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vendredi, 05 février 2010

La Naissance de Monarque [Nouvelles/Le Combat du Papillon]

 

« J'ai souvent regretté qu'il n'existât pas des dryades ; c'eut infailliblement été avec elles que j'aurais fixé mon attachement. »

 

                   Jean-Jacques Rousseau (Les Confessions)

 

 

J'étais un libertin.

Un noceur.

Avec tout ce que cela sous-entend de débordements, d'inconséquences.
Et de dépravations.

Mais j'étais heureux.

Du moins en étais-je convaincu.

Je goûtais à tous les plaisirs.
Sans crainte, sans doute et sans regret.
Je ne connaissais aucun tabou, aucun interdit.

J'obtenais ce que je désirais et je désirais ce que j'obtenais.
Rien ne me freinait.

Et si ma conduite indisposait quelqu'un, cela était rapidement et proprement réglé.

Au pistolet, s'il s'agissait d'un homme.

Au lit, s'il s'agissait d'une femme.
Dans les deux cas, je remportais toujours le duel.

J'étais fin tireur.

Ma réputation se répandit comme une traînée de poudre.
Ma compagnie devint un bien très convoité.

J'avais une certaine fortune et un charme certain.

Ce qui ne gâchait absolument rien.

Les hommes m'enviaient ma table.

Les femmes, mes murs.

Les uns comme les autres ma capacité à les séduire par ma seule présence.

Je n'étais pas roi.

Mais je possédais une cour que le monarque lui-même devait me jalouser.

Plus tard, je lui ravirai même ce titre.

 

Une nuit, pourtant, toute cette existence bascula.

Je fis un rêve qui devait changer ma vie à jamais.

Ma vie et surtout mon âme.

 

Dans ce rêve, j'atteignais un endroit d'une beauté sans pareille.
Des arbres immenses et majestueux montaient jusqu'au ciel. Les rivières étaient peuplées d'étoiles, cascadant des nuages et les pétales colorés des fleurs étaient de somptueux papillons qui s'envolaient à mon approche.

C'était comme de marcher dans un vivant poème.

Quelque chose m'avait attiré en ces lieux.

Quelque chose d'important, de vital.

D'inévitable.

L'air était empli de senteurs enivrantes.

Un orchestre invisible jouait une symphonie aux accents enchanteurs accordés à la beauté du paysage dans lequel je m'enfonçais.

A un moment donné, je me suis arrêté au bord d'une rivière, moins pour me désaltérer que pour goûter l'eau dont je devinais la saveur.

Je ne me trompai pas.

Elle était en effet d'une fraîcheur exquise, revigorante. Meilleure en tous points que tous les alcools dont j'avais le loisir d'abuser.

Lorsque je relevai la tête, elle était là, de l'autre côté de la rivière, m'épiant de ses grands yeux dorés. Ses longs cheveux, ainsi que son corps entier, semblaient parfaitement se fondre dans le sous-bois environnant. Seuls ses beaux yeux de biche ressortaient clairement de la nature dans laquelle elle savait si bien se dissimuler.

C'était une nymphe. Une dryade.

Je le sus intuitivement.

Alors mon cœur se mit à battre très fort.
J'eus le sentiment de redevenir un enfant.
Pur, innocent.

Je ne pouvais détacher mon regard de ces yeux, de ce visage.

Ce fut comme une révélation pour moi.

Mon émotion fut si forte qu'elle m'éveilla.

 

Je me retrouvai dans un lit. Des corps de femmes nues étaient couchés près de moi, figés dans des poses obscènes qui me rappelèrent une longue soirée d'orgies.

Je me levai et quittai cette couche impie, en proie à une panique sans nom.

A cet instant précis, j'eus l'horrible sentiment de retomber en enfer, moi qui avais connu le paradis.

Le choc fut terrible.

Je découvris qui j'étais, quelle vie j'avais menée jusqu'alors.

Une vie sans scrupule, sans morale.

Et cette vérité me terrassa littéralement.

Je connaissais mon âme. Je l'avais rencontrée dans ce rêve. J'avais vu sa beauté. Je ne pouvais plus l'ignorer. Mais j'avais un corps qui la retenait prisonnière et faisait de moi un véritable monstre de perversité.

