mercredi, 10 septembre 2014
Le Romantisme [Méditations]
"Comme une porte restée ouverte sur l'autre monde, ou bien une réaction immunitaire au rationalisme cartésien, le romantisme a conservé la clé des songes, celle qui permet l'accès à la source unique de toute chose. Peut-être le XXIème siècle verra-t-il resurgir le rêve romantique à nouveau enfoui par les surréalistes au plus profond de l'enfer technologique et informatif du XXème siècle. Et s'il ne réapparaît pas dans un quelconque mouvement littéraire, culturel ou artistique, il y a tout de même fort à parier pour que la lumière des rêves serve de lanterne à l'être humain jusqu'à la fin des temps.
Car les néons ne remplaceront jamais le soleil."
Extrait de Le Livre des Rêves
(Sylvain Michelet/Roger Ripert/Nicolas Maillard)
Illustrations extraites de Le Combat du papillon
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vendredi, 09 août 2013
Peace from Piano [Musiques]
Ayant l'habitude d'illustrer mes écrits par des musiques, j'ai redécouvert trois partitions au piano dont la beauté mérite amplement un article à part entière afin de mieux les mettre en avant, pour le plaisir des oreilles. Si je savais vraiment jouer du piano, c'est typiquement ce genre de morceaux que je jouerais.
Illustration de mon poème Ta Place dans mes Rêves
Illustration de ma nouvelle Et le Ciel t'aidera
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dimanche, 05 août 2012
Le Combat du Papillon - Version Musicale [Musique]
Etant à ce jour très loin d'être en mesure d'écrire l'histoire en intégralité - encore moins de l'adapter en film d'animation - avec une vraie 3D !!! - je vous propose cette version concise un peu mutante, mais qui vous permettra, je l'espère de tout coeur, de comprendre mes intentions en terme d'émotions. Pour une compréhension plus complète de l'univers et des personnages, je vous invite à visiter les liens et/ou à consulter la catégorie Dessins et Nouvelles.
Prologue - La Genèse, l'Age d'Or, le Paradis Perdu. C'est la vision qu'a Sylvain au plus profond de son désespoir : des anges dotés d'ailes de papillon tour à tour survolent et se fondent dans un océan doré : l'Océan Divin. Mais l'océan s'assèche et les anges chutent sur la Terre : leur Enfer !
Par l'intermédiaire de ses rêves, Sylvain accède à la Terre de Beulah, baptisée ainsi par William Blake, un monde peuplé par des anges, les Papillons et qui luttent contre les Démons, des créatures issues des vices et des péchés humains. Il assiste à une bataille lors de laquelle il découvre le charismatique et puissant Monarque, Mentor des Papillons.
Monarque présente les autres Papillons à Sylvain et le guide à travers les merveilles de la Terre de Beulah (cf William Blake), véritable patrie de la poésie, où le coeur et l'esprit règnent en harmonie.
Sphinx, Monarque, Vanesse, Morpho et Saturnie-Atlas
Sylvain affronte le terrifiant Python, sa Bestialité, autrement dit la somme de tous ses Démons : la personnification de ses peurs, de sa colère et de son désespoir. Il doit impérativement le vaincre pour pouvoir devenir à son tour un Papillon, une âme pure et libérée. Alors qu'il est en difficulté, Vanesse, la compagne de Monarque, émue par son sort, tente de s'interposer. Python la terrasse et profitant de l'aveuglement de sa victoire, Sylvain parvient à le détruire au cours d'un duel dantesque.
Monarque porte le corps inanimé de Vanesse sous les yeux des autres Papillons. Il le place dans une colonne de lumière et le regarde s'élever lentement, tandis que ses larmes l'accompagnent et que son coeur crache des roses meurtries.
Sylvain devient le Papillon Apollon et découvre toute l'étendue des pouvoirs de la poétisation : la capacité de modeler son environnement selon son inspiration et d'user de la symbolique du romantisme comme d'une arme sans équivalent pour purifier les âmes corrompues par leur séjour terrestre.
Au cours de l'un de ses voyages, Apollon parvient à retrouver son grand amour perdu, l'une des causes mêmes de son désespoir. La boucle est donc bouclée. Alors qu'elle vient de détruire sa bestialité, il assiste avec émotion à sa transformation en Papillon. Elle répond désormais au nom de Diane.
Bouleversés par leurs retrouvailles, Apollon et Diane profitent de leurs récents pouvoirs pour poétiser à volonté et démontrer ainsi toute la beauté et la force de leurs sentiments.
Les Papillons affrontent un important et puissant groupe de Démons. L'occasion pour eux d'unir leurs pouvoirs comme jamais et de renforcer leur espoir en un avenir plus lumineux.
Au cours d'un combat, Monarque est gravement touché par un Démon. Lui qui n'a jamais eu à vaincre sa Bestialité pour devenir Papillon grâce à la présence de Vanesse, est contraint de mener enfin ce propre combat. Lorsqu'il l'apprend, Apollon tente de l'aider, mais il arrive trop tard et assiste, impuissant, à sa défaite.
Avant de disparaître, Monarque désigne Apollon comme le nouveau Mentor des Papillons. Il lui révèle aussi que Diane et lui sont l'unique clé pouvant ouvrir la Porte d'Ivoire qui sépare l'Humanité d'un nouvel Age d'Or. Et que désormais, plus Rien d'autre ne compte.
Diane et Apollon fusionnent, donnant naissance à Astralis (Cf Henri d'Ofterdingen de Novalis), seul capable de retransformer l'Humanité en Ame-Unité.
Epilogue - Astralis se transporte dans la réalité. Il découvre qu'il peut voir l'âme des hommes à travers leur corps et qu'il peut poétiser physiquement le monde.
Générique de Fin
THE END ?
T’as aimé…ou pas
T’as tout lu, tout vu, tout entendu…ou pas
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lundi, 25 avril 2011
Diaporama Féminité
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mardi, 13 juillet 2010
La Naissance de Sphinx [Nouvelles/Le Combat du Papillon]
« Mon amour est devenu une flamme qui consume petit à petit
tout ce qui est terrestre en moi. »
Novalis
Dès qu’elle franchit la grille d’entrée, il l’aima.
Lorsqu’elle passa près de lui, il crut qu’on lui envoyait un ange.
Ses blonds cheveux.
Ses yeux bleus.
L’ovale pur de son visage.
Sa peau crémeuse.
Sans parler de son regard.
Une véritable flèche d’amour décochée en plein cœur.
Elle arriva à bon port.
Il se sentit submergé par une vague de douceur.
Elle le remarqua à ce moment là. Et à son tour, elle fut la proie d’une émotion nouvelle et implacable.
Elle disparut au bout de l’allée sans omettre de jeter un dernier coup d’œil à son intention.
Il quitta le banc, tout disposé à la suivre jusqu’au bout du monde. Mais ses parents étaient avec elle. Il sut intuitivement qu’il la reverrait en ces lieux et que l’attente jouerait en leur faveur.
Si c’était bel et bien de l’amour, alors ce n’était que le commencement.
Il rêva d’elle et elle rêva de lui, si bien que lorsqu’ils se revirent, ils crurent qu’ils ne s’étaient jamais quittés. Et qu’ils rêvaient encore.
Elle était toujours accompagnée de ses parents.
Il est vrai qu’elle avait l’air d’être jeune, innocente aussi.
Elle était beaucoup plus jeune que lui. Dix ans les séparaient, peut-être quinze.
Il la dévisagea intensément. Peu importait.
Les parents notèrent son intérêt singulier pour leur fille. Ce qui ne fut pas de leur goût à en juger par leur expression.
Il n’aurait sans doute pas dû, mais il les défia du regard, eux et la bonne morale qu’ils semblaient vouloir incarner à tout prix, même au détriment du plus précieux des sentiments.
Ils s’éloignèrent rapidement, emportant avec eux la grâce et la beauté qu’ils avaient su mettre au monde.
Il sut dès lors que ce ne serait pas simple.
Mais il se jura que ce serait possible.
Le jour suivant, elle ne vint pas dans le parc.
Il comprit rapidement pourquoi.
Sa réaction les avait condamnés tous les deux.
Mais il était confiant.
Il la retrouverait.
Son cœur le lui affirmait.
Il ne la revit pendant plusieurs jours.
Ni dans le parc, ni ailleurs.
Le temps passé à espérer une nouvelle rencontre ne fit qu’attiser sa passion.
Son visage d’ange dansait dans son esprit.
Il décida de le graver comme il le pouvait.
Son art du dessin allié à ses sentiments fit des merveilles.
Il avait saisi l’essence de la jeune fille, immortalisant son âme d’une manière purement intuitive propre aux poètes les plus épris.
Ainsi, même dans l’incapacité de la voir, il lui suffisait de contempler son œuvre pour avoir l’impression d’être près d’elle.
Par hasard, à compter que le hasard eut sa place, il la revit à proximité de chez elle, de sorte qu’il eut la chance de voir où elle vivait précisément.
Toujours escortée des auteurs de ses jours, elle le vit du coin de l’œil et lui glissa un regard complice à la dérobée.
Il l’attendit sagement, à l’ombre d’un arbre, le cœur battant à tout rompre.
Lorsqu’il la vit sortir de la maison pour venir discrètement à sa rencontre, il crut que son cœur allait exploser dans sa poitrine.
Elle se planta devant lui avec une hardiesse propre à l’adolescence, ce qui l’intimida davantage. Ils commencèrent par se toucher des yeux, pudiquement, puis conscients qu’ils avaient peu de temps devant eux et que cette rencontre tenait du miracle, ils s’effleurèrent du bout des doigts. Lorsque leurs mains s’épousèrent, le courant passa parfaitement, cette électricité, cette foudre capable d’unir deux êtres que tout semble vouloir séparer.
Ils se réfugièrent chacun dans cet état de grâce providentiel, inattendu autant qu’espéré.
Lorsqu’il put parler, il lui demanda :
-Tu as quelqu’un ?
La question pouvait paraître absurde, mais sur l’instant elle lui paraissait des plus légitimes. En tous les cas, il avait besoin de la poser et d’avoir une réponse.
Elle sourit avec une candeur désarmante.
- Non, je suis encore jeune. Et toi ?
Il rougit.
- Oui.
Il la vit tressaillir, alors il ajouta rapidement :
- Toi.
Il lui tendit une feuille de papier roulée en cylindre.
- Ca te fera un souvenir de moi lorsque nous ne pourrons pas nous voir.
Elle prit l’objet qu’elle se contenta de caresser nerveusement.
Il sut qu’elle attendrait de retrouver son intimité pour l’ouvrir.
Il demanda :
- Tu as quelque chose à me laisser.
A son tour, elle rougit. Elle contempla ses mains vides, vierges de tout trésor.
Il les regarda avec adoration avant de les prendre à nouveau dans les siennes.
- Alors je vais devoir te ramener toute entière avec moi.
Elle parut réfléchir, hésiter. Puis finalement, elle lui dit :
- J’ai trouvé quelque chose que tu peux garder.
Elle se dressa sur la pointe des pieds et l’embrassa sur la commissure des lèvres.
Il en resta tout penaud.
Ils entendirent sa mère l’appeler au loin, depuis le jardin.
- Je dois y aller.
Sa voix tremblait suite à son geste.
- Comment tu t’appelles ? s’enquit-elle en faisant quelques pas en arrière.
Il lui répondit.
Elle répéta son prénom à voix basse comme pour mieux en savourer la sonorité.
- Et toi ?
Elle lui souffla son prénom à l’oreille avant de disparaître.
Il regarda sa silhouette s’éloigner en imprimant dans son esprit le moindre de ses gestes.
En rentrant chez lui, il répéta son prénom avec religion jusqu’à s’en imprégner totalement, jusqu’à en oublier le sien.
Ils furent dans l’incapacité de se voir pendant plusieurs jours.
Tels des cerbères, ses parents la tenaient sous bonne garde.
Un soir, il rentra chez lui, particulièrement aigri par la situation et son impuissance.
Il regarda sur la table l’alignement de bouteilles et de seringues comme autant de femmes lubriques prêtes à le faire plonger dans les délices pervers de l’anéantissement.
Il tendit une main tremblante vers elles, comme répondant à leur appel. Une soif qui semblait insatiable lui brûlait les entrailles. Il avala une rasade, puis deux, puis davantage. C’était de l’eau de vie, bien mauvais nom pour une telle boisson.
Alors qu’il portait de nouveau le goulot à ses lèvres, un visage angélique désormais familier revint danser dans son esprit comme une lueur au milieu des ténèbres.
Un visage sur lequel il pouvait désormais mettre un nom.
Il le prononça à voix haute comme un sorcier scanderait une formule magique seule capable de le délivrer d’un mauvais sort. L’incantation fonctionna. Il se sentit libéré.
L’innocence qu’elle représentait à ses yeux anéantit sa faim vicieuse et viscérale.
D’un geste violent il chahuta bouteilles et aiguilles qui se fracassèrent sur le sol et contre les murs de la pièce.
Il se laissa tomber sur un sofa miteux.
- J’ai plus besoin de ça, maintenant.
Et tout en s’abandonnant au sommeil, recroquevillé comme un enfant, le visage humide, il se promit d’aller dès le lendemain se mesurer aux cerbères retenant sa princesse en otage, loin de lui.
En Enfer.
Il sonna à la porte d’entrée.
Une femme d’environ quarante ans lui ouvrit.
Pour l’occasion, il s’était relativement bien habillé, sachant que son apparence naturelle jouerait déjà certainement contre lui selon les critères en vigueur chez la famille d’Ornella.
- Bonjour madame. Je connais votre fille.
Il se frottait les mains comme pour faciliter la sortie de chaque mot.
- Je suis tombé amoureux d’elle.
Elle le détailla du regard comme s’il venait de prononcer une grossièreté.
Il ne s’attendait pas à être accueilli à bras ouverts, mais de là à faire l’objet d’un tel mépris…
Elle regarda ses bras nus. Il les dissimula bien vite dans son dos, scandalisé par sa propre négligence.
- Je vous reconnais, dit-elle avec une froideur totalement démaquillée. Vous étiez dans le parc. Je n’ai pas l’honneur de vous connaître et je ne vois pas ce que vous voulez.
Il serra les poings.
- Je voudrais voir votre fille.
Il s’était fait violence pour prononcer le mot voir.
- Elle n’est pas ici.
Il se garda bien de lui dire qu’elle mentait très mal, mais sans doute était-elle déjà au courant. Il comprit alors que c’était un combat et qu’il devait gagner sur son terrain à elle.
- Je suis certain qu’elle souhaiterait me voir aussi. Elle m’aime.
La femme produisit un rictus de mauvais augure.
- Ne dites pas n’importe quoi. Aimer…à son âge ? Et puis, vous, vous vous êtes regardé ? Vous êtes beaucoup trop vieux. Et comment pourrait-elle aimer un…
Elle le toisa avec un dédain décuplé.
- Vous croyez que je n’ai pas vu les marques sur vos bras. Même vos yeux en disent long sur votre mode de vie dépravé.
Il se sentit faiblir sous ses assauts. Mais il ne devait pas craquer, pas ici, pas maintenant. Et surtout pas devant elle.
- J’ai arrêté tout cela, rétorqua-t-il avec plus de véhémence qu’il ne l’eut souhaité. Grâce à votre fille. Elle n’a rien eu à faire. Mon amour pour elle est pur et me guérit de tout.
La femme manifesta clairement son doute à ce sujet.
- Ecoutez, dit-elle avec l’évidente intention d’en finir, rentrez chez vous avant que j’appelle mon mari ou la police. Je ne sais pas ce que vous vous êtes imaginé un soir de beuverie, mais il est hors de question que vous remettiez les pieds ici. Ma fille ne vous connaît pas, ne vous aime pas et ne souhaite pas vous voir. Et il en est de même pour moi. Si vous persistez, je prendrais des dispositions, croyez-moi sur parole.
