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lundi, 28 mars 2016

Mauvais Genre 2016 : du génie créatif français ! [Cinéma/Jeux Vidéo]

http://www.actusf.com/spip/IMG/image/jean-laurent/mauvais%20genre%202016%20affiche%202016.jpg

Cette année le parrain du festival n'était autre que Thierry Frémont (inoubliable héros du film Les Démons de Jésus)

Le Festival Mauvais Genre fête ses dix ans cette année et on est très heureux pour lui. Mettant en avant le cinéma et l'art étiqueté souvent comme underground, de genre, il rassemble en vérité une créativité qui va bien au-delà de ces clichés.

Fantastique, poésie, post-apo, drame, surréalisme, S-F, horreur, il brasse large et l'occasion lui est donnée de le prouver via des courts-métrages, des longs et des conférences.

C'est justement à deux conférences que j'ai décidé d'assister qui avait en commun l'intérêt de révéler le travail titanesque d'un studio indépendant français qui parvient au départ juste par passion à atteindre un degré de maîtrise et des ambitions impressionnants qui ouvrent des perspectives enthousiasmantes pour le cinéma et le jeu vidéo en France.

Personne ne les attendait, mais tout le monde les espérait. A vous de juger.

Le studio Seth Ickerman s'était déjà fait connaître il y a six ans avec un fan movie intitulé Kaydara sur l'univers de Matrix. Les deux auteurs ont dû tout inventer et se former sur le tas niveau effets spéciaux et mise en scène. On aime ou pas, mais d'avoir eu le privilège de voir les coulisses du film permet de mesurer à quel point les deux artistes (ils ont tout fait eux-mêmes) ont mouillé la chemise et chauffé les neurones pour concevoir des plans ultra complexes qui ont demandé un travail admirable de compositing (assemblage de prises de vue réelles, détourages, incrustations, maquettes, créations numériques). A noter qu'un autre de leurs courts,  une parodie intitulée Ratrix, fait office d'introduction.

En 2014, Mauvais Genre leur commandait le teaser du festival. Bien leur en a pris, car les deux artistes nous offre une séquence qui allie à merveille délire futuriste et onirisme. Moi qui rêve d'être de nouveau ému par des effets spéciaux (en attendant de l'être par la 3D) je me plais à penser qu'ils sont sur la bonne voie pour ça.

 

Le studio avait illustré leur teaser du festival  d'une musique de Carpenter Brut. La mayonnaise ayant bien pris, c'est Carpenter Brut qui a sollicité le duo pour mettre en images l'un de ses clips. Résultat : une virée dans un univers surréaliste et sublime. Ceux-là étaient faits pour se rencontrer.

Et enfin, la cerise sur le gâteau : le trailer de leur projet le plus ambitieux : un véritable film destiné aux salles. Le script est terminé, le producteur est trouvé (un membre du studio d'effets spéciaux Buff Company !) reste encore pas mal d'étapes (trouver un acteur connu qui puisse vendre le film, tourner en anglais,...), mais c'est en bonne voie et ça, ça fait super plaisir surtout quand on sait combien il est difficile de monter un film de SF en France. Croisons les doigts et soutenons-les autant que possible, ils le méritent vraiment et nous aussi d'ailleurs !

D'avoir pu voir toutes ces vidéos projetées sur grand écran ont fait pour beaucoup dans l'effet qu'elles ont eu sur moi et il est indéniable que de les voir seulement sur internet en amoindrit énormément l'impact, je tenais à le souligner.

L'animateur aux côtés du Studio Seth Ickerman à savoir R-One Chaff et Savitri Joy Gonfard (à droite) avec lequel j'ai pu discuter de précieuses minutes.

RageQuit n'est plus seulement un terme pour désigner le fait de quitter brusquement une session jeu vidéo sous l'effet de la colère et de la frustration, c'est aussi désormais un studio indépendant français de jeux vidéo qui commence à faire parler de lui. Paul Chadeisson, directeur créatif, graphiste spécialisé dans la conception des décors, est venu nous parler de son prochain jeu et nous en a ouvert les coulisses ainsi que ceux de Remember Me via une pléthore d'illustrations faites à la palette graphique. On a ainsi pu explorer un Paris futuriste sous toutes les coutures ainsi que leur nouvel univers qui prend place dans le ciel sous forme d'un shooter nerveux en apparence simple, mais en réalité très travaillé en amont. Au passage il nous a assuré que le design du film Blade Runner l'avait énormément influencé et qu'il reste une référence pour nombre d'artistes.

Le studio a choisi le ciel plutôt que l'espace afin de se démarquer de la concurrence, et l'a peuplé de tout un tas d'objets usuels connus sur terre comme des plateformes pétrolières, des containers, des grues, ce qui donne un look très original à ce Strike Vector X. Le premier jeu de cette série en devenir s'est bien vendu sur Steam (c'était une exclu PC) on souhaite le même succès à ce nouvel opus pour consoles. Info exclusive : Paul a annoncé qu'il serait également porté sur PC prochainement !

Pour terminer j'en profite pour placer le trailer de Hardcore Henry qui était visible en avant-première au festival. Un pur film de geeks, aussi audacieux que mutant, que je compte bien voir à sa sortie.

Pour conclure : Vive les amateurs, vive les fans, vive les passionnés qui nous font rêver souvent mieux que les gros studios et leurs gros budgets !

 

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jeudi, 28 mars 2013

Les Chroniques de Zarlia : L'Arc de Kaheillys T.1 Prophéties

J'ai le plaisir de vous annoncer la disponibilité d'un roman écrit par un artiste talentueux et sympathique rencontré sur un festival de jeux. Son livre est disponible sur amazone à ce lien :

Les Chroniques de Zarlia : L'Arc de Kaheillys T.1 Prophéties

En rupture actuellement, mais comme il le dit lui-même, ça ne va pas durer, alors à surveiller de très près !

Sa page Facebook : Quentin Lacotte


 

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mardi, 01 janvier 2013

3. Johnny Behemoth contre le Maître des Marais Maudits


Chapitre 1 : L’Ange Vert


- Vous êtes sûr de vouloir repartir si vite, Johnny ?
L’Aînée Lyons et le mercenaire se tenaient devant l’entrée de la Citadelle gardée par ailleurs par un soldat de la Confrérie de l’Acier en armure intégrale et un robot sentinelle.
Le soleil à son zénith se reflétait sur le crâne poli du vieil homme.
En d’autres temps, Johnny se serait amusé de ce simple détail. Mais la noirceur de sa vie commençait même à entamer son sens de l’humour. Il fallait croire qu’en matière de cynisme, le destin était plus fort que lui.
Il s’installa sur son side-car et traîna un regard blessé sur le panier. Il repensa aux premiers exploits qu’il avait partagés avec Fawkes, cette fameuse poursuite endiablée avec l’Enclave.
Il avait récupéré la gatling laser qu’il avait remonté à l’avant du panier. Et sur l’arme il avait fait gravé le nom du mutant. Juste retour des choses.
Johnny démarra et répondit en contemplant l’horizon :
- D’autres aventures m’attendent ailleurs.
Lyons allait rétorquer quelque chose, mais le mercenaire s’éloignait déjà vers une destination inconnue. Ou plutôt, connue de lui seul.

Bien que réfractaire à GNR, Johnny alluma instinctivement la radio.
Il ne le regretta pas :
- Ici Three Dog, les amis, qui vous parle en direct des studios de Galaxy News Radio, le dernier bastion de la vérité et de la liberté.
Aujourd’hui, les Terres Désolées et la Capitale sont en deuil. Le super mutant qui avait rejoint il y a peu la Confrérie de l’Acier à seule fin d’éliminer la menace que représente toujours son espèce, ce valeureux héros qui s’était lié d’amitié avec le légendaire Johnny Behemoth, cet improbable ange vert donc a trouvé la mort, hier, alors que la Confrérie nous protégeait une fois de plus, cette fois des dangereuses manipulations génétiques de l’Enclave. Un sacrifice, mes amis, oui, un noble sacrifice. Saluons l’acte ultime et courageux d’un mutant qui avait probablement gardé plus d’humanité que les vautours qui essaiment à travers ce monde barbare qui est le nôtre.
Oui, c’est à vous que je parle : raiders dégénérés, Compagnie Talon que j’écraserai bien sous le mien comme un minable radscorpion, et toi, maudite Enclave qui n’a réussi qu’à attiser le courroux d’hommes et de femmes dorénavant prêts à tout pour te réduire à néant, te bouffer et te digérer et ne laisser de toi qu’une déjection insignifiante, une bouse de brahmine sur le bitume d’une route porteuse d’espoir.
Oui, mes amis, ce mutant est un symbole d’espoir. Son sacrifice est un symbole d’espoir. Il nous dit qu’en ces temps si sombres, en ces Terres si Désolées, si le pire est possible, le meilleur l’est tout autant.
Repose en paix, glorieux ange vert et que ton exemple fasse trembler les pourritures et briller les plus sages d’une vertu immortelle.
Pour achever ce requiem, je ne vois rien de mieux que vous proposer un peu de musique.
La chanson « I don’t want to set the world on fire » se fit entendre et Johnny dut ralentir pour passer un coup d’essuie-glaces sur ses yeux embués.
- Merde, faut vraiment qu’il foute du rock dans sa programmation.
Le mercenaire se promit de régler la question avec l’intéressé dès que possible.

 


Chapitre 2 : En route vers Point Lockout



Johnny camoufla la moto avant de rejoindre l’appontement. Une jeune femme rousse armée d’un canon scié vint à sa rencontre.
- Je ne t’attendais pas si tôt.
- Les choses se sont un peu précipitées.
Nadine secoua la tête :
- J’ai entendu l’hommage de Three Dog.
Johnny parvint à sourire.
- Alors tu sais que j’ai besoin d’être consolé.
Nadine lui renvoya son sourire.
- Je sais aussi qu’il y a une fille qui t’attend à Big Town. Alors le câlin ce sera pour plus tard.
Johnny prit la jeune femme dans ses bras.
- Content de te revoir, Nadine.
L’aventurière se retrouva toute penaude.
- Bienvenue à bord ! bafouilla-t-elle.
Puis retrouvant toute sa gouaille :
- Bon, c’est pas le tout, mais on a de la route. Alors installe-toi, matelot et vogue la galère !

Johnny était allongé sur une banquette du bateau et sirotait un nuka cola quantum. Il essayait d’oublier que c’était la boisson préférée de Fawkes. En vain.
- Combien de temps pour arriver à ce charmant bled ? fit-il d’une voix forte.
Nadine était à l’étage. Elle tenait fièrement la barre. Le vent jouait dans ses cheveux roux comme un enfant espiègle avec des rideaux qu’il aurait trouvé à son goût.
- Quelques heures. Mais tu sais qu’avec moi tu ne vois jamais le temps passer.
- Tu m’étonnes, murmura le mercenaire.
Il pensa à Emma et se demanda ce qu’elle pouvait bien faire. Elle s’inquiétait sûrement. Il n’aurait peut-être pas dû la quitter si tôt. Peut-être que s’il était resté avec elle à Big Town, Fawkes serait encore en vie aujourd’hui. Mais il savait que c’était stupide de penser ça. Leur rencontre inopinée avait précipité le destin du mutant. Et quel destin !
Johnny comprit que Nadine venait de lui demander quelque chose.
- Quoi ?
- Tu sais pourquoi je t’emmène là-bas ?
Le mercenaire but une gorgée de son soda phosphorescent.
- Pour me faire visiter ?
- Pas vraiment. Il y a un type qui a commence à se prendre pour le roi. Il s’est installé dans un manoir abandonné et a recruté de la main d’œuvre locale pour faire passer le mot. Et pas de la manière douce, si tu vois ce que je veux dire. Point Lockout est une terre sauvage qui a son charme, mais il y a peu de gens censés et maintenant qu’il y a ce pourri les choses empirent.
Johnny se leva et rejoignit la jeune femme dans la cabine de pilotage.
- Tu veux que je dessoude ce gus, c’est ça ?
- Moi, je ne veux rien. C’est la justice qui exige quelque chose.
Elle se tourna vers lui :
- T’es toujours de son côté, n’est-ce pas ?
Johnny croisa les bras sur sa poitrine :
- Je suis toujours du mien. Qu’est-ce que ça me rapporte ?
Nadine sourit.
- Comme je te l’ai dit, j’ai vécu de sales moments là-bas. Enrôlée dans une secte, je faisais pas la maline comme aujourd’hui. Quelqu’un d’assez brave ou d’assez dingue est venu me délivrer. Sinon, je ne serais pas là en train de te causer.
Les Terres Désolées ont besoin de sauveurs, mais Point Lockout aussi.
« Que ton exemple fasse trembler les pourritures et briller les plus sages d’une vertu immortelle. »
Nadine le toisa.
- Tu n’as pas l’air d’une pourriture.
Johnny sourit.
- Je vois ce que tu veux dire.
Il vérifia ses armes.
- Ce salaud peut numéroter ses abattis.

 

A suivre

vendredi, 21 décembre 2012

Total Recall - Mémoires Programmées [Cinéma/Critiques]

On le sait, Hollywood a beaucoup de mal à trouver de nouvelles idées, ou plutôt les nouvelles idées ne l'intéressent pas forcément, car souvent jugées trop risquées financièrement. A coups de suites, de remakes et de reboots omniprésents, elle tente désespérément de nous offrir du neuf avec du vieux. Parmi ce déluge de photocopies d'un intérêt forcément très inégal, est sorti Total Recall annexé d'un sous-titre afin de se démarquer de l'original avec l'ami Schwarzy, culte au demeurant pour de nombreuses raisons. Au-delà de l'assurance de voir une oeuvre bien inférieure à la version Verhoeven, pouvait-on espérer au moins un honnête divertissement ? La réponse est un grand OUI. Mais c'est loin d'être tout et ça , c'est la bonne surprise.

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 Comme dirait l'ami Beetlejuice : " En avant pour la grande éclate !!!"

En revenant vers la base même du récit de Philip K. Dick, le film offre déjà une variation intéressante. Relative évidemment, puisque les fans de la Planète Rouge seront navrés d'apprendre que Mars n'est plus au programme. L'histoire générale, elle, reste globalement la même. Se rêvant agent secret, Doug Quaid va finir par céder aux sirènes de la technologie Rekall qui permet de se façonner des souvenirs sur mesure. Mais à peine commencée, l'expérience va virer au cauchemar : son véritable passé va le rattraper brutalement. Le fantasme visant à briser la monotonie de sa vie va devenir pour lui si réel qu'il aura tout le mal du monde à démêler le vrai du faux, et à dissocier ses alliés de ses ennemis. Heureusement, il va se découvrir un redoutable talent pour rallier les premiers à sa cause et se débarrasser des seconds.

Evidemment, lorsqu'on connait la première version, on est en terrain connu et on se dit qu'il serait bien bête de vouloir nous repondre les mêmes rebondissements. Si la narration est sensiblement la même (des rebelles luttant contre une corporation totalitaire, le héros mangeant aux deux râteliers) on découvre avec bonheur qu'elle jongle habilement entre séquences incontournables et nouveaux angles de vue. Il faut dire que l'auteur n'est pas un inconnu. Kurt Wimmer est le réalisateur/scénariste de Equilibrium (une autre référence SF) et celui à qui l'on doit aussi l'adaptation de Sphere ainsi que le script de Salt, le mémorable thriller d'espionnage avec Angelina Jolie. Avec ce remake, Wimmer se montre donc à la hauteur de la tâche en évitant largement le copié/collé et en parvenant malgré tout à honorer son modèle et à nous passionner jusqu'au bout.

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"La confiance ça se mérite", le crédo de Doug Quaid pour rester en vie !

Mais un autre élément de taille vient renforcer l'intérêt du film : l'action ! Celle-ci est d'une intensité et d'une inventivité qu'on avait pas vues depuis un moment. Len Wiseman (Die Hard 4) a su pleinement exploiter des éléments comme la verticalité des décors, la technologie ou encore la pesanteur pour donner aux nombreuses fusillades et course-poursuites une intensité et une originalité exemplaires. Dans cette entreprise, nul doute qu'il a été une nouvelle fois secondé avec brio par Patrick Tatopoulos. Le designer français n'est pas lui aussi un novice dans son domaine. On lui doit l'aspect visuel et les créatures de rien moins que Stargate, Independance Day, Godzilla et la saga Underworld créee - je vous le donne en mille - par Wiseman himself et dont Tatopoulos a dirigé le troisième épisode. On ne change pas une équipe qui gagne !

Et justement, le réalisateur a su enrichir son casting d'acteurs chevronnés vus notamment dans Underworld. La féline Kate Beckinsale joue avec beaucoup d'ardeur une garce impitoyable, reprenant parfaitement le rôle de Sharon Stone tout en intégrant également dans son personnage celui de Richter, le chasseur de têtes incarné par Michael Ironside dans la version 90's. On retrouve également Bill Nighy (le vampire Viktor de Underworld) dans le rôle du mystérieux Matthias malheureusement beaucoup moins mémorable que Kato, son homologue version mutante. Le vilain Cohaagen, lui, est incarné par Brian Cranston (Godzilla) dont les amateurs de série télé ont reconnu depuis longtemps le talent dans Malcolm et surtout Breaking Bad. Au centre de tout ce beau monde, Colin Farell (Le Nouveau Monde), convaincant en homme traqué qui doute - beaucoup - et dessoude - beaucoup aussi. A ses côtés la belle et athlétique Jessica Biel (The Secret, Furtif) qui lui prête main forte et dont le duel avec Kate aurait d'ailleurs mérité plus de soin.