Pendant des années, je m'étais comporté avec la plus parfaite insouciance, prônant le vice, l'érigeant en éducation.

Je m'étais fait geôlier, puis bourreau de mon âme.

Ma nature profonde enfin révélée, il m'était désormais impossible de me conduire comme avant.

Tout du moins, c'est ce que je crus.

Les habitudes revinrent vite.

Si j'avais pu être seul un certain temps, j'aurais pu sans doute m'absorber dans quelque réflexion salutaire. Mais je ne l'étais jamais. Je n'avais jamais ressenti le besoin de l'être auparavant. Des hommes et des femmes étaient sans cesse à mes côtés.

Pour ne pas dire plus près.

Pris dans le tourbillon de ma vie de débauche, j'oubliai mon âme.

Jusqu'à ce que je m'endorme.

Alors elle reprenait tous ses droits et profitant de l'inertie de mon corps épuisé de ses excès, me conduisait naturellement où était ma place et où m'attendait mon destin.

Car bien heureusement, je la revis. La nymphe.

Elle se baignait dans une rivière, son beau corps nu aux couleurs de la forêt dont elle était gardienne, sa chevelure verte et épaisse comme un doux lit de mousse se déversant dans l'onde pure.

Lorsqu'elle sentit qu'elle n'était plus seule, les pétales vivants des fleurs environnantes s'envolèrent et vinrent la couvrir de leur parure multicolore.

Lorsqu'elle se retourna, seul son visage était visible.

Son visage et ses yeux dont le regard me transperçait le cœur avec la vélocité et la précision d'une flèche.
Et son carquois était rempli.

Mais mon regard n'avait rien à envier au sien, comme je devais l'apprendre plus tard.

Mon cœur battant comme un soufflet de forge, je la vis s'avancer vers moi avec une grâce surnaturelle.

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  Elle était si belle.

Le vêtement qu'elle portait, vivant et animé, chatoyait par instant lorsque les papillons le composant faisaient battre leurs ailes.

La magie était palpable.

Je fus convaincu de vivre le plus beau moment de ma vie.

Elle était si près de moi lorsqu'elle s'arrêta. J'étais paralysé, enraciné au sol.

Comme un chêne.

Je me demande encore comment j'ai pu trouver la force de parler dans de telles circonstances.
Sans doute craignais-je de ne plus jamais en avoir l'occasion.

- Je voudrais devenir comme toi.

Elle m'étudia longuement, moi ainsi que la déclaration que je venais de lui faire.

- C'est impossible.

Ses lèvres avaient à peine bougé. Sa voix avait la douceur d'une caresse.

Sa réplique, elle, me glaça.

- Pourquoi ?

A mon tour, je l'observai intensément, espérant peut-être influencer sa réponse.

Elle parut horrifiée.

- Parce que, moi, je n'ai jamais été comme toi.

A cette annonce, mon cœur se fendit et je sentis des larmes sourdre de mes yeux. A mon grand étonnement, elles ne coulèrent pas, mais remontèrent vers le ciel.

Elle sembla s'amuser de ma réaction. En ces lieux, ce phénomène était naturel.

Je fermai les poings. J'étais décidé à ne pas renoncer au paradis qui s'offrait à moi.

Dans cette forêt, je me sentais chez moi.

En paix.

- Je veux rester ici, implorai-je comme un enfant. Avec toi. Je ne veux pas retourner d'où je viens. Je préfère mourir plutôt que d'y retourner.

Ces grands yeux d'ambre me dévisagèrent alors gravement.

- C'est ce qu'il te faudra faire si tu souhaites rester ici, avec moi. Il te faudra mourir. Car tant que ton âme sera liée à ton corps, elle sera soumise à la réalité dans laquelle il demeure.

Je soupirai.

- Comment ? Si mon destin est de mourir vieux, je ne pourrais supporter de quitter sans cesse ce royaume pour retomber dans l'autre monde. Je ne pourrais le supporter.

Sa main effleura la mienne.