Elle le défia du regard.
- Je n’ai pas peur de vous, cru-t-elle bon d’ajouter.
Elle commença à fermer la porte.
- Il y a d’autres filles.
La porte se ferma complètement. Il se retrouva seul au monde, comme échoué au milieu de nulle part alors que sa princesse n’était peut-être qu’à quelques mètres de lui.
- Pas pour moi, répondit-il tardivement.
Il rentra chez lui, plus seul qu’il ne l’avait jamais été. Il se sentait anéanti. Rien ne pourrait le consoler. Personne ne serait en mesure de le réconforter, pas même une autre fille.
Rien ? Peut-être pas.
Il prit sa guitare et joua un air pour elle.
La musique n’avait pas de frontières. Cette pensée lui réchauffa le coeur.
Cela ne pouvait finir ainsi. Cela venait juste de commencer.
Ils avaient tant à se donner.
Il y avait forcément un moyen, un chemin. Il devait simplement le trouver.
A la tombée de la nuit, il sortit et marcha jusqu’à chez elle, sans espoir précis. Peut-être pourrait-il sentir sa présence derrière les murs qui la retenaient.
Il vit une fenêtre ouverte.
Il s’approcha à pas de loups.
Un réverbère à proximité éclairait la façade. Il reconnut le pâle ovale d’un visage et la cascade de cheveux blonds qui l’encadraient.
Son cœur s’emballa comme un cheval fou.
Il l’appela une fois, deux fois.
Elle baissa la tête et le vit.
La joie illumina sa figure d’un éclat presque surnaturel.
Elle l’appela à son tour comme pour se convaincre qu’il n’était pas un mirage né de son désir le plus assoiffé.
Sa voix était étranglée par l’émotion.
Il commença à grimper en s’appuyant sur la gouttière.
- Tu vas tomber ! s’exclama-t-elle.
- Non, je ne vais pas te faire ce plaisir. Et puis ton amour me donne des ailes.
Lorsqu’il parvint à la fenêtre, ils tombèrent dans les bras l’un de l’autre. Une fois relevé, il jeta un rapide regard autour de lui. Il était dans sa chambre et c’était réel.
- C’est mignon, tu…
Elle posa un doigt sur ses lèvres. Il faillit rougir de plaisir.
- Si mes parents savent que tu es ici…
- Je sais ce qu’ils feraient, dit-il en retrouvant une certaine gravité. Tu leur as parlé ?
Elle inclina la tête.
- Après que tu sois venu. C’est eux qui ont commencé à me parler, alors je leur ai tout expliqué à notre sujet.
- Que leur as-tu dit ?
Elle haussa les épaules.
- La vérité.
Il la prit délicatement par les bras.
- Alors ils n’ont pas du apprécier.
Il soupira.
- On va trouver une solution. On va trouver. C’est trop important.
La porte de la chambre s’ouvrit à la volée.
C’était les parents, le père en tête.
- Lâche ma fille immédiatement et écarte toi d’elle !
L’amoureux obéit à regret.
- Je savais bien que j’avais entendu du bruit. Sale ordure, il a fallu que tu reviennes en douce ! De la graine de camé qui veut rien comprendre !
- Je vous avais prévenu, renchérit la mère par-dessus l’épaule de son époux.
Le père était en robe de chambre, une main glissée dans une poche.
- Tu vas sortir d’ici immédiatement en t’estimant heureux que nous en restions là. Il n’y aura pas de troisième fois, tu m’entends !
L’intéressé serra les poings.
- Pourquoi vous n’essayez pas de comprendre ce qui nous arrive ? Si vous ne voulez pas le faire pour moi, faites-le au moins pour votre fille. Vous avez été jeunes, vous aussi…
La jeune fille répliqua à son tour :
- Il ne fait rien de mal, il n’est pas dangereux !
Le père grimaça comme si elle avait dit une sottise.
- Je me méfie des gens qui ne sont pas dangereux.
- Pourquoi ?
- Parce qu’ils peuvent le devenir.
Sur ces mots, le père se fit plus menaçant.
- Je n’ai pas l’intention de négocier quoi que ce soit. Vous ne vous reverrez pas, un point c’est tout. C’est un ordre et vous allez vous y conformer que ça vous plaise ou non.
Il fixa avec haine celui qu’il considérait comme un criminel :
- Sors d’ici ou je te fais arrêter pour violation de domicile !
- Et pour détournement de mineure, s’empressa d’ajouter la mère.
Comme l’intéressé ne semblait pas vouloir obtempérer, le père ajouta :
- J’ai une arme.
Le visage du jeune homme se crispa.
- Moi aussi.
Il glissa une main sous sa veste.
Le père n’hésita pas. Il sortit son revolver et fit feu.
Avec une précision qu’il devait regretter toute sa vie.
La balle atteignit l’amoureux à la tête. Il tomba violemment au sol, sa chute annonçant sa mort plus que l’impact lui-même.
Ornella se jeta sur son corps inerte en poussant un cri déchirant.
- Il n’avait pas d’arme ! Il voulait parlait de son cœur.
Puis elle pleura sans discontinuer.
La mère prit le revolver des mains de son époux. Ils se dévisagèrent, conscients du drame qui venait de se jouer. Cette balle venait de briser leur destin à tous.
Paralysé par son acte, le père regarda sa fille se jeter sur lui et le frapper de ses poings menus jusqu’à être certaine de lui faire mal.
Plusieurs jours passèrent.
Elle resta cloîtrée dans sa chambre, les yeux fixés sur le portrait qu’il avait fait d’elle, tout du moins quand ses larmes le lui permettaient. Des larmes qui n’avaient guère le temps de sécher.
Le monde avait dévoilé sa vraie nature : une abominable supercherie, un monstrueux piège dans lequel elle ne voulait plus mettre un pied.
Elle avait tout perdu, l’impression de mourir avant d’avoir vécu et de sentir son amour périr prématurément comme un infortuné nouveau-né.
Elle en avait mal au ventre.
Un soir, sa mère frappa à la porte. Elle entra après avoir attendu vainement une réponse qu’elle savait d’avance ne pas obtenir.
Elle posa le plateau-repas sur la commode et observa la forme recroquevillée dans le lit.
Elle se sentait si impuissante. Mais elle essayait malgré tout de se convaincre que cela ne durerait pas.
Peut-être un sentiment de culpabilité motivait-il cette pensée.
Elle s’éclaircit discrètement la gorge.
- Je sais que tu ne vas pas bien, que tu as mal. Je ne prétends pas savoir à quel point. Je l’ignore. J’aimerais tellement que tu me parles.
Elle marqua une pause. Comme rien ne bougeait dans le lit, elle reprit :
- Si tu savais combien ton père regrette ce qu’il a fait. Il ne voulait pas aller jusque-là. Il voulait vraiment te protéger. C’est ce que nous voulions tous les deux. Il a eu peur. Mon dieu, tout s’est passé si vite !
Elle commença à sangloter.
- Il est vraiment en difficulté. Te voir lui ferait tant de bien.
Seul un silence entêtant lui fit écho.
Un silence étudié.
La jeune fille ne dormait pas et sa mère ne le savait que trop bien.
Elle quitta la chambre sans un bruit.
Au milieu de la nuit, elle ne dormait toujours pas. Si bien qu’elle entendit clairement la voix l’appeler par son prénom. Une voix qu’elle reconnut immédiatement.
Elle se dressa dans son lit et alluma sa lampe de chevet.
La fenêtre était fermée, la porte aussi.
Ce n’était pas possible. Elle avait dû rêver.
Mais lorsqu’elle vit un rosier fleurir autour du portrait qu’il avait fait pour elle, elle n’eut plus de doute. Elle bondit du lit.
Une silhouette humaine se tenait debout devant elle, son identité protégée par les ombres.
Le cœur de la jeune fille suffit à percer les ténèbres. Elle sauta dans les bras de son amoureux.
- C’est impossible, c’est un rêve !
Dans son étreinte, elle se sentit ressusciter. Et il devait en être de même pour lui. Il émanait de lui une telle douceur, comme si son cœur l’enveloppait et diffusait directement son amour autour de lui. Plus tard, elle comprendrait que c’était précisément ce qui se passait.
- Je ne comprends pas, dit-elle, des larmes plein les yeux, comment peux-tu être ici ? J’étais à l’enterrement. Que t’est-il arrivé ? Dis-moi que je ne suis pas folle et que tout cela est réel !
Il sourit tendrement et s’écarta légèrement. Il avait bien toujours le même visage, mais il était nu, sans sexe apparent, tel un ange. Son corps projetait une lumière opaline. On aurait dit une statue vivante.
- C’est réel, dit-il en cueillant l’une de ses larmes du bout du doigt. La seconde d’après elle se changea en rose qu’il glissa dans l’or de ses cheveux.
- La poésie est le réel absolu.
Elle le regardait, fascinée et hébétée, comme désireuse de croire à cette magie à tout prix tout en redoutant un nouveau coup du sort.
- Mon corps est mort et l’illusion qu’il représentait est morte avec lui. Tu me vois maintenant dans toute ma vérité. Si seulement tes parents avaient pu me voir ainsi. En voyant l’expression d’Ornella changer, il craignit d’avoir ravivé le drame. Il lui prit la main.
- Tu te souviens, mon amour, tu m’as donné des ailes. Des ailes à mon âme.
A ces mots, il baissa la tête et deux ailes géantes de papillon se déployèrent dans son dos comme deux vivants arcs-en-ciel, déversant dans la pièce un somptueux ballet de couleurs et de lumières. Ornella pleurait, mais cette fois la douleur était exempte. Elle pleurait de joie et d’émerveillement.
Il recula alors encore un peu, estompant volontairement la magie qu’il avait fait naître.
- Je dois partir, Ornella.
La nouvelle estomaqua la jeune fille.
- Non, reste. Ne me laisse pas ici, toute seule.
Elle s’efforçait de ne pas crier de peur d’alerter sa mère, sans doute aussi éveillée qu’elle.
- Je n’ai pas le choix, répondit-il avec gravité. Je suis d’ailleurs. Je ne peux plus vivre ici. Cela m’a énormément coûté de venir te voir. Plus que tu ne peux l’imaginer. Mais je te le devais. A présent que c’est fait, je dois m’en retourner.
- Mais où vas-tu ? Emmène-moi avec toi. Je t’en supplie ! Moi non plus je ne peux plus vivre ici !
Il la dévisagea intensément.
- Tu as déjà rêvé de moi ?
- Bien sûr !
- Alors tu sauras me retrouver. Ton âme saura. Je t’aime.
Il prononça une dernière fois son prénom et l’embrassa à la commissure des lèvres.
Quelque chose qui ressemblait à un œil s’ouvrit au milieu de son front et la seconde d’après il n’était plus là.
Terrifiée à l’idée de ne plus jamais le revoir, Ornella ouvrit instinctivement la fenêtre. Elle ne vit rien, bien sûr, mais soudain, une chaleur réconfortante l’envahit. Elle cueillit la fleur dans ses cheveux et contempla le dessin à demi recouvert par les roses.
Oui, elle trouverait.
Elle le retrouva bel et bien.
Rien ne semblait être en mesure de les séparer.
En étant à nouveau si proche de lui, elle ne put retenir un chapelet de larmes qui eurent l’étrange idée de s’envoler.
Elle manifesta sa stupeur et lui son amusement.
- Ici tout est léger et appartient au ciel.
Il la serra dans ses bras et déploya ses ailes pour l’en couvrir comme d’un manteau.
- Bienvenue dans le pays où l’amour est roi. Tu es ici chez toi.
Il lui fit visiter les lieux, des lieux qui avaient l’étrange propriété de se métamorphoser pour peu qu’on y regardât à deux fois.
Ils survolèrent des forêts qui se changèrent en montagnes vertigineuses qui à leur tour se changèrent en vallées verdoyantes. Le cycle était infini.
Tout était sans cesse renouvelé, sans cesse en mouvement, comme si un peintre invisible à l’humeur insatiable retouchait indéfiniment le paysage.
- C’est merveilleux ! dit Ornella, au comble de la joie. Mais qui fait tout ça ?
Son amoureux la tenait près de lui. Ses ailes les maintenaient tous deux en l’air. Ornella pouvait voler, elle aussi, mais elle l’ignorait encore. Il sourit.
- C’est nous.
Elle écarquilla les yeux d’étonnement et ce faisant, elle vit plusieurs nuages éclater dans une pluie de flocons de neige.
- Mais comment… ?
- En ces lieux tout est lié et s’influence constamment. Nos émotions, nos états d’âme génèrent des transformations dans notre environnement qui lui-même génère en nous de nouvelles émotions. Et ainsi de suite. C’est un éternel ballet de couleurs, formes et de sensations. Tout participe à l’harmonie générale.
Tout en expliquant, il désigna un volcan en éveil crachant un nuage de fumée affectant la forme d’un cœur.
Ornella serra plus fort la main de son amoureux.
- C’est magnifique ! Comment s’appelle cet endroit ?
- Le poète William Blake l’appelait La Terre de Beulah. Mais j’imagine qu’elle a bien d’autres noms.
- Je ne veux jamais partir d’ici, reprit Ornella, métamorphosée par son expérience. J’ai l’impression d’être au Paradis. C’est le plus beau rêve que j’aie jamais fait.
Son amoureux la dévisagea avec une étrange solennité :
- Ce n’est pas un rêve, Ornella. C’est ce que nous sommes en train de vivre, toi et moi.
Le visage de la jeune fille se rembrunit, assombrissant du même coup l’horizon.
- Mais si je me réveille, tout ce que nous aurons vécu ensemble en ces lieux ne se résumera pour moi qu’à un rêve, même le plus beau.
Il se crispa comme s’il comprenait la dureté de la réalité. Sa réalité à elle.
- Je peux te jurer qu’il aura la valeur d’un souvenir.
Il l’invita à un ballet aérien improvisé, l’éloignant et la rapprochant alternativement de lui. Elle se prit vite au jeu et fit preuve d’une grâce et d’une imagination qui le comblèrent.
Après avoir longtemps virevolté dans la plus parfaite osmose, ils se posèrent aux abords d’une cascade vertigineuse, les yeux embués de bonheur.
« Faites que je ne me réveille pas ! » se répétait Ornella.
« Faites qu’elle ne se réveille pas ! » se répétait son amoureux tout en étant convaincu qu’il était de son devoir et en son pouvoir d’exaucer ce vœu.
- On pourrait nager un peu pour changer, proposa-t-elle, toute guillerette.
- Bonne idée !
- L’eau est bonne ?
Il sourit.
- Seulement si tu le désires.
La jeune fille demeura bouche bée avant d’éclater de rire.
- Je veux une eau au goût de fraise !
La seconde d’après elle plongea sans retenue du haut de la falaise. Il ne trouva rien de mieux à faire que l’accompagner en hurlant :
- Je suis allergique aux fraises !
Encore une fois, ils jouèrent et s’occupèrent en toute liberté pendant un temps qu’ils furent bien incapables d’évaluer. Et c’était évidemment le moindre de leur souci.
Enfin rassasiés de leurs distractions aquatiques, ils s’enlacèrent et observèrent un couple de dauphins au corps irisé se lancer dans un concours de pirouettes.
Ornella regarda son amoureux. Il avait l’air songeur.
- A quoi penses-tu ?
- Je me disais que tout le monde devrait pouvoir venir ici, au moins de temps en temps. Sur Terre, certaines personnes n’ont aucun refuge. Si l’imagination est un luxe, nous sommes des milliardaires.