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Kate Beckinsale en mode chien de chasse. La poursuite en aérocars est très réussie tant du point visuel que chorégraphique, rassasiant notre vision fantasmée du futur. (Au fait c'est pour quand les voitures volantes en vrai ???)

Tous ces ingrédients se mêlent donc habilement pour constituer un film d'espionnage et de SF fort recommandable, bourré d'idées et d'adrénaline, le tout servi par un visuel particulièrement bien léché. A ce titre la mégalopole avec sa pluie diluvienne, ces publicités géantes et ses enseignes lumineuses n'est pas sans rappeler celle du mythique Blade Runner. On regrette juste les lens flare répétés et inutiles qui ne semblent être là que pour appuyer l'esthétique et l'aspect SF. Ce n'est pas J.J. Abrahms qui dira le contraire.

L'humour est également au rendez-vous avec plusieurs clins d'oeil à la version 90's et en prime un gag furtif sur l'actuel président américain. Quand on se souvient à quoi on pouvait s'attendre, on apprécie encore plus le résultat, une sorte de chaînon manquant entre Minority Report (déjà avec Farell) et Demolition Man.

Pas toujours facile de repérer l'arbre caché par la forêt. Mais ce Total Recall se révèle aussi indispensable que son aîné, qu'il complète parfaitement dans un tout autre style.

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Des robots au look épuré, très esthétiques, mais c'est pas une raison pour laisser le méchant Cohaagen les répandre sur Terre !

 

 


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vendredi, 09 novembre 2012

MatriX-Men [Fanfic Crossover]

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Jenna courait à perdre haleine, désespérée, terrifiée. En réalité, tout cela n’était qu’en partie vrai étant donné que sa respiration et tout ce qui était lié à son corps n’étaient qu’une projection virtuelle. Comme tout ce qui l’entourait d’ailleurs. Son sentiment de mort imminente, en revanche, était tout sauf illusoire.
« Si on meurt dans la matrice, on meurt aussi pour de vrai » se répétait-elle malgré elle.
Un moyen comme un autre de développer l’instinct de survie surtout lorsqu’on a deux agents hargneux aux trousses. « J’suis qu’une ado ! J’ai même pas 18 ans ! » Une balle siffla et ricocha contre le mur. Prendre cette ruelle n’était peut-être pas une bonne idée. Sauf si elle était complètement déserte. Elle pria pour que ce fut le cas. Elle ne connaissait que trop bien le pouvoir des agents de phagocyter n’importe quelle pilule bleue. C’est comme cela qu’on appelait affectueusement tous ceux qui n’avaient pas atteint le stade d’éveillé. Ce qu’elle était récemment devenue par l’entremise d’un certain Neo. Depuis les choses s’étaient gâtées pour elle. Heureusement il y avait des compensations.
Un clochard jusqu’alors recroquevillé derrière une poubelle se redressa brusquement porteur d’un smoking et d’un brushing impeccables. L’agent contempla la bouteille dans sa main d’un air perplexe avant de la lancer brusquement sur sa cible. Il fit feu juste après. Jenna sentit le danger poindre à vitesse grand V. Pour autant elle se sentit capable de l’affronter. Elle sauta et colla un talon contre chaque paroi dans un admirable grand écart facial. Le projectile improvisé destiné à l’étourdir fila entre ses jambes avant de frôler la tête de son deuxième poursuivant qui l’esquiva d’une simple torsion du cou avant de faire feu lui aussi. Le temps fut alors comme ralenti. Jenna effectua un salto inversé avant de plonger et de bouler au sol, esquivant ainsi les balles. Sans temps mort, elle fonça tête baissée vers un affrontement inévitable avec le pire ennemi de la résistance humaine.
Non, elle était plus qu’une ado. Surtout depuis sa rencontre fatidique avec Neo et son entraînement accéléré. Neo, le maître d’œuvre de la Révolte contre les Machines et leurs émissaires dans la Matrice. Les redoutables et mortels Agents.
Une main sur son oreillette, l’ex-clochard écouta de brèves instructions de l’Agent Smith, le super Agent, leur leader et accessoirement la Némesis de Neo. Elle ne vit pas son adversaire arriver sur elle. Il franchit la distance qui les séparait d’un seul bond la projetant à l’autre bout de la ruelle. Une aubaine pour l’autre agent qui la renvoya d’un coup de pied comme une balle humaine. Jenna percuta violemment le sol.
Dans l’hovercraft « L’Icare », clouée sur un siège, son crâne encore rasé vissé à la Matrice, la vraie Jenna, yeux clos, cracha une giclée de sang, alertant les membres de l’équipage alentours sur sa délicate situation.
Jenna se redressa, le regard embrumé par la violence du choc. « Ce n’est pas réel ! C’est comme un rêve lucide ! Je peux tout contrôler. Je peux tout c… » Une pluie de coups de poing s’abattit sur elle. Elle rebondit contre un mur avant de s’écrouler comme une marionnette privée de fils. « Merci Neo, je te revaudrai ça dans une autre vie ! » Une voix grave jaillie de nulle part fit avorter le coup de grâce :
- Dis-donc, le costard, t’as pas honte de t’en prendre à une gamine ?
Le visiteur sauta du toit et atterrit avec un aplomb exemplaire face à l’Agent.
Il avait le cheveu ébouriffé et le regard enfiévré du type qui a bu, mais qui même sans ça est peu enclin à causer. Mais il avait aussi et surtout les rouflaquettes impeccables de même que l’éternel cigare vissé au coin des lèvres. Logan jeta un regard à Jenna avant de sortir ses griffes dans un froissement métallique de mauvais augure.
- T’as assez de couilles pour…
Logan reçut un bombardement de parpaings – ou d’enclumes au choix – dans la figure et le torse. Il chancela et recula sous l’assaut avant de scruter son adversaire. Non, le costard avait juste utilisé ses poings et ses pieds. Il comprit qu’il avait affaire à une pointure.
- D’accord, fit-il en serrant les dents.
La seconde d’après, ses griffes entraient en action. Il eut beau lui faire un rasage de près sur toute la surface, la logique resta sourde à sa performance.
- Merde, c’est un mutant !
- Non, c’est pire !
Jenna avait retrouvé ses esprits. Elle emprisonna l’Agent d’un ciseau. L’occasion idéale pour Logan :
- Evite celle-là !
Il le décapita sauvagement. Mais à sa grande stupeur, le corps entier disparut dans une étrange série d’éclairs avant de réapparaître sous la forme d’un cadavre de clochard…sans tête.
Logan leva un sourcil :
- D’habitude ça fait pas ça !
Il dressa ses griffes à temps pour repousser une série de 9 mm dans un concert d’étincelles.
Il se tourna pour faire face à l’autre Agent venant à leur rencontre, mais Jenna l’entraîna avec elle vers l’autre bout de la ruelle :
- Laisse tomber. Ces mecs repoussent plus vite que mon acné !
- Si c’est pas des mutants, c’est quoi ?
- Ce serait trop long à t’expliquer ! Mais tes griffes, j’avoue, c’est très pratique. J’y aurais jamais pensé. Avec un pouvoir pareil, tu peux pas être une pilule bleue ! Hein ? T’es sorti depuis quand de la Matrice ? T’as rencontré Neo ?
Logan grogna.
- Dis, c’est normal si je pige rien à ton charabia ?
Jenna sourit comme pour couper court à de trop longues explications :
- Je m'appelle Jenna. Et toi ?
- Logan.

Ils finirent par déboucher en pleine rue. Jenna les orienta vers une zone moins peuplée à cette heure.
- Faut éviter les lieux publiques !
- Pourquoi ? T’es une geek ?
Jenna s’amusa de l’ignorance du baroudeur bourru :
- Disons, pour que tu comprennes, qu’ils peuvent se téléporter.
- Ouais bah c’est un truc de mutant.
Jenna sourit avant de prendre le temps de réfléchir. « Peut-être que tous ces fameux mutants étaient des éveillés qui s’ignoraient ! » Un bon point pour la résistance. La jeune fille se félicita de cette nouvelle rencontre. Neo serait fier d’elle !
Encouragée par cette pensée, une idée lui traversa l'esprit :
- On va aller chez Josepha !
- C'est qui ?
- C'est un bar dans un quartier défavorisé.
- T'avais dit pas de lieux publiques.
- C'est pas un lieu publique, c'est un refuge. Et justement, on a besoin de se poser. Je vais appeler une amie.
- T'as pas de portable ?
- J'ai plus confiance dans ces machins depuis un moment.
Après avoir emprunté une enfilade de rues à l'écart de la foule, le tandem parvint à destination.
Enseigne incomplète, vitres sales et murs bardés d'affiches et de tags : la devanture du bar affichait clairement sa nature de refuge pour marginaux. Logan haussa un sourcil de perplexité avant de renifler bruyamment comme un animal.
- Je suis pas difficile, mais là... J'ai peur de perdre un orteil si j'y mets un pied. Et comme les miens repoussent pas. S'ils servent à boire, j'ose pas imaginer le goût de la bière.
- Entre au lieu de jouer les saintes nitouches.
Logan regarda Jenna pousser la porte et entrer. La gamine avait de l'aplomb pour son âge signe qu'elle avait dû en baver. Il ne pouvait qu'apprécier. Il la suivit.
La salle était déserte. Personne pour les accueillir.
Logan passa un index sur une table aussi crasseuse que le sol.
- Y a quelqu'un ?
- Te fatigue pas. Y a jamais personne à cette heure.
Logan jaugea l'épaisseur de la poussière qui recouvrait le mobilier dans son ensemble.
- A cette heure seulement ?
Jenna ne lui répondit pas. Elle avait disparu derrière un rideau.
Logan chercha quelque chose à boire, sans succès. Ce taudis avait l'air plus factice qu'un décor de cinéma. Il haussa les épaules et s'assit sur une chaise...qui ne résista pas à son poids et l'envoya durement sur le postérieur.
- C'est une blague ou quoi ?
Il se releva en grognant.
- Bon, ça suffit les conneries ! J'en ai plein le cul de cet endroit ! Je vais attendre dev...
Un vrombissement de moteur l'interrompit. D'instinct, il sortit les griffes et se coula contre la porte. Une moto venait de se garer à proximité. Une silhouette tout de noir vêtue s'approcha. Elle portait des lunettes boires. Mauvais signe.
- Eh, gamine, on a de la visite !
Encore une fois, Logan n'eut pas de réponse.
Lorsque la porte s'ouvrit il porta un coup puissant qui aurait transpercé un boeuf. Mais ses griffes ne firent que lacérer le vide. Le visiteur avait boulé au sol. Logan enchaîna avec une autre attaque aussi mortelle, mais ses griffes se fichèrent dans le parquet soulevant un nuage de poussière. La seconde d'après il sentit l'extrémité d'un pistolet contre ses testicules.
- Range tes ongles si tu veux encore chanter comme un ténor sous la douche.
Un genou au sol, la femme toisait son adversaire sans la moindre once d'étonnement. A croire qu'elle en avait déjà vu d'autres. Ce qui était bien évidemment le cas.
Jenna choisit ce moment pour réapparaître.
- Trinity ? Tu as fait super vite !
- J'étais pas loin. Qui c'est celui-là ? Encore un clochard dont tu as eu pitié.
- Eh, la Catwoman du pauvre, si tu me traites encore de clodo, je te fais un joli décolleté.
Trintiy l'ignora superbement. Avec ses lunettes, elle avait des allures d'insecte. Logan aurait penché pour une mante religieuse. Elle ne releva pas sa provocation :
- A en croire ses...aptitudes, c'est pas une pilule bleue, mais rappelle-toi que cela ne veut parfois rien dire. Néo et moi, on en sait quelque chose. Ce taré de Cypher a bien failli avoir notre peau.
- T'inquiète, il est clean. Il m'a filé un coup de main tout à l'heure ou plutôt un coup de griffes. Je serais peut-être pas là en train de te parler s'il était pas intervenu.
Logan s'autorisa à sourire.
- Je veux bien accepter tes excuses.
Trinity se redressa tout en continuant à le menacer.
- Il faut qu'on discute, mais pas devant lui.
Profitant d'une seconde d'inattention de sa part, Logan la désarma d'un coup de griffe, la poussa contre le comptoir d'un coup de pied avant de bondir sur le zinc les lames toutes prêtes à l'égorger :
- J'aime pas tes façons, ma belle !
Ce qui mit Jenna dans tous ses états :
- Arrête, tu fais n'importe quoi ! On est tous dans le même camp !
Une fenêtre explosa, vomissant un Agent sur le sol de la salle qui se releva en un éclair, l'arme au poing, l'autre main sur son inséparable oreillette.
- J'ai retrouvé la jeune fille. Non, elle n'est pas seule. Mlle...
- Je t'interdis de prononcer mon vrai nom !
Au comble de l'exaspération, Trinity logea un genou dans l'entrejambe de Logan avant de le repousser d'un coup de pied. Assez violemment pour qu'il passe à travers l'autre fenêtre du bar qui vu son état ne demandait de toutes façon qu'a être remplacée. Trinity se plaça ensuite de façon protectrice devant Jenna tout en faisant vaillamment face à l'Agent :
- Tu ferais mieux d'appeler des renforts. Je suis vraiment pas d'humeur.
L'Agent sourit :
- Ils sont déjà là.
Logan ne prit même pas la peine d'essuyer le sang de ses blessures. Sa cicatrisation naturelle se chargea de préserver son charme naturel. Mais alors qu'il se relevait en grimaçant plus de rage que de douleur, il eut la vision de deux souliers d'homme juste devant lui, parfaitement noirs et lustrés.
- Monsieur Logan. Ravi de vous rencontrer enfin. J'ai beaucoup entendu parler de vous.
L'Agent Smith esquissa un sourire qui fit passer son exemplaire courtoisie pour une condamnation à mort.
Logan lui fit face.
- T'es qui, toi ?
Le bras de l'Agent se détendit à la vitesse d'un serpent. Il saisit Logan à la gorge et le souleva de terre avant de l'envoyer éclater l'extrémité d'un réverbère. Logan se reçut sur le ventre. Il sentit ses côtes cassées se restructurer instantanément. Habitué au phénomène, il n'y prêta guère plus d'attention.
- Ok, t'es super costard.
Smith l'étudia comme un vulgaire insecte.
- Croyez-vous avoir une chance contre moi, Monsieur Logan ?
L'intéressé fit jaillir ses griffes.
- Pas une, six !
Puis il se rua sur son adversaire en hurlant.
A l'intérieur du bar, le combat faisait rage également. En fâcheuse posture malgré sa hargne et son expérience, Trinity hurla :
- Jenna, sur les toits, je te rejoins !
Elle n'avait pas plus tôt dit ça que l'Agent la projetait à travers la porte. Une seconde plus tard, c'est Logan qui empruntait malgré lui ce passage improvisé.
Il cracha une giclée de sang :
- Eh, j'aime pas jouer les balles de flipper !
L'autre Agent l'ignora et commença à se diriger vers les escaliers, par là même où Jenna venait de s'enfuir.
Smith s'empressa d'accueillir la compagne de Neo.
- Ravi de vous revoir. Cela faisait longtemps, Mlle...
D'un simple coup de pied la jeune femme fit basculer le lampadaire qui s'écrasa contre la façade du bar.
Smith reçut un message de l'Agent dans son oreillette et il comprit ce qu'elle s'apprêtait à faire. Alors qu'un combat mortel semblait inévitable, il disparut sans crier gare.
Trinity en profita pour se ruer sur sa moto et démarrer dans la foulée. Elle fit crisser le pneu arrière dans un nuage de fumée avant de s'élancer. La moto roula sur le lampadaire et ce pont improvisé lui permit de bondir au-dessus des toits.
L'Agent avait presque rejoint Jenna lorsqu'il fut écrasé par une moto lancée à pleine vitesse.
Trinity atterrit superbement juste devant la jeune fille.
- Tout va bien ?
- Oui, tu es arrivée à temps. Sympa, le coup de la moto.
Trinity esquissa un sourire.
- Je pense que je m'en resservirais.
Ne se sentant pas encore hors de danger, Trinity entraîna Jenna dans sa course.
- Mais Logan ?
- Oublie-le. C'est peut-être un éveillé, mais il nous ralentirait.
Jenna n'était évidemment pas de cet avis, mais elle ne protesta pas davantage.
Comme elle voyait que cette décision l'avait peinée, Trinity eut une idée pour la distraire :
- Fais-moi voir ce que tu vaux en saut en longueur !
Les deux amies se lancèrent alors dans un concours hors du commun. Bondissant de toit en toit, elles rivalisèrent d'efforts. Trinity était bien sûr plus à son avantage, mais Jenna ne démérita nullement et elle reçut de vives félicitations quant à ses progrès en la matière.

