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lundi, 20 juin 2016

Le Coeur dans les Etoiles [Nouvelles/Fantastique]

 

Galien la regardait toutes les nuits depuis plusieurs mois. Elle semblait lui sourire davantage à chaque fois. Ils ne pouvaient se parler, mais il osait penser qu’elle souhaitait elle aussi qu’ils se rapprochent enfin.

Une nuit plus belle que les autres, alors que les étoiles semblaient l’encourager, il se passa quelque chose d’inexplicable. Un petit trou s’ouvrit dans la poitrine de Galien et une petite graine s’en échappa. Il la ramassa, surpris. D’où pouvait-elle bien venir ? A quoi pouvait-elle bien servir ?

Il dormit très peu, observant la graine et se demandant sans cesse qu’elle était sa fonction.

La lune disparut, ainsi que son merveilleux visage et le soleil, implacable souverain, régna une fois de plus dans le ciel, annonçant une terrible journée de canicule.

Galien commençait à souffrir beaucoup de la situation. Dans ce désert où il vivait depuis sa naissance, il y avait peu d’eau, presque pas de nourriture. Les habitants devaient marcher très longtemps pour trouver quelque chose à se mettre sous la dent. Et si cela continuait, il n’y aurait bientôt plus personne en état de marcher.

Galien gratta le sol asséché et creusa un petit trou dans lequel il plaça la graine. Cela lui paraissait naturel de la mettre sous terre même s’il n’avait jamais vu une telle chose se faire.

Il se dit que ce serait bon aussi pour la graine de recevoir de l’eau. Mais il ne pleuvait presque jamais et l’eau était tellement rare qu’elle était bue en un temps record.

Malgré la chaleur, il marcha longtemps d’en l’espoir d’en trouver, persuadé qu’il tenait la solution pour rejoindre le beau visage de la lune qu’il chérissait depuis tant de temps. Il rencontra quelques hommes et quelques femmes, mais personne capable de l’aider dans sa quête.

Le soir, il retourna près de sa graine, le visage triste. La lune lui offrit alors son sourire comme pour le consoler de sa déveine. Mais en le voyant, cela ne fit que le rendre plus triste encore. Il cria :

- Pourquoi je ne peux pas te toucher ?

Il commença à pleurer. Les larmes roulèrent sur ses joues avant de toucher le sol asséché.

Et quelque chose d’inexplicable se produisit. La terre se fissura et un rameau se hissa hors de l’ouverture. Galien s’essuya les yeux. Il était fou de joie. Grâce à ses larmes, sa graine avait poussé. Il avait réussi !

Cette nuit-là, il offrit à la lune une danse endiablée en promettant à qui pouvait l’entendre qu’il ne s’arrêterait pas en si bon chemin. Le plus dur était fait selon lui.

Le lendemain et les jours suivants, le rameau commença à flétrir. Et Galien comprit qu’il avait énormément besoin d’eau. Si jamais il mourrait, il ne pourrait plus rejoindre la lune et il ne savait pas s’il pourrait obtenir une autre graine.

La tristesse l’envahit à nouveau et il se remit à pleurer, arrosant le rameau fatigué qui brusquement s’élança vers le ciel. Les yeux humides, le garçon observa l’arbre pousser à une vitesse prodigieuse. Il continua alors à pleurer, mais cette fois, seule la joie faisait couler ses larmes.

Cela se passa ainsi pendant plusieurs jours et plusieurs nuits. Tour à tour heureux et découragé, Galien arrosait l’arbre démesuré porteur de tous ses espoirs.

Il vint naturellement un moment où il prit peur que l’arbre dans son irrésistible progression ne blesse le merveilleux visage de la lune. Il ne souhaitait certainement pas que tous ses efforts aboutissent à un tel résultat.

Alors, une nuit plus belle que les autres, tandis que les étoiles semblaient l’encourager, il grimpa sur l’arbre et se mit à l’escalader avec une facilité stupéfiante. Il regarda à peine le sol disparaître sous lui, son regard fixé sur le disque blanc et souriant perché au-dessus de lui.

- Je vais y arriver ! se répétait-il. Je vais te rejoindre !

Hormis son objectif, il finit par tout oublier : le danger, la faim, le sommeil. Le seul fait de réaliser son rêve le nourrissait  et faisait taire les protestations de son corps et de son esprit.

Il oublia également la notion du temps. Il s’était peut-être passé des jours, des semaines ou des mois lorsqu’il parvint finalement jusqu’en haut de l’arbre. Le jour tombait. Le soleil, implacable souverain, quitta son trône céleste pour céder la place à la lune et à son merveilleux…

Galien se figea. Non, c’était impossible ! Où était-il donc passé ? Qui l’avait volé ?

La lune était bien là, devant lui, à portée de main. Mais ce visage qui l’avait tant ému, ce sourire qui l’avait tant aidé à garder l’espoir, ils n’étaient plus là. Quelque chose d’inexplicable s’était passé. La douleur qu’il ressentit fut telle qu’il trébucha et tomba de l’arbre. Il tomba d’une hauteur vertigineuse.

La mer en contrebas accueillit son corps d’enfant dans une grande gerbe d’eau salée.

Aussi salée que l’avaient été ses propres larmes.

 

Tanis la regardait toutes les nuits depuis plusieurs mois. Elle semblait lui sourire davantage à chaque fois. Ils ne pouvaient se parler, mais il osait penser qu’elle souhaitait elle aussi qu’ils se rapprochent enfin.

Une nuit plus belle que les autres, alors que les étoiles semblaient l’encourager, il contempla le sol asséché à l’endroit où il avait planté la graine, des jours auparavant. Une grande tristesse l’envahit. Comment pouvait-il espérer la voir pousser dans un monde où il ne pleuvait jamais, où l’eau n’existait pour ainsi dire pas ?

