- Dans une semaine, c'est ton anniversaire, dit Adèle dans l'intention évidente de le détendre un peu.
Sylvester jouait distraitement avec sa fourchette, la plongeant et la replongeant mécaniquement dans le gratin végétarien.
- Tu m'offres de nouvelles mains ?
Quand il était triste, il était toujours cynique, mais Adèle avait appris à vivre avec ses sautes d'humeur. Elle savait comment y faire face.
- Mieux que cela. Mais c'est une surprise.
A défaut de remédier directement à son problème, elle parvint à éveiller sa curiosité. Ce qui, en soi, était déjà un réel exploit.
- Alors j'ai hâte.
Il se leva et se dirigea vers le salon :
- En attendant, j'ai du boulot !

Le jour de son anniversaire, Sylvester fut tiré du lit par un vacarme de chocs et de clameurs. Il se précipita à la fenêtre de sa chambre. Un camion était stationné dans la rue. Plusieurs hommes au look de déménageurs étaient en train de sortir un objet très imposant du véhicule. Sylvester poussa un cri de joie. Il devina d'un seul coup ce dont il s'agissait et la raison de sa présence à ce moment précis. Il se précipita dans l'entrée en pyjama et y trouva sa soeur occupée à signer le registre de l'un des livreurs.
- C'est mon cadeau ! s'exclama Sylvester. Tu m'a acheté un nouveau piano ?
Adèle le regarda avec un sourire amusé.
- Je ne sais pas. Ca peut être n'importe quoi.
- Allez, joue pas avec moi, je sais trè bien que c'est un piano. Ca se voit même avec l'emballage !
- Si tu le dis, répondit-elle en riant.
Il l'embrassa et la serra dans ses bras.
- Il vient d'où ?
- Du Japon, déclara-t-elle avec fierté. Il a été fabriqué sur mesure pour toi. Il est unique au monde.
- Mais...Il a dû de te coûter les yeux de la tête !
- Tu sais bien que pour nous l'argent n'est pas un problème. Il faut juste investir convenablement.
A leur mort, leurs parents leur avaient laissé une vértitable fortune qui semblait inépuisable malgré leurs dépenses astronomiques.

Quelques instants plus tard, Adèle et Sylvester étaient dans la rue, observant les employés monter prudemment l'instrument vers la fenêtre du salon. Au rythme où il achetait de nouveaux pianos, Sylvester avait dû faire aménager une baie vitrée spécialement conçue afin de pouvoir facilement les introduire dans l'appartement familial.
L'enthousiasme de Sylvester était vite retombé. Il semblait à nouveau gagné par un profond découragement.
- Mais, fit sa soeur, peinée, tu ne l'as même pas encore vu. Il est superbe et le son te plaira, tu verras.
- Ca ne change rien. Le problème n'a jamais été l'instrument. C'est moi, le problème, uniquement moi. Quand je te demandais si tu allais m'acheter de nouvelles mains, ce n'était pas complèment ironique. C'est vraiment ce qu'il me faudrait. Ou alors, un autre cerveau.
Adèle afficha une vive contrariété. Il avait beau être son frère, elle avait beau l'aimer et le comprendre, parfois, il dépassait allègrement les bornes :
- Si tu décides que tu auras toujours un problème avec ta musique, alors tu auras toujours un problème avec ta musique. Je commence à me dire que finalement cette situation te plaît, que d'être éternellement insatisfait te procure exactement l'émotion que tu veux pour te sentir inspiré en permanence.
A son tour, le visage de Sylvester subit un changement radical. Il devint rouge :
- Quoi ? C'est ça que tu penses de moi ? Après tout ce temps où tu m'a regardé m'acharner sur ces touches, c'est tout ce que tu trouves à me dire ?
Un cri coupa court à leur discorde.
Ils levèrent les yeux.
- Attention !
Le piano venait de se détacher. Sylvester poussa sa soeur sur le côté, lui épargnant une fin tragique. Il n'eut pas le temps lui-même de s'écarter complètement de la trajectoire de l'instrument qui se brisa violemment au sol.

Adèle ne quittait le chevet de son frère qu'en de très rares occasions. Elle se nourissait à peine. Les infirmières passaient plus de temps à veiller sur elle que sur le corps inanimé de Sylvester. Son coma durait depuis une semaine. Son dernier anniversaire était peut-être son dernier dans tous les sens du terme. Adèle s'en voulait. Elle s'en voulait de lui avoir acheté ce piano, elle s'en voulait d'être à l'origine de leur dispute. Un dernier souvenir loin de lui être agréable, loin d'honorer la mémoire de son frère, cet artiste au génie mort-né. S'il ne survivait pas, qui pourrait profiter de sa fantastique inspiration ?
Avec qui pourrait-il partager cette émotion vibrante qui le traversait quotidiennement comme un éclair ?
Sa vie ne pouvait pas finir ainsi. C'était trop injuste. Le monde avait trop à y perdre.
Convaincue de cela, un matin, elle rédigea une annonce qu'elle publia pas tous les moyens possibles et imaginables. Mais elle ne se fit pas trop d'illusions. Même si elle promettait une forte récompense, elle savait qu'elle attirerait en premier lieu les plus grands imposteurs de la planète.

Le monde avait peut-être en effet trop à y perdre. C'est ce que se dit Adèle quand quelques semaines plus tard, un scientifique, autrefois réputé, se présenta à elle. Elle lui avait donné rendez-vous volontairement à l'hôpital afin qu'il puisse rencontrer aussi Sylvester. L'état du jeune homme n'avait pas changé. Seules ses chances de survivre s'étaient sensiblement modifiées. Ou plutôt ses chances de se réveiller en étant toujours lui-même. Mais pour Adèle, cela revenait au même.
- Qu'avez-vous à me proposer ? demanda-t-elle vivement.
Les prétendants passés n'avaient guère répondu à ses attentes. Elle commençait à être fatiguée. Elle voulait un changement, elle voulait de l'espoir. Mais elle n'était pas auveugle au point d'en voir un où il n'y en avait pas.
- Il y a quelques années, expliqua l'homme, j'ai crée un appareil qui n'a aucun d'équivalent. C'est un véritable prototype. Seulement, il existe deux obstacles de taille pour le rendre fonctionnel : un sujet qui accepterait de probables effets secondaires indésirables au niveau cérébral et un manque considérable de moyens financiers, cela va sans dire.
Il lui tendit un dossier de quelques pages.
- Je vous ai épargné le jargon scientifique, je suis allé à l'essentiel. J'ai estimé que dans votre position, vous n'aviez vraiment pas de temps à perdre.
Il jeta un regard à sylvester.
- Votre frère, non plus, d'ailleurs.
Adèle commença à parcourir le compte-rendu.
- Et je vous en remercie.
Elle redressa rapidement la tête, les yeux embués de larmes.
- Vous avez vraiment crée ça ? Cet objet existe vraiment ? Vous me le garantissez ? Vous me le jurez ?
Le scientifique hocha la tête
- Sur ce que j'ai de plus cher.
Adèle le prit dans ses bras. Embarrassé, le chercheur l'écarta doucement de lui pour déclarer avec gravité :
- Mais je dois vous prévenir. Cela ne ramènera pas votre frère. Il restera à jamais dans le coma. Vous devez vous faire une raison.
Adèle ravala ses larmes.
Elle posa une main sur son coeur avant d'ajouter d'une voix émue :
- Vous avez l'argent. Où dois-je signer ?

C’était un lundi un peu brumeux, un peu humide. Le genre de jour qui se colle à notre humeur comme une décalcomanie. Le genre de jour où l’on préfère ruminer de sombres pensées sous la couette au lieu d’aller travailler. C’est en tout cas ce que ne pensait pas Norman Wilson assis sur son fauteuil en cuir depuis environ une heure. Il aurait dû s’inquiéter de ne pas être présent à son poste de mécanicien, peur de perdre son augmentation et peut-être plus encore. Le lundi était toujours une grosse journée. Il aurait dû aussi avoir peur que sa femme le surprenne à la maison en rentrant des courses. En fait, des craintes, il aurait dû en avoir des dizaines. Mais depuis que Sylvester Synaptik était connu du monde entier, le monde entier avait changé ses habitudes.

Au lieu d’avoir peur des remontrances de son patron, au lieu d’être démoralisé par le mauvais temps, Norman Wilson, tout comme des millions de personnes sur Terre, attendait fébrilement que le voyant de son SynaptiCom passe au vert. Trois icônes étaient visibles sur le support du casque translucide. Un oeil pour indiquer un message d’ordre visuel, une note de musique pour indiquer un message audio et la réunion des deux pour indiquer en toute logique un message audio-visuel. Ce que préférait Norman c’était les symphonies. Sylvester Synaptik était incontestablement doué pour créer et émouvoir, quel que soit le moyen employé, mais les symphonies avaient le don de le transporter et de le libérer comme aucune autre de ses créations. Elles constituaient pour lui la quintessence de son art. Avec la musique, les images venaient alors d’elles-mêmes dans l’esprit de Norman. Il devenait alors facilement à son tour créateur, artiste, poète. Et c’est aussi pour cette raison que les gens aimaient tant Sylvester. Il les faisait devenir un peu comme lui. Il créait une émulation fédératrice, une osmose de sentiments et de bien-être à laquelle l’humanité n’avait jamais pu accéder auparavant.
Les mains de Norman tremblaient. Il se retenait presque de respirer. Lorsque le voyant de connexion s’éclaira, son cœur batifola dans sa poitrine comme un chien fou lâché dans un pré. Il posa le casque sur sa tête avec une infinie délicatesse et attendit cette fois que le voyant audio s’allume.
« Une symphonie ! S’il te plaît, Sylvester, une symphonie, comme toi seul en as le secret ! »
Il écarquilla les yeux, son corps tendu vers le support de son SynatipComTM comme dans l’espoir d’influencer le destin. Les secondes s’écoulèrent en une autre interminable attente. Lorsque les aiguilles de la pendule du salon marquèrent 10h00, la note de musique s’illumina. Le cœur et l’esprit de Norman Wilson aussi.

Tout d’abord, cela commença par quelques notes de piano égrenées du bout des doigts comme une rivière paisible et chatoyante s’écoulant dans une forêt baignée de lumière.
Puis la voix légère et attendrissante d’un violon solitaire se fit entendre et un vol coloré de papillons accompagna la course du torrent. Ce dernier se fit plus sinueux et plus animé alors qu’il quittait l’ombre de la forêt pour l’immensité de la plaine.
Et c’est alors que les cuivres se mirent de la partie, montant lentement en puissance, comme le galop d’une horde de chevaux sauvages.
La virtuosité du morceau atteignit alors son paroxysme et Norman Wilson, le Nirvana.
Des larmes coulèrent sur ses joues. Il n’était plus assis dans son fauteuil de cuir. Il était assis sur un cheval sauvage lancé au galop dans une plaine immense traversée par un courant impétueux escorté d’une myriade de papillons aux ailes irisées.
C’était toujours un lundi un peu brumeux, un peu humide, mais pour les millions de gens sur Terre connectés à l’Esprit Fantastique de Sylvester Synaptik, c’était un jour ensoleillé à souhait, le plus beau jour d’un merveilleux été.

 


Ce blog c'est pas juste un passe-temps
j'y bosse dur tous les jours
Je ne te demande pas d'argent
mais juste en retour
un petit commentaire
Ce sera mon salaire
C'est plus précieux que ça en a l'air

lundi, 20 juin 2016

Le Coeur dans les Etoiles [Nouvelles/Fantastique]

 

Galien la regardait toutes les nuits depuis plusieurs mois. Elle semblait lui sourire davantage à chaque fois. Ils ne pouvaient se parler, mais il osait penser qu’elle souhaitait elle aussi qu’ils se rapprochent enfin.

Une nuit plus belle que les autres, alors que les étoiles semblaient l’encourager, il se passa quelque chose d’inexplicable. Un petit trou s’ouvrit dans la poitrine de Galien et une petite graine s’en échappa. Il la ramassa, surpris. D’où pouvait-elle bien venir ? A quoi pouvait-elle bien servir ?

Il dormit très peu, observant la graine et se demandant sans cesse qu’elle était sa fonction.

La lune disparut, ainsi que son merveilleux visage et le soleil, implacable souverain, régna une fois de plus dans le ciel, annonçant une terrible journée de canicule.

Galien commençait à souffrir beaucoup de la situation. Dans ce désert où il vivait depuis sa naissance, il y avait peu d’eau, presque pas de nourriture. Les habitants devaient marcher très longtemps pour trouver quelque chose à se mettre sous la dent. Et si cela continuait, il n’y aurait bientôt plus personne en état de marcher.

Galien gratta le sol asséché et creusa un petit trou dans lequel il plaça la graine. Cela lui paraissait naturel de la mettre sous terre même s’il n’avait jamais vu une telle chose se faire.

Il se dit que ce serait bon aussi pour la graine de recevoir de l’eau. Mais il ne pleuvait presque jamais et l’eau était tellement rare qu’elle était bue en un temps record.

Malgré la chaleur, il marcha longtemps d’en l’espoir d’en trouver, persuadé qu’il tenait la solution pour rejoindre le beau visage de la lune qu’il chérissait depuis tant de temps. Il rencontra quelques hommes et quelques femmes, mais personne capable de l’aider dans sa quête.

Le soir, il retourna près de sa graine, le visage triste. La lune lui offrit alors son sourire comme pour le consoler de sa déveine. Mais en le voyant, cela ne fit que le rendre plus triste encore. Il cria :

- Pourquoi je ne peux pas te toucher ?

Il commença à pleurer. Les larmes roulèrent sur ses joues avant de toucher le sol asséché.

Et quelque chose d’inexplicable se produisit. La terre se fissura et un rameau se hissa hors de l’ouverture. Galien s’essuya les yeux. Il était fou de joie. Grâce à ses larmes, sa graine avait poussé. Il avait réussi !

Cette nuit-là, il offrit à la lune une danse endiablée en promettant à qui pouvait l’entendre qu’il ne s’arrêterait pas en si bon chemin. Le plus dur était fait selon lui.

Le lendemain et les jours suivants, le rameau commença à flétrir. Et Galien comprit qu’il avait énormément besoin d’eau. Si jamais il mourrait, il ne pourrait plus rejoindre la lune et il ne savait pas s’il pourrait obtenir une autre graine.

La tristesse l’envahit à nouveau et il se remit à pleurer, arrosant le rameau fatigué qui brusquement s’élança vers le ciel. Les yeux humides, le garçon observa l’arbre pousser à une vitesse prodigieuse. Il continua alors à pleurer, mais cette fois, seule la joie faisait couler ses larmes.

Cela se passa ainsi pendant plusieurs jours et plusieurs nuits. Tour à tour heureux et découragé, Galien arrosait l’arbre démesuré porteur de tous ses espoirs.

Il vint naturellement un moment où il prit peur que l’arbre dans son irrésistible progression ne blesse le merveilleux visage de la lune. Il ne souhaitait certainement pas que tous ses efforts aboutissent à un tel résultat.

Alors, une nuit plus belle que les autres, tandis que les étoiles semblaient l’encourager, il grimpa sur l’arbre et se mit à l’escalader avec une facilité stupéfiante. Il regarda à peine le sol disparaître sous lui, son regard fixé sur le disque blanc et souriant perché au-dessus de lui.

- Je vais y arriver ! se répétait-il. Je vais te rejoindre !

Hormis son objectif, il finit par tout oublier : le danger, la faim, le sommeil. Le seul fait de réaliser son rêve le nourrissait  et faisait taire les protestations de son corps et de son esprit.

Il oublia également la notion du temps. Il s’était peut-être passé des jours, des semaines ou des mois lorsqu’il parvint finalement jusqu’en haut de l’arbre. Le jour tombait. Le soleil, implacable souverain, quitta son trône céleste pour céder la place à la lune et à son merveilleux…

Galien se figea. Non, c’était impossible ! Où était-il donc passé ? Qui l’avait volé ?

La lune était bien là, devant lui, à portée de main. Mais ce visage qui l’avait tant ému, ce sourire qui l’avait tant aidé à garder l’espoir, ils n’étaient plus là. Quelque chose d’inexplicable s’était passé. La douleur qu’il ressentit fut telle qu’il trébucha et tomba de l’arbre. Il tomba d’une hauteur vertigineuse.

La mer en contrebas accueillit son corps d’enfant dans une grande gerbe d’eau salée.

Aussi salée que l’avaient été ses propres larmes.

 

Tanis la regardait toutes les nuits depuis plusieurs mois. Elle semblait lui sourire davantage à chaque fois. Ils ne pouvaient se parler, mais il osait penser qu’elle souhaitait elle aussi qu’ils se rapprochent enfin.

Une nuit plus belle que les autres, alors que les étoiles semblaient l’encourager, il contempla le sol asséché à l’endroit où il avait planté la graine, des jours auparavant. Une grande tristesse l’envahit. Comment pouvait-il espérer la voir pousser dans un monde où il ne pleuvait jamais, où l’eau n’existait pour ainsi dire pas ?

Il cria :

- Pourquoi je ne peux pas te toucher ?

Une silhouette apparut alors près de lui, enveloppée dans un vêtement ample qui cachait son corps et son visage. Tanis s’empressa alors de lui demander :

- J’ai besoin d’eau pour arroser ma graine. En avez-vous ?

L’homme secoua la tête.

- Non, mais toi tu en as plus qu’il n’en faut.

Il abaissa son capuchon. L’homme avait de longs cheveux et une barbe. Et des larmes coulaient sur ses joues. Tanis le regarda, surpris, puis il contempla à nouveau le sol. Et c’est alors qu’il comprit. Sa joie fut telle qu’il se retourna pour se jeter dans les bras de l’inconnu. Mais ce dernier avait disparu.

 

Les yeux remplis de larmes, Tanis serrait les dents tout en donnant de violents coups de hache dans le tronc d’arbre. Alors qu’il était sur le point d’accomplir son forfait, une main ferme retint son bras armé.

- Tu as tort de faire cela.

Tanis se retourna. C’était l’inconnu qu’il n’avait pas revu depuis le jour de leur rencontre.

Tanis était fou de rage et de revoir cet homme était encore pire pour lui.

- Je te maudis toi aussi ! Si tu savais comment atteindre la lune, tu devais aussi savoir que son sourire si merveilleux n’existait pas. Pourquoi ne m’as-tu rien dit ? Pourquoi m’as-tu laissé à mes illusions ?

L’inconnu sourit.

- Parfois, nous nous trompons sur le sens de l’amour que nous portons à certaines choses ou à certaines personnes.

Tanis retrouva son calme. Le visage et la voix de l’inconnu étaient apaisants. Il semblait être venu de très loin pour lui parler. Il l’écouta attentivement lorsqu’il ajouta :

- Cela ne veut pas dire que cet amour n’a pas de sens.

Galien leva le bras et cueillit une pomme qu’il tendit à Tanis. Celui-ci leva la tête et remarqua pour la première fois les innombrables fruits qui avaient poussé en même temps que l’arbre.

Alors il commença à comprendre.

Galien le dévisagea, toujours en souriant :

- La lune n’a peut-être pas de visage, mais notre amour, lui, était bien réel. Si chacun de nous vient à y goûter, alors notre monde ne sera plus un désert, mais une terre fertile et nourricière. Et chacun de nous pourra enfin devenir un être humain.

 

 

 

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Le Train de la Haine [Nouvelles/Anticipations]

 

 

On a reçu à peu près le même nombre de coups de matraque.

C’est peut-être ce qui nous a rapproché, lui et moi.

Il me dit qu’il s’appelle Jérémie et qu’il est homosexuel.

Il me tend la main.

Dans d’autres circonstances, j’aurais certainement eu un mouvement de recul.

Mais là, c’est différent.

On est dans la même galère et on sait tous les deux où elle va nous mener.
Je lui serre la main et me présente :

- Bertrand, célibataire endurci et pathétique hétéro.

Cette note d’humour est la bienvenue. Jérémie me le fait comprendre par un sourire.

Il me raconte que depuis quelques semaines sa cité a été la cible de contrôles réguliers. Tôt ce matin, il a été pris dans une rafle menée par cette putain de milice primaire et toute-puissante.

- Tu as dû être dénoncé, lui dis-je, comme moi.

Il ne semble pas surpris. Il s’explique :

- J’ai entendu dire qu’ils offraient des récompenses.

On est tous les deux horrifiés.

On a l’impression d’être en pleine guerre mondiale même si on n’a jamais réellement connu ça.

On n’est pas des juifs entre les mains des nazis et pourtant c’est cette même putain de haine primaire et toute-puissante qui nous a mis dans ce wagon avec un tas d’autres, cette même putain de haine qui nous a arraché à notre destin, à notre vie.

Pourquoi ?

C’est sans doute ça le pire, car chacun d’entre nous connaît la réponse.

Ce qui ne rend pas la pilule plus facile à avaler. Loin de là.

On est tous là, parce qu’un jour le gouvernement  a décidé que nous n’étions pas socialement productifs, un truc dans ce goût-là.

Je ne me souviens pas de la formule exacte.

En tout cas, c’est ce que ça voulait dire.

Jérémie, moi, ainsi que tous les autres, on n’aura pas de gosses et par conséquent on ne viendra pas renouveler la masse des consommateurs qui entretiennent notre belle société construite sur ce putain de fric primaire et tout-puissant.

Non.

Parce qu’on n’est pas destiné à reproduire ce putain de schéma primaire et tout-puissant, on a été jugé inutile et condamné.

Sans forme de procès.

 

Est-ce qu’on en est arrivé là ?

 

J’entends le train qui s’arrête. Les prisonniers murmurent, puis retiennent leur souffle. Jérémie me jette un regard affolé. On comprend tous les deux ce qui nous attend. Même si on le savait depuis le début, on a toujours cru qu’ils allaient s’arrêter avant.

Les portes s’ouvrent. On nous crie de sortir.

Au moment de descendre, je sens la peur creuser un gouffre dans mon estomac. Alors naturellement, sans même y penser, je glisse ma main dans celle de Jérémie.

- Fais gaffe, dit-il, on pourrait nous voir.

Cette note d’humour est la bienvenue, il le voit à mon sourire.

 

Oui, on en est arrivé là.

 

 

 

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Du Sommeil du Juste [Nouvelles/Anticipations]

 

 

- Il est végétarien. Je parie que tu l’ignorais. Je suis certain que tu l’imaginais épris de viande fraîche, égorgeant lui-même poulets, canards, agneaux…

- Comment sais-tu qu’il est végétarien ? Il te l’a dit peut-être ?

Je riais presque en formulant ma question tant l’assurance de mon ami m’apparaissait contestable voire ridicule.

Il ne répondit pas. Mais le sourire qu’il produisit me glaça jusqu’au sang.

Je serrai les poings.

- Cet homme est la pire aberration que la terre ait jamais portée. Je ne permettrai pas qu’il la foule à nouveau.

A nouveau ce sourire effrayant, implacable, qui me désarmait et faisait de moi un pathétique rempart contre le mal qui siégeait en ce lieu.

Mon ami profita de mon impotence manifeste pour s’imposer :

- Si cet homme n’avait pas existé, s’il n’avait pas fait ce qu’il a fait, tout le bien qui est né pour contrer ses projets n’aurait pu de ce fait voir le jour. Cet esprit de résistance, cette bravoure, cette fraternité chez les uns et cet élan de soutien chez les autres, comment auraient-ils pu naître autrement ? Les héros sont nécessaires à ce monde. Et pour les créer, il leur faut un mal à leur mesure. Le génie de cet homme, ce n’était pas de rallier des hommes à sa cause et à sa vision. Au contraire. Son véritable talent - qu’il n’a sans doute pas eu le loisir de mesurer -  c’est d’avoir su engendrer une formidable solidarité autour de la notion de bien. Grâce à lui, tout était clair. On pouvait changer de camp, mais on ne pouvait ignorer de quel côté on était. C’est précisément ce qui manque au monde d’aujourd’hui. La frontière entre le bien et le mal est devenue floue, les repères plus complexes. Il faut à nouveau que le mal absolu se dresse sur cette terre afin que de nouveaux héros s’éveillent et luttent côte à côte. Il faut une évidence, un symbole. Il faut faire cesser ce flottement nauséabond, apathique, dans lequel nos esprits s’embourbent jour après jour. Le mal absolu est une vertu. Il rend tout si transparent, si lisible.

- Bon dieu, éructai-je. Ferme ta gueule ! Tu es aussi fou que lui !

Je ne pouvais en supporter davantage. Je sortis mon arme et la pointa sur lui. Ce geste m’apparut naturel, même si j’ignorais mes intentions précises à plus long terme.

Il ne fut pas le moins du monde intimidé. Il croisa les mains dans son dos.

- Merci de me donner raison. Tu vois. Ca a déjà commencé. Tu es maintenant un héros, toi qui, auparavant, n’étais qu’un petit flic des bas quartiers. Sa simple évocation suffit à faire naître des vocations de guerriers, même chez les individus les plus insignifiants. C’est cela son véritable pouvoir. Alors imagine s’il était à nouveau en course.

J’ôtai le cran de sûreté.

- Suis-moi. Nous allons sortir d’ici.

Mon ami se raidit.

- Je n’irai nulle part. Tu devras me tuer.

A mon tour, je lui décochai un sourire carnassier.

- Je n’aurai pas besoin d’aller jusque-là.

Je levai mon revolver pour l’assommer. Il évita mon attaque et agrippa mes poignets. Nous luttâmes sans mot dire, sans un cri, sans injures. Ce qui rendit cette lutte plus âpre encore. Et tandis que nous luttions pour la possession de mon arme, je me rappelle avoir eu la vision de ce sarcophage vitré à l’intérieur duquel dormait du sommeil du juste cet être innommable, ce mal incarné, responsable de tant d’atrocités. Cela eut un effet incroyable sur moi. Mes forces furent décuplées en un instant. Bandant mes muscles, j’envoyai violemment mon adversaire à terre. Ayant récupéré l’arme, je me jetai sur lui et l’assommai d’un coup bien ajusté.

Mon ami allait répondre de ses actes devant les autorités.

Quant à celui qui reposait, imperturbable, au milieu de la pièce, il allait bientôt trouver le seul véritable repos qu’il méritait d’avoir.

Je me dirigeai vers le sarcophage, en proie à une haine implacable. Je pointai le pistolet vers le visage du monstre. Cette mèche… Cette moustache…

Je pris conscience que j’allais pouvoir enfin accomplir une tâche dont tant d’autres avant moi avaient voulu s’acquitter. Avec la plus farouche détermination, sans l’ombre d’un doute, je pressai la détente. Il n’y eut aucun bruit, aucune détonation. Je ressentis un choc terrible en comprenant que le chargeur de mon arme était vide. Ce salaud avait la chance avec lui.

Heureusement, je repris rapidement mes esprits. Ce n’était pas une stupide négligence qui allait m’empêcher de remplir ma mission. Une mission que je devais autant à moi-même qu’à tous ceux qui avaient péri et souffert sous le règne de terreur du dictateur.

Plus jamais, me répétai-je tout en recherchant fiévreusement une arme digne de ce nom. Etrangement, je me surprenais à rejeter certains objets que je jugeais trop communs pour assassiner un homme tel que lui. C’était un monstre, mais en premier lieu une légende, aussi néfaste fut-elle. Et puis il fallait que je brise ce satané couvercle qui abritait son corps.

Son corps que je voyais respirer comme la plus suprême offense.

Finalement je m’emparai d’une chaise qui, hélas, ne répondit pas à mes attentes et se brisa sur le verre manifestement renforcé. Retournant à ma voiture, je trouvai enfin de quoi accomplir ma mission. Mais comble d’ironie, ni la clé anglaise, ni le poing américain ne purent entailler la surface du couvercle. J’étais en plein cauchemar. Je commençais à trouver la situation particulièrement grotesque. Quelques centimètres seulement me séparaient du plus grand bourreau de l’humanité et j’étais incapable de les franchir. Je pouvais sortir chercher de l’aide, téléphoner, mais j’étais entré dans un état second qui interdisait toute éventualité de laisser à quelqu’un d’autre le soin d’expédier le dictateur dans sa dernière demeure.

Et de toutes façons, qui me croirait ?

Il fallait que je trouve un moyen d’ouvrir ce diable de sarcophage puisque je ne pouvais le briser. Il datait probablement de la seconde guerre mondiale. Aussi résistant était-il, il ne pouvait être très compliqué à ouvrir. Je cherchai une commande, un bouton, un levier sur le socle. Rien. Plusieurs câbles en partaient dont je suivis des yeux les méandres. Ils conduisaient dans une pièce attenante que j’avais déjà fouillée intégralement sans rien remarquer d’intéressant. Je m’apprêtai à y retourner en désespoir de cause lorsque le son d’une voix me figea sur place. Quelqu’un venait de parler en allemand. Et en me tournant légèrement, je sus, en voyant son corps toujours inanimé, qu’il ne s’agissait pas de mon ami.

Je me retournai complètement. Le plus grand criminel de tous les temps se tenait face à moi. Il s’était assis sur le rebord du sarcophage. Il se frotta les yeux comme un enfant. Il avait l’air extrêmement fatigué. Avait-il dormi depuis la date supposée de son suicide en 1945 ? C’était complètement surréaliste. Il avait l’air affaibli, désorienté, mais il était vivant, si terriblement vivant. Savait-il à quelle époque il était ?

Ses yeux… Il me dévisagea soudain gravement, regarda autour de lui, avant de prononcer à nouveau quelques mots en allemand. Le führer s’adressait à moi. Je fis un effort considérable pour me rappeler les rudiments de cette langue acquis au cours de mes années d’étude. Mais c’était si lointain. Il répéta sa phrase. Plus fermement. J’étais tétanisé. Ce n’était pas une question. Il voulait quelque chose. C’est tout ce que je comprenais. Devant mon hébètement, il se mit à faire de grands gestes avec sa bouche comme s’il mastiquait énergiquement un aliment. Là tout devint clair. Le Führer avait faim. La surprise passée, je m’entendis lui répondre :

- Pas de viande, c’est bien ça ?

 

 

 

 

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Les Tueurs Rêvent aussi [Nouvelles/Thriller]

 

L’opéra était sur le point de commencer.

Anton Zinsky dirigeait l’orchestre. Il était loin d’être un débutant et pourtant à chaque fois qu’il faisait face aux musiciens, la baguette levée, il éprouvait une joie sans égale.

Alors que le rideau s’écartait et qu’un décor paradisiaque voyait le jour, Anton imprima à sa baguette un lent mouvement sinueux tout en rythmant de la main gauche. Et les premières mesures retentirent dans la salle bondée du sol aux balcons.

Une voix céleste s’éleva, dominant l’envolée des cordes et hypnotisant l’assistance. Anton frissonna. Dans ces moments-là il se sentait béni des dieux. Peut-être même leur égal.

Le meilleur rôle, se disait-il. J’ai le meilleur rôle. Acteur et spectateur d’un spectacle grandiose, il avait le sentiment de se trouver au cœur d’un éden en pleine croissance, chaque ingrédient rivalisant de beauté avec le précédent, les uns se greffant aux autres pour constituer un fleuve d’émotions sans commune mesure. Lorsque la voix de la soliste fut rejointe par le chœur, Anton sentit une larme couler sur sa joue. Sa main souple devint alors un poing et la baguette cingla furieusement l’air comme pour en extraire d’insoupçonnables  délices.

La symphonie venait de gagner le cœur de chaque spectateur. Anton le savait. Il leur tournait le dos et pourtant il pouvait percevoir les vibrations émanant de chaque homme et de chaque femme aussi aisément qu’il distinguait la sonorité unique de chaque instrument. Lui-même était un instrument autant qu’un virtuose au service de la plus belle des choses : l’harmonie.

Le morceau se termina bien trop vite à son goût. Lorsqu’il fit face au public pour le salut rituel, les bouquets de roses rouges se mirent à pleuvoir sur lui. C’était un succès, mission accomplie. Il sentit l’ivresse le gagner un peu plus lorsque tout le monde se leva pour l’applaudir. Un pétale lui frôla la joue, là même où il avait pleuré, donnant naissance à une poétique larme de sang. Anton regarda presque négligemment la baguette dans sa main droite. Elle n’était plus là. A la place, il tenait une arme. Un pistolet noir comme la nuit équipé d’un silencieux. Le restaurant résonnait encore des cris des clients épouvantés. Les sept gardes du corps gisaient dans des postures qui annonçaient leur mort mieux que les impacts de balle émaillant leur corps. Le mobilier alentours témoignait de la violence de la fusillade qui venait d’avoir lieu. Le ministre le fixait de ses yeux éteints, le front serti d’un lugubre rubis. Sa femme était tombée à genoux. Elle avait la tête baissée et semblait paralysée. Anton détailla sa robe blanche virginale avant d’essuyer sa joue éclaboussée de sang frais. La cantatrice releva la tête. Elle était en larmes. Anton sut alors qu’il avait été exceptionnel ce soir. Il lui sourit. La gorge nouée par l’émotion, elle lui demanda avec espoir :

- Ni femmes, ni enfants, n’est-ce pas ?

Le tueur la contempla avec tendresse :

- Ni témoins.

La baguette virevolta une dernière fois, une dernière fois la diva donna de la voix, clôturant l’opéra avec une maestria qui laissa le public béat.

 

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Le Meilleur de Tous [Nouvelles/Thriller]

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Synopsis : L'agent du FBI Gary Chase doit faire équipe avec Vincent Faulk, un policier démis de ses fonctions suite à une forme aigüe de schizophrénie. Vincent s'avère rapidement être la meilleure arme pour capturer Eric Schultz, un dangereux psychopathe, lui aussi schizophrène et arrêté par Vincent quelques années plus tôt.  

Fraîchement évadé, Eric sème rapidement les cadavres derrière lui. Le temps est compté. Le tandem réussira-t-il à neutraliser cet implacable tueur en série avant qu'il ne se volatilise ?

 

1

 

- Qu’est-ce que tu fous là, salope ? Je t’ai déjà dit de me foutre la paix. Ca te plaît de me harceler, c’est ça ? Tu prends ton pied ! Et bah profites-en parce que ça va pas durer !

- Mais à qui vous parlez ? C’est à moi ?

La jeune métisse était terrorisée, mais sa curiosité était devenue plus importante que sa propre survie. Eric la maintenait fermement par la gorge contre la porte du placard de l’entrée.

Il l’avait suivie jusque chez elle. Elle habitait la campagne. Il savait qu’il ne serait pas dérangé. Il tourna la tête en direction de la porte d’entrée.

- Putain, Jimmy, t’avais raison ! C’est vraiment un coin paumé, ici.

- Pas de problème, dit Jimmy.

Assis en tailleur, la casquette baissée, il jouait avec sa fidèle balle de base-ball. Il cessa brusquement de la lancer et jeta un regard noir vers sa gauche.

- Par contre, t’aurais pas dû dire à Jenny où on allait.

Le visage d’Eric se crispa et il suivit le regard du garçon. Une belle rousse le dévisageait avec un air goguenard en feignant de se limer les ongles.

- Hein ? Mais qu’est-ce que tu racontes ?  Je lui ai rien dit. C’est pas moi qui l’ai amenée ici. Tu sais bien que je veux plus la voir. On est plus ensemble. Hein, t’entends, salope ? C’est plus la peine de t’accrocher à moi ! Tu m’as fait croire que tu m’aimais, ça t’a pas suffit ?

La pin-up minauda.

- Mon pauvre Eric, t’es même pas foutu de reconnaître la vérité.

Eric transpirait comme un bœuf, mais c’est à peine s’il s’en apercevait, au contraire de sa victime que la vue des gouttes de sueur rendait plus nerveuse encore. Elle tentait désespérément de déceler une silhouette, une ombre qui aurait témoigné de la présence d’un autre occupant dans la maison. En vain. Elle commença alors à comprendre à qui elle avait affaire. Son cœur devint alors le baromètre de sa peur.

- La vérité ? Quelle vérité ? s’exclama Eric. Il ne réalisa pas non plus qu’il avait resserré son étreinte sur le frêle cou de la métisse. Ses borborygmes ne l’alertèrent aucunement.

La rousse exhala un nuage de fumée pris à une cigarette avant de l’informer froidement :

- Que t’es un putain d’impuissant qui ne sait jouir que de son propre malheur.

Jenny avait parlé avec un total détachement, comme répétant une rengaine.

Ce qui eut le don d’enflammer Eric.

- Quoi ? Moi…Moi, je suis un impuissant ? C’est moi que tu traites d’impuissant ?

Son expression s’altéra. Il libéra sa proie et serra les poings de colère.

- Je t’aimais, Jenny. Je t’aimais comme un fou, mais tu ne m’as pas laissé le temps de te combler. J’avais tellement à te donner. T’as pas idée. Tellement d’amour.

Il releva la tête et la regarda droit dans les yeux. Saturé par les regrets et la nostalgie, il pleurait silencieusement.

- De plaisir aussi.

Jimmy fit claquer une bulle de chewing-gum.

- La gonzesse se tire.

Eric recouvrit sa nature de prédateur en une fraction de seconde. Il fit volte-face. La jeune métisse venait d’ouvrir la porte d'entrée et s’apprêtait à s’élancer au-dehors. Il la rattrapa en un éclair et la plaqua derechef contre la porte du placard avec une violence inouïe.

- Pitié, faites pas ça ! Je ne vous connais pas, je ne vous ai rien fait !

Eric ne l’entendit pas. Il regarda une dernière fois en direction de Jenny, là où sa victime ne voyait qu’un espace vide, terriblement dénué de tout intérêt. Le regard du tueur devint soudain noir comme la nuit.

- Tu vas voir si je suis un impuissant !

 

 

2

 

 

 Gary Chase était sur la route depuis l’aube. Depuis son départ précipité de New-York, il supportait un grand manque de sommeil, de nombreux cafés aussi mauvais que coûteux, quelques chauffards, mais ce qui l’exaspérait par-dessus tout, c’était de devoir traverser presque la moitié de la Pennsylvanie sans trop savoir pourquoi.

Cas de force majeur, s’était-il répété tout au long du trajet en singeant la voix suave de son patron. L’expression avait bon dos. Le repos aussi était un cas de force majeur. Seulement Ted Meyers du FBI n’était pas du genre à se laisser attendrir avec ce genre d’argument.

Gary avait néanmoins réussi à joindre Phil Tretco, le shérif du comté de Tioga, afin d’obtenir des détails supplémentaires sur l’affaire. Tout en roulant en direction de Knoxville, il questionna son interlocuteur par téléphone :

- Mais pourquoi ne pas avoir embauché de la main d’œuvre locale ?

 

Phil Tretco caressa son crâne glabre avant d’indiquer une chaise vide à Gary.

- Nos effectifs sont considérablement réduits en ce moment. Et puis pour ne rien vous cacher, le dossier que je suis chargé de vous transmettre est loin d’être banal. Sans vouloir vous lancer de fleurs, on est pas de taille, ici.

Gary haussa les sourcils de manière hautement comique :

- Quoi ? C’est pas une simple fugue d’adolescent ?

Le shérif sourit avant de poser une chemise en carton devant l’agent.

- Eric Schultz ? fit Gary en feuilletant le dossier. Ca me dit quelque chose.

- Le contraire serait étonnant. Il est connu pour avoir le meurtre dans le sang et le diable dans la peau. Tuer est totalement compulsif chez lui. Il peut tuer n’importe qui, n’importe quand. Isolé ou en public, rien ne l’arrête. Il s’adapte à toutes les situations. C’est un vrai prédateur humain.

- Ce n’est quand même pas un surhomme.

Tretco poussa un soupir qui n’annonçait rien de bon.

- Pire. Il est schizophrène. Le pire cas qu’on ait jamais vu.

- Comment ça ? Vous voulez dire qu’il entend…des dizaines de voix ?

- Une infinité.

- Sur toute une vie, je veux bien le croire.

Tretco fixa Gary droit dans les yeux.

- Non, je voulais dire par jour.

L’agent grimaça, visiblement perplexe.

- Ca veut dire quoi, exactement ?

- Ca veut dire que dans une situation extrême, quand vous, vous n’avez qu’une seule option, lui, il en a à revendre.

- C’est tout ce que vous avez trouvé pour m’encourager ?

Le shérif ne releva pas et Gary regretta une fois de plus que son sens de l’humour soit un humour à sens unique.

- Personne ne l’a jamais arrêté ? ajouta-t-il pour refaire bonne figure.

- Si, un seul homme. C’est justement pour ça que vous êtes ici. Comme je vous l’ai dit, nos effectifs sont réduits. Je vous demande de nous le ramener.

- Qui est-ce ?

- Un flic. Il travaillait sous mes ordres. Il est à la retraite, maintenant. Mais c’est un type encore brillant qui va pouvoir vous filer un sacré coup de main sur cette affaire.

- Pour avoir réussi à arrêter Schultz, ça doit être un génie.

 

 

3

 

 

Gary descendit de son Landcruiser noir et releva le col de son imperméable. La neige s’était remise à tomber. A travers les flocons, il distingua la bâtisse blanche et élégante perdue au fond des bois.

Sympa la maison de retraite, se dit-il. Faudra pas que j’oublie de demander à finir mes jours par ici.

Lorsqu’il lut le panneau d’accueil, il déchanta. Il empoigna son téléphone portable et quelques secondes plus tard Phil Tretco était en ligne.

- Ecoutez Phil, vous avez dû vous tromper d’adresse. Je suis devant un institut psychiatrique.

- Non, ce n’est pas une erreur, monsieur Chase. Vous êtes à la bonne adresse.

Gary déglutit.

- Ok, je commence à comprendre. Vous aviez peur que je refuse, c’est ça ?

- Il y a de ça. Désolé, je ne fais que suivre les instructions de votre supérieur.

- Je savais qu’il m’appréciait, mais à ce point là…Comment s’appelle mon client ? ironisa Gary pour se détendre l’esprit.

- Il s’appelle Vincent Faulk.

- Ce n’est pas un génie, alors.

- D’un certain point de vue, si. Il a le même génie que Schultz. Sauf qu’il est de notre côté.

Gary poussa un soupir.

- Je vois.

 

Quelques instants après, le temps pour Gary d’encaisser ce nouveau choc, il se retrouva en présence de la responsable du Dickinson Mental Health Center, une femme d’une quarantaine d’années, très accorte, mais surtout très réfractaire à l’idée de se séparer de l’un de ses pensionnaires.

- Je suis désolée, monsieur Chase, mais il est hors de question que ce patient quitte notre établissement. Encore moins pour se replonger dans une enquête propre à détruire tout ce que nous avons mis en place depuis des années pour le traiter.

Gary produisit un document avec un geste et un sourire qui témoignaient fidèlement de son expérience de cas similaires.

- Le gouvernement des Etats-Unis n’est pas d’accord avec vous, madame. Vous avez d’autres arguments à lui opposer aussi vains que celui-ci ou je peux emmener votre précieux patient ?

 

Lorsque Gary pénétra dans la chambre de Vincent Faulk, un médecin s’apprêtait à lui administrer sa dose de médicaments quotidienne.

Gary observa le patient, un type plutôt banal hormis un embonpoint manifeste et des traits juvéniles, avant de remarquer l’alignement de flacons et de comprimés sur la table. Conscient que la prise du traitement nécessitait plus de temps qu’il n’en disposait, il tendit au thérapeute un sac en papier en souriant jusqu’aux oreilles :

- C’est pour emporter !

 

 

4

 

 

- Vous vous êtes cru dans un fast-food ?

Vincent Faulk regardait le paysage défiler tandis que la voiture filait à nouveau en direction de Knoxville.

- Désolé, dit Gary. Le temps nous est compté.

- J’apprécie beaucoup d’être à nouveau dehors, je ne vous le cache pas, mais ce serait trop vous demander de me dire pourquoi vous m’avez fait sortir ?

- Ca tient en deux mots : Eric Schultz.

Le visage de Vincent se décomposa.

- Il a refait parler de lui ?

- Tout juste. Il s’est évadé il y a deux jours. Hier, le corps d’une jeune métisse a été retrouvé chez elle, près de Philadelphie. Elle a été violée, puis étranglée. On a retrouvé ses empreintes. Il n’a fait aucun effort pour les cacher. Vu son profil, on peut craindre que ce ne soit que le début d’une longue série.

Vincent poussa un soupir à fendre l’âme.

- Et moi qui croyais qu’aujourd’hui était peut-être la promesse d’un bonheur insoupçonné.

- Navré, Vincent. Je suis agent du FBI, pas animateur télé. La bonne nouvelle, ça va être à nous de la fabriquer.

- Je dois vous aider à le remettre en cellule, c’est ça ?

Gary opina.

- Vous l’avez déjà fait, non ? Ce sera un jeu d’enfant. J’ai pas l’habitude d’avoir un partenaire, mais je suis sûr que ça se passera bien.

- Loin de moi l’idée de vous décevoir, mais à l’époque où j’ai arrêté Eric, je n’étais pas malade.

- Justement, maintenant que vous êtes, disons plus proche de lui, vous êtes l’homme idéal pour me seconder sur cette affaire. Encore plus qu’avant.

Vincent n’ajouta rien, mais son expression trahit ses doutes à ce sujet.

- Ok, fit Gary avec un soudain entrain. Alors, comment ça se passe ce phénomène d'illusions ? Par exemple, là, pendant que nous discutons, vous voyez d’autres personnes…je sais pas moi…disons…à l’arrière de la voiture ?

Il fit un signe de la main et adressa un sourire débile au rétroviseur intérieur.

Evidemment, Vincent fut loin de partager la légèreté de son point de vue. Son ton fut assez éloquent.

- Je vois des gens qui ont tous leur place là où je les vois. C’est la perversité de cette maladie.

- Je savais que résumer la schizophrénie à entendre des voix était simpliste. Mais j’avoue que je ne m’attendais pas à ça. Les illusions dont vous êtes victime ne sont pas seulement auditives, alors ?

Vincent opina à son tour.

- Il m’est extrêmement difficile voire impossible de différencier les gens réels de ceux que j’invente. Si nous traversions un carnaval, je verrai des musiciens, des danseurs, des chanteurs, des gens en train de s’amuser, tout comme vous. Mais je verrai aussi des musiciens, des danseurs, des chanteurs et des gens qui s’amusent, mais qui n’existent pas.

- Pourquoi vous les matérialisez ? Je veux dire, qu’est-ce qu’ils vous apportent ces gens imaginaires ?

- C’est évident, un équilibre. Je vois des personnes que j’ai besoin ou envie de voir.

- Je crois que je comprends. Votre esprit fonctionne un peu comme si vous rêviez.

- Oui, il y a de ça. C’est une sorte de rêve éveillé. Sauf que le rêve et la réalité sont étroitement imbriqués au point de ne faire qu’un.

Gary réalisa qu’il était en train de se passionner pour leur conversation. Il avait toujours été curieux, c’est ce qui faisait de lui un agent de terrain efficace. Ce qui constituait l’ombre et la lumière des êtres humains l’avait toujours fasciné au plus haut point.

- Mais si nous partons de ce principe, il vous arrive peut-être de voir des choses que vous ne voudriez pas voir, comme lorsque l’on fait un cauchemar.

- Oui, l’inconscient est loin d’être une science exacte. Il peut m’arriver de rencontrer des personnes qui me fragilisent sur un plan émotionnel.

Le visage de Gary s’illumina comme un sapin de Noël.

- Qui vous fragilisent ? Mais c’est bon, ça !

- Je ne vois pas en quoi.

- Là, vous me décevez, alors. Si certaines de vos visions vous rendent vulnérables, alors il en est certainement de même pour Schultz. J’ai tout son dossier. En l’épluchant, nous trouverons sans doute les éléments propres à susciter cette fragilité chez lui.

- Vous voulez les exploiter ?

Gary arbora son plus large sourire.

- Mieux que ça. Je veux pouvoir les lui faire créer à son insu.

 

5

 

 

Gary avait arrêté la voiture à une station-service, histoire de faire le plein et de se remplir l’estomac. Lui et Vincent s’étaient installés à la table d’une cafétéria. Gary était absorbé dans la lecture du dossier de Schultz, tandis que Vincent observait les autres clients. Il plissa les yeux en dévisageant un routier qu’il lui semblait reconnaître. Puis il se rappela qu’il n’avait pas pris tout son traitement. Il ouvrit le sac en papier et commença à sortir les médicaments. Gary s’en saisit et jeta le contenu par la fenêtre.

Vincent le fusilla du regard :

- Mais qu’est-ce que vous faites ? Vous êtes malade ?

- Moi, non, mais vous, oui. Et je tiens à ce que vous le restiez. On m’a fourni l’arme fatale pour stopper un tueur en série, je n’ai pas l’intention de l’échanger contre un flingue en plastique.

Sous le coup de la colère, Vincent se leva :

- Je ne suis pas une arme ! Je suis peut-être malade, mais je suis encore un être humain. Et je tiens à le rester !

Les clients alentours ainsi que les serveuses furent pour le moins embarrassés. Gary resta imperturbable.

- C’est tout à votre honneur. Il n’empêche que vous allez faire ce que je vous dis. Il n’y a que comme ça que tout se passera pour le mieux. Je vous respecte, Vincent, soyez certain de cela. Vous étiez flic et vous faisiez du bon boulot. Même malade, vous avez encore du potentiel. J’en suis le premier convaincu.

Vincent comprit qu’il était sincère. Il se rassit et calma ses nerfs sur son sandwich. Gary lui ficha la paix et se plongea dans le dossier de leur cible. Après quelques minutes de silence, il acquiesça de contentement, comme s'il avait trouvé le début d'un filon à creuser :

- Vous saviez que Schultz était sorti pendant plusieurs mois avec une prostituée ?

Vincent fit mine de ne pas avoir entendu avant de réaliser que c’était une réaction stupide.

- Oui. Elle s’appelait Jenny Carver. Ca s’est mal terminé.

- Il y a eu rupture visiblement.

- Dans tous les sens du terme. Il a rompu avec elle et lui a brisé le cou. Elle a été sa première victime. A partir de là, ça été l’engrenage.

Gary se désintéressa un instant du dossier et reporta son attention sur son équipier.

- Mais comment l’avez-vous arrêté au juste ?

- Très simplement. Il était encore inexpérimenté et moi je commençais à prendre mes marques en tant que flic. Et j’avais un excellent partenaire.

A ce moment, le visage de Vincent s’assombrit et il se réfugia dans le silence. Gary comprit qu’il n’obtiendrait rien de plus à ce sujet pour le moment. Il reprit sa lecture et son visage s’illumina subitement :

- Voilà, j’ai trouvé une piste ! Ses parents sont morts dans un accident de bateau. Il a été élevé par son grand-père. A la dure, à ce qu’il semble, si son témoignage est vrai.

- Battu ? s’enquit Vincent.

- Oui et pas qu’un peu. On aurait presque pitié.

- Pas de fumée sans feu.

- Donc imaginons que nous soyons en sa présence, est-ce que vous pensez qu’en évoquant son grand-père, en lui rappelant les tortures qu’il a subi, il puisse le matérialiser et se trouver dans un état de fragilité tel que ceux que vous avez pu connaître ?

- Il est raisonnable de le penser. Mais cela ne se fera pas en cinq minutes. Et il faut qu’il soit réceptif, à l’écoute.

- Bah, entre deux meurtres, j’imagine qu’il fait une pause !

Gary réalisa combien sa plaisanterie était d’un goût douteux. Une fois de plus.

- Désolé, ce n’était pas drôle.

- Je ne vous le fais pas dire, approuva Vincent avec un air de reproche. Vous savez, Agent Chase, vous et moi ne sommes pas si différents, finalement.

Gary but son café avant de grimacer de manière équivoque.

- Permettez-moi d’en douter.

Vincent ignora sa remarque :

- Nous avons tous les deux trouvé un subterfuge pour conserver un semblant d’équilibre mental dans un monde où la folie prédomine. Moi, j’invente des gens et vous, vous faites des blagues tordues.

L’agent Chase se contenta de sourire, trop effrayé à l’idée qu’il ait raison.

 

 

6

 

 

Le Landcruiser noir était bloqué par la circulation. La sortie de la station-service était bouchée par les véhicules des routiers, des touristes et des gens de passage, comme eux.

Loin de s’impatienter, Vincent en profitait pour contempler les alentours et surtout les passants. Des gens normaux, pensa-t-il. Enfin, qui lui apparaissaient comme tels.

- Vous voyez cette femme élégante devant nous ?

Voyant que Gary peinait à la repérer, il précisa :

- Celle avec un chignon et un manteau gris.

Gary pinça les lèvres.

- Qu’est-ce qui vous plairait ? Que je vous réponde que je la vois ou que je vous dise que vous l’avez inventée ?

Vincent arbora une mine renfrognée.

- Je préfère que vous ne répondiez pas. Elle est jolie et elle me sourit. Cela me suffit.

- Vous savez, il y a un moyen très simple de savoir si elle est réelle ou pas. Il suffit que vous essayiez de la toucher.

- Vous ignorez que je suis capable de croire que j’ai un contact physique avec mes créations. C’est pourtant précisé dans mon dossier et celui de Schultz. Vous auriez pu bosser un peu plus.

Gary s’amusa de sa réflexion.

- Intéressante perspective. Vous dites que vous pouvez les toucher ou du moins croire que vous le faites ? Alors qu’est-ce qui vous empêche de penser que je ne suis pas l’une de vos créations ?

Vincent lui adressa un sourire narquois.

- C’est vous qui conduisez, non ?

Gary lui rendit son sourire.

- Oui, à moins que vous ne soyez en réalité assis dans votre chambre et que vous imaginiez que nous sommes dans cette voiture en train d’avoir cette passionnante conversation.

- Vous me surestimez.

- J’ai entendu dire que l’esprit humain n’avait pas de limite, pérora Gary.

- Le mien, si.

- Alors espérons que celui de Schultz en ait aussi.

 

7

 

 

 Il était 11h00. La cafétéria était déserte. Eric commanda un petit-déjeuner tardif à une serveuse aguichante. Son poing droit se ferma lorsque ses yeux glissèrent sur la gorge de la jeune femme.

- Oublie-là !

Eric tourna la tête. Jimmy était assis à la table, en face de lui. Il jouait avec sa balle de baseball, la casquette baissée, faisant claquer une bulle de chewing-gum par intermittence.

- Tu m’as suivi ?

Jimmy ne répondit pas. Il se contenta d’indiquer de la tête la voiture de police garée à l’extérieur.

Eric émit une sorte de grognement.

- Jenny et maintenant les flics ! Tu serais pas en train de me porter la poisse, par hasard ?

Jimmy répondit par un claquement de bulle, preuve que du haut de ses quinze ans, il se fichait royalement de l’accusation.

Eric inspecta son environnement. Il fut interrompu dans son travail par une serveuse dont le badge indiquait qu’elle s’appelait Suzanne.

- Bonjour, Monsieur. Je peux prendre votre commande ?

Eric la regarda à peine. Elle accusait un certain âge et la fatigue qui allait avec.

- C’est déjà fait.

- Vous êtes sûr ? On ne s’est pourtant pas parlé.

Eric daigna lever les yeux.

- Votre collè…

Il réalisa simultanément que la serveuse aguichante qui l’avait accueilli avait disparu et que celle qui se tenait devant lui avait une masse de cheveux roux.

Son poing droit se ferma lorsque ses yeux glissèrent sur sa gorge.

Il jeta un regard à Jimmy. Ce dernier releva sa visière. Ses yeux n’étaient pas ceux d’un adolescent. C’était ceux d’un homme pris de folie furieuse. C’était ceux d’Eric.

Eric se jeta sur la serveuse et resserra ses mains autour de son cou. Elle poussa un croassement et commença à gesticuler comme un automate déréglé. Eric la maintint contre le comptoir.

- Tu vas voir si je suis un impuissant !

Une balle siffla à un centimètre de son visage, une autre fracassa une bouteille sur le comptoir.

- Police ! Lâche-là immédiatement et recule, Schultz !

Eric obtempéra lentement. La serveuse s’enfuit sans demander son reste. Eric entendit un policier venir dans son dos.

- Mets les mains sur la tête. Au moindre geste suspect, mon partenaire et moi n’hésiteront pas à t’abattre, compris ?

Schultz opina du chef avant de placer ses mains sur sa tête. A ce moment, la serveuse qui l’avait accueilli apparut derrière le comptoir, face à lui. Elle était baissée et le fixait avec intensité.

- Je ne sais pas ce qu’ils vous reprochent, chuchota-t-elle, mais je suis sûre que c’est une erreur. Du menton, elle indiqua un gros tesson de verre posé sur le comptoir.

Eric la remercia d’un discret hochement de tête.

- Ok, j’ai compris.