- Tu ne devrais pas être triste. Je pense que tout le monde peut venir ici. J’en suis convaincue. Il suffit d’en avoir besoin, non ?
Il secoua la tête et déposa un baiser sur son front.
- Tu ne trouves pas que l’eau a un goût bizarre.
Ornella faisait la grimace.
Il goûta l’eau à son tour et tout son être fut retourné lorsqu’il en reconnut la saveur.
- Non, pas ça !
C’était de l’eau de vie. Et il sut que ça ne pouvait venir d’Ornella. Il avait laissé ses pensées s’égarer vers de lointains souvenirs, l’emporter à nouveau vers ses angoisses existentielles. L’espace d’un instant, il était redevenu le junkie qu’il pensait avoir tué pour toujours. Il comprit que ses démons l’avaient poursuivi jusqu’ici et que rien n’était encore fini. Il avait un dernier combat à mener pour être enfin libre. Il s’alarma.
- Sors de l’eau, Ornella ! Vite !
Elle le regarda, apeurée, avant de lui obéir.
L’eau était devenue sombre. Le ciel aussi. Un orage couvait.
Il regarda la jeune fille s’éloigner et la suivit tout en essayant de contrôler ses pensées. Mais il avait l’impression de ne plus rien contrôler. Ses démons l’envahissaient inexorablement. Il pouvait presque ressentir à nouveau cette faim vicieuse et viscérale qu’il avait dû tant de fois combattre, qui l’avait tant de fois vaincu.
Lorsqu’il entendit Ornella pousser un cri en arrivant sur la berge, il sut que ses démons avaient de nouveau pris corps dans leur Paradis. En un éclair, il fut à ses côtés. Il la souleva dans ses bras en découvrant avec horreur le sol jonché de tessons de verre et de seringues usagées.
- Mais qu’est-ce qui est en train de se passer ? s’enquit la jeune fille. C’est toi qui fais ça ?
Il allait répondre lorsqu’une douleur indicible lui fouetta les entrailles.
Il lâcha brusquement Ornella qui manqua s’empaler sur les bris de verre maintenant aussi hauts que des arbustes. Impuissante, elle regarda son amoureux tomber à genoux en se tenant le ventre.
- Tu as mal ? Qu’est-ce qui t’arrive ?
Il dressa brusquement la tête. Il n’était plus le même. L’iris et la pupille de ses yeux étaient devenues intégralement noires. Ses oreilles se terminaient en pointe, quant à sa voix…Elle ne la reconnut pas quand il s’adressa à elle :
- Va-t-en, cours ! Ne reste pas près de moi ! Je t’en supplie, Ornella, si tu m’aimes, fais ce que je te dis !
La jeune fille se recula, moins pour lui obéir que pour obéir à sa peur.
- Mais dis-moi ce que tu as ! Je peux sûrement t’aider !
Son corps se mit à tressauter comme si quelque chose d’énorme ou de puissant le possédait et manifestait l’envie de sortir.
- Non, il faut que tu partes. Réveille-toi, s’il le faut, mais ne reste pas ici ! Elle m’envahit. Je ne… contrôle… plus rien.
Il poussa un cri déchirant et tandis qu’il ouvrait démesurément la bouche, une masse sombre, poisseuse et informe jaillit et coula sur le sol en un immonde ruisseau.
Tout en se dressant de façon menaçante, l’entité commença à prendre forme.
- Je ne peux pas t’abandonner ! hurla Ornella. Pas avec cette chose !
Bien que très affaibli, il trouva la force de se redresser un peu et alors il hurla à son tour :
- Tu ne comprends donc pas ! Elle va te tuer, elle n’existe que pour cela ! Elle dévore tout ce qui est innocent pour devenir plus forte encore ! Je ne veux pas te perdre Ornella !
Les mots parurent faire leur effet sur la jeune fille. Elle ferma les yeux et se retournant, courut droit devant elle. Mais il était déjà trop tard.
La Bête avait fini de prendre forme, ce qui dans son cas, ne voulait pas dire grand-chose. L’on ne pouvait lui donner de nom, ni même la décrire tant son aspect repoussait les limites connues de la terreur. A elle seule, elle représentait un nouveau canon dans le domaine de l’horreur.
Sphinx remarqua plus particulièrement les aiguillons recouvrant son épiderme, évidente analogie à l’une de ses dépendances terrestres. Et comme pour rajouter à l’infâme tableau qu’elle constituait à elle seule, l’air était empuanti par son odeur, un mélange insoutenable de remugle et de miasmes alcoolisés.
Cette chose qu’il avait crachée hors de lui était sa part de ténèbres, la somme de toutes ses malédictions, l’addition de ses tourments et de ses vices.
Il devait l’affronter et il devait la vaincre. Pour le salut de son âme et celui de son amour.
L’orage éclata comme pour annoncer le début des hostilités et une pluie diluvienne se mit à tomber. La pluie aussi avait un goût : celui de l’amertume.
La Bête faisait bien trois mètres de haut. Elle paraissait aveugle, du moins elle ne possédait pas d’organes apparents. Elle renifla plusieurs fois avant de se mouvoir en direction d’Ornella, en rampant rapidement tel un serpent affamé.
Cette vision menaçante eut le don de revigorer complètement Sphinx. Il déploya ses ailes et disparut pour réapparaître près de la jeune fille que la Bête poursuivait en écumant de joie. Des gueules s’ouvraient et se refermaient sporadiquement dans son poitrail velu. Les langues boursouflées qu’elle dépliait outrageusement semblaient elles-mêmes animées d’une vie propre. Sphinx se plaça devant Ornella dans une attitude protectrice avant de riposter. De ses deux mains il ouvrit sa poitrine, libérant une aveuglante sphère de lumière qui consuma les ignobles appendices s’aventurant un peu trop près.
- Qu’est-ce que c’est ? hurla Ornella en proie à une frayeur sans nom.
Sphinx scrutait l’entité maléfique comme le reflet impie de lui-même.
- Mes démons, l’incarnation de mes démons.
Ornella était terrorisée. Le rêve avait tourné court. Encore une fois, la réalité reprenait ses droits, même ici. Et pas de la plus belle manière.
- Tu peux la vaincre ?
L’intéressé dévisagea brièvement la jeune fille, mais avec une extrême intensité.
- Avec toi à mes côtés, je peux tout vaincre. Et je suis invincible.
La Bête le savait aussi, naturellement, et c’est justement pourquoi elle chercha à tout prix à les séparer.
Une immonde forêt de tentacules et d’autres appendices innommables s’extraya de son corps pour arracher Ornella de ses bras. Il repoussa tant bien que mal les assauts en générant des sphères de lumière et d’autres symboles de sa pureté. Son amour était un moteur puissant, mais la Bête avait plus d’expérience.
Ses tentacules se rétractèrent subitement et les dards hérissant ce qui lui tenait lieu de dos se projetèrent sur le couple. Sphinx improvisa un bouclier de fleurs qu’il espéra assez puissant, puis tout à coup inspiré, il fit résonner, par-dessus les borborygmes incessants de l’entité, la mélodie qu’il avait créée pour Ornella sur sa guitare, un soir plus triste que les autres, dans son ancienne vie. Il sourit en voyant sa Némésis se tordre de manière significative. La symbolique était sa meilleure arme ici et il compter bien en abuser.
- Tu ne m’auras pas et elle non plus ! Je te détruirai, je le jure !
Mais une vois dans sa tête, sa propre voix, lui promit exactement le contraire.
La fureur de la Bête était sa meilleure arme à elle. Elle y puisait toute sa force. A l’idée d’échouer si près du but, elle sembla grossir davantage. Un aiguillon déchira le bouclier et transperça le front de Sphinx. Il lâcha Ornella malgré lui et après avoir extirpé l’arme, il dût lutter sauvagement contre les effets de la blessure. Une blessure qui menaçait de corrompre ce qu’il y avait de plus beau en lui. Un appendice enleva Ornella sous ses yeux. En dépit de sa volonté de la secourir, Sphinx se sentit impuissant, comme si une partie de la Bête s’était insinuée en lui.
- Ornella !
En voyant la jeune fille terrifiée se rapprocher de l’une des gueules voraces, il retrouva un regain d’énergie. Il se concentra. Les motifs de ses ailes flamboyèrent, dardant sur le monstre un chapelet de rayons purificateurs. Des flammes léchèrent le ventre grouillant d’une vie impie et le tentacule retenant la jeune fille se décomposa. Elle retomba sur un tapis de fleurs imaginé par son protecteur qui s’envola pour la mettre hors de portée de la Bête, dans un endroit que lui seul connaîtrait. Mais ce faisant, il oublia qu’il partageait le même esprit que son ennemi.
Sphinx s’acharna à détourner son attention, la frappant de ses projectiles assassins, l’insultant, la mutilant. La Bête devint furieuse, mais ne changea en rien ses intentions. Sans crier gare, elle laissa tomber toute sa répugnante masse sur lui, l’écrasant et l’immobilisant. Il tenta bien de se téléporter, mais au contact rapproché de la Bête, sa blessure se réveilla et anéantit son effort. Alors elle en profita pour se métamorphoser. Son dos se craquela et deux paires d’ailes noires et huileuses se déplièrent, emportant une partie de l’entité dans les airs à la poursuite d’Ornella, tandis que l’autre se chargeait d’assimiler totalement Sphinx, la partie qui lui manquait pour être entière.
La pensée de perdre son âme-sœur fut l’étincelle qui permit à Sphinx de conserver son identité et son énergie propres. Il banda son cœur et en même temps qu’il poussait un cri terrible, il décocha une véritable bombe qui souleva son bourreau et le pulvérisa.
Sphinx se dressa, victorieux, sous une pluie de cendres. Un hurlement strident d’Ornella le paralysa, lui annonçant une horrible tragédie.
Il déploya ses ailes et se transporta aussitôt auprès de sa bien-aimée.
Du moins à l’endroit précis où elle aurait dû se trouver.
Lorsqu’il découvrit des fleurs éparses jonchant le sol ainsi que des ronces noires et huileuses lovées autour d’elles, il comprit qu’il arrivait trop tard. Le mal était déjà fait. La chevelure d’or finissait de disparaître dans les entrailles putrescentes de la Bête lorsqu’il posa son regard sur elle.
- Ornella !
En poussant son cri de guerre, il s’élança sur le démon qui fit de même. Le choc fut terrible. La terre se fissura et le ciel se brisa comme un miroir, déversant à nouveau des trombes d’eau. Une explosion de lumière absorba le paysage entier avant de le régurgiter dans le plus grand chaos. Une ombre retomba au sol. C’était Sphinx.
Il avait réussi, mais à quel prix. Il avait gagné sa liberté, mais il avait perdu Ornella.
Son cœur était orphelin, son âme mutilée. Et il sut dès lors que rien ne pourrait changer cela.
La blessure sur son front s’anima fugitivement. Ses yeux s’assombrirent un bref instant avant de reprendre un aspect innocent.
La plaie cicatrisa en un instant et demeura sur sa peau tel un insolite tatouage, une marque indélébile, la signature de la Bête siégeant toujours en lui, à son insu. Affaiblie, mais dans l’attente fébrile de pouvoir faire à nouveau surface.
Sphinx posa une main sur sa poitrine.
- Tu es avec moi, Ornella. Nous serons toujours ensemble. Où que tu sois, où que j’aille.
La jeune fille avait exaucé leur voeu commun : elle ne se réveillerait plus jamais.
A cette pensée, il se mit à pleuvoir.
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jeudi, 24 juin 2010
Le Combat du Papillon [Nouvelle Affiche]
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mardi, 22 juin 2010
Dans l'Esprit de Morphée [Roman Graphique]
21:13 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : romantisme, poésie, rêve, amour, esprit, dessin, illustration, bd, roman graphique, fantastique
Le Songe des Ecureuils
CHAPITRE 1
You are so Beautiful
- Allez, dis-moi où on va ? répéta Catherine, suppliante.
Elle était allongée sur le sofa, ses longs cheveux noirs se déversant jusqu'au sol telle une cascade de soie. David les caressait avec religion. Penché au-dessus d'elle, il contemplait son visage comme pour la première fois. Ce n'était pas simplement dû à sa beauté. Son regard trahissait une vive intelligence, une rare bonté d'âme et une douceur à fleur de peau.
- Ce n'est plus une surprise, si je te le dis.
- Mais tu sais très bien que c'est moi qui conduirai.
- N'empêche que je ne dirai rien quand même.
Ils étaient coutumiers de ces petites joutes verbales. Comme tous les couples, ils se chamaillaient régulièrement, surtout pour des broutilles, alors ils appréciaient particulièrement de les inventer de toutes pièces. Ainsi, ils s'en sentaient maîtres et pouvaient leur donner la forme qu'ils souhaitaient les voir prendre; une forme de liberté.
Catherine fronça les sourcils, mimant une contrariété.
- Je ne suis pas bête. Je verrai les panneaux. Je trouverai bien.
David leva un sourcil, feignant l'indifférence.
- Peuh. Ce ne sera sûrement pas indiqué. Tu peux me croire, notre destination demeurera secrète jusqu'au bout. Tu sauras où on va que quand on y sera, ma chère.
Elle fit la moue.
- C'est un patelin paumé ou quoi ?
David prit un air de supériorité exagéré.
- Tu verras.
- Ca existe, au moins ? J'espère que ce n'est pas encore une de tes inventions, genre la ville imaginaire de trou perdu-les oubliettes.
- C'est très réel, tu verras par toi-même. Et puis d'abord, la réalité ça n'existe que pour ceux qui n'ont pas d'imagination.
Catherine siffla.
- Faudra que je la replace celle-là. Mais, dis-moi, je dois le prendre comment ? T'es en train de dire que je n'ai aucune imagination, c'est ça ?
De la voir singer la colère la rendait irrésistible. David l'embrassa.
- Mais non. J'adore cette phrase, je trouve qu'elle en jette. Alors dès que je peux la placer, je n'hésite pas. Tu me connaîs.
Catherine eut l'air dubitatif.
- Je suis sceptique. Fais-toi pardonner.
- Ca tombe bien, dit-il en lui caressant le visage, j'ai quelque chose à te dire qui va sûrement te plaire.
- Si c'est une phrase du même acabit, tu peux te la garder.
- Mais non, grande râleuse. Celle-là, tu vas l'adorer, je te le garantis.
- Vas-y, alors. Je suis tout ouïe.
David bougea légèrement comme pour mieux se préparer à la convaincre.
- Quelle est la différence entre un homme et une femme ?
Catherine pouffa.
- Alors là, c'est facile. Au moins un million d'années d'évolution.
David pinça les lèvres, singeant la contrariété.
- C'est la féministe qui parle ?
- Non, juste la scientifique.
- En tout cas, ce n'est pas la bonne réponse.
- Ca m'étonnerait. J'ai fait des études très poussées.
- Et je paris que j'étais un très bon sujet d'études.
- Comment tu as deviné ?
- De toutes façons, ce n'est pas la bonne réponse.
A son tour, elle feignit l'indifférence.
- Alors je m'en fiche.
- Je te dis qu'elle va te plaire.
- Très bien, je t'écoute.
- Donnez un fusil à un homme et il vous demandera qui il doit tuer. Donnez ce même fusil à une femme et elle vous demandera qui il a tué.
A la manière dont le visage de Catherine reprit son sérieux, David sut que la réponse avait fait plus que lui plaire.
- Qui a dit ça ?
- C'est le slogan de mon prochain bouquin.
- Et c'est moi que tu traites de féministe !
Ils s'embrassèrent.
Ils étaient enlacés comme des enfants tentent de se réchauffer par une glaciale nuit d'hiver.
Mais Catherine et David n'avaient pas besoin d'avoir froid.
Catherine appelait ça la position des écureuils. Elle trouvait ça mignon. L'image lui plaisait beaucoup.