Le soir commençait à tomber. Les deux femmes pouvaient se laisser convaincre d'avoir échappé à leurs poursuivants. Du moins pour un temps. Jenna connaissait les toits de la ville par coeur et elle se faisait un plaisir de montrer à Trinity des chemins et des planques connues d'elle seule. Elle voulait que Trinity soit fière d'elle et Trinity ne la déçut pas.
Un peu plus loin, devant eux, une vieille dame assise sur un banc donnait à manger aux pigeons.
Sa silhouette était familière à Jenna. Son visage s'éclaira aussitôt lorsqu'elle la reconnut.
- C'est Josepha !
- Une amie à toi ?
- Oui.
Jenna allait s'élancer joyeusement vers la vieille dame qui venait de se lever pour sceller leurs retrouvailles, mais Trinity la retint pas l'épaule.
- Ce n'est pas ton amie.
Le visage débonnaire de Josepha se tordit atrocement et son corps disparut au profit de celui d'un Agent. Le plus dangereux de la Matrice.
Jenna paniqua :
- C'est Smith, il nous a retrouvé !
- A nous deux on peut l'avoir !
Trinity apprécia de voir autant d'assurance et de confiance en Jenna. Mais pour autant elle n'était pas dupe. Une seule personne avait pu vaincre l'agent Smith : Néo. Parce que c'était l'Elu. Et depuis, les Machines avaient procédé à quelques mises à jour afin de rendre son programme de défense encore plus performant.
Smith bondit sur elles sans crier gare.
Trinity se prépara au choc lorsque de puissantes lumières les aveuglèrent. Quelque chose de massif percuta Smith de plein fouet l'envoyant se perdre dans la nuit.
Une sorte d'avion furtif venait d'apparaître. Une ouverture se dessina dans le flanc de l'appareil et Logan les invita à monter à bord :
- Discutez pas !
Jenna fut trop heureuse de retrouver le mutant pour hésiter. Voyant Trinity faire la fine bouche, il ajouta :
- Allez, sans rancune !

Le Professeur Xavier était à bord, lui aussi. Ayant capté de bien étranges signaux alors qu'il usait du Cérébro, il n'eut qu'à ancrer son esprit sur le mutant en maraude pour comprendre la gravité des évènements.

- J'avoue, avec une certaine angoisse, que leurs pouvoirs me dépassent.  Ce ne sont pas des mutants.

- Techniquement, vous non plus, leur apprit Jenna, quelque peu ravie de jouer les enseignantes à son âge. En fait les mutants n'existent pas. En fait, rien n'est réel.

- Donc tout est permis, fit Wolverine sceptique à souhait, tout en dardant une lame telle une pointe d'Assassin.

Blasée, Trinity soupira.

- J'aimerais tout vous expliquer, mais nous manquons de temps.

Xavier lui adressa ce sourire apaisant dont il avait le secret.

- En savoir beaucoup en un minimum de temps, ma chère, c'est ma spécialité.

Il apposa ses mains sur les tempes de la guerrière et la vérité fut comme un ouragan dans son esprit. Rompant brutalement le contact, il se recula dans sa chaise roulante.

- Mon dieu, tout ceci n'est donc qu'un rêve et la réalité un tel cauchemar !

Pour Xavier le choc était terrible. Il fit un effort visible pour reprendre la parole :

- Je ne sais pas ce qui est le pire. Savoir que la guerre humains-mutants n'a pour ainsi dire jamais eu lieu et que ce conflit n'a aucune raison d'être, qu'il n'est qu'une chimère comme tout le reste ou savoir que le vrai combat a toujours été ailleurs, hors de notre portée.

Il contempla ses jambes, inertes depuis des années.

- Je devrais me réjouir de savoir que mon infirmité n'est qu'une illusion. Pourtant, je n'y parviens pas.

- C'est possible d'être au parfum ? fit Logan avec sa courtoisie légendaire.

Xavier, encore tout retourné de ce qu'il avait vu, s'approcha de lui et tendit ses mains. Logan les repoussa vivement en émettant un son de gorge.

- Je me contenterais d'un résumé oral.

Xavier possédait l'art de bien choisir bien ses mots et il en fit la démonstration une fois de plus. Pour autant, les révélations qu'il fit furent comme une chape de plomb sur les épaules de son protégé.

Logan passa une main dans sa crinière avec une grimace abominable :

- Merde, alors, on est vraiment tous chauves ?

Xavier parvint à sourire :

- Personnellement, je crois que je m'en remettrai.

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à suivre...

 

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lundi, 29 octobre 2012

Beyond Humanity 2 : Un Cadeau Empoisonné [Nouvelles/Anticipations]

 

 Lire Beyond Humanity 1 : Des Jambes en Or

 


- On est bien ensemble, hein ?
Nasa était allongée à côté de Jimmy, sur son lit. Ils fleurtaient depuis des années. Même si l'accident de Nathan les avait rapprochés plus vite que prévu, ils avaient continué à cacher leurs sentiments derrière les apparences d'une solide amitié.
Il s'était enfin décidé à l'inviter dans sa chambre, son sanctuaire de célibataire. 
Ils frottaient à présent leurs jambes cyber avec sensualité, le rouge et l'or éclatants se mariant allègrement avec le blanc épuré. Des capteurs intégrés envoyaient des ondes directement dans leur cerveau, le saturant d'adrénaline. Remède idéal pour pallier à la timidité et à l'inhibation adolescente.
Du moins, c'est ce qu'affirmait le fabriquant, qui omettait bien volontiers le fait qu'il fallait surtout compenser l'absence de peau et de stimuli naturels.
- On est bien ensemble, hein ?
Jimmy l'entendit à peine. Il se noyait dans ses yeux. Leurs visages n'avaient jamais été aussi proches l'un de l'autre. Il pouvait sentir son parfum aux essences de fleur, son haleine légèrement épicée ainsi que ses cheveux bruns aux effluves de miel et de lait. Sa peau était ambrée, ses yeux noirs comme le charbon et ses lèvres fines esquissaient un sourire mutin qui le tétanisait. Le désir qu'elle avait pour lui semblait s'échapper par tous les pores de sa peau. Etait-ce le bon moment pour passer un cap dans leur relation ?
Comme pour se libérer du poids de cette question, il se rappela celle qu'elle venait de lui poser.
- Oui, c'est vrai.
Sa main caressa le rebondi de sa joue, puis remonta jusqu'à sa tempe où elle s'attarda comme pour en extraire un secret enfoui.
- Mais...
Elle le dévisagea, alarmée.
- Mais quoi ?
- Mais ce serait mieux si j'avais un implant, moi aussi, n'est-ce pas ?
Son sourire se flétrit.
- Je ne t'ai jamais mis la pression.
- Oui, c'est vrai, mais j'ai toujours senti que ça te gênait que j'en ai pas. Le regard des autres...
Elle fronça les sourcils et ses joues s'empourprèrent.
- Le regard des autres ? Je me fous du regard des autres. C'est juste que ce serait plus pratique. On pourrait se parler quand on veut, et même être connectés 24h/24. Ils viennent de rajouter une antenne réseau dans le quartier. La connexion est super bonne, maintenant.
Jimmy tordit sa bouche.
- Peut-être, mais ça dépend pas que de moi. Un implant, c'est pas gratuit.
- Mais justement, tes parents, ils peuvent pas t'aider ? Tu vas bientôt être majeur. C'est le moment où jamais.
Il caressa à nouveau sa tempe. Ses doigts sentaient la légère protubérance de l'implant fixé sous la peau. Il se sentit tout à coup plus vierge encore qu'il ne l'était réellement. Elle dut le deviner car elle ajouta :
- Moi je l'ai eu plus tôt grâce à mon père. Mais je sais très bien que c'est pas donné à tout le monde.
Il soupira.
- C'est pas donné tout court. Même les premiers prix sont inabordables pour les classes moyennes. Mes parents gagnent pas assez. La voiture commence à déconner. S'ils doivent investir, ce sera sûrement pas dans un gadget à la mode.
Elle se redressa, comme piquée par une guêpe :
- Un gadget à la mode ? C'est vraiment ce que tu penses ?
Il s'éclaircit la gorge, conscient qu'il y avait été peut-être un peu fort. Mais il savait qu'il était dans le vrai et il tenait à le lui faire savoir.
- Avoue qu'ils font tout pour rendre ça indispensable. T'as vu leur dernière pub ? C'est abusé ! Moi, depuis mes jambes, j'ai rien eu, rien demandé. Et ça me va très bien. Si on se donne pas de limite, à quoi on va ressembler à la fin ? A Zéro-One ?
Zero-One était un comics très populaire. Le héros était un cyborg qui flinguait en direct et sans état d'âme les humains qui avaient refusé le port d'extensions synthétiques ou qui n'avaient pas eu les moyens d'en avoir. Parqués comme des animaux dans des ghettos en périphérie des villes, ces bannis de la société survivaient comme ils pouvaient, en attendant le prochain show télévisé qui scellerait leur destin. Ceux qui se considéraient toujours comme les vrais humains les avaient baptisés les Déchets.
Cette histoire fantaisiste donnait lieu évidemment à de nombreuses interprétations et débats. Son auteur, lui, se contentait de répondre qu'il écrivait ni plus, ni moins, l'avenir de l'humanité.
Au lieu d'être sensible à cet argument, Nasa en profita pour changer de sujet :
- Tu sais qu'on dit que Nike Thompson s'est pas suicidé et qu'en réalité le Zéro-One des spots TV, c'est lui !
- Et la vidéo de son soi-disant accident ?
- C'était truqué. Un geek a prouvé qu'elle avait été retouchée.
- Dans quel but ils auraient fait tout ça ?
- Pour justifier sa disparition. Il en avait marre du foot. Il voulait passer à autre chose. Quand tu revois certaines de ses interviews, c'est super explicite.
Jimmy haussa les épaules.
- Ouais, bah, peu importe qui est Zéro-One, j'ai aucune envie de lui ressembler, en tout cas.
- Personne ne te le demande.
Jimmy grimaça.
- Personne à part tout le monde.
Nasa souffla d'exaspération :
- T'es chiant, Jimmy ! C'est le progrès, c'est tout. Et puis, tu veux rester avec moi, oui ou non ?

- Un implant ?
Jimmy observa l'objet argenté dans sa main. Il n'était pas plus long qu'une gomme.
- Tu as dix-huit ans, dit son père. Non ?
Le garçon n'en croyait pas ses yeux. Il pensait que ses parents n'auraient jamais les moyens de lui en offrir un si tôt.
- Mais je pensais que c'était trop cher pour vous.
Sa mère lui offrit son plus beau sourire.
- J'ai mis de côté exprès. Je voulais te faire la surprise.
- Et moi, ajouta son père, j'ai eu une augmentation grâce à mon ancienneté dans la boîte. On s'est dit que c'était l'occasion ou jamais.
Jimmy les embrassa.
- Merci, je sais pas quoi vous dire.
- Et bien, dit son père, dit juste merci.
- Alors merci à vous deux. C'est un super cadeau d'anniversaire. C'est Nasa qui va être contente.

Nasa fut effectivement très heureuse d'apprendre la nouvelle. D'autant que les grandes vacances arrivèrent et que leur programme respectif les empêcha de se voir durant presque deux mois. Heureusement, l'implant de Jimmy leur permit d'être ensemble autant que possible.
A la fin du mois d'août, elle l'appela. La tempe de Jimmy s'enjoliva d'un point bleu lumineux, preuve qu'il était connecté.
- Tu crois qu'on pourrait se voir ? s'enquit-elle avec espoir.
- Aujourd'hui ?
- Oui.
Nasa et Jimmy se croisèrent dans la rue au milieu d'une foule de gens, eux aussi connectés. Ils ne s'en aperçurent même pas.
- Non, aujourd'hui, je peux pas. Mais je t'appelerai dès que je serai disponible. Je t'embrasse.
Puis il répondit à un autre appel, grisé par ce sentiment nouveau d'être relié au monde entier.

Nasa mourut une semaine plus tard à cause d'une mise à jour défectueuse de son implant. Son cerveau implosa.
Jimmy n'en sut jamais rien. Pour lui, son silence se résuma à une simple connexion impossible.
Et qu'est-ce qu'une connexion impossible au milieu de milliers d'autres possibles ?


Bienvenue dans un monde où la Technologie et l'Homme ne font plus qu'un.

Ce monde existe déjà. C'est le nôtre :

 

 


T’as aimé…ou pas

T’as tout lu, tout vu, tout entendu…ou pas

Peu importe, post un com et like la page pour dire que tu existes car ton avis est important pour moi, mais aussi pour le futur de ce blog, un gros merci d’avance !

jeudi, 25 octobre 2012

Deux Milliards et Deux Vies [Nouvelles/Uchronie]

J'ai déjà eu l'occasion de vous parler de mon meilleur ami Hervé Smagghe. Il contribue beaucoup à l'amélioration et à l'exposition de mon blog et j'en profite pour le remercier une nouvelle fois au passage.

Il se trouve qu'il est également auteur, pas autant qu'il le voudrait, certes, mais cela ne l'a pas empêché de pondre deux petites perles.

La nouvelle qui suit est classée dans un genre littéraire bien spécifique : l'Uchronie. Cette dernière consiste à revisiter un fait historique sous un angle différent de celui que l'on connait. Un bon exemple : le roman Le Maître du Haut Château de Philip K. Dick qui raconte la victoire du IIIè Reich sur les Alliés durant la seconde guerre mondiale.

Je vous souhaite d'avance une bonne lecture. N'hésitez pas à laisser des commentaires pour donner votre avis et partagez votre ressenti avec Hervé qui se fera un plaisir de vous répondre.



– Leader one, ici Black Eagle. Je viens d’être touché par un tir provenant du sol. Demande assistance pour appontage d’urgence.
– Bien reçu, Black Eagle. La piste sera dégagée à votre arrivée. Quelle est l’étendue de vos dégâts ?
– Les deux tuyères gauches de mon appareil sont endommagées.
– Attention Black Eagle, j’ai deux échos ennemis sur mon radar à environ trois heures !
– Envoyez-moi de l’aide, je n’arriverai jamais jusqu’au porte-avion !
– Bien reçu Black Eagle. Nous faisons le nécessaire.
« Merde, il ne manquait plus que ça ! » pensa le sergent Jonathan Miller.

Les deux chasseurs irakiens seraient bientôt sur lui. Il savait pertinemment que l’aide demandée ne serait jamais sur place à temps. Il lui fallait trouver une solution, seul. A cette altitude, avec de telles avaries, il n’avait aucune chance de sortir victorieux d’un combat aérien. Il enfonça le manche de son appareil vers l’avant et son chasseur plongea aussitôt en piqué.

Jonathan pilotait un McDonnell Douglas, modèle AV-8B, plus connu sous le nom de Harrier. Cet avion fraîchement mis en service avait déjà fait ses preuves depuis le début de l’opération Tempête du Désert. Sa petite taille rendait le Harrier beaucoup plus manœuvrable que la plupart des chasseurs conventionnels. Armé d’un canon rotatif de 25 millimètres et équipé d’une charge offensive de presque 8 tonnes, il pouvait néanmoins atteindre une vitesse de pointe d’environ 1000 km/h. D’imposantes tuyères orientables ornaient chaque côté du Harrier. Elles permettaient au chasseur un décollage et un atterrissage vertical. Une vraie révolution dans le monde de l’avionique !

Jonathan savait qu’avec deux tuyères endommagées un atterrissage vertical lui était interdit. Il connaissait parfaitement les possibilités de son appareil : il était considéré par sa hiérarchie comme l’un des meilleurs pilotes au monde sur ce type de chasseur.

Arrivé à 200 mètres d’altitude, Jonathan tira sur le manche du Harrier qui peina à se redresser. Lorsqu’il y parvint, l’avion n’était plus qu’à une vingtaine de mètres au-dessus du sol. Il ne pourrait jamais espérer prendre de vitesse les deux Mirages F1-E lancés à sa poursuite. Ces chasseurs, sortis tout droit des usines françaises Dassault, étaient parmi les avions les plus rapides au monde. Leur vitesse pouvait atteindre Mach 2 soit deux fois et demi la vitesse de pointe du Harrier.

Jonathan survolait à présent une rivière qu’il décida de longer. Cette manœuvre lui fit gagner du temps. Naviguant sous le plancher radar, les chasseurs ennemis peinèrent à retrouver le Harrier. Un signal sonore retentit dans le cockpit du sergent Miller : l’un des Mirages ennemis venait de tirer une roquette à guidage thermique. Jonathan n’eut d’autre choix que de pousser les réacteurs du Harrier à leur pleine puissance. Cette brusque accélération l’obligea à effectuer des manœuvres que nul autre pilote n’aurait osé tenter. Son avion filait à présent à près de 900 km/h le long des méandres de la rivière, tandis que le missile se rapprochait inexorablement de lui. Jonathan tira d’un coup sec le manche de son appareil. L’avion se redressa et fila à la verticale. Il passa à toute allure entre les deux chasseurs irakiens qu’il avait préalablement repérés sur son radar, suivi de près par la roquette. Les pilotes, bien que surpris par la manœuvre de l’américain, n’eurent aucun mal à se dégager de la trajectoire du Harrier, évitant ainsi d’être pris pour cible par le missile.

Jonathan continua sur sa lancée et constata avec regret que la roquette n’avait percuté aucun des deux Mirages. Il adopta donc une autre tactique. Arrivé à 13 000 mètres d’altitude, il effectua un demi-tour et plongea de nouveau sur les chasseurs irakiens. Il coupa brusquement les gaz à 6000 mètres et tomba en chute libre. Rien ne garantissait que l’avion parviendrait à redémarrer. Le missile, qui réagissait à la chaleur des réacteurs, perdit sa cible et se remit aussitôt en acquisition : deux cibles s’offraient désormais à lui, droit devant. Le Harrier en perdition fila sur la gauche des deux appareils ennemis et la roquette percuta l’un d’eux. L’onde de choc provoquée par la déflagration frappa de plein fouet le second chasseur qui explosa à son tour. Jonathan n’eut pas le temps de se réjouir car son appareil se rapprochait dangereusement du sol. Un sentiment d’inquiétude l’envahit. Les deux tuyères encore opérationnelles refusaient obstinément de se remettre en marche. A la verticale, il lui était impossible de s’éjecter. Miller n’avait plus le choix : il tira de toutes ses forces sur le manche et enfonça le palonnier. L’avion partit aussitôt en vrille. Bien que téméraire, cette manœuvre permit à Jonathan de s’éjecter de son appareil.