Le policier empoigna le bras droit d’Eric pour lui passer les menottes. Eric se déporta sur le côté avec une incroyable rapidité. Il saisit le bras de l’officier et faisant pivot, le jeta contre le comptoir. Le tesson lui perfora le visage dans un bruit atroce et une effusion de sang tout aussi écœurante. Eric se saisit de son pistolet et plaça le corps sans vie devant lui juste au moment où l’autre policier faisait feu.

Jimmy était resté à la table. Il attira l’attention d’Eric.

- Ne tire pas sur lui, tu vas tâcher son uniforme.

Comme d’habitude son ton était monocorde, dénué de toute émotion.

Eric fronça les sourcils. Il jeta un rapide coup d’œil au flic qui le menaçait à l’autre bout de la salle avant de noter qu’ils avaient sensiblement la même corpulence.

- Merci, Jimmy.

Jimmy baissa les yeux et suivant son regard, Eric avisa un couteau à steak abandonné sur la table. Il tira quelques balles avant de s’en saisir. Le policier avait visiblement des scrupules à tirer sur le cadavre de son partenaire. Il se rapprochait, tentant de repérer un défaut dans la cuirasse du tueur. Eric abaissa son bouclier sans crier gare…

- Vise la tête ! encouragea Jimmy.

Le visage d’Eric pâlit.

- Jenny ! Mais qu’est-ce que tu fous là ?

Perplexe, le policier tourna la tête en direction de la belle rousse, évidemment sans parvenir à la voir.

Alors Eric profita de sa distraction pour balancer le couteau avec une mortelle précision.

 

 

8

 

 

Vincent tentait de penser le moins possible à sa future confrontation avec Schultz. Et le fait qu’il ait contracté la même maladie que lui à un degré presque semblable ne pouvait qu’ajouter à son mal-être. Nul doute que s’il venait à l’apprendre, Schultz se ferait une joie de le railler sur l’ironie de son sort.

Gary leva un index pour faire une annonce importante.

- Un tiers des schizophrènes ne passent pas par les phases préliminaires et s’installent rapidement dans leur délire. Le facteur déclenchant est principalement le stress, mais l’origine du trouble est multifactorielle : génétique, environnementale, virale, biologique. La maladie demeure méconnue et le tabou sur les maladies mentales ne facilite pas les choses.

Vincent poussa un soupir long comme le bras.

- Wikipédia ?

Gary était tout sourire.

- Pas exactement. Mais j’ai effectivement vu ça sur le net. Vous savez ce que je crois, Vincent ?

L’intéressé s’abîma dans la contemplation de la route.

- J’ai peur de deviner.

- Je crois que de tous ces personnages que vous êtes capable d’imaginer, aucun ne vous arrivera jamais à la cheville. Vous êtes le meilleur de tous. Vous n’avez pas besoin d’eux. Vous le pensez seulement. Quand vous aurez compris cela, quand vous vous en serez convaincu, je pense que vous serez sur la bonne voie. Celle de la guérison.

Peut-être parce qu’il ne s’attendait pas à de tels mots de la part de l’agent Chase ou que personne d’autre avant lui n’avait su s’exprimer de la sorte à son sujet, Vincent se sentit brutalement ramené à une réalité, à une vérité auxquelles il ne s’était pas confronté depuis longtemps. Il sentit une douleur immense en même temps qu’une enivrante sensation de libération, hélas trop fugitive. Il se rendit compte qu’il pleurait.

Gary lui-même ne put rester de marbre face à la réaction qu’il venait de susciter. Il éprouva de la gêne, de la culpabilité, puis il sut qu’il n’avait fait que venir en aide de la manière la plus simple et la plus naturelle à quelqu’un qui en avait cruellement besoin. Il ressentit alors de la compassion et voulut exprimer sa sollicitude.

Il approcha une main, hésita, puis se ravisa.

De son côté, Vincent s’essuyait rageusement le visage dans l’espoir de balayer d’un seul coup toutes ces psychoses qui lui avaient gâché la vie.

Comme pour les distraire de leur malaise commun, le shérif Tretco choisit ce moment pour contacter Gary.

- Oui, shérif, nous serons là dans une dizaine de minutes. Merde ! Ca s’est passé quand ? Ok, nous allons sur place. A plus tard.

- Accrochez-vous, Vincent !

Gary fit demi-tour et écrasa l’accélérateur sous le regard terrorisé de Vincent.

- Schultz a abattu deux officiers de police dans une cafétéria. Et il a pris leur voiture.

Vincent secoua doucement la tête comme s’il était en train de comprendre quelque chose.

- Alors le prédateur vient de trouver son déguisement.

 

9

 

 

- Ok, merci Phil. Je vous tiens au courant.

Gary se tourna vers son partenaire.

- La voiture de police qu’a volé Schultz était équipée d’un émetteur. Elle a été localisée. Il se dirige vers Winnefield Heights par la 76.

Vincent pinça les lèvres.

- Il est beaucoup trop intelligent pour ne pas le faire délibérément. Il a une idée derrière la tête. Et je le connais suffisamment pour savoir que ce sera pas une bonne idée.

- Moi je crois que comme tous les psychopathes, il est amené fatalement à négliger la prudence au profit de ses pulsions les plus pressantes. Il se fout d’être repéré. C’est même ce qu’il veut, probablement.

- Pourquoi le voudrait-il ? Il est de nouveau libre, non ?

- Sans risques, pas de gloire, non ? Ce qu’il veut c’est être connu pour être reconnu. Il a été étouffé étant enfant, dans tous les sens du terme. Pour lui, tuer c’est sa façon de respirer, d’exister. Mais pour se sentir vraiment vivant, il a besoin que tout le monde le sache en vie. Il veut qu’on sache qu’il tue et qui il a tué. D’où cette apparente négligence lors des meurtres alors que c’est un cerveau brillant, c’est évident. Il n’aurait pas survécu aussi longtemps, sinon.

Vincent émit un sifflement exagéré.

- Jolie analyse. On voit qu’il y a du bagage.

- Mon psy aime beaucoup ce que je fais.

- Votre psy ?

- J’ai vu et entendu des choses, tout comme vous. Des choses que je préfèrerais oublier. J’imagine que je ne suis pas à l’abri, moi, non plus. Je prends des précautions. Je ne veux pas devenir dangereux.

- Ce n’est pas moi qui vais vous décourager.

Gary compris ce qu’il sous-entendait par là.

- Vous n’êtes pas dangereux, Vincent.

- Comment pouvez-vous en être certain ?

- Si l’une de vos visions vous ordonnait de me tuer, vous le feriez ?

- Non.

- Pourquoi ?

- Parce que ma conscience et ma morale me l’interdiraient. Contrairement à ce que beaucoup de monde pense, tous les schizos ne sont pas des fous sanguinaires.

- Je sais. Mais pourquoi Schultz n’est pas comme vous, ou plutôt, pourquoi vous n’êtes pas comme lui ? Vous avez sans doute vous aussi des raisons de passer à l’acte, par colère, par frustration, par rancune. Ce n’est jamais les raisons qui manquent.

- Justement, pas besoin d’être schizo pour en arriver là. Vous êtes bien placé pour le savoir. Des tueurs sans pitié vous avez dû en voir défiler et je suis certain que la plupart d’entre eux étaient considérés comme sains d’esprit. En ce qui me concerne, j’ai trouvé une astuce, un subterfuge. J’ai crée un vide en moi, insondable, une sorte de puits sans fond que je matérialise et dans lequel je déverse toute ma colère, toute ma haine, tout ce que j’ai de plus noir et de plus pesant. Jusqu’à maintenant cela a très bien fonctionné et je pense que c’est ce qui manque à Eric.

- Vous savez, même si je fais tout pour arrêter des types comme lui, je ressens toujours, à un moment ou à un autre, une sorte de compassion et même d’admiration pour eux. Parce que même si leur maladie leur sert d’excuse pour commettre leur crime, il y a beaucoup de souffrance personnelle à la base de leurs actes et ils doivent vivre avec tous les jours.

- Oui, il n’y a pas pire bourreau pour un être humain que lui-même.

- Je vous envie, Vincent.

Ce dernier soupira.

- Ne recommencez pas à être sarcastique. Je commençais juste à vous apprécier.

- Je le pense sincèrement.

- Alors pourquoi ?

- Parce que vous pouvez voir tous les gens que vous aimez quand vous en avez envie.

Vincent pencha la tête et émit un clappement de langue désapprobateur.

- Ils ne sont pas réels, vous le savez bien.

- Peut-être…
Gary reporta son regard sur la route, sans doute pour éviter de montrer ses yeux.
- …Mais ils sont plus supportables que la solitude.

 

10

 

Gary composa un numéro sur sa radio de bord.
- Qu’est-ce que vous faites ? Vous appelez des renforts ?
- Pas vraiment. J’appelle Schultz.
Vincent se figea.
- Quoi ?
- Tretco m’a filé le code de sa voiture. Schultz veut un rapport privilégié avec les autorités ? Il va l’avoir.
Après avoir composé le numéro, Gary tendit le micro à Vincent.
- Quoi, moi ?
Gray sourit.
- Vous pensiez vraiment y échapper ?
Vincent n’avait rien d’un gaulois, mais il eut soudain la sensation que le ciel lui tombait sur la tête.
- Non, pas vraiment.
Gary alluma le haut-parleur.
- Officier Jonathan Taylor, j’écoute.
Lorsque Vincent entendit la voix d’Eric résonner dans l’habitacle, son corps entier trembla. Il dut se faire violence pour parler sans que sa voix ne tremble elle aussi.
- Eric ? C’est Vincent Faulk.
Le visage d’Eric s’éclaira comme un arbre de Noël.
- Vincent ! C’est un plaisir ! A ton tour tu refais surface. Mais attention, cette fois, je suis le pêcheur et tu es le poisson.
Vincent jeta un regard significatif à Gary.
- Je me doutais bien que tu avais une sale idée en tête.
- La vengeance est un plat qui se mange froid. Moi j’ai toujours préféré manger chaud. En prison, j’avais trop le temps de remuer le couteau dans la plaie. Et puis, les médias ont fait leur travail. Il n’y a pas beaucoup d’endroits qui leur échappent, maintenant. L’intimité est devenue une denrée rare en ce monde. On paiera bientôt pour la conserver. C’est ce qu’on fait déjà.
Vincent sentit sa gorge se nouer. Il savait ce que sous-entendait Eric.
- J’ai beaucoup pensé à toi, Vincent. Quand j’ai appris ce qu’il t’était arrivé, plus encore. Rassure-toi, je t’épargnerai le couplet sur l’ironie du destin. Trop facile. En revanche, je frémis d’impatience à l’idée de tout ce que nous allons pouvoir partager bientôt. Surtout ne me réponds pas que nous n’avons rien à partager. Ce serait te voiler la face et tu le sais.
Vincent était comme paralysé. De se sentir tout à coup aussi proche malgré lui du tueur le faisait se sentir à nouveau coupable et peut-être même complice.
Gary dut l’encourager par de grands gestes pour qu’il reprenne la conversation.
- Qu’est-ce que tu veux, Eric ? Me tuer ?
- Non ! Enfin, pas dans l’immédiat. Disons que tes futures réactions seront déterminantes quant à ton avenir. Je savais qu’en m’évadant les autorités viendraient te chercher pour te remettre le pied à l’étrier, avec ta maladie comme porte-étendard. Tu m’as arrêté alors que je faisais mes armes. Depuis, je suis devenu un guerrier complet et accompli. C’est merveilleux tu ne trouves pas. La boucle est bouclée.
Gary s’empara vivement de la radio.
- Et si tu la bouclais justement !
Vincent lui reprit rageusement l’émetteur en le masquant de la main.
- Qu’est-ce que vous foutez ?
- Je joue le rôle du mauvais flic. Vous, il faut qu’il vous aime. C’est primordial. Vous vous souvenez de notre plan ? Son grand-père et tout le reste ? C’est vous qui allez vous en charger. Vous êtes le plus qualifié. Quand il sera en état de faiblesse, alors j’interviendrai.
Vincent opina sans pouvoir se départir d’un sourire sans joie.
- Désolé, Eric, je ne suis pas seul. On m’a imposé un chaperon.
Eric afficha un large sourire.
- FBI ?
- Tout juste.
- Alors toutes mes condoléances. En plus, je parie que c’est un vrai connard.
Eric s’esclaffa.
Vincent fixa Gary avec ironie.
- Encore dans le mille.
Gary secoua la tête, navré de sa réponse.
Vincent lui donna un petit coup de coude.
- Vous voulez passer pour le mauvais flic, oui ou non ?
- Bon, dit Eric, passons aux choses sérieuses. Il faut qu’on se voie.
- Où et quand ?
Eric jeta un coup d’œil à la carte posé sur le siège du passager. Un pistolet était posé dessus en guise de presse-papiers.
- Vous êtes où ?
Vincent interrogea Gary de la pointe du menton.
- Dites-lui qu’on est à Tioga.
- Tioga, ça te dit quelque chose ? C’est pas loin de Knoxville, là où j’exerçais.
Eric rit à nouveau.
- Je me rappelle bien de Knoxville. Comment va ce cher Phil Tretco ?
- Il va bien, souffla Gary.
- Il va bien, répéta Vincent. Toujours aussi chauve.
Vincent regretta sa plaisanterie. Le rire d’Eric avait quelque chose d’inquiétant.
- Ok, alors retrouvons-nous à mi-chemin.
- Et c’est où à mi-chemin ? Je m’appelle pas Google Map.
- Très drôle.
Eric prit quelques instants pour consulter sa carte.
- Rendez-vous à Wilkes-Barre. Plus précisément à l’aéroport.
- Un lieu publique ? s’épouvanta Vincent.
- Tout juste.
D’un geste, Gary signifia à Vincent qu’il ne servait à rien de négocier.
- Ok. Dans combien de temps ?
- Dans une heure.
- On n’y sera jamais dans une heure, annonça Gary.
- C’est trop juste pour nous, informa Vincent. On est en pleine campagne, comme je te l’ai dit. Tu connais le coin. La route est merdique, tout en lacets.
- Je vous donne une heure et demie. Si vous êtes pas à l’heure…
- Eric ! C’est pas un jeu !
- Tu te trompes, Vincent. La vie entière est un jeu. Elle nous le prouve tous les jours. Regarde-nous. Regarde ce qu’elle a fait de nous. Tu veux encore la prendre au sérieux, après tout ce que tu as vécu ? La vie se fout de nous. On est ses jouets. Je ne fais que lui renvoyer l’ascenseur.
- Peut-être, mais tu te trompes de cible.
Le ton d’Eric trancha avec le reste de la conversation.
- Ma cible c’est toi pour l’instant et si tu veux pas que j’en change en cours de route, je te conseille de te pointer à l’heure avec ta baby-sitter.
Vincent reposa la radio. Son visage était livide.
- Il a coupé.
- Bien joué, dit Gary.
- Mais pour le délai, ça va être coton !
Gary tapota le volant avec fierté.
- Je vais vous montrer ce qu’elle a dans le ventre. C’est un vrai tout-terrain. Comme moi.
Son regard s’enfiévra. Il sortit de la route et fonça à travers champs.

 

11

 

Vincent vomit son sandwich.
- Ca va mieux ? lui lança Gary depuis l’intérieur du Landcruiser.
L’intéressé secoua la tête.
- Vous m’aviez pas dit que vous étiez malade en bagnole !
Vincent s’essuya la bouche.
- Je ne le suis pas. C’est votre conduite ! Vous vous croyez au Paris-Dakkar ?
Gary s’esclaffa.
- Ok. On va reprendre la route. Mais je vous préviens, ce n’est que partie remise. Il faudra faire autorité sur votre estomac.
Gary sortit de la voiture pour mieux se faire entendre.
- J'ai profité de cette pause impovisée pour mettre Tretco au courant de la situation. J'ai également donner des directives très strictes pour qu'aucun flic de cet état ne se mette en travers de la route de Schultz. Mon patron, Ted Mayers, a appuyé ma demande et autant vous dire que personne ne bronche quand Ted donne un ordre.
Vincent leva le doigt comme s'il allait dire quelque chose, mais trois secondes après, il se penchait de nouveau vers le sol.


Peu après, Le Landcruiser regagna le confort et la monotonie de l’asphalte, pour le plus grand soulagement de Vincent.
- Ca va mieux ? s'enquit Gary.
- Oui. Désolé. C’est pas comme ça qu’on tiendra notre engagement.
- Essayer de dormir un peu. Il doit rester des cachets dans la boite à gants. Vous allez bientôt avoir du pain sur la planche, il faut que vous soyez en pleine forme. De mon côté, je vais tâcher de trouver un « terrain » d’entente.
Gary s’esclaffa, mais son rire s’étrangla.
Il pila brutalement, évitant de peu une collision avec une camionnette qui venait de s’immobiliser sans crier gare.
- Merde, je déteste ce genre d’abrutis !
Vincent était impassible, comme détaché des évènements. Mais ce n’était qu’une illusion.
- Il y a eu un accident.
- Comment le savez-vous ?
- J’ai été flic, n’oubliez pas. J’ai gardé un peu d’instinct.
A son tour, Gary émit un sifflement.
Vincent pouffa de rire.
- Non, je déconne. De mon côté, on voit de la fumée devant.
Pendant que Vincent sortait de la voiture et remontait la file de véhicules, Gary lança un appel pour prévenir les secours si ce n’était pas déjà fait. Lorsqu’il rejoignit Vincent, celui-ci était occupé à convaincre un officier débordé qu’il était en droit d’être là.
Gary brandit son insigne avec l’autorité dont il savait faire montre.
- FBI ! Cet homme travaille avec moi. Nous sommes sur une affaire importante et notre temps est compté.
L’officier grimaça.
- Le leur aussi si les pompiers ne rappliquent pas dans la minute.
Il indiqua du menton plusieurs personnes gisant à terre.
- Alors on va vous aider, déclara Vincent.
L’officier le remercia d’un signe de tête avant de revenir maintenir le périmètre de sécurité menacé par une foule de badauds trop curieux et de véhicules tout aussi encombrants.
Gary en profita pour fusiller Vincent du regard comme s’il avait dit une grossièreté.
- Bon dieu, Vincent ! Si on arrive en retard, Schultz en fera une affaire personnelle. C’est écrit noir sur blanc dans son dossier. Vous le connaissez mieux que moi. Ce type est tout sauf épris d’indulgence. Il nous le fera payer. Et vous savez comment !
A son tour, Vincent extériorisa son écoeurement :
- Ces gens sont en danger et vous ne pensez qu’à Schultz ?!!
- Il y a quatre personnes en danger ici, j’ai bien noté. Mais si nous n’arrivons pas à l’heure au rendez-vous, il y a aura des dizaines de victimes supplémentaires.
- C’est du délire ! On va quand même pas les laisser crever !
- Il y a des services médicaux pour ça. Ils sont déjà en route.
- Vous savez très bien qu’ils arriveront trop tard.
- Vous avez une idée ?
- Je vais en chercher une, moi, au moins.
Il s’approcha d’une des voitures avant d’ajouter sans se retourner :
- FBI ça voudrait pas dire Foutrement Bien Incapable, par hasard ?
- Ne soyez pas grossier. J’ai appris à analyser une situation et à prendre les meilleures décisions quelles qu’en soient les conséquences. Les sacrifices sont toujours à envisager, du moment qu’ils permettent la sauvegarde d’un plus grand nombre.
Vincent s’agenouilla sur la route près d’une des victimes.
- C’est pathétique. On dirait un discours militaire.
- La guerre est ce qu’elle est, mais elle a certainement apporté pas mal d’enseignements à ceux qui l’ont faite.
- Ouais, comme celle de pouvoir crever au nom d’une cause débile qu’ils ne cautionnaient même pas.
- Je vous trouve plutôt étroit d’esprit pour quelqu’un qui a autant d’imagination.
- C’est que vous jugez beaucoup trop vite. Et surtout très mal.
- Merci du sermon. Je tâcherai de m’en souvenir lorsqu’on ramassera les cadavres à Wilkes-Barre.
Sur ces mots, Gary improvisa un pansement pour interrompre l’hémorragie d’un accidenté.
- Connard, mumura Vincent.
La jeune femme dont il jaugeait les blessures revenait de reprendre connaissance.
- Quoi ?
- Madame, tout va bien, je suis de la police. Dites-moi si vous pouvez plier vos jambes et vos bras.
Elle vérifia avant d’opiner.
Lorsque tout sembla en ordre pour l’arrivée des secours, Gary fit un signe de la main à l’officier et se dirigea vers son Landcruiser d’un pas résolu.
Vincent le retint par un bras.
- C’est tout l’intérêt que vous portez à la vie des autres.
- Je me sens impuissant si vous voulez tout savoir. Je ne sais pas gérer ce genre de situations. Je ne sais plus. Demandez-moi n’importe quoi, mais pas ça.
Vincent ne perdit pas de sa hargne :
- Je peux savoir comment vous êtes arrivé au FBI ?
Gary se retourna. Il avait les yeux embués.
- J’ai perdu ma femme dans un accident de voiture. Ca fait presque trois ans. Ca vous paraît assez…significatif.
Viincent allait dire quelque chose lorsque l’officier arriva en courant. Il ne cachait pas sa panique :
- Une autre voiture vient d’être découverte. Elle a été projetée dans le fossé c’est pour ça qu’on ne l’a pas vue tout de suite. Les parents sont saints et saufs, mais leur fille est encore coincée à l’arrière.
- Et je parie que ça va exploser, lança Gary avec une étonnante légèreté.
Vincent le connaissait assez bien maintenant pour savoir que ce n’était qu’une illusion.
L’officier secoua la tête.
- Exactement. Et ce n’est pas tout. Les pompiers sont retardés. Y a eu un autre accident encore plus grave à quelques kilomètres au sud. C’est la merde !
Le trio courut jusqu’à la voiture en question. Gary et l’officier ne furent pas trop de deux pour rassurer les parents éplorés.
Gary revint ensuite aux côtés de Vincent qui avait ramassé une barre de fer et s’en servait comme levier pour ouvrir la portière. Les flammes envahissaient déjà l’habitacle. La situation semblait réellement désespérée. Il n’avait pas le matériel qu’il fallait.
Vincent regarda droit devant lui sur le bas-côté, à un endroit où tous les badauds y compris Gary ne voyait rien qu’un espace dénué de tout intérêt.
- Les secours sont là, ils vont nous dire quoi faire.
Les trois pompiers descendirent du camion. Ils fixèrent Vincent et personne d’autre.
D’un signe de tête, Vincent leur indiqua qu’il était prêt.
- Montrez-moi.
Tour à tour, Les trois sauveteurs montrèrent à Vincent les gestes à faire pour permettre le secours de l’enfant. Comme dans un état second, il donna des directives à Gary, à l’officier, aux parents et même aux badauds. Il avait l’air tellement sûr de lui qu’il ne vint à l’idée de personne de contester ses décisions. Avec discipline et patience, les paires de bras sollicités vinrent à bout du métal, mais le plus dur restait à faire. Vincent enleva la fillette dans ses bras. Elle ne devait pas avoir plus de dix ans. C’était une métisse. Il la posa au sol avec la plus extrême délicatesse comme si elle menaçait de se briser. Il s’agenouilla à côté d’elle. Elle respirait encore, mais son pouls était très faible. Gary s’approcha et murmura :
- Cette gamine va mourir et les secours ne sont toujours pas là. Je sais que ça peut paraître dément, mais je n’ai jamais fait de réanimation. Et vous ?
Vincent regarda en direction du bas-côté. Les trois pompiers et leur camion avaient disparu. Il fouilla alors le cercle de badauds du regard comme dans l’espoir de trouver une aide providentielle. Soudain, il remarqua une femme. Elle portait un manteau gris et un chignon. Elle lui sourit.
Vincent lui adressa un signe de tête. Son visage était méconnaissable. Gary l’observait, médusé.
- Montrez-moi.
La jeune femme s’exécuta aussitôt. Elle simula les gestes précis à faire avec le timing idéal, rapidement relayé par un vieil homme, puis un adolescent. Position de sécurité, bouche à bouche, massage cardiaque.
Vincent les observa avec une application exemplaire, reproduisant les gestes qui sauvent à la perfection, comme si sa propre vie en dépendait. Sa concentration était incroyable et les parents de l’enfant en étaient profondément émus. Mais leur émotion n’avait rien à envier à celle de Gary. A mesure qu’il comprenait d’où venait la formidable inspiration de Vincent, l’agent se sentit soudain tout petit et réellement insignifiant face au génie qui se manifestait face à lui.
Un hélicoptère arriva sur ces entrefaites. Il avait intercepté l’appel de détresse et repéré la fumée. La chance tournait. La fillette fut emportée dans les airs, rejoignant le ciel  en laissant bon espoir sur son état. Vincent avait fait ce qu’il fallait, parce qu’il avait su trouver des alliés à la hauteur. Il commença à regagner doucement la réalité. Son esprit lui paraissait confus. Il ne sut plus très bien ce qui venait de se passer. Gary le comprit rapidement.
- Je n’en reviens pas de ce que vous venez de faire. Vous l’avez sauvée. Sans vous, elle était condamnée. Vous l’avez sauvée. Vous seul l’avez fait. Vous aviez déjà fait des réanimations ?
Vincent regardait autour de lui, tentant de se réapproprier les évènements et surtout son mental. Il ne vit même pas les badauds lui adresser des louanges et des félicitations à qui mieux mieux. Il essaya de repérer une jeune femme avec un manteau gris dans la foule. Mais sans succès.
- Je… Je croyais ne pas m’en souvenir.

 

12

 

Les deux hommes reprirent la route. Ce qui s’était passé avait changé encore davantage la manière dont chacun percevait l’autre.
- Je suis vraiment navré pour votre femme. Je regrette de l’avoir appris dans ces circonstances.
- Il ne faut pas. Je ne vous en aurais sans doute jamais parlé, sinon. Et ça m’a fait le plus grand bien de le faire.
- Alors le psy ce n’est pas que pour le boulot.
Gary opina.
Vincent l’observa avec plus d’intérêt.
- Vous faites souvent des cauchemars, j’imagine.
- Oui.
Puis le regard de Gary changea et il retrouva sa véhémence :
- Vous êtes le parfait opposé de Schultz, déclara-t-il avec un engouement extraordinaire. Il est la mort et vous êtes la vie. Ne laissez jamais personne vous comparer à lui. Vous venez de sauver une enfant d’une mort certaine parce que vous avez vu des gens que personne d’autre n’était capable de voir. Dans votre cas, ce n’est pas une malédiction, ce n’est même pas une maladie. C’est un pouvoir, un don du ciel.
- Merci, ça me touche beaucoup, Gary. Seulement, j’ai des raisons d’être plus objectif que vous. Vous avez vu le côté lumineux, mais je possède aussi le côté obscur, pour vous donner une image qui vous parle.
- Comment ça ? Vous n’avez jamais tué personne que je sache.
Le visage de Vincent s’assombrit. Il se fermait à nouveau comme la fois où il avait évoqué son partenaire dans la cafétéria de la station-service.
Mais cette fois, la curiosité de Gary fut la plus forte :
- Dans quelles circonstances vous avez quitté la police, Vincent ?
- Je crois que c’est facile à deviner. Un schizo dans les forces de l’ordre, cherchez l’erreur.
Tout en disant cela, Vincent haussa les sourcils de manière comique.
Gary faillit s’étrangler de rire.
- En tout cas, vous n’avez pas été viré parce que vous étiez un tueur psychopathe.
- Vous l’avez lu dans mon dossier ?
- Non, je l’ai lu en vous.
- Et vous faites souvent ça ?
- Autant que possible. Ca aide à affiner l’instinct. Les dossiers c’est bien beau, mais c’est souvent incomplet et ça manque…
- D’humanité ?
- Quelque chose comme ça.
- Je ne savais pas que le FBI faisait dans la charité.
- Bien sûr que si. C’est même la raison de son existence.
- Peut-être, mais j’ai toujours pensé qu’il y avait anguille sous roche. Ne le prenez surtout pas mal.
- Je n’ai aucune raison. Moi, je sais pourquoi je fais ce métier.
- Pour les bonnes raisons ?
Gary opina.
Alors Vincent d’ajouter :
- Protéger et Servir et tout le tremblement ?
Nouveau hochement de tête.
- Et bien pour en revenir à mon cas, figurez-vous que je n’étais plus capable de tout ça et c’est pour ça qu’ils m’ont gentiment mis au rebut. Pas besoin de commettre un meurtre à la hache. Il a suffi que mes visions commencent à me distraire un peu trop et j’ai commis une grave erreur avec laquelle je dois vivre.
Voyant qu’il avait toute l’attention de Gary, Vincent, très confiant,  poursuivit :
- Pour vous la faire courte, j’étais avec un collègue, très sympa au demeurant. On aimait bien créer une sorte de compétition entre nous. Un jour, on devait appréhender un suspect dangereux et supposé armé. Au moment critique de l’arrestation, j’ai vu un gros chien noir débouler de nulle part dans l’appartement. C’était un vrai molosse. Sauf qu’il n’existait que dans mon imagination. En fait, j’ai compris plus tard que le stress de l’intervention m’avait fait matérialisé un de mes pires souvenirs d’enfance, Raoul, le chien de garde de mes voisins. J’ai cru qu’il allait nous attaquer. J’ai sorti mon arme et j’ai tiré pour l’effrayer. Ca a tout foutu en l’air. Le suspect nous a repéré et a fait feu. Mon partenaire a été touché à la poitrine. Je suis parvenu à neutraliser le gars, mais le mal était déjà fait. Mon collègue, il s’appelait Fernando, s’en est tiré de justesse. La suite vous la connaissez dans les grandes lignes.
Gary acquiesça.
-Témoignages, rapports d’enquête, entretien psychologique et diagnostic psychiatrique.
- Oui, ça n’a pas traîné. Je crois que mon cas a été bouclé en moins d’une semaine. Du jour au lendemain, je suis passé de jeune recrue prometteuse à l’ennemi public n°1.
- Mais pourquoi vous n’avez pas menti ?
- Mentir ? Pour quoi faire ?
- Pour vous protéger !
- J’étais peut-être schizo, mais j’étais encore lucide et je savais très bien que la seule façon intelligente de me protéger c’était de me faire soigner et dans les plus brefs délais. J’adorais mon métier, Agent Chase, et s’il m’est possible de le reprendre un jour, je serais le plus heureux des hommes.
- Je comprends. Mais personne ne vous a donc soutenu dans cette épreuve ? Vous aviez acquis une réputation quand même.
- On m’a regardé comme un pestiféré, comme si j’allais contaminer tout le central.
- Cela aurait dû rester confidentiel.
- Oui. Mais ça faisait sans doute trop plaisir à certains de me voir exclus du service. Le succès provoque toujours la jalousie de certains, surtout de ceux qui stagnent faute de prendre de réelles initiatives. J’en ai fait les frais.
- Et Phil Tretco ? Il a l’air d’un type honnête et sérieux.
- Il l’est. C’est effectivement le seul qui m’a vraiment témoigné du soutien. Mais ça n’a pas changé grand-chose. Personne ne m’a tendu la main dans ma famille. Je crois d’ailleurs qu’elle n’attendait que ça pour couper définitivement les ponts avec moi. De me sentir aussi seul au monde, ça a probablement aggravé la maladie. Il n’a pas fallu longtemps pour que je commence à voir des gens qui n’étaient pas vraiment là.

 

13

 

Eric roulait à toute vitesse. Il se mit à siffloter. Il se sentait joyeux. Il savait qu’on lui laisserait le champ libre jusqu’à Wilkes-Barre. Il connaissait les rouages de la police et la police le connaissait suffisamment pour savoir de quoi il était capable.
- Il suffirait qu’ils envoient un sniper pour te liquider. Tu y as pensé, mon chou ?
Eric jeta un coup d’œil dans le rétro intérieur. Jenny l’aguichait sur la banquette arrière. Elle était vêtue d’un corsage moulant sa généreuse poitrine et d’une mini-jupe qui laissait entrevoir le galbe de ses cuisses blanches. Eric se souvint de bons moments passés avec elle. Mais cela lui fit plus de mal que de bien.
- Quand est-ce que t’es montée ?
- Elle est là depuis le début, renseigna Jimmy, assis à côté d’elle.
Eric préféra les ignorer tous les deux. Il voulait profiter au maximum de son sentiment de liberté.
Sur la droite, il repéra une jolie fille faisant du stop. Elle était aussi sexy et provocante que Jenny. Ses poings se resserrèrent sur le volant. Il ralentit pour la détailler à sa convenance. Pensant qu’il allait s’arrêter, la fille se fit plus aguichante encore.
- Depuis quand tu t’es pas fait une pute ? Je veux dire, depuis moi ?
Jenny avait délibérément employé un ton détaché, comme si elle parlait de la pluie et du beau temps. C’était sa marque de fabrique, sa signature.
Les mains d’Eric se crispèrent un peu plus sur le volant. Il s’arrêta à la hauteur de l’auto-stoppeuse.
- Ne la prends pas, dit Jimmy avec une autorité toujours surprenante pour son âge.
- Vous commencez vraiment à me faire chier, tous les deux !
Eric redémarra en faisant crisser ses pneus. La fille avait disparu, comme consumé par sa colère.
- On t’a jamais dit que tu l’ouvrais un peu trop pour ton âge ?
Eric jetait des regards courroucés dans le rétro intérieur à l’attention de ses deux passagers.
- T’es pas ma mère, fit Jimmy avec dédain.
- S’il te plait, me parle pas de ta mère. En parlant de pute, en voilà bien une, tiens !
- Tu parles de ta sœur, je te signale.
C’était Jenny. Jenny la chieuse. Eric la détestait quand elle le méprisait et cherchait à le rabaisser à tout prix.
- A mon grand regret, rétorqua Eric. Mais comment t’appelles une fille qui passe son temps dans des palaces à se faire allumer par le premier gigolo venu ? Et pendant ce temps, qui s’occupe de son fils, hein ? Qui s’occupe du petit Jimmy ?
Eric soupira.
- Ca fait peut-être mal d’entendre ça, mais ça vaut mieux que de se voiler la face.
- Je sais très bien m’occuper de moi, dit Jimmy avant de faire claquer une bulle de chewing-gum.
- Ah ouais ? Si c’était le cas, tu serais pas assis à l’arrière de cette caisse avec un tonton en fuite déguisé en flic ! Tu crois pas ?
Le silence de ses deux passagers finit par lui donner raison.
Eric jeta un coup d’œil à sa montre.
- Je commence à doucement me faire chier, moi.
Il plissa les yeux. Quelque chose à environ cent mètres semblait obstruer la route. Il ralentit et son visage se tordit sous le coup d’une vive émotion lorsqu’il comprit ce qu’il se passait.
- Les fils de pute !
Il arrêta la voiture et se passa la langue sur les lèvres. Il y avait six voitures de patrouille et deux fois plus d’hommes. Des policiers en uniforme, armés de 9 mm et de fusils à pompe. Il avait tué deux des leurs. C’était plus qu’une arrestation. C’était une vendetta. Un mégaphone cracha son ultimatum :
- Eric Schultz ! Sors de ton véhicule les mains sur la tête. Tu as dix secondes. Au moindre geste suspect ou si tu n’obtempères pas, nous ouvrons le feu. Il n’y aura pas d’autre avertissement.
Eric sourit. Il redémarra et s’empara de la radio.
- Vincent ?
- Je t’écoute, Eric.
Vincent se tourna vers Gary.
- Pourquoi il nous rappelle ?
Gary se concentrait sur la route, mais cela ne l’empêcha pas pour autant d’ironiser :
- Peut-être que le doux son de votre voix lui manque.
Vincent grimaça.
- Ecoutez-moi bien, toi et ton connard de chaperon. Vous voulez jouer au con avec, moi, alors on va jouer. Mais je peux vous assurer qu’à ce jeu-là, j’ai toujours une longueur d’avance. Vous auriez jamais dû me coller ce barrage. Vous le savez bien. Je sais pas pourquoi vous avez fait ça. Vous croyez vraiment que ça va m’arrêter ? Maintenant c’est œil pour œil. Je vais passer en mode méchant. Surveillez bien la radio, car on va pas tarder à annoncer un massacre en règle. Vous l’aurez cherché !
Eric coupa la communication. Il avait parlé rapidement, sans donner le temps de répliquer à ses interlocuteurs.
Vincent et Gary se dévisagèrent, éberlués, puis Gary se mit à assener de grands coups sur le volant.
- Merde ! Merde ! Merde ! Putain, mais quels cons ! Je leur avais dit de ne rien faire. Ils en ont fait qu’à leur tête ! Maintenant on va payer les pots cassés !
- Il va tous les tuer, dit Vincent en imaginant très bien la scène. Et le pire, c’est que ce ne sera qu’un avant-goût. Ensuite, il nous fera payer notre trahison envers lui.
- Putain ! rugit Gary. On l’avait. Tout était réglé, il a fallu que ces enfoirés jouent les cow-boys !
- On peut rien faire, hein ?
Gary faisait fonctionner son cerveau à plein régime. Il n’avait pas le droit d’échouer si près du but. Il repensa subitement à Rachel, sa femme et à ce qu’elle lui aurait dit en cette occasion. Son regard s’illumina.
- Rappelle Eric. Tu vas lui demander de nous donner les plaques d’immatriculation des voitures du barrage. On va identifier ces enfoirés et les remettre vite fait derrière leur bureau. Il faut qu’il comprenne qu’on rien à voir avec ça.
Vincent s’exécuta fébrilement. Il composa plusieurs fois le numéro. En vain. Ses traits se décomposèrent lorsqu’il comprit qu’Eric ne répondrait pas. Gary accéléra de plus belle. Mais ils savaient tous deux qu’en dépit de leurs efforts la situation était en train de leur échapper.
Eric se frotta les mains.
- On dirait que j’ai un peu de boulot. Fermez les yeux, les copains, ça va pas être joli à voir. Il jeta un coup d’œil à l’arrière, mais ses deux passagers avaient visiblement préféré prendre congé.
Eric s’en félicita. Ces deux pots de colle l’auraient gêné de toute façon. Il arrêta la voiture à trente mètres du barrage et défia les policiers du regard à travers le pare-brise.
- Venez m’arrêter. Je sais que vous allez venir. Vous préférez me faire la peau les yeux dans les yeux, au corps à corps, hein ? Je sais ce que c’est. C’est viscéral. Et puis, loin des yeux…
Eric s’esclaffa.
Quatre flics s’avancèrent, l’arme haute, le regard mauvais. Le premier voulut ouvrir la portière du passager, mais elle l’était déjà. D’un coup de pied, Eric l’ouvrit à la volée. Le flic fut violemment jeté au sol et son arme vola loin de lui. Une balle éclata la vitre. Eric reçut quelques éclats. Il secoua la tête avant de se jeter sur la banquette arrière. Les trois flics ouvrirent le feu à plusieurs reprises. Le pare-brise explosa et les sièges de l’habitacle furent criblés d’impacts. Le silence s’installa, seulement troublé par les craquements du moteur encore chaud et par la respiration haletante des policiers aux aguets. La main armée d’Eric apparut au-dessus de la vitre arrière droite. L’un des flics ouvrit la bouche pour alerter ses partenaires, mais la balle lui perfora la pomme d’Adam. Il s’écroula face contre terre. Les deux autres répliquèrent. Ils arrosèrent l’arrière de la voiture avant de s’apercevoir qu’il n’y avait plus personne à l’intérieur. L’un des flics reçut une balle dans chaque cheville. L’autre comprit alors que le tueur était allongé sous le véhicule. Il se coucha sur le sol et brandit son arme. Eric fut plus rapide. Il visa entre les yeux et le toucha mortellement.
Celui qui avait été assommé par la portière reprit connaissance. Sa main chercha son arme à tâtons sur le bitume. Une menotte se referma sur son poignet et il se retrouva attaché à la portière en un éclair. Impuissant, il regarda Eric ramasser son fusil à pompe.
- C’est sûrement ça que tu veux ?
Le tueur le dominait de toute sa hauteur. Du sang avait éclaboussé son uniforme. Maintenant cela n’avait plus aucune importance. Il contempla l’arme entre ses mains. Il l’embrassa avant de se fendre d’un sourire carnassier.
- J’adore ce jouet !
Le flic tendit ses mains devant lui en un rempart illusoire.
- Faites pas ça. J’ai une femme et elle est enceinte. Je vous en supplie. J’obéis juste aux ordres.
Eric opina.
- Je comprends, petit. Moi aussi. Mais question hiérarchie, je suis légèrement au-dessus de toi.
Il lui colla le canon sous l’œil droit et appuya sur la détente.

 

14


Gary roulait à une vitesse indécente même pour un agent du FBI comme lui. Trop occupé à éviter un accident, il demanda à Vincent de contacter la police de Philadelphie.
- L'idée c'est de leur passer un savon, c'est ça ?
Gary acquiesça.
- Ils vont aussi devoir ramasser les morceaux avec nous.
Lorsque Vincent parvint à s'entretenir avec un responsable, les deux hommes furent ébranlés par son explication :
- J'ai envoyé personne sur cette route, vous pouvez me croire. On a bien reçu les consignes et on connaît suffisamment Schultz pour ne pas le provoquer sur son propre terrain.
- Vous êtes certain ?
- Je vous le répète : je n'ai mis aucun barrage en place. Il a libre accès jusqu'à Wilkes-Barre.
- Merci, dit Vincent  lorqu'il eut repris ses esprits. Vous pouvez pas savoir combien ça nous soulage.
Gary ralentit un peu et s'affaissa sur son siège en soupirant.
- Merci, mon Dieu.
- Vous êtes croyant ? s'enquit Vincent.
Gary sourit nerveusement.
- Non, mais parfois la tentation est grande.

Gary se passa une main sur le front comme pour se faire à une terrifiante idée.
Comme s'il avait lu dans ses pensées, Vincent opina du chef avant de déclarer :
- Oui, Eric est capable de ça. Imaginez de quoi il pourrait être capable si nous le poussions dans ses derniers retranchements.
La perspecive d'affronter Schultz n'apparaissait plus aussi séduisante à Gary, il devait bien l'admettre.
- Il ne va sûrement pas nous donner le choix.
Il s'accorda un délai de réflexion avant d'ajouter avec espoir :
- Je peux donner l'ordre de faire évacuer l'aéroport.
Vincent se râcla bruyamment la gorge.
- Mauvaise idée. Ca reviendrait au même pour lui que d'installer un barrage.
- Evidemment. Il veut qu'on le voit chasser sur le terrain de son choix, mais interdiction de modifier les règles de son jeu.
Vincent acquiesca :
- Vous commencez à bien le cerner. Ce ne sera pas du luxe.
Gary se cramponna à son volant comme pour transmettre plus d'énergie à son véhicule :
- Je compte faire plus que le cerner.

 

15

 

Eric venait de reprendre la route. Il se recoiffa d'une main et examina son uniforme. Il constata avec étonnement qu'il n'était plus taché de sang.
Il oublia vite ce détail insolite en pensant à la foule qui l'attendait à l'aéroport. La fête allait bientôt avoir lieu et c'est lui qui aurait l'honneur de donner le coup d'envoi.

En arrivant sur les lieux, peu de temps après, il fut déçu de trouver aussi peu de monde. Des gens allaient et venaient bien dans le hall, mais l'impression générale ne le satisfaisait pas vraiment.
- Qu'est-ce que tu aurais voulu ? Des strip-teaseuses ?
Une bulle rose sortit des lèvres de Jimmy.
Eric ne lui adressa pas même un regard.
- Tiens, te revoilà, toi ! Me dis pas que l'autre cinglée est avec toi !
L'intéressé ne répondit pas.
- Très bien, fit Eric. Tu commences à devenir un gentil garçon. Si tu continues à être sage, je t'emmènerais peut-être faire un tour en avion.
- Tu sais piloter ?
- Non, mais je trouverai bien quelqu'un pour nous emmener. Je sais être très convaincant, tu sais. Surtout quand je veux faire plaisir à un ami.
- Je te demande juste de ne pas tuer d'hôtesses de l'air.
- Pourquoi je ferai ça ? s'indigna Eric. J'adore les hôtesses de l'air. C'est grâce à elles que la plupart des gens oublient qu'ils peuvent mourir en avion. Ce sont des anges. Et moi, les anges, je les respecte.
- Ca veut dire que tu vas juste les faire souffrir.
Eric regarda enfin le jeune garçon. Il haussa les épaules en soupirant.
- Tu me connais, Jimmy. J'ai besoin d'un contact physique privilégié avec les gens. Je suis comme ça. Faut que je les touche pour me sentir réel.
- Tu pourrais juste...je sais pas moi...leur serrer la main ou leur faire la bise.
- Dis, si c'est pour me sortir des conneries de ce genre, tu peux aller voir ailleurs si j'y suis. Tu le veux ce tour en avion, oui ou non ?
Jimmy secoua rapidement la tête.
- Bon, alors tu la boucles et tu me laisses faire connaissance à ma manière. C'est dingue, ça ! C'est quand on me rend nerveux comme ça que je mets à faire n'importe quoi. Et après, on me reproche d'avoir dépassé les limites. Je suis un type raisonnable. Mais si on m'emmerde, si on critique mes habitudes, forcément je deviens irritable. C'est normal. Faut se mettre un peu à ma place. J'ai pas une vie facile. Je dirais même plus, personne n'aurait envie d'avoir la vie que j'ai. Non, Personne.
Une fillette l'observait parler tout seul avec amusement. Elle lui sourit.
- Dis, monsieur, tu parles à qui ? A des fantômes ?
Eric se baissa et lui sourit à son tour.
- Non, Jimmy, aucune hôtesse.

 

16

 

Gary gara le Landcruiser sur le parking de l'aéroport. Vincent sortit de la voiture et regarda autour delui d'un air ahuri :
- Mais...le parking est vide. On est au bon endroit, vous êtes sûr ?
Gary le rejoignit. Il sourit.
- J'ai fait évacuer les lieux.
Vincent faillit avaler sa langue.
- Quoi ? Mais vous êtes complètement malade !
- Vous avez le droit de le penser, mais je sais très bien ce que je fais.
- Mais tout à l'heure...
- De la pure stratégie. Quand on a appris que le barrage était seulement l'oeuvre de Schultz, j'ai su que j'avais fait le bon choix. Il espérait rencontrer un obstacle sur la route, donc il l'a imaginé. Il ne s'attend pas à trouver l'aéroport vide, donc il va s'employer à le remplir. Tretco a été très clair avec moi à ce sujet. Le pouvoir d'Eric n'a que les limites de son imagination.
- Mais vous êtes complètement inconscient. La maladie de Schultz n'est pas une science exacte.
- Vous ne jouez jamais au poker ?
- Jamais avec la vie des gens !
- Moi non, plus. C'est pour ça que j'adore le poker.
Vincent fusilla l'agent du regard et pointa un index menaçant dans sa direction :
- Si jamais on s'en sort vivant, je vous jure que je...
- Suivez-moi au lieu d'essayer de dire des âneries.
Vincent ne supportait pas de s'être fait avoir de la sorte. Son visage s'empourpra :
- Et puis d'abord, quand est-ce que vous avez appelé pour évacuer l'aéroport ? On a passé la journée collés l'un à l'autre.
Tout en se dirigeant vers les portes du hall, Gary lui lança un regard amusé :
- Vous oubliez le moment où vous avez vomi votre sandwich.
Lorsqu'ils entrèrent dans le hall, ils purent mesurer combien les autorités avaient bien fait leur boulot.
- Pas un chat, observa Vincent avec inquiétude.
- Oui, mais où est Schultz ? s'enquit Gary.
Vincent marcha soudain dans une direction précise.
- Il est aux toilettes.
- Qu'en savez-vous ?
- Mon petit doigt qui me l'a dit.
- Ce ne serait pas plutôt une jolie femme avec un chignon et un manteau gris ?
- Dois-je en conclure que celle que j'ai vu à la station-service n'existait pas ?
Vincent n'était pas dupe de sa propre pathologie ce qui le rendait encore plus attachant. Gary en fut peiné. Il n'avait pas toujours été très tendre avec lui. Il allait s'en excuser lorsqu'ils arrivèrent devant les toilettes.
Gary saisit aussitôt son arme et posa un doigt sur sa bouche pour intimer le silence à son partenaire. Il avait à peine posé sa main sur la poignée que la porte que celle-ci s'ouvrit à la volée. Schultz se rua sur l'agent et le mit à terre. Un coup de feu éclata. Les deux hommes luttèrent pour la possession de l'arme. Eric jubilait.
- La sécurité va rappliquer et vous foutre des bâtons dans les roues. Vous êtes deux beaux minables.
Après un instant d'hésitation, Vincent frappa le tueur dans le dos à plusieurs reprises pour lui faire lâcher prise. Eric semblait totalement insensible à la douleur. Il fronça les sourcils en apercevant Jimmy du coin de l'oeil.
- Tire-toi de là ! C'est pas un spectacle pour les gosses !
Vincent se figea :
- Quoi ?
Eric en profita pour lui envoyer son talon gauche dans les parties. Vincent se plia en deux sous le choc. Une nouvelle détonation se fit entendre.
Schultz se redressa et s'enfuit en courant. Une main plaquée sur l'entrejambe, Vincent vint s'enquérir de l'état de son partenaire.
- Ca va, Gary ?
Il s'épouvanta en voyant ses vêtements tachés de sang.
- Ca va, fit Gary en serrant les dents. Il va juste me ruiner en pressing. Rattrapez-le. Il ne faut pas qu'il s'échappe d'ici.
Vincent lui serra l'épaule.
- Comptez sur moi, il n'ira pas loin.
A ces mots, il ramassa le pistolet et s'élança à la poursuite du tueur.
Eric se frayait un chemin dans la foule devenue soudain plus dense, comme un fait exprès.
- Poussez-vous ! rugit-il.
Il tomba sur trois agents de sécurité.
- Un problème, monsieur ?
Eric tourna la tête. Vincent arrivait droit sur lui. Il avait l'air très déterminé.
- Un type un peu collant. Ca doit être pour ça qu'il se prend pour un super héros.
Les hommes furent insensibles à son humour.
- Vous voulez qu'on vous en débarrasse ?
Eric réfléchit un instant.
- Ouais. Mais faites-ça discrètement. Je vais en profiter pour le baratiner.
Il se retourna et se planta devant Vincent, armé d'un sourire inquiétant qui se voulait amical.
- Ca va tes couilles ?
Vincent secoua la tête en grimaçant.
- Désolé pour l'accueil, reprit Eric, mais si je t'avais simplement dit bonjour, tu aurais pris ça pour une embuscade. Je suis pas hypocrite.
Vincent se redressa comme pour se montrer à la hauteur du défi qui s'annonçait.
- Non, juste Schizophrène. J'imagine que c'est moins grave.
- J'aime pas ton humour, Faulk.
- Désolé, mais le service psychiatrique du Dickinson Mental Health Center ne m'a pas aidé à le bonifier.
Cette allusion détendit quelque peu Schultz.
- Ils t'ont bourré de médocs, hein ? C'est tout ce qu'ils savent faire. Pour eux, on est des animaux d'une espèce inconnue. Ils savent pas où nous ranger, alors ils font comme si ils savaient. Mais on est à part, tu sais. C'est normal qu'on fasse des conneries. Faut le temps d'apprendre à se connaitre.
- Tu pouvais apprendre autrement qu'en tuant des innocents. Moi j'ai fait un autre choix.
- Non, t'as juste obéi à ta conscience. Le choix de l'évidence, c'est pas un choix. Moi je choisis pas non plus. Je fais selon mon coeur. Tu devrais jeter ton flingue. La sécurité est derrière toi.
Vincent sentit qu'il perdait son assurance. Ce n'était pourtant guère le moment. Heureusement, c'est ce moment que choisit Gary pour venir à la rescousse.
Sa blessure était moins grave qu'il n'y paraissait. Vincent en fut soulagé. L'agent s'appuya contre une colonne et murmura avec gravité :
- Vous allez répéter mot pour mot tout ce que je vais vous dire.
- Tu sais aussi bien que moi qu'il n'y a personne à part nous, déclara soudain Vincent avec autorité.
Schultz le toisa avec dédain.
- Ne te prétends pas supérieur à moi. J'ai plus d'expérience que toi, mon vieux.
- Si par expérience, tu entends victimes au compteur, alors oui, tu es plus expérimenté que moi.
Schultz le braqua avec son pistolet de flic.
- Tu me sous-estimes, ça se voit. Tu me prends pour le méchant de l'histoire et tu te dis que ça suffit à faire de toi un héros.
- Oui, dans les grandes lignes, c'est comme ça que je vois les choses. Mais ça veut pas dire que j'ai pas envie que tu t'en sortes.
- Arrête, tu vas me faire pleurer. Je suis très sensible.
- Je sais. Sinon, tu aurais oublié depuis longtemps ce que ton grand-père t'a fait.
- Ah ! J'imagine que ça c'est ta botte secrète. C'est le moment où je vais m'apitoyer sur moi-même en m...
Le regard de Schultz se troubla.
- Putain, vous l'avez amené ici avec vous ! Mais vous êtes des sales fils de put...
Ses yeux étaient visiblement fixés sur son ancien tortionnaire.
- Qu'est-ce que tu fous là, salopard ! Tu veux finir le boulot, hein ? Tu veux ma peau ?
Le pistolet tremblait dans la main d'Eric.
- C'est moi qui vais te la prendre, vieil enfoiré ! Et je vais faire ça lentement, en souvenir du bon vieux temps.  
Vincent s'approcha lentement d'Eric. L'illusion pouvait disparaître à tout instant. Le temps était compté.
Eric pleurait malgré lui. Il soufflait comme pour mieux résister à la vague d'émotions qui le submergeait.
- T'es venu me demander pardon, c'est ça ? Tu crois que je suis assez cinglé pour accepter ? Jamais je te pardonnerai. La torture, c'est pas défendable. Tu aurais dû me tuer. Au lieu de m'élever, tu m'as rabaissé. Je suis devenu un reptile à cause de toi. J'ai passé ma vie à ramper comme un serpent et à me camoufler comme un putain de caméléon !
Eric ne faisait plus du tout attention à Gary et à Vincent qui en avait profité pour se rapprocher de lui. Encore quelques secondes et il pourrait le neutraliser. Mais c'est alors qu'Eric pointa son arme vers lui avec un visage impassible. Toute trace de souffrance avait disparu.
- J'ai pas oublié ce que m'a fait ce vieux salaud. Mais c'est pas pour autant que j'ai envie de revoir sa gueule.
Vincent comprit à cet instant qu'il avait effectivement sous-estimé Eric. Et il allait sûrement le payer au prix fort.
- Tu pointes ton flingue comme si c'était ta queue, mon chou. T'es chargé, tu crois ?
Eric ouvrit de grands yeux en reconnaissant la voix.
- Jenny, mais qu'est-ce que tu f...
La belle rousse l'observait. Elle se tenait contre une colonne dans une pose très glamour.
- C'est la fin pour toi, tu le sais. Tu as fait ce qu'il fallait pour.
Eric voulait l'ignorer, mais il en fut incapable. Peut-être parce qu'il sentait qu'elle était dans le vrai.
- Tu m'as bien aidé à en arriver là. On aurait pu être tellement heureux ensemble.
- Alors pourquoi tu m'as tuée ?
Sous le coup de la surprise, Eric baissa son arme.
- Quoi ?
- Je suis morte et tu le sais.
Jenny tira une bouffée de sa cigarette. On aurait dit une actrice des années cinquante.
- Tu n'as qu'un seul moyen de trouver le salut, mon chou. Un seul.
Elle mima une arme avec sa main libre et se toucha la tempe du bout des doigts.
Eric prit une grande inspiration.
- Si je le fais, ce sera pour me libérer de toi.
Vincent se jeta sur lui pour le désarmer, mais Eric n'eut qu'un geste à faire. Il retourna l'arme contre lui et pressa la détente. Le tueur s'écroula, touché à la poitrine. Jimmy s'agenouilla aussitôt près de lui, les larmes aux yeux :
- Je te jure que j'y suis pour rien ! Je te le jure !
Eric posa une main sur la casquette du garçon avant de lui adresser un dernier regard empli de tendresse :
- Je sais, Jimmy. Je sais.
Il lui serra la main.
- Accroche-toi, fiston. On va décoller.
Puis sa tête bascula en arrière et ses yeux se fermèrent.
Après avoir constaté sa mort, Vincent alla rejoindre Gary pour s'enquérir de son état et le remercier d'avoir joué les entremetteurs. Il ne le trouva pas. Il avait dû en profiter pour appeler des renforts car plusieurs voitures de police arrivèrent sur les lieux et une vingtaine d'hommes bouclèrent rapidement la zone.
Vincent s'adressa directement au chef :
- Je cherche Gary Chase, l'agent du FBI qui était avec moi.
Son interlocuteur posa une main sur son épaule avant d'indiquer du menton un brancard.
- Désolé, il s'en est pas sorti.
Vincent sentit le monde chavirer autour de lui. Il ne comprenait pas. La blessure était insignifiante. Il l'avait vu de ses yeux !
- Où l'avez-vous trouvé ?
- Devant la porte des toilettes. La balle a atteint directement le coeur. Il n'a pas souffert.