Il cria :

- Pourquoi je ne peux pas te toucher ?

Une silhouette apparut alors près de lui, enveloppée dans un vêtement ample qui cachait son corps et son visage. Tanis s’empressa alors de lui demander :

- J’ai besoin d’eau pour arroser ma graine. En avez-vous ?

L’homme secoua la tête.

- Non, mais toi tu en as plus qu’il n’en faut.

Il abaissa son capuchon. L’homme avait de longs cheveux et une barbe. Et des larmes coulaient sur ses joues. Tanis le regarda, surpris, puis il contempla à nouveau le sol. Et c’est alors qu’il comprit. Sa joie fut telle qu’il se retourna pour se jeter dans les bras de l’inconnu. Mais ce dernier avait disparu.

 

Les yeux remplis de larmes, Tanis serrait les dents tout en donnant de violents coups de hache dans le tronc d’arbre. Alors qu’il était sur le point d’accomplir son forfait, une main ferme retint son bras armé.

- Tu as tort de faire cela.

Tanis se retourna. C’était l’inconnu qu’il n’avait pas revu depuis le jour de leur rencontre.

Tanis était fou de rage et de revoir cet homme était encore pire pour lui.

- Je te maudis toi aussi ! Si tu savais comment atteindre la lune, tu devais aussi savoir que son sourire si merveilleux n’existait pas. Pourquoi ne m’as-tu rien dit ? Pourquoi m’as-tu laissé à mes illusions ?

L’inconnu sourit.

- Parfois, nous nous trompons sur le sens de l’amour que nous portons à certaines choses ou à certaines personnes.

Tanis retrouva son calme. Le visage et la voix de l’inconnu étaient apaisants. Il semblait être venu de très loin pour lui parler. Il l’écouta attentivement lorsqu’il ajouta :

- Cela ne veut pas dire que cet amour n’a pas de sens.

Galien leva le bras et cueillit une pomme qu’il tendit à Tanis. Celui-ci leva la tête et remarqua pour la première fois les innombrables fruits qui avaient poussé en même temps que l’arbre.

Alors il commença à comprendre.

Galien le dévisagea, toujours en souriant :

- La lune n’a peut-être pas de visage, mais notre amour, lui, était bien réel. Si chacun de nous vient à y goûter, alors notre monde ne sera plus un désert, mais une terre fertile et nourricière. Et chacun de nous pourra enfin devenir un être humain.

 

 

 

T’as aimé…ou pas

T’as tout lu, tout vu, tout entendu…ou pas

Peu importe, post un com et like la page pour dire que tu existes car ton avis est important pour moi, mais aussi pour le futur de ce blog, un gros merci d’avance !

Les Mots de la Vie [Nouvelles/Fantastique]

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   Elle avait fermé les yeux depuis un moment déjà, ce qui ne diminuait en rien le charme que Robert lui avait toujours trouvé, même s'il avait été le seul. Personne dans son entourage, encore moins dans sa famille, n'avait compris son choix. "Ordinaire" était le mot qu'il avait toujours lu dans les yeux de ses proches pour qualifier la femme de sa vie sans jamais l'entendre. Mais cela n'avait jamais été nécessaire d'en arriver là, il avait perçu très tôt cette forme de rejet à son encontre. Dans son malheur, il avait relativisé. Au moins cela lui avait-il permis de mieux mesurer la stupidité de ceux qu'il pensait être des amis dignes de ce nom. Car foncièrement, ils n'avaient jamais rien eu à reprocher à sa femme. Hormis qu'elle ne correspondait pas du tout à leur propre fantasme.

Ils avaient donc un peu vécu leur amour dans une bulle. Ce qui n'avait pas été pour leur déplaire.

La lumière épousait les traits de sa femme avec une grâce presque intentionnelle. Comme pour lui rendre hommage. Le fait est que le moment était particulièrement bien choisi. Ses longs cheveux roux flamboyaient comme pour annoncer l'issue fatidique de la cérémonie. Robert pleura et se pencha pour embrasser le visage impassible. Il essaya de ne pas penser à ce qu'il adviendrait de lui dans quelques instants. En vain. Il sentit alors la douleur lui étreindre le coeur et creuser en lui un insondable gouffre. Il était en train de perdre une partie de lui-même et il sut intuitivement que ce n'était là qu'un avant-goût de son deuil futur.

Quelqu'un ferma le cercueil, clôturant par la même occasion le plus beau chapitre de sa vie.

 

L'hiver prenait racine cette année là, rendant ses perspectives de survie encore plus faibles qu'auparavant. Grelottant de froid malgré un manteau trop long, elle faisait peine à voir, le visage blanc comme un linge, des cernes inquiétantes sous des yeux trop grands pour son visage d'enfant. A 21 ans, elle n'était pourtant plus une petite fille. Mais la rudesse de son adolescence avait creusé ses traits, dénaturé sa démarche et son regard au point de la faire paraître comme une rescapée de guerre.

Quand chaque jour est une lutte pour vivre le jour suivant, le mot guerre n'est pas exagéré. La faim et la soif, elle connaissait, au point que parfois manger et boire lui faisaient peur. Lorsqu'on a des repères, quels qu'ils soient, les perdre est toujours un moment délicat, un dilemme extrême. Plus d'une fois, elle avait boudé sa nourriture alors que son estomac n'était plus qu'un insondable gouffre. Elle avait peur d'être rassasiée comme on peut craindre le bonheur après des années de dépression.

Elle évitait toujours la fouille des poubelles en publique. Se raccrocher à quelques vestiges d'éducation lui permettaient de garder un minimum vital de dignité humaine. Et dans son cas, cela valait de l'or, évidemment.