Mon cœur se mit à chanter malgré la peine qui m'accablait.

- Tu viens de te répondre. Ta souffrance te fera trouver le moyen.

Je serrai sa main comme on se raccroche à la vie.

- J'ai pourtant si peur de ne pas y parvenir. J'ai si peur de perdre mon âme et le chemin qui mène jusqu'à toi.

A son tour, elle me serra la main.

- Alors je vais t'aider à ne pas les oublier.

Elle pencha ma tête vers la sienne et déposa ses lèvres sur les miennes.

L'émotion de ce baiser me traversa de toutes parts.

 

Lorsque j'ouvris les yeux, elle avait disparu. La forêt aussi.

Je me retrouvai à nouveau dans un lit encombré de corps nus d'amantes lascives.

Un vertige me prit. Et une envie de vomir.

Je trouvai un coin où me blottir et là, repensant à ma nymphe, à notre conversation et à la chaleur de son baiser, je versai toutes les larmes de mon corps.

Et celles-là ne remontèrent pas vers le ciel.

 

Je perdis rapidement la notion du temps ainsi que le goût de toutes ces bassesses qui jusqu'alors avaient constitué ma vie.

Je redevenais moi, l'essence de moi.

Ce qui ne se faisait pas sans douleur.

Une lutte terrible avait lieu en moi. Celle de mon âme revenue à elle-même et ce corps, cette enveloppe physique sordide, alimentée par le péché, souillée par la perversion, attentive à toute tentation, de l'emprise de laquelle je ne pouvais me défaire qu'en plongeant dans les bras de Morphée, jusque dans son esprit, seul endroit où je savais trouver la paix, la liberté.

Et l'Amour.

 

Bien souvent, je prétextai une fatigue imaginaire ou un mal qui n'était que chimère pour m'étendre seul et profiter de ces siestes afin de rejoindre mon paradis intérieur.

Las.

Pour mon plus grand malheur, par mes soins passés, j'avais rendu ma cour bien trop fidèle à ma présence pour espérer me voir privé d'elle au-delà de quelques instants.

Mes rêves étaient interrompus, toujours prématurément.

Au réveil, la douleur de la séparation cédait rapidement la place à la plus vive des colères. Bien évidemment, mes sujets ne comprenaient pas mon attitude.

Et ils en auraient été bien incapables.

Cela ne faisait qu'attiser mon ire.

Et dans ces moments de fureur indomptable, seuls les plaisirs les plus vils étaient capables de me rasséréner. Mais c'était une consolation provisoire et néfaste, car une fois contenté, je revenais à moi, épris de remords, la conscience torturée et je maudissais ma faiblesse.

Victime d'un cercle en tous points vicieux, je me sentais proche de la mort sans pourtant jamais l'atteindre.

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 J'ignore combien de temps il s'écoula.

Il n'existait plus qu'un seul temps pour moi. Celui où je pouvais la voir, la retrouver, même de brefs instants. Le reste n'était qu'une attente douloureuse et impie.

Mais la chance finit par poindre à l'horizon, sous une forme des plus improbables.

Un jeune homme se présenta à moi. Un artisan.

J'avais abusé de son épouse. Il demandait réparation. Par les armes.

Il n'avait pas froid aux yeux car il connaissait ma réputation.

Auparavant, je l'aurais à peine regardé et aurais ordonné à l'un de mes valets de se charger de la formalité. Mais j'entrevis en cet homme en apparence simple, le plus grand espoir, une opportunité que je n'attendais plus.

Sans le savoir, il pouvait me permettre de réaliser mon vœu le plus cher.

Oui, l'occasion était trop bonne pour ne pas la saisir.

La haine que j'inspirais à l'offensé était manifeste. Un sentiment de vengeance évident l'animait. Au moins étais-je en mesure de le comprendre. Si elle me fit trembler au premier abord, sa détermination eut ensuite le don de me conforter dans ma décision.

Je pensai faire d'une pierre deux coups.

J'avais changé. Je n'étais plus le même homme. Ce que j'avais fait subir à cet artisan et à sa femme m'épouvantait au plus haut point. Je le regrettai sincèrement et profondément tant que l'idée me vint naturellement de présenter mes excuses.