 

17



Vincent dévisagea son visiteur. Il aurait voulu dire tellement de choses sur Gary, mais le fait qu'il n'y parvenait pas n'était lié d'aucune manière au peu de temps qu'ils avaient passé ensemble.
- Je suis content de l'avoir connu, dit-il simplement.
Ted Meyers le gratifia d'un sourire amène. Il sentit que cela ne servait à rien de s'éterniser. Il se leva et se dirigea vers la porte.
Une question s'échappa alors des lèvres de Vincent :
- Il vous a parlé de l'accident de voiture de sa femme ?
L'ancien supérieur de Gary soupira longuement.
- Non. Jamais.
Puis il quitta la chambre du Dickinson Mental Health Center.
Vincent se retrouva à nouveau seul, assis sur son lit. Seul avec ses démons.
Il commença à sangloter. Il s'arrêta subitement en sentant quelque chose toucher doucement sa main droite. Il ouvrit les yeux. Sa douleur s'estompa aussitôt. Il releva la tête. Face à lui se tenait Gary Chase. Et il lui souriait.
- Vous êtes le meilleur de tous.

 

 

 

T’as aimé…ou pas

T’as tout lu, tout vu, tout entendu…ou pas

Peu importe, post un com et like la page pour dire que tu existes car ton avis est important pour moi, mais aussi pour le futur de ce blog, un gros merci d’avance !

Killer Scoop : L'émission qui tue [Nouvelles/Anticipations]

 

 

 

 

Emission N° 12 – 3ème jour

 

- Mme Bertrand, cela fait trois jours que l’émission a commencé. Le record, détenu par Monsieur Sanchez, est de cinq jours. Nous avons reçu beaucoup de questions de spectateurs, de téléspectateurs et même de certaines agences de presse qui suivent votre parcours avec beaucoup d’intérêt. Parmi ces nombreuses questions, trois sont revenues plus particulièrement. Je me permets de vous les poser : Est-ce que vous pensez faire mieux que Monsieur Sanchez ? Est-ce que vous pensez que vous avez eu de la chance jusqu’à maintenant ou que c’est grâce à votre prudence que vous avez survécu ? Et dernière question :

Si vous gagnez le montant de la cagnotte qui s’élève maintenant à 120 000 Euros, qu’allez-vous en faire ?

 

Mme Bertrand était visible sur l’écran géant du plateau. Elle était assise dans une cuisine. C’était une fort jolie femme de 45 ans, blonde, élancée, des yeux bleus à damner un saint. Comme à son habitude, elle baissa sensiblement la tête pour répondre :

- Je… je me contenterais de dire que c’est uniquement pour mes enfants que je joue. Comme vous le savez, j’ai 45 ans et j’ai énormément de mal à trouver du travail. Que je pâtisse de mon âge c’est une chose, que mes enfants en souffrent, c’en est une autre. Je ne veux plus les voir malheureux. Et je veux encore moins les perdre. Cela en dit assez long je crois.

La jeune femme se leva de table. Elle paraissait fragile. Trop.

 

Edouard Ventura redoutait que la réponse manque cruellement d’émotions. L’audimat était intraitable là-dessus. Quelques mots bien sentis dans son oreillette le lui confirmèrent.

 

- Mme Bertrand, une dernière chose s’il vous plaît et je vous laisse en paix. Sans vouloir le moins du monde douter de vos chances de succès, il apparaît quand même que vous semblez une proie plutôt facile pour notre tueur.

 

La caméra opéra un zoom avant sur l’intéressée qui tournait le dos à l’objectif.
Lorsqu’elle tourna son visage, ses yeux bleus étaient emplis de larmes et ses lèvres étaient secouées de spasmes :

- Une proie facile ! C’est comme ça que vous me définissez, c’est comme ça que vous me voyez ! Essayez d’enlever ses petits à une femelle, qu’elle quelle soit, et vous verrez si c’est une proie facile !

Elle sortit du champ.

Et Edouard Ventura afficha son plus beau sourire.

 

- Non, il faut que le tueur agisse cette nuit.

Il était 16H00. L’heure de la Grande Réunion. La télé diffusait les meilleurs moments des émissions précédentes, ce qui permettait de débattre en toute tranquillité sans perdre pour autant une miette d’audience. Parmi cette sélection gratinée, il y avait le moment où Francis Bonneval, garagiste à Toulouse, avait pris son fusil pour se défendre et s’était malencontreusement tiré une balle dans le pied. Un autre où Monsieur P. avait exécuté un malheureux clochard qu’il avait pris pour le tueur. Avant de se faire lui-même poignardé. Il y avait aussi bien entendu des instants plus dramatiques comme lorsque Mme Anne Hermann s’était fait prendre par surprise dans sa salle de bains. Le tueur avait rejoué « Psychose » pour la plus grande joie des fans et ce jour-là l’audimat avait explosé.

Et Edouard Ventura comptait bien réitérer l’exploit.

Le jeune Jérôme Monnet secoua la tête.

- Non, pas cette nuit. Si tu le fais intervenir cette nuit, elle y passera à coup sûr et du coup elle ne touchera pas la cagnotte. Depuis le début de l’émission, la cagnotte n’a été remportée que deux fois. Et la dernière fois, ça remonte à  la cinquième émission. Les candidats sérieux commencent à manquer. Il faut leur montrer qu’ils ont une chance. L’audience marche bien, mais ça pourrait changer si c’est toujours nous qui gagnons.

Edouard dévisagea Jérôme avec gravité. Il l’aimait bien. C’était un jeune gars intelligent et sensible. Peut-être un  peu trop.

-  C’est très bien vu et je te remercie de tes observations. Mais rien n’oblige le tueur à en finir cette nuit. Il peut très bien jouer au chat et à la souris avec elle. Ce serait même l’idéal. Cela satisferait tout le monde.

Edouard vit qu’il n’avait pas ôté tous les doutes de son employé.

- Qu’est-ce qu’il y a encore ?

- Tu es sûr qu’il est sous contrôle ? Je veux dire… Je trouve qu’il y a quand même eu des débordements. Lorsqu’il a tué les enfants de Mme Klein par exemple. C’était elle qui était  visée. Et il n’y a pas été de main morte avec eux. Ce n’était pas prévu, ce n’était pas dans le script. Et la fois où il a égorgé le doberman de Monsieur Bouvier. Tu ne vas pas me dire que ça ne pouvait pas être évité. On a reçu des plaintes. La SPA a failli gagner son procès. Ca pas été facile de leur faire gober que c’était un animatronique.

Edouard sourit en repensant aux scènes évoquées.

- Ces gamins auraient dû dormir à cette heure-là. Ils n’avaient pas dix ans. Quant à ce chien, et bien… c’est Bouvier qui a déconné si tu regardes bien. Il ne nous a jamais dit qu’il avait un putain de molosse. Eddy n’a pas eu le choix. T’aurais préféré qu’il se laisse bouffer peut-être ? Bonjour la crédibilité ! Est-ce qu’Hannibal Lechter se laisserait emmerder par un clebs ?

Jérôme lança un regard noir à son supérieur.

- Hannibal Lechter est un tueur fictif.

Edouard sentit qu’il avait encore du chemin à faire pour le convaincre.

- Ecoute, tu viens de le dire toi-même. Eddy n’est pas un acteur. C’est un vrai tueur. Il a ça dans le sang. Le fait que rien ne soit truqué  garantit une qualité constante de l’émission. On s’était mis d’accord là-dessus dès le départ. Sur M16, ils ont pris des comédiens, ils ont bidouillé les scènes de meurtre. T’as vu le résultat ? TéléFun ce n’est pas M16 ou Canal Flux ! Nous, on triche pas avec le public.

Jérôme grimaça :

- Mais c’est normal que ça n’ait pas marché sur les autres chaînes. Leur sang ressemblait à de la gelée de groseille. Quant au tueur… Son masque prêtait plus à rire qu’à autre chose.

Edouard crut bon de brosser son équipier dans le sens du poil.

 - Bon, j’admets qu’Eddy a un peu trop improvisé ces derniers temps. Mais ne t’en fais pas. On graisse la patte à suffisamment de monde pour avoir les coudées franches. Les gens veulent du spectaculaire, de l’inattendu. Un peu d’imprévu ne peut pas nous faire de mal, bien au contraire. Si ça peut te rassurer, je te promets de briefer sérieusement Eddy pour cette nuit. Il donnera des sueurs froides à tout le monde, mais il n’abîmera pas Mme Bertrand. J’y veillerai personnellement.

Jérôme soupira.

- Ok. Je te remercie, Edouard.

- Dis-moi, je te trouve bien sentimental. Enfin, plus que d’habitude. Tu n’aurais pas des vues sur notre candidate, par hasard ?

Le visage de Jérôme s’empourpra et il baissa la tête.

Edouard éclata de rire avant de reprendre brusquement son sérieux.

- Ce sera cette nuit et ce sera dans la maison. Le tueur portera un masque blanc, très simple mais très efficace. Il va apparaître brusquement, surgissant des ombres où personne ne l’attendait. On va leur rejouer « Halloween ». Ils aiment les références cinématographiques. Ils vont être servis.

 

Il était

21H30.

Mme Bertrand était installée dans son salon. Son visage était invisible derrière la couverture d’une très célèbre revue féminine qu’elle feignait sûrement de lire. L’émission générait énormément d’argent, mais entre les procès et les droits d’exploitations divers, les sponsors étaient vitaux.

On annonça que la liaison venait de se faire.

Edouard Ventura avait troqué son ensemble écru contre un superbe costume noir à paillettes.

Les fidèles de l’émission savaient que cela ne pouvait signifier qu’une chose : il allait se passer quelque chose d’excitant dans très peu de temps. C’est Edouard qui avait trouvé cette astuce dès la troisième émission. Cela permettait d’intensifier l’attention des spectateurs et de créer une sorte de complicité implicite avec le public.

 

- Mme Bertrand, comment vous sentez-vous ?

L’intéressée posa la revue qu’elle feuilletait et plongea ses beaux yeux bleus dans l’objectif.

Elle avait coupé ses beaux cheveux blonds qui auparavant cascadaient jusqu’au bas de son dos.

- Je me sens sereine, Edouard. Oui, très sereine.

Un frémissement agita l’assistance.

Même Edouard ne put cacher son trouble.

- Ma…Madame Bertrand…

- Je vous en prie, appelez-moi Lise.

- Et bien, Lise, c’est une véritable transformation. On peut connaître les motifs d’un tel changement ? Un changement aussi physique que psychologique, si je ne m’abuse.

Lise sourit.

- Vous avez raison. J’ai pris sur moi, voilà tout. Il faut que je gagne. C’est sans doute la seule occasion que j’ai de me mettre, moi et mes enfants, à l’abri du besoin. Je ferai tout ce qui est humainement possible pour remporter la partie. Quant à mes cheveux…

Lise prit une mèche blonde entre ses doigts délicats.

-… Je suppose que c’est pour éviter au tueur de me les arracher.

Des rires éclatèrent. Edouard fit écho, mais le cœur n’y était pas. Ce revirement n’était pas fait pour le rassurer. Mais il tint à saluer le courage de la candidate.

- Ma… Lise, vous pouvez vous vanter de nous surprendre. Il est évident que vous avez mis toutes vos chances de vôtre côté. Après avoir déménagé plusieurs fois, changé de noms, voilà que vous changez de visage. Nous sommes de tout cœur avec vous et à la place du tueur, je réfléchirais à deux fois avant de me lancer à vos trousses !

A nouveau l’assistance fit entendre des rires soutenus.

- Sachez, ma chère lise, que 63% du public vous donne vainqueur. C’est énorme. Même Monsieur Sanchez n’a pas obtenu un tel pourcentage. Et vous n’êtes pas sans ignorer que le public se trompe rarement.

Lise sourit de plus belle.

- Je ferai en sorte d’honorer cet encourageant pronostic, merci.

- Bon, même si nous sommes rassurés quant à  votre détermination, espérons tout de même que le tueur ne parvienne pas à vous débusquer.

L’expression de Lise s’altéra. Elle jeta un regard glacial à la caméra.

- Ne me prenez pas pour une idiote. Je sais très bien qu’il me trouvera. Il trouve toujours ses victimes. C’est le but du jeu, non ? Il faut un minimum d’adrénaline pour remplir les quotas. Il viendra et il viendra cette nuit.

Il fallut toute son expérience et sa discipline à Edouard Ventura pour dissimuler la consternation qui fut la sienne.

- Et qu’est-ce qui vous fait dire qu’il viendra cette nuit ?

Lise sourit à nouveau.

-  Voyons, Edouard. Vous avez mis votre costume noir à paillettes.

L’explosion de rire de l’assistance fut la goutte d’eau pour Edouard.

- Bon, et bien nous verrons. En attendant, je vous propose de nous retrouver après une courte page de publicité.

 

- La salope ! La salope !

Edouard entra dans son bureau. Il était fou de rage.

Il jeta sa cravate, pailletée elle aussi, et déboutonna son col.

Jérôme Monnet était assis devant un moniteur. Il avait tout suivi. Et il affichait une mine réjouissante.

- Elle était sublime.

Edouard se servit un Whisky et s’assit.

-  Elle m’a tourné en ridicule. « Ne me prenez pas pour une idiote », mima-t-il. C’est plutôt elle qui m’a pris pour un con, ouais ! La garce, elle sait pas ce qui l’attend !

Il vida son verre d’un trait et se resservit.

Le visage de Jérôme se rembrunit subitement.

- Qu’est-ce que vous allez faire ? Vous n’allez quand même pas la punir de défier la mort. On avait besoin d’une femme forte, d’une candidate qui en a. Jusqu’à maintenant on avait eu droit qu’à des pleurnicheuses incapables de surmonter leur peur. Les gens aiment les références, vous vous souvenez ? Ce sont vos mots. Ils vont voir en Lise Bertrand une Jeanne d’Arc, une Sarah Connor, une Helen Ripley, une Clarice Starling!

Edouard leva un sourcil.

- Helen qui ?

- La survivante du Nostromo.

Edouard haussa l’autre sourcil.

- L’héroïne d’Alien ! Vous oubliez vos classiques, Edouard.

Edouard vida son verre.

- J’oublie rien du tout. Si elle veut un monstre à sa hauteur, je peux te jurer qu’elle va l’avoir.

 

22H00.

 

- Jérôme, qu’est-ce qui se passe ? Je ne vois rien. On est pourtant en liaison, non ? Dis-moi que ce n’est pas la caméra qui déconne ?

Edouard Ventura transpirait. Il sentait que quelque chose ne tournait pas rond.

- Jérôme ?! Je suis en direct, merde !

Sitôt après, il offrit son sourire le plus vendeur à l’assistance présente ainsi qu’à la caméra braquée sur lui.

- Fidèles téléspectateurs, il semblerait que nous souffrions d’un petit problème technique.

- C’est pas un problème technique, fit la voix de Jérôme dans son oreillette.

- Comment ça?!

- Lise a coupé l’électricité.

- Quoi ?! Mais elle a pété les plombs !

- Oui, on pourrait le penser. En fait c’est plutôt malin de sa part. Le tueur va avoir du mal à la localiser dans le noir. Elle, elle connaît la disposition des lieux par cœur. Le jeu du chat et de la souris, oui, mais toute la question est de savoir qui va être la souris.

- Mais, merde, fulmina Edouard en jetant des sourires crispés au public, c’était pas ce qui était censé se passer !

- Vous vouliez de l’imprévu, non ?

Edouard poussa un soupir. Il fallait faire face. Il n’avait pas le choix.

- Pour des raisons, purement tactiques, annonça-t-il, il semblerait que Lise Bertrand ait choisi de se terrer dans le noir afin de mieux se soustraire aux attaques du tueur. Très ingénieux, ajouta-t-il en serrant les dents. Heureusement, l’équipe technique de Killer Scoop a tout prévu.

Les caméras sont équipées de dispositifs infrarouges qui vont nous permettre de suivre les évènements. Si le tueur décide de frapper cette nuit, nous ne le manquerons pas.

Edouard se tourna brièvement, le temps pour lui de se tamponner le front et les tempes à l’aide d’un mouchoir.

- Voyons où se cache cette facétieuse Mme Bertrand.

Sur l’écran, les différentes pièces de l’appartement apparurent dans des tons verts phosphorescents.

- Lise ? Vous m’entendez ? C’est Edouard Ventura. Nous sommes en direct. Nous aimerions recueillir vos impressions. Le public, qui vous soutient je vous le rappelle, serait très heureux de pouvoir connaître vos sentiments et vos intentions.

Jérôme Monnet se retint de rire. Ce connard d’Edouard tendait une carotte un peu trop grosse. Lise n’allait pas mordre à l’appât comme ça. Contrairement à lui, le présentateur n’avait pas encore mesuré le degré d’implication de la candidate. Elle était elle-même en train de se faire prédateur. Maintenant c’était œil pour œil, dent pour dent. A l’idée que le tueur puisse se faire dessouder par une mère de famille, un sourire s’élargit sur son visage juvénile.

«  Pourvu qu’elle tienne le coup ! » Heureusement qu’il n’y avait pas de micro dans son crâne. Si Edouard pouvait entendre ne serait-ce que le quart de ce qu’il pensait, il se ferait virer sur le champ avec pertes et fracas. Ou pire. Il le livrerait au tueur lors d’une prochaine émission.

Il pouffa avant de prendre une grande inspiration. Non. Ce n’était guère le moment de déconner. C’était un moment crucial. Il fallait qu’il reste concentré. « Allez Lise, je suis avec toi ! »

 

Soudain tout le monde se figea. Spectateurs, techniciens, tous retinrent leur souffle en apercevant une silhouette apparaître derrière une fenêtre du salon.

Edouard  attendit sagement que la tension monte avant de déclarer :

- Mesdames et messieurs, je crois que notre tueur est sur le point de faire son entrée. «  Numérote tes abattis, ma cocotte. Tu sais pas à qui t’as à affaire. Eddy va te débusquer en moins de deux et te faire ravaler ta fierté à deux balles ! »

Heureusement qu’il n’y avait pas de micro dans son crâne. Si le public pouvait entendre ne serait-ce que le quart de ce qu’il pensait, il se ferait lyncher sur le champ.

Le tueur plongea un bras dans un carreau sans se soucier du bruit. Il se saisit de la poignée et la manipula. L’instant d’après, il était dans le salon, sa lame de couteau de cuisine faisant comme un éclair dans sa main gantée.

Il étudia la pièce avant de se diriger vers le couloir. Un craquement provenant de l’étage fut audible par tout le monde. Le tueur emprunta l’escalier. C’était un homme corpulent. Physiquement, Lise Bertrand ne pouvait rivaliser avec lui.

Il arriva sur le palier. La chambre de Lise était tout près. Il saisit la poignée de la porte, l’ouvrit sans un bruit et entra. Tout le monde écarquilla les yeux en repérant une forme allongée sous les couvertures.

«  Elle n’est pas assez stupide pour s’endormir après tout ce qu’elle nous a dit ! » songea Edouard.

De son côté, Jérôme se faisait la même réflexion. « C’est un piège. Et il est tombé en plein dedans. »

Edouard changea de canal.

«  Eddy, elle se fout de ta gueule. Tire-toi d’ici. T’auras l’air de quoi une fois que t’auras éventré un traversin ? »

Eddy ne répondit pas. Il se contenta de faire volte-face et de se diriger vers la porte. A la stupeur de tous, Lise Bertrand jaillit du lit dans un grand envol de couvertures avant de se jeter sur le tueur. Il y eut un cri et le tueur s’abattit violemment contre l’armoire.

Lise Bertrand apparut face caméra, le visage déformé par une expression de sauvagerie insoupçonnée. Dans sa main droite, elle tenait un pic à glace.

«  La salope ! jura Edouard. Elle nous a fait sa version de Basic Instinct. Quelle merde !

Jérôme se leva en faisant éclater sa joie tandis que l’assistance produisait un concert de clameurs de toutes sortes.

Edouard se ressaisit rapidement. Il changea à nouveau de canal. « Plan B pour tout le monde ! Je répète : plan B pour tout le monde ! »

Alors que le visage de Lise Bertrand remplissait tout l’écran, tout le monde put voir le changement radical de son expression. Elle semblait stupéfaite.

- Je l’ai tué. Je l’ai tué.

Elle fit tomber son arme qui tinta sur le parquet de la chambre.

Son regard se fixa accidentellement sur l’objectif.

- J’ai gagné. Dieu soit loué, j’ai gagné.

Quelque chose se dressa derrière elle. Un mouvement prompt et précis. Lise Bertrand poussa un cri bref avant de s’écrouler.

Comme par magie, la lumière revint dans l’appartement.

Le corps sans vie de la candidate gisait aux pieds du tueur masqué. Un masque blanc, d’une simplicité effroyable. Il se baissa et extirpa le manche du poignard saillant du dos de la mère de famille.

Un mouvement de caméra bien étudié montra l’armoire en piteux état ainsi que des taches de sang, convaincant tout le monde que le tueur s’était miraculeusement relevé malgré sa blessure. Une mère de famille, aussi déterminée soit-elle, ne pouvait venir à bout d’un tueur en série. Ceux qui avaient crû le contraire en étaient pour leurs frais.

Un dernier plan sur le tueur victorieux puis sur le visage inerte de Lise Bertrand.

Fondu au noir.

Une photo de la candidate apparut sur laquelle vint se dessiner une croix rouge, sanglante avant d’être intégrée dans le tableau de chasse du tueur.

Edouard ne put contenir sa joie. «  Tu viendras plus la ramener, ma jolie ! »

Le visage de Jérôme était défait. Il se tenait la tête à deux mains comme pour l’empêcher de tomber « Ils l’ont eue. Les fumiers. Ils ont triché. » Il se rassit mécaniquement et secoua la tête comme un automate déréglé.

Une musique sinistre envahit la scène.

Edouard s’imposa une attitude de recueillement. Le silence se fit dans l’assistance. Une minute fut dédiée à la mémoire de Lise Bertrand dont le courage et le dévouement pour ses enfants resterait à jamais gravée dans les mémoires et les annales de l’émission.

Puis le présentateur darda un regard empreint de gravité en direction de la caméra :

- Notre tueur n’a pas failli à sa réputation. Lise Bertrand a malheureusement appris à ses dépens qu’il a plus d’un tour dans son sac.

 

Une heure plus tard, dans les coulisses, Jérôme croisa son patron. Il le défia un instant du regard. L’autre sourit jusqu’aux oreilles :

- Ca lui apprendra à se foutre de ma gueule !

Edouard Ventura eut le temps de voir le visage de son assistant s’empourprer avant de se sentir violemment projeté contre un mur.

- Espèce de fumier ! Tu en as fait une affaire personnelle ! Tu n’as pas joué les règles du jeu ! Elle avait gagné ! Elle avait tué le tueur ! Pourquoi tu as fait venir un remplaçant ? Que vont devenir ses enfants, maintenant ?!!

Malgré l’inconfort de sa situation, Edouard conserva son flegme et la majeure partie de son arrogant sourire :

- Les règles sont faites pour être changées. Lise l’a d’ailleurs très bien compris. Seulement, elle en a payé le prix.

Jérôme fit mine de frapper son supérieur, mais il se contenta de resserrer son étreinte sur lui :

- Tu es donc prêt à transgresser toutes les lois pour entretenir ta gloire personnelle ?

Edouard se dégagea vivement avant de rétorquer froidement :

- Je ne fais qu’aller plus loin que tous les autres. Je suis un pionnier. Je n’espère pas être compris. Tout ce qui compte c’est ce que je fais et ce qui en restera. Moi, j’ouvre la voie à la télé de demain. Qu’est-ce que tu fais de beau, toi, dans la vie ?

 

Edouard Ventura rentra chez lui tard. Et légèrement accompagné. Il laissa la bimbo du nom de Jessica prendre une douche et s’installa sur le canapé. Toute la soirée et une bonne partie de la nuit, il s’était convaincu d’avoir fait le bon choix. Et les rasades de whisky l’y avaient bien aidé. Le téléphone sonna près de lui. Il décrocha mécaniquement. C’était Jérôme.

- Tu devrais jeter un coup d’œil sur M16 ou Canal Flux.

Edouard faillit raccrocher. Il se ravisa.

- Je n’ai aucune envie de regarder une chaîne concurrente.

- Je te promets que tu le regretteras pas.

Edouard alluma la télé et tout en zappant, poursuivit la conversation :

- Qu’est-ce qui se passe ? Ils ont enfin trouvé un concept digne de ce nom ?

- Précisément !

Le visage hilare de Ventura se rembrunit à cette annonce. Il arrêta de zapper et monta le volume. Le présentateur de la chaîne était en train d’annoncer un véritable scoop :

«  La source de ces révélations demeure inconnue, mais une chose est sûre, elles ne manqueront pas de déclencher une polémique sans précédent ! Voici en exclusivité la diffusion d’une conversation privée provenant des coulisses de TéléFun :

 

Edouard Ventura vit son visage apparaître sur son écran géant. Il commença à comprendre :

 

- Eddy n’est pas un acteur. C’est un vrai tueur. Il a ça dans le sang. Le fait que rien ne soit truqué  garantit une qualité constante de l’émission. On s’était mis d’accord là-dessus dès le départ. Sur M16, ils ont pris des comédiens, ils ont bidouillé les scènes de meurtre. T’as vu le résultat ? TéléFun ce n’est pas M16 ou Canal Flux ! Nous, on triche pas avec le public.

- Espèce de fumier ! Tu en as fait une affaire personnelle ! Tu n’as pas joué les règles du jeu ! Elle avait gagné ! Elle avait tué le tueur ! Pourquoi tu as fait venir un remplaçant ? Que vont devenir ses enfants, maintenant ?!!

- Bon, j’admets qu’Eddy a un peu trop improvisé ces derniers temps. Mais ne t’en fais pas. On graisse la patte à suffisamment de monde pour avoir les coudées franches. Les gens veulent du spectaculaire, de l’inattendu. Un peu d’imprévu ne peut pas nous faire de mal, bien au contraire. Les règles sont faites pour être changées. Lise l’a d’ailleurs très bien compris. Seulement, elle en a payé le prix.

- Tu es donc prêt à transgresser toutes les lois pour entretenir ta gloire personnelle ?

- Je ne fais qu’aller plus loin que tous les autres. Je suis un pionnier. Je n’espère pas être compris. Tout ce qui compte c’est ce que je fais et ce qui en restera.

 

Edouard Ventura était dans un état second. Ce qui était en train de se passer était surréaliste. Comment avait-il pu être piégé, lui, le présentateur et le producteur le plus adulé ?

Il changea de chaîne et changea encore, mais le programme était partout le même. Sa bobine passait sur tous les canaux et il répétait inlassablement le même plaidoyer.

Cet habile montage, il le savait, ne pouvait avoir été fourni que par une seule personne.

La voix de Jérôme se fit à nouveau entendre :

- Alors que penses-tu de ce concept, Edouard ?

Edouard voulut rétorquer quelque chose, mais les mots ne venaient pas. Parasité par cette trahison, par l’étendue du complot, son cerveau faisait le piquet de grève. Il laissa tomber le combiné et ouvrit un tiroir.

Jessica apparut dans le salon, son corps splendide encore humide serti d’une serviette éponge d’un blanc immaculé. Elle regarda l’écran :

- On parle encore de toi, Ed ?

Lorsqu’elle vit Edouard Ventura planter le canon d’un revolver dans sa bouche, elle poussa un hurlement rapidement concurrencé par une fulgurante détonation. La serviette éponge d’un blanc immaculé fut imbibée de rouge et du sang frais éclaboussa l’écran de télévision sur lequel apparaissait encore le visage enjoué de Edouard Ventura :

« Moi j’ouvre la voie à la télé de demain. Qu’est-ce que tu fais de beau, toi, dans la vie ? »

Imperturbable, la voix de Jérôme répondit à travers le combiné :

- Je fais exactement la même chose. Bienvenue dans la télé de demain, Ed !

 


Visuel crée par Nassosvakalis

 

 

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Le Jour où l'Amour s'arrêta [Nouvelles/Anticipations]



1
 
Elle leva la main comme pour me toucher, espérant par ce geste ranimer un début de flamme.
Je le devinais parce que j'eus le même réflexe. Mais à l'instant où nos regards se croisèrent, l'espoir nous déserta littéralement. Nous demeurions de parfaits inconnus l'un pour l'autre. Inexorablement.
Elle baissa sa main et me tourna le dos, honteuse de sa réaction. Je n'étais pas moins gêné.
Plus tard, quand elle vint me rejoindre dans la chambre, elle me trouva occupé à remplir une valise. Elle comprit immédiatement mon intention. La même idée lui avait traversé l'esprit quelques instants plus tôt.
Lorsque j'eus terminé, je fis mine de lui dire au revoir.
- Je suis désolée, dit-elle d'un ton monocorde.
Je savais qu'en réalité elle était soulagée que je quitte la maison car j'étais moi-même soulagé de partir.
- Ce n'est pas grave, répondis-je.
Evidemment, j'étais sincère.
En me retrouvant dans la rue, je respirai enfin. Pour je ne sais quelle raison, mon regard accrocha la poubelle en plastique qui nous appartenait.
Elle débordait.
Une pensée s'imposa alors dans mon esprit, un dernier sursaut d'espoir, comme pour me convaincre que j'aurais tout essayé.
Impossible de rester si c'était pour jouer un simulacre. Il me fallait du réel, de l'authentique. Mes souvenirs ne m'aidaient en rien. Ils étaient devenus beaucoup trop glacés pour m'émouvoir. Les connexions nécessaires ne se faisaient pas.
Ecoutant cette impérieuse voix intérieure, je lâchai ma valise et commençai à fouiller dans le contenu de nos sacs poubelles. Peut-être trouverai-je un mot, un objet, quelque chose de suffisamment intime à notre couple pour me rappeler mes sentiments envers elle.
Il me fallait une étincelle. Oui, une simple étincelle.
Sans me soucier du désordre occasionné, je vidai les sacs sur le sol et mes mains avides se mirent en devoir de filtrer la masse de détritus afin d'en extraire quelque diamant ou plutôt quelque rose.
A genoux sur le trottoir, mon costume taché par les déchets alimentaires, je faisais sûrement peine à voir. Mais je n'en avais cure. Il me fallait cette preuve, cet indice que quelque chose de très fort entre nous avait existé et pouvait vivre encore.
Le temps passa sans que j'eusse trouvé quoi que ce soit de secourable. C'était peine perdue. C'était sans issue.
Je me relevai, écrasant au passage une photo d'elle rayonnante dans  la lumière de notre jardin. J'avais pourtant vu cette photo. Je l'avais même ramassé et longuement regardé comme dans l'attente d'un signe, d'un miracle. Qui n'était jamais venu.
Mon cœur était devenu imperméable.
Comme pour se rire de moi, la pluie se mit à tomber. C'est alors que je remarquai une silhouette de l'autre côté de la rue, en face de chez nous. Une femme qui m'était familière. Une voisine. A la vue du fatras indescriptible qu'elle dominait, je compris aisément qu'elle s'était lancée dans le même genre de croisade que moi. Avec le même succès, semblait-il.
Nous échangeâmes un bref regard. La pluie redoubla de violence.
Nous faisions vraiment peine à voir. Et le pire, c'est que nous en étions terriblement conscients.
Je ramassai ma valise et me mis à courir comme un fou pour échapper à mon image.
Et à la sienne.
Mais qu'étions-nous donc devenus, tous ?
Des amants maudits ? Des âmes en peine ?
J'avais trop de questions, trop de pourquoi. Il me fallait des réponses. Pas forcément les meilleures, pas forcément les bonnes, mais des réponses quand même et de quelqu'un d'extérieur. Surtout quelqu'un d'extérieur.
Je n'assumai pas du tout ce qui m'arrivait. Je me sentais atteint d'une maladie gave et contagieuse, comme si j'avais attrapé un virus extrêmement dangereux. Sauf que dans mon cas, je n'avais rien attrapé du tout. Bien au contraire. J'avais perdu quelque chose. Et quelque chose d'essentiel, de fondamental. Je me vidai de mon humanité, de ce qu'il y avait de meilleur en moi. Car sans la capacité d'aimer, qu'étais-je vraiment ? Pouvais-je encore être qualifié d'être humain ? J'avais de très gros doutes à ce sujet.
Je ne pouvais accepter cette situation sans rien faire. Alors je décidai d'aller voir quelqu'un comme on dit si bien.
Je cherchai sur mon doigt mon alliance de mariage pour m'insuffler le courage dont j'avais besoin. Je ne la trouvai pas. Et pour cause. Je l'avais jeté dans les poubelles sans même m'en rendre compte. Le temps était compté.
 

2
 

- Bonjour, fis-je en entrant dans le bureau comme dans une morgue.
Peut-être parce que je sentais bien que quelque chose en moi était mort.
Le Docteur Mc Cabb avait une quarantaine d'années, mais il faisait plus jeune à cause de ses longs cheveux et de son allure décontractée.
C'était un éminent praticien. Eminent et donc coûteux. Mais je crois que j'étais prêt à vider mon compte en banque si cela pouvait remplir mon cœur à nouveau.
- Bonjour monsieur Lawrence, asseyez-vous.
Sa voix me mit tout de suite en confiance. Mais j'imagine que cela faisait partie de sa stratégie.
Il essuya ses lunettes avant de les chausser de nouveau.
- Comment allez-vous ? dit-il en me serrant la main.
Je déglutis péniblement.
- Et bien, pas très bien. C'est pourquoi je vous ai appelé en urgence, vous vous en doutez.
- Excusez-moi, simple formule d'usage. Disons plutôt : qu'est-ce qui vous amène exactement ?
Je redoutais terriblement de passer aux aveux tant ma crainte d'être jugé était grande. Mais je craignais sans doute encore plus de devoir être condamné à ne plus rien ressentir.
- Je...C'est...Ce n'est pas facile à dire. J'ose espérer que ce ne sera pas difficile à comprendre pour vous. Je ne pouvais pas en parler à mes proches. Je ne voyais personne d'autre vers qui me tourner.
Mc Cabb se mit à sourire. Il croisa les mains sur son bureau et se pencha sensiblement vers moi.
- Vous savez, monsieur Lawrence, je ne fonde pas mes diagnostics sur la seule qualité de mes années d'étude. Je me sers aussi de mes expériences personnelles. Ce qui, vous en conviendrez, est irremplaçable. Je suis peut-être psychiatre, mais je suis avant tout un être humain, tout comme vous, avec ses doutes, ses peurs, ses faiblesses, ses problèmes. La théorie, c'est bien beau, mais rien ne vaut la pratique.
C'était un discours plutôt convaincant. Il était bien rôdé. Et comme ça devait nécessairement être vrai, j'ai commencé à me détendre un peu.
Son sourire s'élargit alors.
- Je vous écoute, monsieur Lawrence.
Je pris une profonde inspiration avant de déclarer :
- Je ne suis plus amoureux de ma femme.
- Depuis combien de temps ?
Je ressentis l'effet d'un nœud coulant autour de ma gorge.
- Depuis ce matin, articulai-je péniblement.
- Et que ressentez-vous pour elle, à présent.
- Et bien... Rien, plus rien. Je la vois comme une étrangère avec qui je n'ai plus rien en commun. Plus rien ne m'attire chez elle. En fait, c'est tout le contraire.
Mc Cabb dodelina de la tête comme s'il se souvenait d'un cas similaire.
- Vous lui en avez parlé ?
- Oui, rapidement. C'est vite devenu insoutenable.
- Et que vous a-t-elle dit ?
Je me crispai.
- C'est là que ça devient fou.
J'ai dévisagé le docteur avec anxiété. Le mot n'était peut-être pas le plus adapté. Je craignis sa réaction.  Mac Cabb devait le redouter aussi, ce mot là, mais grâce à ses années d'expérience, il avait aussi sûrement appris à l'apprivoiser et à  relativiser son emploi.
Voyant qu'il conservait la même expression de curiosité, je poursuivis :
- Elle m'a dit la même chose. Elle m'a dit qu'elle ne ressentait plus rien pour moi, comme si c'était la première fois qu'elle me voyait. Elle ne comprenait pas ce qu'elle faisait avec un type comme moi. Cela n'avait aucun sens. Surréaliste, non ?
Mc Cabb éluda habilement ma question.
- Vous vous êtes disputé ?
- Non. C'est sans doute le plus curieux dans toute cette histoire. On a discuté très calmement. En fait, on était soulagé de partager la même chose.
- Que s'est-il passé ensuite ?
- Je suis parti de la maison.
J'indiquai du regard la valise posée à côté de moi.
- Je ne sais pas ce qu'elle va faire de son côté et pour être tout à fait honnête, ça m'est égal.
- Vous étiez mariés depuis combien de temps ?
- Cela faisait douze ans. Vous vous rendez compte ? Et du jour au lendemain, plus rien.
Mc Cabb jeta un regard à sa montre.
- Je suis désolé, monsieur lawrence. Comme je vous ai dit au téléphone, je dois déjeuner avec mes filles. Comme tous les mercredi.
Je vis en cette déclaration la possibilité de me sentir moins seul.
- Vous êtes divorcé ?
Mc Cabb sourit. Il avait du deviner mon espoir.
- Quand je vous disais que j'étais avant tout un être humain, ce n'était pas du pipeau.
 
3
 
Je n'étais guère plus avancé. Malgré sa compréhension et sa sympathie manifestes, le docteur Mc Cabb n'a pas su me donner ce que j'attendais. Notre entretien a tourné court et j'ai négligé beaucoup de détails comme de lui parler de la voisine par exemple. Je lui ai laissé mes coordonnées, bien sûr et on a convenu de se revoir. Maigre consolation.
J'ai voulu le rappeler une fois en centre-ville, et puis j'ai eu peur qu'il ne me réponde pas.
On n'est jamais certain de l'effet qu'on fait à ceux à qui l'on parle de choses très personnelles. C'est un peu quitte ou double. Que le docteur Mc cabb soit un professionnel ne changeait pas forcément la donne.
Oui, je redevenais pessimiste.
En marchant dans la rue, ma valise à la main, j'ai regardé autour de moi, comme dans l'espoir de lire mon propre égarement sur d'autres visages que le mien. Je ne voulais pas me sentir seul dans ce cas. J'ai pensé rendre visite à la voisine qui avait probablement, elle aussi, pris rendez-vous chez un bon psy, chez Mc Cabb peut-être.
En vérité, j'étais paumé. J'avais des idées, mais aucune ne me paraissait raisonnable. Aucune ne me paraissait assez sérieuse pour me tirer d'affaire.
Mon malaise empirait de minute en minute.
Je n'étais donc pas si insensible puisque je souffrais un peu. C'était étrangement paradoxal. Ce qui n'adoucissait en rien mon tourment.
J'étais là, à ruminer sur un banc, en regardant les passants et en imaginant leur vie quand mon téléphone sonna. Mon cœur fit un bond quand je reconnus la voix suave du docteur Mc Cabb.
- Monsieur Lawrence ? Excusez-moi de vous déranger, mais il vient de m'arriver quelque chose d'incroyable. Quelque chose qui m'a instantanément rapproché de vous et de notre entretien de ce matin.
- Ah...ah bon, fis-je avec une évidente surprise.
- Oui ! poursuivit Mc Cabb d'un ton qui me paraissait pour le moins nerveux. Tout à l'heure j'étais au restaurant avec mes deux filles, comme tous les mercredi. Elles étaient là en face de moi. Et...comment vous dire ? On ne s'est pas adressé un seul mot. Je n'avais absolument rien à leur dire et visiblement elles non plus. C'est à peine si nous avons touché à notre assiette. Il y avait un malaise entre nous qui n'a fait qu'empirer. Je ne voyais pas ce que je faisais là, j'avais l'impression d'être un imposteur, de prendre la place de quelqu'un. Vous voyez ?
Bien sûr que je voyais ce qu'il voulait dire. C'était précisément ce que j'avais ressenti en présence de ma femme. Le ciel semblait m'avoir entendu et avoir répondu à ma prière d'une bien étrange manière. Mc Cabb semblait être atteint lui aussi du même mal qui m'avait été transmis. Je n'étais réellement plus seul !
- Qu'avez-vous fait ? demandai-je avec une vive curiosité.
Les rôles étaient inversés. C'est moi qui avais le savoir puisque j'avais l'expérience. A moi donc de délivrer le diagnostique. J'aurais pu rire de la situation si elle n'avait touché un sujet aussi dramatique.
- J'ai honte de le dire, répondit Mc Cabb, mais j'ai quitté les lieux. C'était trop éprouvant. J'ai abandonné mes deux filles dans le restaurant.
Je ne sus quoi ajouter. C'était terrible d'entendre cela d'un homme qui quelques heures auparavant semblait chérir ses enfants comme ses biens les plus précieux dans la vie.
Mais la question qu'il me posa juste après fut plus terrible encore. Elle enfonça le clou si fort que j'en ressentis une douleur vivace.
- Dites-moi, monsieur Lawrence, vous pensez que c'est contagieux ?
 
4
 
Nous nous retrouvâmes dans un café. Moi qui ne pensais pas revoir Mc Cabb de sitôt. L'avenir m'avait réservé une jolie surprise. Enfin, jolie...
Lorsqu'il entra dans la salle bondée, c'est à peine si je le reconnus. Je peux dire sans ambages qu'il avait pris un sacré coup de vieux. Lorsqu'il s'assit en face de moi, je pus remarquer à quel point sa récente expérience avait creusé ses traits et éclairci son teint.
Il se pencha vers moi comme pour ne pas être entendu :
- Il y a peut-être trop de monde ici.
Je repensai instinctivement à la question fatidique qu'il m'avait posé au téléphone et qui avait été par la suite à l'origine d'un profond malaise. « Etait-ce contagieux ? » La question était certainement légitime. Mais j'avais des raisons évidentes de ne pas vouloir l'entendre tant elle était synonyme d'accusations et de culpabilité.
Etait-ce à proprement parler un nouveau virus ?
Evidemment, nous en savions encore trop peu tous les deux pour nous forger une véritable opinion objective.
Je scrutai les yeux clairs du docteur à travers les verres de ses lunettes. Etait-il en proie à la panique où s'efforçait-il encore de raisonner en psychiatre ?
Un serveur nous aborda. Instinctivement, nous nous écartâmes et Mc Cabb commanda rapidement en notre nom pour se débarrasser de lui au plus vite.
Le docteur me mettait mal à l'aise. Je voyais moins en lui un allié potentiel qu'un complice, complice d'un mal sans équivalent que nous supposions être capables de transmettre malgré nous.
Je me mis alors à penser à voix haute.
- Ca peut être l'air, ça peut être le contact physique ou bien rien de tout cela. Peut-être que le simple fait que nous ayons vécu la même chose à quelques heures d'intervalle n'est dû qu'au fruit du hasard.
Mais là je sentis que Mc Cabb ne m'approuvait pas. Il ne répondit pas pour autant. Il regardait les autres clients et les serveurs qui allaient de table en table. Si l'air et le contact physique étaient les moyens pour la maladie de se propager, alors il ne lui faudrait pas longtemps pour contaminer tout le monde. J'imaginai des couples faisant l'amour - certains pour la première fois - et être condamnés suite à cela à ne plus ressentir quoi que ce soit.
Un frisson glacial me parcourut.
- Vous avez raison. Allons nous-en d'ici !
 
5
 
Nous nous mîmes à errer loin de la foule, tels des bannis ou des fantômes. Sans cœur, qu'étions-nous d'autre de toutes façons ?
Seul c'était insupportable. A deux, ça ne l'était pas forcément moins.
J'évitai de regarder Mc Cabb de peur de lire dans ses yeux  quelque chose qui aurait ressemblé à un jugement. Il devait forcément m'en vouloir de l'avoir réduit à ce que j'étais devenu, moi. Et je le comprenais. Mais le fait qu'il restait à mes côtés me soulageait un peu, je l'avoue. En vérité, avait-il le choix ?
Nous nous assîmes sur un banc dans un parc déserté. L'air s'était refroidi. Tout comme nous.
Je regardai les arbres dénudés, desséchés alors que j'aurais juré que nous étions au printemps.
Encore un frisson. Les plantes pouvaient-elles souffrir aussi de cette anémie sentimentale ?
Un chat errant jaillit d'une poubelle avant de glisser sous mes jambes.
J'en eus le souffle coupé.
Je ne savais plus où porter mon regard pas plus que mes pensées.
Fallait-il nous isoler ? Devions-nous nous livrer comme de vulgaires criminels ?
Je tournai mon regard vers Mc Cabb pour lui faire part de mes angoisses. Il n'était plus là.
J'étais de nouveau seul, le poids du monde sur mes épaules.
C'est alors que je vis un journal abandonné tout près de moi. Plus tard, je compris que Mc Cabb avait dû le lire et que ce simple geste l'avait décidé à s'enfuir.
Les articles étaient pour la plupart terriblement ordinaires et ne méritaient pas un intérêt particulier. Mais en y attardant un peu plus d'attention qu'à l'accoutumée, on pouvait justement réaliser combien ils constituaient un puzzle sinistre.
Depuis quelques jours on recensait un nombre important de divorces et de séparations inexplicables. Les avocats étaient complètement dépassés par les évènements d'autant plus qu'ils étaient pour la plupart eux-mêmes victimes d'une rupture sentimentale. Si ça ce n'était pas un signe ! Le phénomène ne datait donc pas d'aujourd'hui. Je n'étais pas le premier. Je n'avais pas su regarder autour de moi sinon j'aurais sans doute observé bien avant des symptômes de cette maladie. Quelqu'un me l'avait forcément transmis. Ma femme ? Mon patron ? La voisine, qui sait ?
Je fus soulagé. Mais rapidement, la panique et la peur reprirent leurs droits sur moi. Devais-je attendre qu'on mette un nom sur ce mal pour me déclarer malade ? Etait-ce prématuré ?
Tout dépendait de la virulence de la maladie en vérité. Si elle disparaissait aussi vite qu'elle était apparue, il n'était pas nécessaire de faire connaître ma situation. Mais comment pouvais-je être certain de cela ?
Collé sur la poubelle d'où le chat était sorti, je vis un autocollant. C'était une pub pour un numéro vert à l'attention des personnes en détresse. Il n'y avait rien de précisé quant à la nature de la détresse.
Je composai le numéro sur mon portable. Une voix de femme me répondit. Je faillis couper l'appel, mais en comprenant qu'il s'agissait d'une messagerie, je laissai la voix poursuivre.
La ligne était saturée. Je devais patienter en attendant qu'elle se libère un peu. J'écoutai à demi, distrait par la vue d'un couple attendrissant. Ils étaient jeunes, beaux et ils avaient l'air heureux. Je me disais que de voir tout cela s'éteindre à jamais était inacceptable. Et alors même que je me faisais cette réflexion je vis les deux amoureux desserrer leurs mains et se faire face. Ils se jetèrent un regard que je ne connaissais que trop bien, pour mon plus grand malheur. Mon cœur eut un spasme. Ma gorge se serra. Devant moi, la maladie venait de faire deux nouvelles victimes. Alors que le garçon et la fille s'éloignaient l'un de l'autre sans un mot, la messagerie s'interrompit et une autre voix de femme m'invita à parler.
Je coupai la communication et quittai le parc. J'étais maudit et j'étais loin d'être le seul, désormais.
 
6
 
Je rasai les murs. J'étais une ombre. Au long de ma route indécise, je captai de temps à autre quelque conversation, quelque message diffusé par les médias qui venait amplifier l'inquiétant phénomène menaçant de gagner la planète. On spéculait déjà sur d'hypothétiques signes avant-coureurs. Moi je savais pertinemment qu'il n'y en avait pas. Cela arrivait, un point c'est tout. Dans une vitrine, un mur de téléviseurs diffusait en boucle les premiers témoignages de couples venant de subir ce nouveau fléau. Je les trouvai bien courageux de se faire connaître de la sorte et j'eus un peu honte de me comporter comme un fugitif.
Je dormis à l'hôtel plusieurs jours. Je ne pus fermer l'œil. Je suivis assidûment à la télé l'évolution des évènements, moi qui m'informe si peu d'habitude. On ne cessait de donner des recommandations aux personnes qui n'étaient pas encore touchées par le virus. Je trouvai qu'on faisait peu cas des victimes. Comme si elles n'existaient pas. Ou plutôt comme si elles n'existaient plus. Oui, nous étions bel et bien des fantômes, à présent.
Entre deux émissions, les grandes chaînes diffusaient à la pelle des pubs pour des produits aphrodisiaques en tous genres. De grandes marques de cosmétiques et des grands noms de la haute-couture s'étaient déjà associés à une vaste campagne visant à promouvoir tous les secrets de la séduction. Evidemment, c'était peine perdue. Aussi vain que de chercher un diamant dans une poubelle.
Un soir, allongé sur mon lit, j'entendis des râles et des cris provenant d'une chambre voisine. Un couple faisait l'amour. Au son de leurs voix et à la durée de leurs ébats, je compris aisément qu'ils faisaient l'amour comme pour la dernière fois.
La paranoïa s'installait. On savait que le mal pouvait frapper d'une seconde à l'autre. On savait que personne n'était à l'abri.
Les scientifiques et les philosophes avaient beau se pencher sur la question, on ignorait toujours la cause de l'épidémie. Certains malades avaient été longuement étudiés par d'éminents spécialistes. Mais rien ne venait les différencier des autres si ce n'était cette incapacité à éprouver la moindre empathie.
Plusieurs jours passèrent encore. Je restais cloîtré dans ma chambre autant que possible.
Quand je sortais, le propriétaire m'observait d'un œil soupçonneux. Il m'aurait pris pour un gangster que cela m'aurait soulagé. Car je savais que sa méfiance était d'une toute autre nature. Mon temps était compté. Je savais qu'il me jetterait dehors un jour ou l'autre sous un prétexte bidon. Héberger un homme tel que moi n'était pourtant pas un crime.
Du moins, pas encore.
Les chaînes passaient les plus beaux films d'amour comme pour relancer la machine. Sur les ondes et dans les rues, on diffusait les plus grandes chansons d'amour. Un thème émouvant et fédérateur avait même été spécialement crée par des stars de la pop américaine pour soutenir les victimes et redonner de l'espoir. Il s'intitulait "We are the Love". On pouvait faire difficilement plus symbolique.
Le 14 février approchait à grands pas. Et beaucoup de gens pensaient qu'il allait signifier la fin du monde. Moi le premier.
 
7
 
L'économie commença à souffrir de cette forme de stérilité. On se rendit compte à quel point les choses du cœur faisaient vendre.
Une fois n'est pas coutume, les chaînes de télé n'eurent que peu de scrupules à s'emparer du phénomène pour le détourner à leur avantage.
Elles organisèrent des jeux lors desquels les couples candidats devaient prouver leur amour au fil d'épreuves à la difficulté croissante avec à la clé une prime substantielle.
En singeant un hypothétique remède, les médias ne faisaient qu'égarer davantage les hommes.
Le jour où un couple se brisa en direct pendant une émission, l'audimat explosa.
Le filon était tout trouvé.
Mais bien heureusement, cela ne dura pas.
De plus en plus de gens ne se laissant plus facilement émouvoir, certaines recettes ne firent pas long feu.
On chercha de nouveaux concepts. On en trouva. Sans que cela change les choses.
Moi-même je commençais à regarder tout cela avec dédain. Je ne pouvais plus aimer, mais j'appréciais de plus en plus la perspective de ne plus jamais souffrir et faire souffrir par les sentiments. Je n'étais peut-être pas si perdant. Je n'étais peut-être pas si malade. Au contraire. Cette maladie était peut-être une bénédiction, un remède inattendu contre les affres de la passion. J'avais de plus en plus de mal à voir les choses autrement.
Je quittai l'hôtel, fort de ma conviction. Pourquoi continuer à me cacher alors qu'en vérité j'avais vaincu un mal plus grand que celui qu'on me prêtait ?
Je réalisai bientôt que cette croyance se généralisait un peu partout, au point de constituer un mouvement à part entière. Je n'eus alors qu'une hâte, qu'un seul but : trouver cette nouvelle famille et l'intégrer. Mais les choses se gâtèrent à ce moment là.
Le gouvernement mit en place plusieurs mesures pour le moins drastiques.
Bien que la théorie du virus transmis par simple contact physique  n'ait jamais pu être prouvée, les autorités s'accordèrent sur cette hypothèse et à partir de là, toute victime était considérée comme potentiellement dangereuse pour la santé émotionnelle des autres.
Comme tant d'autres, je vis, impuissant, des baraquements lugubres se dresser sur les places publiques. La tension monta d'un cran.
On disait qu'une milice spécialisée avait les moyens de reconnaître les malades et les traquait sans relâche.
Une fois démasqués, les malades étaient - selon toute probabilité - parqués dans ces baraquements, mis en quarantaine en attendant qu'un remède soit trouvé.
Une forme de dictature était en train de naître sans que personne n'ait le courage de la nommer. Ce qui était encore plus terrifiant.
Mais la révolte grondait. Je le savais. Car en moi je sentais les prémices d'une colère que je ne connaissais pas.
On disait aussi que cette milice était constituée de personnes atteintes qui s'étaient engagées de gré ou de force. Des personnes comme moi, qui n'avais plus à craindre d'être en contact avec des malades et qui par conséquent étaient naturellement immunisées. Et toutes désignées pour appréhender les individus recherchés.
Bien évidemment, je ne me voyais pas faire ça. Je n'avais peut-être plus de sentiments, mais j'avais encore une morale.
J'étais en colère, mais je mourrai de peur aussi. La situation n'avait vraiment rien de réjouissant. Même les haut-parleurs avaient cessé de nous transmettre des chants d'espoir. Maintenant ne résonnaient que des directives et des avertissements annoncés d'une voix mécanique, dénuée de toute chaleur.
Je regrettai amèrement d'avoir quitté le confort et la sécurité de ma chambre d'hôtel.
Maintenant, il m'était difficile de trouver un refuge digne de ce nom.
Une nuit, alors que les arrestations se multipliaient, j'échappai de justesse à une rafle et me précipitant dans une ruelle, je tombai nez à nez avec ce bon vieux docteur Mc Cabb.
Il fut aussi surpris de me voir. Nous nous observâmes un instant, ne sachant trop comment réagir, sans doute éprouvés par nos expériences mutuelles. Puis la raison nous revint et nous nous serrâmes la main avec chaleur. L'avantage c'est que nous nous connaissions et que nous n'avions rien à craindre l'un de l'autre. Je lui parlai rapidement du mouvement dont j'avais appris l'existence et que je m'efforçais de rejoindre.
- Oui, j'en ai entendu parler, me dit-il avec enthousiasme. Je pensais justement me rendre à leur QG.
- Vous savez où il se trouve ? demandai-je avec exaltation.
- Non, répondit Mc Cabb, attristé. La seconde d'après, son visage se fendit d'un sourire.
- Mais je connais quelqu'un qui pourra nous le dire. Une de mes anciennes patientes avec qui j'avais un lien privilégié.
Je n'osai lui demander de préciser de quelle sorte de lien il s'agissait.
Nous marchâmes jusqu'au bout de la ruelle avec précaution. L'obscurité jouait en notre faveur, mais nous savions la milice très bien équipée. Des bruits de lutte et des cris de contestation nous parvinrent et nous nous immobilisâmes. Les arrestations ne se faisaient pas toujours dans de bonnes conditions.
J'eus un mouvement de recul en distinguant le corps inconscient d'un milicien appuyé contre un container.
Mc Cabb se baissa et ramassa un objet sur le sol.
- Vous savez comment ils s'y prennent pour identifier les malades ?
Je secouai la tête tout en me demandant si le docteur était lié à l'incident. Peut-être que ce garde lui était tombé dessus et qu'il n'avait pas eu le choix.
- Ne vous en faites pas, déclara-t-il comme pour me rassurer à ce sujet. Il respire encore.
Avant que j'ai pu comprendre ce qui arrivait, il m'avait glissé un bracelet d'étrange facture autour du poignet droit. Je ressentis une petite piqûre.
- Mais qu'est-ce qu...
Mc Cabb expliqua :
- Le bracelet est un appareil qui analyse le sang et envoie le diagnostic à ce récepteur.
Il produisit un autre appareil pourvu d'un écran tactile. Des chiffres et des diagrammes s'affichaient en temps réel. Pour avoir des moyens, ils avaient des moyens. Et des informations aussi qu'ils s'étaient bien gardés de partager avec les civils.
Je regardai successivement les deux objets avec une terreur bien compréhensible.
- Alors c'est grâce au sang qu'ils peuvent savoir. Depuis quand le savent-ils ?
- Je l'ignore, répondit Mc Cabb.
- J'imagine que grâce à ce système, nous sommes fichés facilement.
Mc Cabb m'adressa un regard étrange qui aurait dû m'alerter. Je n'y pris pas garde. Il savait mettre en confiance. Il avait des années d'expérience. Je ressentis une violente décharge au poignet qui remonta en un éclair jusqu'à mon cerveau. Je perdis connaissance.
 