La seconde suivante, le Harrier percutait le sol dans une explosion de fumée noire. La violence de l’éjection fit perdre connaissance au sergent Miller qui planait au dessus du sol, suspendu à son parachute tel un pantin inanimé. Lorsqu’il revint à lui, la première image qu’il vit fut le sol à moins de 3 mètres sous ses pieds. Il était déjà trop tard pour tenter quoi que ce soit. Un hurlement de douleur s’échappa de sa gorge lorsque ses deux jambes se brisèrent comme des allumettes en percutant le sol…

***

Jonathan se réveilla en sursaut, le front perlé de sueur. Il lui fallut quelques instants pour se remémorer l’endroit où il se trouvait : sa chambre. Vingt-cinq années s’étaient écoulées et pourtant la douleur aux jambes perdurait. Le médecin de la base d’El Toro, où il était stationné, lui avait expliqué que cette souffrance était psychosomatique. Le choc post-traumatique dû à son accident en territoire ennemi l’avait marqué à vie telle une plaie toujours à vif. Cela faisait pourtant bien cinq ans qu’il ne s’était pas réveillé aussi brusquement.

Jonathan massa péniblement ses jambes jusqu’à ce que la douleur s’estompe quelque peu. Il se leva ensuite et se dirigea vers la salle de bains. La nuit était encore noire. Elle promettait d’être longue, il en était certain. Après s’être rafraîchi, il vit son visage dans le miroir qui lui renvoya l’image d’un homme que la guerre du Golf avait brisé vingt-cinq ans plus tôt. Le crash avait gâché sa vie et sa carrière. Avec un tel talent de pilote, le sergent-major Jonathan Miller aurait eu tôt fait d’être promu capitaine. Au lieu de cela, ses supérieurs lui avaient annoncé sans grand ménagement qu’il ne pourrait sans doute plus jamais voler. Voler, c’est ce qui l’avait poussé à s’engager et à gravir les échelons de l’armée dans un seul but : se tenir derrière le manche d’un chasseur. Les sensations qu’il ressentait en vol étaient uniques, une coulée d’adrénaline qui le faisait se sentir vivant.

Mais tout cela lui avait été enlevé. Il avait dû se battre contre sa hiérarchie afin de pouvoir arpenter de nouveau le bitume des pistes d’envol. Pour ce faire, il passa du statut de pilote de chasse à celui de chef mécanicien en aéronautique. Le sergent-major Miller était le seul soldat de l’U.S. Air Force à posséder un grade de loin supérieur à sa fonction. Il avait en charge la maintenance des avions de chasse de la base d’El Toro en Californie.

Cependant le temps des Harriers était depuis longtemps révolu. L’année 2015 était déjà bien entamée et aujourd’hui les drones équipaient 90% de la flotte américaine. Ces escadrilles de petits chasseurs commandées à distance étaient devenues le fleuron de l’Air Force qui se targuait de ne plus mettre en danger la vie de leurs pilotes. Une nouvelle génération de soldats avait vu le jour. Des pilotes sans expérience du vol réel, des pilotes incapables de voler aux commandes d’un Harrier, des pilotes dont la seule qualité était avant tout le sang-froid.

Chaque fois que Jonathan pénétrait dans la « salle de pilotage », il avait la sensation de voir des adolescents addicts aux jeux vidéo. Seule différence au tableau, cette pièce était sans aucun doute la plus silencieuse de la base. Finies les sensations fortes, les décharges d’adrénaline et autres excitations en tout genre. Il détestait cette salle beaucoup trop terre à terre pour le vol aérien.

Heureusement de temps en temps, son ami et supérieur, le capitaine Nick Turner s’arrangeait pour lui octroyer des missions de convoyage. L’objectif était simple : piloter les vieux avions au rebus à destination des différents musées militaires du territoire américain. A chaque fois, Jonathan était transporté à l’idée de piloter à nouveau. Quelle ne fut pas sa joie lorsqu’il lut l’ordre de mission qui émanait du bureau de Nick. Il était chargé de convoyer un Harrier jusqu’au musée naval de la base de Pearl Harbor dans le pacifique. Jonathan leva les yeux au ciel et remercia le Créateur de le laisser se mettre à nouveau aux commandes d’un Harrier. D’ordinaire les missions de convoyage concernaient surtout des bombardiers. Mais là, il s’agissait d’un chasseur, autant dire du pain béni pour ce doux rêveur de Miller.
Evidemment, Nick ne le laisserait jamais décoller sans une sérieuse remise à niveau, soit cinq bonnes heures de vol sur l’appareil. Jonathan eut toutes les peines du monde à réprimer son excitation. Depuis son accident, il n’avait jamais plus piloté de Harrier. Il lui tardait donc d’accomplir sa mission qui n’aurait lieu que dans trois semaines. Un vol comme celui-là nécessitait une grande préparation de la part du pilote. Il lui fallait s’entraîner au vol : décollage, atterrissage et même appontage. En effet son plan de vol prévoyait une escale pour refaire le plein de kérosène à bord du California, le dernier-né des porte-avions américains, fleuron de la Navy. Cette escale, Jonathan la trouvait inutile. Dans le temps, on lui aurait laissé faire son ravitaillement en vol. Mais ce genre d’opération était aujourd’hui considérée comme dangereuse et par conséquent inutile. Au lieu de cela, il devrait faire le plein et passer une nuit à bord du porte-avions. Encore une idée stupide que de ne pas piloter de nuit afin de ne surtout pas prendre de risques. Il se dit que sans les risques que les pilotes avaient pris, leur liberté si chèrement acquise au cours des guerres, ne serait peut-être qu’une lointaine illusion. Alors penser qu’une guerre puisse se gagner sans prise de risque, telle était la véritable illusion aux yeux de Jonathan.

–  Jonathan ? Jonathan, tu es avec moi là ? demanda le capitaine Turner.
– Euh oui, oui, Nick. Excuse-moi, j’étais perdu dans mes pensées. Où en étions-nous déjà ?
– Le California, Jonathan. Tu passeras la nuit à bord et tu repartiras le lendemain matin à 6h30.
– A vos ordres Capitaine, ironisa le pilote.
– C’est ça, fait le mariole. Si j’étais toi, je me demanderais comment remercier mon capitaine pour m’avoir dégoté cette mission de dilettante, lança Nick sur le ton de la plaisanterie.
– Quoi, tu veux que je te ramène une Hawaïenne peut-être ?
– Non, sérieusement. Trêve de plaisanterie, le porte-avions sera en alerte rouge ce jour-là. Alors il faudra que tu te fasses tout petit.
– Alerte rouge, mais pourquoi ?
– Phase de test, c’est tout ce qu’on a bien voulu me répondre en haut lieu.
– Ça sent les tests d’armement à plein nez.
– Quoiqu’il en soit, motus et bouche cousue. Et ça c’est un ordre tout ce qu’il y a de plus officiel.

***

Trois semaines plus tard, Jonathan était paré à accomplir sa dernière mission. Dernière car il savait qu’une occasion comme celle-ci ne se représenterait sans doute plus. Aussi avait-il informé Nick de son souhait de partir à la retraite dès la fin de cette mission. Le capitaine avait bien tenté de retenir son ami mais il savait déjà que c’était peine perdue. Ce fut donc avec regret que Nick accepta de faire les démarches nécessaires au départ précipité de Jonathan.

– Ainsi je boucle la boucle, pensa Miller. Tour de contrôle, ici Black Eagle. Je suis paré au décollage.
– Bien reçu Black Eagle. Vous avez l’autorisation de décoller. Bon vol et soyez prudent.
– Merci tour de contrôle. Je tacherai de revenir en un seul morceau.

Le Harrier roula doucement jusqu’à la piste d’envol. Là, Jonathan lança les réacteurs du chasseur à pleine puissance ce qui ne manqua pas de le plaquer au fond de son siège. Il ne fallut que quelques secondes au Harrier pour prendre son envol. L’adrénaline coulait déjà à flot dans les veines du pilote. Il prit rapidement de l’altitude car il était déjà aux portes de Los Angeles. Les consignes étaient claires : 7000 mètres, tel était le plancher imposé par sa hiérarchie pour survoler la Cité des Anges. Jonathan se sentait à nouveau vivant, sentiment qu’il n’avait plus ressenti depuis vingt-cinq ans maintenant.

Dix minutes plus tard, le Harrier survolait l’océan Pacifique et Jonathan abaissa son plancher à 1500 mètres. Là débuta pour lui une longue série d’acrobaties aériennes. Il commença avec prudence et augmenta la difficulté des figures à mesure que ses sensations en vol lui revenaient. Des larmes de joie coulaient de ses yeux embués. Il ne parvenait plus à contrôler la décharge émotionnelle que lui procurait son corps. Il volait dans une sorte de béatitude complète. Peu de gens savent apprécier ce qu’ils définissent plus tard comme étant le plus beau jour de leur vie. Dans son cas, aucun doute n’était permis : il avait pleinement conscience de vivre les plus beaux instants de sa vie. Seule la radio vint interrompre ce moment de pur plaisir.

– Black Eagle, ici la tour de contrôle de l’USS California. Veuillez ralentir votre vitesse d’approche pour votre appontage.

En jetant un coup d’œil à l’horloge de son cockpit, Jonathan constata avec regret que cela faisait presque trois heures qu’il était en vol. Trois heures qui n’avaient duré qu’un instant, le temps d’un battement de cils, pensa Jonathan. La première partie de son trajet s’achevait déjà. Ce fut avec beaucoup de regrets dans la voix qu’il répondit :

– Bien reçu, tour de contrôle, je réduis les gaz.
– Le pont étant surchargé pour la durée de nos exercices, veuillez procéder à un atterrissage vertical.
– Je procède, répondit-il d’une voix platonique.

L’appontage vertical, bien qu’excitant, ne fut qu’une simple formalité pour Jonathan. Une fois posé, il coupa les réacteurs, mais ne sortit pas tout de suite de son cockpit. Il lui fallait d’abord reprendre ses esprits. Au bout de deux minutes, un opérateur au sol grimpa sur une aile du Harrier afin de voir si tout allait bien pour le pilote. Ce dernier déverrouilla son cockpit au moment même où l’opérateur posait sa main sur la poignée d’ouverture.

– Bonjour Sergent-major. Vous vous sentez bien ? demanda-t-il, inquiet. Vous n’avez pas l’air dans votre assiette.
– Merci pour votre sollicitude, Soldat, mais ça va aller. Je suis juste un peu fatigué par le voyage, mentit Jonathan. Veuillez me conduire auprès de mon officier de liaison, je vous prie.
– A vos ordres Sergent-major. Par ici, si vous voulez bien me suivre.

***

Le porte-avions grouillait d’activité. Tout le monde s’affairait à bord afin de respecter un planning qui échappait complètement à Jonathan. Son officier de liaison lui avait intimé l’ordre de ne pas quitter ses quartiers durant la nuit car « d’importants tests » allaient être réalisés. Il n’avait posé aucune question sachant pertinemment qu’il n’obtiendrait aucune réponse. Il avait bien sûr remarqué que tout le gratin de l’armée américaine se trouvait à bord. Sans doute étaient-ils tous venus pour une démonstration. En bref, tout le monde s’affairait et lui s’ennuyait ferme. Lorsqu’il ferma les yeux, allongé sur sa couchette, les images de son extraordinaire après-midi défilèrent sans discontinuer.

Deux heures plus tard, ne parvenant toujours pas à trouver le sommeil, Jonathan se leva et sortit sur le pont pour prendre l’air. L’interdiction de quitter sa cabine lui importait peu. L’air marin lui fit le plus grand bien et le détendit. Au bout de dix minutes, il surprit une conversation entre deux hommes sur le pont supérieur.

– Général, je me dois d’insister. Nous ne sommes pas prêts pour un test grandeur nature. Comme je vous l’ai déjà signifié dans mon dernier rapport, l’ouverture d’un vortex aussi petit soit-il, nécessite un contrôle absolu du canon TDV. Hors notre appareil n’est pas encore au point. Nous ne savons même pas si nous parviendrons à refermer le trou de ver.
– Professeur Santini, déclara le général d’un ton qui se voulait rassurant. Votre rapport a été lu et vos craintes prises en compte. Les résultats en laboratoire, vous en conviendrez, sont plus que satisfaisants. De plus, les sommes colossales engagées dans un tel projet appellent à des résultats probants. Je vous avoue avoir un peu de mal à comprendre vos réticences.
– Mes réticences général, sont on ne peut plus fondées. Tout d’abord, les tests en laboratoire ont été réalisés en milieu contrôlé, une atmosphère stérile de toute interférence. Je vous rappelle par ailleurs que ce que nous appelons vulgairement un vortex n’est ni plus ni moins qu’un trou noir. On ne travaille plus seulement sur trois dimensions, mais quatre car nous parlons là de courber l’espace et le temps afin de créer un passage instantané d’un point A vers un point B. Si nous ne maîtrisons pas ce trou noir, tout sera absorbé, TOUT : la matière, la lumière, le temps.
– Oh là ! Calmez-vous, professeur. Vous dressez là un portrait bien pessimiste de la situation. Aux dernières nouvelles, tout fonctionnait parfaitement.
– PARFAITEMENT ?!! Et l’incident de Blackwell, vous appelez ça un fonctionnement parfait ?
– Quel incident de Blackwell ? Tout s’est déroulé selon nos plans à part un léger retard. A part ça, nous avons transféré une canette du laboratoire à la salle adjacente à travers le vortex.
– Oui, mais la canette n’est arrivée qu’une minute plus tard et pas à l’endroit de la salle que nous avions choisi.
– Professeur, un tout petit mètre d’écart et une toute petite minute de retard, il ne s’agissait que de détails que vous avez réglés.
– Pas du tout. Ce que vous appelez un retard n’en était pas un. Le canon TDV a parfaitement fonctionné. Lorsque la canette est partie du laboratoire, elle est instantanément arrivée à destination. Nous avons attendu une minute non pas à cause d’une lenteur du transfert ou d’un retard, mais parce que la canette a voyagé une minute dans le futur. En fait le canon TDV fonctionne parfaitement sauf que nous n’en maîtrisons pas les effets secondaires. Voilà les raisons qui me font parler de Blackwell comme d’un incident. Je tiens à ajouter que si nous avions…
– Je vous prie de m’excuser, professeur Santini, lança un troisième homme qui venait d’arriver, mais votre présence ainsi que celle du Général Stanton est requise au poste de commandement. La phase de test va bientôt débuter.
– Nous vous suivons, répondit Stanton.
– Général, s’il vous plaît, insista le scientifique.
– Professeur Santini, je crois avoir été suffisamment patient. L’heure n’est plus à la discussion mais à l’action. Nous reprendrons cette conversation après le test qui, j’en suis intimement convaincu, se déroulera sans incident.

Jonathan, encore sous le choc de la discussion qu’il venait de surprendre, entendit les pas des deux militaires et du scientifique qui s’éloignaient. Quelle folie avait poussé les Hommes à créer une telle machine en sachant les conséquences dramatiques que cela pouvait entraîner ? Il était maintenant hors de question pour lui de retourner sagement se coucher dans sa cabine. Il fallait qu’il voie ça de ses propres yeux.
Subrepticement, Jonathan se faufila jusqu’au pont d’envol où une bonne centaine de personnes s’affairaient aux derniers préparatifs du test. Là, il découvrit alors le fameux canon TDV. Il était composé de trois éléments principaux. Deux canons à électrons étaient disposés de part et d’autre d’un grand canon à base pyramidale dirigé vers le ciel. Jonathan remarqua également qu’à l’autre bout de la piste d’envol, deux drones étaient prêts à décoller. Sans doute les militaires allaient-ils tenter d’envoyer les drones à travers le vortex. Pour la première fois de sa vie, il était content que l’on envoie des drones plutôt que des pilotes. Quelle folie, songea-t-il à nouveau. Risquer l’Armageddon pour perfectionner un nouveau moyen de transport : la démesure des Hommes ne semblait pas avoir de limite.

Soudain, le pont se vida de tous ses occupants en quelques secondes. Poussé par la curiosité, Jonathan resta caché derrière une pile de caisses. Une voix retentit par les hauts parleurs du pont d’envol :

– Attention, lancement du compte à rebours. Début du test dans trente secondes, vingt-neuf, vingt-huit…

Un bourdonnement se fit entendre, sans doute les générateurs avaient-ils été mis en marche.

– Dix-neuf, dix-huit, dix-sept…

Le bourdonnement devint plus intense jusqu’à devenir un sifflement aigu qui arracha un cri de douleur à Jonathan. Il comprit alors pourquoi tout le monde s’était mis à l’abri. Il plaqua ses deux mains contre ses oreilles rendant le sifflement plus supportable. De puissants projecteurs crevèrent la nuit, illuminant le ciel chargé de nuages gris.

– Cinq, quatre, trois, deux, un, mise à feu.