 

Robert rentra chez lui. Il ne se souvenait pas du trajet. Il avait conduit mécaniquement, laissant son cerveau le piloter lui-même en mode automatique. Il n'était plus vraiment là. Terrassé par l'ampleur de la tragédie, son esprit cherchait un espace-temps digne de l'abriter en attendant que l'orage passe. Il allait falloir être patient, les prévisions météo étant une denrée rare dans ce cas précis. C'est tout aussi machinalement qu'il ouvrit sa boite aux lettres. Il n'espérait ni n'attendait de courrier particulier. Au contraire. N'importe quel prospectus serait déjà en soi une lame suffisamment aiguisée pour élargir la plaie qui déchirait son âme en deux. Tout ce qui désormais le ramènerait à son existence terrestre serait un martyre. L'enveloppe était tellement petite qu'il faillit ne pas la voir. Sa taille fut moins la source de sa curiosité que l'élégance de l'écriture. Il ne connaissait personne qui avait une telle écriture. Elle n'avait pas été postée, mais déposée directement à son domicile. Ce qui, évidemment, attisait son intérêt.

Avide de se distraire, son esprit oublia la tempête pour un temps et se plongea dans la lecture de cette lettre mystérieuse.

 

Vous ne me connaissez pas et pour ainsi dire je ne vous connais pas non plus. J'en sais néanmoins assez sur vous pour m'octroyer le droit de m'adresser à vous de cette manière. Vous vivez actuellement un drame que je ne prétends pas comprendre, même si j'ai moi-même connu des moments de grande solitude. Les raisons qui me poussent aujourd'hui à écrire cette lettre sont trop complexes pour que je veuille sacrifier l'attention privilégiée que vous voulez bien me porter. Aussi irais-je droit au but : je connais le moyen de vous faire retrouver l'être si cher à votre coeur et j'ai toutes les raisons de vous le transmettre sans rien exiger en retour. Tout ce que vous avez à faire c'est de suivre scrupuleusement les quelques instructions ci-dessous. Je vous laisse décider de l'honnêteté de ma démarche. En espérant que contre toute raison, votre intuition vous assure du respect et de l'estime que j'ai pour vous.

 

Il n'y avait, bien entendu, aucune signature. Robert eut du mal à cacher son trouble, encore moins à ne pas soupçonner sa famille de se jouer de lui et de son infortune. Etaient-ils capables d'étendre leur perversité à cette extrémité ? Robert n'avait aucune envie de le vérifier et c'est pourquoi, sans même lire la suite, il chiffonna la lettre et rangea la boulette de papier dans sa poche. Un bon feu de cheminée l'attendait et cette supercherie ferait un excellent combustible.

 

La chaleur. Elle essayait de s'imaginer devant un bon feu de cheminée au point de sentir son corps réagir à une température aussi positive que virtuelle. Cela marcha quelques secondes. Elle sentit une douceur l'envelopper, une légèreté, un confort désarmant. Et puis les flocons de neige emportèrent son rêve comme une feuille morte. Elle qui aimait religieusement la neige étant petite la détestait à présent plus que tout au monde. Ce manteau blanc représentait pour elle son innocence perdue, la confrontait malgré elle à la vie qu'elle avait perdu, à ses espoirs gelés. Elle ne supportait pas le bonheur des autres, mais peut-être encore moins celui qu'elle avait pu connaitre, il lui semblait une éternité de cela. Elle connaissait bien le quartier et les squatters comme elle qui le peuplaient. Cela n'était, hélas, pas toujours d'un grand réconfort. Elle s'était trop éloignée de son antre comme elle appelait affectueusement l'abri le plus cher à son coeur. La tempête de neige était maintenant trop forte pour qu'elle put envisager d'y retourner sans encombre. Elle devrait improviser. Elle lécha la glace accumulée sur ses lèvres. Question d'habitude.

 

Robert allongea ses jambes maigres devant la cheminée. Ses pieds nus recueillirent la chaleur du feu avant de la projeter joyeusement dans tout son corps. Malgré cela, un froid persistait en lui que même le volcan le plus actif ne serait en mesure de neutraliser. Il plongea ses mains dans ses poches comme pour s'armer davantage contre ce mal-être. C'est ainsi qu'il retomba malgré lui sur la lettre mystérieuse. Son destin était déjà scellé. Il leva la main pour lancer la boulette de papier dans l'âtre, mais ne put se résoudre à terminer son geste. Il n'avait pas lu la fin. Ce simple constat l'empêchait clairement de mettre son projet à exécution. Il chaussa son nez de coûteuses lunettes - l'un de ses rares luxes - avant de déplier la lettre et de décrypter l'écriture rendue moins élégante par les innombrables pliures du papier.

 

Pour exaucer votre souhait, vous devez respecter à la lettre ces deux conditions :


- Ecrivez tout ce que vous avez sur le coeur, sans retenue, ni compromis.

- En guise de crayon, utilisez de l'encre naturelle et la plume d'un oiseau né le même jour que vous. 

 

Robert ne s'attendait évidemment pas à pareil dénouement. Ou plutôt n'était-ce pas précisément ce qu'il avait craint et l'avait incité à ignorer la finalité de ce message pour le moins suspect ? C'était un canular, cela ne pouvait être autre chose, une farce d'une connaissance à lui ou bien d'un inconnu, peu importait. Il expira bruyamment. Il était peut-être fragile, mais ce n'était pas pour autant qu'il allait naïvement tomber dans le panneau.