8
 
Je repris conscience sur ce qui ressemblait à un matelas. Je me levai et m'en éloignai. Il sentait l'urine ou quelque chose d'approchant. La tête me tourna un instant. La lumière dans la pièce était faible. Je repensai à Mc Cabb, à ce traître qui m'avait livré à la milice ou plutôt qu'il avait intégrée. De gré ou de force. Je ne pouvais plus faire confiance à personne. J'étais seul, plus que jamais.
Je traînais ma silhouette voûtée par l'âpreté de ces dernières heures. Une cloison faite de verre renforcé empêchait toute escapade. Un rideau fut tiré, me dévoilant la rue noyée sous les feux de projecteurs blafards et sillonnée par la milice. Un garde casqué - nanti d'un masque sinistre - m'observa comme on observerait un poisson exotique dans son aquarium. Je le vis enfoncer du poing un bouton. Une partie du plancher de ma cellule s'escamota, révélant un plateau-repas des plus sommaires. Dans un accès de rage incontrôlable, je me mis à frapper sur la vitre comme un forcené en criant le nom de celui à qui je devais d'être là.
Plusieurs miliciens se retournèrent pour me regarder. Mc cabb était peut-être l'un d'entre eux. Je l'espérais profondément. Je voulais qu'il voie ma colère. Je voulais qu'il ait peur.
Le rideau fut refermé. D'un coup de pied je fis voler le plateau et son contenu. Je contemplai avec une fascination presque morbide les spaghettis dégoulinant de sauce tomate descendre le long du mur. J'avais la sensation d'être l'un d'entre eux et en même temps je me sentais aussi sali que le mur lui-même.
Je me laissai tomber jusqu'au sol, anéanti.
 
Je restai le plus longtemps possible éveillé. Je n'étais pas en paix. Je ne savais pas ce qu'ils mijotaient et je n'avais aucun moyen de le savoir. Je n'avais aucun échange avec les gardes. Ils se contentaient de m'observer régulièrement et de me donner à manger. Les brefs moments où ils tiraient le rideau, j'en profitais pour examiner la rue et ce qui s'y passait. Je voyais des gens jetés sans ménagement dans des baraquements par la milice. Il y en avait de plus en plus. A travers certaines vitres je voyais même plusieurs malades cohabiter dans une même cellule. La place commençait à manquer. L'espoir aussi. Je crus reconnaître ma femme parmi les prisonniers. Ouvrant mon portefeuille, je retirai la photo d'elle qui - à une époque maintenant révolue - représentait pour moi le signe incontestable de mon attachement exclusif pour elle.
Dans un moment pareil, j'aurais dû pleurer en détaillant son visage. Mais je n'étais pas en isolement pour rien. Je déchirai la photo. Plus rien n'avait de sens, désormais.
 
J'ignore combien de temps il se passa. Je ne m'en souciai plus. J'attendais, résigné, qu'ils trouvent un remède ou qu'ils nous abattent comme des chiens. Je ne sais pas quelle finalité me paraissait la plus écoeurante ou la plus enviable.
Un jour, je me réveillai après un long somme et un repas qui l'avait été beaucoup moins.
Je tressaillis en voyant une silhouette emmitouflée, assise contre l'un des murs, immobile. Ce n'était pas un garde. Je finis par comprendre que la place venant sérieusement à manquer, ils avaient fini par m'attribuer un compagnon de cellule. Charmante attention. Maintenant au lieu de devoir seulement me réconforter, il faudrait que je panse les blessures d'un autre. Je n'avais vraiment pas la tête à ça. Il faudrait qu'il se contente de ma présence.
Je n'étais pas pressé de faire connaissance, alors je conservai mes habitudes, l'air de rien.
La silhouette finit par s'animer et s'adresser à moi :
- Vous êtes bien infecté, n'est-ce pas ?
La voix était plutôt jeune et assurément féminine.
Je m'approchai un peu, piqué par la curiosité. Je m'attendais à rencontrer quelqu'un que je connaissais sans doute. Plus rien ne pouvait me surprendre. Mais là, je me trompai.
La jeune femme abaissa sa capuche, dévoilant un visage fatigué encadré de cheveux blond cendré. Ses yeux étaient vifs. Ils me fixaient, me transperçaient même au point que cela me gêna presque.
- Je m'appelle Clara, dit-elle simplement.
- Andrew, dis-je aussi simplement.
Je ne pus rien ajouter d'autre. Elle se leva un peu gauchement et se dressa face à moi. Elle était plutôt grande. Elle me saisit les poignets.
- Vous êtes bien infecté ? répéta-t-elle.
Son geste et sa question me surprenaient tout autant.
- Oui, bien sûr, tout comme vous. Nous ne serions pas ici, sinon.
Elle resserra sa prise. Ses yeux étincelèrent de plus belle. Comme si elle était sur le point de pleurer. Ce qui était impensable.
- Non, je le suis pas, ajouta-t-elle.
Je la dévisageai, abasourdi. Son expression me révéla combien elle disait vrai. Des larmes coulaient sur ses joues.
- Quoi ?
Je me dégageai violemment de son étreinte.
- Mais vous êtes complètement folle ! Je viens certainement de vous contaminer !
- Au risque de vous choquer davantage, c'est ce que je voulais.
- Je ne vous crois pas. Si vous n'étiez pas malade, vous ne seriez pas ici. Vous seriez en train de fuir, de vous cacher. Ils contrôlent tout le monde en plus. Ils auraient vu que vous n'étiez pas atteinte. Ils sont bien équipés, croyez-moi. J'ai eu tout le loisir de m'en rendre compte.
- Pourquoi chercheraient-ils à contrôler quelqu'un qui prétendrait être malade ? C'est précisément le genre de personnes qu'ils recherchent. Que l'on puisse mentir à ce sujet est au-dessus de leur raisonnement. Et du vôtre aussi, apparemment.
Je n'appréciai pas son ton. Elle semblait me rabaisser au même rang que les miliciens. Je trouvai ça très maladroit de sa part. Insultant.
- Pourquoi feriez-vous une chose pareille ? C'est stupide !
Elle reprit sa place initiale comme si elle voulait s'isoler. Cela ne fut pas pour me déplaire.
- Si je vous disais que vous veniez de me rendre un très grand service.
Je n'avais pas envie de chercher à savoir où elle voulait en venir. La patience comme l'espoir m'avait quelque peu abandonné.
- Je n'ai rien fait du tout. Vous ne savez pas ce qui vous attend. Vous êtes bien avancée d'avoir fait ça. Vraiment stupide, grommelai-je.
Il y eut un silence et je crus que la conversation s'arrêterait là. Je lui désignai le matelas pour lui indiquer qu'elle pouvait s'allonger. J'espérais surtout que l'odeur d'urine lui fasse regretter sa décision. Et c'est alors qu'elle me dit :
- Quelqu'un à qui vous teniez ?
Je plissai les yeux. Elle avait ramassé les morceaux de la photo de ma femme et s'était amusé à la recomposer. Je grimaçai.
- Moi aussi j'aimais quelqu'un, reprit-elle. Un peu trop. Même après qu'il m'ait trompé, je l'aimais toujours. Encore plus je crois. Ca fait des mois qu'on a rompu et impossible de m'en remettre. Je restais prisonnière de mes plus beaux souvenirs avec lui. Comme si une partie de moi ne voulait pas accepter ce qu'il m'avait fait. Ou plutôt comme si j'avais décidé de souffrir seulement à cause du meilleur de ce que j'avais perdu. J'imagine que la plupart des amours nourrissent une forme d'aveuglement. Ce ne serait pas de l'amour, sinon.
Cette situation m'exaspérait. Qu'elle fasse de moi son confident après avoir fait de moi son bourreau était intolérable.
- Pourquoi vous me dites tout ça ?
- Vous ne comprenez donc pas ? Quand j'ai appris l'existence de ce virus, j'ai vu enfin le bout du tunnel. Cela a été une vraie révélation. Enfin le moyen de ne plus souffrir, de ne plus penser à lui. Aller de l'avant. Repartir de zéro. C'était tellement inespéré.
Je l'entendis sangloter.
Sale petite égoïste, pensai-je. Elle s'était servie de moi, de tout le monde, en fait, pour parvenir à ses fins. Insensible au sort des autres, des vrais malades comme moi, elle n'avait pensé qu'à elle. Je fermai les poings et lui jetai un regard noir :
- Sale...
On tira le rideau et la lumière s'engouffra dans la pièce, nous éblouissant. Le garde m'observa comme à l'accoutumée. Je levai aussitôt le majeur de ma main droite à son intention. Ce n'était pas le moment de m'énerver. Il resta devant la vitre sans réagir. Puis, lentement, avec des gestes étudiés, il retira son casque. Mon cœur fit un bond lorsque je reconnus le visage du docteur Mc Cabb. Son expression était imperméable. Il m'étudiait. Je serrai les dents de rage et me jetai contre la vitre que je martelai.
- Salaud ! Enfoiré ! Pourquoi vous avez fait ça ? Pourquoi ?
Un soldat l'appela. Il se retourna et après avoir remis son casque, il s'éloigna de la vitre.
Je restai, là, espérant qu'il revienne pour lui exprimer encore ma rancœur. Mais il ne revint pas. Le rideau fut tiré et le plancher s'escamota pour nous offrir un dîner frugal.
Je vis le nez de Clara se trémousser.
- Qu'est-ce que c'est ? Du poulet ?
Je commençai à manger.
- Vous n'avez qu'à venir voir.
Elle s'approcha. Quelque chose dans sa façon de bouger m'intriguait. Une sorte d'hésitation, d'approximation. Comme si elle était handicapée.
- Je peux savoir pourquoi vous vous êtes énervé comme ça?
Je continuai à mastiquer ma viande. Je n'avais aucune envie de partager quoi que ce soit de personnel avec elle.
- Mon psy m'a envoyé ici.
Je ne me rendis compte qu'après coup que je lui avais répondu.
Je la vis sourire en piochant une cuisse de poulet. Elle semblait regarder le mur derrière moi, à l'endroit où mes spaghettis avaient laissé une trace sanglante.
- Vous devriez en changer.
Je ne m'attendais tellement pas à cette déclaration que je faillis m'étouffer. Puis la fatigue et la tension accumulée eurent raison de moi et je partis dans un éclat de rire qui mit une éternité à s'éteindre. Elle m'accompagna dans cet accès d'hilarité et nous eûmes tout le mal du monde à nous calmer. Nous nous tenions les côtes tandis que nos yeux pleuraient sans discontinuer.
J'avoue que cela me fit un bien fou. Je me rendis soudainement compte que j'avais été odieux avec elle et que malgré cela, elle ne semblait pas m'en vouloir. Peut-être que son comportement envers moi était encore intéressé. Peut-être qu'elle avait encore besoin de moi.
Ma méfiance venait de regagner ses pénates.
Après avoir éructé le plus discrètement, j'allai m'allonger sur le matelas dont j'avais appris à apprivoiser l'odeur. Je regardai le mur contre lequel j'étais couché pour ne pas la regarder, elle.
- On dit que les yeux sont le miroir de l'âme. Alors quand on perd la vue, vous croyez qu'on gagne sept ans de malheur ?
Je me retournai et la dévisageai pour comprendre pourquoi elle venait de dire une chose pareille. Elle fixait un point au-dessus de moi. Un emplacement où il n'y avait absolument rien. Et c'est là que je compris. Je l'avais traitée d'égoïste et pourtant, si moi-même je ne l'avais pas été autant, j'aurai remarqué qu'elle était aveugle.
Je m'assis sur le lit.
- Je suis désolé. Je n'avais pas...
Elle émit un petit rire qui eut le don de me détendre.
- Quand je parlais d'amour et d'aveuglement, ce n'était pas seulement une image, je crois.
Je me levai et me tins près d'elle. Ses yeux ne mentaient pas. Elle était effectivement aveugle. Et d'une certaine manière, je l'avais été aussi.
- Venez vous allonger. Le matelas ne sent pas très bon, mais il est plutôt confortable. Je dormirai dans un coin. Ce sera ma punition.
Elle sourit. Son sourire était désarmant. J'avais l'impression de la voir pour la première fois.
- C'est moi qui fais une bêtise et c'est vous qui êtes puni ?
- J'imagine que j'aurais fait la même chose si j'avais été dans votre situation. Vous n'avez rien fait de mal. Vous avez simplement fait un choix.
- Merci, murmura-t-elle.
Elle se dirigea vers le matelas. Instinctivement je voulus l'accompagner. Mais c'était idiot. Elle se débrouillait très bien sans aide. Elle s'assit.
- C'est vrai qu'il sent mauvais.
Je m'installais dans une encoignure de la pièce, la plus proche du matelas.
Elle tourna la tête vers moi.
- Vous pensez que ça prend combien de temps ?
- Quoi donc ?
- La transmission du virus.
- Je ne sais pas. Quelques heures. Peut-être moins. Vous vous en apercevrez quand vous ne penserez plus à lui. Ou plutôt quand vous penserez à lui sans en souffrir.
- J'ai hâte, dit-elle.
Je me sentis tout à coup apaisé et réconforté de savoir que grâce à moi elle allait pouvoir être plus heureuse.
- De toutes façons, il n'y a aucune raison pour que cela ne marche pas.
Mais une fois encore, je me trompai.
 
9
 
 Nous dormîmes ainsi. Elle sur le matelas et moi dans un coin.
Je dormis très mal. Je pensai à notre conversation, à notre parcours de vie respectif. Le fait que nous nous soyons retrouvés ensemble dans ce baraquement avait peut-être un sens. En tout cas, je ne pouvais me défaire de cette idée.  Parce que je demeurai éveillé la plus grande partie de la nuit, j'eus tout le loisir de l'entendre sangloter. Manifestement le virus n'avait pas encore agi sur elle.
Au matin, nous partageâmes un unique gobelet de café tiède. On avait l'impression d'être des prisonniers de guerre, attendant notre condamnation. Mais de savoir que je l'attendais avec Clara me réchauffait un peu le cœur.
- C'est étrange, dit-elle. J'ai la sensation que je suis immunisée. Le virus aurait déjà dû faire effet sur moi, vous ne croyez pas ?
Je ne voulais pas lui faire perdre espoir. Et je voulais moi-même y croire encore.
- Ca dépend sûrement de la personne, de son organisme. Des tonnes de paramètres doivent rentrer en jeu. Ca ne veut rien dire.
Je lui pris la main sans y réfléchir. Peut-être parce que je savais qu'elle ne pouvait pas me voir.
- Courage, Clara. Le plus dur est fait. Tu m'as supporté.
A nouveau ce sourire éclatant. J'aurais voulu qu'il dure des heures.
Sa phrase de la veille me revint en mémoire :
« On dit que les yeux sont le miroir de l'âme. Alors quand on perd la vue, vous croyez qu'on gagne sept ans de malheur ? »
Et c'est alors que j'eus la révélation.  Je plongeai mes yeux dans ceux de Clara. La solution était là. L'explication tant recherchée. Le virus ne se transmettait pas par le contact physique, ni par l'air. Il voyageait par les yeux, par le regard. Et c'est pour ça que Clara n'était pas infectée. Elle avait raison. Elle était immunisée. Son handicap l'avait protégée de la maladie. J'étais tellement convaincu de mon raisonnement que j'en aurais mis ma main au feu.
Ma main resserra davantage la sienne.
- Tu ne peux pas attraper cette maladie.
Son visage se crispa et je le regrettai.
- Pourquoi ?
- C'est ta phrase qui m'a tout fait comprendre. Les yeux sont le miroir de l'âme et ils réfléchissent la maladie. Tu es aveugle, tu ne crains donc rien.
Pour n'importe qui, cela aurait été la plus merveilleuse des nouvelles. Pour Clara, c'était comme si je lui annonçais la fin du monde.
Elle se mit à pleurer.
- Il n'y a pas une minute, tu disais tout le contraire. A quoi tu joues avec moi ?
Elle se raidit et me repoussa avant de se blottir dans un coin.
- Je veux sortir d'ici. Puisque je ne peux pas être malade, je n'ai aucune raison de rester ici, avec toi !
Je soupirai.
- Nous allons pouvoir sortir tous les deux.
Elle arrêta de pleurer. Ma déclaration avait fait son effet.
- Quoi ? Mais tu ne peux pas sortir. Ils ne laissent sortir aucun malade.
Je m'assis à côté d'elle.
- C'est vrai.
Quand je lui caressai les cheveux, elle comprit.
Mon cœur cognait à nouveau dans ma poitrine, libéré de l'entrave de la maladie. Il s'exprimait comme il ne l'avait pas fait depuis longtemps. Ou plutôt comme il ne l'avait jamais fait.
Je tremblai. Une bouffée de son parfum me transporta sur une autre planète. Une mèche dans son cou me fit connaître la plus douce des ivresses.
- Tu ne peux pas être malade, Clara. Tu ne le pourras jamais.
Le rideau fut tiré. Mc Cabb se tenait derrière la vitre. Il avait son masque, mais je savais que c'était lui. Je pensai à ses filles, je pensai à ma femme, à ma voisine au-dessus de ses poubelles. Cet amour que je ressentais était différent de tous ceux que j'avais pu connaître. Il les dépassait. Et je savais qu'il n'en était qu'à ses balbutiements.
Mc Cabb tenait ses appareils d'analyse à la main, prêt à scanner notre sang pour voir l'évolution de notre état. Il n'allait pas être déçu.
Je serrai Clara contre moi.
- Tu es le remède.
En même temps que je lui disais ces mots je remarquai pour la première fois une inscription gravée sur le mur, laissée par le détenu qui nous avait précédé dans cette geôle :


Un jour, quand nous aurons maîtrisé les vents, les vagues, les marées et la pesanteur, nous exploiterons l'énergie de l'amour. Alors pour la seconde fois dans l'histoire du monde, l'homme aura découvert le feu.
Pierre Teilhard de Chardin (1881-1955) - Paléontologiste et philosophe français

 

La Chaise [Nouvelles/Fantastique]

 

- Comment vas-tu ? demanda James.

Il tenait Rachel dans ses bras et lui chuchotait à l’oreille comme il avait pris l’habitude de le faire. Il pouvait sentir la douceur de ses longs cheveux flamboyant sous le soleil ainsi que le parfum naturel de sa peau. Il en avait à chaque fois les larmes aux yeux.

- Bien. Mais pourquoi parles-tu toujours si bas? On dirait que tu as peur que quelqu’un t’entende ou nous surprenne. Il n’y a personne dans ce parc, à part nous. Et quand bien même…

James s’essuya discrètement les yeux et sa voix rauque, un peu cassée, se fit à nouveau entendre :

- Excuse-moi, c’est instinctif. Chez moi, je suis un peu à l’étroit. Pas beaucoup d’intimité. Des amis et des voisins peu recommandables et envahissants. C’est un peu l’enfer. Je t’en ai déjà parlé, non ?

Ils étaient assis à même l’herbe. Le jour était encore jeune. Ils pouvaient sentir la rosée sous leurs pieds nus.  Elle se tourna vers lui et caressa les cheveux gris de ses tempes.

- Oui, un peu. Mais j’ai du mal à m'y faire. Pourquoi tu ne déménages pas ?

Il eut un rictus équivoque.

- J’aimerais tellement, si tu savais. Mais j’ai une sorte de… dette vis-à-vis de ces gens-là, une dette qui m’oblige à rester. L’avantage c’est que quand je suis là, avec toi, j’ai un peu l’impression de déménager.

Rachel sourit à son tour. James mesura la chance qu’il avait de pouvoir être en sa compagnie aux heures les plus sombres de sa vie. Mais il ne pouvait se faire à l’idée d’être séparé à nouveau d’elle. Il voulait croire jusqu’au bout à sa rédemption et à ce qu’elle pouvait lui apporter.

Il leva la tête et laissa le soleil baigner son visage creusé par les affres de l’existence.

 

- Tu es encore en retard. Qu’est-ce qui se passe ?

Rachel était déjà assise dans le parc, à leur place habituelle.

James s’installa auprès d’elle. Après quelques secondes d’hésitation, il la serra très fort contre lui.

- Excuse-moi. J’ai beaucoup de mal à trouver le sommeil ces temps-ci et j’ai perdu du temps en chemin. Je suis désolé.

Il l’était manifestement, tant et si bien que Rachel en fut profondément émue.

- Ce n’est pas grave. Tu es là, c’est tout ce qui compte.

Il la dévisagea. Ses yeux étaient embués comme s’il avait retenu des larmes.

- Oui, Rachel. C’est tout ce qui compte.

 

- Pourquoi on ne dormirait pas ensemble ? lui dit-elle un jour.

James observa un autre couple marcher au loin. Il fit glisser ses orteils nus dans l’herbe fraîche et encore humide comme pour se persuader qu’elle était réelle. Les doigts de ses mains faisaient de même sur la peau de Rachel.

- Cela se fera. Un jour. Pour l’instant, c’est impossible.

- Viens habiter chez moi, si tu veux.

- J’aurai encore plus de mal à trouver le sommeil, tu ne crois pas ?

Elle s’amusa de sa réflexion.

- Au moins, nous serions deux à arriver en retard.

Il se racla la gorge pour adoucir une voix qu’il avait toujours jugée trop inhumaine.

- Je t’ai déjà raconté une histoire à propos d’une chaise.

Rachel secoua la tête.

- Non. J’adore les histoires, tu sais.

James se permit de rire.

- Oh, oui. Justement, celle-là va beaucoup te plaire.

Elle se coula davantage contre lui, lui signifiant qu’elle était toute ouïe.

- On raconte que dans le monde des rêves, il existe un objet capable de réunir pour toujours les êtres qui s’aiment d’un amour pur et sincère.

- Le début est très prometteur. Mais c’est quoi cet objet ?

- Une chaise.

- Une chaise ? C’est pas très romantique.

- C’est vrai. Mais c’est une chaise vraiment spéciale.

Il rapprocha ses lèvres de son oreille.

- Elle est magique.

- C’est vrai ? Elle doit être magnifique alors.

Le visage de James produisit un rictus.

- Non, elle est même plutôt hideuse. Mais c’est ce qui fait qu’elle est spéciale. Derrière sa monstrueuse apparence, personne ne peut soupçonner sa véritable nature.

James se dit qu’il en était probablement de même pour lui.

- Excepté les êtres qui s’aiment d’un amour pur et sincère, compléta Rachel avec un enthousiasme évident.

James caressa ses mains.

- Exactement.

Rachel se mit à applaudir.

- Oh, oui, j’adore cette histoire ! Tu avais raison. Vite, vite, la suite !

- La suite, ma douce, c’est à nous de l’écrire.

Elle le dévisagea, perplexe.

- Quoi ?

- Nous devons trouver cette chaise. Ainsi et seulement ainsi, plus rien ne pourra nous séparer.

Elle le scruta comme jamais elle ne l’avait fait. Il fut ravi au plus profond de lui de faire l’objet de tant d’attention.

- Tu es sérieux ? S’enquit-elle.

Il acquiesça.

- Ce n’est pas qu’une histoire. C’est la vérité. Cette chaise existe.

Il vit bien combien Rachel peinait à le croire, malgré la gravité qu’il affichait.

- Mais…où peut-on trouver une telle chaise ? Dans les rêves, tu as dit ?

A nouveau, il acquiesça.

- La bonne nouvelle, c’est que je sais où elle est.

A cette annonce, les yeux de Rachel s’agrandirent comme ceux d’un enfant.

- Où est-elle ?

James appuya un index contre sa tempe.

- Là.

- Qu’est-ce que tu veux dire ?

- Moi seul peux m’y asseoir. Mais cela devrait suffire à lancer le charme et rompre le sortilège qui me tient loin de toi toutes ces heures. Et enfin effacer cette maudite dette qui m’enracine à cet enfer.

- Pourquoi je ne peux pas m’y asseoir ?

Il sourit. Elle avait l’air presque vexé. Au moins, croyait-elle à son histoire. Et c’était tout ce qui lui importait.

- Tu as le cœur trop pur, l’âme trop propre.

- Et toi, non ?

Cette fois, il secoua la tête.

- J’ai fait beaucoup de mal. Je t’ai fait beaucoup de mal, même si tu ne t’en souviens plus, aujourd’hui. J’ai même donné la mort. Et je le paye aujourd’hui.

- Je crois que tout le monde a droit à une seconde chance.

Il l’embrassa.

- Je l’espère, ma douce. Je l’espère de tout mon cœur.

Elle prit son visage entre ses mains.

- Alors, dépêche-toi de trouver cette chaise.

- C’est mon vœu le plus cher. Et il se réalisera. Rien ne peut l’empêcher, désormais.

Il l’embrassa à nouveau, des larmes plein les yeux.

Un claquement métallique le sortit violemment de sa torpeur. Il comprit qu’il était revenu en enfer. Une voix se fit entendre, comme jaillie d’outre-tombe :

- James Stingray. C’est l’heure.

La porte s’ouvrit. Il se leva. Il avait les mains moites. Le corps entier, en fait. Comme s’il s’était roulé nu dans la rosée. L’image le fit sourire avant de lui faire mal.

Il retrouva rapidement une contenance. Il ne devait rien montrer. Il ne leur ferait pas ce plaisir. Il en avait assez bavé comme ça devant leurs yeux. Ils s’étaient repus tant de fois de sa douleur. Il était grand temps de dire adieu à tout cela. Une autre vie l’attendait.

Il quitta la pièce et emprunta l’interminable couloir, escorté par une armée de gardiens. En route vers la chaise. La chaise magique.

 

 

T’as aimé…ou pas

T’as tout lu, tout vu, tout entendu…ou pas

Peu importe, post un com et like la page pour dire que tu existes car ton avis est important pour moi, mais aussi pour le futur de ce blog, un gros merci d’avance !

lundi, 04 février 2013

Queen Save The God [Nouvelles/Humouroïd]

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Bonjour, je m’appelle Sébastien et je vous présente mon père, Freddy Mercury. Nous viv… Quoi ? Je sais bien que c’est le célèbre chanteur du groupe Queen, vous ne m’apprenez rien. Mais il se trouve que c’est aussi mon père. Le fait est que je ne m’en suis pas aperçu tout de suite. Ca a mis un peu de temps.

Au début j’étais comme vous. J’avais un père tout à fait ordinaire. J’avais juste remarqué qu’il ressemblait beaucoup à Freddy Mercury. Même moustache, même énergie, mêmes dents en avant. Mon père m’a expliqué que cette particularité était due au fait qu’il avait longtemps sucé son pouce, bien après l’âge limite. Attention, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Je n’ai jamais dit que Freddy Mercury avait longtemps sucé son pouce après l’âge limite.
Tout comme Freddy, mon père passait beaucoup de temps torse nu, peut-être parce qu’il était fier de sa pilosité, je n’ai jamais vraiment su. Ce qui est certain, en revanche, c’est que comparé à Freddy, mon père avait le nombril un peu plus loin des hanches, si vous voyez ce que je veux dire.
Bref la ressemblance n’était peut-être pas très frappante pour le reste du monde, à commencer par ma mère, mais pour moi c’était une évidence qui devenait de plus en plus…évidente !

Dans ma grande naïveté, ignorant encore la véritable identité de mon géniteur, je m’étais contenté jusqu’alors de piètres explications concernant les évènements majeurs de notre vie familiale.
Le divorce, par exemple.
Pendant un certain temps, j’ai accepté l’idée que mes parents s’étaient séparés parce que mon père était devenu très égoïste. En période de vache maigre, dévorer le seul steack de la maison en entier et devant son fils, vous appelez ça, comment ?

Et puis il y avait pas que ça.

Il s’était fait progressivement une belle petite cagnotte qu’il plaçait dans une boite d’une grande sobriété, elle-même rangée dans un placard et dont on ne voyait, évidemment, jamais la couleur. La couleur de l’argent, pas celle de la boite. La boite, elle, elle était bleue et ronde, je m’en souviens très bien. Il la sortait et la remettait en place sans le moindre effort pour se cacher, comme pour dire : « Vous voyez, moi, j’ai réussi. Moi je ne galère pas. Moi, la crise ? Connais pas !» Ce qui constituera par la suite son leitmotiv préféré pour nous rabaisser, ma mère et moi.

Mais tout cela a changé le jour où j’ai compris qui était vraiment mon père. Et c’est alors que j’ai compris que la véritable raison du divorce était en fait que ma mère ne supportait plus que mon père chante sans arrêt même pendant les heures de repas et à l’occasion aussi pour stimuler sa sexualité. Je m'en souviens comme si c'était hier. La vie de couple l'avait semble-t-il usé, blasé. Il rêvait très certainement depuis longtemps de changement, de liberté, car à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit, il nous servait invariablement le même refrain :


Vous imaginez le choc ? Je devais avoir douze ans à l’époque et réaliser que j’avais vécu tout ce temps sous le même toit qu’une super star mondiale de la musique sans jamais m’en apercevoir a de quoi vous chambouler quelque peu le cerveau, vous en conviendrez. Mais le pire, c’est que j’ai compris tout cela seulement après mon choix. Oui, divorce oblige et ayant l’âge requis pour choisir avec qui vivre, j’ai choisi ma mère, ignorant bien sûr ma monumentale erreur.

Cela dit, les premiers temps, je n’ai pas été malheureux avec elle. Bien au contraire. On a déménagé dans une petite ville très agréable et loué une belle maison avec un grand jardin. Ma mère avait l’air vraiment heureuse et libérée. Ca me faisait plaisir de la voir ainsi. Mais au bout d’un moment, quand j’ai deviné que mon père n’était autre que Freddy Mercury, j’ai arrêté de la regarder et j’ai commencé à être vraiment triste. Le bonheur des uns…

Je me suis alors beaucoup réjoui lorsque le premier week-end de visite de mon père est arrivé. Ce qui n’a pas manqué de consterner ma mère.
- Tu n’es pas rancunier, toi ! Après tout ce qu’il nous a fait subir, même à toi ! Il en a de la chance, d’avoir un fils comme toi !
Ce que ma mère semblait ignorer, c’est que j’avais moi-même beaucoup de chance d’avoir un père tel que lui.
Lorsqu’il vint à la maison, ce fameux week-end, l’atmosphère fut pour le moins tendue, mais rien d’étonnant à cela. Peu de mots furent échangés. Moi, je cachai difficilement mon enthousiasme. J’avais tellement de temps à rattraper.
Je claquais un bisou sur la joue de ma mère et m’engouffrai dans la rutilante Plymouth Fury 1958 rouge sang de mon père.
- Putain, mais c'est Christine, la vedette du film de John Carpenter ! Où tu l'as dégotée ?
Mon père fit un geste aérien de la main :
- Oh, juste un petit gage de mon voyage au bout de l'Enfer !
Je pensais évidemment qu'il utilisait une métaphore pour évoquer les douleurs de son ancienne vie conjugale. Mais j'apprendrai - et vous aussi - que c'était loin d'être une simple image.
Pour ce qui est de la voiture, je comprends tout à fait votre étonnement. Mais il faut que vous sachiez que Freddy était quelqu’un de très discret en dehors de ses représentations publiques. Une fois qu’il redevenait mon père, il redevenait du même coup un homme simple, humble, presque anonyme. Un type comme les autres, quoi !

- Ca te dirait qu’on aille faire de la plongée sous-marine au milieu des requins et des méduses ?
Bon, il avait toujours ses petites manies de milliardaire, hein, on se refait pas ! Et puis, moi, personnellement, ce genre de caprice, quand on se trouve être son fils, bizarrement, ça dérange pas plus que ça. Allez savoir pourquoi.

En cours de route, on a pourtant changé nos projets. Je soupçonne mon père d’avoir sorti cette histoire de plongée pour noyer le poisson devant ma mère. Moi j’aurais bien été incapable de la mener en bateau, mais mon père avait fait ça toute sa vie, c’était une seconde nature pour lui.
- Qu’est-ce que tu sais des démons ? me lança-t-il très sérieusement tout en filant vers une destination connue de lui seul.
Question paranormal, j’étais plutôt incollable à cette époque. Alors je me suis fait un plaisir de sortir ma science, histoire de lui en boucher un coin :
- Juste qu’ils sont les incarnations de nos péchés les plus inavouables et qu’ils viennent nous rendre visite dès que le mal fait son œuvre plus que de raison en ce bas monde qui est le nôtre.
Oui, j’étais aussi un peu poète. La fibre artistique, j’en avais un peu hérité, semblait-il.
Freddy siffla. Il était sur le cul. Oui, normal, il conduisait. Ce que je veux dire c’est que j’ai bien senti qu’il ne s’attendait pas à ce que j’en sache autant sur le sujet.
- Moi aussi j’aime bien Scooby-Doo, mais à part ça, qu’est-ce que tu sais vraiment sur eux ?
Ouais, j’avoue, sur ce coup-là, il a eu la dent dure avec moi. Mais je peux pas trop lui en vouloir. J’avais beau en savoir long sur les démons, j’avais jamais eu l’occasion de mettre tout ce savoir en pratique.
Comme s’il avait lu dans mes pensées, il a ajouté :
- Je crois que c’est le moment où jamais de te faire dépuceler.
J’avalai de travers.
- De quoi ?
C’est alors que j’ai réalisé qu’on roulait depuis un moment dans un paysage plutôt sombre et triste. Non, triste, n’est pas le mot. Inquiétant, plutôt. Non, pas encore ça. Super flippant serait plus juste. Une atmosphère tellement bizarre que le jour et la nuit semblaient eux-mêmes avoir perdu leurs repères.
- On va où, là ?
A peine avais-je formulé ma question, que la voiture arrivait à la hauteur d’une pancarte. Le temps se mit à ralentir comme pour me faciliter la lecture.
- C’est quoi la Tombée de l’Enfer ? Je connais pas cette ville.
J’entendis mon père sourire. Un son très inquiétant.
- C’est pas une ville, fiston, c’est une saison.
- Une saison ? Quelle saison ?
- Celle du Diable !
Il éclata de rire. Un son très très très inquiétant.
Des éclairs se mirent à zébrer le ciel d’un noir d’encre et les nuages se mirent à vomir des boules de feu à l’horizon. J’étais tellement paniqué que j’ai juste réussi à dire :
- T’as un parapluie, j’espère !
Au moment où j’ai dit ça, la pancarte s’est embrasée et Christine, qui avait pas pipé un mot depuis le départ, s'est mise à  faire la causette, comme à son habitude, via l'auto-radio :


Il existait bel et bien une ville et nous nous y arrêtâmes avec soulagement, la météo devenant franchement infernale. En fait de ville, c’était plutôt une modeste bourgade tout droit sortie de l’époque du Far-West, avec ces maisons typiques, très espacées et même le saloon en plein centre. Celui-ci était à l’enseigne de La Dernière Lampée, tout un programme.
- Viens, dit mon père en relevant le col de son imper en cuir noir, on va s’en jeter un.

On poussa les portes battantes et on entra dans le bar,  particulièrement bondé à cette heure. Faut dire que l’orage qui s’annonçait devait y être pour beaucoup.
Lorsque mon père s’avança, la pénombre de la salle sembla reculer d’un seul coup comme si elle savait à qui elle avait affaire. J’ai cherché les projecteurs et les techniciens sans jamais en trouver un seul. Plus tard, je comprendrai que ça faisait partie de la magie de Freddy. On s’installa à une table et mon père s’adressa à la propriétaire des lieux, une vieille matrone aussi bougonne que ridée et qui empestait le whisky à des kilomètres.
- Deux verres, Simone !
L’intéressée cracha sur le comptoir.
- Je sers pas les tafioles !
Mon père sourit.
- Elle plaisante.
J’avais du mal à m’en convaincre, mais nous fumes finalement servis et rapidement de surcroît.
- Qu’est-ce que c’est ? demandai-je en observant le contenu de mon verre sous tous les angles. La couleur était aussi incertaine que la nature du liquide.
- Du sang de succube. C’est pas très bon, mais ça protège des démons.
Sur ces mots, il vida son verre cul sec.
Je déglutis.
- Du sang de succube ? Tu me fais marcher, là ?
Mon père m’adressa un regard que je connaissais assez pour ne pas remettre plus longtemps ses dires en question. Il essaya de dédramatiser.
- C’est pas la mer à boire, fiston.
C’est alors que je m’aperçus que tout le monde dans le bar me fixait, comme si j’étais en train de passer un test décisif. Simone avait même cru bon, pour m’encourager, de me menacer avec un tromblon.
Je fermai les yeux et avalai la liqueur sans sourciller.
- J’en serai quitte pour une petite brûlure d’estomac.
Je n’avais pas plus tôt dit ça que des flammes me sortaient de la bouche. Mon père se baissa à temps et c’est le client derrière lui qui fit les frais de mon inexpérience en matière de breuvages ésotériques.
Dire que je ne me sentais pas à l’aise était un euphémisme. Je me retrouvai enfin seul avec mon père que je savais être l’un des plus grands chanteurs de la planète et j’avais la désagréable impression que cela ne sautait aux yeux de personne que je pouvais avoir besoin d’un minimum d’intimité pour partager un tas de choses avec lui.
Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, j’osai une requête :
- Dis, 'pa, tu voudrais pas me chanter quelque chose ? Je sais que c’est ton métier et que tu fais ça tous les jours, mais là on est tous les deux et ça me ferait vachement plaisir.
Mon père grimaça un peu avant de sourire et de hocher doucement la tête :
- Ok, fils.
Il me donna une pièce.
- Tiens, mets-la dans le juke-box.
Je comprenais pas trop sa réaction, mais je décidai de m’exécuter, pensant que cela faisait partie d’une mise en scène très étudiée. J’allais me rendre à la machine quand j’ai soudain été frappé par une vive inspiration. J’ai regardé mon père et je lui ai adressé un clin d’œil complice.
- Tous des tafioles ! gronda Simone avant de cracher dans un verre qu’elle essuyait.
Je pris une grande inspiration, conscient encore une fois que tous les regards étaient braqués sur moi. Je ne pouvais pas me louper. Ma réputation était en jeu et celle de mon père aussi, par la même occasion. Il était connu et respecté en ces lieux, cela ne faisait aucun doute. Il fallait donc que je gagne moi aussi mes galons de star.
J’ai relevé mon pouce et la pièce s’est envolée au ralenti. Chacun put l’observer à loisir tournoyer à travers la salle. Elle brilla de mille feux comme un diamant avant de retomber dans le crachoir placé à côté du juke-box.
Ma dignité se fit toute petite et moi avec. On m’épargna un concert de rires moqueurs, sans doute pour ne pas offenser mon père qui, l’air de rien, veillait au grain. Je haussai les épaules et allai bravement récupérer la pièce dans le crachoir, qui évidemment, n’était pas là pour rien, même si le sol tout autour démontrait que question précision, je n’étais pas le seul à avoir des progrès à faire.
Je glissai le jeton dans la fente...

...et au son des premières notes, j’oubliai instantanément mes déboires. Je me mis à glousser comme une poule.
- Génial ! On se croirait dans Higlander II !
Mon père me fixa et hurla :
- Ne perds pas la tête !
Je me mis à rire, mais lorsqu’il me cloua sur la table d’une poigne de fer, je compris qu’il ne plaisantait pas. J’entendis un sifflement au dessus de moi qui m’apprit que je venais sans doute d’éviter une navrante décapitation. Je me retournai pour découvrir un bien étrange duo : un clone de Jean Reno armé d’un fouet lumineux ainsi qu’un sosie de Takeshi Kaneshiro en armure de samouraï, le sabre en main.

- C’est qui le chinois ? m’enquis-je pour faire bonne figure alors que mon caleçon baignait dans mon urine.
- Il est pas chinois, il est japonais. Il s’appelle Samanosuke. Et on se sépare jamais. D’autres questions ?
Jean s’assit à notre table, imité comme son ombre par le…japonais, donc.
Mon père redevint hilare.
- Fiston, je te présente Jacques Blanc et Samanosuke, deux vieux potes qui me prêtent main forte dans la lutte que je mène depuis des années contre les démons qui menacent notre monde.
Encore une fois, je démontrai ma très grande capacité à accepter les coups du sort.
- Ca veut dire qu’on ira pas faire de la plongée ?
Mon père vida son verre qui s’était rempli comme par magie.
- Si, mais les requins à côté de ce qui nous attend c’est du pipi de poisson-chat !
A ces mots, il délogea quelques lattes du parquet - et quelques blattes grosses comme ma main par la même occasion - plongea lentement sa main dans la cavité, avant d'en ressortir subitement...


...une boite cylindrique bleue en plastique, étrangement familière. Il observa ma crispation sans mot dire lorsqu'il ôta le couvercle. Il posa plusieurs balles rutilantes d'un calibre inquiétant sur la table.
- C'était donc pas de l'argent que tu cachais à l'intérieur ! m'écriai-je, soulagé jusqu'aux larmes.
Il me sourit.
- Si. C'est bien de l'argent. Des balles en argent. Indispensables pour détruire certains démons.
Son sourire s'élargit et il m'ouvrit ses bras.
J'ignorai sa dernière phrase pour venir promptement l'enlacer, trop heureux de pouvoir enfin lui pardonner et surtout me pardonner d'avoir douté de lui pendant toutes ses années. A l'extérieur du bar, touchée par la scène, Christine ne put s'empêcher d'accompagner nos émois... à sa façon :

 

 

A suivre...

 

Ce blog c'est pas juste un passe-temps
j'y bosse dur tous les jours
Je ne te demande pas d'argent
mais juste en retour
un petit commentaire
Ce sera mon salaire
C'est plus précieux que ça en a l'air

dimanche, 18 novembre 2012

Assassin's Creed - Le Dernier Vol de L'Aigle

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L’Officier Donato Di Milano fit silence autour de lui d’un geste impérieux de la main. Ses douze hommes se turent et éclairée par quelques flambeaux, la cave prit soudain des allures d’église.
- Mes fidèles. L’heure est venue pour nous de rejoindre d’autres sympathisants, d’autres soldats, qui comme nous, ont cessé de croire à la politique de Cesare Borgia. Giuseppe…
L’intéressé – un grand sec au visage balafré – se fendit d’un sourire à l’écoute de son nom.
-… a appris de source sûre qu’un Capitaine Borgia du nom de Francesco Avvoltoio désirait rejoindre nos rangs. Son statut serait un atout majeur dans nos futures opérations. Nous devons le rencontrer cette nuit  au Colisée. Il viendra avec plusieurs de ses hommes. Nous mériterons bientôt le nom d’esercito !
Cette annonce reçut un accueil des plus enthousiastes. Mais l’heure n’était pas encore à la célébration. Ils le savaient. La lutte ne faisait que commencer.

La lune était pleine et comme désireuse de suivre les évènements de près, éclairait la petite armée progressant vers l’imposant amphithéâtre.
Parvenue au centre même de l’arène, la troupe se figea.
Donato caressa sa barbe.
- C’est une belle nuit pour conspirer.
Une silhouette se dressa sur le sommet de l’attique.
- Officier Donato Di Milano ?
Le susnommé émit un rire jovial.
- Francesco Avvoltoio ?
Le visiteur attendu se fendit d’une élégante révérence.
- En personne et pour vous servir.
- Vous êtes venu seul ?
- Rassurez-vous. Mes hommes ne sont pas loin.
Donato observa les siens. Leur nervosité était manifeste. Il espérait que la sienne l’était moins.
- Venez nous rejoindre que l’on puisse converser convenablement. Nous avons beaucoup de choses à nous dire.
- Je ne suis pas venu pour converser.
Son ton glacial trancha net l’atmosphère.
- Archibugio ! hurla l’un des hommes de Donato.
Une dizaine d’arquebusiers apparurent comme par magie dans l’ouverture des arcades supérieures, les encerclant complètement.
Donato tira sa lame, le regard aussi noir que sa barbe :
- Qui a trahi ?
Ses yeux tombèrent sur Giuseppe.
- Bastardo ! Cela ne peut être que toi ! Tu nous as vendus aux Borgia ! Pour combien de Florins ?
- Pas du tout, reprit Francesco de son ton empathique. Il n’a fait qu’assurer sa promotion.
Il marchait nonchalamment sur le rempart. Sa silhouette se découpa sur le visage blafard de la lune.
- Car cette nuit, un Officier va mourir. Et un autre va naître.
Donato se rua sur Giuseppe, l’éclair de son épée levée au-dessus de sa tête.
Alors les arquebuses firent entendre leur chant funeste.
Des pigeons s’envolèrent non loin de là et leurs plumes vinrent s’échouer sur un tapis de sang.

1 mois plus tard

Le soldat fixa l’avis de recherche sur la porte en bois au moyen d’une flèche.
On pouvait y lire :

Ezio Auditore 50 000 f

L’inscription était surmontée du portrait d’un homme encapuchonné dont le visage demeurait caché dans l’ombre. Ses actes, eux, l’étaient beaucoup moins.
Depuis plusieurs années il malmenait les projets des Borgia et ce faisant, ridiculisait la garde de Rome. Le peuple le soutenait autant que possible et il avait rallié progressivement à sa cause toute une communauté d’ardents partisans mêlant courtisanes, voleurs et mercenaires. Récemment, sa lutte contre la tyrannie en place avait franchi un nouvel échelon. Désormais, il ne se contentait plus de simples complices. Il formait des assassins parmi les civils et les criminels qui à leur tour initiaient d’autres rebelles à l’art du meurtre furtif, soufflant sur les braises de la révolte.
Défait par Ezio Auditore en personne, Rodrigo Borgia avait cédé les rênes du pouvoir à son fils Cesare. Et ce dernier avait tôt fait de faire d’Ezio Auditore une priorité dans son programme pour le moins chargé.
Nul doute qu’en assiégeant Monterigioni, il n’avait fait qu’accélérer l’ascension des Assassins dans la capitale.
Rome faisait figure d’échiquier aux mains des deux hommes. Si Ezio avait déjà avancé de nombreux pions de manière menaçante, Cesare, loin d’être en reste, avait lui-même déployé des pièces maîtresses afin de contrer la stratégie de son adversaire.
Le secret et la surprise étaient pour eux des armes vitales. Et ils étaient tous deux prêts à tout pour s’assurer de l’un comme de l’autre.

Le garde qui affichait depuis une heure les avis de recherche était loin de se douter de tous les enjeux  de la lutte à laquelle il participait tant bien que mal à son niveau.
Il grimpa à une échelle et fixa un nouveau document sur le mur. Du coin de l’œil, il surprit un mouvement suspect dans la rue. Se retournant, il vit que l’avis placardé sur la porte venait de disparaître. Ce n’était donc pas un accident tout à l’heure ! Quelqu’un s’amusait délibérément à les enlever dès qu’il avait le dos tourné.
La rage au ventre, il se laissa tomber au bas de l’échelle et tirant son épée, commença à inspecter les lieux en interrogeant les passants de son ton le plus autoritaire. Voyant qu’il n’obtenait aucun résultat, un jeune garçon s’avança avec hardiesse. Il avait l’air d’un mendiant. Sans doute un orphelin comme il y en avait tant dans les rues.
- Moi je l’ai vu celui qui a fait ça !
Le garde le jaugea avec méfiance avant de s’enquérir :
- Tiens donc ! Et où est-il passé ?
- Je vous le dis pour cinq florins.
Le garde grimaça.
- Dis-le moi et tu conserveras ta langue.
Le garçon opina, une main plaquée sur sa bouche. Il s’élança au milieu de la foule et le garde eut tout le mal du monde à ne pas le perdre de vue. Ils arrivèrent dans une ruelle. Au bout de celle-ci, les eaux bleues du Tibre miroitaient sous le soleil à son zénith.
Le garçon pointa un doigt en direction du fleuve.
- Il a plongé, exactement là !
Tout à sa tâche de repérer le criminel, le garde ne vit pas son jeune informateur passer dans son dos. Un bon coup de pied dans le postérieur suffit et le garde se retrouva dans l’eau à gesticuler comme un forcené.
- Bastardo !
Le garçon riait tant qu’il pouvait. Il brandit ostensiblement un avis de recherche avant de le ranger dans sa besace.
- Je le mets avec les autres, vous en faites pas !
Il rit de plus belle et tout en détaillant le contenu de la bourse de l’infortuné, il s’en retourna vers la rue bondée. Il n’avait pas encore quitté la ruelle qu’un officier le soulevait de terre et le collait violemment contre le mur.
- Alors, c’est toi le détrousseur qui sévit depuis des semaines. Je t’imaginais plus vieux.
- C’est parce que vous n’avez pas beaucoup d’imagination !
L’officier leva la main pour frapper, mais une voix jaillie de nulle part l’interrompit.
- Lâche immédiatement ce gamin !
Le garçon et l’officier tournèrent la tête et aperçurent un homme élégant avancer dans leur direction. Une capuche blanche masquait ses traits. Son identité ne faisait aucun doute. C’était l’homme le plus recherché de Rome, celui qui précisément habillait les avis de recherche.
- Ezio Auditore ! firent-ils en chœur.
- Pour vous servir.
L’officier déglutit, mais ne lâcha pas sa prise pour autant.
- Si tu fais un pas de plus, je…
La lame d’un couteau lui transperça l’épaule. Il se recula et le garçon tomba au sol.
L’officier agrippa la poignée de son épée, mais la main d’Ezio se referma sur le manche du couteau.
- J’ai quelques notions d’anatomie et il me semble que la carotide n’est pas loin. Ce ne serait pas beau à voir.
Le garçon bondit sur ses pieds.
- Vas-y, Ezio, fais-lui une bonne saignée !
Sa joie manifeste fit sourire l’assassin.
- Mais ce ne serait pas un spectacle pour un bambino.
Le garçon perdit soudainement sa gaieté.
- Je suis pas un bambino !
Ezio enfonça un peu plus le couteau dans l’épaule de l’officier qui étouffa un cri.
- La prochaine fois, il n’y aura ni témoin, ni avertissement, ni échappatoire !
Il récupéra sa lame et envoya l’officier disparaître dans la cohue d’un coup d’épaule.
Il s’intéressa alors au garçon.
- C’est donc toi qui t’amuses à noyer les gardes de Cesare.
- J’y peux rien s’ils se noient. Leur armure est tellement lourde qu’ils plongent droit vers le fond.
- Ce n’est pas vraiment un jeu pour un bambino.
- Je suis pas un bambino.
Il redressa fièrement la tête.
- Je suis un assassino ! Et je sais tout de toi !
Ezio s’esclaffa.
- Tiens donc !
Il s’empara de sa besace et l’ouvrit.
- Parce que tu collectionnes mes avis de recherche. Intéressant, mais insuffisant.
Le garçon le défia du regard.
- Je sais que tu as perdu ton père et tes deux frères et aussi ton oncle Mario à Monteriggioni. Je sais que tu formes des assassins à devenir comme toi. Moi aussi je veux devenir un aquila, un assassino !
Ezio ne put cacher sa surprise.
- Et bien ! C’est vrai que tu en sais des choses. Mais de là à devenir un aquila comme tu dis ! D’abord comment t’appelles-tu et où se trouvent tes parents ?
- Je m’appelle Raphaëlo Di Milano. Je suis tout seul. Ma mère est morte en me mettant au monde et mon père a été tué par les hommes de Cesare.
Son visage d’adolescent fut tout à coup déformé par un violent sentiment.
Ezio lui-même ne fut pas insensible.
- Di Milano ? Donato Di Milano était ton père, c’est ça ?
Raphaëlo opina avec tristesse.
Ezio s’adoucit et observa le garçon avec un tout autre regard.
- J’ai entendu parler de ton père et de ses projets. Bien trop tard, il est vrai. Il s’est montré très courageux. Je pense que nous aurions pu travailler ensemble s’il n’avait pas manqué de chance. En tous cas, je comprends mieux tes motivations. Tu as des raisons de te venger, il est vrai.
Ezio posa ses mains sur les frêles épaules de Raphaëlo. Ce dernier ravala ses larmes pour mieux s’exprimer :
- Mon père n’a pas manqué de chance, il a été trahi par l’un de ses hommes qui voulait prendre sa place. Je sais comment il s’appelle et je connais aussi le nom de celui qui a tué mon père !
Il avait le plus grand mal à contenir sa colère. Mais si quelqu’un pouvait se mettre à sa place, c’était bien Ezio. Il devait avoir le même âge que lui quand il avait assisté à la pendaison de son père et de ses frères. Ils avaient eu tous deux un père brave et juste qui avait payé de sa vie son combat contre l’oppression. Pour autant, il avait d’autres préoccupations.
- Ecoute, Raphaëlo. Ce que tu fais est déjà d’une grande aide pour moi et pour le peuple de Rome. Ton père serait fier de toi.
- Mais tu ne comprends pas ! J’ai toujours rêvé de te rencontrer. Je veux faire plus que cela. Je veux devenir un assassin ! C’est toi qui m’as inspiré !
Ezio sentait que s’il restait en présence du garçon, il allait céder. Et dans l’état actuel des choses, il ne pouvait se le permettre.
- Je suis désolé. Tu es trop jeune pour devenir un assassin. Et la vengeance n’est pas une motivation suffisante. Je ne nie pas que cela a été pour moi un point de départ, mais j’ai dépassé ce stade depuis longtemps. J’ai d’autres raisons, maintenant, des raisons plus importantes qui ne concernent pas que moi. Tu dois grandir encore un peu. Tu dois vivre et avoir plus d’expérience.
Les yeux de Raphaëlo brillèrent d’une douleur contenue et son visage s’empourpra.
Il voulut dire quelque chose pour sa défense, mais il s’étrangla. Sa déception était immense. Il préféra s’enfuir plutôt que de perdre toute sa dignité. Ezio poussa un soupir en le regardant partir. Il avait le sentiment d’avoir commis une erreur, d’avoir trahi, pas seulement quelqu’un qui avait confiance en lui, mais aussi une partie de lui-même.
Et c’était sans doute cela le plus dur.

Lorsqu’il pénétra dans son repaire de l’île du Tibre, Machiavelli l’attendait déjà.
- Tu es en retard, fit ce dernier d’un ton sentencieux.
Ezio préféra s’en amuser.
- Je savais bien que tu allais finir par te prendre pour mon père.
Bartolomeo était présent lui aussi. Il alla droit au but.
- Mes hommes ont mis la main sur un document pour le moins précieux. Regarde.
Les trois hommes se penchèrent au-dessus de la table.
- On dirait un plan de Rome.
- C’est ce que nous avons cru aussi, révéla l’ancien condottiere.
Ezio prit la carte et la plaça devant la flamme d’une bougie.
- Il y a un tracé précis, comme un itinéraire. Mais à quoi peut-il correspondre ?
- Nous n’en sommes pas encore sûrs, dit Machiavelli, mais en discutant avec certains officiers j’ai appris qu’un convoi spécial allait traverser la ville dans quelques jours. Ils ignoraient sa nature exacte. Très peu de personnes doivent être au courant des détails de cette opération clandestine.
- Un chargement secret, murmura Ezio. Ca peut être de l’argent, des armes…
- Ou peut-être veut-on nous le faire croire, observa Machiavelli.
Bartolomeo secoua la tête.
- Les mercenaires ont dit que le document était en possession d’un courrier de Borgia ivre. Ils n’ont même pas eu à se battre pour l’obtenir. Plutôt curieux, non ?
- Ambigu, fit Ezio. Soit on nous incite à croire que ce convoi a peu d’importance, soit on essaie de nous tendre un piège. Dans les deux cas, il y a supercherie, ce qui est tout à fait digne de l’esprit tordu de ce cher Cesare.
- Que fait-on ? interrogea Bartolomeo.
- Dis à tes hommes de ramener le courrier. Nous allons l’interroger. Ce n’est qu’un pion, mais il en sait peut-être plus qu’il ne le croit lui-même. Surtout s’il est ivre. Continuez d’examiner cette carte, elle a peut-être d’autres informations d’importance à révéler.
Machiavelli toisa l’assassin :
- Et toi, que vas-tu faire ?
- Je vais trouver La Volpe. Il sait peut-être quelque chose à ce sujet. Il a une fâcheuse tendance à laisser traîner ses mains et ses oreilles là où c’est nécessaire.