A ce moment-là, le silence se fit et Jonathan vit les deux canons à électrons émettre un rayon lumineux d’un rouge vif. La base pyramidale du canon principal fut percutée simultanément par les deux faisceaux laser. Pendant quelques secondes rien ne sembla se produire. Puis, l’ensemble du porte-avions se mit à trembler, manquant de faire trébucher le pilote. Soudain, une onde de choc partit de la base du canon et se propagea vers le ciel. Le silence retomba sur le pont d’envol et tout redevint calme. Le regard de Jonathan se porta vers le ciel où un trou béant aspirait les nuages alentours. Ainsi, l’Homme venait de créer un trou noir. Miller ne parvenait plus à détacher ses yeux du spectacle grandiose qui se jouait devant lui. Il ne remarqua les deux drones que lorsque ceux-ci franchirent le trou de ver à pleine vitesse. Le vortex se referma brusquement juste après.

– Que s’est-il passé ? demanda le général Stanton dont la voix trahissait une certaine inquiétude.
– Je ne sais pas mon Général, répondit Willis, le chef des opérations. La puissance du vortex était parfaitement stable, mais il semble qu’il se soit effondré sur lui-même.
– Je vous avais pourtant prévenu, Général, lança le professeur Santini d’un ton parfaitement neutre.
– Ça suffit Santini, l’heure n’est pas aux reproches. Stanton se tourna alors vers Willis :

– A-t-on des nouvelles de nos drones ? demanda-t-il avec colère.
– Non, mon Général. Les pilotes nous disent avoir perdu le contrôle de leur appareil au moment même où le trou noir s’est refermé.
– Je veux savoir ce qui s’est passé. Que les équipes de maintenance vérifient l’état du canon TDV.
– Mais Général, il faut attendre que les canons à électrons refroidissent sinon les équipes de maintenance risquent de…
– Ça suffit, Willis ! Je vous ai donné un ordre. Obéissez.
– Tout de suite, mon Général.

Jonathan regarda ses mains maculées de sang et constata qu’il provenait de ses oreilles. En pilote averti, il savait que ce n’était jamais très bon signe. Voyant que des dizaines d’hommes s’affairaient à nouveau, il décida de ne pas s’attarder plus longtemps sur le pont du California. Les deux drones n’étaient toujours pas revenus et au vu de l’agitation ambiante, Jonathan en conclut que le test avait du être un échec.

De retour dans sa cabine, il se passa la tête sous l’eau, ce qui le soulagea quelque peu. Il était maintenant certain de ne pas fermer l’œil de la nuit.

***

Le lendemain matin, Jonathan était partagé entre l’excitation de piloter à nouveau et le désarroi dans lequel l’avait laissé l’impressionnant spectacle dont il avait été témoin la veille. Ses oreilles ne le faisaient plus souffrir et il espérait qu’il en serait de même une fois en vol. Il prit son petit déjeuner dans un réfectoire qui semblait avoir été déserté. A contrario, le pont d’envol était envahi de techniciens, militaires et scientifiques qu’il n’eut aucun mal à différencier. Son officier de liaison l’accompagna jusqu’à l’arrière du porte-avions où l’attendait déjà son Harrier. Le canon TDV avait disparu du pont supérieur, ce qui ne manqua pas de faire sourire Miller.

– Voici votre plan de vol, Sergent-major. Soyez prudent, lança très sérieusement l’officier de liaison.

Ça c’est le comble, pensa Jonathan. On me demande à moi d’être prudent pendant qu’eux mettent la planète en danger.

– Merci, Capitaine, répondit-il ironiquement.

Il monta à bord du Harrier et après les vérifications d’usage et l’accord de la tour de contrôle, il décolla. Quelques minutes plus tard, Jonathan volait au-dessus du Pacifique à pleine vitesse. Deux heures plus tard, il arriverait à Pearl Harbor où le dernier Harrier de l’armée américaine encore en état de marche finirait ses jours dans un musée.
Le vieux Harrier serait à la retraite en même temps que le vieux Miller, pensa Jonathan.

A bord, l’ambiance fut nettement moins joviale que la veille. Il semblait plongé dans une sorte de nostalgie qui dura pendant presque toute la durée du vol. Seule une voix dans son casque le sortit de sa torpeur.

– Black Eagle, ici la tour de contrôle de Pearl Harbor. Veuillez abaisser votre plancher à 1500 mètres afin de procéder à l’atterrissage. Nous vous libérons la piste 24B, veuillez confirmer.
– Bien reçu tour de contrôle. Je procède aux…

Il n’eut pas le temps de finir sa phrase. Déjà, son radar émettait deux échos droit devant lui à quelques centaines de mètres. La visibilité était restreinte par d’épais nuages gris. Pendant un instant, le pilote se remémora la dernière fois où il avait vu deux échos sur son radar, vingt-cinq ans plus tôt. Une vague de sueurs froides parcourut le corps de Jonathan qui luttait pour garder son calme. Le Harrier sortit d’un épais nuage et la panique envahit aussitôt le pilote lorsqu’il vit devant lui deux drones qui émergeaient d’un gigantesque vortex, trou béant déchirant le ciel. Les drones partirent en vrille et Jonathan ne les évita que par miracle. Dans la seconde qui suivit, les deux engins se percutèrent l’un l’autre. Le Harrier, prit dans le champ de l’explosion, fut projeté à travers le trou noir.

Jonathan ferma les yeux, croyant sa dernière heure venue.

***

Lorsqu’une alarme retentit dans le cockpit, il ouvrit à nouveau les yeux. Il était toujours là, bel et bien vivant, mais son appareil était devenu hors de contrôle et plongeait inexorablement vers l’océan. Le pilote dut jouer de toute son habileté afin de stabiliser le Harrier qui ne volait plus qu’à quelques dizaines de mètres au-dessus de l’eau.

La première chose qui frappa Jonathan quand le calme revint, fut la météo. En effet, le ciel n’était plus gris et menaçant, mais d’un bleu azur. Au loin, le soleil se levait derrière l’île d’Oahu abritant le port de Pearl Harbor. Le changement était saisissant. Il décida de reprendre de l’altitude afin d’envoyer un message radio. Pas de réponse. Une inquiétude naissante poussa le pilote à scanner toutes les fréquences radios. Il ne tarda pas à en trouver une, mais la voix qu’il entendit n’avait rien d’américaine. Il s’agissait plutôt d’une langue asiatique à laquelle Jonathan ne comprenait strictement rien. Soudain, il y eut un silence radio de quelques secondes suivi de trois mots que le pilote ne pourrait jamais plus oublier. Trois mots qu’il savait être japonais. Trois mots historiquement célèbres et qui répondaient à toutes ses interrogations : tora ! tora ! tora ! Il comprit aussitôt que le vortex l’avait projeté dans le passé, le 7 décembre 1941 à 7h53. L’attaque de Pearl Harbor par l’armée japonaise venait d’être lancée. L’histoire de cette bataille, tous les pilotes de l’US Air Force la connaissait par cœur. Le président Roosevelt l’avait tristement baptisée le Jour d’infamie. Jonathan avait étudié cette bataille lors de ses classes alors qu’il n’était pas encore pilote : la plus grande défaite militaire américaine. Il ne semblait pas croire à la réalité de sa situation, encore sous le choc de l’annonce radio. Comment pouvait-il se retrouver plongé au cœur d’un des jours les plus sombres de l’Histoire de son pays ?

Seule la première explosion d’un cuirassé parvint à sortir Jonathan de sa torpeur. Il savait que le Nevada venait d’être touché par une torpille. Ce navire avait été la première cible des bombardiers japonais. Quelques secondes plus tard, toute l’île Ford où était stationnée la majeure partie de la flotte américaine, sembla s’embraser sous les feux nippons. Jonathan devait intervenir, c’était son devoir de patriote et il en avait les moyens. Il fit un premier passage au-dessus du port, scannant les fréquences radios afin d’en trouver une américaine. Plus loin au nord, le pilote distingua nettement une nuée d’appareils japonais qui se scindait en plusieurs groupes d’attaque.

– Maintenant les choses vont changer, déclara-t-il solennellement à voix haute.

Jonathan lança ses réacteurs à pleine puissance en direction d’un groupe de onze bombardiers Kate qui arrivait au-dessus des montagnes. Les bombardiers japonais se distinguaient aisément des chasseurs Zéros de par leur couleur verte. La tâche du pilote américain n’en fut que simplifiée. En l’espace de quelques secondes, il fit un carnage avec sa mitrailleuse. Pas un pilote japonais ne réchappa vivant de l’attaque éclair. La surprise avait été totale.

J’ai bien arrosé l’arroseur, pensa Jonathan un sourire narquois aux lèvres.

Le Harrier avait déjà repris de l’altitude lorsque la radio, qui avait capté une nouvelle fréquence, lança un message que le pilote reconnut.

- Raid aérien, Pearl Harbor. Ce n’est pas un exercice.

Il s’agissait du message de détresse qu’avait lancé le commandant Logan de Ford Island. Jonathan vira de bord et ne tarda pas à rattraper un groupe de Zéros qui s’apprêtait à détruire une piste de décollage américaine. Les mitrailleuses du Harrier entrèrent en action et pulvérisèrent littéralement les avions japonais. Les explosions successives obligèrent le pilote à effectuer de spectaculaires manœuvres d’évitement.

Au sol, les militaires assistaient à une scène de science-fiction en voyant le Harrier évoluer dans les airs, venant à leur aide tel un ange tombé du ciel. Aucun pays n’avait jamais développé un tel engin, alors en voir voler un relevait de l’impossible.

De son cockpit, Jonathan aperçut deux Kates qui se dirigeaient vers l’Arizona, le plus célèbre des cuirassés coulé durant la bataille de Pearl Harbor. Le pilote américain orienta son appareil en direction des bombardiers nippons, en verrouilla un et lança une roquette. La déflagration qui s’ensuivit projeta des débris sur les navires alentours. Jonathan n’eut pas le temps de verrouiller le second Kate qui largua sa torpille. Vu du ciel, on pouvait très nettement distinguer le long sillage blanc sous-marin caractéristique, filer à pleine vitesse sur l’Arizona.

Les quartier-maitres Sims et Templeton avaient reçu l’ordre le matin même de passer une couche de peinture sur la coque de l’Arizona. Lorsqu’ils devinèrent une torpille à quelques dizaines de mètres d’eux, ils furent persuadés que leur mort était inéluctable. Perchés dans leur nacelle de travail, que pouvaient-ils faire ? C’est donc comme spectateurs qu’ils assistèrent au plus incroyable des miracles. Un chasseur inconnu passa en rase-mottes à une vitesse folle et largua une bombe qui fit exploser la torpille dans une impressionnante gerbe d’eau. Les deux quartier-maitres, bien que complètement trempés, se jetèrent dans les bras l’un de l’autre de joie. Ils se hâtèrent ensuite de remonter leur nacelle de travail.

A bord de son bombardier, le pilote japonais constata avec stupeur que sa torpille n’avait pas atteint sa cible. Pire, l’OVNI qui en était responsable fonçait à plein régime sur lui. Jonathan fondit sur sa proie qui tenta une manœuvre désespérée pour l’éviter et perdit le contrôle de son appareil. Le Kate termina sa course dans les eaux peu profondes de la baie. A bord du Harrier, Miller poussa un long cri de victoire. Cependant, une nouvelle explosion toute proche l’obligea à se reconcentrer. La bataille était loin d’être gagnée.

Dans la panique, les militaires américains à bord des cuirassés, prenaient tous les avions en vol pour cible. Jonathan dut rapidement se dégager d’un tir d’artillerie et reprendre de l’altitude. Une fois hors d’atteinte, il aperçut en contrebas un petit submersible nippon qui se frayait un passage dans les eaux de la baie. Il prit tout son temps pour viser et largua une seconde bombe. Sans surprise, l’obus atteignit son objectif et le sous-marin de poche japonais implosa.

Avec le recul que lui offrait l’altitude, Jonathan constata les dégâts de la bataille. Trois navires étaient en flamme, dont un donnait déjà de la gîte. Deux pistes de décollage et une bonne trentaine de Curtiss P40 américains étaient hors d’usage. Des volutes de fumées noires réduisaient considérablement la visibilité à basse altitude et au loin de nouvelles vagues d’avions japonais déferlaient sur Pearl Harbor. Les ennemis étaient trop nombreux et Jonathan ne pouvait espérer changer seul le cours de la bataille. Il lui fallait des renforts aériens et rapidement. Il décida de ne s’atteler pour le moment qu’à une seule tâche : la protection d’une piste d’envol afin de permettre aux P40 américains de prendre les airs.

La piste d’Ewa n’avait pas encore été atteinte par les raids aériens ennemis. Les mécaniciens et pilotes américains s’affairaient en tout sens afin de préparer leurs avions au décollage. Mais lorsqu’ils virent une nuée de Zéros surgir à contre-jour, ils coururent se mettre à l’abri dans les hangars voisins. Déjà les premiers chasseurs lançaient leur vague d’assaut lorsque, surgissant de nulle part, le Harrier leur coupa l’herbe sous le pied. A son premier passage, Jonathan descendit trois avions japonais, provoquant un mouvement de panique dans la formation ennemie. Quel était cet étrange et terrifiant appareil qui les décimait comme autant de moustiques ? Une roquette percuta un nouveau Zéro qui, en explosant, détruisit un appareil voisin. Ne croyant pas à leur bonne fortune, les militaires s’activèrent de façon plus intensive à la mise en route de leurs P40.

Des tirs provenant de l’arrière firent prendre conscience à Jonathan qu’il était pris pour cible par deux chasseurs nippons. Il ne tenta aucune manœuvre d’évitement, mais au contraire sortit ses aérofreins et orienta ses quatre tuyères en sens inverse. En deux secondes, les Zéros se retrouvèrent devant lui. Jonathan remit alors les gaz et joua de sa mitrailleuse, réduisant à néant les deux téméraires qui avaient osé relever le défi de le détruire.

Un premier P40 décolla, mais fut presque aussitôt détruit par une nouvelle formation de Zéros. Six autres chasseurs américains tentèrent leur chance et parvinrent à prendre les airs. Aussitôt ils engagèrent le combat et se focalisèrent sur la défense de la piste d’Ewa, ce qui permit à une bonne trentaine d’appareils supplémentaires de décoller. Il s’agissait pour Jonathan d’un tour de force car au cours de la bataille originelle, seuls six Curtiss P40 avaient réussi à prendre leur envol. Côté américain, la bataille était maintenant devenue aérienne et prenait une tournure qui permettait d’envisager une autre issue qu’un immense massacre.

***

– Taylor, fais gaffe à trois heures, tu en as un aux fesses, lança une voix dans la radio.
– J’arrive pas à le semer. Il s’accroche le fumier, répondit l’intéressé.

Jonathan repéra rapidement le P40 en difficulté. Taylor tentait désespérément d’échapper à son poursuivant sans succès. Le Harrier faisait maintenant face au chasseur américain toujours poursuivi de près par un Zéro.

– Merde, c’est quoi ça ? s’affola Taylor.
– A mon commandement, virez de bord à gauche Taylor, ordonna Jonathan.
– Mais vous êtes qui ?
– Obéissez, Taylor, ou vous allez finir par vous faire descendre !

Les deux secondes suivantes parurent durer une éternité pour le lieutenant Kenneth Taylor qui voyait l’avion inconnu grossir dangereusement.
– Maintenant ! lança précipitamment Jonathan.

Taylor réagit et vira de bord aussitôt. Le P40 ne passa qu’à quelques centimètres du Harrier qui ouvrait déjà le feu sur le Zéro. L’aile droite du chasseur nippon fut arrachée par les projectiles du canon rotatif américain. Dans une gerbe de flamme, le Zéro tourbillonna à grande vitesse avant de percuter le sol.

– Qui que vous soyez, merci l’ami, déclara Taylor.
– Peu importe qui je suis, répondit Jonathan. Ce serait trop long à expliquer. Ce qui compte, c’est que je suis de votre côté. Sachez juste que vous et le lieutenant Welch êtes destinés à de grandes choses.

En effet, Jonathan connaissait les deux pilotes de légende qu’étaient devenus les lieutenants George Welch et Kenneth Taylor. Au cours de la bataille de Pearl Harbor, telle qu’il la connaissait, ces deux jeunes pilotes faisaient partie des six P40 qui avaient réussi à prendre les airs. A eux seuls, ils étaient parvenus à descendre pas moins de sept Zéros. Taylor avait même été blessé pendant la défense de la piste d’Ewa. Jonathan avait empêché cela et il en éprouva une grande fierté.

– Tu entends ça, George ?
– Ouais. Je n’y comprends rien, mais peu importe. Comme notre mystérieux inconnu l’a dit, ce qui compte c’est qu’il soit de notre côté. Allons botter le cul de ces salauds !

La défense s’organisa peu à peu et les forces japonaises commencèrent à faiblir. Jonathan s’occupait à présent de protéger les navires bloqués dans le port, son appareil lui conférant un avantage technologique considérable sur l’ennemi.

***

Jonathan jeta un coup d’œil à son horloge de bord qui indiquait 8h40. Il marmonna un juron car il savait que dans dix minutes une seconde vague d’assaut déferlerait sur Pearl Harbor. Il fallait à tout prix empêcher que cela ne se produise.