David, lui, appelait ça la position des musaraignes, sûrement par ironie, surtout par esprit de contradiction.
- Pourquoi des écureuils ? Je ne comprends toujours pas.
- C'est normal, tu es un homme.
- Ah ! Ah ! Très drôle. C'est tout ce que tu as trouvé comme explication ?
- Non. C'est beaucoup plus complexe en fait.
- Ah, tiens donc !
- Et c'est pour ça que tu ne peux pas comprendre.
- Je te signale que je ne suis pas un homme.
- Ah, bon ! C'est nouveau ça ! Et tu es quoi, au juste ?
- Je suis un artiste, madame, déclara David en bombant le torse.
- Pour ce que ça change.
- Tu n'es vraiment pas gentille.
- Et toi pour un artiste, tu manques vraiment d'imagination. Si j'appelle ça la position des écureuils, c'est parce que les écureuils font comme ça pour se réchauffer. Na !
- Parce que tu vas me dire que tu as déjà vu des écureuils s'enlacer peut-être !
- Non, mais je suis sûre qu'ils font comme nous.
- Si ça se trouve, c'est nous qui avons inventé cette position. Si ça se trouve, les écureuils nous l'ont piquée et font croire qu'ils en sont les inventeurs. Au départ, ça s'appelait sûrement la position de Catherine et David.
Ils éclatèrent de rire.
- A ton tour de te justifier. Pourquoi des musaraignes ? Je ne sais même pas à quoi ça ressemble vraiment.
- C'est une sorte de petit rongeur. Un peu comme un écureuil, en fait, très mignon aussi.
- Et tu vas prétendre avoir déjà vu des musaraignes s'enlacer alors que le commun des mortels n'en verra jamais la queue d'une !
- Bien sûr, je suis un artiste. J'ai tout vu.
- Quelle déception ! Moi qui croyais que tu avais simplement de l'inspiration. En fait, tu viens d'avouer que tu n'as aucun mérite. Tu n'inventes rien. La vérité, c'est que tu n'as aucune imagination.
- Je n'en ai pas besoin. Je t'ai, toi.
- Oui, moi, ta musaraigne.
- Non, ma muse tout court.
Ils s'embrassèrent.
- Alors où tu m'emmènes ?
- Tu perds pas le nord, toi ! Oublie ça, je ne te dirai rien.
- Même pas sous la torture ?
- Non.
- Même pas sous mes caresses ?
David allait répondre quelque chose, mais son assurance venait d'être subitement ébranlée.
- Faut voir.
CHAPITRE 2
Unintended
- Tu es sûr que c'est par là ?
- Bah oui, je sais lire une carte.
- Une carte de vœux, peut-être...
- Tu m'insultes là ?
Elle le dévisagea franchement.
- Non, je t'informe, c'est tout.
A son tour, il la scruta intensément, quêtant un trait d'ironie. N'en trouvant aucun, il commença à grimacer.
Ils éclatèrent de rire tous les deux.
La voiture empruntait une route déserte traversant une forêt.
- Mets-nous un peu de musique.
Il alluma l'autoradio.
- A vos ordres.
Il chercha une station, guettant à chaque fois une réaction positive.
Il avait presque fait le tour des possibilités lorsque les premières mesures d'une chanson envahirent l'habitacle. Ils se figèrent au même moment et immédiatement le même frisson les parcourut des pieds à la tête.
Ils se dévisagèrent. C'était Unintended de Muse.
Tous les couples ont une chanson. Celle-ci était la leur.
Elle avait le don de les guérir de tout, de sublimer l'un aux yeux de l'autre, comme écrite rien pour eux. Lorsqu'ils l'entendaient, leur amour prenait la place du monde entier.
Tout à leur émotion, ils ne virent pas le croisement, pas plus que le poids lourd venant dans leur direction.
Il les heurta de plein fouet.
La voiture quitta la route et roula sous les arbres comme un jouet fou. Lorsqu'elle s'immobilisa, leur chanson se faisait toujours entendre, en dépit de tout, comme se riant de la tragédie.
Catherine essaya de bouger. Elle avait du sang sur les yeux et sa tête pesait aussi lourd qu'une enclume. Sous le choc, sa portière s'était ouverte. Elle se tourna vers David.
Il était inconscient.
La voiture avait arrêté sa course folle contre un arbre au milieu d'un talus, en pleine forêt. La vitre du côté passager s'était brisée si bien que la tête de David était appuyée à même l'écorce.
- David.
Pas de réponse.
Il fallait qu'ils sortent de là pendant qu'ils le pouvaient encore.
Catherine allait défaire sa ceinture lorsqu'elle entendit un craquement de sinistre augure. D'un revers de main, elle essuya le sang qui lui obscurcissait la vue et plissant les yeux, s'aperçut avec horreur que le tronc d'arbre était sur le point de céder. Si cela se produisait, ils perdaient leur seule chance de s'en sortir vivants. Elle en était convaincue. Toute l'étendue de son angoisse s'exprima dans un seul mot :
- David !
Seul le silence lui répondit.
Catherine s'escrima à défaire sa ceinture, les craquements de l'écorce accompagnant ses efforts, les décuplant. La chanson continuait, imperturbable :
"You could be my unintended choice
To live my life extended
You should be the one I'll always love..."
Brusquement, les craquements cessèrent.
Catherine se figea. Elle tourna la tête vers l'arbre, seul rempart entre eux et la mort qui les attendait en bas de la pente. Lorsqu'elle comprit qu'il allait céder, elle n'eut d'yeux que pour l'homme inerte, assis à côté d'elle, avec lequel elle avait pensé finir ses jours.
- David !
Elle ne trouva rien d'autre à faire que refermer sa portière et fermer les yeux.
Mais ce n'était pas un simple tour de montagnes russes qui les attendait.
Le tronc se déchira et dans le silence qui s'était installé, cela fit l'effet d'une explosion.
La voiture se remit à rouler dans un chaos indescriptible de tôle froissée, les arbres se renvoyant le véhicule comme une balle de flipper. La dernière pensée de Catherine, avant que son esprit ne sombre dans le néant, fut qu'elle ignorerait pour toujours où David avait prévu de les conduire.
La carcasse s'arrêta au bord d'une rivière, en contrebas.
La chanson se tut brusquement comme si elle avait compris qu'elle ne servait plus à rien.
CHAPITRE 3
Il ouvrit les yeux.
Il ne comprit pas.
Il était allongé dans un lit. Sa tête n'était qu'une douleur sur ses épaules trop petites pour la supporter. Le côté droit de son corps aussi était endolori. La pièce qu'il occupait n'avait rien d'une chambre d'hôtel. Un peu trop épurée.
- Hôpital, murmura-t-il comme pour mieux se faire à l'idée d'un séjour forcé. Il se serait retrouvé en prison que cela lui aurait probablement fait le même effet.
Il regarda autour de lui en préservant au maximum la motricité réduite de son cou. Il était seul. Il ignorait depuis combien de temps il était ici. Mais cela l'inquiétait infiniment moins que de savoir où pouvait bien être...
- Catherine !
Une vision traversa son esprit avec la fulgurance d'un éclair.
Et des dégâts similaires.
Il revit la route déserte. Le silence. L'insouciance.
Il revit le choc terrible de la collision.
Il revit l'intérieur de la voiture tournoyant comme un manège devenu fou. Il entendit leurs cris à tous les deux, intimement mêlés.
Il se rappela les hurlements de la carcasse dévalant la pente de la forêt.
Il revit leur impuissance commune.
Il revit le visage doux et serein de Catherine tourné vers lui alors que l'autoradio jouait leur chanson, leur hymne personnel.
Son cœur s'emballa et son corps entier se couvrit d'une sueur glacée.
- Catherine !
La porte de la chambre s'ouvrit comme pour répondre à son appel.
Mais ce n'est pas la femme invoquée qui entra.
Si elle avait l'air amène, elle n'en était pas moins une étrangère.
Elle lui sourit.
Il l'ignora. Tout ce qu'il lui importait c'était de serrer Catherine dans ses bras pour les consoler tous deux du drame qu'ils venaient de vivre.
Il l'imaginait, isolée dans une chambre comme lui, torturée par les images de l'accident. En vie, mais dans quel état ?
- Où est Catherine ? Où est ma femme ? Comment va-t-elle ?
Le sourire de l'infirmière se crispa.
- Le docteur va venir vous voir.
Après un temps qui lui parut une éternité, le docteur entra dans sa chambre, tout auréolé de son statut d'oiseau de bon ou mauvais augure. David voyait moins en lui un médecin que l'incarnation de son avenir, de son destin.
Dieu en quelque sorte, venu lui rendre une petite visite pour l'informer des dernières nouvelles sur sa vie.
Son sourire magnanime cachait de lourdes responsabilités.
Et un secret aussi pesant.
- Comment allez-vous Monsieur Cross ?
David ignora superbement la question. Il savait le docteur très bien renseigné à son sujet. De plus, il avait le pouvoir de l'emmener en enfer ou au paradis et il ne pouvait supporter plus long délai d'attente.
- Comment va Catherine ?
Le visage du docteur se crispa. Il prit une longue inspiration.
- Elle est décédée dans l'accident. Je suis sincèrement désolé.
Ce n'est pas la phrase qu'attendait David aussi la retourna-t-il dans tous les sens comme un problème insoluble. Il traitait ces quelques mots prononcés à voix basse comme une énigme complexe et vitale. Il avait employait le mot « décédée ». Qu'est-ce que cela voulait-il dire déjà ? David ne s'en souvenait plus. Son cerveau était parasité. Il ne comprenait pas la réponse qui venait de lui être faite. Il essaya alors d'interpréter l'intonation et l'expression du médecin comme probablement un chien tente de comprendre les réflexions de son maître d'après l'inflexion de sa voix. Sans succès.
Décédée. Le mot en lui même n'avait pas l'air si terrible. Il sonnait même plutôt bien. David savait qu'il le connaissait, qu'il l'avait déjà entendu plusieurs fois. Mais jamais auparavant il n'avait été appliqué si intimement à sa propre existence. Et ce simple détail rendait son sens totalement étranger.
Le docteur vit bien le trouble qui était le sien. Alors il eut recours à un autre moyen pour lui transmettre l'odieuse vérité.
- Catherine est morte, David. Elle n'a pas survécu à l'accident. Je suis vraiment navré.
Le praticien l'était manifestement et c'est comme ça que David comprit le sort de sa femme.
La douleur lui coupa toute envie, tout besoin. Ses blessures physiques devinrent inexistantes. Une vague d'émotions aussi multiples que contradictoires le submergea. Une boule de haine grossit en lui. Il en voulait au docteur d'avoir tué son espoir, ses rêves, son avenir, sa vie.
Et Catherine.
En usant du pouvoir de quelques mots, il avait tout brisé en lui.
Rien de visible, rien de palpable, juste des mots et une pensée infernale à laquelle il devait se résoudre désormais. Et à jamais.
Comment se venger de quelque chose qui n'a pas de forme ?
Impossible.
Alors David laissa sa colère inapte se consumer sous un déluge de larmes. Il enfouit son visage dans ses mains.
Il ne pourrait plus rien construire avec elle. Sa vie avec Catherine s'arrêterait désormais aux souvenirs qu'il en garderait.
En prenant conscience de cela, il eut la sensation de mourir.
- Laissez-moi, dit-il sans même regarder le médecin.
Sa voix était à peine reconnaissable.
Le Docteur avait l'habitude de ce genre de situations. A force il s'était immunisé. Et c'est peut-être de le savoir qui enragea le plus David :
Il s'emporta.
- Sortez de cette chambre, nom de dieu !
Le médecin s'exécuta. Il en avait assez fait.
CHAPITRE 4
Goodbye my lover
David rentra chez lui, seul.
Il était rentré chez lui, seul, sans doute des centaines de fois, mais auparavant, il ne s'était senti seul dans ces moments là que d'un point de vue physique et le « chez lui » était un « chez eux » synonyme de solitude passagère, de prochaines retrouvailles, de futures étreintes, de tendres baisers, de dialogues passionnés, ...
Cette fois, le mot « seul » prenait tout son sens, s'imposait dans sa plus terrible et sa plus pesante réalité.
Il se sentait seul de tous les points de vue possibles et imaginables et il n'en était encore qu'aux balbutiements. Il le savait et c'était certainement ça le pire, cette conviction que l'enfer qu'il semblait avoir atteint n'en était en vérité que l'antichambre.
Il tourna la clé dans la serrure avec une lenteur surhumaine, désirant retarder au maximum la fulgurante fatalité de sa nouvelle condition, le moindre geste le rapprochant un peu plus de la réalité de son état.
Il n'y aurait pas de solitude passagère, pas de prochaines retrouvailles, ni de futures étreintes ou de tendres baisers, pas plus que de dialogues passionnés.
Elle ne l'attendait pas dans le salon, ni dans la chambre. Elle n'était pas occupée à lui préparer un de ses plats préférés, elle ne prenait pas de douche, n'essayait pas de se faire belle pour son retour.
La maison serait vide, et pas parce qu'elle aurait encore fait des heures supplémentaires pour faciliter le départ d'une collègue mère de trois enfants ou parce qu'elle se serait une fois de plus attardée dans le rayon produits de beauté d'un supermarché ouvert jusqu'à une heure indécente. Non.
La maison serait vide parce que Catherine était morte et qu'elle ne l'occuperait plus jamais de sa présence qu'il avait cru toutes deux indissociables.
Il le savait, une partie de son esprit le lui hurlait de toutes ses forces à lui en faire exploser le crâne. Mais une autre s'opposait à la plus impitoyable raison en lui répétant que tant qu'il n'entrait pas, tout était encore possible, que tant qu'il n'aurait pas inspecté chaque recoin de chaque pièce, il avait peut-être la possibilité de la retrouver comme si l'accident n'était non pas le souvenir d'une expérience, mais la persistance d'un mauvais rêve, d'une idée folle.
Il tourna la poignée et entra dans sa nouvelle vie.
Debout dans le hall, il vit Catherine entrer dans la cuisine sur sa droite. L'émotion le paralysa. Son bref passage fut comme un ouragan. Son pas alerte, presque dansant, le gracieux mouvement de sa chevelure aussi beau et précis que celui de sa main, et sa silhouette, grande, épanouie, élégante qui transportait son âme jusque dans ses profondeurs. Il dut fermer les poings pour ne pas se laisser submerger par l'émotion. Il fit un premier pas, un deuxième. Les suivants l'emportèrent à l'entrée de la cuisine où il la découvrit absorbée dans la préparation d'une pâtisserie. Brusquement, comme devinant sa présence dans l'embrasure, elle releva la tête et le dévisagea. Son regard avait toujours exercé sur lui la plus absolue fascination quelque fut sa nature. Ses yeux détenaient une telle vie, un tel feu intérieur. On disait que les yeux étaient le miroir de l'âme : les siens donnaient tout son sens à cette métaphore. Ils devinrent brillants et dans la seconde qui suivit, elle se jeta dans ses bras. Il la serra contre lui, se réappropriant son corps comme une partie du sien trop longtemps séparée. Il plongea une main dans ses cheveux et admira la beauté de cette alliance. Son autre main se lova sur son visage et en parcourut la courbe satinée. Et puis soudain, tout disparut. Elle disparut. Et il comprit qu'il n'avait fait que fantasmer une scène qui s'était produite d'innombrables fois dans sa vie. Il l'avait instinctivement reproduite comme si son cerveau était resté sourd aux nouvelles du jour.
David caressa le plan de travail vierge de toute recette, si détestablement propre, brillant, net.
Elle ne viendrait plus le salir de farine et de sucre et d'autres poudres odorantes plus mystérieuses, sur lesquelles il avait eu tant de mal à mettre un nom.