 

Blottie dans une encoignure de porte, en attendant que la tempête passe, elle pensa à son père. Elle pensait toujours à son père dans les moments les plus sombres de son existence. Difficile de faire autrement. C'est quand il l'avait quittée, qu'elle s'était retrouvée seule au monde, désemparée, impuissante. Il s'était tellement bien occupé d'elle, il l'avait tant aimée, que la vie sans lui s'était vite transformée en cauchemar. Incapable de faire face à sa douleur, elle s'était complètement coupée du monde. Et il ne s'était guère passé de temps avant que la rue ne lui ouvre les bras.

- Papa.

Elle tenta de l'invoquer, pour raviver ses meilleurs souvenirs. Mais un déluge de larmes noya sa tentative que le froid implacable gela comme pour censurer son émotion naissante.

 

Robert resta plusieurs jours inerte, se levant rarement, se nourrissant encore moins.

Un matin, il réalisa qu'il n'avait toujours pas brûlé cette maudite lettre alors il arma son bras pour la projeter dans l'âtre. Une pensée soudaine l'arrêta. Mais s'il n'y plaçait aucune attente, aucun espoir, que risquait-il à aller jusqu'au bout ? Ce petit jeu occuperait son esprit et lui permettrait en outre d'extérioriser ses états d'âme. Il y avait pire comme coup fourré. Et de savoir que les mauvaises intentions de son mystérieux persécuteur ne l'affecteraient pas le moins du monde ne pouvait que le motiver à s'investir pleinement dans ce projet.

L'encre ne posait aucun problème, ce n'était pas une denrée rare. Mais restait à résoudre le problème de la plume. Un oiseau né le même jour que lui. L'espèce n'était pas précisée, il supposa que cela ne revêtait pas une grande importance. Sa recherche en serait facilitée. Mais le même jour, cela sous-entendait-il aussi la même année ? Trouver un oiseau de 35 ans paraissait déjà être une gageure, alors avec une date de naissance identique à la sienne !

Robert secoua la tête et se mit à rire. Il imagina sa femme rire aussi en le voyant se triturer les méninges pour si peu. Il haussa les épaules. L'âge suffirait bien. Après tout, il faisait ça juste pour s'occuper. Ni plus, ni moins.

Il n'était pas expert en ornithologie, mais à son sens, un oiseau ne devait pas vivre bien longtemps. Assurément plus qu'un rongeur, mais sûrement moins qu'un chien ou un chat. Il lui faudrait pas mal de chance. Et puis comment connaître l'âge précis d'un oiseau ? Il s'imagina capturer un pigeon dans la rue et lui demander poliment sa date de naissance. Il se mit à rire sans savoir s'il pourrait s'arrêter. Il s'essuya les yeux avant de comprendre qu'il commençait aussi à pleurer. Sa femme était toujours là, dans un recoin de son esprit, indissociable de la moindre de ses pensées. Il repensa alors au jour où il avait compris qu'elle ferait toujours partie de lui. La mémoire lui revint rapidement. C'était lors de cette journée au zoo, où, main dans la main, ils observaient les espèces sans mot dire, leur coeur discourant à bâtons rompus, comme réanimé après une interminable période de sommeil. C'était au début de leur relation, cette période où un couple expérimente toutes sortes de distractions moins par intérêt que pour exposer leur amour à la lumière d'un nouveau décor, d'un nouveau public. Lorsqu'on s'aime, on est régulièrement en représentation, plus souvent qu'on ne le pense. Et c'est lorsqu'on se retrouve seul qu'on s'en aperçoit le plus.

Robert se laissa complètement possédé par cette émotion passée. Il pouvait encore sentir l'odeur âcre des animaux en captivité contrastant avec le parfum fleuri de sa douce. Lorsqu'il ouvrit les yeux, son poing fermé tenait la lettre comme pour catalyser ses idées. Il sourit. Il savait où trouver un oiseau qui lui dirait son âge.

 

Le gardien du zoo le toisa avec perplexité.

- Un oiseau de trente-cinq ans, dites-vous ?

Le vieil homme se gratta la tête.

- Bah, je pense à Voltaire, mais je suis pas sûr à cent pour cent, faudrait que je vérifie le registre.

Robert se mordait nerveusement les lèvres, tenaillé entre son désir de satisfaire au mieux les exigences de la lettre et sa volonté de ne pas prendre tout cela... au pied de la lettre justement.

- Voltaire, c'est...un oiseau ?

Le vieil homme s'esclaffa tout en compulsant des notes manuscrites.

- Oui ! C'est vrai que c'est un nom bizarre pour un oiseau. C'est moi qui ai eu l'idée. Comme c'est un vautour, vous comprenez, ça sonnait bien. Voltaire le Vautour. Et puis, c'est une espèce qui a tellement mauvaise réputation que de lui donner un nom aussi classe je trouvais que ça rééquilibrait un peu la balance, vous voyez.

Robert acquiesça à son tour, perplexe.

- Un vautour ? J'ai rien contre cet oiseau, vous savez, mais j'aurais préféré...

- Ah ! Le voilà ! Voltaire, né le 12 août 1977. Trente-cinq ans, donc !

Robert ouvrit la bouche sans qu'aucun son ne puisse en sortir.

Le gardien s'alarma.

- Vous vous sentez bien ?

Robert déglutit. Son corps entier se couvrit d'une sueur glacée.

- Je suis né le 12 août 1977.

Le vieil homme s'esclaffa derechef et lui donna une bourrade dans le dos :

- Et bien on dirait que vous avez tiré le bon numéro ! Sacrée bande de veinards !

 

Une fois rentré chez lui avec en sa possession une plume dudit Voltaire, Robert ne put se résoudre à continuer de voir en cette lettre une quelconque manipulation. Le souvenir de sa femme, le zoo, la date de naissance du vautour. Trop de coïncidences. C'était forcément lié, cela voulait forcément dire quelque chose, lui dire quelque chose.