En quittant le repaire, Ezio eut la surprise de tomber nez à nez avec Raphaëlo.
- Mais…que fais-tu ici ?
- Je t’ai suivi.
Le garçon avait visiblement retrouvé toute sa gouaille. Il avait sans doute préparé son argumentaire.
- Si tu m’as suivi, alors tu es doué. Je n’ai rien remarqué.
- Tu vois, je ferai un excellent assassino !
Ezio sourit, ému par la ténacité de l’adolescent.
- Têtu comme tu es, tu as tout pour être une mula, pas un aquila !
- Je serai une mule volante, pourquoi pas ? Ca peut servir aussi !
La volonté dont faisait preuve le garçon était désarmante, mais Ezio n’avait pas le temps de se prêter au jeu. Cesare préparait quelque chose et il devait agir au plus vite.
- Tu n’as pas quelques affiches à décrocher ?
Raphaëlo haussa les épaules.
- J’ai brûlé ma besace. Ce n’est plus à moi de faire ça. J’ai de plus grandes ambitions.
- Oui, fit Ezio avec un sourire. Je suis au courant, je crois. Assassino !
Le mot suffisait à faire étinceler les yeux du garçon comme des diamants.
Ezio ignora cette image. Elle lui faisait peur.
- J’ai du travail. Les gens qui ont besoin d’aide, ce n’est pas ça qui manque à Rome. Tu devrais te rendre utile auprès d’eux.
Ezio allait prendre congé, mais le garçon le retint par un bras.
- S’il te plaît, Ezio ! Laisse-moi ma chance ! Je suis sûr que je ferai un excellent assassin ! Laisse-moi faire mes preuves !
Voilà qu’il le suppliait, maintenant.
Raphaëlo était sans nul doute un gamin intelligent. Il finirait par comprendre de lui-même qu’il n’était pas de taille.
Ezio soupira.
- Très bien ! Rendez-vous sur le toit de l’Eglise de Santi Apostoli dans deux heures. Nous verrons si tes jambes sont aussi souples que ta langue !
Le garçon ne put contenir sa joie. Il poussa un grand cri et partit comme une flèche vers le lieu du rendez-vous. Difficile de trouver un élève plus zélé, songea Ezio.

Ezio ne trouva pas La Volpe. Un groupe de voleurs lui apprit qu’il avait quitté Rome pour quelques jours afin d’étudier une alliance avec une guilde siégeant à Milan.
Malgré ce triste constat, Ezio se sentait d’humeur enjouée. L’enthousiasme du jeune Raphaëlo devait être contagieuse. L’assassin se mit en marche vers l’église, le cœur étonnamment léger. Son devoir pouvait attendre un peu. Il avait besoin de se divertir et ce gamin lui offrait une occasion inespérée de le faire. Et surtout, il avait l’occasion de se racheter auprès de lui, ce qui valait son pesant d’or.

Raphaëlo l’attendait sagement depuis des heures sur le toit de l’église. Il bondit sur ses pieds lorsque Ezio atterrit souplement près de lui.
- Tu ne t’es pas fait remarqué au moins !
- Je sais semer les gardes mieux que personne, fit le garçon avec arrogance.
- Très bien, alors voyons si tu sais semer un véritable aquila !
Sur ces mots, Ezio s’élança dans le vide. Il boula sur un toit, bondit à nouveau et se raccrocha à une corniche. Il remonta et jeta un coup d’œil derrière lui pour voir où en était son protégé. Il ne le vit pas. Il eut soudain la terrible pensée qu’il l’avait surestimé et que le jeu était allé trop loin. Il regarda en contrebas en espérant ne pas voir son jeune corps écrasé sur les pavés Un grand bruit le fit se retourner. Raphaëlo se tenait debout devant lui.
- Mais à quoi tu joues, idiota ? Tu cherches à m’impressionner ?
Le garçon afficha un visage guilleret et Ezio comprit qu’il avait vu juste.

Ils passèrent le restant de la journée à escalader les toits de Rome avec un plaisir égal. Malgré son expérience, Ezio n’en finissait pas d’admirer les prouesses de Raphaëlo. Il était bien plus doué que lui au même âge. Et cette évidence lui donnait un pincement au cœur. S’il lui disait la vérité, le garçon ne le lâcherait plus d’une semelle au risque de compromettre sa mission actuelle. Et s’il niait son potentiel, il gâcherait ses espoirs et ses rêves les plus fous.
La nuit tombait déjà lorsque Ezio réalisa qu’il devait retourner au repaire.
- Il faut que je te laisse. J’ai affaire.
- Des trucs d’assassin, c’est ça ?
Ezio opina.
- Alors je suis toujours une mula ou je suis un aquila ?
L’assassin sourit.
- Tu es bien une mule volante !
- Alors quand est-ce que tu m’apprends à me battre ?
Le visage d’Ezio se rembrunit.
- Il n’a jamais été question de cela, Raphaëlo !
- Mais comment veux-tu que je devienne un assassin si je ne sais pas me battre ?
Ezio n’avait pas envie de se lancer dans un nouveau débat avec l’adolescent. Il coupa court en plongeant dans le Tibre. Le garçon ne savait pas nager. Il regarda son mentor disparaître, ombre parmi les ombres, écoeuré de la tournure des évènements.

Ezio trouva Machiavelli faisant les cents pas dans la salle principale.
- Où est Bartolomeo ?
- Il n’a pas eu ma patience. Et il avait surtout autre chose à faire qu’à t’attendre. Alors que t’a dit La Volpe ?
- Rien. Il n’est pas à Rome.
- D’autres contacts ?
- Non, aucun.
Machiavelli arbora un air contrarié.
- Je peux savoir ce que tu as fait de ta journée ?
- Tu te prends vraiment pour mon père.
Ezio s’assit et commença à se restaurer.
Son ami l’observa avec attention.
- Si je te connaissais pas, je dirais que tu as été voir une jolie signora en détresse et que les seules confidences que tu as récoltées ont été celles qu’elle t’a faites sur l’oreiller.
Ezio s’esclaffa.
- Machiavelli, pour une fois, tu fais fausse route. Je me suis bien dépensé, je le reconnais, mais ce n’était pas en compagnie d’une jeune signora. J’étais avec un gamin.
- Mon dieu, serais-tu tombé si bas ?
- Mais non, idiota ! Il veut devenir un assassin. Seulement, il est trop jeune et il ne veut pas l’admettre. J’ai toutes les peines du monde à lui faire entendre raison.
Machiavelli sourit.
- Quel heureux hasard. Cela me rappelle assez notre propre relation. D’ailleurs je crois devoir te rappeler que nous avons une affaire à traiter et que le délai est des plus courts.
- Je sais. Le courrier a-t-il parlé ?
Machiavelli haussa les épaules.
- Tout ce qu’on sait c’est qu’il ne le fera plus. Son corps a été retrouvé dans le Tibre.
Ezio bondit de son siège.
- Quoi ? Il a été assassiné ?
- Si seulement. Non, à en croire les témoins, il s’est contenté de faire un faux pas. Il faut dire qu’il n’avait pas dessaoulé.
Ezio secoua la tête.
- Maledizione !
Puis il vida son verre de vin.
- Et la carte ?
- Rien de nouveau, j’en ai bien peur.
Machiavelli la tendit à l’assassin qui la détailla à nouveau.
- On est dans une impasse. Je me demande si Leonardo ne pourrait pas nous filer un coup de main. S’il y a un code inscrit sur cette carte, il le trouvera.
- Soit, mais sans vouloir être ton père, évite les enfantillages cette fois. Cesare Borgia mérite toute notre attention. Tu le sais mieux que quiconque.
Ezio sourit.
- Machiavelli, la voix de la raison !
L’intéressé minauda.
- A laquelle tu prends plaisir à rester sourd.
Ezio lui tendit un verre de vin.
- Trinque à notre futur succès au lieu de dire des sottises !

Ezio partit de bonne heure le lendemain en direction de l’atelier de son ami Leonardo. Il essayait de ne pas penser à Raphaëlo. En vain. Le gamin lui rappelait trop sa jeunesse. Pour un peu il se serait senti père lui aussi à donner des leçons d’éducation comme il l’avait fait la veille. Il secoua la tête pour chasser ses pensées. Mais elles eurent tôt fait de se matérialiser à quelques mètres de lui. Il ne pouvait visiblement pas leur échapper à Rome.
Raphaëlo se tenait près d’un médecin au masque d’oiseau vantant les mérites d’un nouveau remède contre les furoncles et autres problèmes de peau disgracieux.
Ezio se dit qu’il avait peut-être finalement trouvé d’autres ambitions et un nouveau mentor pour les atteindre. Mais il faisait fausse route. Le garçon fit mine ne pas avoir vu l’assassin. Raphaëlo n’était pas seulement un agile coureur, c’était aussi un bon comédien à en croire son attitude. Ezio feignit aussi de ne pas l’avoir vu et continua à marcher, sa fidèle capuche facilitant son anonymat. Quelque chose le frappa dans le dos. Il se retourna. Le gamin lui faisait face, les larmes aux yeux, le visage haineux :
- Puisque c’est comme ça, je deviendrai un assassin tout seul !
Ezio le regarda s’éclipser derrière l’échoppe d’un forgeron. Il décida que l’histoire était close et qu’il n’avait plus à s’en soucier.
Au prix d’un effort, il parvint à se concentrer sur sa mission.

Arrivé devant la porte de l’atelier, il frappa plusieurs coups de sorte à composer un code établi entre lui et l’artiste.
- Tu es Ezio Auditore ?
Un homme aux allures de prêtre sortit d’une encoignure.
L’assassin le toisa avec méfiance.
- C’est exact.
- Leonardo n’est pas là. Une affaire urgente à traiter.
Ezio soupira.
- Décidément, tout le monde me fuit !
- Il a laissé ce paquet pour toi.
Le prêtre lui tendit un colis et se mêla à la foule sans plus de cérémonie.
Ezio choisit un coin discret et défit l’emballage.
Il trouva deux lames ainsi qu’un mot de l’artiste :

Ezio,

Voici deux nouvelles lames d’assassin conçues spécialement pour toi. En tant que peintre et inventeur, je sais que sans de bons outils, un artiste n’est jamais que la moitié de lui-même. J’espère qu’avec ceux-là, tu deviendras le meilleur de toi. Si ce n’est pas déjà le cas.

Ton ami Leonardo.


Ezio détailla les lames. A leur éclat, il comprit que le métal avait été renforcé et les côtés de chaque lame étaient nantis de petites dents sur toute leur longueur. De quoi faire du petit bois avec les armes des Brutes !
Ezio sourit.
- Tu es un maestro, Leonardo !
Il rangea les lames dentelées dans sa ceinture et c’est alors qu’il remarqua qu’il lui manquait plusieurs couteaux de lancer. Il était pourtant certain d’avoir complété son inventaire avant de partir de l’île du Tibre. En se remémorant ses actions passées pour expliquer cette absence, il se rappela sa rapide altercation avec Raphaëlo et c’est là qu’il comprit. Rempli de rancœur, le garçon lui avait dérobé ses lames.
- Idiota !
Ezio se dit que ça n’était pas bien méchant, un caprice d’adolescent. Il espérait juste qu’il ne ferait pas de bêtises plus grosses que lui avec ses nouveaux jouets.
Tout en cheminant au milieu de la rue déjà bondée à cette heure, il examina de nouveau la carte. Il étudia attentivement le tracé et réalisa que par un heureux hasard, il le suivait précisément. Je n’ai qu’à vérifier si cet itinéraire présente de lui-même des particularités, se dit l’assassin. Avec un peu de chance, la clé du document est peut-être là, tout près.
Il regarda les échoppes et les maisons bordant chaque côté de la rue. Il ne trouva rien qui méritât qu’on s’y attarde. Tant pis, songea-t-il. Peut-être que Machiavelli aura du nouveau de son côté. Le cri d’un aigle dans le ciel lui fit lever les yeux.
- Aquila !
Il était en train de repenser au garçon lorsqu’un détail le frappa brusquement. Le rapace était perché sur le sommet d’une grue. Les yeux d’Ezio s’agrandirent tandis qu’il suivait le tracé de la carte et découvrait à intervalles réguliers d’autres grues se profiler sur les toits.
La vérité le frappa alors d’un seul coup.
Il y aurait bien un convoi, mais convoité par Cesare lui-même. Ces grues constituaient assurément des postes d’observation idéals pour une embuscade. Il en savait quelque chose.
Cesare prévoyait une attaque savamment coordonnée. Le convoi – quelque fut sa nature – devait représenter aux yeux des Borgia une mine d’or ou bien une menace à leur soif de contrôle absolu.
Quelqu’un voulait faire sortir quelque chose de Rome dans le plus grand secret, à la barbe des Borgia. Ezio allait tout faire pour que le plan prévu fonctionne. Mais il aurait donné cher pour savoir ce qui motivait une telle organisation. Nul doute qu’il le découvrirait bien assez tôt. Ragaillardi par cette découverte, il s’élança sur le mur le plus proche et bondit de toit en toit en direction de son repaire.

L’officier Giuseppe Falsario finissait de donner ses instructions à ses hommes dans le quartier sud-est de Centro. Ezio Auditore avait encore fait parler de lui et la surveillance était désormais renforcée dans le quartier du Tibre.
Giuseppe attendait la visite du Capitaine Borgia Francesco Avvoltoio avec qui il entretenait d’excellents rapports depuis sa promotion. Mais il sentait bien que les méfaits perpétrés par le fils de feu Donato Di Milano – puisqu’on l’avait identifié - ternissait un peu l’image qu’il offrait à son supérieur. Il comptait donc bien effacer cette imperfection du tableau.
Il caressa sa cicatrice. Sa main se crispa. Quand on parlait du loup. Le rejeton de Di Milano venait d’apparaître devant lui, bondissant depuis une grue. Il le défia du regard. Son visage n’était qu’un masque de haine. Du haut de ses seize ans, rien ne semblait pouvoir l’intimider.
L’officier sourit, ce qui ne constituait pas un spectacle des plus attrayants.
- Bastardo, te voilà enfin !
Raphaëlo ne lui rendit pas son sourire. Il se contenta de lui balancer l’un des couteaux dérobés à Ezio. Giuseppe dégaina sa lame et dans le même mouvement renvoya le couteau vers son propriétaire. Le garçon l’esquiva de justesse et il trouva le cœur d’un innocent barde qui perdit la voix et la vie, à peu près dans cet ordre.
Les passants s’écartèrent. Des femmes crièrent.
Un brute imposant en armure se fraya un chemin dans la foule d’une seule épaule et arriva sur les lieux du combat. Alarmé par les cris, un traqueur armé d’une lance vint également en renfort.
Giuseppe sourit à nouveau.
- Je crois que tu as mal choisi ton jour pour régler tes affaires de famille, mon petit !
Cette fois Raphaëlo sourit.
- Tu diras ça à mon père, bastardo !
Le traqueur se tourna vers l’officier en écarquillant les yeux de stupeur.
- Vous…vous saignez.
Giuseppe baissa la tête. Une lame de couteau était plantée jusqu’à la garde dans son abdomen.
Le gamin avait été plus malin et plus rapide que lui. Ses jambes se dérobèrent sous lui et il s’affaissa contre une porte.
- Tuez ce sale petit enfant de puttana!
Le traqueur jaugea l’adolescent avec sadisme.
- Avec plaisir.
Il brandit sa lance à l’horizontale. Raphaëlo l’esquiva d’une élégante pirouette avant de disparaître dans un chariot de foin.
- Idiota !
Le traqueur balança son arme dans la cachette. Le garçon bondit dans un grand envol de paille et se réceptionna sur le traqueur en lui piétinant la figure au passage. Au moment d’atterrir, il sentit la pointe d’une botte lui écraser les côtes. Le brute ne méritait pas son nom pour rien. Sa force n’avait d’égale que sa volonté de la prouver. Raphaëlo tenta de s’éloigner pour reprendre son souffle, mais la pique du traqueur lui troua l’épaule droite et le souleva de terre. Embroché comme un vulgaire insecte, il hurla et gesticula en tentant vainement de se libérer. La douleur était atroce. Il entendit les deux soldats s’esclaffer. Le traqueur le cloua contre une façade et commença à appuyer sur son arme sous les contestations de la foule.
- Vous n’avez pas honte, ce n’est qu’un enfant !
- Bourreaux, soyez maudits !
Certains badauds plus hardis jetèrent des pierres aux soldats et le brute se chargea de les rappeler à l’ordre avec force moulinets de sa hache. Raphaëlo profita de cette distraction inespérée pour saisir son dernier couteau. Il positionna  la lame au-dessus de la lance et se servant d’elle comme d’un support à sa trajectoire, il balança le couteau. La lame descendit en tournoyant au-dessus de la hampe avant de trouver la gorge du traqueur. Il lâcha son arme et s’écroula sur les pavés en émettant d’affreux râles. La foule émit une salve de hourras avant d’être dispersée par de nouveaux renforts dont un cavalier à la voix impérieuse.
Raphaëlo retomba au sol avec fracas. Il rampa vers un escalier, dans l’espoir fou de trouver un salut. Ce faisant, il eut la satisfaction de voir que Giuseppe n’avait pas survécu assez longtemps pour se réjouir de sa propre déveine. Il tendit une main vers l’épée du mort, mais le sabot d’un cheval lui brisa la main en même temps que sa dernière chance d’échapper à son destin. Le cavalier se pencha vers lui. La vue de Raphaëlo se brouillait, mais il eut le temps de reconnaître Francesco Avvoltoio en personne. Ce dernier arbora un rictus de mauvais augure au-dessus de sa barbiche.
- Qu’on en finisse avec la famille Di Milano !
Le brute s’avança vers le garçon moribond, sa hache à deux mains.
Francesco effectua un geste élégant :
- Ne partez pas, aimables citoyens. Soyez témoins d’une exécution comme seule Rome peut vous en proposer !
Raphaëlo réunit le peu de forces qui lui restaient pour cracher vers le Capitaine Borgia.
- Va en enfer, toi et les Borgia !
Francesco lui dédia son plus infâme sourire.
- Après toi, bambino !
Le brute leva sa hache.

Ezio venait de révéler sa découverte à Machiavelli ainsi qu’aux assassins présents au repaire.
Machiavelli n’avait pas perdu son temps, lui non plus. Grâce à son propre réseau d’informateurs, il avait appris que le convoi passerait finalement dès la tombée de la nuit. Sa nature, en revanche, demeurait toujours aussi mystérieuse.
Les membres de la confrérie étaient tous réunis autour de la table ainsi que de la carte prise au courrier. Ezio était en train d’établir leur plan d’attaque.
- Nous allons nous répartir sur tous ces points stratégiques.
Il avait indiqué sur la carte de Rome la position des différentes grues.
- Nous allons prendre Cesare à son propre jeu. Nous neutraliserons ces hommes et arrêterons le convoi. De sa nature dépendra ensuite notre ligne de conduite.
Malgré leur position de force, Machiavelli semblait toujours soucieux.
- Tu ne penses plus que c’est un piège déguisé ?
- Non. Je crois que Cesa…
La porte d’entrée s’ouvrit et un tumulte de voix se fit entendre derrière eux. Les assassins s’écartèrent et Bartolomeo apparut encadré par plusieurs courtisanes. Le capitaine tenait un jeune garçon dans ses bras. Ezio reconnut immédiatement Raphaëlo.
- Les courtisanes sont arrivées au moment où Francesco Avvoltoio s’apprêtait à l’exécuter en public. Pendant que mes hommes ont distrait les gardes, elles l’ont conduit en lieu sûr et ont essayé de le soigner.
Le visage de l’ancien condottiere se durcit :
- Il a tué Giuseppe falsario.
- Il avait déjà perdu beaucoup de sang, Ezio, ajouta Esmeralda, une courtisane dont l’assassin s’était entichée autrefois. Il répétait ton nom sans arrêt. On s’est dit que tu le connaissais sûrement.
Ezio prit le garçon dans ses bras. Il ne bougeait pas, ses yeux étaient fermés. On aurait dit qu’il dormait. Mais Ezio savait qu’il n’en était rien. Malgré les pansements, il vit bien l’étendue de ses blessures. Les gardes n’y avaient pas été de main morte avec lui.
L’assassin restait sans voix. De voir cet être auparavant si vif, si animé désormais réduit à l’état de statue était insupportable. La colère commença à monter en lui. Une colère qu’il ne connaissait que trop bien. D’une main il balaya les objets encombrant la table et déposa le corps frêle de l’adolescent sur cette couche improvisée. Il dut déglutir plusieurs fois avant de pouvoir parler à nouveau :
- Vous allez appliquer le plan à la lettre, dit-il aux assassins sans même les regarder. Et vous me rendrez compte dès que ce sera fait.
- Que vas-tu faire ? s’enquit Machiavelli tout en connaissant la réponse.
Ezio continuait de fixer le visage de l’adolescent comme d’en l’espoir fou de le voir sortir de son inertie. Mais sa pâleur tuait irrémédiablement cette possibilité.
- Ne songe même pas à m’en empêcher.
Il se rendit dans l’armurerie et remplaça ses lames habituelles par les nouvelles, conçues de main de maître par Leonardo.
- Ce soir, j’ai un concert à donner. Et de nouveaux instruments à tester.
Il ajusta sa capuche sur sa tête et prit le chemin de la sortie. Il entendit la voix de Machiavelli.
- Ce n’est pas ta vengeance, Ezio !
L’assassin continua sa route.
- Maintenant si.
Bartolomeo l’arrêta d’un geste.
- Le petit a ajouté quelque chose avant de…avant de s’envoler.
Ezio leva la tête. Ses yeux trahirent son émotion.
- Qu’est-ce qu’il a dit ?
- Il a dit que tu avais raison. Il a dit qu’il n’était encore qu’un bambino.
Ezio ouvrit la porte menant sur les toits.
- Je peux t’envoyer quelques mercenaires pour te faciliter la tâche, ajouta Bartolomeo.
- Je n’ai pas envie que ce soit facile.
Sur ces mots, l’assassin ferma la porte.

La nuit avait recouvert Rome d’un drap de soie et la pluie venait de s’abattre sur la capitale. Trempés jusqu’aux os, deux arbalétriers juchés sur un toit s’entretenaient des affaires récentes pour mieux supporter leur condition.
- Quelque chose se prépare en ce moment, dit l’un des soldats. J’ai entendu dire que des hommes avaient été réquisitionnés pour une opération spéciale directement orchestrée par Cesare lui-même.
- Quel genre d’opération ? s’enquit son compagnon.
L’autre décocha un carreau sur un pigeon en plein vol avant de répondre :
- Un détournement. Un convoi doit sortir de Rome. Il transporte des rebelles dont la tête est mise à prix. L’un des cochers est un de mes amis. C’est grâce à lui que Cesare a eu cette information. Sûr qu’après ça, il aura droit à une belle promotion.
Un éclair déchira la nuit, révélant la silhouette d’Ezio Auditore debout derrière les deux hommes. Deux secondes plus tard, ils gisaient aux pieds de l’assassin. Ce dernier contempla ses lames avec satisfaction.
- Comme dans du beurre.
Puis il ramassa les armes des deux gardes.
- Merci pour l’information.

Ezio se glissa sous l’arche et tendit ses bras de part et d’autre. Les deux gardes en faction reçurent un carreau  en pleine tête. Le bruit du tonnerre masqua celui de leur chute.
Un temps idéal pour agir librement.
L’assassin se coula derrière une caisse. Il repéra Francesco Avvoltoio dans une alcôve, près de la tour Borgia qui lui était assignée. Une tour qui n’avait pas encore été brûlée par ses soins. L’occasion pour lui de faire d’une pierre deux coups. Il repéra également deux soldats, un brute armé d’une hache aux côtés du capitaine ainsi qu’un officier dont le visage lui était familier. Et pour cause, c’était lui qui admonestait Raphaëlo le jour où il l’avait rencontré. Il n’aurait pas de seconde chance.
La colère d’Ezio remonta brusquement. Il se revit en train de courir sur les toits en compagnie du garçon et il sut enfin pourquoi il avait tant aimé partager de choses avec lui. Cela lui avait rappelé la complicité avec son grand frère Frederico.
Quelque chose coula sur sa joue. Il préféra se convaincre que c’était la pluie.
Il sortit de sa cachette et s’avança à découvert. Francesco le vit immédiatement. Les gardes se mirent aussitôt en alerte.
- Tiens, mais c’est décidément un jour faste ! Voilà un autre criminel d’envergure qui vient à nous sans que nous ayons besoin de le traquer.
Ezio continua d’avancer. Les mots n’avaient plus cours. Le sang seul parlerait.
Les deux soldats se ruèrent sur lui, l’épée au poing. Ezio plongea sous la rapière du premier. Il transperça son pied d’une de ses lames. Le garde se plia en deux dans un hurlement avant de sentir la deuxième lame d’assassin lui perforer la mâchoire.  Le second commença à faire de grands moulinets avec son cimeterre. Ezio poussa un soupir avant de lui loger une balle en pleine tête. Sur un ordre muet du capitaine, l’officier s’avança. Il pointa une lance en direction d’Ezio.
Ce dernier s’élança et ses deux lames exécutèrent un ballet fantastique devant lui, réduisant la lance en morceaux.
- Pas de témoin !
Avant que son adversaire ait pu réagir il lui transperça le corps une dizaine de fois.
- Pas d’avertissement !
L’officier tomba à genoux et une lame s’enfonça entre ses yeux.
- Pas d’échappatoire !
Le soldat s’écroula face contre terre dans une mare de sang bien vite diluée par la pluie torrentielle.
Le brute émit un grognement avant de balancer sa hache. L’arme tournoya avant de fracasser la caisse derrière laquelle Ezio s’était embusqué un peu plus tôt. L’assassin pointa son pistolet mais le brute souleva le corps sans vie de l’officier et s’en servit comme d’un bouclier. Les balles trouèrent le cadavre que le garde jeta sur Ezio. Celui-ci se plaqua au sol. Le brute avait prévu sa réaction et il se laissa tomber sur lui de tout son poids avant de lui assener une rafale de coups. Ezio chercha une faille, mais les poings de son adversaire  le harcelaient sans répit.
La pluie vint finalement à son secours. Le brute glissa sur les pavés détrempés et s’affala. Il n’en fallut pas plus pour l’assassin. Il se jeta sur le garde aussi impotent qu’un poisson hors de l’eau et lui logea ses deux lames sous le menton. Puis ramassant la hache, il décrivit un moulinet avant de la laisser tomber sur le cou de son adversaire.
Francesco en avait profité pour grimper sur sa monture. Il émit un bref sifflement et aussitôt une dizaine d’arquebusiers apparurent sur les toits formant un cercle dont Ezio était le centre.
- La fête est finie, assassino !
Il avait à peine achevé sa phrase que les arquebusiers étaient submergés par une horde d’assassins jaillis de nulle part.
- En effet, dit Ezio.
Le capitaine Borgia masqua sa frustration. Il tira son épée et s’élança au galop. Ezio resserra ses doigts sur le manche de la hache. Il attendit patiemment que son adversaire se rapproche avant de lancer son arme. Le corps décapité du cavalier tomba à bas de la monture et la tête de Francesco Avvoltoio roula sur les pavés avant de s’arrêter aux pieds de l’assassin.

Quelques instants après, les assassins se réunirent autour de leur meneur et lui racontèrent ce qui s’était passé. Mais ils ne firent que confirmer ce qu’Ezio savait déjà, grâce à la conversation surprise un peu plus tôt sur les toits. Les hommes mis en place par Cesare avaient été neutralisés et les rebelles avaient pu quitter la ville sans encombres.
Mais Ezio n’en demeurait pas moins soucieux.
- L’un des cochers est un traître infiltré. Il faudra le retrouver, c’est une priorité.
L’un des assassins posa une main sur l’épaule d’Ezio.
- Il s’est démasqué tout seul. Il a cru que nous venions pour lui et il a tenté de s’échapper. La seule issue qu’il a trouvée l’a conduit en Enfer.
Ezio afficha son plus large sourire.
- Bene. Vous avez tous fait de l’excellent travail. Je suis fier de vous.
- On peut encore faire quelque chose pour toi ? s’enquit un disciple.
Ezio leva les yeux.
- Oui, vous allez m’aider. J’ai encore quelque chose à accomplir.

Les assassins hissèrent le corps de Raphaëlo jusqu’au sommet de la Tour Borgia où Ezio attendait. L’assassin s’agenouilla près du garçon.
- C’est toi qui avais raison. Tu es un vrai assassino. Et tu l’as largement prouvé aujourd’hui.
Il ôta un flambeau de son logement. Il prit une profonde inspiration avant de le jeter à terre.
- Repose en paix, aquila !
Tandis que les flammes commençaient à lécher l’intérieur du bâtiment, Ezio s’élança du haut de la tour et effectua un magistral saut de la foi. Un aigle plana un instant dans le ciel comme pour accompagner l’envolée de l’assassin.

 


 

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lundi, 29 octobre 2012

Beyond Humanity 2 : Un Cadeau Empoisonné [Nouvelles/Anticipations]

 

 Lire Beyond Humanity 1 : Des Jambes en Or

 


- On est bien ensemble, hein ?
Nasa était allongée à côté de Jimmy, sur son lit. Ils fleurtaient depuis des années. Même si l'accident de Nathan les avait rapprochés plus vite que prévu, ils avaient continué à cacher leurs sentiments derrière les apparences d'une solide amitié.
Il s'était enfin décidé à l'inviter dans sa chambre, son sanctuaire de célibataire. 
Ils frottaient à présent leurs jambes cyber avec sensualité, le rouge et l'or éclatants se mariant allègrement avec le blanc épuré. Des capteurs intégrés envoyaient des ondes directement dans leur cerveau, le saturant d'adrénaline. Remède idéal pour pallier à la timidité et à l'inhibation adolescente.
Du moins, c'est ce qu'affirmait le fabriquant, qui omettait bien volontiers le fait qu'il fallait surtout compenser l'absence de peau et de stimuli naturels.
- On est bien ensemble, hein ?
Jimmy l'entendit à peine. Il se noyait dans ses yeux. Leurs visages n'avaient jamais été aussi proches l'un de l'autre. Il pouvait sentir son parfum aux essences de fleur, son haleine légèrement épicée ainsi que ses cheveux bruns aux effluves de miel et de lait. Sa peau était ambrée, ses yeux noirs comme le charbon et ses lèvres fines esquissaient un sourire mutin qui le tétanisait. Le désir qu'elle avait pour lui semblait s'échapper par tous les pores de sa peau. Etait-ce le bon moment pour passer un cap dans leur relation ?
Comme pour se libérer du poids de cette question, il se rappela celle qu'elle venait de lui poser.
- Oui, c'est vrai.
Sa main caressa le rebondi de sa joue, puis remonta jusqu'à sa tempe où elle s'attarda comme pour en extraire un secret enfoui.
- Mais...
Elle le dévisagea, alarmée.
- Mais quoi ?
- Mais ce serait mieux si j'avais un implant, moi aussi, n'est-ce pas ?
Son sourire se flétrit.
- Je ne t'ai jamais mis la pression.
- Oui, c'est vrai, mais j'ai toujours senti que ça te gênait que j'en ai pas. Le regard des autres...
Elle fronça les sourcils et ses joues s'empourprèrent.
- Le regard des autres ? Je me fous du regard des autres. C'est juste que ce serait plus pratique. On pourrait se parler quand on veut, et même être connectés 24h/24. Ils viennent de rajouter une antenne réseau dans le quartier. La connexion est super bonne, maintenant.
Jimmy tordit sa bouche.
- Peut-être, mais ça dépend pas que de moi. Un implant, c'est pas gratuit.
- Mais justement, tes parents, ils peuvent pas t'aider ? Tu vas bientôt être majeur. C'est le moment où jamais.
Il caressa à nouveau sa tempe. Ses doigts sentaient la légère protubérance de l'implant fixé sous la peau. Il se sentit tout à coup plus vierge encore qu'il ne l'était réellement. Elle dut le deviner car elle ajouta :
- Moi je l'ai eu plus tôt grâce à mon père. Mais je sais très bien que c'est pas donné à tout le monde.
Il soupira.
- C'est pas donné tout court. Même les premiers prix sont inabordables pour les classes moyennes. Mes parents gagnent pas assez. La voiture commence à déconner. S'ils doivent investir, ce sera sûrement pas dans un gadget à la mode.
Elle se redressa, comme piquée par une guêpe :
- Un gadget à la mode ? C'est vraiment ce que tu penses ?
Il s'éclaircit la gorge, conscient qu'il y avait été peut-être un peu fort. Mais il savait qu'il était dans le vrai et il tenait à le lui faire savoir.
- Avoue qu'ils font tout pour rendre ça indispensable. T'as vu leur dernière pub ? C'est abusé ! Moi, depuis mes jambes, j'ai rien eu, rien demandé. Et ça me va très bien. Si on se donne pas de limite, à quoi on va ressembler à la fin ? A Zéro-One ?
Zero-One était un comics très populaire. Le héros était un cyborg qui flinguait en direct et sans état d'âme les humains qui avaient refusé le port d'extensions synthétiques ou qui n'avaient pas eu les moyens d'en avoir. Parqués comme des animaux dans des ghettos en périphérie des villes, ces bannis de la société survivaient comme ils pouvaient, en attendant le prochain show télévisé qui scellerait leur destin. Ceux qui se considéraient toujours comme les vrais humains les avaient baptisés les Déchets.
Cette histoire fantaisiste donnait lieu évidemment à de nombreuses interprétations et débats. Son auteur, lui, se contentait de répondre qu'il écrivait ni plus, ni moins, l'avenir de l'humanité.
Au lieu d'être sensible à cet argument, Nasa en profita pour changer de sujet :
- Tu sais qu'on dit que Nike Thompson s'est pas suicidé et qu'en réalité le Zéro-One des spots TV, c'est lui !
- Et la vidéo de son soi-disant accident ?
- C'était truqué. Un geek a prouvé qu'elle avait été retouchée.
- Dans quel but ils auraient fait tout ça ?
- Pour justifier sa disparition. Il en avait marre du foot. Il voulait passer à autre chose. Quand tu revois certaines de ses interviews, c'est super explicite.
Jimmy haussa les épaules.
- Ouais, bah, peu importe qui est Zéro-One, j'ai aucune envie de lui ressembler, en tout cas.
- Personne ne te le demande.
Jimmy grimaça.
- Personne à part tout le monde.
Nasa souffla d'exaspération :
- T'es chiant, Jimmy ! C'est le progrès, c'est tout. Et puis, tu veux rester avec moi, oui ou non ?

- Un implant ?
Jimmy observa l'objet argenté dans sa main. Il n'était pas plus long qu'une gomme.
- Tu as dix-huit ans, dit son père. Non ?
Le garçon n'en croyait pas ses yeux. Il pensait que ses parents n'auraient jamais les moyens de lui en offrir un si tôt.
- Mais je pensais que c'était trop cher pour vous.
Sa mère lui offrit son plus beau sourire.
- J'ai mis de côté exprès. Je voulais te faire la surprise.
- Et moi, ajouta son père, j'ai eu une augmentation grâce à mon ancienneté dans la boîte. On s'est dit que c'était l'occasion ou jamais.
Jimmy les embrassa.
- Merci, je sais pas quoi vous dire.
- Et bien, dit son père, dit juste merci.
- Alors merci à vous deux. C'est un super cadeau d'anniversaire. C'est Nasa qui va être contente.

Nasa fut effectivement très heureuse d'apprendre la nouvelle. D'autant que les grandes vacances arrivèrent et que leur programme respectif les empêcha de se voir durant presque deux mois. Heureusement, l'implant de Jimmy leur permit d'être ensemble autant que possible.
A la fin du mois d'août, elle l'appela. La tempe de Jimmy s'enjoliva d'un point bleu lumineux, preuve qu'il était connecté.
- Tu crois qu'on pourrait se voir ? s'enquit-elle avec espoir.
- Aujourd'hui ?
- Oui.
Nasa et Jimmy se croisèrent dans la rue au milieu d'une foule de gens, eux aussi connectés. Ils ne s'en aperçurent même pas.
- Non, aujourd'hui, je peux pas. Mais je t'appelerai dès que je serai disponible. Je t'embrasse.
Puis il répondit à un autre appel, grisé par ce sentiment nouveau d'être relié au monde entier.

Nasa mourut une semaine plus tard à cause d'une mise à jour défectueuse de son implant. Son cerveau implosa.
Jimmy n'en sut jamais rien. Pour lui, son silence se résuma à une simple connexion impossible.
Et qu'est-ce qu'une connexion impossible au milieu de milliers d'autres possibles ?


Bienvenue dans un monde où la Technologie et l'Homme ne font plus qu'un.

Ce monde existe déjà. C'est le nôtre :

 

 


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jeudi, 25 octobre 2012

Deux Milliards et Deux Vies [Nouvelles/Uchronie]

J'ai déjà eu l'occasion de vous parler de mon meilleur ami Hervé Smagghe. Il contribue beaucoup à l'amélioration et à l'exposition de mon blog et j'en profite pour le remercier une nouvelle fois au passage.

Il se trouve qu'il est également auteur, pas autant qu'il le voudrait, certes, mais cela ne l'a pas empêché de pondre deux petites perles.

La nouvelle qui suit est classée dans un genre littéraire bien spécifique : l'Uchronie. Cette dernière consiste à revisiter un fait historique sous un angle différent de celui que l'on connait. Un bon exemple : le roman Le Maître du Haut Château de Philip K. Dick qui raconte la victoire du IIIè Reich sur les Alliés durant la seconde guerre mondiale.

Je vous souhaite d'avance une bonne lecture. N'hésitez pas à laisser des commentaires pour donner votre avis et partagez votre ressenti avec Hervé qui se fera un plaisir de vous répondre.



– Leader one, ici Black Eagle. Je viens d’être touché par un tir provenant du sol. Demande assistance pour appontage d’urgence.
– Bien reçu, Black Eagle. La piste sera dégagée à votre arrivée. Quelle est l’étendue de vos dégâts ?
– Les deux tuyères gauches de mon appareil sont endommagées.
– Attention Black Eagle, j’ai deux échos ennemis sur mon radar à environ trois heures !
– Envoyez-moi de l’aide, je n’arriverai jamais jusqu’au porte-avion !
– Bien reçu Black Eagle. Nous faisons le nécessaire.
« Merde, il ne manquait plus que ça ! » pensa le sergent Jonathan Miller.

Les deux chasseurs irakiens seraient bientôt sur lui. Il savait pertinemment que l’aide demandée ne serait jamais sur place à temps. Il lui fallait trouver une solution, seul. A cette altitude, avec de telles avaries, il n’avait aucune chance de sortir victorieux d’un combat aérien. Il enfonça le manche de son appareil vers l’avant et son chasseur plongea aussitôt en piqué.

Jonathan pilotait un McDonnell Douglas, modèle AV-8B, plus connu sous le nom de Harrier. Cet avion fraîchement mis en service avait déjà fait ses preuves depuis le début de l’opération Tempête du Désert. Sa petite taille rendait le Harrier beaucoup plus manœuvrable que la plupart des chasseurs conventionnels. Armé d’un canon rotatif de 25 millimètres et équipé d’une charge offensive de presque 8 tonnes, il pouvait néanmoins atteindre une vitesse de pointe d’environ 1000 km/h. D’imposantes tuyères orientables ornaient chaque côté du Harrier. Elles permettaient au chasseur un décollage et un atterrissage vertical. Une vraie révolution dans le monde de l’avionique !

Jonathan savait qu’avec deux tuyères endommagées un atterrissage vertical lui était interdit. Il connaissait parfaitement les possibilités de son appareil : il était considéré par sa hiérarchie comme l’un des meilleurs pilotes au monde sur ce type de chasseur.

Arrivé à 200 mètres d’altitude, Jonathan tira sur le manche du Harrier qui peina à se redresser. Lorsqu’il y parvint, l’avion n’était plus qu’à une vingtaine de mètres au-dessus du sol. Il ne pourrait jamais espérer prendre de vitesse les deux Mirages F1-E lancés à sa poursuite. Ces chasseurs, sortis tout droit des usines françaises Dassault, étaient parmi les avions les plus rapides au monde. Leur vitesse pouvait atteindre Mach 2 soit deux fois et demi la vitesse de pointe du Harrier.

Jonathan survolait à présent une rivière qu’il décida de longer. Cette manœuvre lui fit gagner du temps. Naviguant sous le plancher radar, les chasseurs ennemis peinèrent à retrouver le Harrier. Un signal sonore retentit dans le cockpit du sergent Miller : l’un des Mirages ennemis venait de tirer une roquette à guidage thermique. Jonathan n’eut d’autre choix que de pousser les réacteurs du Harrier à leur pleine puissance. Cette brusque accélération l’obligea à effectuer des manœuvres que nul autre pilote n’aurait osé tenter. Son avion filait à présent à près de 900 km/h le long des méandres de la rivière, tandis que le missile se rapprochait inexorablement de lui. Jonathan tira d’un coup sec le manche de son appareil. L’avion se redressa et fila à la verticale. Il passa à toute allure entre les deux chasseurs irakiens qu’il avait préalablement repérés sur son radar, suivi de près par la roquette. Les pilotes, bien que surpris par la manœuvre de l’américain, n’eurent aucun mal à se dégager de la trajectoire du Harrier, évitant ainsi d’être pris pour cible par le missile.

Jonathan continua sur sa lancée et constata avec regret que la roquette n’avait percuté aucun des deux Mirages. Il adopta donc une autre tactique. Arrivé à 13 000 mètres d’altitude, il effectua un demi-tour et plongea de nouveau sur les chasseurs irakiens. Il coupa brusquement les gaz à 6000 mètres et tomba en chute libre. Rien ne garantissait que l’avion parviendrait à redémarrer. Le missile, qui réagissait à la chaleur des réacteurs, perdit sa cible et se remit aussitôt en acquisition : deux cibles s’offraient désormais à lui, droit devant. Le Harrier en perdition fila sur la gauche des deux appareils ennemis et la roquette percuta l’un d’eux. L’onde de choc provoquée par la déflagration frappa de plein fouet le second chasseur qui explosa à son tour. Jonathan n’eut pas le temps de se réjouir car son appareil se rapprochait dangereusement du sol. Un sentiment d’inquiétude l’envahit. Les deux tuyères encore opérationnelles refusaient obstinément de se remettre en marche. A la verticale, il lui était impossible de s’éjecter. Miller n’avait plus le choix : il tira de toutes ses forces sur le manche et enfonça le palonnier. L’avion partit aussitôt en vrille. Bien que téméraire, cette manœuvre permit à Jonathan de s’éjecter de son appareil.

La seconde suivante, le Harrier percutait le sol dans une explosion de fumée noire. La violence de l’éjection fit perdre connaissance au sergent Miller qui planait au dessus du sol, suspendu à son parachute tel un pantin inanimé. Lorsqu’il revint à lui, la première image qu’il vit fut le sol à moins de 3 mètres sous ses pieds. Il était déjà trop tard pour tenter quoi que ce soit. Un hurlement de douleur s’échappa de sa gorge lorsque ses deux jambes se brisèrent comme des allumettes en percutant le sol…

***

Jonathan se réveilla en sursaut, le front perlé de sueur. Il lui fallut quelques instants pour se remémorer l’endroit où il se trouvait : sa chambre. Vingt-cinq années s’étaient écoulées et pourtant la douleur aux jambes perdurait. Le médecin de la base d’El Toro, où il était stationné, lui avait expliqué que cette souffrance était psychosomatique. Le choc post-traumatique dû à son accident en territoire ennemi l’avait marqué à vie telle une plaie toujours à vif. Cela faisait pourtant bien cinq ans qu’il ne s’était pas réveillé aussi brusquement.

Jonathan massa péniblement ses jambes jusqu’à ce que la douleur s’estompe quelque peu. Il se leva ensuite et se dirigea vers la salle de bains. La nuit était encore noire. Elle promettait d’être longue, il en était certain. Après s’être rafraîchi, il vit son visage dans le miroir qui lui renvoya l’image d’un homme que la guerre du Golf avait brisé vingt-cinq ans plus tôt. Le crash avait gâché sa vie et sa carrière. Avec un tel talent de pilote, le sergent-major Jonathan Miller aurait eu tôt fait d’être promu capitaine. Au lieu de cela, ses supérieurs lui avaient annoncé sans grand ménagement qu’il ne pourrait sans doute plus jamais voler. Voler, c’est ce qui l’avait poussé à s’engager et à gravir les échelons de l’armée dans un seul but : se tenir derrière le manche d’un chasseur. Les sensations qu’il ressentait en vol étaient uniques, une coulée d’adrénaline qui le faisait se sentir vivant.

Mais tout cela lui avait été enlevé. Il avait dû se battre contre sa hiérarchie afin de pouvoir arpenter de nouveau le bitume des pistes d’envol. Pour ce faire, il passa du statut de pilote de chasse à celui de chef mécanicien en aéronautique. Le sergent-major Miller était le seul soldat de l’U.S. Air Force à posséder un grade de loin supérieur à sa fonction. Il avait en charge la maintenance des avions de chasse de la base d’El Toro en Californie.

Cependant le temps des Harriers était depuis longtemps révolu. L’année 2015 était déjà bien entamée et aujourd’hui les drones équipaient 90% de la flotte américaine. Ces escadrilles de petits chasseurs commandées à distance étaient devenues le fleuron de l’Air Force qui se targuait de ne plus mettre en danger la vie de leurs pilotes. Une nouvelle génération de soldats avait vu le jour. Des pilotes sans expérience du vol réel, des pilotes incapables de voler aux commandes d’un Harrier, des pilotes dont la seule qualité était avant tout le sang-froid.

Chaque fois que Jonathan pénétrait dans la « salle de pilotage », il avait la sensation de voir des adolescents addicts aux jeux vidéo. Seule différence au tableau, cette pièce était sans aucun doute la plus silencieuse de la base. Finies les sensations fortes, les décharges d’adrénaline et autres excitations en tout genre. Il détestait cette salle beaucoup trop terre à terre pour le vol aérien.

Heureusement de temps en temps, son ami et supérieur, le capitaine Nick Turner s’arrangeait pour lui octroyer des missions de convoyage. L’objectif était simple : piloter les vieux avions au rebus à destination des différents musées militaires du territoire américain. A chaque fois, Jonathan était transporté à l’idée de piloter à nouveau. Quelle ne fut pas sa joie lorsqu’il lut l’ordre de mission qui émanait du bureau de Nick. Il était chargé de convoyer un Harrier jusqu’au musée naval de la base de Pearl Harbor dans le pacifique. Jonathan leva les yeux au ciel et remercia le Créateur de le laisser se mettre à nouveau aux commandes d’un Harrier. D’ordinaire les missions de convoyage concernaient surtout des bombardiers. Mais là, il s’agissait d’un chasseur, autant dire du pain béni pour ce doux rêveur de Miller.
Evidemment, Nick ne le laisserait jamais décoller sans une sérieuse remise à niveau, soit cinq bonnes heures de vol sur l’appareil. Jonathan eut toutes les peines du monde à réprimer son excitation. Depuis son accident, il n’avait jamais plus piloté de Harrier. Il lui tardait donc d’accomplir sa mission qui n’aurait lieu que dans trois semaines. Un vol comme celui-là nécessitait une grande préparation de la part du pilote. Il lui fallait s’entraîner au vol : décollage, atterrissage et même appontage. En effet son plan de vol prévoyait une escale pour refaire le plein de kérosène à bord du California, le dernier-né des porte-avions américains, fleuron de la Navy. Cette escale, Jonathan la trouvait inutile. Dans le temps, on lui aurait laissé faire son ravitaillement en vol. Mais ce genre d’opération était aujourd’hui considérée comme dangereuse et par conséquent inutile. Au lieu de cela, il devrait faire le plein et passer une nuit à bord du porte-avions. Encore une idée stupide que de ne pas piloter de nuit afin de ne surtout pas prendre de risques. Il se dit que sans les risques que les pilotes avaient pris, leur liberté si chèrement acquise au cours des guerres, ne serait peut-être qu’une lointaine illusion. Alors penser qu’une guerre puisse se gagner sans prise de risque, telle était la véritable illusion aux yeux de Jonathan.

–  Jonathan ? Jonathan, tu es avec moi là ? demanda le capitaine Turner.
– Euh oui, oui, Nick. Excuse-moi, j’étais perdu dans mes pensées. Où en étions-nous déjà ?
– Le California, Jonathan. Tu passeras la nuit à bord et tu repartiras le lendemain matin à 6h30.
– A vos ordres Capitaine, ironisa le pilote.
– C’est ça, fait le mariole. Si j’étais toi, je me demanderais comment remercier mon capitaine pour m’avoir dégoté cette mission de dilettante, lança Nick sur le ton de la plaisanterie.
– Quoi, tu veux que je te ramène une Hawaïenne peut-être ?
– Non, sérieusement. Trêve de plaisanterie, le porte-avions sera en alerte rouge ce jour-là. Alors il faudra que tu te fasses tout petit.
– Alerte rouge, mais pourquoi ?
– Phase de test, c’est tout ce qu’on a bien voulu me répondre en haut lieu.
– Ça sent les tests d’armement à plein nez.
– Quoiqu’il en soit, motus et bouche cousue. Et ça c’est un ordre tout ce qu’il y a de plus officiel.

***

Trois semaines plus tard, Jonathan était paré à accomplir sa dernière mission. Dernière car il savait qu’une occasion comme celle-ci ne se représenterait sans doute plus. Aussi avait-il informé Nick de son souhait de partir à la retraite dès la fin de cette mission. Le capitaine avait bien tenté de retenir son ami mais il savait déjà que c’était peine perdue. Ce fut donc avec regret que Nick accepta de faire les démarches nécessaires au départ précipité de Jonathan.

– Ainsi je boucle la boucle, pensa Miller. Tour de contrôle, ici Black Eagle. Je suis paré au décollage.
– Bien reçu Black Eagle. Vous avez l’autorisation de décoller. Bon vol et soyez prudent.
– Merci tour de contrôle. Je tacherai de revenir en un seul morceau.

Le Harrier roula doucement jusqu’à la piste d’envol. Là, Jonathan lança les réacteurs du chasseur à pleine puissance ce qui ne manqua pas de le plaquer au fond de son siège. Il ne fallut que quelques secondes au Harrier pour prendre son envol. L’adrénaline coulait déjà à flot dans les veines du pilote. Il prit rapidement de l’altitude car il était déjà aux portes de Los Angeles. Les consignes étaient claires : 7000 mètres, tel était le plancher imposé par sa hiérarchie pour survoler la Cité des Anges. Jonathan se sentait à nouveau vivant, sentiment qu’il n’avait plus ressenti depuis vingt-cinq ans maintenant.

Dix minutes plus tard, le Harrier survolait l’océan Pacifique et Jonathan abaissa son plancher à 1500 mètres. Là débuta pour lui une longue série d’acrobaties aériennes. Il commença avec prudence et augmenta la difficulté des figures à mesure que ses sensations en vol lui revenaient. Des larmes de joie coulaient de ses yeux embués. Il ne parvenait plus à contrôler la décharge émotionnelle que lui procurait son corps. Il volait dans une sorte de béatitude complète. Peu de gens savent apprécier ce qu’ils définissent plus tard comme étant le plus beau jour de leur vie. Dans son cas, aucun doute n’était permis : il avait pleinement conscience de vivre les plus beaux instants de sa vie. Seule la radio vint interrompre ce moment de pur plaisir.

– Black Eagle, ici la tour de contrôle de l’USS California. Veuillez ralentir votre vitesse d’approche pour votre appontage.

En jetant un coup d’œil à l’horloge de son cockpit, Jonathan constata avec regret que cela faisait presque trois heures qu’il était en vol. Trois heures qui n’avaient duré qu’un instant, le temps d’un battement de cils, pensa Jonathan. La première partie de son trajet s’achevait déjà. Ce fut avec beaucoup de regrets dans la voix qu’il répondit :

– Bien reçu, tour de contrôle, je réduis les gaz.
– Le pont étant surchargé pour la durée de nos exercices, veuillez procéder à un atterrissage vertical.
– Je procède, répondit-il d’une voix platonique.

L’appontage vertical, bien qu’excitant, ne fut qu’une simple formalité pour Jonathan. Une fois posé, il coupa les réacteurs, mais ne sortit pas tout de suite de son cockpit. Il lui fallait d’abord reprendre ses esprits. Au bout de deux minutes, un opérateur au sol grimpa sur une aile du Harrier afin de voir si tout allait bien pour le pilote. Ce dernier déverrouilla son cockpit au moment même où l’opérateur posait sa main sur la poignée d’ouverture.

– Bonjour Sergent-major. Vous vous sentez bien ? demanda-t-il, inquiet. Vous n’avez pas l’air dans votre assiette.
– Merci pour votre sollicitude, Soldat, mais ça va aller. Je suis juste un peu fatigué par le voyage, mentit Jonathan. Veuillez me conduire auprès de mon officier de liaison, je vous prie.
– A vos ordres Sergent-major. Par ici, si vous voulez bien me suivre.

***

Le porte-avions grouillait d’activité. Tout le monde s’affairait à bord afin de respecter un planning qui échappait complètement à Jonathan. Son officier de liaison lui avait intimé l’ordre de ne pas quitter ses quartiers durant la nuit car « d’importants tests » allaient être réalisés. Il n’avait posé aucune question sachant pertinemment qu’il n’obtiendrait aucune réponse. Il avait bien sûr remarqué que tout le gratin de l’armée américaine se trouvait à bord. Sans doute étaient-ils tous venus pour une démonstration. En bref, tout le monde s’affairait et lui s’ennuyait ferme. Lorsqu’il ferma les yeux, allongé sur sa couchette, les images de son extraordinaire après-midi défilèrent sans discontinuer.

Deux heures plus tard, ne parvenant toujours pas à trouver le sommeil, Jonathan se leva et sortit sur le pont pour prendre l’air. L’interdiction de quitter sa cabine lui importait peu. L’air marin lui fit le plus grand bien et le détendit. Au bout de dix minutes, il surprit une conversation entre deux hommes sur le pont supérieur.

– Général, je me dois d’insister. Nous ne sommes pas prêts pour un test grandeur nature. Comme je vous l’ai déjà signifié dans mon dernier rapport, l’ouverture d’un vortex aussi petit soit-il, nécessite un contrôle absolu du canon TDV. Hors notre appareil n’est pas encore au point. Nous ne savons même pas si nous parviendrons à refermer le trou de ver.
– Professeur Santini, déclara le général d’un ton qui se voulait rassurant. Votre rapport a été lu et vos craintes prises en compte. Les résultats en laboratoire, vous en conviendrez, sont plus que satisfaisants. De plus, les sommes colossales engagées dans un tel projet appellent à des résultats probants. Je vous avoue avoir un peu de mal à comprendre vos réticences.
– Mes réticences général, sont on ne peut plus fondées. Tout d’abord, les tests en laboratoire ont été réalisés en milieu contrôlé, une atmosphère stérile de toute interférence. Je vous rappelle par ailleurs que ce que nous appelons vulgairement un vortex n’est ni plus ni moins qu’un trou noir. On ne travaille plus seulement sur trois dimensions, mais quatre car nous parlons là de courber l’espace et le temps afin de créer un passage instantané d’un point A vers un point B. Si nous ne maîtrisons pas ce trou noir, tout sera absorbé, TOUT : la matière, la lumière, le temps.
– Oh là ! Calmez-vous, professeur. Vous dressez là un portrait bien pessimiste de la situation. Aux dernières nouvelles, tout fonctionnait parfaitement.
– PARFAITEMENT ?!! Et l’incident de Blackwell, vous appelez ça un fonctionnement parfait ?
– Quel incident de Blackwell ? Tout s’est déroulé selon nos plans à part un léger retard. A part ça, nous avons transféré une canette du laboratoire à la salle adjacente à travers le vortex.
– Oui, mais la canette n’est arrivée qu’une minute plus tard et pas à l’endroit de la salle que nous avions choisi.
– Professeur, un tout petit mètre d’écart et une toute petite minute de retard, il ne s’agissait que de détails que vous avez réglés.
– Pas du tout. Ce que vous appelez un retard n’en était pas un. Le canon TDV a parfaitement fonctionné. Lorsque la canette est partie du laboratoire, elle est instantanément arrivée à destination. Nous avons attendu une minute non pas à cause d’une lenteur du transfert ou d’un retard, mais parce que la canette a voyagé une minute dans le futur. En fait le canon TDV fonctionne parfaitement sauf que nous n’en maîtrisons pas les effets secondaires. Voilà les raisons qui me font parler de Blackwell comme d’un incident. Je tiens à ajouter que si nous avions…
– Je vous prie de m’excuser, professeur Santini, lança un troisième homme qui venait d’arriver, mais votre présence ainsi que celle du Général Stanton est requise au poste de commandement. La phase de test va bientôt débuter.
– Nous vous suivons, répondit Stanton.
– Général, s’il vous plaît, insista le scientifique.
– Professeur Santini, je crois avoir été suffisamment patient. L’heure n’est plus à la discussion mais à l’action. Nous reprendrons cette conversation après le test qui, j’en suis intimement convaincu, se déroulera sans incident.