Il serra le poing et frappa violemment la céramique.
Cette pièce lui faisait trop mal. Il décida d'en sortir.
Lorsqu'il entra dans le salon, il sut que cela n'allait rien arranger.
Bien au contraire.
Ici aussi, leur intimité avait eu sa place. Il revit tout en quelques secondes. Les moments les plus forts de leur existence que cette pièce avait pu accueillir, il les retrouva dans une telle intégralité, une si parfaite authenticité qu'il sentit ses jambes ployer sous lui. Il tomba à genoux et se raccrocha au bras d'un fauteuil que la main de Catherine avait si souvent épousé. Chacun de ses souvenirs devenait une lame aiguë qui le poignardait, une balle tirée à bout portant qui lui explosait la poitrine, et qui en se succédant dans sa tête meurtrie, à un rythme infernal, composait un ballet de morts violentes dont il se relevait à chaque fois comme on relève un défi.
Cela aurait dû lui suffire, le décourager de poursuivre.
Pourtant il continua le voyage.
Il revint dans le couloir et s'immobilisant devant l'escalier en bois, jeta un regard à l'étage. Leur chambre s'y trouvait. Comparé à ce qui l'attendait là-haut, le salon n'était qu'un avant-goût. Il le savait pertinemment. C'était pure folie de vouloir replonger dans son passé, mais toute raison semblait l'avoir quitté depuis la funeste annonce. L'amour et la mort s'épousaient en lui de manière si violente que de cette union naissait un formidable désir de s'abandonner aux plus cruelles expériences de l'âme humaine.
Il grimpa chaque marche avec un profond soupir.
Arrivé sur le palier, il chancela.
Le couloir était encore saturé de son parfum, un mélange enivrant de santal et d'autres essences de bois.
Ne va pas dans la chambre, se répétait David comme pour conjurer la malédiction qu'il était en train de subir. N'y va pas. Tu vas devenir fou !
La porte n'était pas fermée. Catherine ne fermait jamais les portes. Il la poussa facilement. Les souvenirs commencèrent à affluer comme s'échappant de la pièce pour venir s'engouffrer en masse dans son crâne trop étroit pour leur donner refuge à tous.
Il entra instantanément dans un état second. La pièce chavira autour de lui avant de retrouver un semblant d'inertie. Il revit Catherine en train de se vêtir, de se dévêtir, de se maquiller, de s'étirer, de se parfumer, de se coucher. Il ouvrit son armoire. La vue de ses vêtements occasionna en lui une nouvelle explosion de visions aussi terribles que les précédentes. Il toucha les chemisiers, les tailleurs, les jupes, les manteaux et les pantalons du bout des doigts avec un mélange d'effroi et de fascination. Ce n'était que du tissu et pourtant ces morceaux d'étoffe colorée avaient le pouvoir de faire ressurgir en lui les sensations que ses mains avaient gardé en les foulant. Il ferma les yeux et laissa ses sens lui délivrer leur mémoire. Il se rappela la volupté associée à chaque parure et la peau de Catherine en faisait partie intégrante.
Lorsque sa main rencontra une robe noire en satin, il ouvrit brusquement les yeux. Il ôta le vêtement de son support et l'emporta. Depuis le premier jour où il l'avait vue, David avait considéré cette robe comme le parfait écrin de la beauté de Catherine. Une vérité lui apparut alors : durant tout le temps qu'il avait passé avec elle, il n'avait pas ressenti le besoin de vivre, simplement de l'aimer.
Il s'allongea sur le lit, à sa place à elle, serrant la robe contre lui et s'imaginant le corps qui l'avait habité.
CHAPITRE 5
- Merde, Kevin, tu sais très bien que je déteste ce genre d’endroit !
Kevin guidait David à travers la salle bondée comme un boucher traînerait un animal vers l’abattoir.
- Tu veux être publié, oui ou non ? Alors tu vas me faire le plaisir de te mêler un peu à la foule. Je ne sais pas si tu as remarqué, mais il y a des gens connus et respectés ici. Tu crois que ça été facile d’obtenir deux invitations à une soirée pareille ?
- Fallait pas te donner tant de mal.
Kevin s’arrêta et fustigea son ami du regard.
- Là, tu commences sérieusement à me gonfler. J’aime ce que tu fais, David, je respecte énormément ton travail, tu le sais. Et je serai le premier à me réjouir si tes œuvres étaient enfin reconnues à leur juste valeur. Mais il ne suffit pas de le vouloir. Il faut aussi s’en donner les moyens.
- C’est facile pour toi de dire ça. Tu n’es pas dans ma situation.
- Précisément. C’est pour ça que je suis ton aide la plus précieuse.
David grimaça, signifiant par là qu’il reconnaissait cette vérité, mais qu’en certaines occasions – comme en ce jour – cela ne l’enchantait pas particulièrement.
Après avoir fondu sur trois ou quatre buffets froids – à ce jeu-là, David et Kevin s’entendaient très bien – ils arrivèrent en vue d’un homme d’une cinquantaine d’années dont la suffisance n’était pas vraiment au goût de David. Et c’est avec un profond regret qu’il entendit son ami lui annoncer :
- Voilà Michael Manfred Senior, agent littéraire, producteur de films, et dénicheur de perles rares à ses heures.
Kevin passa un bras amical autour des épaules de David et le dévisagea avec de grands yeux :
- Tout à fait ce qu’il te faut, mon gars.
Puis il sourit dans une grande débauche d’émail.
Qui s’affaissa lorsqu’il vit l’expression défaitiste de David.
- Ce sera sans moi. T’as vu ce type ? On dirait un candidat aux élections en pleine représentation. Et que je te serre la main, et que je te tape la bise, et que je te souris et que je te dis du bien…
Une hôtesse charmante leur présenta un plateau de cocktails. David tendit une main pour prendre un verre, mais Kevin retint son geste.
- Excusez-nous, mademoiselle, on a un compte à régler avant.
Il emporta David qui adressa un regard idiot à la serveuse et le plaqua contre le mur d’une alcôve.
- Ecoute-moi bien, monsieur-je veux être riche et célèbre, va falloir que tu songes sérieusement à mettre de l’eau dans ton vin si tu espères mettre un jour du beurre dans tes épinards.
David avait toujours ce regard idiot qu’il se confectionnait naturellement quand les choses tournaient mal pour lui et qu’il ne voulait pas l’accepter.
- Et toi t’es qui ? Le cuistot de service ?
Kevin était noir et l’on sait que les noirs ne rougissent pas facilement. Pourtant en cet instant, David aurait juré que le visage de son ami s’était empourpré. Ce que vint confirmer un regard féroce de prédateur ulcéré que Kevin se confectionnait naturellement quand les choses et les gens n’allaient pas dans son sens.
- Là, mon ami, tu dépasses les bornes de mes limites.
Kevin resserra sa pression sur les épaules de David qui se voyait déjà installé à sa machine à écrire, amputé des deux bras.
L’image le fit sourire et puis rire.
Consterné par sa réaction, Kevin l’observa partir dans un fou rire complètement déplacé.
- Enfoiré, mais tu te fous de ma gueule !
Kevin le relâcha brutalement.
- Démerde-toi tout seul. T’es vraiment qu’un connard qui mérite que ce qu’il a.
Il fit demi-tour et disparut dans la foule.
Lorsque David le perdit de vue, il s’arrêta de rire. Et lorsqu’il s’arrêta de rire, il comprit qu’il venait peut-être de perdre son meilleur ami.
Là, son visage se rembrunit.
C’est vrai qu’il était un connard. Il avait vraiment le chic pour saboter la moindre de ses chances. Que ce soit avec le boulot ou avec les femmes, c’était pareil. Combien de fois Kevin l’avait branché sur des coups du tonnerre qu’il avait lamentablement esquivé, oublié, ignoré, rejeté. La liste était longue dans tous les cas.
Il sa rappela subitement une fille à qui il avait tapé dans l’œil. Une fille vraiment mignonne, pas vulgaire, attachante et surtout libre. Livrée sur un plateau d’argent. Un plateau qu’il avait renversé faute de croire à son propre bonheur.
Sans Kevin, sa vie professionnelle et sentimentale allait vite devenir synonyme de désert.
Il sortit de l’alcôve et jeta un regard noir à Michael Manfred Senior, la source de tout son malheur. Il savait qu’il n’était pas responsable le moins du monde, mais ça lui faisait tellement plaisir de s’en convaincre.
Les mains dans les poches, la tête basse, comme un gamin qui aurait perdu toutes ses billes à la récré, il se lamentait sur son sort lorsqu’une voix l’interrompit dans son suicide psychologique.
- Excusez-moi, vous savez où sont les toilettes de cette baraque?
Instinctivement, avant même de dévisager son interlocuteur, David trouva que l’emploi du terme « baraque » pour qualifier un manoir somptueusement meublé méritait à lui seul de s’intéresser à la personne. Mais lorsqu’il releva la tête, il sut aussi intuitivement qu’il allait faire bien plus que s’intéresser à cette personne.
La femme était grande, belle, bien coiffée, bien habillée. Une vraie star de cinéma. Elle portait le chignon et une robe noire en satin qui épousait son corps de diva.
David en resta bouche bée. Il oublia la question, Kevin, les gens autour, tout. Ou presque tout.
- Vous connaissez Michael Manfred ?
CHAPITRE 6
L’Ode à la Joie
- Vous avez un téléphone ? Vous devriez appeler votre ami.
Elle s’appelait catherine.
David n’osait la dévorer des yeux de peur d’être indécent et surtout de peur d’être le énième pauvre type à le faire. Il détestait les normes, ce qui aide fatalement à devenir marginal.
Mais cette rencontre était une bénédiction. Surtout quand il avait appris que cette rencontre avait pour nom Catherine Manfred.
- Vous avez raison, répondit-il en essayant maladroitement de dissimuler son trouble. J’attends juste le bon moment.
Catherine se leva brusquement comme si elle venait de se rappeler qu’elle avait quelque chose sur le feu.
- Il faut absolument que je vous présente à mon père.
L’usage de cette formule l’honora. Il n’en l’aima que davantage.
- Il recherche justement quelqu’un pour booster les ventes de Squirrel Editions.
- Squirrel ?
Catherine se fendit d’un sourire de reine.
- Oui, écureuil. C’est mon animal fétiche. Mon père m’a fait ce cadeau pour mes vingt-deux ans.
David écarquilla les yeux.
- Impressionnant.
Ce n’était pas tous les jours qu’il avait un tel vent en poupe. Kevin aurait été sans doute fier de lui bien qu’il n’ait rien fait de particulier en vérité. Bizarrement, la chance avait tourné au moment même où son meilleur ami s’était éclipsé. Fallait-il y voir une relation de cause à effet ? David savait qu’il aurait été injuste de sa part de penser une telle chose. Mais il manquait d’inspiration pour trouver une meilleure explication.
David suivit Catherine qui le guida jusqu’au cinquantenaire auquel il avait jeté un regard noir quelques instants plus tôt. L’ironie de la situation ne lui échappa pas. Il se mit à sourire. Michael Manfred Senior prit ce sourire comme une marque de politesse et sourit à son tour.
Catherine fut enchantée de ce premier contact. Elle connaissait suffisamment son père pour savoir que le premier était en général déterminant.
- Papa, je te présente David Cross. Il est écrivain. J’ai pensé que cela pouvait t’intéresser.
L’éditeur dévisagea sa fille, puis porta son attention sur David.
- Excellente déduction. Tu as vraiment de qui tenir, dit-il en riant.
Puis il enchaîna :
- Alors Monsieur David Cross, quel genre de littérature me proposeriez-vous ? Je suis sûr que c’est ambitieux, sinon Catherine n’aurait pas fait le déplacement.
Il lui adressa un clin d’œil complice.
- Elle me connaît assez.
La jeune femme haussa ses sourcils et hocha la tête en signe d’approbation.
David se sentait particulièrement petit et frêle entre ses deux personnages si débordants de charisme. Mais il ne voulait pas les décevoir. Et il se dit que ce serait bien d’annoncer à Kevin qu’il avait finalement pu approcher le grand patron de Squirrel Editions en obtenant une promesse de contrat juteux. Et pour sa gloire personnelle – qui se faisait plutôt la malle ces temps-ci – c’était une occasion en or. Bref, il avait trop à y gagner pour se laisser bouffer par le trac.
Comme David Cross n’avait pas l’étoffe suffisante pour se sortir de là, il entra alors dans la peau de Conrad Conley, un aventurier qu’il avait crée sur le papier pour une série de bouquins bon marché. Un mec sûr de lui, un brin charmeur, arrogant, pétri d’un savoir complètement inutile, blagueur de série z et doté d’un sens de l’humeur en perpétuel équilibre. Rien à voir avec lui, quoi. Enfin, il s’en persuadait.
Catherine vit tout de suite le changement s’opérer en lui. D’abord déboussolée, elle en vint vite à être fasciné par sa performance.
- Et bien Monsieur Manfred Senior, on ne va pas tourner autour du pot. J’ai un bouquin actuellement qui a tout pour redorer votre blason. Si tant est qu’il en ait besoin. Mais bon, c’est toujours bon à prendre me direz-vous. Deux couches de peinture valent mieux qu’une seule.
David s’esclaffa de sa plaisanterie. Il fut d’ailleurs le seul.
L’éditeur le scruta avec méfiance. David n’osa vérifier l’expression de Catherine de peur d’y voir celle du regret le plus sincère.
Il eut un instant de doute et de profonde solitude. Venait-il de saboter une fois de plus les chances de changer sa vie ? Il refusa cette éventualité en sentant la présence de Catherine à ses côtés et son hypothétique soutien dans cette épreuve.
Dans un sourire, il reprit une nouvelle dose d’assurance.
- L’histoire que j’ai à vous proposer va révolutionner la littérature. Je vous promets une histoire d’amour sans aucun précédent. Je vous promets un vertige d’émotions, une somme inédite de rebondissements, un déluge de tristesse, un sommet du drame humain. Je vous promets la peine, l’espoir et la joie dans leur vérité la plus totale. Je vous promets la richesse et la grandeur d’une vie, d’une passion, d’un homme et d’une femme. Je vous promets l’incertitude, le soulagement, la déception et le désespoir. Je vous promets une âme, un cœur et un esprit. Je vous promets tout cela et bien plus encore. Car cette histoire ne se contentera pas d’être belle. Elle changera la vôtre, la sublimera jusqu’à remettre totalement son sens en question. Elle modifiera votre passé, altèrera votre présent et vous forgera un nouvel avenir. Elle fera partie intégrante de votre identité, de votre destin. Cette histoire est une bombe qui va changer la face du monde. Alors oui, je pense que c’est assez ambitieux pour vous plaire.
Visiblement Michael Manfred ne s’attendait pas à pareille déclaration. Et il apprécia vite la chose à sa juste valeur.
Il jeta un regard empli de sous-entendus à Catherine qui ne savait pas si elle devait se réjouir ou bien disparaître. Lorsque son père posa une main sur l’épaule de David, elle sut.
- Et bien, Monsieur Cross, voilà ce qui s’appelle se vendre. Vous avez la langue bien pendue. J’ose espérer que votre plume est aussi aiguisée. Catherine va vous donner mes coordonnées. Je compte sur vous pour me faire parvenir très vite ce chef d’œuvre en devenir.
Nouvelle œillade. Puis le grand patron de Squirrel Editions prit congé.
Catherine se rua sur David, le cœur battant.
- Dites-moi que vous l’avez écrit et qu’il ne vous reste plus qu’à le peaufiner.
David la regarda avec son sourire idiot.
- Pas une seule ligne.
- Quoi ? Vous rigo…
Elle vit qu’il ne rigolait pas.