– Ceci est un message à l’ensemble des pilotes américains déjà dans les airs. Décrochez, je répète, décrochez. Une seconde vague d’assaut arrive par le nord. Il faut les empêcher d’atteindre le port.
– Libérez la fréquence, lança un pilote.
– Ici le lieutenant Welch. Obéissez tout de suite et regroupez-vous derrière le chasseur inconnu. Faites-moi confiance les gars, ce type sait de quoi il parle.

Une minute plus tard, une formation de soixante trois Curtiss P40 mené par un Harrier survolait les montagnes et bientôt l’océan.

– Prenez de l’altitude, ordonna Miller. Nous allons leur tomber dessus par surprise !

D’une seule voix, les pilotes américains confirmèrent l’ordre. Jonathan suivait la progression ennemie sur son radar. Elle comptait plus d’une centaine d’appareils. Mais peu importait le nombre de japonais, il avait une stratégie qui, si elle fonctionnait, réduirait à néant la seconde vague d’assaut nipponne. Il lança ses réacteurs à plein régime. Welch et Taylor, qui étaient à la tête de la formation américaine, virent soudain le chasseur inconnu disparaître de leur champ de vision en quelques secondes.

Jonathan survola la nuée de chasseurs ennemis sans que ceux-ci ne se rendent compte de sa présence. Il attendit quelques secondes et fit faire demi-tour à son appareil. Il abaissa progressivement son plancher jusqu’à atteindre l’altitude des appareils japonais, se plaçant ainsi juste derrière eux.

L’ironie du sort voulut que le lieutenant Welch déclencha l’attaque par trois mots « GO, GO, GO » ce qui ne manqua pas de faire sourire Jonathan. Les P40 plongèrent vers leurs cibles et Miller lança ses réacteurs à pleine puissance. Il verrouilla deux Kates en milieu de formation et tira ses missiles. La déflagration fut si puissante que quatre avions japonais explosèrent et deux autres en perdition finirent leur course dans l’océan. Au même instant la vague de P40 fondit sur les japonais, provoquant des dégâts considérables dans leur formation. Les « japs » ne s’attendaient certainement pas à une contre-attaque au-dessus de l’océan. Pas moins de la moitié de leurs chasseurs et bombardiers furent détruits avant qu’ils ne se décident à changer de cap. Mais c’était sans compter sur la présence du Harrier qui leur barra le passage. Jonathan coupa les gaz et le canon rotatif de son chasseur entra en action. Le carnage qui s’ensuivit resterait à tout jamais dans les mémoires des pilotes présents lors de la bataille. Zéros et Kates se faisaient littéralement perforer par les projectiles 25 millimètres du Harrier. Les avions japonais explosaient de toute part et quand l’un d’eux parvenait à s’en sortir, deux ou trois P40 se chargeait de l’achever. Pas un seul américain ne périt au cours de l’attaque qui ne dura que cinq minutes. Il était 8h55 et la seconde vague d’assaut nipponne venait d’être réduite à néant.

Jonathan savait que la victoire était presque acquise. Il ne lui restait plus qu’un seul objectif : les six porte-avions japonais qui croisaient à quelques milles au nord.

– Bien joué les gars ! lança-t-il. La victoire est à nous, retournez à Pearl Harbor pour terminer le travail.
– Nous direz-vous enfin qui vous êtes ? demanda Taylor.
– Un ami venu de bien plus loin que vous ne sauriez l’imaginer, répondit simplement Miller. Bien plus loin. Adieu mes amis, un jour… nous nous reverrons.
– Merci pour tout, mais pourquoi…

Mais la voix de George Welch se perdit dans un grésillement. Jonathan venait de libérer la fréquence radio. Il ne voulait pas être distrait de son dernier objectif. Il savait qu’une troisième vague d’avions japonais était prête à décoller si on lui en intimait l’ordre. Il voulait à tout prix empêcher cela. Il tira sur le manche du Harrier qui prit aussitôt de l’altitude. Il ne lui restait que trois bombes et deux missiles pour endommager les pistes d’envol des porte-avions ennemis. Il n’avait par conséquent pas droit à l’erreur. Il fallut un quart d’heure au Harrier pour parcourir la distance qui le séparait de la flotte de l’Empire du Japon. Le chasseur, bien trop moderne, échappa aux radars encore rudimentaires des navires japonais. Jonathan visa stratégiquement les pistes de décollage des porte-avions. Lorsqu’il porta son attaque, seule une bombe manqua son objectif. Les ponts de quatre des six navires visés furent endommagés, interdisant tout décollage ennemi. Deux pistes demeuraient opérationnelles, résultat que le pilote trouva insuffisant. Il avisa un bombardier Kate qui s’apprêtait à prendre son envol. Jonathan enfonça le manche du Harrier qui plongea aussitôt. Le Kate roulait déjà sur la piste d’envol lorsqu’il fut perforé de toute part par les mitrailleuses du chasseur américain. Quelques instants plus tard, une explosion de grande envergure, amplifiée par la torpille du Kate, ravagea le pont du porte-avions. « Plus qu’un, pensa instinctivement Jonathan ». Mais les batteries antiaériennes des cuirassés alentours commençaient à cracher leur feu. Il jugea que le risque d’un nouveau passage était trop grand maintenant que l’effet de surprise ne jouait plus en sa faveur. Après quelques périlleuses acrobaties, le Harrier reprit de l’altitude jusqu’à être hors de portée des feux nippons. Là, il comprit que la bataille touchait à sa fin lorsqu’il vit l’ensemble de la flotte japonaise amorcer progressivement un demi-tour.

La bataille de Pearl Harbor était terminée et les Etats-Unis avaient vaincu l’Empire du Japon. Et lui, le sergent-major Jonathan Miller, avait à tout jamais changé le cours de l’Histoire. A aucun moment de sa vie, le pilote américain n’avait ressenti une telle fierté, un tel sentiment d’accomplissement de soi. Grâce à lui, plus de deux mille vies venaient d’être épargnées. Mais le temps était venu pour Jonathan de rentrer chez lui. Du moins l’espérait-il. Il n’appartenait pas à cette époque et devait rétablir un équilibre dans l’espace temps. Craignant que le vortex se soit refermé, il mit le cap sur l’endroit d’où son appareil avait émergé. Une demi-heure plus tard, il arriva sur zone et fut soulagé de constater que le trou noir crevait toujours les cieux. Cette fois-ci, il ne ferma pas les yeux lorsqu’il franchit le seuil du vortex.

***

Le ciel était à nouveau gris au dessus du Pacifique et Jonathan comprit qu’il était revenu à son époque, le 15 avril 2015. Allait-on l’accueillir en héros lorsqu’il raconterait son histoire au Général Stanton ? Allait-on seulement croire à son histoire ? Il n’avait aucune preuve tangible de son intervention à Pearl Harbor. Finalement, cela importait peu, seuls ses actes comptaient. Grâce à lui, un grand drame avait été évité.

C’est dans cet état d’esprit que le pilote mit à nouveau le cap sur Pearl Harbor. Sa jauge de kérosène indiquait un niveau de carburant assez bas. Rien d’alarmant en soi, mais il fallait refaire le plein rapidement. Il se cala sur la fréquence radio de la base aéronavale et lança un appel. L’inquiétude remplaça bientôt la joie car son appel demeurait sans réponse. Avait-il bien réintégré son espace-temps ? En y réfléchissant, il se dit que le ciel nuageux ne constituait en rien une preuve du lieu et de l’époque à laquelle il se trouvait. Pourtant il se trouvait au dessus de l’océan. Mais quel océan ? Etait-ce bien le Pacifique ? Le doute était permis. Jonathan ne disposait plus d’aucun repère temporel et géographique. Bientôt la silhouette d’une côte se dessina à l’horizon. Le pilote plissa les yeux et souffla de soulagement en reconnaissant la topographie caractéristique de l’île d’Oahu. Mais toujours pas de réponse à ses appels radios répétés.

Soudain, l’horreur prit le pas sur le soulagement lorsqu’il découvrit un port de Pearl Harbor qui avait été complètement ravagé par les flammes. C’était l’enfer sur Terre. Tout était détruit, brûlé et broyé. Le port, la ville d’Honolulu, les villages un peu plus loin dans les terres : rien n’avait été épargné. Tout sur l’île n’était que le terrible témoignage d’un lointain drame. Lointain car la nature avait repris ses droits. Une luxuriante végétation avait envahi les rues du port. Le paysage de désolation qui se dessinait au sol laissa Jonathan sans voix. L’île semblait désertée de toute vie. Cependant, le faible niveau de carburant poussa le pilote à aviser une zone suffisamment large pour lui permettre d’atterrir. Toutes les pistes de la base étaient hors d’usage, aussi dut-il procéder à un atterrissage vertical.

Lorsqu’il coupa les réacteurs du Harrier, un silence de mort régna sur l’île. Jonathan fut parcouru d’un frisson en descendant du chasseur. Sans bien savoir ce qu’il cherchait, le pilote erra dans les rues désertes de la ville plusieurs heures durant. Que s’était-il produit ? C’était à n’y rien comprendre. Les américains avaient gagné la bataille et pourtant la ville n’était maintenant qu’un vaste champ de ruines. Il envisagea subitement une hypothèse qui pouvait expliquer sa situation. Le trou de ver l’avait sans doute projeté dans un avenir où une catastrophe s’était produite sur l’île. C’était la seule explication plausible à ses yeux. Sa théorie ne répondait cependant pas à la question qui lui torturait l’esprit : qu’est-ce qui avait provoqué une catastrophe de cette ampleur ? L’heure n’était pas aux questions. Il devait maintenant se préoccuper de son propre sort.

Il se mit en quête de carburant pour son appareil. Ses réserves lui interdisaient tout retour sur le continent trop distant. Mais le sort semblait s’acharner contre Miller qui, après plusieurs heures de recherche, ne parvint pas à trouver la moindre goutte de kérosène. Le soir venu, le sergent-major alluma un feu non loin de son appareil et se contenta d’une ration de survie pour seule nourriture. Peu à peu ses craintes devinrent des angoisses. Etait-il condamné à survivre seul sur cette immense île déserte ? La fatigue l’emporta sur le stress et le pilote finit par s’endormir.

***

La fraîcheur matinale réveilla Jonathan qui tremblait quelque peu. Lorsqu’il ouvrit les yeux, encore embués par le sommeil, il eut un vif mouvement de recul en découvrant un vieillard qui se tenait debout devant lui. Une longue barbe blanche dissimulait un visage buriné, celui d’un homme marqué par la dureté de son existence. Il était vêtu de haillons, lambeaux vétustes de ce qui avait été des vêtements en d’autres temps. L’homme n’esquissa pas le moindre geste. En l’observant plus attentivement, Jonathan vit que des larmes coulaient le long de ses joues ridées. Le pilote était sur le point de lui adresser la parole, mais l’homme le prit de court.

– La prophétie était donc vraie, déclara-t-il d’une voix chargée d’émotion.
– La prophétie ? demanda Jonathan. De quoi parlez-vous ? Et puis qui êtes-vous ?
– Mon nom est Dean Thomas et je suis ici pour vous.
– Ecoutez, monsieur Thomas. Je ne comprends absolument rien à ce que vous dites.
– Vous êtes notre sauveur. Cela fait plus de trente ans que j’attends votre venue. J’avais fini par croire que mes prières resteraient sans réponses. Mais vous êtes là !

Dean Thomas fondit en sanglots et tomba à genoux. Jonathan, qui ne comprenait toujours rien à la situation, aida le vieillard à se relever. Il fallut à ce dernier un certain temps pour parvenir à réprimer ses larmes.

– Suivez-moi, balbutia-t-il. Nous serons mieux au chaud pour discuter.

Les deux hommes se mirent en route.

– Vous êtes nombreux à vivre sur l’île ? demanda Jonathan.
– Nous étions deux, mais mon ami est mort il y a trois ans déjà. Je vis seul désormais.
– Mais pourquoi restez-vous sur cette île si vous êtes seul ?
– J’attendais votre retour.
– Mon retour, s’enthousiasma Miller. Vous savez donc qui je suis ?
– Vous êtes l’ange descendu des cieux en 1941 et une prophétie annonçait votre retour.
– Incroyable, répondit le pilote. On se souvient encore de moi. Mais en quelle année sommes-nous ?
– En 2015, le 15 avril.

Je suis revenu dans le présent, mais tout est différent, pensa Jonathan.

Une évidence s’imposa alors au pilote. Il n’avait pas seulement changé le cours de la bataille de Pearl Harbor, mais le cours de l’Histoire. Sans réfléchir, il avait combattu les Japonais et avait provoqué un effet papillon. La question était maintenant de savoir quel impact avait eu son intervention sur le cours du temps. A quel point les choses étaient-elles différentes ?

Il n’osa plus poser de question à Dean Thomas jusqu’à ce qu’ils arrivent, une demi-heure plus tard, à ce qui avait été la bibliothèque municipale. Vu de l’extérieur, le bâtiment semblait être en ruine. Mais ce n’était là qu’une illusion. A l’intérieur, Jonathan découvrit une immense salle que le vieil homme avait aménagée avec soin. On aurait dit un gigantesque loft dont les pièces étaient délimitées par d’immenses rayonnages chargés de livres. Le pilote resta bouche bée devant ce lieu de vie hors du commun. Le vieillard le guida jusqu’à une petite pièce qui ressemblait plus à un temple qu’à un bureau. A l’intérieur, un petit autel orné de bougies avait été dressé. Il fut frappé de stupeur en découvrant une photographie de son Harrier disposée au dessus de l’autel. Cette prise de vue noir et blanc montrait le port de Pearl Harbor ravagé par les flammes. On distinguait parfaitement son chasseur qui faisait face à l’objectif au premier plan. Trop occupé par la bataille aérienne qui faisait rage, le pilote n’avait pas remarqué le photographe au sol. Le cliché, bien que froissé et usé, semblait être l’objet du culte de Dean Thomas. Voilà pourquoi le vieillard l’appelait « l’ange descendu des cieux ». Jonathan était apparu comme par miracle, sauvant les militaires américains d’un sort funeste. Il avait tout aussi mystérieusement disparu dès la fin de la bataille, ne laissant pour toute trace de son passage qu’une simple photographie prise à son insu.

– Racontez-moi tout, Dean, supplia-t-il d’une voix tremblante. Je dois tout savoir de ce qui s’est passé depuis le 7 décembre 1941.
Le vieil homme se lança alors dans un long monologue. Il expliqua à Jonathan comment les américains, forts de leur victoire à Pearl Harbor, avaient écrasé le Japon sous le poids des bombes avant de retourner dans leur mutisme. La rage ne s’était pas emparée du cœur des américains qui, attentistes, avaient observé ce que le président Roosevelt avait qualifié de « guerre européenne tout au plus ». Le débarquement de Normandie n’avait par conséquent pas eu lieu et Hitler, fort de ses positions européennes avait rapidement vaincu la France. L’Angleterre avait capitulé peu de temps après. Les Etats-Unis s’étaient rendus compte de leur erreur trop tard et n’étaient entrés en guerre contre l’Allemagne nazie qu’en 1947. Pendant près de quarante ans, les deux camps s’étaient affrontés, faisant plus d’un milliard de victimes et le 23 septembre 1986, les Etats-Unis avaient capitulé sans condition. L’année suivante avait marqué un tournant dans l’Histoire lorsque Adolph Hitler s’était éteint, rongé par le cancer. Un tournant car son fils adoptif, un sadique sans nom, avait pris sa succession. Un milliard d’êtres humains périrent dans les camps de la mort qui s’étaient multipliés partout à travers le monde. En sauvant deux mille vies, Jonathan avait condamné l’Humanité à la nuit. Lui, le sergent-major Miller était responsable de plus de deux milliards de morts. Seul, il avait changé le cours de l’Histoire et seul, il était responsable du plus atroce des crimes contre l’Humanité : le monde était aujourd’hui dirigé d’une main de fer par les nazis.

***

Comme si les larmes ne suffisaient pas à exprimer le poids de sa culpabilité, Jonathan eut un haut-le-cœur et se retourna pour vomir à plusieurs reprises. C’était plus que son corps et son esprit ne pouvaient en supporter. Il se leva brusquement et quitta la bibliothèque en courant.

Bien que hors d’haleine, il continua de courir longtemps. Son corps cherchait à expier son terrible pêché. Quand de fatigue il tomba à genoux, il hurla sa douleur plusieurs heures durant. Il erra ainsi, l’âme en peine, pendant deux jours avant de s’écrouler inconscient sur une plage d’Honolulu.

Lorsqu’il s’éveilla, le soleil était déjà bas à l’horizon. La nuit n’allait pas tarder à recouvrir l’île en ruine d’Oahu. Sur sa droite, Jonathan vit Dean Thomas qui longeait la plage avant de venir s’asseoir à côté de lui.

– Et vous Dean, commença le pilote, quelle est votre histoire ?
– Je suis un privilégié d’avoir vécu si longtemps sur cette île. Voyez-vous, en 1978 j’ai obtenu mon diplôme de journaliste et me suis embarqué dans le premier navire qui partait pour le front Atlantique en tant que reporter de guerre. Cela me semble si loin aujourd’hui. Mais le cuirassé est tombé dans une embuscade et les nazis m’ont capturé et déporté dans le camp de Lorient sur la côte française. Les années qui suivirent, furent les pires de toute ma vie. Famine, insalubrité, tortures et expériences humaines en tout genre étaient notre lot quotidien. Sans mes amis pour me soutenir, je crois que j’aurais fini par mourir là-bas. Mais par chance, j’ai fait la connaissance de Sam et Richard. Sam était anglais et son seul crime était d’être peintre. C’est lui qui vivait avec moi sur l’île jusqu’à ce triste jour, il y a trois ans, où il est décédé après une longue période de fièvre. Quant à Richard, et bien Richard est l’homme qui a changé nos deux vies à Sam et moi. C’est lui qui nous a parlé de la prophétie annonçant votre retour. Au début nous ne l’avons pas pris au sérieux jusqu’à ce qu’il nous montre cette photo de votre étrange avion prise au cours de la bataille. Ce cliché qu’il chérissait comme un trésor, il le tenait de son père, Kenneth Taylor, qui le lui avait transmis avant de mourir.