Ecris-le !

A partir de ce jour, Robert se lança à corps perdu dans l'écriture de sa vie et de celle de son amour disparu. Tout à son devoir de restituer à la perfection la vérité de ses sentiments, il en oublia de dormir, de manger et de boire. Sa santé se dégrada sans qu'il en eut conscience. Ce n'est que lorsqu'il se trouva dans l'incapacité d'écrire le moindre mot qu'il songea à reprendre des forces. 

Le livre fut terminé en quelques semaines. Il restait des retouches à faire, bien sûr, mais l'essentiel était inscrit noir sur blanc. Robert en ressentait une fierté sans pareille. Il avait pu ainsi revivre les meilleures années de son existence, son esprit désaltéré par la source de tous ses plus beaux souvenirs. Il embrassa la plume.

- Merci Voltaire. Je ne penserai plus jamais de mal de ton espèce.

Mais maintenant qu'il avait obéit aux volontés émises par la lettre, une énigme demeurait encore : comment sa femme allait-elle bien pouvoir lui être ramenée ? Devait-il attendre sagement son retour ? Viendrait-elle sonner simplement à la porte ? Lui fallait-il exposer ses cendres en un lieu symbolique pour la voir renaître tel un phénix ?

Son mystérieux bienfaiteur ne mentionnait rien à ce sujet. Plutôt que de se torturer l'esprit inutilement, Robert décida de ne rien faire. Il se persuada que l'absence de détails à ce sujet sous-entendait que le reste se déciderait sans lui, qu'il n'avait rien de plus à faire. Il espérait seulement que quelle que soit la forme du miracle, il se produirait dans un avenir proche et de manière évidente.

Craignant que son apparence négligée n'effraie l'élue de son coeur, Robert retrouva une hygiène de vie digne de ce nom et se remit à sortir, n'oubliant jamais de prendre le livre avec lui, la précieuse lettre glissée dans ses pages. L'attente était difficilement supportable d'autant qu'il ne recevait aucun indice susceptible de lui indiquer la progression du miracle. Plusieurs jours s'écoulèrent ainsi. Il observait l'urne avec insistance, croyant parfois déceler un mouvement suspect. Mais il s'apercevait rapidement que c'était le fruit de son imagination.

Un soir, pour s'occuper l'esprit, il décida de relire son livre et d'y apporter d'ultimes corrections, espérant aussi par ce geste accélérer le processus de résurrection. Seulement, il lui fut impossible de remettre la main dessus. Il retourna la maison sens dessus dessous, mais en vain. Il s'écroula sur le canapé, anéanti. Il comprit que durant l'une de ses sorties, il avait dû l'oublier sans y penser, sans doute sur un banc. Il pensa immédiatement à un jardin publique et se précipita dehors. La seule pensée que le livre put être entre d'autres mains que les siennes fut comme un coup de couteau en plein coeur. D'autant qu'il était probable que cela affecte grandement le retour de sa femme. Agité comme un fou, il sillonna la ville, en tentant de se remémorer les différents trajets parcourus. Encore une fois sans résultat.

Il rentra chez lui vers midi, tout débraillé, le visage blême, les traits tirés, le regard halluciné de celui qui a approché le Paradis pour mieux tomber en Enfer. C'est presque mécaniquement qu'il ouvrit la boite aux lettres pour en extraire le courrier. Ses yeux se posèrent immédiatement sur une petite enveloppe. Il reconnut immédiatement l'écriture. Il ouvrit l'enveloppe et lut la lettre avec fébrilité :

 

J'ai le regret de vous annoncer que j'ai omis de vous faire part de deux conditions supplémentaires pour que votre requête aboutisse :

- Vos écrits doivent être lus impérativement et intégralement par une personne portant le même prénom que l'être dont vous souhaitez le retour.

- Vous ne devez écrire qu'un seul exemplaire de votre journal

Avec toutes mes excuses.

 

Robert se laissa tomber au beau milieu de la rue. Pouvait-il être maudit à ce point après avoir connu l'ivresse de tant d'espoir ? Le visage de sa femme lui apparut, flou, imprécis, désormais plus distante qu'elle ne l'avait jamais été. Et de sombres pensées vinrent alors l'assaillir.

 

L'écriture était élégante, le texte soigné et émouvant. Emilia ne comprenait pas comment le livre avait pu être abandonné de la sorte. A défaut de lui réchauffer le corps, l'histoire lui réchauffa le coeur. Surtout quand l'auteur, un dénommé Robert, raconta sa rencontre avec une certaine Emilia et leur amour grandissant. Drôles de coïncidences. L'auteur portait le même prénom que son père et sa bien-aimée le même prénom qu'elle. Des raisons plus que suffisantes pour se plonger à corps perdu dans ce journal écrit avec le coeur. Le temps était redevenu clément. Emilia sourit, ce qui ne lui était pas arrivé depuis longtemps. Elle ne mangerait peut-être pas aujourd'hui, mais son esprit serait repu, et cela était tout aussi appréciable pour elle. Tout en parcourant le livre, elle songea qu'elle pourrait elle aussi raconter son histoire, raconter ses plus belles années avec son père et même sa douleur quand il était mort et qu'elle était devenue asociale. Tandis qu'elle se faisait cette réjouissante réflexion, elle trouva une enveloppe faisant sans doute office de marque-page. En lisant l'adresse écrite dessus, elle éprouva une grande joie en comprenant qu'elle pouvait redonner ce livre si précieux à son propriétaire et lui témoigner toute sa sympathie par la même occasion. Mue par une enivrante curiosité, elle pêcha la lettre à l'intérieur de l'enveloppe et en découvrit le contenu.