Jonathan, encore sous le choc de la discussion qu’il venait de surprendre, entendit les pas des deux militaires et du scientifique qui s’éloignaient. Quelle folie avait poussé les Hommes à créer une telle machine en sachant les conséquences dramatiques que cela pouvait entraîner ? Il était maintenant hors de question pour lui de retourner sagement se coucher dans sa cabine. Il fallait qu’il voie ça de ses propres yeux.
Subrepticement, Jonathan se faufila jusqu’au pont d’envol où une bonne centaine de personnes s’affairaient aux derniers préparatifs du test. Là, il découvrit alors le fameux canon TDV. Il était composé de trois éléments principaux. Deux canons à électrons étaient disposés de part et d’autre d’un grand canon à base pyramidale dirigé vers le ciel. Jonathan remarqua également qu’à l’autre bout de la piste d’envol, deux drones étaient prêts à décoller. Sans doute les militaires allaient-ils tenter d’envoyer les drones à travers le vortex. Pour la première fois de sa vie, il était content que l’on envoie des drones plutôt que des pilotes. Quelle folie, songea-t-il à nouveau. Risquer l’Armageddon pour perfectionner un nouveau moyen de transport : la démesure des Hommes ne semblait pas avoir de limite.

Soudain, le pont se vida de tous ses occupants en quelques secondes. Poussé par la curiosité, Jonathan resta caché derrière une pile de caisses. Une voix retentit par les hauts parleurs du pont d’envol :

– Attention, lancement du compte à rebours. Début du test dans trente secondes, vingt-neuf, vingt-huit…

Un bourdonnement se fit entendre, sans doute les générateurs avaient-ils été mis en marche.

– Dix-neuf, dix-huit, dix-sept…

Le bourdonnement devint plus intense jusqu’à devenir un sifflement aigu qui arracha un cri de douleur à Jonathan. Il comprit alors pourquoi tout le monde s’était mis à l’abri. Il plaqua ses deux mains contre ses oreilles rendant le sifflement plus supportable. De puissants projecteurs crevèrent la nuit, illuminant le ciel chargé de nuages gris.

– Cinq, quatre, trois, deux, un, mise à feu.

A ce moment-là, le silence se fit et Jonathan vit les deux canons à électrons émettre un rayon lumineux d’un rouge vif. La base pyramidale du canon principal fut percutée simultanément par les deux faisceaux laser. Pendant quelques secondes rien ne sembla se produire. Puis, l’ensemble du porte-avions se mit à trembler, manquant de faire trébucher le pilote. Soudain, une onde de choc partit de la base du canon et se propagea vers le ciel. Le silence retomba sur le pont d’envol et tout redevint calme. Le regard de Jonathan se porta vers le ciel où un trou béant aspirait les nuages alentours. Ainsi, l’Homme venait de créer un trou noir. Miller ne parvenait plus à détacher ses yeux du spectacle grandiose qui se jouait devant lui. Il ne remarqua les deux drones que lorsque ceux-ci franchirent le trou de ver à pleine vitesse. Le vortex se referma brusquement juste après.

– Que s’est-il passé ? demanda le général Stanton dont la voix trahissait une certaine inquiétude.
– Je ne sais pas mon Général, répondit Willis, le chef des opérations. La puissance du vortex était parfaitement stable, mais il semble qu’il se soit effondré sur lui-même.
– Je vous avais pourtant prévenu, Général, lança le professeur Santini d’un ton parfaitement neutre.
– Ça suffit Santini, l’heure n’est pas aux reproches. Stanton se tourna alors vers Willis :

– A-t-on des nouvelles de nos drones ? demanda-t-il avec colère.
– Non, mon Général. Les pilotes nous disent avoir perdu le contrôle de leur appareil au moment même où le trou noir s’est refermé.
– Je veux savoir ce qui s’est passé. Que les équipes de maintenance vérifient l’état du canon TDV.
– Mais Général, il faut attendre que les canons à électrons refroidissent sinon les équipes de maintenance risquent de…
– Ça suffit, Willis ! Je vous ai donné un ordre. Obéissez.
– Tout de suite, mon Général.

Jonathan regarda ses mains maculées de sang et constata qu’il provenait de ses oreilles. En pilote averti, il savait que ce n’était jamais très bon signe. Voyant que des dizaines d’hommes s’affairaient à nouveau, il décida de ne pas s’attarder plus longtemps sur le pont du California. Les deux drones n’étaient toujours pas revenus et au vu de l’agitation ambiante, Jonathan en conclut que le test avait du être un échec.

De retour dans sa cabine, il se passa la tête sous l’eau, ce qui le soulagea quelque peu. Il était maintenant certain de ne pas fermer l’œil de la nuit.

***

Le lendemain matin, Jonathan était partagé entre l’excitation de piloter à nouveau et le désarroi dans lequel l’avait laissé l’impressionnant spectacle dont il avait été témoin la veille. Ses oreilles ne le faisaient plus souffrir et il espérait qu’il en serait de même une fois en vol. Il prit son petit déjeuner dans un réfectoire qui semblait avoir été déserté. A contrario, le pont d’envol était envahi de techniciens, militaires et scientifiques qu’il n’eut aucun mal à différencier. Son officier de liaison l’accompagna jusqu’à l’arrière du porte-avions où l’attendait déjà son Harrier. Le canon TDV avait disparu du pont supérieur, ce qui ne manqua pas de faire sourire Miller.

– Voici votre plan de vol, Sergent-major. Soyez prudent, lança très sérieusement l’officier de liaison.

Ça c’est le comble, pensa Jonathan. On me demande à moi d’être prudent pendant qu’eux mettent la planète en danger.

– Merci, Capitaine, répondit-il ironiquement.

Il monta à bord du Harrier et après les vérifications d’usage et l’accord de la tour de contrôle, il décolla. Quelques minutes plus tard, Jonathan volait au-dessus du Pacifique à pleine vitesse. Deux heures plus tard, il arriverait à Pearl Harbor où le dernier Harrier de l’armée américaine encore en état de marche finirait ses jours dans un musée.
Le vieux Harrier serait à la retraite en même temps que le vieux Miller, pensa Jonathan.

A bord, l’ambiance fut nettement moins joviale que la veille. Il semblait plongé dans une sorte de nostalgie qui dura pendant presque toute la durée du vol. Seule une voix dans son casque le sortit de sa torpeur.

– Black Eagle, ici la tour de contrôle de Pearl Harbor. Veuillez abaisser votre plancher à 1500 mètres afin de procéder à l’atterrissage. Nous vous libérons la piste 24B, veuillez confirmer.
– Bien reçu tour de contrôle. Je procède aux…

Il n’eut pas le temps de finir sa phrase. Déjà, son radar émettait deux échos droit devant lui à quelques centaines de mètres. La visibilité était restreinte par d’épais nuages gris. Pendant un instant, le pilote se remémora la dernière fois où il avait vu deux échos sur son radar, vingt-cinq ans plus tôt. Une vague de sueurs froides parcourut le corps de Jonathan qui luttait pour garder son calme. Le Harrier sortit d’un épais nuage et la panique envahit aussitôt le pilote lorsqu’il vit devant lui deux drones qui émergeaient d’un gigantesque vortex, trou béant déchirant le ciel. Les drones partirent en vrille et Jonathan ne les évita que par miracle. Dans la seconde qui suivit, les deux engins se percutèrent l’un l’autre. Le Harrier, prit dans le champ de l’explosion, fut projeté à travers le trou noir.

Jonathan ferma les yeux, croyant sa dernière heure venue.

***

Lorsqu’une alarme retentit dans le cockpit, il ouvrit à nouveau les yeux. Il était toujours là, bel et bien vivant, mais son appareil était devenu hors de contrôle et plongeait inexorablement vers l’océan. Le pilote dut jouer de toute son habileté afin de stabiliser le Harrier qui ne volait plus qu’à quelques dizaines de mètres au-dessus de l’eau.

La première chose qui frappa Jonathan quand le calme revint, fut la météo. En effet, le ciel n’était plus gris et menaçant, mais d’un bleu azur. Au loin, le soleil se levait derrière l’île d’Oahu abritant le port de Pearl Harbor. Le changement était saisissant. Il décida de reprendre de l’altitude afin d’envoyer un message radio. Pas de réponse. Une inquiétude naissante poussa le pilote à scanner toutes les fréquences radios. Il ne tarda pas à en trouver une, mais la voix qu’il entendit n’avait rien d’américaine. Il s’agissait plutôt d’une langue asiatique à laquelle Jonathan ne comprenait strictement rien. Soudain, il y eut un silence radio de quelques secondes suivi de trois mots que le pilote ne pourrait jamais plus oublier. Trois mots qu’il savait être japonais. Trois mots historiquement célèbres et qui répondaient à toutes ses interrogations : tora ! tora ! tora ! Il comprit aussitôt que le vortex l’avait projeté dans le passé, le 7 décembre 1941 à 7h53. L’attaque de Pearl Harbor par l’armée japonaise venait d’être lancée. L’histoire de cette bataille, tous les pilotes de l’US Air Force la connaissait par cœur. Le président Roosevelt l’avait tristement baptisée le Jour d’infamie. Jonathan avait étudié cette bataille lors de ses classes alors qu’il n’était pas encore pilote : la plus grande défaite militaire américaine. Il ne semblait pas croire à la réalité de sa situation, encore sous le choc de l’annonce radio. Comment pouvait-il se retrouver plongé au cœur d’un des jours les plus sombres de l’Histoire de son pays ?

Seule la première explosion d’un cuirassé parvint à sortir Jonathan de sa torpeur. Il savait que le Nevada venait d’être touché par une torpille. Ce navire avait été la première cible des bombardiers japonais. Quelques secondes plus tard, toute l’île Ford où était stationnée la majeure partie de la flotte américaine, sembla s’embraser sous les feux nippons. Jonathan devait intervenir, c’était son devoir de patriote et il en avait les moyens. Il fit un premier passage au-dessus du port, scannant les fréquences radios afin d’en trouver une américaine. Plus loin au nord, le pilote distingua nettement une nuée d’appareils japonais qui se scindait en plusieurs groupes d’attaque.

– Maintenant les choses vont changer, déclara-t-il solennellement à voix haute.

Jonathan lança ses réacteurs à pleine puissance en direction d’un groupe de onze bombardiers Kate qui arrivait au-dessus des montagnes. Les bombardiers japonais se distinguaient aisément des chasseurs Zéros de par leur couleur verte. La tâche du pilote américain n’en fut que simplifiée. En l’espace de quelques secondes, il fit un carnage avec sa mitrailleuse. Pas un pilote japonais ne réchappa vivant de l’attaque éclair. La surprise avait été totale.

J’ai bien arrosé l’arroseur, pensa Jonathan un sourire narquois aux lèvres.

Le Harrier avait déjà repris de l’altitude lorsque la radio, qui avait capté une nouvelle fréquence, lança un message que le pilote reconnut.

- Raid aérien, Pearl Harbor. Ce n’est pas un exercice.

Il s’agissait du message de détresse qu’avait lancé le commandant Logan de Ford Island. Jonathan vira de bord et ne tarda pas à rattraper un groupe de Zéros qui s’apprêtait à détruire une piste de décollage américaine. Les mitrailleuses du Harrier entrèrent en action et pulvérisèrent littéralement les avions japonais. Les explosions successives obligèrent le pilote à effectuer de spectaculaires manœuvres d’évitement.

Au sol, les militaires assistaient à une scène de science-fiction en voyant le Harrier évoluer dans les airs, venant à leur aide tel un ange tombé du ciel. Aucun pays n’avait jamais développé un tel engin, alors en voir voler un relevait de l’impossible.

De son cockpit, Jonathan aperçut deux Kates qui se dirigeaient vers l’Arizona, le plus célèbre des cuirassés coulé durant la bataille de Pearl Harbor. Le pilote américain orienta son appareil en direction des bombardiers nippons, en verrouilla un et lança une roquette. La déflagration qui s’ensuivit projeta des débris sur les navires alentours. Jonathan n’eut pas le temps de verrouiller le second Kate qui largua sa torpille. Vu du ciel, on pouvait très nettement distinguer le long sillage blanc sous-marin caractéristique, filer à pleine vitesse sur l’Arizona.

Les quartier-maitres Sims et Templeton avaient reçu l’ordre le matin même de passer une couche de peinture sur la coque de l’Arizona. Lorsqu’ils devinèrent une torpille à quelques dizaines de mètres d’eux, ils furent persuadés que leur mort était inéluctable. Perchés dans leur nacelle de travail, que pouvaient-ils faire ? C’est donc comme spectateurs qu’ils assistèrent au plus incroyable des miracles. Un chasseur inconnu passa en rase-mottes à une vitesse folle et largua une bombe qui fit exploser la torpille dans une impressionnante gerbe d’eau. Les deux quartier-maitres, bien que complètement trempés, se jetèrent dans les bras l’un de l’autre de joie. Ils se hâtèrent ensuite de remonter leur nacelle de travail.

A bord de son bombardier, le pilote japonais constata avec stupeur que sa torpille n’avait pas atteint sa cible. Pire, l’OVNI qui en était responsable fonçait à plein régime sur lui. Jonathan fondit sur sa proie qui tenta une manœuvre désespérée pour l’éviter et perdit le contrôle de son appareil. Le Kate termina sa course dans les eaux peu profondes de la baie. A bord du Harrier, Miller poussa un long cri de victoire. Cependant, une nouvelle explosion toute proche l’obligea à se reconcentrer. La bataille était loin d’être gagnée.

Dans la panique, les militaires américains à bord des cuirassés, prenaient tous les avions en vol pour cible. Jonathan dut rapidement se dégager d’un tir d’artillerie et reprendre de l’altitude. Une fois hors d’atteinte, il aperçut en contrebas un petit submersible nippon qui se frayait un passage dans les eaux de la baie. Il prit tout son temps pour viser et largua une seconde bombe. Sans surprise, l’obus atteignit son objectif et le sous-marin de poche japonais implosa.

Avec le recul que lui offrait l’altitude, Jonathan constata les dégâts de la bataille. Trois navires étaient en flamme, dont un donnait déjà de la gîte. Deux pistes de décollage et une bonne trentaine de Curtiss P40 américains étaient hors d’usage. Des volutes de fumées noires réduisaient considérablement la visibilité à basse altitude et au loin de nouvelles vagues d’avions japonais déferlaient sur Pearl Harbor. Les ennemis étaient trop nombreux et Jonathan ne pouvait espérer changer seul le cours de la bataille. Il lui fallait des renforts aériens et rapidement. Il décida de ne s’atteler pour le moment qu’à une seule tâche : la protection d’une piste d’envol afin de permettre aux P40 américains de prendre les airs.

La piste d’Ewa n’avait pas encore été atteinte par les raids aériens ennemis. Les mécaniciens et pilotes américains s’affairaient en tout sens afin de préparer leurs avions au décollage. Mais lorsqu’ils virent une nuée de Zéros surgir à contre-jour, ils coururent se mettre à l’abri dans les hangars voisins. Déjà les premiers chasseurs lançaient leur vague d’assaut lorsque, surgissant de nulle part, le Harrier leur coupa l’herbe sous le pied. A son premier passage, Jonathan descendit trois avions japonais, provoquant un mouvement de panique dans la formation ennemie. Quel était cet étrange et terrifiant appareil qui les décimait comme autant de moustiques ? Une roquette percuta un nouveau Zéro qui, en explosant, détruisit un appareil voisin. Ne croyant pas à leur bonne fortune, les militaires s’activèrent de façon plus intensive à la mise en route de leurs P40.

Des tirs provenant de l’arrière firent prendre conscience à Jonathan qu’il était pris pour cible par deux chasseurs nippons. Il ne tenta aucune manœuvre d’évitement, mais au contraire sortit ses aérofreins et orienta ses quatre tuyères en sens inverse. En deux secondes, les Zéros se retrouvèrent devant lui. Jonathan remit alors les gaz et joua de sa mitrailleuse, réduisant à néant les deux téméraires qui avaient osé relever le défi de le détruire.

Un premier P40 décolla, mais fut presque aussitôt détruit par une nouvelle formation de Zéros. Six autres chasseurs américains tentèrent leur chance et parvinrent à prendre les airs. Aussitôt ils engagèrent le combat et se focalisèrent sur la défense de la piste d’Ewa, ce qui permit à une bonne trentaine d’appareils supplémentaires de décoller. Il s’agissait pour Jonathan d’un tour de force car au cours de la bataille originelle, seuls six Curtiss P40 avaient réussi à prendre leur envol. Côté américain, la bataille était maintenant devenue aérienne et prenait une tournure qui permettait d’envisager une autre issue qu’un immense massacre.

***

– Taylor, fais gaffe à trois heures, tu en as un aux fesses, lança une voix dans la radio.
– J’arrive pas à le semer. Il s’accroche le fumier, répondit l’intéressé.

Jonathan repéra rapidement le P40 en difficulté. Taylor tentait désespérément d’échapper à son poursuivant sans succès. Le Harrier faisait maintenant face au chasseur américain toujours poursuivi de près par un Zéro.

– Merde, c’est quoi ça ? s’affola Taylor.
– A mon commandement, virez de bord à gauche Taylor, ordonna Jonathan.
– Mais vous êtes qui ?
– Obéissez, Taylor, ou vous allez finir par vous faire descendre !

Les deux secondes suivantes parurent durer une éternité pour le lieutenant Kenneth Taylor qui voyait l’avion inconnu grossir dangereusement.
– Maintenant ! lança précipitamment Jonathan.

Taylor réagit et vira de bord aussitôt. Le P40 ne passa qu’à quelques centimètres du Harrier qui ouvrait déjà le feu sur le Zéro. L’aile droite du chasseur nippon fut arrachée par les projectiles du canon rotatif américain. Dans une gerbe de flamme, le Zéro tourbillonna à grande vitesse avant de percuter le sol.

– Qui que vous soyez, merci l’ami, déclara Taylor.
– Peu importe qui je suis, répondit Jonathan. Ce serait trop long à expliquer. Ce qui compte, c’est que je suis de votre côté. Sachez juste que vous et le lieutenant Welch êtes destinés à de grandes choses.

En effet, Jonathan connaissait les deux pilotes de légende qu’étaient devenus les lieutenants George Welch et Kenneth Taylor. Au cours de la bataille de Pearl Harbor, telle qu’il la connaissait, ces deux jeunes pilotes faisaient partie des six P40 qui avaient réussi à prendre les airs. A eux seuls, ils étaient parvenus à descendre pas moins de sept Zéros. Taylor avait même été blessé pendant la défense de la piste d’Ewa. Jonathan avait empêché cela et il en éprouva une grande fierté.

– Tu entends ça, George ?
– Ouais. Je n’y comprends rien, mais peu importe. Comme notre mystérieux inconnu l’a dit, ce qui compte c’est qu’il soit de notre côté. Allons botter le cul de ces salauds !

La défense s’organisa peu à peu et les forces japonaises commencèrent à faiblir. Jonathan s’occupait à présent de protéger les navires bloqués dans le port, son appareil lui conférant un avantage technologique considérable sur l’ennemi.

***

Jonathan jeta un coup d’œil à son horloge de bord qui indiquait 8h40. Il marmonna un juron car il savait que dans dix minutes une seconde vague d’assaut déferlerait sur Pearl Harbor. Il fallait à tout prix empêcher que cela ne se produise.

– Ceci est un message à l’ensemble des pilotes américains déjà dans les airs. Décrochez, je répète, décrochez. Une seconde vague d’assaut arrive par le nord. Il faut les empêcher d’atteindre le port.
– Libérez la fréquence, lança un pilote.
– Ici le lieutenant Welch. Obéissez tout de suite et regroupez-vous derrière le chasseur inconnu. Faites-moi confiance les gars, ce type sait de quoi il parle.

Une minute plus tard, une formation de soixante trois Curtiss P40 mené par un Harrier survolait les montagnes et bientôt l’océan.

– Prenez de l’altitude, ordonna Miller. Nous allons leur tomber dessus par surprise !

D’une seule voix, les pilotes américains confirmèrent l’ordre. Jonathan suivait la progression ennemie sur son radar. Elle comptait plus d’une centaine d’appareils. Mais peu importait le nombre de japonais, il avait une stratégie qui, si elle fonctionnait, réduirait à néant la seconde vague d’assaut nipponne. Il lança ses réacteurs à plein régime. Welch et Taylor, qui étaient à la tête de la formation américaine, virent soudain le chasseur inconnu disparaître de leur champ de vision en quelques secondes.

Jonathan survola la nuée de chasseurs ennemis sans que ceux-ci ne se rendent compte de sa présence. Il attendit quelques secondes et fit faire demi-tour à son appareil. Il abaissa progressivement son plancher jusqu’à atteindre l’altitude des appareils japonais, se plaçant ainsi juste derrière eux.

L’ironie du sort voulut que le lieutenant Welch déclencha l’attaque par trois mots « GO, GO, GO » ce qui ne manqua pas de faire sourire Jonathan. Les P40 plongèrent vers leurs cibles et Miller lança ses réacteurs à pleine puissance. Il verrouilla deux Kates en milieu de formation et tira ses missiles. La déflagration fut si puissante que quatre avions japonais explosèrent et deux autres en perdition finirent leur course dans l’océan. Au même instant la vague de P40 fondit sur les japonais, provoquant des dégâts considérables dans leur formation. Les « japs » ne s’attendaient certainement pas à une contre-attaque au-dessus de l’océan. Pas moins de la moitié de leurs chasseurs et bombardiers furent détruits avant qu’ils ne se décident à changer de cap. Mais c’était sans compter sur la présence du Harrier qui leur barra le passage. Jonathan coupa les gaz et le canon rotatif de son chasseur entra en action. Le carnage qui s’ensuivit resterait à tout jamais dans les mémoires des pilotes présents lors de la bataille. Zéros et Kates se faisaient littéralement perforer par les projectiles 25 millimètres du Harrier. Les avions japonais explosaient de toute part et quand l’un d’eux parvenait à s’en sortir, deux ou trois P40 se chargeait de l’achever. Pas un seul américain ne périt au cours de l’attaque qui ne dura que cinq minutes. Il était 8h55 et la seconde vague d’assaut nipponne venait d’être réduite à néant.

Jonathan savait que la victoire était presque acquise. Il ne lui restait plus qu’un seul objectif : les six porte-avions japonais qui croisaient à quelques milles au nord.

– Bien joué les gars ! lança-t-il. La victoire est à nous, retournez à Pearl Harbor pour terminer le travail.
– Nous direz-vous enfin qui vous êtes ? demanda Taylor.
– Un ami venu de bien plus loin que vous ne sauriez l’imaginer, répondit simplement Miller. Bien plus loin. Adieu mes amis, un jour… nous nous reverrons.
– Merci pour tout, mais pourquoi…

Mais la voix de George Welch se perdit dans un grésillement. Jonathan venait de libérer la fréquence radio. Il ne voulait pas être distrait de son dernier objectif. Il savait qu’une troisième vague d’avions japonais était prête à décoller si on lui en intimait l’ordre. Il voulait à tout prix empêcher cela. Il tira sur le manche du Harrier qui prit aussitôt de l’altitude. Il ne lui restait que trois bombes et deux missiles pour endommager les pistes d’envol des porte-avions ennemis. Il n’avait par conséquent pas droit à l’erreur. Il fallut un quart d’heure au Harrier pour parcourir la distance qui le séparait de la flotte de l’Empire du Japon. Le chasseur, bien trop moderne, échappa aux radars encore rudimentaires des navires japonais. Jonathan visa stratégiquement les pistes de décollage des porte-avions. Lorsqu’il porta son attaque, seule une bombe manqua son objectif. Les ponts de quatre des six navires visés furent endommagés, interdisant tout décollage ennemi. Deux pistes demeuraient opérationnelles, résultat que le pilote trouva insuffisant. Il avisa un bombardier Kate qui s’apprêtait à prendre son envol. Jonathan enfonça le manche du Harrier qui plongea aussitôt. Le Kate roulait déjà sur la piste d’envol lorsqu’il fut perforé de toute part par les mitrailleuses du chasseur américain. Quelques instants plus tard, une explosion de grande envergure, amplifiée par la torpille du Kate, ravagea le pont du porte-avions. « Plus qu’un, pensa instinctivement Jonathan ». Mais les batteries antiaériennes des cuirassés alentours commençaient à cracher leur feu. Il jugea que le risque d’un nouveau passage était trop grand maintenant que l’effet de surprise ne jouait plus en sa faveur. Après quelques périlleuses acrobaties, le Harrier reprit de l’altitude jusqu’à être hors de portée des feux nippons. Là, il comprit que la bataille touchait à sa fin lorsqu’il vit l’ensemble de la flotte japonaise amorcer progressivement un demi-tour.

La bataille de Pearl Harbor était terminée et les Etats-Unis avaient vaincu l’Empire du Japon. Et lui, le sergent-major Jonathan Miller, avait à tout jamais changé le cours de l’Histoire. A aucun moment de sa vie, le pilote américain n’avait ressenti une telle fierté, un tel sentiment d’accomplissement de soi. Grâce à lui, plus de deux mille vies venaient d’être épargnées. Mais le temps était venu pour Jonathan de rentrer chez lui. Du moins l’espérait-il. Il n’appartenait pas à cette époque et devait rétablir un équilibre dans l’espace temps. Craignant que le vortex se soit refermé, il mit le cap sur l’endroit d’où son appareil avait émergé. Une demi-heure plus tard, il arriva sur zone et fut soulagé de constater que le trou noir crevait toujours les cieux. Cette fois-ci, il ne ferma pas les yeux lorsqu’il franchit le seuil du vortex.

***

Le ciel était à nouveau gris au dessus du Pacifique et Jonathan comprit qu’il était revenu à son époque, le 15 avril 2015. Allait-on l’accueillir en héros lorsqu’il raconterait son histoire au Général Stanton ? Allait-on seulement croire à son histoire ? Il n’avait aucune preuve tangible de son intervention à Pearl Harbor. Finalement, cela importait peu, seuls ses actes comptaient. Grâce à lui, un grand drame avait été évité.

C’est dans cet état d’esprit que le pilote mit à nouveau le cap sur Pearl Harbor. Sa jauge de kérosène indiquait un niveau de carburant assez bas. Rien d’alarmant en soi, mais il fallait refaire le plein rapidement. Il se cala sur la fréquence radio de la base aéronavale et lança un appel. L’inquiétude remplaça bientôt la joie car son appel demeurait sans réponse. Avait-il bien réintégré son espace-temps ? En y réfléchissant, il se dit que le ciel nuageux ne constituait en rien une preuve du lieu et de l’époque à laquelle il se trouvait. Pourtant il se trouvait au dessus de l’océan. Mais quel océan ? Etait-ce bien le Pacifique ? Le doute était permis. Jonathan ne disposait plus d’aucun repère temporel et géographique. Bientôt la silhouette d’une côte se dessina à l’horizon. Le pilote plissa les yeux et souffla de soulagement en reconnaissant la topographie caractéristique de l’île d’Oahu. Mais toujours pas de réponse à ses appels radios répétés.

Soudain, l’horreur prit le pas sur le soulagement lorsqu’il découvrit un port de Pearl Harbor qui avait été complètement ravagé par les flammes. C’était l’enfer sur Terre. Tout était détruit, brûlé et broyé. Le port, la ville d’Honolulu, les villages un peu plus loin dans les terres : rien n’avait été épargné. Tout sur l’île n’était que le terrible témoignage d’un lointain drame. Lointain car la nature avait repris ses droits. Une luxuriante végétation avait envahi les rues du port. Le paysage de désolation qui se dessinait au sol laissa Jonathan sans voix. L’île semblait désertée de toute vie. Cependant, le faible niveau de carburant poussa le pilote à aviser une zone suffisamment large pour lui permettre d’atterrir. Toutes les pistes de la base étaient hors d’usage, aussi dut-il procéder à un atterrissage vertical.

Lorsqu’il coupa les réacteurs du Harrier, un silence de mort régna sur l’île. Jonathan fut parcouru d’un frisson en descendant du chasseur. Sans bien savoir ce qu’il cherchait, le pilote erra dans les rues désertes de la ville plusieurs heures durant. Que s’était-il produit ? C’était à n’y rien comprendre. Les américains avaient gagné la bataille et pourtant la ville n’était maintenant qu’un vaste champ de ruines. Il envisagea subitement une hypothèse qui pouvait expliquer sa situation. Le trou de ver l’avait sans doute projeté dans un avenir où une catastrophe s’était produite sur l’île. C’était la seule explication plausible à ses yeux. Sa théorie ne répondait cependant pas à la question qui lui torturait l’esprit : qu’est-ce qui avait provoqué une catastrophe de cette ampleur ? L’heure n’était pas aux questions. Il devait maintenant se préoccuper de son propre sort.

Il se mit en quête de carburant pour son appareil. Ses réserves lui interdisaient tout retour sur le continent trop distant. Mais le sort semblait s’acharner contre Miller qui, après plusieurs heures de recherche, ne parvint pas à trouver la moindre goutte de kérosène. Le soir venu, le sergent-major alluma un feu non loin de son appareil et se contenta d’une ration de survie pour seule nourriture. Peu à peu ses craintes devinrent des angoisses. Etait-il condamné à survivre seul sur cette immense île déserte ? La fatigue l’emporta sur le stress et le pilote finit par s’endormir.

***

La fraîcheur matinale réveilla Jonathan qui tremblait quelque peu. Lorsqu’il ouvrit les yeux, encore embués par le sommeil, il eut un vif mouvement de recul en découvrant un vieillard qui se tenait debout devant lui. Une longue barbe blanche dissimulait un visage buriné, celui d’un homme marqué par la dureté de son existence. Il était vêtu de haillons, lambeaux vétustes de ce qui avait été des vêtements en d’autres temps. L’homme n’esquissa pas le moindre geste. En l’observant plus attentivement, Jonathan vit que des larmes coulaient le long de ses joues ridées. Le pilote était sur le point de lui adresser la parole, mais l’homme le prit de court.

– La prophétie était donc vraie, déclara-t-il d’une voix chargée d’émotion.
– La prophétie ? demanda Jonathan. De quoi parlez-vous ? Et puis qui êtes-vous ?
– Mon nom est Dean Thomas et je suis ici pour vous.
– Ecoutez, monsieur Thomas. Je ne comprends absolument rien à ce que vous dites.
– Vous êtes notre sauveur. Cela fait plus de trente ans que j’attends votre venue. J’avais fini par croire que mes prières resteraient sans réponses. Mais vous êtes là !

Dean Thomas fondit en sanglots et tomba à genoux. Jonathan, qui ne comprenait toujours rien à la situation, aida le vieillard à se relever. Il fallut à ce dernier un certain temps pour parvenir à réprimer ses larmes.

– Suivez-moi, balbutia-t-il. Nous serons mieux au chaud pour discuter.

Les deux hommes se mirent en route.

– Vous êtes nombreux à vivre sur l’île ? demanda Jonathan.
– Nous étions deux, mais mon ami est mort il y a trois ans déjà. Je vis seul désormais.
– Mais pourquoi restez-vous sur cette île si vous êtes seul ?
– J’attendais votre retour.
– Mon retour, s’enthousiasma Miller. Vous savez donc qui je suis ?
– Vous êtes l’ange descendu des cieux en 1941 et une prophétie annonçait votre retour.
– Incroyable, répondit le pilote. On se souvient encore de moi. Mais en quelle année sommes-nous ?
– En 2015, le 15 avril.

Je suis revenu dans le présent, mais tout est différent, pensa Jonathan.

Une évidence s’imposa alors au pilote. Il n’avait pas seulement changé le cours de la bataille de Pearl Harbor, mais le cours de l’Histoire. Sans réfléchir, il avait combattu les Japonais et avait provoqué un effet papillon. La question était maintenant de savoir quel impact avait eu son intervention sur le cours du temps. A quel point les choses étaient-elles différentes ?

Il n’osa plus poser de question à Dean Thomas jusqu’à ce qu’ils arrivent, une demi-heure plus tard, à ce qui avait été la bibliothèque municipale. Vu de l’extérieur, le bâtiment semblait être en ruine. Mais ce n’était là qu’une illusion. A l’intérieur, Jonathan découvrit une immense salle que le vieil homme avait aménagée avec soin. On aurait dit un gigantesque loft dont les pièces étaient délimitées par d’immenses rayonnages chargés de livres. Le pilote resta bouche bée devant ce lieu de vie hors du commun. Le vieillard le guida jusqu’à une petite pièce qui ressemblait plus à un temple qu’à un bureau. A l’intérieur, un petit autel orné de bougies avait été dressé. Il fut frappé de stupeur en découvrant une photographie de son Harrier disposée au dessus de l’autel. Cette prise de vue noir et blanc montrait le port de Pearl Harbor ravagé par les flammes. On distinguait parfaitement son chasseur qui faisait face à l’objectif au premier plan. Trop occupé par la bataille aérienne qui faisait rage, le pilote n’avait pas remarqué le photographe au sol. Le cliché, bien que froissé et usé, semblait être l’objet du culte de Dean Thomas. Voilà pourquoi le vieillard l’appelait « l’ange descendu des cieux ». Jonathan était apparu comme par miracle, sauvant les militaires américains d’un sort funeste. Il avait tout aussi mystérieusement disparu dès la fin de la bataille, ne laissant pour toute trace de son passage qu’une simple photographie prise à son insu.

– Racontez-moi tout, Dean, supplia-t-il d’une voix tremblante. Je dois tout savoir de ce qui s’est passé depuis le 7 décembre 1941.
Le vieil homme se lança alors dans un long monologue. Il expliqua à Jonathan comment les américains, forts de leur victoire à Pearl Harbor, avaient écrasé le Japon sous le poids des bombes avant de retourner dans leur mutisme. La rage ne s’était pas emparée du cœur des américains qui, attentistes, avaient observé ce que le président Roosevelt avait qualifié de « guerre européenne tout au plus ». Le débarquement de Normandie n’avait par conséquent pas eu lieu et Hitler, fort de ses positions européennes avait rapidement vaincu la France. L’Angleterre avait capitulé peu de temps après. Les Etats-Unis s’étaient rendus compte de leur erreur trop tard et n’étaient entrés en guerre contre l’Allemagne nazie qu’en 1947. Pendant près de quarante ans, les deux camps s’étaient affrontés, faisant plus d’un milliard de victimes et le 23 septembre 1986, les Etats-Unis avaient capitulé sans condition. L’année suivante avait marqué un tournant dans l’Histoire lorsque Adolph Hitler s’était éteint, rongé par le cancer. Un tournant car son fils adoptif, un sadique sans nom, avait pris sa succession. Un milliard d’êtres humains périrent dans les camps de la mort qui s’étaient multipliés partout à travers le monde. En sauvant deux mille vies, Jonathan avait condamné l’Humanité à la nuit. Lui, le sergent-major Miller était responsable de plus de deux milliards de morts. Seul, il avait changé le cours de l’Histoire et seul, il était responsable du plus atroce des crimes contre l’Humanité : le monde était aujourd’hui dirigé d’une main de fer par les nazis.

***

Comme si les larmes ne suffisaient pas à exprimer le poids de sa culpabilité, Jonathan eut un haut-le-cœur et se retourna pour vomir à plusieurs reprises. C’était plus que son corps et son esprit ne pouvaient en supporter. Il se leva brusquement et quitta la bibliothèque en courant.

Bien que hors d’haleine, il continua de courir longtemps. Son corps cherchait à expier son terrible pêché. Quand de fatigue il tomba à genoux, il hurla sa douleur plusieurs heures durant. Il erra ainsi, l’âme en peine, pendant deux jours avant de s’écrouler inconscient sur une plage d’Honolulu.

Lorsqu’il s’éveilla, le soleil était déjà bas à l’horizon. La nuit n’allait pas tarder à recouvrir l’île en ruine d’Oahu. Sur sa droite, Jonathan vit Dean Thomas qui longeait la plage avant de venir s’asseoir à côté de lui.

– Et vous Dean, commença le pilote, quelle est votre histoire ?
– Je suis un privilégié d’avoir vécu si longtemps sur cette île. Voyez-vous, en 1978 j’ai obtenu mon diplôme de journaliste et me suis embarqué dans le premier navire qui partait pour le front Atlantique en tant que reporter de guerre. Cela me semble si loin aujourd’hui. Mais le cuirassé est tombé dans une embuscade et les nazis m’ont capturé et déporté dans le camp de Lorient sur la côte française. Les années qui suivirent, furent les pires de toute ma vie. Famine, insalubrité, tortures et expériences humaines en tout genre étaient notre lot quotidien. Sans mes amis pour me soutenir, je crois que j’aurais fini par mourir là-bas. Mais par chance, j’ai fait la connaissance de Sam et Richard. Sam était anglais et son seul crime était d’être peintre. C’est lui qui vivait avec moi sur l’île jusqu’à ce triste jour, il y a trois ans, où il est décédé après une longue période de fièvre. Quant à Richard, et bien Richard est l’homme qui a changé nos deux vies à Sam et moi. C’est lui qui nous a parlé de la prophétie annonçant votre retour. Au début nous ne l’avons pas pris au sérieux jusqu’à ce qu’il nous montre cette photo de votre étrange avion prise au cours de la bataille. Ce cliché qu’il chérissait comme un trésor, il le tenait de son père, Kenneth Taylor, qui le lui avait transmis avant de mourir.

– Vous voulez dire que votre ami s’appelait Richard Taylor ?
– Oui, son père était pilote pendant la bataille de Pearl Harbor.
– Je l’ai connu, déclara Jonathan abasourdi par cette révélation.
– Toujours est-il qu’au fil des années passées au sein du camp, nous avons élaboré un plan d’évasion. Nous devions nous enfuir et retourner ensuite sur l’île d’Oahu pour attendre votre retour. Mais le plan ne se déroula pas comme nous l’avions prévu et Richard donna sa vie pour nous permettre, à Sam et moi, de nous échapper. Je n’ai jamais oublié le sacrifice de Richard, paix à son âme. Après un long périple, nous sommes finalement parvenus jusqu’à cette île que nous savions déserte depuis les années soixante. La suite vous la connaissez, trente et un an à attendre votre venue. Mais cela en valait la peine puisque vous êtes là. Vous êtes revenu pour nous sauver de la tyrannie des nazis.

Jonathan fondit à nouveau en larmes, mais se reprit très vite.

– Dean, c’est maintenant à mon tour de vous compter une triste histoire car croyez-moi mon ami, je ne suis pas un ange descendu des cieux pour vous sauver.

Et il raconta au vieil homme qui il était, d’où il venait et comment par sa faute, le cours du destin avait pris cette dramatique tournure. Le choc dut être violent pour Dean, mais jamais celui-ci ne fit le moindre reproche à Jonathan car il savait que dans une telle situation, il aurait agi de la même manière. C’est donc le cœur lourd que les deux hommes s’en retournèrent à la demeure de Dean.

La nuit était déjà bien avancée lorsqu’ils parvinrent à l’ancienne bibliothèque. Aucun des deux hommes n’avait prononcé la moindre parole. Les mots semblaient futiles et chacun combattait ses propres démons intérieurs. Dean montra au pilote les nombreuses toiles qu’avait peintes son ami Sam au cours de ses vingt-huit années passées sur l’île. Jonathan prit le temps de toutes les regarder dans un silence presque religieux. Le vieillard le laissa dans sa contemplation et alla s’agenouiller devant l’autel de son petit sanctuaire.

Lorsque Jonathan revint, Dean priait devant la fameuse photographie qui était à l’origine du terrible quiproquo. Mais en la regardant attentivement, le pilote eut une révélation.

– Dean, je dois m’en aller, lança-t-il soudain d’une voix excitée. Je sais maintenant, je sais.
Le vieil homme ne sembla pas surpris outre mesure par l’étrange phrase du pilote. Il se retourna et déclara simplement :

– Alors va, mon ami. Va.
– Adieu, répondit avec émotion Jonathan.

Il quitta la demeure de Dean Thomas et se précipita vers son Harrier.

***

La nuit se changea en jour lorsque le chasseur franchit à nouveau le vortex. Par chance le trou noir était resté ouvert, offrant ainsi au pilote la possibilité de franchir à nouveau le seuil d’un lointain passé.

Le 7 décembre 1941, le ciel était d’un bleu azur et en contrebas, Jonathan vit un autre Harrier, hors de contrôle, qui perdait rapidement de l’altitude. Le pilote à bord de l’autre appareil, c’était lui lorsqu’il avait franchi le trou noir la première fois. Il eut une étrange impression en voyant son double manœuvrer tant bien que mal afin de stabiliser son appareil. Pendant quelques secondes, il fut tenté de contacter son double afin de le convaincre de ne pas prendre part à la bataille, mais le temps ne jouait pas en sa faveur. Son double écoutait déjà le message d’attaque japonais et était sur le point de se lancer corps et âme dans la bataille. Il ne lui restait plus qu’une seule solution.

– Le temps de la rédemption est venu, déclara solennellement Jonathan.

Il enfonça le manche du Harrier et s’élança à pleine puissance comme un missile sur son double. Il ferma les yeux alors que des larmes coulaient doucement sur son visage. Les images de son existence défilèrent devant ses yeux tel un film accéléré. Un sentiment d’éternité l’envahit soudain.

Personne ne fut témoin de la gigantesque explosion au dessus du Pacifique. Jonathan aurait sans doute dit que c’était mieux ainsi. Il avait réussi, il avait à nouveau infléchi la courbure du temps. Son double ne prendrait pas part à la bataille et les américains subiraient le Jour d’infamie. Le cœur emplit de haine pour cet acte barbare, les Etats-Unis s’engageraient dans la seconde guerre mondiale pour finalement triompher des forces de l’Axe.

Ce jour là, près de deux mille vies furent perdues.
Ce jour là, près de deux milliards de vies furent épargnées.


FIN


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mercredi, 24 octobre 2012

Beyond Humanity 1 : Des Jambes en Or [Nouvelles/Anticipations]

 

Le jeune Nathan alluma la télé. La conférence de presse venait tout juste de commencer.
Nike Thompson, la star du ballon rond, rayonnait sous le feu des projecteurs. Mais ses jambes dorées fraîchement acquises n'avait rien à lui envier.
La première question ne tarda pas à fuser :
- Est-il vrai que vous n'avez payé que le quart de la somme exigée par Nike pour convertir votre prénom ?
C'était la grande mode. Les grandes marques autorisaient ceux qui en avaient le désir, et surtout les moyens, à s'octroyer leur nom. En échange, ils bénéficiaient de réductions conséquentes sur une large gamme de produits et de services. Le sponsoring dernier cri. Cela faisait évidemment fureur dans le milieu sportif, mais certains particuliers étaient parvenus récemment à obtenir ce privilège.
L'intéressé secoua la tête, faisant voltiger ses dreadlocks argentées et arma un sourire éclatant de blancheur :
- C'est tout à fait juste. Il faut savoir que les contrats stipulent que vous ne devez payer que les lettres que votre prénom d'origine ne possèdent pas.
Or, ce n'est un secret pour personne, je m'appelais encore Mike il y a une semaine. J'ai donc profité de cette chance pour obtenir une bonne ristourne.
Il faut toujours lire les petites lignes, surtout quand elles sont en votre faveur.
Il se mit à rire, rapidement imité par l'assemblée de journalistes.
En quelques années, Nike avait obtenu un capital sympathie énorme que beaucoup lui jalousaient. Et pour ne rien gâcher, c'était un athlète performant.
Seulement, tout cela ne suffisait plus à être compétitif à une époque où la technologie était omniprésente.
Son accident de voiture, un mois plus tôt, avait eu raison de ses doutes à ce sujet. Entre un fauteuil roulant synonyme de retraite anticipée et des prothèses sur mesure synonymes de tremplin de carrière, le choix avait été simple. Les sponsors avaient débloqué sans hésiter des fonds substanciels afin qu'il bénéficie du must en la matière.
Des jambes cybernétiques pour un sportif de sa trempe, ce n'était pas un luxe, juste la garantie de ne jamais rester sur la touche.
- Monsieur Thomson...
- Je vous en prie, appelez-moi Nike. Autant rentabiliser mon investissement !
Nouveaux rires dans l'assistance.
- Euh...Nike, une rumeur tenace circule actuellement en ce qui concerne la vraie nature de votre accident. Il aurait été mis en scène afin que vous obteniez plus facilement vos jambes artificielles.
- L'enquête n'a rien prouvé de ce côté. Je n'ai aucun souci à me faire.
- Vous reconnaissez donc qu'il y a eu enquête.
- Ceux qui me connaissent savent que le mensonge est une gymnastique que je ne maîtrise pas. Et puis, que serait le monde sans rumeur ? Ennuyeux, c'est certain. Demain, une autre verra le jour. Ma main à couper. Car en ce qui concerne les jambes, c'est déjà fait.

Nathan éclata de rire. Nike Thompson était son héros, son modèle. Il était célèbre, beau, fort, rapide, drôle, honnête. Et maintenant, il avait des jambes cyber.
La perfection incarnée.
Le garçon rêvait d'en avoir, lui aussi. Ca tournait à l'obsession. Il faut dire qu'il avait de bonnes raisons d'y penser jour et nuit.
Sa mère rentra du travail à ce moment là. Elle l'embrassa.
- Tu n'aurais pas des devoirs à finir, par hasard ?
- Si, mais j'attendais que l'émission se termine.
- Nike Thompson, c'est d'un ridicule !
- Moi, je trouve ça trop cool. Un jour tu crois que je pourrais avoir un nom comme ça, moi aussi ?
- Certainement pas tant que tu habites sous mon toit. Si tu veux couvrir ta mère de honte, ce sera loin d'elle et avec ton propre argent.
- Et des jambes cyber, tu crois que je pourrais en avoir quand ?
- On en a déjà parlé, Nathan. Je n'ai pas changé d'avis et je n'en changerai pas.
- Maman, c'est pas juste. Dans ma classe, il n'y a que moi qui en ai pas. Je peux plus suivre les cours d'athlétisme à cause de ça. Le prof dit que j'ai plus le niveau.
- Tu n'as pas besoin de l'école pour faire du sport. Il y a un excellent centre dans le quartier. Je vais t'y inscrire et tu pourras faire l'activité que tu voudras. Ne te laisse pas embobiner par les autres. Tu n'as pas besoin de prothèse. Tu as tout ce qu'il te faut pour être heureux.
Mais Nathan était très loin d'en être convaincu.

Le lendemain matin, sur le chemin de l'école, Nathan détaillait les jambes mécaniques de son copain Jimmy avec encore plus d'envie. Elles ressemblaient à s'y méprendre à celle de son super héros préféré, Iron Man.
- Pourquoi tu les montres comme ça ? C'est pour me faire chier ?
Jimmy était un gentil garçon. Comme Nathan. Ses parents étaient seulement plus fortunés. Et fatalement, plus tentés de le montrer.
- Mais, non. C'est juste que maintenant j'ai un sponsor.
Il indiqua du doigt le logo Coca-Cola sur son tibia en titane.
Ils ont accès aux caméras de la ville et ils vérifient que je montre bien la marque. Je peux gagner beaucoup d'argent juste pour une journée. Enfin ma mère. Moi, j'ai pas encore l'âge.
- T'as pas l'impression de te faire exploiter ?
- Salut les loosers !
C'était Nasa. Ce jour-là, elle avait mis un short en jean pour faire ressortir ses jambes métalliques d'un blanc laiteux superbement ouvragées. Son père était un industriel réputé. Elle en avait très tôt profité. Dès la naissance en fait, puiqu'elle fut l'un des premiers bébés dont l'accouchement s'effectua intégralement par un androïde.
- On fait la course, Jimmy ? Nathan, tu donnes le top.
Nathan était secrètement amoureux d'elle. Mais Nasa n'avait d'yeux que pour Jimmy. Normal, ils étaient faits du même bois. Ou plutôt, du même métal.
- Ok, fit Nathan, blasé.
Il attendit qu'ils se mettent en position.
- 3...2...1...
Il y eut une détonation.
Nasa gloussa en voyant les deux garçons paralysés.
- Mon père m'a installé un mod vocal ce week-end. Je peux faire 150 sons différents. Cool, non ?
Jimmy décida de ne pas être impressionné.
- On court ou on cause ?
Il partit comme une flèche, rapidement rejoint par la demoiselle.
Nathan les observa disparaitre à l'horizon. Un horizon qui lui paraissait bien distant sans les bons outils pour l'atteindre.

Quand vint l'activité sportive, il fut comme d'habitude gentiment invité à se rendre en salle d'étude sous le regard gêné des autres élèves.
Mais cette fois, Nathan n'était pas d'humeur à se laisser dicter sa conduite. Il se rendit à l'arrière du bâtiment secondaire, où il savait la surveillance moindre, et se jucha sur l'un des balcons. La hauteur n'était pas suffisante pour le tuer, mais avec un peu de chances, en retombant bien sur ses pieds... Sa mère mentait. La vraie raison pour laquelle elle ne voulait pas lui acheter des jambes cyber c'était parce qu'elle trouvait ça ridicule. L'argent, elle l'avait sûrement.
Elle travaillait tous les jours, même le dimanche. S'il ne lui donnait pas le choix, elle serait obligée de les lui offrir. Il avait assez attendu son tour. Convaincu de cela, il ferma les yeux et sauta dans le vide. En pensant très fort à Nike Thompson.

La mère de Nathan se précipita dans la chambre. Cloué au lit, le garçon ne put accepter son étreinte, mais elle lui caressa le visage de façon éloquente tout en versant un cortège de larmes. Elle s'assit à son chevet et lui prit la main.
- Dis-moi que c'est un accident ! Dis-moi que tu n'a pas sauté !
Nathan était ému par la réaction de sa mère. Il n'avait pas pensé que cela la mettrait dans un état pareil. Il n'avait pas non plus pensé que son geste le mettrait, lui, dans un état pareil. Les médecins avaient été unanimes. Nathan était paralysé, des pieds à la tête. Le choc avait été suffisamment fort pour toucher la moelle épinière.
Comme son fils ne répondait pas et commençait à pleurer à son tour, elle devina facilement la vérité.
- Pourquoi tu ne m'as pas cru ? Je ne peux pas t'acheter ces jambes. Je dois rembourser des tonnes de dettes à cause de ton père ! J'ai tout juste de quoi nous faire vivre et te payer tes frais scolaires. Ton accident ne va rien changer,  je suis désolée. Ce sera même pire qu'avant.

Quelques jours plus tard, une annonce des médias fit grand bruit. Une vidéo fut diffusée au grand public qui devait changer le destin de Nike Thompson à jamais. On le voyait debout contre un mur se faire broyer les jambes par une voiture conduite par son manager. Une heure plus tard, le champion perdait sa cote de sympathie, ses sponsors et son avenir professionnel. Il dut même rendre ses jambes pour entorse au contrat.
Le lendemain matin, personne ne s'étonna de voir son suicide faire les gros titres des journaux. Il y eut bien des procédures pour l'innocenter et réhabiliter sa mémoire, mais elles furent bien vite oubliées dans le flot continuel de rumeurs dont s'abreuvaient le public. Demain, d'autres verraient le jour. L'ennui était proscrit.

Bienvenue dans un monde où la Technologie et l'Homme ne font plus qu'un.

Ce monde existe déjà. C'est le nôtre : 


Lire Beyond Humanity 2 : Un Cadeau Empoisonné


 

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mardi, 08 mai 2012

INCEPTION : Esprits Frappeurs [Fanfic]

 

Nathan Tyrdell était conscient de sa supériorité. Son prisonnier beaucoup moins. Il se sentit obligé de le convaincre :

- Cette maison n’est pas très grande et elle est loin, très loin de la ville la plus proche. Si j’étais optimiste, je dirais que les chances que tes amis ont de te retrouver frôlent le zéro.

Le prisonnier le toisait avec une absence totale d’expression. L’interrogatoire n’allait pas être simple. Mais Tyrdell s’en moquait. Il avait tout son temps et chaque bribe d’information qu’il parviendrait à extraire de l’homme serait pour lui la source d’une joie sans nom.

Comme pour le lui annoncer, il pêcha une pomme dans la coupe posée sur la table – unique décoration de la pièce – et mordit dedans à pleines dents. Il jeta un bref coup d’œil à travers la fenêtre derrière lui. On pouvait entendre les bruits familiers de la campagne à l’heure où elle s’endort. N’eut été la situation, il se serait volontiers laissé bercer par la douce plainte du vent et le chant des grillons.

- Je ne suis pas celui que vous croyez.

Le prisonnier parlait enfin. Pour Tyrdell, c’était déjà une victoire. Il commençait à se soumettre.

- Ok. Alors dites-moi qui vous êtes.

L’homme se mordit la moustache. Des ecchymoses couvraient son visage émacié. Tyrdell ne se souvenait plus d’où elles venaient. L’arrestation avait-elle été aussi violente ? L’avait-il battu pour le faire parler ? Etrange. Il n’arrivait pas à se souvenir. D’ailleurs en y repensant, il ne se souvenait pas non plus comment ils étaient arrivés jusque-là. Voiture civile, transport spécial ? Train, avion, hélico ?

Tyrdell secoua la tête. C’était au prisonnier de se sentir paumé, pas à lui. Il était fatigué, voilà tout. Le voyage avait dû être long et ce face à face sans doute entamé depuis plusieurs heures. Il en avait vu d’autres.

Comme si le prisonnier avait soupçonné son trouble, il ajouta :

- Nous ne sommes pas non plus où vous croyez que nous sommes.

L’assurance du type faisait froid dans le dos. Tyrdell s’empêcha de déglutir pour ne pas trahir son inquiétude.

- Bien. Dites-moi tout.

Tyrdell tendit la main pour croquer sa pomme, mais elle n’était plus là où il l’avait laissée. La coupe aussi avait disparu.

- Regardez par la fenêtre.

Tyrdell avait la désagréable sensation de ne plus maîtriser la situation. Pire. Il avait le sentiment très net de se retrouver dans le rôle du prisonnier. Il obéit avec un geste traduisant un maximum de dédain. Ce qu’il vit au-dehors le bouleversa au-delà des mots. Comme pris d’un vertige, il se recula et se raccrocha à la table, le visage livide.

- Bordel, mais qu’est-ce que…

Il se tourna vers le prisonnier. Ce dernier baissa la tête comme pour se soustraire à sa vue. Lorsqu’il la releva, son visage n’était plus le même. Les ecchymoses, la moustache, tout cela avait disparu. Sans qu’il pût l’expliquer, Tyrdell contemplait désormais une femme aux cheveux blonds dans un costume d’homme. Elle le dévisagea froidement :

- Ce n’est que le commencement, Tyrdell !

Elle donna un violent coup dans la table avec ses pieds, se projetant à travers la porte derrière elle.

Ligotée sur sa chaise, elle plongea dans le vide, s’éloignant à toute vitesse du building suspendu entre ciel et terre. Les fenêtres de l’immeuble explosèrent et des gardes jaillirent des débris de verre pour fondre droit sur elle tels des oiseaux de proie. Il y en avait une dizaine. Et ils arrivaient très vite.

La femme eut la vision fugitive d’un océan en contrebas. Si elle pouvait l’atteindre avant qu’ils ne l’atteignent, elle, elle serait alors hors de danger. Si seulement elle pouvait se libérer de ses liens. Tyrdell avait bien serré. Même dans l’état d’ahurissement dans lequel il devait être, son esprit était encore solide. On ne lui avait pas menti à son sujet. C’était un adversaire redoutable. Elle essaya de faire abstraction de sa situation pour se focaliser sur la corde enserrant ses poignets. Le premier garde était presque sur elle lorsqu’elle se libéra. Il se jeta sur la chaise. En un tournemain, elle l’attacha au siège au moment où ses acolytes ouvraient le feu. Son bouclier improvisé fut rapidement criblé de balles lui laissant tout le loisir de plonger droit vers l’océan. Des balles fusèrent tout près d’elle, lui indiquant que le stratagème n’avait pas fait long feu. Elle ôta sa veste de smoking et la jeta derrière elle. Son plus proche assaillant la reçut en pleine figure, lui faisant gagner de précieuses secondes. L’eau miroitante n’était plus qu’à une centaine de mètres. Comme aurait dit Tyrdell, en étant optimiste, les chances qu’elle avait de survivre à une telle chute frôlaient le zéro. Heureusement le monde dans lequel elle évoluait remettait totalement cette perspective en question. Une balle siffla à un cheveu de sa joue droite. Il fallait qu’elle évite toute blessure, toute douleur extérieure à elle. Le moment n’était pas venu de sortir. Elle avait encore des choses à faire ici. Elle se concentra sur sa chute. Elle atterrit sur l’océan, un genou fléchi, comme sur un terrain solide. Les gardes, eux,  plongèrent tout autour d’elle, dans de grandes éclaboussures. L’espionne se releva. Elle fit quelques pas sur l’eau, se délectant du caractère surréaliste de la situation.