– Vous voulez dire que votre ami s’appelait Richard Taylor ?
– Oui, son père était pilote pendant la bataille de Pearl Harbor.
– Je l’ai connu, déclara Jonathan abasourdi par cette révélation.
– Toujours est-il qu’au fil des années passées au sein du camp, nous avons élaboré un plan d’évasion. Nous devions nous enfuir et retourner ensuite sur l’île d’Oahu pour attendre votre retour. Mais le plan ne se déroula pas comme nous l’avions prévu et Richard donna sa vie pour nous permettre, à Sam et moi, de nous échapper. Je n’ai jamais oublié le sacrifice de Richard, paix à son âme. Après un long périple, nous sommes finalement parvenus jusqu’à cette île que nous savions déserte depuis les années soixante. La suite vous la connaissez, trente et un an à attendre votre venue. Mais cela en valait la peine puisque vous êtes là. Vous êtes revenu pour nous sauver de la tyrannie des nazis.

Jonathan fondit à nouveau en larmes, mais se reprit très vite.

– Dean, c’est maintenant à mon tour de vous compter une triste histoire car croyez-moi mon ami, je ne suis pas un ange descendu des cieux pour vous sauver.

Et il raconta au vieil homme qui il était, d’où il venait et comment par sa faute, le cours du destin avait pris cette dramatique tournure. Le choc dut être violent pour Dean, mais jamais celui-ci ne fit le moindre reproche à Jonathan car il savait que dans une telle situation, il aurait agi de la même manière. C’est donc le cœur lourd que les deux hommes s’en retournèrent à la demeure de Dean.

La nuit était déjà bien avancée lorsqu’ils parvinrent à l’ancienne bibliothèque. Aucun des deux hommes n’avait prononcé la moindre parole. Les mots semblaient futiles et chacun combattait ses propres démons intérieurs. Dean montra au pilote les nombreuses toiles qu’avait peintes son ami Sam au cours de ses vingt-huit années passées sur l’île. Jonathan prit le temps de toutes les regarder dans un silence presque religieux. Le vieillard le laissa dans sa contemplation et alla s’agenouiller devant l’autel de son petit sanctuaire.

Lorsque Jonathan revint, Dean priait devant la fameuse photographie qui était à l’origine du terrible quiproquo. Mais en la regardant attentivement, le pilote eut une révélation.

– Dean, je dois m’en aller, lança-t-il soudain d’une voix excitée. Je sais maintenant, je sais.
Le vieil homme ne sembla pas surpris outre mesure par l’étrange phrase du pilote. Il se retourna et déclara simplement :

– Alors va, mon ami. Va.
– Adieu, répondit avec émotion Jonathan.

Il quitta la demeure de Dean Thomas et se précipita vers son Harrier.

***

La nuit se changea en jour lorsque le chasseur franchit à nouveau le vortex. Par chance le trou noir était resté ouvert, offrant ainsi au pilote la possibilité de franchir à nouveau le seuil d’un lointain passé.

Le 7 décembre 1941, le ciel était d’un bleu azur et en contrebas, Jonathan vit un autre Harrier, hors de contrôle, qui perdait rapidement de l’altitude. Le pilote à bord de l’autre appareil, c’était lui lorsqu’il avait franchi le trou noir la première fois. Il eut une étrange impression en voyant son double manœuvrer tant bien que mal afin de stabiliser son appareil. Pendant quelques secondes, il fut tenté de contacter son double afin de le convaincre de ne pas prendre part à la bataille, mais le temps ne jouait pas en sa faveur. Son double écoutait déjà le message d’attaque japonais et était sur le point de se lancer corps et âme dans la bataille. Il ne lui restait plus qu’une seule solution.

– Le temps de la rédemption est venu, déclara solennellement Jonathan.

Il enfonça le manche du Harrier et s’élança à pleine puissance comme un missile sur son double. Il ferma les yeux alors que des larmes coulaient doucement sur son visage. Les images de son existence défilèrent devant ses yeux tel un film accéléré. Un sentiment d’éternité l’envahit soudain.

Personne ne fut témoin de la gigantesque explosion au dessus du Pacifique. Jonathan aurait sans doute dit que c’était mieux ainsi. Il avait réussi, il avait à nouveau infléchi la courbure du temps. Son double ne prendrait pas part à la bataille et les américains subiraient le Jour d’infamie. Le cœur emplit de haine pour cet acte barbare, les Etats-Unis s’engageraient dans la seconde guerre mondiale pour finalement triompher des forces de l’Axe.

Ce jour là, près de deux mille vies furent perdues.
Ce jour là, près de deux milliards de vies furent épargnées.


FIN


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lundi, 08 octobre 2012

Cloud Atlas [Vidéos/Trailers]

Quand les créateurs de la saga Matrix s'associent au réalisateur du Parfum et de Cours Lola Cours, on peut s'attendre à un film phénoménal. Ce trailer en tout cas nous en fait la promesse. On pense à des oeuvres majeures du genre comme Mr. Nobody et The Fountain, ce qui augure du meilleur. En tous les cas, l'émotion sera certainement au rendez-vous ! Et vous ?


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lundi, 01 février 2010

1. Johnny Behemoth contre Dr Nuke

 

Chapitre 1 : Rien que pour vos capsules

 

Un soleil de plomb. Une fournaise.  Un sol craquelé, habillé de chétifs arbustes menaçant de s'embraser à tout moment. Et pourtant l'homme marchait, seul, nullement incommodé par l'atmosphère suffocante de cette contrée qu'il semblait connaître sur le bout des doigts, dont il semblait être devenu le parfait habitant.

Il s'arrêta un instant au-dessus d'un cadavre pour lui arracher le maigre trésor que ses lambeaux retenaient encore captif et qui avait échappé par miracle à l'avidité des  raiders et des récupérateurs.

- T'en auras plus besoin, mon gars, observa-t-il d'une voix éraillée.

Puis il se remit en marche, ignorant qu'il faisait depuis peu l'objet de toutes les convoitises.

Johnny jeta un œil dans la lunette de son magnum 44 amélioré.

C'était un mercenaire de la vieille école préférant les armes démodées qui faisaient encore leurs preuves aux dernières technologies, excepté un certain attrait pour une gatling laser baptisée Emma qui rouillait présentement dans un sous-sol en attendant de pouvoir être réparée. Les pièces manquantes étaient rares, cette arme ne figurant généralement que dans l'équipement de l'Enclave ou celui de la Confrérie de l'Acier.

Il respectait trop la confrérie pour aller la dépouiller. Il ne portait pas l'Enclave dans son cœur, mais ses troupes étaient solidement armées et organisées en conséquence. Les déposséder de leur armement restait une tâche risquée, même pour un aventurier de sa trempe. En attendant une opportunité digne de ses attentes, il se faisait la main sur des bandes isolées de maraudeurs. Un passe-temps comme un autre pour un homme qui avait eu l'infortune de naître après l'holocauste.

Rocky aboya. Johnny poussa d'une pichenette la boîte de haricots et le chien fourra son museau à l'intérieur. Reprenant son observation, il décela plusieurs silhouettes accroupies derrière des carcasses de voitures.

- Ce pauvre type se dirige droit vers une embuscade.

Il avait dit cela d'un ton détaché, comme faisant un simple constat, tout en regardant Rocky faire un sort aux haricots froids.

- Avec un peu de chance, je vais peut-être récupérer quelques munitions pour mon fusil.

Sous l'excitation, son corps se tendit un peu, faisant crisser son armure de cuir.

Un fusil d'assaut chinois barrait son dos et son omoplate droite s'ornait d'un fusil à canon scié dans son holster.

Johnny caressa son visage mal rasé, puis ses rares cheveux teintés par des années passés à arpenter les Terres Désolées sous l'implacable canicule.

Il cracha une giclée de sauce entre ses dents.

- Rocky ! A toi de jouer. Tu connais la méthode.

A l'écoute de son nom, le chien délaissa la boîte de conserve, saisit entre ses mâchoires la boîte à sandwiches que lui tendit son maître, puis commença à dévaler la pente poussiéreuse.

- Regarde, Carl, y a un clebard qui s'amène.

Le raider indiqua du doigt le chien qui était en train de les rejoindre. L'intéressé plissa son seul œil valide. Ses trois compagnons se regroupèrent autour de lui.

Ils portaient tous une armure hétéroclite faite de bouts de métal et de cuir qui leur donnait une allure barbare délibérée. Leur casque et leur coiffure ne faisaient que rajouter à cette impression.

L'un d'eux pointa son fusil de sniper sur l'animal.

- Il a quelque chose dans la gueule. On dirait une boîte.

Le chef des pillards arbora un sourire qui avait dû être séduisant dans une autre vie.

- Il a dû dénicher un truc intéressant sur un cadavre. Il va sûrement aller l'enterrer. Je crois que c'est vraiment notre jour de chance les gars.

L'un de ses hommes s'énerva.

- On a qu'à lui prendre tout de suite !

Carl se contenta d'un regard pour le remettre à sa place.

- On attend sagement.

- Chef, je l'ai dans ma ligne de mire, fit le sniper.

- Si tu tirais aussi bien que tu bois, il y a longtemps que je t'aurais ordonné de l'abattre, Freddy !

Le chien s'arrêta à mi chemin entre les raiders et le vagabond solitaire. Il commença à gratter le sol, soulevant un nuage de poussière.

Johnny sourit.

- Bien, Rocky. T'as tout compris !

Le sniper déplaça son canon.

- Merde ! Je crois que le type vient de voir le chien. Il court droit vers nous.

Carl ricana.

- Ce con va essayer de nous piquer notre trésor. C'est parfait. On fera deux prises en un coup.

- Merde ! lâcha Johnny entre ses dents. Ca c'était pas prévu au programme.

L'étranger siffla pour appeler le chien. Rocky l'ignora superbement. Une fois la boîte ensevelie, il courut rejoindre son maître.

- Qu'est-ce qu'on fait, Carl ?

- Tue-le ! ordonna froidement le leader des raiders.

Freddy pointa son fusil de sniper en direction du vagabond. Il but une rapide gorgée de nuka cola quantum au goulot et fit feu.

Le vagabond poussa un cri et s'écroula en se tenant une jambe.

Le sniper sentit le poids du regard de Carl sur lui au point que ses épaules s'affaissèrent.

- Crétin ! Allez l'achever et récupérez-moi cette boîte !

Les trois raiders eurent tôt fait de s'exécuter. La colère de Carl était aussi redoutable qu'un écorcheur.

Freddy s'agenouilla et commença à déterrer l'objet. Les deux autres firent mine de se diriger vers le vagabond gémissant.

- Attendez ! Y a un truc bizarre.

Ses compagnons se figèrent.

- Hein ?

Les yeux de Freddy n'en finissaient pas de rouler dans leur orbite tandis qu'il détaillait le contenu de la boîte à sandwich.

- Je peux me tromper, les gars, mais on dirait une grenade. Et on dirait que la goupille est reliée à un fil.

Johnny sourit. A travers la lunette de son magnum, il observait aisément l'étonnement des raiders.

- Bye, bye, les cons !

Il tira sur le fil.

L'explosion souleva une gerbe de terre et des puzzles de corps. Non loin de là, le vagabond commença à ramper pour se mettre à l'abri de la menace qu'il ne pouvait encore identifier.

- L'enfoiré !

Carl empoigna son bâton hérissé de pointes et courut vers l'homme au sol. Pour lui, cela ne faisait aucun doute. Il leur avait tendu un piège à l'aide de ce chien. L'arroseur arrosé en quelque sorte. Et cela, il ne le supportait pas. Il arriva rapidement près du vagabond qu'il retourna d'un coup de pied. Ses yeux s'agrandirent lorsqu'il le dévisagea. Il leva son bâton au-dessus de sa tête :

- Tu vas pas faire de vieux os, face de...

Le canon scié d'un fusil dans sa bouche l'empêcha de rentrer dans les détails.

Johnny fixa Carl avec tout le dédain qu'il réservait aux raiders.

- Tu te demandes certainement qui je suis, hein ?

Rocky s'assit aux côtés de son maître et observa Carl à son tour. Le raider comprit alors qu'il s'était fourvoyé depuis le début. Ça sentait la retraite anticipée pour lui. Et surtout le sapin.

- Je suis le dentiste des Terres Désolées, annonça Johnny.

Il arma son fusil.

- Et je fais pas d'anesthésie !

La balle arracha la tête de Carl et son corps bascula en arrière.

Rocky salua cette victoire d'un aboiement.

Johnny lui tapota la tête.

- Oui, quatre de plus à notre palmarès.

Rocky aboya trois fois.

- Comment ça, trois pour toi ? C'est moi qui ai tiré le fil !

Rocky montra les dents.

- OK, t'énerve pas. Trois pour toi ! Mais la prochaine fois...

- HUM !

Le vagabond venait de se racler la gorge comme pour rappeler son existence.

- Excusez-moi, mais vous avez l'intention de me tuer moi aussi ?

Son visage était comme bouffé par l'acide. Les muscles et les tendons mis à nu. De quoi gerber.

Johnny soupira. Il aida le vagabond à se relever.

- J'ai rien contre les goules.

- Tant mieux, j'ai rien contre les peaux lisses qui me sauvent la vie. Vous avez dit que vous étiez dentiste. Vous seriez pas médecin aussi ?

Johnny jeta un coup d'œil à sa jambe.

- La balle  a traversé. Rien de grave. Comment tu t'appelles ?

- Murphy.

- Moi c'est Johnny. Johnny Behemoth.

La goule ouvrit la bouche.

- Ca alors ! Le célèbre Johnny Behemoth !

Johnny haussa un sourcil.

- Célèbre ?

- Bah, oui. Vous écoutez jamais Galaxy News Radio, Three Dog, la voix des Terres Désolées ?

- Non, j'ai franchement mieux à faire.

Johnny confectionna un garrot qu'il fixa à la jambe blessée de Murphy.

- C'est vrai qu'on vous appelle comme ça parce que quand vous étiez petit vous avez tué un Behemoth, seul et sans arme ?

Johnny serra le garrot et Murphy poussa un cri.

- Non. C'est moi qui ai lancé cette rumeur. J'aurais jamais cru que ça ferait le tour si vite. Les télés ne fonctionnent plus, mais le bouche à oreille fait toujours son effet, on dirait.

Murphy se mit à sourire ce qui accentua davantage son expression de mort-vivant.

Johnny grimaça.

- Je sens que je vais gerber les haricots, dit-il en l'aidant à se relever.

- Pardon ? fit la goule.

- Rien, je me demandais juste ce que vous pouviez foutre tout seul dans un endroit pareil.

Johnny laissa Murphy s'accoutumer à sa blessure et commença à fouiller les cadavres des raiders.

- Je fais un peu de récup'. Comme tout le monde ici, non ?

- Y a des endroits moins risqués, observa le mercenaire.

- Vous croyez ?

- Vous étiez complètement à découvert. Avouez que vous l'avez un peu cherché.

Johnny se remplit les poches et embrassa les cartouches récoltées comme de vieilles amies.

- En fait, je sors rarement. Et pour tout vous avouer, c'est un type comme vous que je cherchais. J'ai pris un risque, mais j'estime que ça en valait la peine.

- Ok, je vois. Vous avez un sale boulot à me refiler. C'est bien payé, j'imagine.

Johnny détourna le regard à temps pour ne pas voir la goule sourire à nouveau.

- Vous jugerez.

Johnny l'interrogea du regard.

- Je dois vous conduire où je vis. Ce n'est pas très loin, rassurez-vous. Je ne fais jamais de grandes promenades.

Rocky émit une plainte.

Comme s'il avait compris, Johnny scruta Murphy avec sévérité.

- Si tu comptes nous emmener à Underworld, tu peux faire une croix sur notre partenariat. J'y ai mis les pieds qu'une seule fois et je me suis...enfin on s'est juré de ne plus jamais y retourner.

- Toutes les goules civilisées ne vivent pas à Underworld. J'habite un petit local dans une station de métro. Northwest-Seneca. Vous connaissez ?

Johnny fit un geste de la main qui pouvait signifier tout et son contraire.

- Ces mercenaires, grommela Murphy.

- Quoi ?

- Rien. Je me demandais juste si on risquait de rencontrer encore du monde sur la route ?

Johnny rechargea son fusil à canon scié.

- J'espère bien, pas vous ?

- Je suis pas armé.

Johnny sourit de toutes ses dents jaunies.

- Maintenant vous l'êtes !

 

 Chapitre 2 : Pour quelques rads de plus

 

 Effectivement la station n'était pas loin. L'hétéroclite trio ne fit pas d'autre rencontre au grand dam de Johnny et de Rocky dont l'appétit d'aventures était insatiable. Murphy, quant à lui, en fut soulagé. Ce genre d'incursion était déjà assez déplaisant comme ça à ses yeux.