Qui semblait terriblement s'adresser à elle.

 

Le gardien du zoo se planta devant la jeune femme, les mains sur les hanches.

- L'âge de mes oiseaux ? Mais qu'est-ce que c'est que cette nouvelle lubie ? Vous êtes la deuxième personne à me demander ça ! C'est un nouveau jeu télévisé ou quoi ? Savent vraiment plus quoi inventer pour faire frémir la ménagère !

- Avez-vous un oiseau âgé de 21 ans ? demanda timidement Emilia.

- Vingt et un ans ? Et bien il y a Providence. Né le 8 mai 1992.

Emilia écarquilla les yeux comme si elle avait vu un fantôme.

- Vous aussi ? Et bien on dirait que vous avez tiré le bon numéro ! Sacrée bande de veinards !

 

Emilia prit la plume du cygne que lui tendit le vieil homme ainsi que l'encrier et plusieurs feuilles de papier. Elle ne lui avait pas précisé l'usage qu'elle comptait faire de tout cela et lui avait cru bon de ne pas s'en inquiéter.

- Merci, fit-elle, des larmes plein les yeux.

- Bah faut pas vous mettre dans un état pareil, fit le gardien en se méprenant sur sa réaction. J'aboie beaucoup, vous savez, mais j'ai jamais mordu personne, pas comme ce vieil émile.

Voyant que la jeune femme ne comprenait pas, il ajouta avec un clin d'oeil :

- C'est un alligator que j'ai appelé comme moi. Sale caractère, mais on s'entend comme larrons en foire.

Alors qu'Emilia s'éloignait, il ajouta avec humeur :

- Bon, mais vous direz à la production qu'il y a d'autres zoos dans la région. J'ai autre chose à faire, quand même ! Et vous écrivez rien sur moi, c'est compris ! J'ai pas envie de passer à la télé pour exciter la ménagère, moi !

 

Robert regardait droit devant lui. Il fixait l'horizon au-dessus du champ. Si on ne pouvait pas lui rendre Emilia, alors c'est lui qui se rendrait jusqu'à elle. Après tout, c'est le destin qui l'avait voulu ainsi. Pourquoi s'y opposer si au final il réalisait son voeu le plus cher ? Il posa un pied sur la voie ferrée comme pour mieux se faire à l'idée. Il ne sentirait rien. Il serait mort avant. Il avait confiance. Son amour le guidait.

 

Emilia se trouva un coin tranquille, à l'abri des regards. Question d'habitude. La roue semblait vouloir tourner pour elle. Enfin. Si ce Robert avait suivi les instructions de la lettre, c'est qu'il croyait en leur pouvoir de lui ramener sa femme. Et de ce fait avoir abandonné son livre était certainement un rituel propre à finaliser l'opération. Elle savait qu'elle devait se méfier, mais la perspective de revoir son père lui procurait tellement de joie qu'elle n'avait aucune envie de gâcher ce qui constituait peut-être pour elle l'unique possibilité de retrouver sa vie d'antan. Elle se dit qu'il serait plus sage d'aller voir Robert pour savoir si le miracle avait eu lieu. Et puis l'envie de revoir son Robert à elle fut plus forte. Elle trempa délicatement la pointe de la plume dans l'encrier et la posa aussi délicatement sur la page vierge.

 

La silhouette tortueuse du train se profila. Robert inspira longuement. "Un aller simple, s'il vous plait." plaisanta-t-il in petto. De pouvoir rire de la situation ajouta à sa sérénité. Le transport roulait à un train d'enfer. Aucune chance d'en réchapper.

 

Tandis qu'elle goûtait au plaisir de laisser les mots traduire ses pensées les plus intimes, Emilia fut frustrée de ne pas trouver la bonne expression pour refléter la dureté de son deuil et cette volonté de vouloir lui échapper à tout prix. Elle savait que Robert en avait trouvé une très juste qu'elle s'était aussitôt appropriée. Elle se souvenait juste des mots abri et espace-temps, mais le reste se dérobait inexplicablement. Pourquoi ne s'en souvenait-elle pas ? Résolue à la retrouver, elle relut le livre et finit par retomber sur la formule recherchée. Elle réalisa du même coup qu'elle n'avait pas été jusqu'au bout du journal. Elle regarda le nombre de pages qui lui restait à lire et contempla son propre texte, peu avancé.

 

Le train fit entendre sa plainte. Funeste en ces circonstances. Les rails tremblèrent. La tête surgit. Robert s'avança en étant assuré que le conducteur ne pourrait pas l'éviter. Il sentit la puissance du véhicule, comme le souffle d'un géant. Il ouvrit les yeux et regarda les wagons disparaître de sa vue les uns après les autres. Il l'avait manqué. Il ne comprenait pas. Il s'était pourtant avancé sur les rails, juste devant lui. C'est alors qu'il senti quelque chose de chaud et de doux dans sa main. Il tourna la tête.
La lumière épousait les traits de sa femme avec une grâce presque intentionnelle. Comme pour lui rendre hommage. Le fait est que le moment était particulièrement bien choisi. Ses longs cheveux roux flamboyaient comme pour fêter leurs retrouvailles. Robert pleura.

- Emilia, c'est bien toi ? Ce n'est pas possible. C'est un rêve ?

Emilia sourit et l'enlaça.

- Bien sûr, Robert. Mais qu'importe, puisque nous le vivons ensemble.

 

Emilia ferma le livre et renifla. La fin était vraiment belle. Il lui restait si peu à lire qu'il aurait été dommage de repousser l'échéance. Mais maintenant qu'elle connaissait l'histoire d'Emilia et de Robert, il était temps pour elle d'écrire la sienne, celle de Robert et d'Emilia.