Mais en fin de compte, j'allais faire bien mieux que cela.

 

Le jour convenu du duel, mes fidèles écuyers tentèrent de me dissuader de m'engager pour si peu. Leur rappelant ma légendaire habileté et leur précisant que je voyais en cette rencontre un divertissement digne de moi, ils ne trouvèrent plus aucune raison d'insister.

Ils finirent même par se dire que cela allait m'aider à redevenir le joyeux luron dont je n'étais plus que l'ombre.

 

A l'heure convenue du duel, nous nous présentâmes, chacun accompagné de nos témoins, à l'orée d'une forêt.

Une forêt. Cela me fit sourire.

Je pensai instinctivement à ma nymphe qui m'attendait dans la sienne.

Bientôt, me dis-je. Bientôt.

Etant l'offensé, l'artisan eut la primeur du premier coup de feu.

Il me manqua.

J'ignorais s'il était exercé. Je l'espérai profondément.

Sa volonté de me châtier jouait assurément en sa faveur.

Je tirai à mon tour. A la surprise de tous, je manquai ma cible.

D'un sourire, je rassurai mes témoins. Ils interprétèrent alors ma maladresse comme une volonté de ma part de prolonger le jeu et ainsi donner de faux espoirs de victoire à mon adversaire.

Nous nous rapprochâmes.

La distance entre nous était encore conséquente, mais je pouvais lire aisément l'expression peinte sur le visage de l'artisan bafoué.

Il voulait ma mort. Ni plus, ni moins.

Il l'ignorait, mais il détenait le pouvoir de se venger autant que celui de me libérer. Il était mon Charon personnel, mon passeur, non pour les enfers - puisqu'il allait me permettre de les quitter - mais bien pour le paradis.

J'entendis le coup de feu. Puis plus rien.

L'artisan avait disparu ainsi que nos témoins respectifs.

Seule la forêt demeurait. Mais elle était métamorphosée. D'une beauté céleste étrangement familière.

Le pistolet n'était plus dans ma main.

Je compris que mon passeur avait fait son office. Nul doute que la joie devait le submerger. Une joie qui ne pouvait avoir d'égale que celle qui me remplissait à l'instant où je me précipitai pour retrouver ma nymphe, ma dryade, ma fée.

Elle m'attendait, rayonnante, comme si elle avait deviné ce qui s'était passé.

Elle me savait libéré.

Nous tombâmes dans les bras l'un de l'autre. La forêt toute entière sembla faire écho à notre bonheur.

Alors ma poitrine s'ouvrit et mon cœur inonda ma nymphe d'une lumière opaline. Lorsqu'elle s'estompa, j'avais devant moi une femme d'une grande beauté aux longs cheveux noirs moirés de vert. Je remarquai aussi que ses paupières étaient fardées et ses lèvres peintes de la même teinte.

C'était bien ma nymphe, mais mon amour pour elle l'avait transfigurée. Elle était devenue un peu moi.

- Comment t'appelles-tu ?

Elle examina son nouveau corps avant de répondre :

- Je m'appelle Vanesse. Reine du Cœur.

Alors sa poitrine s'ouvrit et son cœur m'inonda d'une lumière opaline d'où j'émergeai, transfiguré.

Je me baissai pour examiner mon nouveau corps. J'étais nu, d'une blancheur virginale et dépourvu de sexe. Et tandis que j'admirai mon apparente pureté, tels les pétales d'une fleur, deux ailes de papillon à mes dimensions s'ouvrirent majestueusement dans mon dos.

J'étais devenu un peu elle.

Je m'aperçus, qu'à mon instar, elle arborait elle aussi des ailes de papillon aux couleurs chatoyantes.

Peut-être parce que je la considérais comme ma fée.

Cette vision me fit pleurer et je souris avec elle en voyant mes larmes s'orienter vers la cime des arbres.

- Je m'appelle...Monarque.

Le sourire de Vanesse d'élargit.

- Roi des larmes !

 

Nous étions désormais fée l'un pour l'autre.

 

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