- J’adore ce job !

Mais Tyrdell n’avait pas dit son dernier mot. Il s’était mêlé à ses poursuivants. Elle le vit s’élever hors des flots à la verticale avant de poser les pieds sur la surface comme elle venait de le faire.

- Je ne sais toujours pas qui tu es, mais j’ai une idée plus précise de l’endroit où nous sommes.

Il regarda autour de lui avant d’ajouter :

- Mon esprit ou le tien ?

L’espionne allait répondre quelque chose, mais elle comprit que Tyrdell essayait moins de connaître ses intentions que de gagner du temps. Elle repéra les gardiens – simples extensions défensives de l’esprit de Tyrdell – se mettre stratégiquement en place sous la surface de l’océan. Eux aussi profitaient pleinement des capacités extraordinaires du rêve dans lequel ils cohabitaient temporairement. Debout, la tête renversée, du moins de son point de vue à elle, ils avançaient sournoisement l’arme à la main dans sa direction, espérant la piéger mortellement. Mais Rachel Morgan avait de l’expérience. Et elle savait s’en servir.

- Je te laisse deviner, Tyrdell !

Sur ces mots elle se mit à courir tandis que des chapelets de balles venaient trouer le sol liquide tout autour d’elle, dans un ballet de gerbes fantastique. Rachel n’était pas du genre à fuir. Elle le faisait assez dans la réalité. Autre monde, autres règles. Ici, elle se sentait puissante, car son esprit avait toujours été fort et son imagination, galopante. Plusieurs gardiens jaillirent hors de l’eau à quelques mètres devant elle, pointant leurs armes sur elle. Ils firent feu. Les yeux de Rachel s’agrandirent. Un court instant le temps ralentit. La jeune femme fit volte-face. Elle jeta un regard à Tyrdell, courant vers elle avec une lenteur qu’il s’efforçait de vaincre, avant de basculer à 180° sous la surface de l’océan. De ce fait, elle se retrouva derrière l’un de ses poursuivants. Elle lui arracha facilement son pistolet et au moment où le temps reprit son cours normal, elle lui assena un violent coup de la crosse de son arme. Le type eut une réaction inattendue. Il fut projeté hors des flots et s’envola dans le ciel comme si Dieu en personne l’avait convié. A son tour, Rachel fit feu. Ses balles crevèrent le sol aqueux avant de crever la peau de deux gardiens qui décollèrent à leur tour. La gravité était délicieusement capricieuse. Rachel sourit avant de comprendre que Tyrdell l’avait rejoint et lui tirait dessus. Elle décida de remonter à la surface sans prendre la peine de se retourner cette fois. Elle jaillit hors de l’eau, les talons pointant vers le haut et ce faisant, neutralisa deux autres gardiens. Lorsqu’elle retomba sur ses pieds, Tyrdell était en train de faire surface, la tête la première. Elle le visa avant de sourire malicieusement. Elle se concentra et une fraction de seconde plus tard, la surface de l’océan était aussi gelée qu’un iceberg. Tyrdell était pris au piège dans la glace, la moitié de son corps seulement dépassant de l’eau, sa main armée du flingue se tortillant désespérément sous la surface. Rachel s’approcha de lui. Elle le savait vulnérable, sans défense. Bien plus qu’il ne voulait le laissait paraître, en vérité. Ses gardiens avaient tous disparu. C’était un signe. L’espionne posa un genou au sol et darda sur Tyrdell un regard aussi froid que l’océan sous ses pieds.

- A ton tour de répondre à mes questions.

Tyrdell cracha sur elle.

- Tu peux rêver !

Rachel se mit à rire.

- Je crois que ce n’est pas incompatible. Ecoute, si tu as compris où nous sommes alors tu comprendras aussi qu’ici, j’ai des moyens particuliers de te faire parler qui n’existent pas ailleurs. Des menaces qui n’existent pas ailleurs. Des peurs.

Elle leva les yeux. Tyrdell l’imita, à son grand regret. Le building qu’ils avaient quitté tous deux avec fracas était en train de tomber du ciel droit sur eux. Comme si de rien n’était, Rachel poursuivit :

- Si j’étais optimiste, je dirais que les chances que tu as de survivre à cette chute frôlent le zéro.

L’inquiétude de Tyrdell fit soudain place à une surprenante assurance.

- Si nous étions dans la réalité, je te donnerais sans doute raison.

Tyrdell se tira une balle dans la jambe. A l’instant où il disparut, Rachel comprit son erreur. Distraite par son échec, elle en oublia le building qui s’écrasa de tout son poids sur la banquise improvisée.

Rachel se réveilla sous le choc. Elle avait l’habitude de ces séances aussi reprit-elle rapidement ses esprits. Elle regarda autour d’elle. Elle était dans une pièce d’une grande sobriété, rappelant celle dans laquelle Tyrdell l’interrogeait au préalable. Elle reconnut la même table et la même coupe de fruits. Un employé la débrancha de la machine. Un homme aux cheveux blonds habillé avec élégance s’approcha d’elle. Il pinça les lèvres. Rachel secoua la tête.

- Désolée, Cobb. J’ai merdé.

Ils tournèrent la tête et observèrent Nathan Tyrdell ligoté à une chaise. Son visage émacié était couvert d’ecchymoses. Son bâillon l’empêchait d’émettre le flot d’injures qu’il leur adressait. L’employé le débrancha lui aussi de la machine, une valise ouverte contenant un système complexe connu de bien peu d’hommes.

- Pas grave, dit le dénommé Cobb. Tu as encore besoin d’un peu de temps, c’est tout. Je suis sûr que ça peut marcher.

Rachel était moins confiante.

- J’ai pas le feeling en ce moment.

- Tu déconnes. Tu es un véritable Esprit Frappeur. Je ne connais personne comme toi. Tu as toute les qualités pour ce job. Tu es une faussaire brillante, une architecte hors pair et une organisatrice experte. A côté du tien, mon CV ressemble à celui d’un touriste.

Rachel eut un sourire las.

- Venant de toi, c’est un sacré compliment. Mais être polyvalent, est-ce que ce n’est pas une manière élégante de dire qu’on est qu’à 50% dans tout ce qu’on fait ? Tu devrais peut-être songer à embaucher une équipe de spécialistes. Pour être sincère,  le fait que Tyrdell ait été entraîné rend les choses plus difficiles que je ne l’imaginais. Je manque de concentration et en plus de cela on a plus beaucoup de temps. Je ne comprends pas,  je suis motivée pourtant. Difficile de ne pas l’être surtout quand on devine ce que ce salaud doit préparer comme coup tordu !

Nouvelle bordée d’injures censurée par le bâillon.

Cobb allait répondre quelque chose, mais Rachel reprit :

- C’est vrai que tu ne connais personne comme moi ?

Cobb s’assit face à elle. Il prit une pomme dans la coupe de fruits et mordit dedans à pleines dents.

- Non, je connais quelqu’un d’autre.

D’un regard, Rachel l’enjoignit à être plus précis.

- Il est passé dans le camp ennemi, il y a plusieurs années. C’est un Esprit frappeur lui aussi. Vraiment très doué.

Rachel désigna Tyrdell du menton.

- Il pourrait le faire parler ?

Cobb se leva.

- Pour ça, il faudrait le convaincre de travailler pour nous. Le connaissant, c’est peine perdue.

Rachel retrouva son sourire malicieux.

- Ou faire en sorte qu’il travaille pour nous sans qu’il s’en rende compte.

Cobb et Rachel se dévisagèrent avec complicité :

- Inception !

 

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mercredi, 25 avril 2012

Sweet Pea's Chronicles

 

Issue du film Sucker Punch de Zack Snyder, Sweet Pea est une guerrière splendide au tempérament d'acier, acerbe et impitoyable, mais qui cache aussi beaucoup de sensibilité derrière le masque de son dédain.

Son caractère, son look et surtout la frustration née du fait qu'on ne la voit JAMAIS utiliser l'épée qui orne pourtant si joliment son dos sont les raisons qui m'ont poussé à élaborer ce projet que j'espère bientôt commencer (si seulement c'était le seul !!!)

Les aventures que je raconterai se dérouleront indépendamment de l'intrigue du film et exploiteront l'univers de Fantasy survolé - dans tous les sens du terme - dans l'oeuvre de Zack Snyder.

Ci-dessous, LA scène exclue injustement du film où Sweet Pea utilise son épée (merci à Tate Langdon pour l'info) :

 

 

 

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vendredi, 20 avril 2012

Hollywood Panic [Recueil/Humouroïd]

ou le voyage déjanté d'un cinéphile français dans la mémoire du 7ème Art

 Pour (re)découvrir ce qui s'est passé avant

 

    On venait de quitter les côtes françaises et on survolait le tapis bleu de l’Océan Atlantique. Depuis notre départ en hélico, j’avais pratiquement rien dit. Faut dire que depuis que Tom Cruise m’avait annoncé que je pourrai revoir Angelina Jolie en vie, mon cerveau tournait comme un lion en cage dans mon crâne qui avait tout le mal du monde à le contenir. J’observai  Tom piloter  l’appareil avec une aisance des plus enviables. Ma vie avait bien changé depuis ma rencontre fatidique avec Angie. J’évitais de trop ressasser mes souvenirs avec elle, mais j’avais quand même régulièrement besoin de me pincer pour m’assurer que tout ce qui m'était arrivé était réel. Alors que le silence nous avait pris en otage depuis un bon moment, j’ai quand même fini par lâcher :

- Alors pour toi aussi le cinéma est une couverture ?

Tom m’a fait son fameux sourire enjôleur :

- Mieux que ça. C’est une vraie formation d’espion. Tu peux pas imaginer tout ce que j’ai pu apprendre en faisant des films.

- Comme lire sur les lèvres ?

- Tiens, un cinéphile.  Ca a dû plaire à Angie, ça !

Ma pomme d’Adam a confirmé. J’ai poussé un soupir pour éviter de chialer comme un môme à qui on aurait piqué sa sucette et j’ai poursuivi une interview que m’aurait enviée le gratin des journalistes :

-  Ca faisait longtemps que tu bossais avec elle ?

Parler d’elle au passé était un véritable crève-cœur, mais Tom m’avait assuré  que je pourrai la revoir bientôt alors je me consolais en me disant que c’était provisoire.

A notre altitude, c’était l’heure de pointe : Un banc de mouettes est arrivé brusquement en sens inverse et droit sur nous, sans crier gare ou même quelque chose d’approchant dans leur langue. Tom a usé de tout son savoir-faire pour éviter le carnage. L’hélice a épilé quelques volatiles, mais il y a eu plus de peur que de mal. Comme si rien ne s’était passé, il a répondu :

- On s’est rencontré il y a trois ans sur le tournage d’un film, une parodie de James Bond.

J’en eus le souffle coupé. Moi qui ai toujours pris soin de m’informer dans ce domaine…

- J’en ai jamais entendu parler !

- Le projet a été abandonné. On a malgré tout sympathisé et on a fini par découvrir notre identité secrète.

- Ah, oui ! Comme dans Mr and Mrs Smith avec Brad Pitt ! Quel putain de bon film, aussi celui-là !

Là, Tom a eu un sourire un peu bizarre. Comme si j’avais une verrue sur le nez. Sauf que c’était pas ça.

- Quoi ? Me dis pas que Brad Pitt est un espion lui aussi !

- Si je te répondais, il faudrait que je te tue après.

- Ok, laisse tomber alors. Je lui poserai la question quand je le verrai.

Je disais cela avec le plus grand sérieux. Cette éventualité ne m’apparaissait plus impossible étant donné le virage à 180 ° qu’avait effectué mon existence ces derniers jours. Il y avait du bon, et même du très bon comme ma complicité grandissante avec Angie et ce baiser fugace dans la voiture pour me remercier de l’avoir aidée. Et puis il y avait eu du moins bon, du très moins bon même comme quand mon salaud de père avait flingué Angie. J’avais eu sa peau, mais ses sombres projets n’en étaient pas pour autant terminés.

- Mon père a parlé d’une sorte d’opération baptisée Hollywood Panic. Qu’est-ce que c’est ?

- Une très mauvaise nouvelle pour les Etats-Unis. Et donc forcément pour le monde entier.

Ca ressemblait trop à une réplique standard pour blockbuster. Ca me suffisait donc pas.

- Mais encore ?

- C’est le nom de code d’un super virus. Ton père l’a lancé juste avant que tu ne l’affrontes. Je ne pourrai pas t’en dire davantage avant qu’on ait atteint notre destination.

- Justement, où est-ce qu’on va exactement ?

- Nouveau-Mexique.

J’émis un long sifflement. Enfin, je fis du bruit avec ma bouche.

- C’est pas la porte à côté, dis-moi !

Tom exhiba une seringue.

- Si tu veux, tu peux faire un somme.

- Non, merci. La dernière piqûre qu’on m’a faite m’a pas trop réussi.

Oui, je sais que la traversée de l’Atlantique en hélico n’a rien de passionnant, mais figurez-vous que…

- Bon, ça va, je vais la prendre cette piq…

L’aiguille me traversa le bras sans crier gare elle non plus.

J’ai ouvert la bouche pour hurler, mais mon cri s’est vautré sur ma langue.

-… fait mal cette connerie !

Tom a dû avoir pitié de moi et de ma curiosité. A moins que parler de me tuer l’ait fait furieusement fantasmé.

- Si je te dis qu’on se rend dans l’endroit le mieux gardé au monde.

La piqûre devait déjà faire effet car je répondis avec une grande assurance :

- Disneyworld ?

- Bon, le deuxième alors.

Entre deux noyades, mon cerveau prit une longue inspiration :

- La Zone 51 !!!

Tom opina du chef, ravi de l’effet que cela provoqua sur moi.

Etant d’une nature très brave, je me suis immédiatement mis à paniquer :

- Tu veux dire que mon père trafiquait avec l’armée ?

- Non.

- Tu veux dire que mon père trafiquait avec les extraterrestres ?

- Non !

- Tu veux d… Non, en fait, je vois plus !

Tom parut affecté par mon manque d’imagination. Autrement dit par ma déplorable naïveté.

- La Zone 51, l’armée, les prototypes d’avions, les extraterrestres, tout ça n’est qu’une couverture !

- Une couverture, ça aussi ? C’est moi ou l’espionnage est la plus grande literie au monde ?

Tom ignora ma raillerie.

- La vraie raison de l’existence de cette base est souterraine. A des kilomètres de profondeur. On y a stocké l’intégralité du cinéma américain. Tu imagines ?

A ma tête d’ahuri, il comprit finalement que j’avais quand même un peu d’imagination.

Il poursuivit :

- Dès que ça été possible, on a tout converti en données informatiques. Le problème c’est que ton père, avec sa saloperie de virus, vient de mettre un bon coup de pied dans la fourmilière.

Je grimaçai :

- Il se prenait sûrement pour un artiste et il pensait sans doute que de faire ça revenait à créer son chef-d’œuvre ultime. Sauf que quand on est con c’est pour la vie !

Tom me fixa quelques instants avec un intérêt nouveau qui flatta mon égo :

- Tu n’as rien en commun avec lui. Mais ça, je crois que tu le sais déjà.

Je hochai la tête autant pour approuver sa déclaration que pour le remercier de sa franchise.

- Comment peut-on régler le problème ?

- Actuellement, la crème des experts essaie de localiser le virus, mais il a déjà fait pas mal de dégâts.

- C’est-à-dire ?

- Les films se mélangent. C’est un vrai foutoir. Plus rien n’est à sa place. Ca crée des paradoxes totalement flippants. A l’heure où je te parle le Loup de Tex Avery essaie sûrement de violer Marylin Monroe.

J’ai souri bêtement en imaginant la scène, avant que le regard de Tom ne me rappelle que ce n’était vraiment pas une bonne nouvelle. Surtout pour Marylin.

- On a étudié plusieurs solutions, mais le plus simple serait d’envoyer un homme à l’intérieur.

- Ah, ouais ?

- Plus précisément un esprit.

- Ah, ouais ?

- Plus précisément ton esprit.

- Ah, ouais !

Là, j’ai pris comme une décharge :

- Mon esprit ? Mais qu’est-ce que c’est que ces conneries ?!!

Je me frappai le front de la paume :

- Y a pas écrit USB !

Je pétais un câble, mais Tom ne s’est pas démonté pour autant.

- Le cerveau humain est une vraie pile électrique. Et le tien est une vraie centrale à lui tout seul. Depuis qu’on a décollé, l’ordinateur de bord effectue un scan complet de ton cortex cérébral. Tu es exactement l’homme que nous recherchons pour cette opération. Tu comprends ?

- J’ai vu Matrix environ 101 fois, ça compte ? Je suis flatté, mais est-ce que c’est sans danger ?

- Si t’as vu Matrix, tu connais la réponse.

- Ok. Si mon esprit meurt dans l’ordinateur, je suis bon pour nourrir les asticots.

Tom me dédia son plus beau sourire.

- Ils en auront de la chance !

Puis il s’esclaffa comme si je lui avais raconté la blague de l’Ours Bleu.

Moi je riais jaune. Même pas. Blanc cassé.

- Et qu’est-ce que j’y gagne, moi, à part sauver le monde encore une fois et blablabla ?

- Tu vas pouvoir revoir Angie. Je te l’ai promis et c’est pour ça que tu m’as suivi.

Là, il marquait un point.

- Attention, reprit-il avec gravité, tu ne seras pas là pour te payer du bon temps. Le temps nous est compté justement. Nous n’avons que quelques heures pour localiser et neutraliser le virus avant qu’il ait tout détruit.

- Sinon ?

- Sinon c’est le retour à l’Age de Pierre pour Hollywood.

J'osais à peine imaginer la catastrophe et heureusement pour moi la piqûre a fait effet à ce moment là.

 

 

 à suivre...

 

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mardi, 10 avril 2012

Skymelott - Intro Saison 1 [Fanfics]

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Prologue

 

L'armée d'Arthur a subi une grave défaite face à un clan d'envahisseurs. Elle se replie dans la forêt. En cours de route, les rescapés s'éparpillent et Arthur se retrouve avec quelques chevaliers au milieu d'une clairière face à une étrange relique. Alors que l'ennemi l'encercle, le Roi de Bretagne comprend que c'est un passage dimensionnel. Espérant que ce ne soit pas un portail démonique, il s'élance à travers, imité par ses fidèles.

Ils débaroulent tous en Bordeciel et commencent à se dire qu'ils auraient peut-être mieux fait de tomber sur des démons.

Morceaux choisis de leurs péripéties :


La troupe de chevaliers chevauche en pleine montagne.
Arthur à un autochtone qui leur sert de guide :
- Dites-donc, vous leur donnez quoi à bouffer à vos bêtes ?
Le guide :
- De l'avoine essentiellement, pourquoi ?
- Bah elle doit pas être comme chez nous, alors !
Leodagan :
- C'est clair ! J'ai jamais vu des canassons se taper des pentes à 90 degrés !
Perceval à Karadoc :
- 90 ? Il doit se gourrer ! Vu la neige et le froid qui fait, je dirais qui fait pas plus de 10 degrés.
Karadoc :
- Non, mais là, il parle de l'angle, je crois.
- Des angles ? Y en a aussi ici ?
Perceval se tourne vers le guide :
- Vous aussi vous êtes emmerdés par ces cons ?

La troupe arrive à Blancherive. Elle passe devant les écuries et continue en direction des portes de la ville. Leodagan regarde plusieurs fois derrière lui, stupéfait, avant de se tourner vers Arhtur :
- J'ai la berlue ou ce type était en trois exemplaires ?
- Hein ? je sais pas, j'ai pas fait attention. Quand je marche, je regarde devant moi, surtout quand je connais pas.
- Non, mais quand même, vous avez pas pu les louper, ils étaient trois, je vous dis, complètement identiques, de la tête aux pieds !
- Mais où ?
- Là, juste derière ! Si vous voulez, on y retourne.
- Ah, non merci, on a mieux faire. Et puis de toutes façons trois mecs complètement identiques c'est pas possible. Par exemple, je vois, les filles du pêcheur, elles sont jumelles, on est d'accord et bah j'arrive quand même à les distinguer. Ca les met en rogne d'ailleurs.
- Mais qu'est-ce que vous venez me gonfler avec vos maîtresses ! Je vous dis que là ils étaient...Remarquez, réflexion faite, ils étaient pas complètement identiques.
- Là, vous voyez ! Comme tête de mule vous vous posez là !
- Oui, vous avez raison. Y en avait un sur les trois qui était enfoncé dans le sol !
Arthur :
- Ca doit être une coutume de bienvenue !

Une fois dans la ville, Karadoc passe devant un garde :
-...et puis j'ai pris une flèche dans le genou.
Karadoc :
- Aïe, ça doit faire mal, ça ! Moi, une fois, j'ai pris un compotier sur le pied, je peux vous dire que j'ai douillé ma race. C'est con, mais je peux pas m'empêcher de l'emporter partout avec moi, vous comprenez, c'est sentimental. Ma grand-mère cuisinait avec. Là, il est resté à Kaamelott, j'espère que ça va pas me porter la poisse. Vous pensez que je devrais changer de porte-bonheur ? En tout cas, garde chez vous ça a l'air peinard comme boulot. Vous recrutez en ce moment ?

Perceval passe devant un autre garde :

- Défense de glandouiller !

- Ah ? C'est con, c'est ce que je préfère. Et sinon, qu'est-ce qu'on risque ? 

Leodagan vient de passer lui aussi devant un garde. Il se rapproche d'Arthur, la mine bougonne :
- Il est pas net celui-là. Il me dit que je porte une armure légère, il a pas les yeux en face des trous. Et puis après il me parle d'un arc. C'est pas un arc que j'ai c'est une arbalète. Sûr qu'il est miraud, ce con. S'ils sont tous aussi fins dans ce pays,  je sens qu'on va encore bien se marrer !

 

Ca vous suffit pas ? Tous les épisodes de la saison 1 : ICI

 

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mercredi, 14 juillet 2010

Angelina Jolie et moi [Nouvelles/Humouroïd]

 

Qui n’a jamais rêvé de plonger dans ses grands yeux clairs, si limpides, comme pour s’y purifier ?

Ou de s’échouer sur ses lèvres généreuses comme sur la plage la plus aphrodisiaque du monde ?

 

Ce jour-là, elle était à Paris.

Moi qui n’ai jamais l’occasion de m’y rendre, j’y étais aussi pour des raisons pour le moins étranges.

Quelques jours plus tôt, j’avais fait l’acquisition d’un médaillon en argent frappé d’étranges symboles évoquant une civilisation antique prolifique, maintenant disparue et réduite sans doute aujourd’hui à quelques ruines éparpillées.

Moi qui avais de gros soucis d’argent, je me voyais déjà troquer l’objet contre une belle quantité d’euros et renflouer ainsi un compte en banque aussi insubmersible que le Titanic.

Un ami m’avait recommandé un expert situé dans le 14ème arrondissement.

Seulement, l’adresse qui correspondait à son enseigne abritait en réalité un magasin de farces et attrapes.

Pour une farce, c’était une belle farce et je faisais un beau dindon. J’avais été bien attrapé en tout cas.

Je me rappelais alors le sourire espiègle de mon cousin en m’offrant le médaillon qui selon lui n’avait aucune valeur et celui de mon ami, s’extasiant à outrance sur les détails du pendentif en me donnant bien trop expressément les coordonnées d’un antiquaire soi-disant réputé.

Comment s’appelait-il déjà ce commerçant ? Monsieur Jérémie Largent de Paris.

En analysant ce pitoyable jeu de mots, tout devint clair. J’avais fait l’objet d’un stupide pari entre mon cousin et mon ami. Qui des deux avait gagné ? C’était bien là le dernier de mes soucis.

Poussant un juron qui choqua un teckel promenant une vieille dame, je décidai de rentrer chez moi sur le champ en élaborant sur mon siège de seconde classe, la plus froide des vengeances.

Et puis, je ne sais pour quelle raison, au moment de tourner les talons pour revenir à la gare, j’ai aperçu dans la vitrine de la boutique quelque chose qui m’a fait oublier mon infortune. Quelque chose qui m’a chuchoté à l’oreille que tout ceci avait réellement un sens et que j’étais sur le point de vivre l’aventure la plus mémorable de toute ma vie.

Car dans la vitrine de ce magasin de farces et attrapes, je ne vis rien de moins que le reflet d’Angelina Jolie.

Je la reconnus immédiatement, au premier coup d’œil. Malgré ses lunettes de star des sixties, son énorme chapeau à ruban, c’était bien elle. J’avais vu trop de ses films et de ses prestations à la télé américaine pour me laisser abuser par quelques accessoires.

J’avais un pouvoir capable de déjouer les stratagèmes les plus élaborés, capable de décrypter les codes les plus hermétiques : j’étais un fan !

Elle portait aussi une robe blanche, éclaboussée par un soleil estival, des chaussures à talon nacrées avec une pointe de bleu et un petit sac à main assorti.

J’avais rêvé cette scène des milliers de fois.

Je ne pouvais donc pas rester les bras croisés à la regarder bêtement s’éloigner. C’était une occasion en or, de celles qui n’ont aucune intention de se reproduire.

Incapable d’élaborer la moindre phrase de circonstance face à mon idole, je décidai de la suivre en espérant trouver en chemin la réplique idéale qui me rendrait instantanément irrésistible à ses yeux. En espérant surtout que la barrière de la langue n’en soit pas une. Mon anglais n’était pas mauvais, mais le sien ne devait pas l’être non plus.

J’étais donc là, en train de filer l’actrice la plus courtisée de la Voie Lactée, à aligner péniblement trois mots dignes de ce nom dans la langue de Shakespeare lorsque je la vis heurter au coin d’une rue deux touristes européens à en juger par leurs vêtements décontractés et leur charmant accent. Un long paquet contenant un bouquet de roses leur était tombé des mains. J’entendis Angie s’excuser et cette initiative ne fit que gonfler l’estime que j’avais déjà pour elle. La scène aurait pu se passer d’être commentée si au moment de ramasser ledit paquet, Angelina n’avait remarqué son contenu pour le moins insolite.

Et c’est alors que tout se passa extrêmement vite.

L’homme en chemise rayée et bermuda écossais beugla une sorte d’avertissement. Angie arracha le fusil à pompe de son enveloppe au milieu d’un magnifique envol de roses.

L’homme en profita pour pointer sur elle un pistolet-mitrailleur. Angie secoua doucement la tête. Son chapeau s’envola, permettant à ses longs et magnifiques cheveux châtains de se déverser et de fouetter au passage le visage bovin de son adversaire. Il tira avec une telle maladresse que sa rafale trouva le moyen de se loger dans le poteau du panneau sens interdit derrière lequel je m’étais réfugié et ce dans une flopée d’étincelles du plus bel effet.

De mon abri, je vis la touriste en combishort  kaki et casquette gavroche marmonner dans un micro lilliputien et dégainer un couteau de chasse.

- Angie, attention !

Sur le moment, j’ignore si elle m’entendit. Toujours est-il qu’elle prit le temps de sourire avant de soigner les caries du criminel au calibre 12. Elle prit sa paire de lunettes par une branche et l’envoya - d’un geste élégant, mais d’une précision redoutable – chausser le nez de la touriste qui s’en trouva toute penaude. Angie s’engagea avec elle dans un furieux corps à corps, parant la lame aiguisée avec le canon de son arme et frappant rageusement de la crosse.

Derrière mon poteau, je l’encourageai du mieux que je pouvais.

La touriste encaissa deux coups qui auraient décroché la mâchoire d’un boxeur poids lourd avant d’être aculée contre un réverbère. Angie récupéra ses lunettes et lui colla son fusil entre les seins. Avant de se raviser. Elle esquiva une dernière fois la lame vivace avant de tordre le bras de sa rivale avec son fusil, de récupérer son arme et de lui ouvrir une seconde bouche en travers du visage.

Comme toutes les roses n’avaient pas encore eu le temps de retomber, Angie en pêcha une au passage, qu’elle coupa avec les dents avant de la glisser dans ses cheveux. La seconde d’après, elle était de nouveau prête à en découdre, le fusil à pompe dans une main, le pistolet-mitrailleur dans l’autre et le couteau de chasse entre les dents.

Là, j’ai cru que ma mâchoire inférieure allait se faire la malle sur le trottoir.

Je l’entendis siffler ce qui eut le don de me ramener un peu à la réalité.

Je pensais qu’elle appelait un taxi, mais comme elle regardait avec insistance dans ma direction, je compris qu’elle s’adressait à moi. Je quittai ma cachette, complètement ankylosé. Je me mis à avancer vers elle, dans un état second, m’attendant à tout instant à entendre le réalisateur du film criez : « Coupez ! » ou plus encore la sonnerie de mon réveil pour m’annoncer que tout ceci n’était qu’un rêve.

Mais rien de tout cela ne se produisit. Je continuai à avancer vers Angelina Jolie si bien que je finis par me trouver face à elle, face à la légende vivante qu’elle incarnait pour moi depuis tant d’années.

Je ne vais pas me lancer une nouvelle fois dans un concert de louanges vantant sa plastique et plus particulièrement sa beauté féline.

Mais disons qu’à ce stade de l’aventure, ma mâchoire inférieure prit définitivement le large.

Angelina avait toujours le couteau entre les dents et pourtant je compris parfaitement ce qu’elle me dit. A l’école, j’avais dû prendre anglais avec option.

- Mets les vêtements du type !

Dans toute autre circonstance, j’aurais un peu fait la sourde oreille à ce genre d’invitation, mais là, on peut dire que c’était un cas de force majeure.

Chacun de notre côté, on a déplacé un cadavre jusqu’à un endroit plus discret et on a échangé nos vêtements avec celui du mort.

Non, je n’ai pas trop pris le temps de mâter la belle Angelina en sous-vêtements. Je voulais tellement pas la décevoir que j’ai enfilé consciencieusement la chemise à rayures et le bermuda écossais en serrant ma ceinture au maximum pour ne pas qu’il me tombe sur les chevilles. J’ai retrouvé Angie en combishort kaki, la tête enjolivée d’une casquette gavroche.

Elle était ravissante évidemment. Tout lui allait. Comme si les habits eux-mêmes savaient à qui ils avaient affaire et qu’ils se mettaient en devoir de s’adapter à ses courbes personnelles.

J’ai mieux compris pourquoi elle avait évité de mettre du sang sur les fringues des pseudos touristes au moment de les achever. Manifestement, elle avait prévu depuis un certain temps qu’on allait prendre leur place.

Comme pour confirmer son plan, une Mercedes noire s’est arrêtée à notre hauteur. Une vitre teintée s’est baissée. Angie m’a balancé le pistolet-mitrailleur - que j’ai rattrapé de justesse – avant de dire quelque chose dans la langue des touristes. De l’espagnol ou de l’italien peut-être, j’ai toujours confondu les deux. Elle a dû dire un truc gentil au chauffeur ou mentionné un code ultra secret car la portière s’est ouverte et moins d’une minute après, on était sur la banquette arrière en route vers une destination totalement inconnue.

Je n’avais guère le temps de me remettre de mes émotions. Je transpirais, mais j’espérais qu’Angelina ne le remarquerait pas. Ca ferait tache, c’était le moins qu’on puisse dire. Et puis on devait passer pour des terroristes professionnels quand même !

Une seconde, là ! Qu’est-ce que je viens de dire ? Des terroristes professionnels ???

Bon après tout, j’étais avec la femme de ma vie. Cela méritait bien quelques désagréments.

- Au fait, me dit-elle du ton le plus badin qui soit, je ne t’ai pas remercié quand tu m’as prévenue tout à l’heure.

Et là, je peux vous dire que j’étais prêt à jouer mon rôle de terroriste professionnel à la perfection car en guise de remerciement Angie m’a carrément embrassé sur la bouche.

Oui avec sa bouche ! Un vrai goût de paradis...

Je commençais à peine à planer lorsque la voiture s’est arrêtée. J’ai laissé ma compagne faire la discussion et régler la course et l’instant d’après on se retrouvait devant les portes d’un restaurant quatre étoiles. Là-dessus, Angelina m’a regardé droit dans les yeux :

- T’as faim ? Moi, je mangerai une vache !

Sa réplique n’avait rien d’extraordinaire, j’en conviens, mais parce que c’était elle et parce que c’était moi, j’ai cru qu’elle m’avait récité un poème. J’ai bien failli m’évanouir. Je n’étais guère habitué à vivre autant d’émotions en si peu de temps. Je me sentais comme vidé.

Manger un peu allait sûrement me faire le plus grand bien, pensai-je naïvement.

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Angelina aimait le bon vin français. Je ne buvais pas une goutte d’alcool.

On était fait pour s’entendre.

- Trinquons, dit-elle, en levant son verre dans un grand déballage d’émail.

En un éclair, j’avais rempli le mien et je faisais tinter le cristal en m’émerveillant de son éclat dans les yeux de ma compagne.

- A Paris, la Capitale de l’Amour et des amoureux !

J’avais parlé sans m’en rendre compte et de la même manière je vidai mon verre d’un trait.

J’ignore si cela vint de ma formule ou du fait que je faillis m’étrangler, mais Angie s’esclaffa. Et maintenant que j’ai eu la chance de l’entendre, je peux vous assurer que le rire d’Angelina Jolie est certainement le remède à 99% des problèmes dans le monde.

Note : Un peu travaillé, il pourrait même certainement guérir le cancer. Je ne manquerai pas de me pencher sérieusement sur la question si jamais je sors vivant de cette aventure !

- Dire que je suis ici, avec vous, simplement à cause de ça.

Tout en disant cela, j’exhibai le médaillon si généreusement offert par mon cousin. En pensant à lui et à mon ami se moquant de moi, j’eus soudain très envie de les appeler pour leur raconter dans quelle exquise galère j’étais embarqué grâce à leur méchanceté. Mais je craignais trop que dans ce cas ils s’attribuent le mérite – même accidentel – de ma rencontre miraculeuse avec…

Angelina m’arracha littéralement le médaillon des mains. Nos doigts se touchèrent l’espace d’un instant et mon cœur entonna la Marseillaise.

- Mon dieu, mais c’est le médaillon de Tankpur Jilah ! Je reconnais les symboles !

Comme ma mâchoire inférieure était aux abonnées absentes, mes yeux décidèrent de prendre le relais et exprimèrent à leur tour le besoin de s’extirper de mon visage, l’air de rien.

- Quoi ?

Ma compagne étudiait l’objet avec une telle passion que je le jalousais.

- C’est un véritable artefact. Selon la légende, il possèderait des pouvoirs incommensurables. Mais uniquement dans la main de l’élu.

- On joue dans le prochain Tomb Raider, c’est ça ?

Elle me fixa, éberluée. Je compris que j’avais dit une idiotie.

- Ah, non, c’est une nouvelle série !

Nouveau regard appuyé de l’intéressée.

Elle colla alors le médaillon sur mon front et attendit une réaction.

- Il faut que je sache si c’est toi.

Malgré son sérieux à elle et tout ce qui m’était arrivé auparavant, je n’arrivais pas accrocher à cette histoire d’élu et de pouvoirs mystiques. Ca devenait trop ambitieux. J’ai toujours aimé cultiver mon imagination, mais elle-même commençait à y perdre son latin.

- Pourquoi tu me demandes pas plutôt de tirer sur les ailes d’une mouche, comme dans Wanted ?

Sa gifle eut le don de me ramener dans sa réalité à elle.

Je préférais son baiser, mais ça restait quand même un contact privilégié avec mon idole.

- Comment as-tu pu entrer en possession d’un objet aussi précieux si tu n’es pas l’élu ?

- Et bien, en fait, c’est mon cou…

Je m’interrompis à temps. Comment aurais-je pu introduire dans une conversation avec Angelina Jolie mon enfoiré de cousin, collectionneur d’oiseaux morts et de paris débiles ? Non, je pouvais faire mieux que ça. Je me décontractai et produisis un sourire étudié :

- C’est mon courage qui m’a entraîné sur la piste d’un ami archéologue…

Nouvelle gifle. Contact très rapproché. Très privilégié.

Je stoppai un saignement de nez avec un mouchoir brodé à mes initiales.

- T’as la main dure, Angie ! Je ne suis pas de taille pour cette opération, je crois. Pourquoi tu m’as emmené avec toi ?

Oui, je me suis permis de la tutoyer. L’avantage, c’est que comme on parlait en anglais, elle y a vu que du feu.

- Je t’avais repéré devant cette boutique. Mon associé s’est fait liquidé dans l’avion il y a tout juste deux heures. Il me fallait un complice. Tu tombais à pic. D’autres questions, chéri ?

- Chéri ?

Quelque chose détourna son attention. Elle fixa la harpiste qui somnolait sur son instrument.

- Ne bouge pas.

Elle quitta la table et c’est alors seulement que je remarquai la fascination des autres clients et leurs regards envieux. Nous constituions sans aucun doute, Angie et moi, un couple hors norme. Et vous savez quoi ? Ca me plaisait énormément.

Quand je reportai mon attention vers la harpiste, elle semblait avoir changé d’attitude. Ses doigts couraient avec plus de conviction sur les cordes et son corps lui-même dansait souplement au rythme de plus en plus rapide qu’elle imprimait à son instrument.

Et puis, une nouvelle fois, la réalité se plia à d’autres convenances.

La harpe se mit à faire un bruit de guitare électrique et voilà que la harpiste apparut sous les traits de mon Angelina qui avait profité de ma brève distraction pour prendre discrètement la place de la musicienne.

Elle se lança dans un solo dément qui laissa l’assistance sur le cul. Moi-même, je fus subjugué par cette improvisation rocambolesque.

Une première corde finit par casser et vola à travers le restaurant. Avant de sectionner la carotide d’un quinquagénaire qui aromatisa ses spaghettis de son sang. Sa femme hurla évidemment, bientôt imitée par toute l’assemblée.

- Couche-toi sous la table ! cria Angie par-dessus le vacarme naissant.

J’obéis avec une hâte admirable. Seulement au lieu de trouver  un refuge confortable sous la table en question, je trouvai deux  pistolets-mitrailleurs à mon intention.

Et la voix de ma partenaire – parfaitement synchro – m’ordonna :

- Tue-les tous !

Ok, Angie, c’est bien parce que c’est toi !

Je m’emparai des deux armes et soulevai la table. Me dressant alors comme un improbable ange de la mort – en chemise à rayures et bermuda écossais, je le rappelle pour les deux du fond - j’ouvrai le feu sur les clients attablés avec une incroyable absence de scrupules, échangeant entre deux rafales mortelles un clin d’œil complice avec mon adorée qui de son côté décapitait à merveille avec les cordes de sa harpe.

Le restaurant ne tarda pas à prendre des allures de Colisée romain.

Bien sûr il y eut bien quelques clients réfractaires au massacre savamment orchestré et qui nous défièrent avec moult lancers de fourchettes et de couteaux. Mais Angelina et moi on était réglé comme du papier à musique.

A un moment bien précis, je me souviens qu’Angie lâcha une nouvelle corde qui explosa une bouteille de vin. Les fragments de verre ne trouvèrent rien de mieux à faire que s’éparpiller sur le visage d’un malotru avec une précision chirurgicale.

- Mince, fit Angie, mon millésime préféré !

Perturbé par sa déveine, elle ne vit pas la femme aux allures de vieille baronne lui lancer une paire de baguettes chinoises avec une rage débridée. Heureusement, je veillai au grain. D’une seule rafale,  je réduisais les projectiles en miettes et déridais la vilaine.

Et puis comme il n’y avait plus personne à tuer, le silence s’est pointé à la fin du spectacle, l’air de rien. Nous, on l’a laissé s’installer et passer commande. On s’est regardé avec un sourire, ravageur de son côté, un peu béat du mien. Elle m’a lancé un baiser, sans doute pour me remercier de l’avoir sauvée et la table que j’avais soulevée en prenant mes armes a choisi ce moment là pour me retomber dessus. Putain de gravité !

- Tu es peut-être l’élu, finalement !

Fut la dernière chose que j’entendis avant le fondu au noir.

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Plus tard – c’est-à-dire une fois sorti des vaps - on a loué une moto japonaise rouge sang à un type un peu louche qu’elle semblait connaître et qui louchait justement. Elle l’a appelé Tonton. Sûrement un nom de code. On en a aussi profité pour changer de fringues dans des cabines téléphoniques modifiées en cabines d’essayage. Le Tonton en question devait être un sacré bricoleur à ses heures perdues. En me regardant dans le miroir, je me reconnus tout en me trouvant quelque chose de changé. J’aurais bien été incapable de dire quoi sur le moment. Mais rien que l’idée me plaisait assez.

Cette expérience avec une véritable icône du septième art que j’idolâtrais depuis longtemps était en train de me transformer. Cétait pas trop tôt. J’allais peut-être enfin avoir ma revanche sur cette merde empaquetée dans du velours que j’appelais ma vie jusqu’à ce jour.

On ressortit de la cabine, vêtus tous les deux d’un jean et d’un débardeur. Je lui souris machinalement. Elle esquissa une moue de satisfaction en me jaugeant des pieds à la tête.

Si c’était vraiment qu’un putain de rêve de plus, celui qui allait me réveiller aller passer le pire moment de sa vie. J’espérais alors profondément que ce serait mon enfoiré de cousin.

 

Une minute plus tard, j’étais derrière Angie qui pilotait avec une main et se remaquillait un peu de l’autre.

L’adrénaline commençait à retomber et je réalisai dans quelle merde je venais de me mettre rien que pour ses yeux.

- Dis-moi, je peux savoir pourquoi j’ai abattu de sang-froid une trentaine de personnes ?

- C’est top secret ! dit-elle en pensant que j’allais me contenter de ça.

En même temps, je n’avais pas trop le choix. Si ?

- Je travaille avec toi, non ? Tu pourrais quand même me mettre au parfum !

Ouais, vous avez raison, c’est mieux comme ça. Faudrait pas non plus que je passe pour le dernier des guignols.

Je vis son expression amusée dans le rétroviseur.

- T’es mignon quand tu es en colère.

Bah, oui, qu’est-ce que vous voulez ? Quand elle ne disait rien elle était déjà très charismatique, alors imaginez lorsqu’elle me faisait un tel compliment…

Je me sentis rougir jusqu’à la racine des cheveux.

Elle accéléra. Mon visage se noya dans la jungle de ses cheveux. Ils sentaient très bon. Ca ne vous surprend pas, j’imagine.

- C’est quoi le programme, maintenant ? Saut à l’élastique depuis la Tour Eiffel, fouilles archéologiques au Père-Lachaise ?

Le moteur de la moto baissa d’un ton pour que je puisse entendre Angie éclater de rire.

Je vous ai déjà parlé de son rire, je crois, non ? N’hésitez pas à me demander, sinon. Ce serait vraiment trop bête de passer à côté de ce genre de détails.

- C’est tentant, mais non, répondit-elle. Maintenant que nous avons rempli le contrat du restaurant, on doit se rendre à une importante entrevue. Si tout se passe bien, on nous conduira à l’homme que je recherche.

- On fait tout ça pour que tu liquides un grand méchant, c’est ça ?

- C’est ça ! C’est le seul moyen de l’approcher.

- Et qui c’est ce type ?

Oui, j’essayais de me prendre au jeu, qu’est-ce que vous voulez ?

- C’est un chef terroriste. Il est responsable de plusieurs attentats aux Etats-Unis. Depuis quelques temps il a jeté son dévolu sur ton pays.

Je déglutis.

- Il projette quelque chose sur Paris ?

- Précisément.

Comme s’il avait deviné que c’était la fin de la conversation, le moteur de la moto ronronna de plus belle tandis que nous nous élancions à travers un réseau d’étroites ruelles. J’en profitai pour enserrer plus étroitement la taille d’Angie en m’enivrant de son parfum. On aurait dit qu’elle sortait de la douche.

 

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podcast

 

Elle m’avait forcé à la seconder dans un véritable bain de sang et pourtant je la voyais toujours comme une déesse. Pure et rayonnante derrière ses instincts les plus guerriers.

Je crois que ma dévotion pour elle est tout simplement incurable.

Plus tard, nous longeâmes les bords de la Seine. Elle me demanda :

- Tu connais Paris ?

J’aurais voulu lui mentir, mais je sus intuitivement que cela ne servirait à rien. Et puis je l’estimai trop pour la tromper.

- Sûrement moins que toi !

- Dommage.

- Pourquoi ?

- On est suivi.

Je tordis le cou, assez pour voir du coin de l’œil rien moins que quatre Mercedes noires s’approprier la route derrière nous à grands coups de pare-choc.

- C’est peut-être un rallye ? lançai-je sans aucun espoir.

Le fait qu’elle accélérât davantage m’encouragea vivement à me débarrasser de ce genre de réplique à la con.

- Prends ma place !

J’avais à peine saisi l’idée que d’un mouvement souple, mais ferme de son corps athlétique elle m’envoyait sur le siège du pilote et se propulsait sur la plus proche des Mercedes.

Les rétros de la moto étaient d’un type révolutionnaire. J’y voyais aussi bien que sur un écran géant. Tonton était vraiment un pro dans son domaine.

Je la vis atterrir sur le capot de la voiture et y planter la lame d’un sabre pour s’y accrocher, tout en arrosant copieusement l’intérieur de la caisse de son pistolet-mitrailleur. Elle sauta juste à temps avant que la Mercedes privée de pilote ne se lance dans un concours de tonneaux. Je jurai. Cette salope de gravité savait bien se faire oublier quand elle le voulait.

Je ne perdais pas une miette de l’action. Mon héroïne retomba sur la voiture suivante tandis que les deux autres ouvraient le feu sur elle, chacune d’un côté. Là, je sentis un frisson me parcourir à la pensée qu’elle se retrouve sans issue. Mais c’était mal connaître mon Angie.

Elle s’incrusta dans la voiture en se balançant à travers le pare-brise. Là, malgré mon super rétro, je fus bien incapable de voir ce qui se passa. Mais moins d’une minute après, je la vis ressortir par le toit ouvrant telle une panthère en chasse, la lame rougie et le regard fiévreux. Elle était comme habitée. Même sa chevelure semblait animée d’une vie propre.

Le crépitement des balles ennemies lui fit quitter sa brève inertie. Elle bondit à nouveau, laissant le véhicule s’encastrer violemment sous la citerne d’un poids lourd qui avait jugé bon de déraper, histoire de rendre la scène plus spectaculaire.

La citerne explosa et les restes carbonisés de la Mercedes se mirent à pleuvoir sur la route. Tandis que je slalomais pour éviter un décès prématuré, je vis ma partenaire - suspendue en plein vol dans un superbe ralenti - trancher de sa lame effilée une roue enflammée filant droit sur elle tel un météore. Puis elle disparut dans la troisième voiture.

Je poussai un nouveau juron. Elle était en train de se taper tout le boulot. On était associé, non ? Vous serez donc tous d’accord pour dire qu’il était grand temps que je passe à l’action.

Ni une, ni deux, je décélérai pour arriver à la hauteur de l’autre voiture hérissée de canons d’armes de tout acabit. Ou les mecs avaient appris à viser en buvant de la vodka ou j’étais un second rôle plus important que ce que je croyais. Car aucune balle ne vint – même fortuitement – me trouer la peau. Le souci, c’est qu’à ce moment-là je me suis rendu compte que je n’avais aucune arme sur moi. Mais croyez-le ou non j’avais tellement foi en moi que ça m’a pas fait suer une goutte. Y avait un bouton rouge près du compteur de vitesse. J’ai écrasé mon poing dessus comme si j’avais lu le scénario à l’avance. Le résultat ne s’est pas fait attendre. Sauf que ce ne fut pas celui que j’attendais. Un petit con avait dû trouver marrant de réécrire le script au dernier moment.

J’ai filé plein gaz dans un sublime effet de lumière généré par la nitro. C’était bien beau, mais c’était pas ça qui allait aider ma partenaire.

J’ai freiné à mort en jetant un coup d’œil dans mon rétro 16/9 ème. Ce que j’y ai vu m’a littéralement glacé le sang : le buste d’Angie sortait du toit ouvrant de la Mercedes. Elle était aux prises avec un colosse en smoking qui écrasait sa gorge divine malgré le sabre qu’elle lui avait passé au travers du corps.

En même temps que cette vision d’horreur, j’en vis une seconde : l’autre Mercedes se rapprochant dangereusement, avec à bord son lot de tueurs armés jusqu’aux dents qui pointaient leurs flingues sur ma belle sans la moindre once de pitié.

Mon sang ne fit qu’un tour.

Presque sans y réfléchir, je serrai le médaillon dans mon poing et levant les bras au ciel, je hurlai toute ma colère et ma frustration. Quelqu’un de très haut placé dut m’entendre car là aussi le résultat ne traîna pas.

Je m’envolai littéralement au-dessus de la route, abandonnant une moto sans doute faite pour le Guinness des Records, et la rage au cœur, je fonçai comme un kamikaze sur les deux voitures dans un déluge d’éclairs. C’était comme si ma légendaire poisse se transformait et se révélait être tout à coup une arme à double tranchant. Et autant vous dire, qu’il s’agissait cette fois du bon tranchant, de celui qui vous coupe un pépin de pomme en parts égales, à 300 kilomètres de distance, malgré un brouillard épais et un vent à décorner un cocu récidiviste.

J’étais entré dans un état de capacité qui me paraissait infini. Superman m’aurait proposé une marelle que j’aurais accepté sans hésiter, persuadé de lui mettre une toise.

La première Mercedes en fit les frais. A peine l’effleurai-je qu’elle se décomposa autour de moi dans un ballet vertigineux de pièces mécaniques et d’organes humains.

Mon pouvoir était pratique à plus d’un titre. Il m’empêcha aussi d’avoir la gerbe.

Pour la dernière voiture, c’était déjà plus délicat. Angie était à bord, je ne pouvais donc me permettre de la jouer aussi bourrin.

Elle était au bord de l’asphyxie et pourtant, la tête renversée en arrière, elle m’a regardé droit dans les yeux. Je n’oublierai jamais son regard, ni ce qui s’est passé après d’ailleurs.

J’ai concentré mon attention sur le sabre et comme un toutou fidèle, il a répondu illico à mon appel. Il a improvisé une petite chorégraphie qui a réduit le colosse en apéricubes. J’ai pris Angie dans mes bras. Un type qu’elle n’avait pas complètement dessoudé lui a saisi les chevilles. Il aurait été préférable qu’il fasse le mort car deux secondes après, la Mercedes et lui étaient indissociables dans un nuage de cendres.

Je m’envolai loin au-dessus de la route tout en guettant une réaction positive dans les yeux de ma dulcinée. Elle ne tarda pas. L’énergie que je générai autour de moi la réanima en un temps record (Appelez aussi le Guinness pour ça !)

Planant dans les cieux étoilés – oui pour cette scène c’est mieux qu’il fasse nuit - je me sentais enfin son égal, à la fois dieu et ange.

Je me posai sur un monument très bien éclairé qu’on appelle communément Tour Eiffel.

Perché dans sa superstructure métallique, à l’abri des regards indiscrets et des paparazzi, j’ai embrassé Angie avant de perdre mon pouvoir. La pleine lune nous épiait, tentant vainement de me faire de l’ombre. Alors seulement, la bouche mythologique d’Angelina Jolie s’est ouverte rien que pour moi et elle m’a dit dans un murmure ensorceleur :

- Dépose-nous dans un hôtel à l’écart de la ville. Le plus miteux fera l’affaire.

Elle m’aurait dit que j’étais l’homme de sa vie que cela ne m’aurait pas fait plus d’effet.

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Comme j’avais pas un rond et qu’Angie était un peu à l’ouest, j’ai pas perdu le nord et je suis rentré par effraction dans une chambre.

Bon, c’est vrai que le fait qu’il n’y avait qu’un seul lit a dû influencer mon choix. Mais mettez-vous deux secondes à ma place.  

Je l’ai allongée et une fois assuré qu’elle allait bien, j’ai enfin relâchai le médaillon dans ma main. Je l’avais serré si fort que les symboles à sa surface étaient gravés dans ma paume comme dans Les Aventuriers de l’Arche Perdue.

- C’est donc vraiment toi, l’Elu.

Angie m’observait avec un intérêt nouveau. Cette fois, c’est le médaillon qui m’envia.

Je me suis assis à son chevet  et lui ai caressé les cheveux avec une tendresse que je réserve habituellement à mon chat. Son côté félin apprécia sûrement.

- Je ne comprends pas, dis-je plus troublé que je ne voulais le lui montrer. Je croyais qu’ils m’avaient fait une blague, que ce…machin était un bibelot sans valeur.

- Sans valeur pour ceux qui ne le connaissent pas. Cet objet te recherchait. Tu es son porteur. C’est lui qui t’a trouvé. Ceux qui te l’ont refilé ne sont que des instruments du destin.

Je méditai ces paroles en mimant Le Penseur de Rodin à la perfection.

- Il y a autre chose que je ne saisis pas et je pense que tu pourras m’éclairer. Les voitures qui nous ont attaqué étaient des Mercedes tout comme la voiture qui nous a conduit au restaurant. Pourtant ce sont deux camps opposés. Qu’est-ce que ça veut dire ?

Elle soupira d’un air las comme si on lui avait déjà posé cette question des milliers de fois.

- C’est plus facile de reconnaître les méchants comme ça.

Je grimaçai.

- Sérieusement !

Elle haussa les épaules.

- Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Que les Mercedes sont très prisées à Paris ou que l’intrigue est plus complexe que tu ne l’imagines ?

- J’avoue que je préfère la première solution.

- Il y a autre chose que tu veux savoir ?

Elle se mit à caresser le dessus de lit avec ses pieds nus. C’était si sensuel que mes yeux ont dansé la polka autour de ses orteils avant de rentrer chez eux.

- Euh…Je… Non, enfin, si ! Tous ces gens qu’on a tués dans le restaurant. Est-ce qu’ils étaient tous innocents ?

Elle posa sur moi un regard empli de compassion.

- Ca soulagerait un peu ta conscience si je te disais qu’ils valaient pas mieux que ceux qui nous emploient actuellement ?

Je méditai à nouveau, mais pas très longtemps.

- Bah oui, quand même.

- Alors sois rassuré, dit-elle en se levant et en se dirigeant vers la porte. C’était tous des salauds de la pire espèce. Un club de  terroristes ennemis, si tu préfères.

- Où vas-tu ?

Elle continua de marcher.

- Je vais ouvrir la porte.

J’avais dû rater une ligne dans le scénario ou alors c’était encore ce petit con qui…

- Mais personne n’a…

Trois coups résonnèrent.

- Tu disais ?

Elle ouvrit la porte pendant que j’essayais péniblement de mettre de l’ordre dans le bordel qui me tenait lieu de cerveau.

« Un médaillon magique qui ne devait pas l’être. Je suis avec Angelina Jolie. Des terroristes à Paris qui préparent un sale coup. D’autres terroristes qu’on a mis hors d’état de nuire pour leur compte. Je suis avec Angelina Jolie. Une entrevue prévue avec un chef terroriste. Je suis l’Elu, j’ai des putains de pouvoir quand j’ai le médaillon et que j’ai la haine. Je suis avec Angelina Jolie. »

Oui, pour une sacrée journée, c’était une sacrée journée. Je pouvais mourir heureux. La femme de mes rêves m’avait embrassé, je l’avais embrassée. On était comme les deux doigts de la main et les péripéties qui nous attendaient en file indienne à la sortie de l’hôtel me disaient que c’était pas près de changer.

J’en étais à ce stade de mes réflexions lorsque je reconnus Tonton par l’entrebâillement de la porte. Il parlait avec les mains à ma partenaire. Je n’entendis pas ce qu’ils se disaient, mais je le vis lui remettre une valise. Ses yeux qui louchaient me regardèrent de travers et il s’éclipsa dans le couloir sans un mot.

- Quand est-ce que tu l’as appelé ? Je t’ai pas quitté des yeux d’une semelle.

Elle m’adressa un sourire reconnaissant et amusé. Mais surtout amusé.

- Pendant que je me battais dans une des Mercedes. J’ai eu un créneau de quelques secondes. J’en ai profité.

- Sérieux ?

Angie ferma la porte et posa la valise sur le lit. Son visage s’était fermé aussi. Elle était revenue de ses émotions. Elle assimilait plus vite que moi. Le bénéfice de l’expérience.

- Un nouveau gadget ? hasardai-je avec entrain.

Elle composa le code d’ouverture à la vitesse de la lumière. Le couvercle bascula et deux serpents se mirent au garde-à-vous. C’est la première fois que j’en voyais d’aussi près. Je compris pourquoi ils avaient si mauvaise réputation. J’ai serré le médaillon dans ma main pour me redonner du courage, mais j’avais pas le feeling qui allait avec visiblement car je sentais que j’allais pas tarder à me pisser dessus.

- Dis-moi, ton oncle se serait pas gourré de valise, par hasard ?