 

- Chérie, ne bouge pas, je vais ouvrir.

Emilia se rendit dans le hall d'entrée et ouvrit la porte.

Une jeune femme vêtue comme une vagabonde lui offrit un sourire désarmant.

- Vous êtes Emilia ?

L'intéressée acquiesça.

- Alors ça a marché ? C'est merveilleux ! Mon père aussi va revenir alors, hein ?

Elle se mit à pleurer.

La femme de Robert la fit entrer et se mit en devoir de la consoler. Robert découvrit la jeune Emilia avec stupeur.

- Qui est-ce ?

La jeune femme se ressaisit aussitôt en voyant Robert. Elle lui tendit son livre.

- Tenez. J'ai tout lu et je vous remercie. Ca m'a beaucoup aidé pour écrire le mien. Je suis tellement heureuse que vous ayez retrouvé votre femme. Après tout ce que vous avez vécu ! Comment ça marche ? Quand est-ce que je vais pouvoir revoir mon père ? Dites-moi que je vais le revoir ! Dites-moi que ça marche pour tout le monde !

Robert l'écoutait, tout en feuilletant son journal, comme dans un état second. Il s'était passé plusieurs semaines depuis ses retrouvailles avec Emilia. Et s'il avait déploré la perte de son livre, d'être à nouveau réuni avec l'amour de sa vie l'avait cependant très vite consolé. En retombant sur l'enveloppe glissée au milieu des pages et surtout de son fatidique contenu, il commença à comprendre la présence de la jeune femme et tous ses questionnements.

- Tu as perdu ton père, c'est ça ?

La jeune Emilia opina.

- Comment s'appelait-il ?

Elle lui répondit avec ce sourire si chaleureux.

- Robert, comme vous. Et moi je m'appelle Emilia, comme votre femme.

Robert fit un pas en arrière, ébranlé par le choc de cette révélation. Il savait ce que cela signifiait : il devait à la jeune femme le retour de sa bien-aimée ! Il la pria de patienter quelques instants, puis revint avec une lettre qu'il lui tendit.

- Il te manque un morceau du puzzle.

Elle lut avec empressement :

 

J'ai le regret de vous annoncer que j'ai omis de vous faire part d'une condition supplémentaire pour que votre requête aboutisse :

- Vos écrits doivent être lus impérativement et intégralement par une personne portant le même prénom que l'être dont vous souhaitez le retour.

- Vous ne devez écrire qu'un seul exemplaire de votre journal

Avec toutes mes excuses.

 

Robert laissa la jeune Emilia comprendre tout ce que cela impliquait pour elle comme pour lui. Sans un mot, elle lui tendit son journal qu'il prit avec cérémonie.

- Je vais le lire avec grand plaisir. Je crois que je te dois bien ça.

Puis il sourit.

- Mais ne t'inquiète pas, je lirai vite.

- En attendant, dit la femme de Robert, tu peux rester ici. Tu es la bienvenue.

 

Dans la rue, devant la maison, un vieil homme se gratta la tête avant de sourire avec malice :

- Sacrée bande de veinards !

Le cacatoès perché sur son épaule claironna :

- T'as du boulot, Emile ! Rrrrrrr ! 'spèce de limace !

- T'as raison, Francky ! Le courrier n'attend pas.

Le vieil homme ouvrit sa sacoche remplie de lettres avant de s'éloigner vers l'horizon en sifflotant.

 


 

 

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Ce sera mon salaire
C'est plus précieux que ça en a l'air

La Chaise [Nouvelles/Fantastique]

 

- Comment vas-tu ? demanda James.

Il tenait Rachel dans ses bras et lui chuchotait à l’oreille comme il avait pris l’habitude de le faire. Il pouvait sentir la douceur de ses longs cheveux flamboyant sous le soleil ainsi que le parfum naturel de sa peau. Il en avait à chaque fois les larmes aux yeux.

- Bien. Mais pourquoi parles-tu toujours si bas? On dirait que tu as peur que quelqu’un t’entende ou nous surprenne. Il n’y a personne dans ce parc, à part nous. Et quand bien même…

James s’essuya discrètement les yeux et sa voix rauque, un peu cassée, se fit à nouveau entendre :

- Excuse-moi, c’est instinctif. Chez moi, je suis un peu à l’étroit. Pas beaucoup d’intimité. Des amis et des voisins peu recommandables et envahissants. C’est un peu l’enfer. Je t’en ai déjà parlé, non ?

Ils étaient assis à même l’herbe. Le jour était encore jeune. Ils pouvaient sentir la rosée sous leurs pieds nus.  Elle se tourna vers lui et caressa les cheveux gris de ses tempes.

- Oui, un peu. Mais j’ai du mal à m'y faire. Pourquoi tu ne déménages pas ?

Il eut un rictus équivoque.

- J’aimerais tellement, si tu savais. Mais j’ai une sorte de… dette vis-à-vis de ces gens-là, une dette qui m’oblige à rester. L’avantage c’est que quand je suis là, avec toi, j’ai un peu l’impression de déménager.

Rachel sourit à son tour. James mesura la chance qu’il avait de pouvoir être en sa compagnie aux heures les plus sombres de sa vie. Mais il ne pouvait se faire à l’idée d’être séparé à nouveau d’elle. Il voulait croire jusqu’au bout à sa rédemption et à ce qu’elle pouvait lui apporter.

Il leva la tête et laissa le soleil baigner son visage creusé par les affres de l’existence.

 

- Tu es encore en retard. Qu’est-ce qui se passe ?

Rachel était déjà assise dans le parc, à leur place habituelle.