Alors la douceur de ses traits prit la tangente.
- Vous savez quelle sorte d’engagement nous venons de prendre auprès de mon père? Je suis dans le même bain que vous, figurez-vous ! Je vous avais fait confiance, je croyais…
David l’interrompit d’un geste étudié qui le surprit lui-même.
- Faites-moi toujours confiance.
Il la dévisagea ouvertement sans savoir si son attitude lui était dictée par Conrad Conley ou par lui-même.
- Quelque chose me dit que je vais l’écrire rapidement.
Il venait de trouver une source d’inspiration bien plus efficace que toutes celles qui avaient généré ces médiocres créations passées.
Elle le dévisagea et à son grand dam, sut qu’il ne mentait pas.
A ce moment, comme pour briser l’intimité qui commençait à naître, le téléphone de David se mit à sonner. Sa sonnerie était l’Ode à la Joie. Une évidente ironie pour quelqu’un habitué à collectionner les mauvaises nouvelles. Jusqu’à maintenant. Car quelque chose lui disait que c’était en train de changer.
- Excusez-moi, Catherine.
Il prit l’appel.
- Kevin ? Oui. Tout à fait d’accord avec toi. Fou ?
L’occasion était vraiment trop bonne et David se sentait bien trop en veine pour la manquer.
- Oui, absolument, je suis fou.
Il dévora enfin Catherine des yeux.
- Oui, fou amoureux.
CHAPITRE 7
David fut réveillé par la sonnerie du téléphone. Sa main trempée de sueur étreignait encore la robe de satin noire. Les larmes lui vinrent rapidement. Le visage de Catherine occupa son esprit tout entier comme un diamant trouve le parfait écrin pour le sertir. Il ne pouvait imaginer continuer à vivre sans elle à ses côtés. Ils étaient devenus indissociables. Sans elle, il n’était qu’une moitié de lui-même. Et sûrement pas la meilleure.
La sonnerie insistait, se moquant de ses états d’âme.
Il décrocha dans l’espoir totalement absurde d’entendre la voix de Catherine, de l’entendre lui reprocher d’avoir oublié de faire les courses, d’avoir oublié de venir la chercher chez Betsy, sa meilleure amie, d’écrire tard dans la nuit en oubliant d’être à ses côtés, n’importe quel grief pourvu que ce soit sa voix et celle de personne d’autre.
- Je suis désolé, David, j’étais retenu à l’autre bout du pays. Quand je suis arrivé, t’étais déjà sorti de l’hôpital. Je ne sais pas quoi dire. Catherine…C’est…Tu veux que je passe à la maison ? Je suis tellement…
David raccrocha.
Il avait un deuil à faire. A Kevin de faire le sien.
David dormit longtemps. Dans ses rêves dansait le visage de Catherine. Dans ses rêves, ils survivaient tous deux à l’accident, leur vie se poursuivait. Et ils étaient heureux.
Epaulé par ses souvenirs, l’esprit de David en construisait de nouveaux. Mais à un moment donné, le rêve basculait.
Ils étaient tous les deux invités à une soirée, se tenant à une distance respectable l’un de l’autre. David se sentait paralysé. Malgré tous ses efforts, il ne parvenait pas à se rapprocher d’elle. Ils se dévisageaient de temps à autre, ni plus, ni moins, puis la mort dans l’âme, David voyait Catherine quitter les lieux et monter dans une imposante voiture noire conduite par un homme aux cheveux bouclés qu’elle semblait connaître intimement. Au moment où il les voyait s’enlacer…
Il se réveilla en sueur, le cœur battant à tout rompre. Son regard se porta sur la robe noire en satin dans laquelle il s’était à moitié enroulé. Il sentit les larmes venir à nouveau. Il se prit la tête entre les mains. Ce dernier rêve – ce cauchemar – avait effacé la beauté des précédents. En dépit de la présence de Catherine, il lui avait laissé une terrible impression, une sensation glaciale, comme si la réalité de sa nouvelle vie voulait s’imposer à lui, même dans son inconscient.
Elle n’est plus à toi. Tu ne peux plus la rejoindre. Vous êtes séparés à jamais. Tu es tout seul. Elle est morte. Elle est morte. Elle est morte. Morte. Morte. Morte. Morte. Morte. Morte. Morte. Morte. Morte. Et sans doute enterrée.
L’image fut un poignard dans son esprit. Catherine enterrée. Catherine reposant sous terre. Catherine enfermée dans une boîte. Catherine pourrissant, dévorée par les vers. Ce fut insoutenable.
- Je vais devenir fou. Catherine…
A peine le visage de la jeune femme revenait-il à son esprit qu’il ressentait une plaie béante s’ouvrir en lui et anéantir toute sa volonté de surpasser ce drame.
Il se recroquevilla comme un enfant, serrant la robe de satin noire contre lui, faisant d’elle un linceul. Probablement le sien.
CHAPITRE 8
Il perdit rapidement la notion du temps.
Il s’éternisait dans son sommeil, ses nuits dévorant ses jours.
Seule la faim avait autorité sur lui pour le ramener à la réalité.
Le reste du temps, il restait allongé comme dans l’espoir de ne pas se réveiller ou de se réveiller à ses côtés.
Il ouvrait les yeux, fiévreux, abruti, plus fatigué encore. Ses rêves l’épuisaient. Il poussait son esprit dans ses derniers retranchements. Il faisait tournait sa mémoire comme un cheval fou autour d’une piste de cirque, inlassablement, encore et encore, se réappropriant chacun des moments passés avec elle, comme pour mieux les imprimer, comme un dessin sur lequel on repasse le crayon pour mieux en marquer les traits. Mais s’il continuait comme ça, il allait déchirer la feuille.
Qu’importait. Le mal qu’il pouvait se faire ne pouvait égaler celui qu’il avait reçu.
Gratuit !
Ce mot lui revenait sans cesse à l’esprit.
Tout cela était totalement dénué de sens, de justification.
Etait-elle morte pour lui permettre de comprendre à quel point le bonheur avait un prix ?
Quelle était la morale de l’histoire ?
Son cerveau n’arrivait pas à lui fournir la moindre réponse.
Il était embouteillé, parasité.
Il n’y en avait pas, tout simplement. Parce que la mort n’est pas une question ouverte ou fermée. C’est un impératif.
Il ne l’acceptait pas.
Trop radical.
« Je veux voir le responsable ! » se dit-il, ne sachant s’il était sérieux ou s’il se raccrochait à un trait d’humour rattrapé in extremis.
Il ne pouvait se faire à l’aspect définitif de sa situation.
« Tu es veuf, mon gars ! Faut te faire une raison. Une de perdue… »
- Ta gueule !
Il ouvrit les yeux. Il était à genoux sur le parquet de la chambre. Il tenait toujours la robe de Catherine.
Et il était toujours seul.
Une semaine passa ainsi. Peut-être plus.
David ne se levait que pour manger un peu et entretenir un semblant d’hygiène.
Un jour, des coups résonnèrent à la porte d’entrée.
David émergea d’une énième sieste. Groggy, comme sous l’effet de puissantes drogues, il analysa le bruit. Cela venait bien de chez lui. Etait-ce amical ? Etait-ce important ?
Il se rappela qu’il n’y avait rien de plus important que de rejoindre Catherine, une fois de plus, de la seule manière qui lui était désormais permise. Rien ni personne ne pouvait empêcher cela.
Il fit retomber sa tête sur l’oreiller et rajusta la robe de Catherine sur lui.
- Allez tous vous faire foutre !
Puis son visage se radoucit.
- J’arrive, chérie. J’arrive tout de suite.
Les coups redoublèrent.
- David, ouvre ! C’est moi, Kevin ! Ouvre cette porte, nom de Dieu !
Un long silence s’instaura.
- David, je te préviens : si tu n’ouvres pas cette foutue porte dans cinq secondes, je la défonce sans hésiter !
Au bout de trente secondes, Kevin adopta une posture menaçante. Il allait faire de son épaule musclée un bélier efficace lorsque la porte s’ouvrit.
David se tenait dans l’entrée. Il faisait peine à voir. L’expression de Kevin se radoucit aussitôt.
CHAPITRE 9
Les deux hommes étaient assis à la table de la cuisine dont le plateau disparaissait sous un monceau de lettres et de prospectus. Ils n’avaient pratiquement pas échangé un seul mot. L’absence de Catherine pesait de tout son poids sur eux. Son absence étouffait leur voix.
Les mots leur semblaient de toutes façons insuffisants, blessants même.
Kevin posa sa main sur le bras de David. Ce geste de réconfort, de soutien lui rappela combien la situation était douloureuse et combien elle était surnaturelle et inacceptable.
- Tu devrais rebrancher le téléphone, risqua Kevin.
David ne répondit rien. Il semblait être ailleurs, refusant une réalité où la femme de sa vie n’existait plus, refusant cette réalité et tout ce qui s’y rapportait. Kevin comprit qu’il faisait désormais partie d’une vie que David voulait à tout prix abandonner. Malgré lui, son attitude venait rappeler la tragédie. Kevin serra les poings. Contrairement à David, il ne pouvait pas faire autrement. Il était le seul à pouvoir l’aider à surmonter cette épreuve. Il avait déjà joué ce rôle d’ange gardien avec plus ou moins de réussite, David n’étant pas ce qu’on pouvait appeler un homme facile. Mais cette fois, il devait y arriver coûte que coûte. L’enjeu était trop important.
Catherine était morte.
Et David n’était plus tout à fait vivant.
- Il faudrait que tu sortes un peu. Je t’invite au restau. Il y a une éternité qu’on ne s’est pas fait un mexicain.
Kevin sentit qu’il tenait le bon bout pour réveiller de bons souvenirs et détendre l’atmosphère.
- Tu te souviens de cette soirée avec Rita, la serveuse du « El Gringo » ? Bon dieu, je n’avais jamais vu une fille aussi chaude. Elle nous a littéralement harcelé. On ne savait plus où se foutre. Il a fallu que le patron en personne se déplace pour qu’elle nous laisse manger. Ce n’est pas qu’elle n’était pas attirante, loin de là, mais ce jour-là, elle avait dû se vider la bouteille de parfum sur la tronche. Ma parole, ça puait l’essence de rose à des kilomètres. Tu te souviens, j’ai même failli gerber mon chili !
Kevin s’esclaffa bruyamment comme il savait si bien le faire. Seulement sa bonne humeur fut loin d’être contagieuse. David demeurait prostré sur sa chaise, sans laisser supposer qu’il avait écouté le récit de son ami.
Kevin s’interrompit. Cela devenait franchement gênant.
David se tourna subitement vers lui.
- Je sais pourquoi tu fais ça. Mais ça ne sert à rien. Je veux que tu partes. Tu ne peux rien faire.
Kevin déglutit. Il avait espéré un peu plus de résultat. Il ne pouvait accepter d’en rester là.
- J’aimais Catherine. Tu ne peux pas imaginer à quel point je l’aimais. C’était une bénédiction pour moi de connaître une femme comme elle.
Il s’empara d’un coupe-papier.
- Si me couper un bras pouvait la ramener, je n’hésiterai pas une seconde. Mais ça ne servirait à rien. Ce serait stupide. Ce qui ne l’est pas, en revanche, c’est que je fasse tout ce qui est en mon pouvoir pour t’épauler. Je te le dois et je lui dois à elle. Tu dois lui survivre. Tu mérites d’être encore heureux. Arrête de te faire du mal.
David se leva et fit mine de quitter la pièce. Kevin lui empoigna le bras.
- Je ne te laisserai pas tomber. Je te le jure. Etre ton meilleur ami n’a jamais été un slogan bon marché pour moi et tu le sais. Notre amitié est ce que j’ai de plus précieux.
David se dégagea et le fusilla du regard.
- Alors ne reviens plus si tu y tiens tant que ça !
Puis il disparut dans l’escalier.
Le visage de Kevin se crispa. La seconde d’après, il renversait le courrier sur le sol de la cuisine.
CHAPITRE 10
David se réveilla en sursaut. Il venait de sentir la présence de Catherine comme jamais. Son cœur devint fou. Il scruta la pièce comme s’attendant à tout moment à la voir apparaître.
- La salle de bains !
Il se rua dans la pièce. Vide. La baignoire avait été utilisée récemment. Par lui ? Il ne savait plus. Non. Il avait dormi depuis bien trop longtemps. Et puis ces derniers temps, sa toilette laissait sérieusement à désirer.
- Catherine ? C’est toi ?
Elle était dans la maison, cela ne faisait aucun doute. Sa présence était détectable. Presque palpable. Il ne pouvait se tromper. Elle était là, en dépit de tout ce que cela pouvait remettre en question.
- Catherine ?
Il descendit.
Il entra dans la cuisine.
Le courrier n’était plus là. Quelqu’un l’avait rangé.
- Catherine, où es-tu ?
Il traversa le vestibule et pénétra dans le salon. Vide aussi.
Elle était donc sortie.
Et puis soudain il entendit sa voix.
- Je ne supporte pas de te voir comme ça.
Il se retourna. Elle semblait si proche, pourquoi ne la voyait-il pas ? Et pourquoi ne lui répondait-elle pas ? Sa voix était si triste. On aurait dit qu’elle pleurait.
- Catherine, réponds moi !
- Si seulement on pouvait être à nouveau ensemble.
David courut, revint sur ses pas. Il inspecta de nouveau l’étage avant de regagner le hall. Il devenait fou. De l’entendre lui parler et d’être dans l’incapacité de la voir était pire que tout.
Il ouvrit la porte d’entrée.
Il ne se rendit pas compte de l’effet qu’il fit sur le voisinage. Ses yeux pleuraient et son regard trahissait un état proche de la démence.
- Catherine ! Mais dis-moi où tu es ! Réponds-moi, nom de Dieu !
Une voiture s’arrêta à un feu. Les vitres étaient baissées. Le conducteur écoutait de la musique. David chancela et se raccrocha de justesse au chambranle de la porte.
C’était Unintended de Muse.
(à suivre)
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samedi, 05 juin 2010
Bienvenue
Bienvenue à tous les Guerriers du Rêve
C'est le moment de dégainer votre âme !
Serenata de Immediate Music
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dimanche, 07 février 2010
La Naissance de Morpho [Nouvelles/Le Combat du Papillon]
« Dieu fit la liberté, l'homme fit l'esclavage. »
M.J.Chenier, Fénelon
« Et quand tes fils sont condamnés aux fers et plongés dans l'obscurité du cachot humide,
ils sauvent la patrie par leur martyre et la gloire de la liberté ouvre l'aile à tous les vents. »
Lord Byron, Le prisonnier de Chillon
« Ce que la lumière est aux yeux
ce que l'air est aux poumons
ce que l'amour est au cœur
la liberté est à l'âme humaine. »
R.G. INGERSOLL, Progrès
J'étais noir.
J'étais esclave.
Et à l'époque, c'est tout ce que j'étais.
Du moins aux yeux de ceux qui nous opprimaient, moi et mes compagnons.
Nous travaillions dans les plantations, sur les voies de chemin fer, dans les carrières, partout où la vigueur de nos bras pouvait accomplir son œuvre.
Lorsque nous n'étions pas assez vigoureux ou assez rapides, ils avaient recours aux menaces. Et si cela ne suffisait pas, il y avait toujours le fouet.
Je connais bien sa morsure. Elle m'a longtemps accompagné.
J'étais parmi les plus assidus au travail, mais cela ne les empêchait pas de me flageller régulièrement. C'était un moyen efficace pour encourager les plus lents à redoubler d'efforts.
Je n'en voulais à personne, en aucun cas à mes compagnons. Je ne gardais aucune rancœur.
C'était une condition et je l'acceptais, résigné. J'espérais, toujours en secret, qu'un jour ou l'autre ma docilité serait récompensée.