Au lieu de me répondre, Angie émit un bref sifflement. Non, c’était toujours pas pour appeler un taxi. En un éclair, les deux serpents se lovèrent autour de ses avant-bras. Ils dodelinèrent de la tête, comme dans l’attente d’une foudroyante attaque.

- Le meilleur gadget qui soit, dit-elle finalement en contemplant les deux reptiles avec une fascination que je ne parvenais pas à partager.

- Tu peux les contrôler ?

Mon admiration essayait d’être convaincante, mais ma peur lui faisait les gros yeux.

La seconde d’après, les deux serpents me chopaient les paupières.

Je me mis à gesticuler comme si j’étais passé en mode vibreur.

- Putain, mais qu’est-ce que tu fous, Angie ? Merde, mais ça fait un mal de chien !

Evidemment, elle resta super calme.

- Bien sûr que non. Tu es l’Elu et tu as le médaillon.

Je me rendis compte que c’était vrai.

- Ah, oui.

Les deux serpents pendaient devant ma figure comme des guirlandes de mauvais goût : c’était quand même suffisant pour me contrarier.

- Tu pourrais les enlever, s’il te plaît ?

Nouveau sifflement. Les deux serpents reprirent machinalement leur position tels des bracelets vivants.

Angie se fendit d’un de ces sourires de reine dont elle avait le secret et qui faisait qu’on pouvait tout lui pardonner.

- Avec ça, on va éliminer la garde rapprochée de notre cible en silence et en douceur.

- Je croyais qu’on devait obtenir un rendez-vous avec lui ?

- C’est ce qui est prévu. On a rencard demain matin dans un château à quelques kilomètres d’ici. Mais les choses peuvent mal tourner. Je préfère me préparer à toute éventualité.

Je regardai les deux reptiles en leur cherchant des qualités. J’y parvins.

- Au moins, ces armes passeront sans problème aux détecteurs de métal. Mais, dis-moi, comment tu fais pour les contrôler ? C’est de la télépathie ou…

Au point où j’en étais, je crois que j’étais prêt à tout entendre. La réponse fut plus sensée que ce à quoi je m’attendais.

- Ils sentent mon pouls. C’est comme un langage pour eux. Il me suffit d’augmenter mon rythme cardiaque pour qu’ils comprennent qu’ils doivent passer à l’attaque.

- Fascinant.

J’étais sincère.

Angie approcha l’un des serpents de mon visage.

- Tu veux essayer ?

- Sans façon.

Là aussi, j’étais sincère.

- Dis, t’aurais pas plutôt envie de dormir un peu au lieu de jouer avec tes deux affreux, là ?

C’est là qu’elle prit véritablement conscience de l’ameublement sommaire de la pièce.

- Pourquoi tu as pris une chambre avec un seul lit ?

Je déglutis.

- Les autres étaient occupées.

Evidemment je mentis très mal.

Evidemment elle s’en amusa.

Quand je vous disais qu’on était fait l’un pour l’autre.

Est-ce que c’est utile que je dise que j’ai gerbé à ce moment-là ?

Vous avez raison, ça ferait vraiment tache.

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Comme on avait un peu la dalle et que j’avais toujours rien de valeur dans les poches – à part le médaillon et mon trajet retour pour ma province natale - on commanda des pizzas qu’on paya avec un sourire d’Angie. Le jeune en scooter qui nous livra était tellement hypnotisé qu’il nous rendit même la monnaie.

 
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Enfin un peu d’argent qui rentrait ! En cas de coup dur, ça pourrait toujours servir.

Pendant qu’elle finissait de manger sa quatre fromages, j’ai pris une douche, histoire de me décrasser et surtout de me laver du sang du restaurant. Bah, oui, j’avais beau avoir des circonstances atténuantes et un bon alibi, j’arrivais toujours pas à m’en remettre.

Quand je suis sorti de la salle de bains, Angie regardait les infos à la télé. On devait sans doute parler de nous vu le nombre de cadavres et le bordel qu’on avait laissé derrière nous. Heureusement, les témoins – s’il y en avait eu – avaient dû trouver mieux à faire que de nous balancer car nos tronches n’ont pas été diffusées. Même pas une vague description.

Quand elle a éteint le poste, j’ai regardé Angie avec un air triste qui la surprit.

- Désolé, Angie. Y a plus d’eau chaude. J’ai vraiment pris un hôtel pourri.

Elle sourit.

- C’est pas grave. J’ai tellement chaud qu’un bon bain froid me fera le plus grand bien. Tu as l’air vanné, tu devrais dormir maintenant. On va se lever de bonne heure.

- Excellent conseil, dis-je en évitant, sans succès, d’imaginer son corps nu dans la baignoire.

J’avais remis mes fringues sales. J’ai pas osé me déshabiller devant elle. J’ai attendu qu’elle soit dans la salle de bains et je me suis glissé dans le lit en sous-vêtements.

Dieu sait si j’avais rêvé d’un moment pareil. En arrivant à l’hôtel, quand j’ai compris qu’il pouvait enfin se réaliser, j’ai exploité le filon à mort.

Seulement, maintenant que je le voyais se profiler à l’horizon, bah, comment dire… J’avais les fesses qui faisaient bravo. Le constat était navrant.

Après tout ce que j’avais vécu, j’aurais dû être en mesure de vivre pleinement une situation pareille. J’étais un homme, merde ! Mieux que ça, j’étais l’Elu, putain !

Heureusement, en pensant à ça, une idée géniale m’a traversé l’esprit.

Au moment où je me suis penché pour choper le médaillon dans ma poche de jean, Angelina Jolie est sortie de la salle de bains.

Là, mes yeux m’ont définitivement abandonné. Et comme mon nez n’a jamais été très expressif, un organe qui jusque-là s’était fait plutôt discret s’est mis à sortir le grand jeu.

 

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Je ne vous ferai pas l’affront de préciser lequel.

Angie était sertie dans une serviette blanche qui avait comme rétréci au lavage et qui du coup cachait juste ce qu’il fallait en laissant deviner juste ce qu’il faut.

J’ai laissé tomber mon jean et je me suis raidi sous les draps comme une momie dans son sarcophage. J’ai tout de suite voulu détendre l’atmosphère à la demande générale de moi-même, mais tout ce qui sortit de ma bouche fut un bruit qui ressemblait à ça :  

 


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En moins évident.

Angie traversa mon champ de vision. Elle n’avait pourtant que quelques mètres à faire, mais le temps – qui comme la gravité a lui aussi son petit caractère – décida qu’il n’y avait pas le feu au lac. Au lac peut-être pas, mais du côté de mon bas-ventre, ça donnait à peu près ça :

 


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Comme j’avais pas de canadair à portée de main, j’ai serré les jambes pour étouffer l’incendie. Quand Angie s’est installée à coté de moi, elle a gardé la serviette sur elle. Mais c’était une maigre compensation, car comme ce coup-ci elle sortait vraiment de la douche, elle sentait encore plus bon qu’auparavant. Un mélange de senteurs exotiques avec une pointe de santal dominante qui eut le don de réveiller mon nez en sursaut. Du coup, question expression corporelle, il prit un peu la relève, ce qui atténua le brasier sous mon caleçon.

J’avais bien fait les choses. Le lit était vraiment petit et même en voulant préserver une intimité naturelle, Angelina Jolie me touchait d’un peu trop près, je dois dire.

Quoi, c’est encore moi qui viens de dire un truc pareil ?!!

Fallait que je me ressaisisse. Et vite ! Le problème c’est que je ne savais pas précisément en quoi ça consistait. Dans le doute, j’ai fait le mort. Enfin, la majorité de mon corps l’a fait. Car il y avait toujours un irréductible menhir gaulois qui se dressait contre l’envahissante pudeur qui me caractérisait.

Au bout de quelques minutes, comme il ne se passait rien, la tension est retombée. Et avec elle mon ardente passion pour les courbes féminines d’Angie.

J’ai alors commencé à me dire que c’était plutôt bien. Je passais pas pour un salaud et elle pour une fille facile. Notre première nuit ensemble se devait d’être fidèle à l’image que j’avais d’elle et de moi séparément. Un modèle de…

 

 


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Si vous venez d’entendre le son caractéristique d’un vinyle qui dérape, c’est normal.

 

- Dis-moi, Angie, t’as pensé à enlever tes serpents pour dormir ?

- Pourquoi ?

- Je crois qu’il y en a un qui est en train de ramper sur ma cuisse.

Elle produisit un reniflement ambigu.

- Si je te disais que c’est seulement ma main, ça te rassurerait ?

Bizarrement, j’avais tellement la trouille que j’aurais préféré que ce soit le serpent.

Elle dût lire dans mes pensées car elle ajouta :

- Je peux la retirer si tu préfères ?

Là, elle jouait un peu avec le feu pour employer une métaphore facile.

- Euh, non ça va, c’est juste que…

L’incendie s’est rallumé de plus belle et le menhir s’est redressé comme un super conquérant.

(Non, rien à voir avec le cahier !)

Les mots qui m’avaient tant trahi jusque-là ont fini par venir en renfort. C’était moins une.

- Tu sais pourquoi on s’entend si bien, Angie ? C’est parce que malgré tout ce qui peut nous séparer, je crois que foncièrement on est fait du même bois, toi et moi. J’ai toujours été borderline, je veux dire, intérieurement. Pas d’histoire d’alcool, de drogue, de sexe ou de violence. Simplement, un rapport conflictuel permanent avec l’existence en général. Une sorte de « Je t’aime, moi non plus », si tu vois ce que je veux dire. Tu comprends, Angie, depuis que je t’ai rencontrée, c’est comme si je pouvais enfin faire un pied de nez à la réalité. Et ça, pour moi, ça vaut tout l’or du…

 


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Bah, oui, ça s’est terminé comme ça. Elle s’est endormie et j’ai fini par en faire autant. En même temps, on avait bien le droit de se payer une bonne nuit de sommeil après tout ce qu’on venait de faire pour sauver la France.

Et puis, on est romantique ou on ne l’est pas.

Quoi ? C’est pas ce que vous attendiez ? Ah, ok, je vois ! Vous auriez peut-être préféré entendre ça, bande de coquins :

 



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Remarquez, l’histoire n’est pas encore terminée. Je vous réserve encore bien des surprises. Parole d’Elu !

Ouais, ça vaut ce que ça vaut.

Angelina Jolie Photoshoot.jpg

Je m’attendais à me réveiller dans mon studio meublé fleurant bon l’humidité et le shit de mes voisins de palier, mais cette fois, seul le soleil radieux d’un nouveau jour m’a ouvert les yeux.

J’étais toujours dans la chambre d’hôtel. Tout était resté à sa place. Je n’avais donc pas rêvé. Ou bien mon rêve se plaisait à jouer les prolongations.

Ca m’allait tout à fait.

J’ai tourné la tête vers Angie. Son absence me dévisagea en haussant les épaules. Elle n’avait pas laissé de mot pour expliquer sa sortie. Mais pour me faire comprendre qu’elle allait revenir, elle avait pris soin de laisser sur son oreiller la rose que je l’avais vue glisser dans ses cheveux…J’avais l’impression que ça faisait une éternité de ça.

J’ai humé la rose encore fraîche et j’ai respiré à pleins poumons son oreiller et l’endroit même où son corps – fantasme parmi les fantasmes, joyau du monde terrestre, St Graal de la carnation – avait reposé près du mien.

Il était encore chaud.

Quand elle est rentrée dans la chambre, elle a jeté des sacs plastiques sur le parquet.
Je n’ai pu réprimer des larmes de joie devant son apparition christique, sa silhouette adorée se découpant sur le soleil levant, créant la quintessence de l’ombre chinoise.

J’ai hoqueté tellement c’était beau.

- Tu es magnifique !

Lorsqu’elle s’est avancée vers le lit, j’ai reconnu le livreur de pizzas.

- Vos vêtements, m’sieur-dame.

Là, j'ai eu une réaction complètement naturelle :

 


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Il a dû croire que j’avais picolé. Je vous avoue que j’aurais préféré.

Sur ces entrefaites, Angie est sortie de la salle de bains, toujours en serviette de bain. Elle a lancé une pièce au livreur en guise de pourboire. Du coup, il a piétiné sur place comme un chien fou à qui on aurait filé un os de mammouth à ronger. Elle lui aurait offert un cintre qu’il lui aurait manifesté autant de gratitude.

J’ai écouté le scooter s’éloigner...

 


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...avant de me tourner vers ma partenaire.

Mais comme j’avais déjà servi mes lignes de texte, je me suis contenté de la regarder en souriant bêtement.

- Tu sais, dit-elle en fouillant dans un des sacs, je suis désolé pour cette nuit.

J’ai immédiatement pensé à sa main sur ma cuisse. Voilà qu’elle regrettait son geste. C’était touchant. Je n’allais pas la laisser culpabiliser quand même, elle qui avait été si attentionnée envers moi.

- C’est rien, Angie. Tu es toute pardonnée. Nous sommes deux adultes civilisés, intelligents et dans la force de l’âge. Ce sont des choses qui arrivent, voilà tout. C’est la nature. C’est la vie.

Elle eut l’air physiquement soulagée.

- Content que tu le prennes comme ça. Je me faisais un sang d’encre à l’idée que tu avais pu passer une mauvaise nuit à cause de ça et de voir que ce n’est pas le cas me ravit. Des tacs de mecs m’ont largué à cause de cette manie. Tu ne m’en veux vraiment pas ?

Mon corps entier exprima assez bien ma consternation.

- Mais non, voyons, c’est ridicule ! Enfin, ça peut arriver à tout le monde. C’est humain, ça ne se contrôle pas et puis venant de toi, c’est plutôt un compliment. Comment je pourrais le prendre mal ?

Elle fit glisser la serviette au bas de ses chevilles avec un érotisme inouïe. La sensualité elle-même ne savait même pas que ça existait et elle s’invita dans notre chambre, histoire de prendre des notes pour plus tard.

La porte était restée ouverte, si bien que le soleil – heureux complice de la pudeur – camoufla par un habile jeu d’ombres et de lumière les formes sensuelles de ma partenaire.

Lorsqu’elle se tourna vers moi, elle portait un ensemble noir qui la rendait irrésistible.

Pour changer.

- Un compliment, tu trouves ? Une femme qui ronfle n’a pourtant rien d’un aphrodisiaque, avoue-le !

 


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Ca devait être la journée du quiproquo sur mon calendrier personnel. Mais comme j’ai jamais été doué pour retenir les dates importantes, j’ai décidé de fermer ma gueule jusqu’au moment où ma vie en dépendrait.

Elle me lança un sac.

- Habille-toi ! Notre chauffeur est déjà là. On a une grosse journée devant nous. Et pas question de la foirer.

 

Je l’ai observé à nouveau converser avec le chauffeur de la Mercedes dont je ne devais jamais voir le visage.

Une fois en route vers le mystérieux château évoqué la veille, j’ai ouvert la fermeture éclair que j’avais soudé mentalement sur ma bouche.

Oui, je prenais de très gros risques. Mais on est aventurier ou on ne l’est pas !

- Tu sais, Angie, j’ai repensé au massacre dans le restaurant et à ce que tu m’as dit pour me réconforter. S’il y avait quelques innocents, ce n’est pas si grave, finalement. Tu peux me le dire. Tu sais pourquoi ? J’ai aussi repensé à une scène de Wanted quand tu dis « En en tuant un, peut-être est-il possible d’en sauver des centaines. »

T’imagines combien on a sauvé de vies, dans ce cas ? Toute croisade nécessite des sacrifices. Et nous sommes en croisade, pas vrai ?

Elle a retiré ses écouteurs.

- Tu disais ?

J’allais refermer définitivement ma fermeture éclair lorsqu’elle m’a touché le bras avec ferveur.

- Je te fais marcher. Je sais ce que tu as dit. J’ai appris à lire sur les lèvres.

Mon esprit de cinéphile s’alluma comme un sapin de Noël :

- Comme Tom Cruise dans Mission Impossible 3 ?

Elle eut un regard équivoque.

- C’est marrant que tu me parles de lui.

- Pourquoi ?

- Pour rien.

Puis elle enchaîna rapidement :

- Ca fait deux fois que tu cites Wanted. Tu dois l’aimer ce film !

Je ne pus cacher mon enthousiasme.

- Si je l’aime ? C’est un pur film ! Les balles à trajectoire courbe, les messages codés dans le métier à tisser, la scène d’intro et celle à la fin dans la bibliothèque, quand ton personnage…

- Chut ! Il y en a peut-être qui ne l’ont pas encore vu. Ce serait dommage de leur gâcher la surprise, non ?

- Oui, c’est vrai, désolé ! Je m’emporte si facilement dès qu’il est question de cinéma. Je suis pourtant le premier à détester qu’on me raconte la fin !

Angie prit alors une pose plus recherchée. Elle croisa ses jambes de gazelle et fit battre ses yeux de biche avec un rythme étudié. Sûrement à l’école des biches.

- Tu sais que j’ai fait d’autres films importants, à part celui-là. Tu les as vus ?

Ca y est, elle me mettait à l’épreuve. Et je comptais bien remporter le défi qu’elle venait de me lancer sur mon terrain préféré.

- Bien sûr ! m’exclamai-je. Je suis ton plus grand fan, Angie, ne l’oublie pas !

- Alors tu as certainement vu celui qui m’a fait gagner l’oscar du meilleur second rôle.

Une Vie Volée ! J’en avais entendu parler, bien sûr, mais honte à moi, je n’avais jamais eu la curiosité de le visionner.

Ce qui était sur le point de me coûter très cher.

Elle releva l’une de ses manches, exhibant l’un des serpents tout prêt à me chiquer la paupière. Ou que sais-je d’autre ?

Sans quitter des yeux sa vilaine petite tête triangulaire, j’ai essayé de me rappeler où j’avais mis mon médaillon.

- On dirait que ça veut dire non.

Je vis le serpent se dresser pour mordre. Et puis, Angie s’est mise à rire et elle a rengainer son copain à sang froid.

- Ce n’est pas grave si tu ne l’as pas vu. Et tu sais pourquoi ?

Je secouai la tête comme un forcené.

- Parce que mon job d’actrice n’est qu’une couverture.

J’ai ouvert la bouche, mais le son a tâté le terrain quelques secondes avant d’envisager de sortir :

- Ah ?

J’ai repris une contenance.

- Tu veux dire qu’espionne c’est un travail à temps plein ?

Elle opina.

Cette révélation, si elle était pour le moins étonnante, n’en expliquait pas moins un certain nombre de choses, notamment…

- Tes cascades ! Ca me surprend plus que tu les fasses presque toutes toi-même. Ca doit même être un crève-cœur de te faire doubler !

Elle opina à nouveau.

- Pas de croisade sans sacrifice ! me dit-elle avec une complicité qui transforma mes genoux en guimauve. Heureusement, j’étais assis.

Mais cette révélation impliquait aussi forcément une existence plus complexe que celle laissée en pâture à la presse et au grand public.

- Mais ta vie de famille, c’est du concret quand même ! Ca n’est pas aussi une couverture !

 


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Le regard qu’elle me jeta me fit regretter amèrement d’avoir osé poser la question.

Sa rancune regagna ses pénates et elle se détendit à nouveau.

- Tu sais beaucoup de choses sur moi, mais qu’en est-il de toi ?

J’aurais dû être flatté qu’Angelina Jolie me manifeste autant d’intérêt, seulement vous imaginez bien que question frissons, ma vie était loin d’égaler la sienne, pour employer un doux euphémisme.

Je me raclai brièvement la gorge comme si, moi aussi, j’allais faire une grande révélation.

- Et bien, il n’y a pas grand-chose à dire. Je vis dans un appartement très modeste et je bosse à mi-temps dans un vidéo-club qui ne va pas tarder à fermer à cause du piratage sur internet. J’ai donc un peu de mal à joindre les deux bouts. Pourtant à la base, je suis issu d’une famille aristocratique.

Je la vis hausser les sourcils. Malheureusement, la suite n’allait pas embellir le tableau que j’étais en train de peindre.

- Mon nom a une particule, mais je l’ai définitivement abandonnée lorsque mon père a choisi de me déshériter. Tout ça parce que je ne voulais pas devenir médecin ou avocat ou n’importe quel autre métier qui aurait donné du poids à son nom. Tu vois le genre.

Nouveau hochement de tête.

- A sa mort, c’est donc mon enfoiré de cousin qui a tiré le jackpot à ma place. Au-delà de leur lien évident, mon père et le sien étaient très proches. Et comme mon cousin clamait haut et fort qu’il voulait devenir médecin ou avocat…

Depuis il a beaucoup d’argent, d’arrogance et de temps à perdre. Et son passe-temps préféré est vite devenu de concocter des blagues débiles à mon insu avec un type que je croyais être un ami. Comme tu le vois, j’ai des raisons de me sentir seul.

D’un coup d’œil discret, j’ai vérifié qu’Angie ne dormait pas – prêt à refermer ma fermeture-éclair – mais ce n’était pas le cas. Bien au contraire. Elle était visiblement très attentive. Ca ne pouvait que me toucher.

- Et ta mère ?

- Quand mes parents se sont séparés, elle est partie vivre dans le sud avec sa famille. Depuis, je n’ai plus trop de nouvelles. On s’entendait plutôt bien, pourtant. Mais la même année, j’ai eu le malheur d’oublier son anniversaire et la Fête des Mères. Je crois qu’elle m’aimait tellement qu’elle a pris ça pour une trahison. Et je crois qu’elle ne me l’a jamais pardonné. C’est triste parce que c’est juste un petit problème de mémoire. J’ai toujours eu du mal à retenir les dates importantes. Enfin, comme tu le vois, la famille, c’est pas vraiment ça.

Elle était toujours aussi attentive et même émue je crois. Alors je me suis rappelé un détail de sa vie à elle qui pouvait l’expliquer en partie.

- Je crois que tu as eu aussi quelques soucis avec ton père. J’étais très heureux que vous vous retrouviez dans Tomb Raider. C’est une scène très symbolique.

Elle posa une main sur la mienne.

- Merci, dit-elle dans un souffle.

Je n’ai rien ajouté. J’ai préféré attendre qu’elle parle à nouveau.

- C’est pour ça j’imagine que tu vis seul. Tu n’as eu pas ce qu’on pourrait appeler d’excellents modèles.

- C’est vrai, mais j’ai un chat qui vaut toute une famille pour moi. Quand on aura rempli cette mission, si tu veux, tu pourras rentrer avec moi. Comme ça, je te le présenterai. Ca lui ferait sûrement plaisir. Vous avez les mêmes yeux.

Je voyais déjà la scène d'ici.

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- C’est très séduisant comme programme. Je te promets d’y réfléchir dès que j’en aurais l’occasion.

- Entre deux coups de feu, par exemple.

Elle savait que je me référais à l’appel de Tonton dans la Mercedes.

On éclata de rire.

Sur la même longueur d’onde, je vous dis !

 

Le chauffeur a donné quelques coups contre la vitre teintée qui nous séparait de lui.

On en arrivait en vue du château.

En fait de château, c’était une vieille bâtisse sur cinq étages paumée en pleine campagne.

Mais avouez que si je vous avais dit ça en premier ça aurait eu tout de suite moins de gueule.

On est descendu de la voiture et un type BCBG genre premier de la classe est venu nous accueillir avec un blazer qui devait valoir un billet pour la Lune.

- Bienvenue au Domaine de la Motte Beurrée Saint-Sépulcre.

Oui, j’eus la même réaction que vous :

- Mais qu’est-ce que c’est que ce nom à la con ?

Angie et notre guide m’ont foudroyé du regard à l’unisson.

- Je veux dire…C’est un très joli nom, charmant, très…poétique !

Le type nous a ensuite fait l’historique des lieux.

Le site était classé Monument Historique du fait qu’il avait soi-disant résisté à toutes les guerres. J’en avais pourtant jamais entendu parler.

J’écoutai distraitement en m’imaginant rouler dans le champ de fleurs à côté avec Angie.

Evidemment, même dans ce genre de fantasme libérateur et apparemment sans risque, je réussis quand même à rouler dans une merde de chien. Et autant vous dire que c’était pas celle d’un caniche.

- Le propriétaire a des chiens ? Je veux dire des gros ?

Angie fronça les sourcils. Elle pensait à tort que je me rencardais maladroitement sur le niveau de sécurité du château.

Oui, je sais ce que vous pensez. Ma fermeture éclair !

D’un mouvement de tête, ma partenaire signifia à notre guide qu’il pouvait poursuivre sa présentation. Je ne pus m’empêcher de penser que je commençais à perdre un peu trop de points au moment crucial de l’aventure. Si jamais je foutais tout en l’air à cause d’une connerie de ce genre, je ne me le pardonnerai pas. Et Angie non plus.

Je vis que sous son air absorbé de touriste curieuse de tout, elle était en réalité en mode repérage.

Cette femme ne cessait de m’étonner.

-…et sur la gauche, vous pouvez apercevoir la célèbre Tour Prend Reine en A4, un modèle d’architecture gothique qui a permis de repousser les Barbares en 1515 à Marignane grâce à l’ingénieuse catapulte romaine camouflée dans les fondations et dont nous devons l’existence au célébrissime Leonardo Da Vinci…

C’est moi ou ce type raconte n’importe quoi ?

Mon anglais commençait peut-être à rouiller. En même temps, il marchait à plein régime depuis presque vingt-quatre heures.

Heureusement, Angie s’occupait de réagir convenablement aux informations apportées par notre guide avec force exclamations de surprise et onomatopées d'admiration.

On est actrice ou on ne l’est pas.

C’est alors que j’ai fait un constat pour le moins troublant.

Angelina Jolie était connue dans le monde entier et pourtant, cela ne l’empêchait pas d’effectuer son métier d’agent secret à visage découvert.

Mais rapidement, j’ai compris aussi que c’était le meilleur subterfuge au monde. Elle était tellement naturelle que ceux qui la reconnaissaient devaient se dire que ça ne pouvait pas être elle, la vraie, et du coup, ils se persuadaient tout seul que ce n’était qu’un sosie.

Heureusement, je n’étais pas tombé dans le panneau. Et je crois que rien que ça me rendait digne d’être un partenaire de mission idéal.

Je l’observai à son insu. Une beauté et une intelligence pareilles dans un seul corps de femme et j’avais la chance d’en être si proche…

 


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…quand j’ai atterri, on était dans un salon décoré avec beaucoup de goût, enfin, avec beaucoup de bibelots qui servaient à rien et qui n’allaient pas ensemble, mais qui avaient l’air d’avoir coûté tellement cher que ça faisait passer la pilule.

Notre guide prit congé avec un assortiment impressionnant de révérences et de formules de politesse qui me firent sérieusement douter de me trouver dans le repaire de terroristes.

Les deux colosses en treillis qui lui succédèrent beaucoup moins.

Sans un mot, ils nous escortèrent jusqu’à un grand escalier, tellement haut que même vu d’en bas il donnait le vertige. Tandis que nous montions, Angie me glissa furtivement à l’oreille :

- N’oublie pas ce que je t’ai dit !

Comme je ne voyais pas précisément ce qu’elle voulait dire, j’ai prié très fort pour que nous ne soyons pas séparés. J’ai de la chance que ce ne fut pas le cas et à dire vrai, vous aussi, sinon vous auriez été privé de plusieurs scènes d’un grand intérêt narratif.

Durant le trajet jusqu’à notre destination, j’ai remué dans tous les sens le conseil qu’elle venait de me donner et qui valait certainement son pesant d’or. Le hic c’est qu’elle m’en avait dit des choses depuis notre rencontre.

Bon, bien sûr, j’ai fait un tri sélectif préalable, je ne suis pas complètement con.

Mais après ça, il me restait encore trois possibilités :

- Soit elle avait voulu me rappeler la présence des serpents sous ses manches et sous-entendre qu’en cas de grabuge, elle se chargeait de calmer le jeu à coup de venin.

- Soit elle avait voulu me rappeler que cette mission était primordiale et qu’il était exclus que je commette une nouvelle bourde.

- Soit, enfin, elle avait voulu me rappeler que nous avions affaire à de dangereux énergumènes et qu’à partir de là, la menace pesant sur nous était maximale.

Comme aucune n’était franchement réconfortante, j’ai préféré me dire finalement que j’avais tout faux et que c’était rien de tout ça.

Les trois à la fois ?

C’est pas faux.

Bon évitez d’en rajouter, j’en menais déjà pas large.

Lorsque enfin on est arrivé dans la salle de l’entrevue, on a eu une drôle de surprise.

Les deux gorilles – qui se ressemblaient par ailleurs comme deux gouttes d’eau - nous ont invité à nous asseoir sur des espèces de fauteuils de dentiste placés côte à côte.

 


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Oui, bizarrement, j’ai tout de suite pensé à ça.

- Euh, si c’est pour un détartrage…

Le regard d’Angie ne me laissa pas terminer.

- Allez-y, dit-elle en s’asseyant.

Je l’ai imité.

L’un des types m’a collé une électrode sur un poignet. En voyant son jumeau s’apprêter à faire de même sur Angie, j’ai eu un frisson intégral.

Elle arrêta le type d’un sourire gêné :

- Désolé, j’ai des cicatrices…une erreur de jeunesse.

L’intéressé eut l’air de comprendre car il lui colla finalement l’électrode dans le cou.

Quelle actrice, je vous dis ! Rien que cette réplique improvisée aurait mérité un autre oscar.

Les électrodes étaient reliées à un appareil que j’avais vu dans un certain nombre de films d’espionnage. Celui-là avait l’air particulièrement évolué.

Les types allaient nous passer au détecteur de mensonges. L’entrevue attendue était en fait un interrogatoire. Ca sentait déjà un peu le roussi, surtout connaissant ma légendaire incapacité à sortir un bobard sans rougir jusqu’aux oreilles.

Je regardais une dernière fois en direction d’Angie, un modèle de sérénité, avant de prendre une grande inspiration.

C’était le moment de vérité. Dans tous les sens du terme.

L’un des deux terroristes s’est ensuite ramené avec une seringue longue comme le bras.

J’ai avalé mon inspiration de travers.

- C’est obligé ? Je suis allergique aux piqûres.

L’aiguille me transperça le bras.

- Et nous aux imposteurs.

Angie reçut la seringue dans le cou. Pas un son ne sortit de sa bouche. J’admirai son courage. A sa place j’aurais hurlé tous les noms d’oiseaux que je connaissais. Et à cause de mon cousin qui les collectionnait, j’en connaissais un paquet.

La première question tomba rapidement.

- Quel est le nom de code de l’opération ?

J’ai ouvert les yeux, comme victime d’une illumination. J’avais la réponse ! Pour une fois que je pouvais gagner le gros lot ! J’ai répondu sans même réfléchir :

- Aucune idée, m’sieur, je suis qu’un minable employé dans un vidéoclub qui va bientôt fermer à cause du piratage sur internet.

Oui, comme vous pouvez le constater, leur sérum de vérité était très efficace.

Les deux gorilles ont immédiatement dégainé leur silencieux.

Ce qui m’a un peu vexé.

 


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Angie les a stoppé net d’un sifflement.

- Je n’ai pas encore répondu, moi !

Elle a tendu ses bras dans leur direction et deux secondes après, ils étaient au tapis, battus à plat de couture par deux serpents.

- T’as vu, ai-je fait en me levant, c’était des jumeaux !

Oui, je supportais très mal le sérum.

- Ne sois pas naïf, m’a répondu Angie en prenant leurs armes. C’était seulement des clones.

J’ai pris le pistolet qu’elle me tendait avec l’air d’un parfait abruti.

- Ca te fait rien, toi, la piqûre ?

Angie a repéré un ascenseur. On allait monter dedans lorsque j’ai eu une vision effroyable.

- Et si c’était un ascenseur piégé, comme dans L’Espion qui m’aimait ?

Tu imagines si on tombe nez à nez avec un requin ?

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Ca n'a pas eu l'air de l'inquiéter.

- Je lui donnerai un coup de poing.

J'ai forcément repensé à une scène similaire dans l'un de ses films.

- Alors dans Tomb Raider 2, c'était pas truqué ?!!

Elle m’a poussé dans la cabine et elle a appuyé sur le bouton du dernier étage.

- On va être attendus, maintenant. Y avait sûrement des caméras et des micros dans cette salle.

Mon raisonnement se tenait.

Angie était trop concentrée pour le remarquer.

- Ca n’a plus d’importance. Le chef est ici. Il faut en finir rapidement.

- Comment tu sais qu’il est là ?

- J’ai reconnu sa voiture près de la tour quand on est arrivé. Une Ferrari vert pomme avec un autocollant : « Je suis le roi du monde ! » ça ne s’oublie pas !

- Tiens, ai-je fait, mon père en avait une comme ça, aussi.

- Ton père ?

Les portes se sont ouvertes. On s’est retrouvé assis au bout d’une table longue d’un kilomètre. Le repas était servi et il était encore chaud. Ca avait l’air bon, je me suis mis à manger.

Angie m’a filé son coude dans les côtes !

- Qu’est-ce que tu fais ?

- On a pas pris de petit-déjeuner, je te signale. Et chez moi, le p’tit déj, c’est sacré !

Notre guide de tout à l’heure est arrivé à notre hauteur avec son plus beau sourire. J’ai rien vu de plus flippant. Il a soulevé une cloche. Sur le plateau il y avait un ordinateur portable.

On a pas fait d’histoire. On a posé l'ordinateur sur la table et on l'a allumé.

Il y avait quelqu’un à l’autre bout de la table. Son visage apparut sur l’écran et sa voix se fit entendre.

- Bienvenue au Domaine de La Motte Beurrée Saint Sépulcre.

- Merci, on y a déjà eu droit, fis-je remarquer en engloutissant un croissant croustillant à souhait.

J’en ai bien proposé un à Angie, mais elle n’avait pas l’air d’avoir faim.

Le chef des terroristes avait l’air…d’un chef des terroristes. Il faisait peur et en même temps il était séduisant. Comme sa voix.

- Vous avez passé avec succès les différentes étapes de notre grand jeu et vous avez donc gagné le droit exclusif d’intégrer l’Opération Hollywood Panic !

 


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- Putain, me suis-je exclamé. C’était ça la réponse de tout à l’heure !

Puis ma paranoïa est revenue de vacances.

- Fais gaffe, Angie, il a peut-être un flingue sous la table, comme dans…

Elle prit un air pincé.

- L’Espion qui m’aimait ?

- Comment tu sais ?

Plus je détaillais le méchant sur l’écran, plus son visage me semblait familier.

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- Tu le connais ? s’enquit Angie.

Je pensais que non, mais en fait, je ne cherchais pas où il fallait.

- On dirait Alan Rickman, l’acteur qui incarne le chef des terroristes dans Piège de Cristal, un monument du film d’action, soit dit en passant !

- Alan Rickman ou pas, il va dérouiller dans pas longtemps !

Notre hôte se leva.

- Vous resterez bien pour le plat de résistance !

De chaque côté de la salle, des portes s’ouvrirent et avec une incroyable chorégraphie, des domestiques tirés à quatre épingles apparurent, chacun équipé d’une cloche à repas.

- Je le sens pas ! fit Angie.

Comme il était évident qu’on allait de nouveau passer à l’action pour un pur morceau d’anthologie, j’ai fouillé dans ma poche à la recherche de…

- Mon médaillon ! Merde, je l’ai oublié dans mon jean, dans la chambre d’hôtel ! Quel con !

Est-ce que l’Elu pouvait commettre une bévue pareille ?

- Si jamais quelqu’un le récupère ! ajoutai-je en proie à une panique sans nom.

Angie était d’un calme olympien.

- Ca ne fait rien. C’est toi l’Elu et le médaillon ne sert à rien, ni à personne en dehors de toi.

- Le problème c’est que l’inverse est vrai aussi.

Angie soupira et prit ma main.

- Regarde ! Les symboles sont incrustés dans ta paume. Ce sont eux qui te donnent ton pouvoir. Tu n’as plus besoin du médaillon. Enfin, si je ne me trompe pas.

- Ouais, ça demande quand même à être vérifié.

- Très bien. A trois, on y va. Un…deux…

- Attends, attends ! Un, deux, trois, on y va ou bien un, deux, et trois on y va ?

En guise de réponse, elle a sauté sur la table et a commencé à tirer dans tous les sens.

J’ai rien trouvé de mieux à faire que l’imiter ne sachant absolument pas ou cela allait nous mener.

Les domestiques ont soulevé leur cloche et à tour de rôle ont annoncé :

- Fusil-mitrailleur M16 sur son trépied en acier trempé.

- Lance-roquettes Ultimatum avec guidage thermique et culasse anti-surchauffe.

- Pistolet-mitrailleur MP5 avec silencieux et chargeur double capacité.

- Etc…

De cette manière, pas moins de vingt armes plus destructrices les unes que les autres furent braquées sur nous en un temps record tandis qu’Angie et moi nous courions sur la table, chacun couvrant l’autre en arrosant un côté de la salle.

Entre deux rafales, Angie se baissa et ramassa une bouteille de vin. Elle but une gorgée au goulot avant de déclarer :

- Mon millésime préféré !

Une balle perdue fracassa la bouteille, ce qui, évidemment, fut très loin de lui plaire.

- Monumentale erreur !

Angie refit le portrait du tireur maladroit au 9 mm, façon picasso.

Me prenant les pieds dans un plat, c’est elle qui arriva en premier face à notre hôte. Comme elle n’avait plus de munitions, elle jeta son pistolet et retroussa ses manches. Ses deux fidèles serpents se mirent au garde-à-vous.

Le sosie d’Alan Rickman ricana.

Il retroussa les siennes et deux mangoustes se jetèrent sur les reptiles pour les dévorer vivants.

- Moi aussi, j’aime les animaux.

Profitant de la stupeur d’Angie, je vis le terroriste sortir un pistolet de l’intérieur de sa veste en cachemire.

 

 
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Là, mon cœur a cessé de battre et toute la scène s’est figée comme dans un arrêt sur image.

Sauf que je pouvais quand même bouger.

Je crois que j’ai hurlé son prénom et que je me suis élancé sur la table, glissant dessus sur plusieurs dizaines de mètres avant d’atteindre mon objectif.

Bon, il est vrai que je ne le ferai pas tous les jours.

Angie gisait au sol, ses vêtements poissés de sang. Elle tenait une main appuyée sur son ventre. J’ai regardé la blessure avec horreur. Mon point de vue fit littéralement volte-face. Je priai pour être dans un cauchemar et me réveiller au plus vite. De préférence, dans les bras d’Angie et dans notre minable chambre d’hôtel sans eau chaude.

Mais rien d’équivalent n’arriva.

Je vis qu’Angie voulait dire quelque chose. Je fus victime du plus cruel des dilemmes. Je voulais entendre sa voix, mais je ne voulais pas qu’elle me parle, de peur d’écouter ses derniers mots.

Je lui ai redressé la tête.

- Tiens, me dit-elle en me tendant ses écouteurs. Ca te donnera de la force.

Je les ai posés sur mes oreilles. Je me disais que c’était sa façon de me dire « Je t’aime ».

Comme je n’avais pas d’écouteurs à lui offrir, j’ai posé mes lèvres sur les siennes pour lui donner aussi de la force.

- Tiens le coup, Angie. Je reviendrai !

Je lui ai serré les mains en guise de garantie.

Je me suis relevé. Je me suis senti de nouveau invincible, comme si j’avais absorbé tous les codes secrets du jeu vidéo de ma vie.

J’ai regardé autour de moi. Le Grand Méchant en avait profité pour filé en douce.

J’ai regardé la paume de main. Elle s’illumina d’un éclat bleuté surnaturel. Mes yeux en ont fait de même.

 


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- Maintenant, ça va chier !

La musique a commencé à envahir mon esprit au moment où les tueurs restants se sont précipités sur moi.

 


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Le premier est arrivé sans crier gare, alors j’ai pris le train en marche. Je l’ai décapité du tranchant de ma main droite et l’ai éventré de la gauche.

Le deuxième et le troisième se crurent plus malins en me prenant en traître. Ils en furent pour leurs frais. Je leur ai attrapé les cheveux et d’un double coup de genou sauté, je leur ai enlevé les amygdales sans anesthésie locale.

L’un des deux m’a murmuré qu’il les avait déjà perdues au Vietnam à cause d’une explosion au napalm. Alors je lui ai arraché la langue pour qu’il arrête de dire des conneries.

Le quatrième, le cinquième et le sixième tueur sont venus en renfort et m’ont encerclé pour me truffer de plomb. J’ai filé un aller-retour à la première balle et vu qu’elle n’était pas conne, elle a fait passer les mots à toutes ses copines. Résultat : retour à l’envoyeur et trois méchants de moins sur ma liste.

Le septième me colla son fusil à pompe entre les omoplates. Mais avant qu’il ait pu tirer, je m’étais retourné et j’avais glissé un doigt dans le canon de son flingue. Mon majeur, histoire de le provoquer. Ca a marché. Il a quand même tiré et s’en est tout de suite mordu les doigts. Enfin, il a mordu ce qu’il a pu vu que le fusil a explosé et lui a amputé les deux bras.

Comme les derniers tueurs ont compris que les armes à feu ne me faisaient rien d’autre que des chatouilles, ils ont essayé de me submerger par le nombre.

Ils se sont pointés à onze. Pas de bol, j’ai toujours détesté le foot. D’un coup de pied j’ai arraché la tête du plus proche et j’ai fait un magnifique strike avec ma boule de bowling improvisée. Je préfère ne pas vous raconter l’état des quilles.

Celui qui avait le moins morflé a rampé vers moi. Je l’ai regardé du haut de mon mètre soixante dix-huit.

- J’ai horreur des serpents !

J’ai sauté à pieds joints sur son dos en hurlant comme un coyote façon Bruce Lee.

Comme il n’y avait plus personne pour me tenir tête, je suis retourné auprès d’Angie qui respirait faiblement. Je me disais que mon pouvoir était sûrement assez fort pour me permettre de la sauver une seconde fois. Je me suis concentré à mort. Jusqu’à ce que l’hélicoptère de mon ennemi me canarde à travers les fenêtres. J’ai dit à Angie que je revenais et d’un bond j’ai traversé la salle et la fenêtre en face de moi. J’ai chopé une pâle de l’hélico entre mes dents et d’un coup sec je l’ai arrachée. L’hélico a aussitôt piqué du nez et s’est écrasé sur la pelouse. Le sosie d’Alan Rickman est sorti des décombres juste avant l’explosion. Tant mieux, j’aurais regretté de ne pas pouvoir lui faire sa fête à mains nues.

Son costume était déchiré, mais ce qui était franchement bizarre c’était que son visage l’était aussi. C’est là que j’ai compris qu’il portait un masque. Il l’a retiré complètement et mon coeur a cessé de battre une seconde fois. C’était mon père !

Il a marché vers moi.

- Un terroriste, il n’y a que lorsqu’on le croit mort qu’on cesse de le chercher.

J’étais abasourdi et pourtant je me suis entendu lui répondre :

- Tu cites Piège de Cristal, toi, maintenant ?!!

- C’est de ta faute. Tu m’as obligé à regarder ce film des dizaines de fois. Ca a fini par me donner des idées.

Je comprenais mieux pourquoi il avait pris les traits d’Alan Rickman. Une sorte de mimétisme résultant d’une crise d’identité. Pour plus de détails, voir avec un psychiatre agrégé.

Mon père a poursuivi :

- J’avais déjà suffisamment d’argent donc je ne me voyais guère braquer des banques ou des entreprises pour passer le temps. Alors je me suis dit que faire péter des immeubles de temps en temps, ça pouvait être marrant. Une sorte de jeu vidéo grandeur nature.

Ajoutez mégalomanie, appelée aussi syndrome du « Je suis le Roi du Monde ».

J’ai repensé à ce que m’avait dit Angie. En regardant près de la tour, j’ai moi aussi reconnu sa voiture. Tout était clair, maintenant.

-Tu as fait croire à ta mort pour être au-dessus de tout soupçon et pouvoir agir à ta guise. Ca ne t’a pas suffi de me déshériter au profit de mon enfoiré de cousin, il a fallu que tu tires sur la femme de ma vie.

Il pointa un doigt méprisant en direction du château.

- Elle ? Cette actrice minable ?

Il s’esclaffa.

A mon tour, j’ai marché vers lui.

- C’est ta dernière erreur.

Il m’a regardé me rapprocher.

- Tu es ici parce que je l’ai décidé. Et elle aussi. Rien n’est dû au hasard. J’ai appris la véritable nature du médaillon et de ses pouvoirs après ma mort factice. C’est un objet que j’avais possédé pendant des années sans en soupçonner une seconde le potentiel. Lorsque je l’ai découvert, j’ai réalisé qu’il était désormais en possession de mon cher neveu. Alors pour le récupérer, je lui ai envoyé un pigeon porteur d’un message. Je savais qu’il collectionnait les oiseaux morts et qu’il ne manquerait pas d’ajouter celui-là à son tableau de chasse. Le message lui ordonnait de concocter un pari avec ton ami pour te faire entrer en possession du médaillon et te faire croire qu’il s’agissait d’un objet inestimable. Tu es crédule, mais ton cousin l'est tout autant surtout quand on signe « Le Dieu des Oiseaux te punira si tu ne fais pas ce qui est écrit ». Son penchant naturel pour la facétie a fait le reste.

Ces explications, aussi limpides étaient-elles, ne me suffisaient pas encore.

- Mais pourquoi moi ? Pourquoi n’avoir pas demandé directement à mon cousin de venir de te le donner ? Pourquoi n’avoir pas envoyer tes hommes le voler ?

Il eut un sourire de mauvais augure.

- Toute croisade mérite des sacrifices, non ? J’ai toujours voulu me débarrasser de toi. Et j’avais l’occasion idéale de faire d’une pierre deux coups. Tu représentes le déshonneur de la famille. Quand j’ai du mauvais sang, je me le fais tirer. Philippe Noiret. Le Bossu.

Je ne croyais pas mon père aussi cinéphile. Je l’avais peut-être aidé malgré moi à le devenir. En tous les cas, cela n’allait pas adoucir la mort que je lui réservais.

Il dégaina un objet cylindrique de sa ceinture.

 


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- Je suis ton père.

Oui, décidément, je l’avais bien éduqué.

- Ton plan est stupide ! C’est moi l’Elu. Je suis le seul à pouvoir me servir du médaillon. Et de toutes façons, je l’ai oublié à l’hôtel, alors c’est mort !

Il s’est à nouveau esclaffé.

- C’est toi qui es stupide. Tu as dû oublier de lire les petites lignes du mode d’emploi. Le pouvoir ne vient pas de toi, il vient de la lignée, du sang.

Là il y eut un gros plan sur ses yeux maléfiques.

- De mon sang. Je suis le seul héritier digne de ce nom qui mérite de porter le médaillon de Tankpur Jilah !

A mon tour j’ai fait un zoom sur mon regard à son intention. Me demandez pas comment !

- Le médaillon, c’est moi, maintenant !

J’ai tendu ma paume gravée des symboles dans sa direction.

Cela n’a pas intimidé mon père le moins du monde. Il était entré en mode « C’est moi qui vais gagner ! » Ce que confirma sa dernière réplique :

- Si je dois t’arracher la main et me la greffer, je le ferai !

Quant à moi, je suis entré en mode « Non, c’est moi ! »

Ma paume de main s’est alors illuminée. Mes yeux ont jeté des éclairs.

 


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Il a brandi son arme pour les repousser. En vain. Alors il a lancé son sabre laser vers moi.

La bonne nouvelle c’est que j’ai transformé mon père en grillade et la pelouse du Domaine de la Motte Beurrée Saint-Sépulcre en barbecue.

La mauvaise nouvelle, c’est que pendant ce temps là, son sabre m’a tranché la main. Et de préférence la main gravée des symboles du médaillon de Tankpur Jilah.

J’ai rien senti, mais j’ai quand même eu mal.

 


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Car privé de ma main, j’étais aussi privé de mon pouvoir. Et sans mon pouvoir, j’étais aussi utile pour Angie qu'un pansement sur une jambe de bois.

Je suis retourné dans le château pour aller la chercher. Son pouls était très faible. Il fallait que je fasse vite. Je l’ai prise dans mes bras et je l’ai déposée sur la pelouse. J’ai fouillé le cadavre de mon père. Un homme tel que lui ne pouvait se passer de téléphone. Une chance, il avait un modèle ignifugé. J’ai appelé les urgences. En insistant bien sur le caractère urgent.

J’ai rassuré Angie en lui caressant le front.

- Les secours vont arriver. Tout va bien.

Elle m’a regardé comme un héros, comme un chevalier en armure.

- Tu l’as eu ?

- Je les ai tous eu ! Grâce à toi, Angie !

Je ne suis pas rentré dans les détails. Je ne voulais pas l’embêter avec mes histoires de famille. Je suis donc resté très vague quant aux circonstances de ma victoire. C’était un moment privilégié entre nous. Je ne voulais pas le gâcher en lui parlant de mon père.

Elle a commencé à fermer les yeux. Là mon cœur a retenu sa respiration. Si ça continuait, il allait battre le record d’apnée.

- Angie, reste avec moi, je t’en prie ! On a encore tellement d’aventures à vivre ensemble !

Elle a posé une main sur ma joue ce qui a fait barrage avec le raz-de-marée de mes larmes.

- On les vivra. Dans tes rêves.

 Ses derniers mots furent en français et ils furent pour moi.


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Alors j’ai fait la chose la plus terrible de toute mon existence. J’ai fermé pour toujours les grands yeux clairs et limpides d’Angelina Jolie et j’ai embrassé une dernière fois ses lèvres généreuses aussi aphrodisiaques que la plus belle plage du monde.

J’ai posé ma tête sur sa poitrine aussi légendaire que toute sa personne et j’ai pleuré comme un enfant à qui on aurait confisqué un super jouet de Noël.

Je n’ai pas entendu l’ambulance et les pompiers arriver. Impuissant, j’ai regardé des hommes emporter mon grand amour et placer son corps dans un corbillard.

Moi j’avais pris de l’avance. J’étais déjà six pieds sous terre.

 

On m’a posé des questions. Je ne me souviens plus de ce que j’ai répondu. Ca devait être la vérité car le sérum faisait sûrement encore effet. On m’a félicité, on m’a serré la main. Ca me faisait une belle jambe. Un médecin m’a dit qu’on pouvait s’occuper de ma main gratuitement en compensation. J’étais tellement déboussolé que j’ai juste demandé un billet retour pour ma province natale. J’avais le sentiment de n’avoir plus rien d’autre à faire que rentrer chez moi.

La fête était finie, le rêve terminé. Il était temps de retourner dans cette bonne vieille réalité.

Je me sentais vide, dépossédé. Tel un automate, je reprenais progressivement le cours de mon existence, comme sorti d’une parenthèse. Tout était flou. Je ne savais plus trop qui j’étais ni ce que j’avais fait. Comme si je sortais d’un tour de montagnes russes.

C’est sans doute pour ça que j’ai gerbé.

 

En seconde classe, les passagers ne sont pas si pauvres que ça. Ils ont des ordinateurs portables et des téléphones dernier cri. Ce jour-là, pour mon plus grand malheur. Le trajet s’est effectué au rythme des multiples hommages que rendait le monde entier à Angelina Jolie. Personne ne mentionna son implication dans des actions anti-terroristes de grande envergure telle que celle qui nous avait réuni. Bien sûr, puisque tout le monde était censé l’ignorer. Pour le public, les médias et le septième art, elle était Angelina Jolie, l’actrice. Et c’était déjà beaucoup. Le Président des Etats-Unis lui-même fit une déclaration à la télévision qui devait rester dans les mémoires :

« Le cinéma a perdu un trésor, le monde un diamant, mais le ciel, lui, a gagné un ange. »

J’avoue que je n’aurais pas mieux dit.

J’ai tourné mon regard vers la vitre en réprimant le besoin viscéral de révéler la vérité à tous les passagers du train. J’ai regardé défiler le paysage comme je l’ai toujours fait sauf que dans ma tête défilaient aussi mes meilleurs scènes avec Angie.

Je vous donne la musique. Je vous laisse faire votre propre bande-annonce :

 


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En me souvenant de tout ce qu’on avait vécu, j’ai à nouveau ouvert les vannes.

 

Quelques heures plus tard, je suis descendu du train, le cœur aussi lourd qu’une enclume.

J’ai quitté la gare en effervescence en ignorant les réactions des gens à la nouvelle qui tremblait maintenant sur toutes les lèvres.

Je suis allé rejoindre mon studio meublé qui fleurait bon l’humidité et le shit de mes voisins de palier en me faisant l’effet d’un animal qu’on traînerait à l’abattoir.

 


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J’habitais cette ville depuis des années et pourtant je ne reconnaissais plus rien. Sur les façades des immeubles et sur les vitrines des magasins, je ne voyais plus qu’une seule chose : le visage d’Angelina Jolie qui me souriait.

Dans une boutique, une télé s’est allumée. Je me suis approché. Le visage d’Angie est apparu. Elle était rayonnante :

- C’est toi le meilleur !

Elle m’a dédié une œillade complice et tous les autres visages autour de moi l’ont imitée.

Je crois que j’ai perdu connaissance à ce moment là.

 

Quand je suis revenu à moi, j’étais appuyé sur le garde-fou d’un pont. Le torrent était impétueux et je crois qu’il me faisait de l’œil. Il ne m’en fallait pas plus pour être séduit.

J’ai agrippé la rambarde pour l’enjamber et une voix d’homme m’a dit :

- Elle vaut mieux que ça, tu ne crois pas ?

J’ai cru halluciner en reconnaissant Tonton…Je veux dire Monsieur Bricolage, enfin… le type qui refourguait à Angie tous ses gadgets très utiles. Il louchait toujours autant, mais c’est pas ça qui m’a empêché de me jeter dans ses bras.

- Elle va me manquer à moi aussi.

- Mais qu’est-ce que vous faites ici ? ai-je demandé entre deux sanglots.

- Et si je te disais que tu peux la revoir, tu me suivrais ?

C’était comme de donner du miel à un ours ou une tétine à un bébé.

A l’intérieur de mon corps ce fut le 14 juillet.

 


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- Où ça ?

Tonton s’écarta un peu et retira son masque.

Tom Cruise me sourit et m’adressa un clin d’œil complice :

- Aux States, mon pote, aux States !

 


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 Distribution :

 

Angelina Jolie (Angie)....................Elle-même

 Le Narrateur..............................Le mec qui la suit

Le Père du Narrateur.........Alan rickman/Dark Vador

Tonton.........Tom Cruise

Le Chauffeur de la Mercedes...........Un mec que tu connais pas et moi non plus

 

Illustrations Sonores :

 Chewbacca

La Chèvre de Monsieur Seguin

 

Effets Spéciaux, Montage :

 Clavier AZERTY

 

 Cascades :

montagnes de l'O. des E.-U. et du Canada, parallèles à la chaîne côtière; culminant à 4392 m.

(Définition du dictionnaire encyclopédique Hachette, édition 2002)

 

Crédits musicaux :

 

L'Ode à la Joie de Ludwig Van Beethoven

Dies Irae de Giuseppe Verdi

O Fortuna (extrait de Carmina Burana) de Carl Orff

Thème de Mission Impossible (crée par Lalo Shifrin, réorchestré par Michael Giacchino)

Smoke gets in your eyes interprétée par The Platters

 

L'auteur tient tout particulièrement à remercier les propriétaires du Domaine de la Motte beurrée Saint-Sépulcre pour leur précieux concours

Cette histoire est dédiée à ma mémoire car c'est bien connu :

"j'ai la mémoire qui flanche, je ne me souviens plus très bien..."

Angelina-Jolie-91.jpg


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Angelina Jolie reviendra-t-elle ?

Le billet de train retour du narrateur a-t-il été retrouvé dans la chambre d'hôtel ?

Le Colonel Moutarde a-t-il fait le coup ? (à moins que ce soit Tonton Luc !!!)

Vous le saurez en lisant Hollywood Panic

 

 

Attention scène bonus exclusive rien que pour ceux qui sont restés sur leur siège après le générique de fin !!! 

 

Un jeune livreur de pizzas – et de vêtements à l’occasion – se glissa furtivement dans la chambre d’un hôtel miteux qui n’avait même plus d’eau chaude.

Il respira à pleins poumons les draps du lit avant de faire les poches des vêtements sales oubliés par mégarde (mais surtout par moi).

Bien sûr il trouva le médaillon de Tankpur Jilah.

Il le contempla un instant et tandis qu’il détaillait les symboles gravés à sa surface, une étrange lueur bleue éclaira son regard.

Alors il émit un rire diabolique :

 

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FIN

 

 Si vous aimez, découvrez :

dans ma tête, Les Aventuriers de l'Arc Tendu  et Polaroïd

 

 

T’as aimé…ou pas

T’as tout lu, tout vu, tout entendu…ou pas

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