James s’installa auprès d’elle. Après quelques secondes d’hésitation, il la serra très fort contre lui.

- Excuse-moi. J’ai beaucoup de mal à trouver le sommeil ces temps-ci et j’ai perdu du temps en chemin. Je suis désolé.

Il l’était manifestement, tant et si bien que Rachel en fut profondément émue.

- Ce n’est pas grave. Tu es là, c’est tout ce qui compte.

Il la dévisagea. Ses yeux étaient embués comme s’il avait retenu des larmes.

- Oui, Rachel. C’est tout ce qui compte.

 

- Pourquoi on ne dormirait pas ensemble ? lui dit-elle un jour.

James observa un autre couple marcher au loin. Il fit glisser ses orteils nus dans l’herbe fraîche et encore humide comme pour se persuader qu’elle était réelle. Les doigts de ses mains faisaient de même sur la peau de Rachel.

- Cela se fera. Un jour. Pour l’instant, c’est impossible.

- Viens habiter chez moi, si tu veux.

- J’aurai encore plus de mal à trouver le sommeil, tu ne crois pas ?

Elle s’amusa de sa réflexion.

- Au moins, nous serions deux à arriver en retard.

Il se racla la gorge pour adoucir une voix qu’il avait toujours jugée trop inhumaine.

- Je t’ai déjà raconté une histoire à propos d’une chaise.

Rachel secoua la tête.

- Non. J’adore les histoires, tu sais.

James se permit de rire.

- Oh, oui. Justement, celle-là va beaucoup te plaire.

Elle se coula davantage contre lui, lui signifiant qu’elle était toute ouïe.

- On raconte que dans le monde des rêves, il existe un objet capable de réunir pour toujours les êtres qui s’aiment d’un amour pur et sincère.

- Le début est très prometteur. Mais c’est quoi cet objet ?

- Une chaise.

- Une chaise ? C’est pas très romantique.

- C’est vrai. Mais c’est une chaise vraiment spéciale.

Il rapprocha ses lèvres de son oreille.

- Elle est magique.

- C’est vrai ? Elle doit être magnifique alors.

Le visage de James produisit un rictus.

- Non, elle est même plutôt hideuse. Mais c’est ce qui fait qu’elle est spéciale. Derrière sa monstrueuse apparence, personne ne peut soupçonner sa véritable nature.

James se dit qu’il en était probablement de même pour lui.

- Excepté les êtres qui s’aiment d’un amour pur et sincère, compléta Rachel avec un enthousiasme évident.

James caressa ses mains.

- Exactement.

Rachel se mit à applaudir.

- Oh, oui, j’adore cette histoire ! Tu avais raison. Vite, vite, la suite !

- La suite, ma douce, c’est à nous de l’écrire.

Elle le dévisagea, perplexe.

- Quoi ?

- Nous devons trouver cette chaise. Ainsi et seulement ainsi, plus rien ne pourra nous séparer.

Elle le scruta comme jamais elle ne l’avait fait. Il fut ravi au plus profond de lui de faire l’objet de tant d’attention.

- Tu es sérieux ? S’enquit-elle.

Il acquiesça.

- Ce n’est pas qu’une histoire. C’est la vérité. Cette chaise existe.

Il vit bien combien Rachel peinait à le croire, malgré la gravité qu’il affichait.

- Mais…où peut-on trouver une telle chaise ? Dans les rêves, tu as dit ?

A nouveau, il acquiesça.

- La bonne nouvelle, c’est que je sais où elle est.

A cette annonce, les yeux de Rachel s’agrandirent comme ceux d’un enfant.

- Où est-elle ?

James appuya un index contre sa tempe.

- Là.

- Qu’est-ce que tu veux dire ?

- Moi seul peux m’y asseoir. Mais cela devrait suffire à lancer le charme et rompre le sortilège qui me tient loin de toi toutes ces heures. Et enfin effacer cette maudite dette qui m’enracine à cet enfer.

- Pourquoi je ne peux pas m’y asseoir ?

Il sourit. Elle avait l’air presque vexé. Au moins, croyait-elle à son histoire. Et c’était tout ce qui lui importait.

- Tu as le cœur trop pur, l’âme trop propre.

- Et toi, non ?

Cette fois, il secoua la tête.

- J’ai fait beaucoup de mal. Je t’ai fait beaucoup de mal, même si tu ne t’en souviens plus, aujourd’hui. J’ai même donné la mort. Et je le paye aujourd’hui.

- Je crois que tout le monde a droit à une seconde chance.

Il l’embrassa.

- Je l’espère, ma douce. Je l’espère de tout mon cœur.

Elle prit son visage entre ses mains.

- Alors, dépêche-toi de trouver cette chaise.

- C’est mon vœu le plus cher. Et il se réalisera. Rien ne peut l’empêcher, désormais.

Il l’embrassa à nouveau, des larmes plein les yeux.

Un claquement métallique le sortit violemment de sa torpeur. Il comprit qu’il était revenu en enfer. Une voix se fit entendre, comme jaillie d’outre-tombe :

- James Stingray. C’est l’heure.

La porte s’ouvrit. Il se leva. Il avait les mains moites. Le corps entier, en fait. Comme s’il s’était roulé nu dans la rosée. L’image le fit sourire avant de lui faire mal.

Il retrouva rapidement une contenance. Il ne devait rien montrer. Il ne leur ferait pas ce plaisir. Il en avait assez bavé comme ça devant leurs yeux. Ils s’étaient repus tant de fois de sa douleur. Il était grand temps de dire adieu à tout cela. Une autre vie l’attendait.

Il quitta la pièce et emprunta l’interminable couloir, escorté par une armée de gardiens. En route vers la chaise. La chaise magique.

 

 

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