D'une manière ou d'une autre.
Mais mon obéissance aveugle finit par se retourner contre moi.
Mes compagnons finirent par voir d'un mauvais œil ce qu'il prenait à tort pour du zèle. Ils ne me faisaient aucun reproche de vive voix, mais leurs regards parlaient pour eux.
Non seulement, je n'étais pas libre, mais très vite, je me sentis plus seul que jamais.
Seul au monde.
C'est à partir de ce moment que naturellement, comme un réflexe de survie, j'ai tourné mon regard vers l'intérieur. Et là, j'ai eu accès à un monde nouveau qui avait toujours été là, mais dont j'avais ignoré l'existence.
Ou plutôt que j'avais oublié.
J'ai commencé à faire des rêves étranges.
Je découvrais des paysages magnifiques, des forêts, des montagnes, des océans.
Je les survolais.
Mon âme était libre et rien ne lui était impossible.
Je goûtais à toutes les joies de la délivrance, des joies que sur terre je n'aurais même pas pu imaginer.
Le réveil était violent. Comme une déchirure.
Je me retrouvais enchaîné, entouré de gens qui me méprisaient.
La douleur était atroce.
Je maudissais le jour et je bénissais la nuit.
Tandis que j'abattais ma part de travail, je songeais aux splendeurs que j'allais pouvoir retrouver dès l'instant où je pourrais fermer les yeux et m'abandonner au sommeil.
Plus d'une fois, j'endurai le mépris de mes frères et le fouet de nos tortionnaires en m'imaginant dans ces contrées, délivré de toute entrave.
La vie me permettait de rêver et le rêve me permettait de vivre.
Mon sort devint dès lors plus supportable. D'autant que je me découvris un don nouveau.
Je pouvais parler aux animaux.
Passant nos journées en pleine nature, il était courant de faire des rencontres avec la faune locale. Je m'aperçus que les petits animaux n'étaient pas effarouchés par ma présence et que la proximité des plus grands ne m'effrayait pas. Bien au contraire.
C'est parmi les bêtes que je me fis mes meilleurs amis. Car contrairement aux hommes, les bêtes, elles, ne vous jugent pas. Elles vous acceptent ou vous rejettent, mais elles ne vous condamnent jamais.
Les liens privilégiés que je nouai avec un certain nombre de rongeurs, de chats et de chiens sauvages et même d'oiseaux commença à attirer l'attention.
Evidemment, je me serais bien passer de me faire remarquer davantage.
On commença à murmurer dans mon dos. Me prenait-on pour une sorte de sorcier ?
Les oppresseurs, nos maîtres, exprimèrent cruellement leur antipathie vis-à-vis de mon empathie.
Un jour, ils exécutèrent froidement et sous mes yeux plusieurs animaux auxquels je m'étais attaché. Ils n'admettaient pas que je puisse trouver une distraction, un exutoire.
Ils voulaient que je souffre et ils voulaient me voir souffrir.
Malgré moi, je leur donnai satisfaction.
Cela parut soulager tout le monde.
Tout redevint comme avant.
Les hommes se remirent à chanter.
Et le fouet à siffler.
Et le sommeil venait me délivrer de mon martyre.
Un autre jour, alors que nous établissions un campement en pleine forêt, un de nos maîtres surprit une ourse en maraude. Je sus intuitivement que c'était une femelle. Craignant pour la vie de ses petits, elle voyait d'un mauvais œil la présence d'hommes - qui plus est armés - à proximité de sa tanière. J'étais, hélas, fait pour la comprendre.
Bien entendu, le maître en question n'avait aucune chance face à la furie de l'animal. Je me réjouissais presque de voir le malheureux mis en pièces, moi qui n'ai pourtant jamais eu aucun goût pour la violence.
Lorsque je vis les fusils se lever pour abattre l'ourse, je réagis sans même y penser.
Je m'approchai de la bête furieuse et sans un mot, lui communiquai mon désir de la voir calmée. Je parvins à la rassurer et comprenant que sa vie et celle de ses petits n'étaient pas menacées, elle retomba sur ses puissantes pattes et fit demi-tour.
Cet exploit aurait dû faire de moi un héros.
Tout du moins, un homme de valeur.
Las. Je devins la bête noire.
On pensa même que c'était moi qui avais attiré l'ourse dans l'intention de semer la panique et permettre ma fuite. Je ne trouvai aucun avocat parmi mes compagnons.
Me mépriser leur faisait du bien car cela ne leur coûtait rien. Aucun coup de fouet à redouter. Alors c'était une raison suffisante pour eux de se comporter ainsi avec moi.
Je devins un homme maudit, banni de son propre clan.
Il ne me restait plus rien pour soulager ma peine. Sans soutien d'aucune sorte, je faiblissais et ne tardai pas à rejoindre les plus lents.
Le sort s'acharnait contre moi.
L'espoir me revint ce fameux jour où l'un de nos plus vieux frères tomba de fatigue.
Les maîtres ne voulurent rien savoir. Nous avions déjà pris du retard sur les travaux à cause de la chaleur.
Le fouet claqua une fois, puis deux.
Il n'y eut pas de troisième fois.
Voyant là l'occasion idéale de reconquérir l'estime de mes compagnons et de sauver la vie de l'un des plus estimés, je méprisai les conséquences d'une telle entreprise et me jetai de tout mon poids sur le tortionnaire.
Il me fit regretter mon geste. Des coups de bâton se mirent à pleuvoir sur moi.
N'eut été l'outil que je représentais à leurs yeux, nul doute qu'ils m'eurent frappé à mort, sans l'once d'un regret.
Je perdis connaissance.
Lorsque j'ouvris les yeux, je demeurai curieusement dans le noir.
A l'écoute des sons environnants, nul doute pourtant que le jour se fut levé.
Je reconnaissais la brûlure familière du soleil sur ma peau.
Mais je ne voyais rien.
Manifestement, ma tête n'était pas encore remise des effets de ma récente bastonnade.
L'obscurité se prolongeant tout autour de moi de manière inquiétante, je songeai avec terreur que mon cerveau avait pu être atteint trop fortement.
J'appelai à l'aide, paniqué par cette éventualité.
Un maître vint.
- Je suis aveugle, dis-je. Je ne vois rien.
J'entendis le maître sourire.
- Je sais. C'est moi qui tenais le charbon ardent.
Cette déclaration me coupa la respiration. Je tombai à genoux.
J'avais perdu la vue. Définitivement. Ils me l'avaient volée.
C'était ma punition. Ma bravoure m'avait coûté le dernier bien qui me restait.
Je crus mourir.
On peut penser que dans mon état, la besogne qui faisait mon quotidien me serait épargnée.
Aucunement.
La réalité se faisait plus terrible encore.
Alors naturellement, mes rêves se faisaient plus beaux.
Et mes réveils plus douloureux.
Et ainsi de suite.
Je ne voyais qu'une solution, qu'une seule issue pour quitter cet enfer.
J'attendis sagement que l'occasion se présente.
Et elle se présenta.
On nous chargea de réparer un pont.
Beaucoup de mes compagnons avaient le vertige.
Pour moi, le problème ne se posait même pas.
Je fus conduit sur la construction.
Je n'avais pas besoin de voir pour accomplir ma tâche. Mes mains étaient mes yeux et elles oeuvrèrent avec habileté.
Tous mes autres sens en alerte, je m'efforçai de repérer le bon moment pour agir.
Un incident survint. Il y eut un craquement. Des voix.
Une planche avait cédé sous le poids d'un homme.
Une aubaine inespérée.
On répara la planche. Mais par bonheur, je trouvai sa sœur jumelle.
Je tus ma découverte, priant pour que mon secret demeure intact.
Le lendemain, je retrouvai l'endroit précis.
Le maître responsable de ma cécité vint me railler sur mon handicap. C'était devenu son nouveau jeu et il y prenait beaucoup de plaisir.
Je me souviens avoir souri avant de lui dire :
- Vous avez peut-être pris mes yeux, mais vous n'aurez jamais mon âme.
Puis j'ai sauté de tout mon poids sur la planche pourrie.
Nous sommes tombés tous les deux.
Une chute mortelle.
Mais je n'ai rien senti.
A l'instant où mon corps a touché le sol, mon âme s'est envolée.
J'ai déserté mon corps, recouvrant la vue et la liberté.
Mes rêves sont devenus mon quotidien.
Plus besoin d'attendre la nuit et le sommeil pour les rejoindre.
J'ai retrouvé mes amis les animaux. J'ai pu de nouveau parler avec eux.
Je me suis aussi découvert un don nouveau.
Je pouvais devenir l'animal que je voulais être.
Cette capacité à me métamorphoser a décidé de mon nom, j'imagine.
A moins que cela ne vint des magnifiques ailes de papillon dont je devins l'heureux acquéreur.
A l'instant où mon corps a touché le sol, mon âme s'est envolée.
Et elle vole toujours.
J'étais noir.
J'étais esclave.
Mais aujourd'hui, cela ne signifie plus rien pour moi.
Car mon âme est libre.
Et l'âme n'a pas de couleur.
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vendredi, 05 février 2010
La Naissance de Monarque [Nouvelles/Le Combat du Papillon]
« J'ai souvent regretté qu'il n'existât pas des dryades ; c'eut infailliblement été avec elles que j'aurais fixé mon attachement. »
Jean-Jacques Rousseau (Les Confessions)
J'étais un libertin.
Un noceur.
Avec tout ce que cela sous-entend de débordements, d'inconséquences.
Et de dépravations.
Mais j'étais heureux.
Du moins en étais-je convaincu.
Je goûtais à tous les plaisirs.
Sans crainte, sans doute et sans regret.
Je ne connaissais aucun tabou, aucun interdit.
J'obtenais ce que je désirais et je désirais ce que j'obtenais.
Rien ne me freinait.
Et si ma conduite indisposait quelqu'un, cela était rapidement et proprement réglé.
Au pistolet, s'il s'agissait d'un homme.
Au lit, s'il s'agissait d'une femme.
Dans les deux cas, je remportais toujours le duel.
J'étais fin tireur.
Ma réputation se répandit comme une traînée de poudre.
Ma compagnie devint un bien très convoité.
J'avais une certaine fortune et un charme certain.
Ce qui ne gâchait absolument rien.
Les hommes m'enviaient ma table.
Les femmes, mes murs.
Les uns comme les autres ma capacité à les séduire par ma seule présence.
Je n'étais pas roi.
Mais je possédais une cour que le monarque lui-même devait me jalouser.
Plus tard, je lui ravirai même ce titre.
Une nuit, pourtant, toute cette existence bascula.
Je fis un rêve qui devait changer ma vie à jamais.
Ma vie et surtout mon âme.
Dans ce rêve, j'atteignais un endroit d'une beauté sans pareille.
Des arbres immenses et majestueux montaient jusqu'au ciel. Les rivières étaient peuplées d'étoiles, cascadant des nuages et les pétales colorés des fleurs étaient de somptueux papillons qui s'envolaient à mon approche.
C'était comme de marcher dans un vivant poème.
Quelque chose m'avait attiré en ces lieux.
Quelque chose d'important, de vital.
D'inévitable.
L'air était empli de senteurs enivrantes.
Un orchestre invisible jouait une symphonie aux accents enchanteurs accordés à la beauté du paysage dans lequel je m'enfonçais.
A un moment donné, je me suis arrêté au bord d'une rivière, moins pour me désaltérer que pour goûter l'eau dont je devinais la saveur.
Je ne me trompai pas.
Elle était en effet d'une fraîcheur exquise, revigorante. Meilleure en tous points que tous les alcools dont j'avais le loisir d'abuser.
Lorsque je relevai la tête, elle était là, de l'autre côté de la rivière, m'épiant de ses grands yeux dorés. Ses longs cheveux, ainsi que son corps entier, semblaient parfaitement se fondre dans le sous-bois environnant. Seuls ses beaux yeux de biche ressortaient clairement de la nature dans laquelle elle savait si bien se dissimuler.
C'était une nymphe. Une dryade.
Je le sus intuitivement.
Alors mon cœur se mit à battre très fort.
J'eus le sentiment de redevenir un enfant.
Pur, innocent.
Je ne pouvais détacher mon regard de ces yeux, de ce visage.
Ce fut comme une révélation pour moi.
Mon émotion fut si forte qu'elle m'éveilla.
Je me retrouvai dans un lit. Des corps de femmes nues étaient couchés près de moi, figés dans des poses obscènes qui me rappelèrent une longue soirée d'orgies.
Je me levai et quittai cette couche impie, en proie à une panique sans nom.
A cet instant précis, j'eus l'horrible sentiment de retomber en enfer, moi qui avais connu le paradis.
Le choc fut terrible.
Je découvris qui j'étais, quelle vie j'avais menée jusqu'alors.
Une vie sans scrupule, sans morale.
Et cette vérité me terrassa littéralement.
Je connaissais mon âme. Je l'avais rencontrée dans ce rêve. J'avais vu sa beauté. Je ne pouvais plus l'ignorer. Mais j'avais un corps qui la retenait prisonnière et faisait de moi un véritable monstre de perversité.
Pendant des années, je m'étais comporté avec la plus parfaite insouciance, prônant le vice, l'érigeant en éducation.
Je m'étais fait geôlier, puis bourreau de mon âme.
Ma nature profonde enfin révélée, il m'était désormais impossible de me conduire comme avant.
Tout du moins, c'est ce que je crus.
Les habitudes revinrent vite.
Si j'avais pu être seul un certain temps, j'aurais pu sans doute m'absorber dans quelque réflexion salutaire. Mais je ne l'étais jamais. Je n'avais jamais ressenti le besoin de l'être auparavant. Des hommes et des femmes étaient sans cesse à mes côtés.
Pour ne pas dire plus près.
Pris dans le tourbillon de ma vie de débauche, j'oubliai mon âme.
Jusqu'à ce que je m'endorme.
Alors elle reprenait tous ses droits et profitant de l'inertie de mon corps épuisé de ses excès, me conduisait naturellement où était ma place et où m'attendait mon destin.
Car bien heureusement, je la revis. La nymphe.
Elle se baignait dans une rivière, son beau corps nu aux couleurs de la forêt dont elle était gardienne, sa chevelure verte et épaisse comme un doux lit de mousse se déversant dans l'onde pure.
Lorsqu'elle sentit qu'elle n'était plus seule, les pétales vivants des fleurs environnantes s'envolèrent et vinrent la couvrir de leur parure multicolore.
Lorsqu'elle se retourna, seul son visage était visible.
Son visage et ses yeux dont le regard me transperçait le cœur avec la vélocité et la précision d'une flèche.
Et son carquois était rempli.
Mais mon regard n'avait rien à envier au sien, comme je devais l'apprendre plus tard.
Mon cœur battant comme un soufflet de forge, je la vis s'avancer vers moi avec une grâce surnaturelle.
Le vêtement qu'elle portait, vivant et animé, chatoyait par instant lorsque les papillons le composant faisaient battre leurs ailes.
La magie était palpable.
Je fus convaincu de vivre le plus beau moment de ma vie.
Elle était si près de moi lorsqu'elle s'arrêta. J'étais paralysé, enraciné au sol.
Comme un chêne.
Je me demande encore comment j'ai pu trouver la force de parler dans de telles circonstances.
Sans doute craignais-je de ne plus jamais en avoir l'occasion.
- Je voudrais devenir comme toi.
Elle m'étudia longuement, moi ainsi que la déclaration que je venais de lui faire.
- C'est impossible.
Ses lèvres avaient à peine bougé. Sa voix avait la douceur d'une caresse.
Sa réplique, elle, me glaça.
- Pourquoi ?
A mon tour, je l'observai intensément, espérant peut-être influencer sa réponse.
Elle parut horrifiée.
- Parce que, moi, je n'ai jamais été comme toi.
A cette annonce, mon cœur se fendit et je sentis des larmes sourdre de mes yeux. A mon grand étonnement, elles ne coulèrent pas, mais remontèrent vers le ciel.
Elle sembla s'amuser de ma réaction. En ces lieux, ce phénomène était naturel.
Je fermai les poings. J'étais décidé à ne pas renoncer au paradis qui s'offrait à moi.
Dans cette forêt, je me sentais chez moi.
En paix.
- Je veux rester ici, implorai-je comme un enfant. Avec toi. Je ne veux pas retourner d'où je viens. Je préfère mourir plutôt que d'y retourner.
Ces grands yeux d'ambre me dévisagèrent alors gravement.
- C'est ce qu'il te faudra faire si tu souhaites rester ici, avec moi. Il te faudra mourir. Car tant que ton âme sera liée à ton corps, elle sera soumise à la réalité dans laquelle il demeure.
Je soupirai.
- Comment ? Si mon destin est de mourir vieux, je ne pourrais supporter de quitter sans cesse ce royaume pour retomber dans l'autre monde. Je ne pourrais le supporter.
Sa main effleura la mienne.
Mon cœur se mit à chanter malgré la peine qui m'accablait.
- Tu viens de te répondre. Ta souffrance te fera trouver le moyen.
Je serrai sa main comme on se raccroche à la vie.
- J'ai pourtant si peur de ne pas y parvenir. J'ai si peur de perdre mon âme et le chemin qui mène jusqu'à toi.
A son tour, elle me serra la main.
- Alors je vais t'aider à ne pas les oublier.
Elle pencha ma tête vers la sienne et déposa ses lèvres sur les miennes.
L'émotion de ce baiser me traversa de toutes parts.
Lorsque j'ouvris les yeux, elle avait disparu. La forêt aussi.
Je me retrouvai à nouveau dans un lit encombré de corps nus d'amantes lascives.
Un vertige me prit. Et une envie de vomir.
Je trouvai un coin où me blottir et là, repensant à ma nymphe, à notre conversation et à la chaleur de son baiser, je versai toutes les larmes de mon corps.
Et celles-là ne remontèrent pas vers le ciel.
Je perdis rapidement la notion du temps ainsi que le goût de toutes ces bassesses qui jusqu'alors avaient constitué ma vie.
Je redevenais moi, l'essence de moi.
Ce qui ne se faisait pas sans douleur.
Une lutte terrible avait lieu en moi. Celle de mon âme revenue à elle-même et ce corps, cette enveloppe physique sordide, alimentée par le péché, souillée par la perversion, attentive à toute tentation, de l'emprise de laquelle je ne pouvais me défaire qu'en plongeant dans les bras de Morphée, jusque dans son esprit, seul endroit où je savais trouver la paix, la liberté.
Et l'Amour.
Bien souvent, je prétextai une fatigue imaginaire ou un mal qui n'était que chimère pour m'étendre seul et profiter de ces siestes afin de rejoindre mon paradis intérieur.
Las.
Pour mon plus grand malheur, par mes soins passés, j'avais rendu ma cour bien trop fidèle à ma présence pour espérer me voir privé d'elle au-delà de quelques instants.
Mes rêves étaient interrompus, toujours prématurément.
Au réveil, la douleur de la séparation cédait rapidement la place à la plus vive des colères. Bien évidemment, mes sujets ne comprenaient pas mon attitude.
Et ils en auraient été bien incapables.
Cela ne faisait qu'attiser mon ire.
Et dans ces moments de fureur indomptable, seuls les plaisirs les plus vils étaient capables de me rasséréner. Mais c'était une consolation provisoire et néfaste, car une fois contenté, je revenais à moi, épris de remords, la conscience torturée et je maudissais ma faiblesse.
Victime d'un cercle en tous points vicieux, je me sentais proche de la mort sans pourtant jamais l'atteindre.
Il n'existait plus qu'un seul temps pour moi. Celui où je pouvais la voir, la retrouver, même de brefs instants. Le reste n'était qu'une attente douloureuse et impie.
Mais la chance finit par poindre à l'horizon, sous une forme des plus improbables.
Un jeune homme se présenta à moi. Un artisan.
J'avais abusé de son épouse. Il demandait réparation. Par les armes.
Il n'avait pas froid aux yeux car il connaissait ma réputation.
Auparavant, je l'aurais à peine regardé et aurais ordonné à l'un de mes valets de se charger de la formalité. Mais j'entrevis en cet homme en apparence simple, le plus grand espoir, une opportunité que je n'attendais plus.
Sans le savoir, il pouvait me permettre de réaliser mon vœu le plus cher.
Oui, l'occasion était trop bonne pour ne pas la saisir.
La haine que j'inspirais à l'offensé était manifeste. Un sentiment de vengeance évident l'animait. Au moins étais-je en mesure de le comprendre. Si elle me fit trembler au premier abord, sa détermination eut ensuite le don de me conforter dans ma décision.
Je pensai faire d'une pierre deux coups.
J'avais changé. Je n'étais plus le même homme. Ce que j'avais fait subir à cet artisan et à sa femme m'épouvantait au plus haut point. Je le regrettai sincèrement et profondément tant que l'idée me vint naturellement de présenter mes excuses.
Mais en fin de compte, j'allais faire bien mieux que cela.
Le jour convenu du duel, mes fidèles écuyers tentèrent de me dissuader de m'engager pour si peu. Leur rappelant ma légendaire habileté et leur précisant que je voyais en cette rencontre un divertissement digne de moi, ils ne trouvèrent plus aucune raison d'insister.
Ils finirent même par se dire que cela allait m'aider à redevenir le joyeux luron dont je n'étais plus que l'ombre.
A l'heure convenue du duel, nous nous présentâmes, chacun accompagné de nos témoins, à l'orée d'une forêt.
Une forêt. Cela me fit sourire.
Je pensai instinctivement à ma nymphe qui m'attendait dans la sienne.
Bientôt, me dis-je. Bientôt.
Etant l'offensé, l'artisan eut la primeur du premier coup de feu.
Il me manqua.
J'ignorais s'il était exercé. Je l'espérai profondément.
Sa volonté de me châtier jouait assurément en sa faveur.
Je tirai à mon tour. A la surprise de tous, je manquai ma cible.
D'un sourire, je rassurai mes témoins. Ils interprétèrent alors ma maladresse comme une volonté de ma part de prolonger le jeu et ainsi donner de faux espoirs de victoire à mon adversaire.
Nous nous rapprochâmes.
La distance entre nous était encore conséquente, mais je pouvais lire aisément l'expression peinte sur le visage de l'artisan bafoué.
Il voulait ma mort. Ni plus, ni moins.
Il l'ignorait, mais il détenait le pouvoir de se venger autant que celui de me libérer. Il était mon Charon personnel, mon passeur, non pour les enfers - puisqu'il allait me permettre de les quitter - mais bien pour le paradis.
J'entendis le coup de feu. Puis plus rien.
L'artisan avait disparu ainsi que nos témoins respectifs.
Seule la forêt demeurait. Mais elle était métamorphosée. D'une beauté céleste étrangement familière.
Le pistolet n'était plus dans ma main.
Je compris que mon passeur avait fait son office. Nul doute que la joie devait le submerger. Une joie qui ne pouvait avoir d'égale que celle qui me remplissait à l'instant où je me précipitai pour retrouver ma nymphe, ma dryade, ma fée.
Elle m'attendait, rayonnante, comme si elle avait deviné ce qui s'était passé.
Elle me savait libéré.
Nous tombâmes dans les bras l'un de l'autre. La forêt toute entière sembla faire écho à notre bonheur.
Alors ma poitrine s'ouvrit et mon cœur inonda ma nymphe d'une lumière opaline. Lorsqu'elle s'estompa, j'avais devant moi une femme d'une grande beauté aux longs cheveux noirs moirés de vert. Je remarquai aussi que ses paupières étaient fardées et ses lèvres peintes de la même teinte.
C'était bien ma nymphe, mais mon amour pour elle l'avait transfigurée. Elle était devenue un peu moi.
- Comment t'appelles-tu ?
Elle examina son nouveau corps avant de répondre :
- Je m'appelle Vanesse. Reine du Cœur.
Alors sa poitrine s'ouvrit et son cœur m'inonda d'une lumière opaline d'où j'émergeai, transfiguré.
Je me baissai pour examiner mon nouveau corps. J'étais nu, d'une blancheur virginale et dépourvu de sexe. Et tandis que j'admirai mon apparente pureté, tels les pétales d'une fleur, deux ailes de papillon à mes dimensions s'ouvrirent majestueusement dans mon dos.
J'étais devenu un peu elle.
Je m'aperçus, qu'à mon instar, elle arborait elle aussi des ailes de papillon aux couleurs chatoyantes.
Peut-être parce que je la considérais comme ma fée.
Cette vision me fit pleurer et je souris avec elle en voyant mes larmes s'orienter vers la cime des arbres.
- Je m'appelle...Monarque.
Le sourire de Vanesse d'élargit.
- Roi des larmes !
Nous étions désormais fée l'un pour l'autre.
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mardi, 28 juillet 2009
Cashback [Cinéma/Critiques]
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jeudi, 12 février 2009
La Genèse [Nouvelles/Le Combat du Papillon]
La Chute de l’Age d’Or
Les sept jours de la création
constituèrent sept phases de l’emprisonnement de l’homme
enchaîné dans un antre,
dans les limites mêmes d’un monde
uniquement perçu par les cinq sens.
William Blake
I. L’Harmonie Primitive
Au commencement était le Paradis
Tout n’était que pensées
Rien n’était dit
Nous étions des anges qui dansaient
Le firmament
Etait notre mer
L’amour était omnipotent
Nul ne pouvait être amer
Nous étions un
Et étions Dieu
Au sein de chacun
S’ouvrait une paire d’yeux
Un cœur d’enfant innocent
Qui demeurait grand ouvert
Pour répandre et recevoir
L’amour tout en vers
Qui remplissait sans se voir
Toutes les âmes tel un sang
Sommet de l’Age d’Or
Où la pureté triomphait
Où l’absence de corps
Donnait vie aux fées
En une sublime geste
Qui sublimait nos gestes
Eden de notre origine
Où la musique était oxygène
La vertu religion
La poésie naissait
De la moindre pensée
Elle était le langage
Le plus précieux des partages
L’imagination nous baignait
Nul ne voulait l’ignorer
Nul ne pouvait le nier
En un océan doré
Symbole vivant
De notre liberté
Qui s’étendait à l’infini
Et sa source d’éternité
Etait reliée à nos esprits.
II. La Chute du Paradis
Le chaos vint pourtant
Le chaos et le Temps
La Nature fut envahie
Par la naissance de nouvelles envies
Des lois rigides s’instaurèrent
Et vinrent ce monde appauvrirent
De mécaniques habitudes
Une croissante lassitude
Naquirent un peu partout
Divisant ce qui constituait le Tout
Nous qui n’étions pas faits alors
Pour mener et gagner une lutte
Nous donnâmes
La mort
A ce fabuleux Age d’Or
Et damnâmes nos âmes
En érigeant sa chute.
III. La Séparation de l’Esprit
Et naquit la discorde
La lyre cassa ses sept cordes
Les hommes raisonnèrent
Les hommes s’emprisonnèrent
Ils perdirent leur unité
Coupèrent le fil de leur infinité
Ils cessèrent d’être devins, divins
Pour devenir sombres humains
Avec une tête, avec des mains
Une cosse matérielle
Détruisant leur essence spirituelle
L’esprit dont ils faisaient partie
Se réduisit, partit
Il se morcela pour venir habiter
Chacune de ces nouvelles entités
Leur conférant une nouvelle identité
Une âme aux maigres proportions
De ce corps
Résultat de leur malédiction
Pauvre et illusoire décor
Pour des être ayant connu l’essor
Ridicules et avilissants haillons
Pour d’anciens papillons
Devenus rampantes chenilles
Ils ne méritaient que des guenilles
Là où des ailes d’arc-en-ciel
Faisaient leur rang
Faisaient leur nom
En eux coula un nouveau sang
Qui n’avait plus rien des merveilles
La marque de démons
Tout prêts à l’éveil
Pour répandre et s’abreuver
De cette rivière vermeille
Dès qu’ils pourraient œuvrer.
IV. La Genèse de l’Enfer
L’Homme nouveau
Ayant revêtu sa peau
Ne pouvait plus faire marche arrière
Et se mit en devoir de créer une terre
Digne de l’accueillir
Digne de le soustraire
A son appartenance céleste
Il créa le Nord, le Sud, l’Ouest et l’Est
Aux limites du temps
Lui qui n’en avait jamais eu avant
Il ajouta la chaîne de l’espace
La raison croissant toujours en lui
Le dévorant comme le ver le fruit
Il sépara l’unité de son espèce
En deux sexes distincts
L’un féminin, l’autre masculin
Ruinant les principes de son origine
Scindant les valeurs de sa nature androgyne
En deux êtres complexes
Qu’il dota chacun d’un sexe
Propre à permettre sa perpétuation
Par leur association
En sept jours
Il se créa sept fardeaux
Si bien conçus qu’ils seraient toujours
Bien trop lourds à porter
Faisant de lui son plus parfait bourreau
Sans se sentir victime
Ignorant totalement la portée
De ces carcans intimes
Toutefois, avant que tout esprit rêveur
En lui ne meurt
L’Homme se forgea un lien avec ferveur
Il noua son âme à l’Océan Divin
Se donnant ainsi le moyen
Par le rêve et par la Mort
Quand il pourrait quitter son corps
De remonter vers les célestes ondes
Pour qu’à nouveau il s’y fonde.
V. L’Eclosion du Mal
L’Homme qui n’était que vertu
Lui dont la sagesse était instinct
Sema en lui les graines de la perversité
Condamnant sa vertu à être perdue
Et son bon sens à être éteint
Dans une future adversité
Il jugea le vice
Comme une nouvelle liberté
Lui qui s’ennuyait de tout
Mais en permettant qu’il s’immisce
Il donna un ennemi à la pureté
Et brûla son ultime atout.
VI. L’Héritage de l’Harmonie
Avant de rejoindre son nouveau monde
Qui avait débuté son évolution
L’Homme employa une dernière seconde
Pour réaliser une précieuse opération
Dans son désir encore ingénu
De pouvoir converser avec les nues
Il produisit en lui
Sept germes comme autant d’armes
Qui s’opposaient
Aux sept chaînes
Auxquelles il s’était assujetti
L’Amour, le Rêve, la Mort
La Religion, l’Art
La Poésie
Et la Magie
Sept sens
Héritage de l’originelle essence
Sept moyens d’agir
Vestiges de l’Harmonie
De la cassure de la lyre
De son absolue symphonie.
VII. La Chute aux Enfers
Dans sa nostalgie de l’Age d’Or
L’homme avait façonné
Un océan comme l’azur
Dans lequel jadis il était né
Fidèle à son idée première
Il décida qu’il renaîtrait en ce monde
En cet Enfer baptisé Terre
Au sein de ses nouvelles ondes.
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samedi, 07 février 2009
Féminité 3
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lundi, 02 février 2009
Monarque
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dimanche, 18 janvier 2009
Féminité
21:24 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : dessin, illustration, femme, féminité, symbolique, poésie, romantisme, fantastique, gothique
Le Prologue [Nouvelles/Le Combat du Papillon]
La poésie est le réel absolu
Novalis
Et si nous avions déjà connu le Paradis.
Et si la Terre était devenue notre Enfer.
Bientôt, l'Humanité devra livrer sa plus grande bataille
contre son plus grand ennemi : elle-même !
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