Ils passèrent devant une sorte d'épicerie - que Johnny nota mentalement - puis pénétrèrent dans la station en empruntant un couloir enténébré où s'entassaient des vieilleries métalliques.

Ils passèrent un portique et sur leur droite se dessina bientôt une ouverture.

Une goule armée d'un fusil d'assaut et à l'air taciturne se tenait dans l'embrasure.

- Et bien c'est pas trop tôt ! fit-elle de la même voix éraillée que Murphy.

Elle détailla rapidement Johnny et son chien.

- Qui c'est ?

Murphy fit un geste étudié de la main pour le calmer.

- Tout doux, Garrett. Ils m'ont sauvé des griffes des raiders.

- Je t'avais dit de ne pas sortir seul. A quoi je sers, tu peux me dire ?

Murphy fit entrer ses invités dans son atelier, une petite pièce comportant un comptoir et des étagères surchargées.

- Je ne peux pas laisser la boutique sans surveillance. Tu devrais le comprendre depuis le temps.

Le dénommé Barrett grogna et se contenta ensuite d'examiner les nouveaux venus en caressant nerveusement la crosse de son arme.

Tandis que Murphy commençait à fouiller dans son bazar, Johnny jaugea Barrett avec un dédain manifeste. Ce qui déplut forcément au garde du corps :

- On est allergique aux goules ?

Johnny grimaça un sourire.

- Juste à la connerie. Et comme moi, on dirait qu'elle se fout bien des radiations.

Contrairement à Johnny, Barrett n'avait pas l'esprit très affûté. Se sentant insulté, il brandit son arme. Sa tête heurta le comptoir et il s'écroula sur le dos.

Murphy se redressa.

- Hein ?

Johnny pointa son pouce en direction du corps inanimé.

- Je crois qu'il aurait besoin de prendre l'air.

Puis il planta ses yeux dans ceux de la goule, malgré la répugnance que cela lui inspirait.

- Assez perdu de temps. C'est quoi le contrat ?

Son calibre 12 vint souligner la gravité de la question autant que la mâchoire de son probable employeur.

Murphy se recroquevilla avant de le conduire dans un local attenant. Il déploya une bâche et découvrit ce qui ressemblait à une carcasse de moto comme on pouvait en trouver des tas dans les ruines des Terres Désolées. Sauf que celle-ci avait une particularité. Une espèce de siège était soudée au flanc droit du deux roues.

- Ca s'appelle un side-car, annonça triomphalement Murphy.

- Ca me fait une belle jambe.

- Ca peut emmener jusqu'à trois personnes, renchérit le bricoleur.

Johnny croisa ses bras sur sa poitrine.

- Dans tes rêves, sûrement. Perso, depuis le temps que je sillonne ce trou du cul qui nous sert de monde, j'ai pas encore vu un seul bidon de carburant.

Murphy sourit, ravi à l'idée de surprendre un baroudeur de la trempe de JohnnyBehemoth.

- Cet engin ne fonctionne pas avec du carburant ordinaire. Je l'ai trafiqué. Il consomme des cellules à énergie. Normalement on s'en sert pour certaines armes. Mais j'ai découvert qu'en nombre suffisant et avec un peu de modifs, elles peuvent parfaitement faire office de carburant.

Johnny avait le plus grand mal à se décrisper. Les miracles, il y avait belle lurette qu'il n'y croyait plus.

- Tu l'as testé, ton...

- Side-car ! Et bien, en fait pas vraiment. Il me manque juste deux pièces.

Johnny se frappa le front.

- Bah, oui, évidemment.

- Mais, reprit rapidement le savant, ce sont des pièces très répandues. Il me manque simplement un frein et un réservoir de moto.

- Pourquoi un réservoir ? Ya pas d'essence.

Les yeux de Murphy brillèrent derrière ses lunettes.

- C'est pour l'esthétique, voyons !

Les yeux du mercenaire sortirent de leur orbite.

- C'est ça mon boulot ? Tu veux que j'aille chercher deux pièces de moto dont tout le monde se fout royalement !

- Ecoutez, ça n'en sera que plus facile pour vous !

Johnny tourna les talons.

- Allez, viens, Rocky. Y a des raiders qui nous attendent.

Le chien accueillit la nouvelle avec un aboiement enthousiaste.

Alors qu'ils quittaient l'atelier, la voix de Murphy leur parvint :

- Si vous me les rapporter, le side-car est à vous !

Johnny se figea. Il fronça les sourcils, étudia le regard de Rocky avant de revenir se planter devant la goule :

- C'était inutile de le préciser. Cela va de soi !

Murphy tendit une main décharnée.

Johnny surmonta son dégoût et la lui serra brièvement.

- Dites-moi, pendant que j'y pense, vous n'auriez pas récupéré des bombes sucrées durant vos déambulations ? Je mets au point un truc très sympa pour booster les capacités. Mon fournisseur habituel est quelqu'un de très occupé et ça fait un moment que je ne l'ai pas vu. On parle beaucoup de lui aussi sur Galaxy News radio.

Johnny secoua la tête.

- Rien trouvé qui mérite ce nom. Et votre fournisseur, il en a un de nom ?

- On l'appelle l'habitant de l'abri 101. Ne vous inquiétez pas. Ses exploits ne vous font pas encore de l'ombre.

- Tant mieux, grogna le mercenaire. Manquerait plus que je croise un nerveux de la gâchette comme moi !

Johnny sembla méditer, ce qui en règle général signifiait qu'il cherchait où se trouvait son intérêt.

- Ce truc très sympa, c'est quoi exactement ? T'as un peu de stock ? Parce que, si je dois me balader pour ton compte autant que tu me fournisses l'équipement adéquat.

Murphy parut à son tour réfléchir. Il finit par émettre un épouvantable bruit de gorge.

- Je crois qu'on se comprend tous les deux. J'ai justement besoin de tester le dernier stade de mon produit. De l'ultra jet que ça s'appelle.

Le mercenaire grimaça un sourire.

- Et ça fait quoi exactement ?

La goule exhiba ce qui lui tenait lieu de dents :

- Vous allez adorer !

 

Chapitre 3 : Nuka Cola Quantum of Solace

 

Les deux compagnons quittèrent le métro sans trop savoir ce qui les attendait.

Johnny glissa une cigarette qui avait connu de meilleurs jours entre ses lèvres desséchées. Il n'avait pas de briquet, rien pour l'allumer. Alors il fit comme si elle l'était.

- Tu vois, Rocky, j'ai l'impression qu'on est comme ma cigarette. Tellement usés qu'on est prêt à faire n'importe quoi du moment qu'on a l'impression d'exister.

Le chien lui dédia un regard empli de compassion.

- Ouais, je sais, fit son maître. Je débloque un max. C'est cette chaleur. Si seulement, il pouvait pleuvoir une fois de temps en temps. Ca me rafraîchirait les idées.

Il s'arrêta un instant de marcher. Il prit quelque chose dans sa poche. C'était une photo. Il la regarda quelques instants. Pas trop, juste ce qu'il faut pour ne pas perdre son sang-froid. Puis il la rangea, le cœur battant et la gorge nouée.

Le temps était compté pour elle et les autres prisonniers. Ce fumier de négrier de Dr Nuke allait payer pour sa trahison. Livrer sa petite amie et d'autres esclaves à des super mutants pour obtenir une dose de tranquillité serait sa dernière mauvaise idée.

Johnny allait tout faire pour s'en assurer.

Mais pour l'heure, il devait rejoindre le convoi avant qu'il n'atteigne l'abri 87.

Il imagina un super mutant avec de longs cheveux blonds le poursuivant pour lui faire un câlin. Très peu pour lui. La situation était dramatique, mais il s'interdisait d'avoir peur, de douter.

- Avec cette moto, dit Johnny, je pourrai sans problème leur couper la route. Il reste encore le problème de l'armement.

Rocky se mit à aboyer très fort.

Johnny leva les yeux à temps pour voir la silhouette d'un vertiptère de l'Enclave se profiler dans le ciel.

- Cachons-nous ! Ils nous ont peut-être pas repérés !

Les deux compagnons se jetèrent derrière une ligne de rochers au moment où l'appareil se posait. Trois hommes en armure ainsi qu'un officier en uniforme en descendirent ainsi que du matériel en conséquence.

Au moyen du viseur de son magnum, Johnny les observa édifier une petite base.

Il mâchonna nerveusement sa cigarette éteinte. Ses yeux s'illuminèrent lorsqu'il s'aperçut que l'une des sentinelles était armée d'une gatling laser.

- Putain, c'est la chance de ma vie. La chance de pouvoir enfin réparer Emma et de la sortir de l'ombre !

Il essuya ses mains soudain devenues moites. Il prit une boite de conserve dans son sac ainsi qu'une grenade.

- Tu connais la manœuvre, hein Rocky ?

Le chien ne fit pas un bruit, mais son expression hilare parlait pour lui.

Equipés de leur pesante armure métallique, les trois soldats de l'enclave paraissaient invincibles. Comme l'avait remarqué Johnny, l'un d'eux était armé d'une gatling laser qu'il tenait contre sa hanche, prêt à l'employer à tout moment. C'était le vétéran. Les deux autres portaient un fusil laser. Ils marchaient tous nerveusement autour du camp. L'officier, quant à lui, était occupé à rentrer des données dans un terminal.

- Regardez, fit le vétéran.

Ils regardèrent tous dans la direction indiquée et aperçurent un chien gratter le sol. Dans la gueule, il tenait une boite de conserve.

- Laissez-le, fit l'officier. Ne commencez pas à être distraits.

Le vétéran se râcla la gorge.

- On a pas mangé grand-chose aujourd'hui. Et nos vivres sont presque épuisées. Si ça se trouve, cette boite contient de la nourriture.

Sans détacher son attention de son écran, l'officier répondit :

- Si ça se trouve, c'est un piège des raiders.

Des rires fusèrent.

- Raison de plus pour s'en occuper, non ? fit l'un des deux soldats.

L'officier garda le silence. Ils prirent ça pour un consentement.

Les deux soldats s'approchèrent du chien, suivi de près par le vétéran et son arme impressionnante qui avait coupé la chique à plus d'un écorcheur.

Le canidé venait de finir d'ensevelir la boite et il commençait à repartir.

Le vétéran pointa sa gatling vers lui.

- Du ragoût de chien, ça vous dit les gars ?

- Si j'étais toi je ne ferai pas ça !

Les trois soldats se retournèrent comme un seul homme. Leur casque empêcha de voir leur expression, mais leur silence fut le parfait écho de leur stupéfaction.

Johnny tenait son magnum 44 appuyé contre la nuque de l'officier toujours installé devant son terminal, les mains suspendues au-dessus du clavier.

- J'organise un concours du plus beau trio de connards des Terres désolées. Et vous venez de remporter le prix. Haut la main.

Le vétéran appuya son doigt sur la gâchette de son arme. Mais ce qu'ils ignoraient tous, c'est que Johnny venait d'utiliser le super jet offert par Murphy. Ses capacités de réaction décuplées, il fut en mesure d'anticiper royalement les gestes de ses adversaires. Il commença par tirer là-même où Rocky avait enterré la boite avant de faire feu sur les têtes casquées des soldats. Le temps, comme ralenti pour Johnny, s'accéléra brutalement dès qu'il eut achevé ses actions. Une explosion jeta les hommes de l'Enclave à terre, leurs jambes tronçonnées par la grenade et leur casque criblé de calibre 44.

Johnny émit un sifflement :

- Tu parles que j'aime ça ! Merci, Murphy !

L'officier profita de la confusion pour appuyer rapidement sur une série de touches. D'un aboiement sec, Rocky alerta son maître d'une menace imminente.

- Qui êtes-vous ? s'enquit l'officier tandis que la porte d'un container s'ouvrait dans un grincement lugubre.

Johnny entendit des pas pesants et une respiration animale qu'il redoutait plus que tout au monde.

- Je suis le douanier des Terres Désolées. Et t'as plus rien à déclarer.

Il tira dans la nuque de l'officier, détruisant du même coup son précieux terminal.

La créature sortit lentement du container. Elle marchait sur de puissants membres. Son corps musclé, athlétique, était ocre, comme la poussière que charriait continuellement le vent. Ses longs bras étaient terminés par des griffes qui avaient grandement contribué à son appellation. Sa tête rappelait vaguement celle d'un reptile. En moins hospitalier. Ses petits yeux étaient habités par une lueur démoniaque. Oui, un démon, voilà à quoi elle ressemblait.

Sur son crâne était fixé un étrange appareillage métallique. Johnny comprit qu'il s'agissait d'un écorcheur modifié, un spécimen capturé par l'Enclave en vue d'expériences pour le moins mystérieuses.

S'employait-elle à les dresser, à les contrôler ?

Le mercenaire n'eut pas le loisir de poursuivre ses interrogations.

La créature venait de le repérer.

Le mercenaire pointa son flingue et pressa la détente. Silence. Le 44 était vide.

Johnny poussa un juron. Il vit Rocky se rapprocher et montrer les dents pour menacer l'écorcheur qui avançait avec une lenteur machiavélique. Johnny savait que c'était une prudence feinte. Il se préparait à bondir. Et ce bond serait assurément meurtrier.

- Dégage, Rocky ! On a pas affaire à un rataupe ou à un raider défoncé ! Tu fais pas le poids, là !

L'avertissement sembla énerver l'écorcheur. Il bondit sur Rocky, toutes griffes dehors.

- Non !

Johnny brandit son canon scié, sachant que cela n'arrêterait pas la bête dans son élan.

Une masse verdâtre jaillit du container pour venir s'aplatir sur l'écorcheur juste avant qu'il n'atteigne le chien. Un combat dantesque s'ensuivit. Dans cette mêlée sauvage, Johnny écarquilla les yeux de stupeur en identifiant le nouveau venu : un super mutant !

Qu'est-ce qu'il pouvait bien foutre ici ?

L'écorcheur était couché sur le dos, le mutant par-dessus lui. Ce dernier empoigna les bras de son adversaire pour l'empêcher de le décapiter et lui distribua une série de coups de tête, manquant peu à chaque fois de se faire croquer la figure. La gueule écumante de sang, l'écorcheur le repoussa d'une violente ruade. Le mutant réintégra malgré lui l'intérieur du container. D'un bond, l'écorcheur le rejoignit. Sous le regard effaré de Johnny et Rocky, le container se mit à tressauter comme s'il était animé d'une vie propre. Des cris rauques s'en échappèrent indiquant combien la bataille faisait rage. Et puis d'un seul coup, plus rien. Rien qu'un silence de mort.

Johnny ramassa la gatling laser et s'approcha précautionneusement de l'ouverture, escorté par Rocky, le poil hérissé comme un chat. L'écorcheur dressa sa solide carcasse avant de basculer. Le mutant se leva et sortit du container. Il avait une vilaine meurtrisse au flanc et à l'épaule gauche. Mais il était vivant. Ce qui n'était pas rien. Combien pouvait se vanter d'un tel exploit ?

Johnny le scruta, hébété, avant de faire feu sans la moindre sommation. La gatling laser cracha une salve qui mit en pièces l'écorcheur blessé bondissant sur le super mutant.

Ce dernier n'eut soudain d'yeux que pour l'arme que tenait Johnny.

Il fit alors entendre sa grosse voix :

- Dis, tu la donnes à Fawkes ?

- Ok, mais à une condition. Tu viens avec moi.

Johnny regretta sa décision lorsque le dénommé Fawkes le serra dans sas bras pour le remercier.

 

Un peu plus tard, lorsque tout le monde eut repris ses esprits, Johnny put interroger Fawkes tout en fouillant le matériel de l'Enclave.

Le super mutant s'était fait repérer par une patrouille volante. Ce qui n'était pas très étonnant vu son gabarit et sa gouaille. Au lieu de le tuer, les soldats lui avaient injecté à bonne distance un puissant anesthésiant. Apparemment, ils n'avaient pas mis la bonne dose. Heureusement pour Johnny, il s'était réveillé plus tôt que prévu.

- Je savais pas que l'Enclave s'intéressait d'aussi près aux super mutants. T'es modifié ? J'aurais jamais cru devoir un jour la vie à l'un d'entre vous. Le monde part vraiment en couille.

Fawkes jouait avec Rocky. Il sirotait un nuka cola quantum - apparemment c'était sa boisson préférée - tout en balançant la tête d'un soldat de l'Enclave en guise de balle.

Ce qui convenait très bien au chien du mercenaire.

- Ces gars-là sont bizarres. Mais ils valent pas mieux que les écorcheurs. Fawkes les écrase tous autant qu'ils sont. Oui, tous autant qu'ils sont !

- Ca,  je te crois, fit Johnny. Ils avaient quand même pas dans l'idée de t'accoupler avec cet écorcheur ?

Fawkes s'arrêta brusquement de jouer et de boire. En voyant son expression, Johnny faillit pisser de rire.

- C'était juste une hypothèse. De toutes façons, t'es asexué. Mais peut-être quand mélangeant votre ADN... J'ai détruit leur terminal. Y avait sûrement des infos sur ta captivité. Tant pis. Qu'est-ce que tu faisais dans le coin ? Un mutant solitaire et amical ça court pas les Terres désolées !

- Fawkes pas comme les autres. Fawkes plus intelligent. Fawkes cherchait à aider les autres et à punir les abrutis. Mutants ou pas mutants.

- Très intéressant, murmura Johnny, particulièrement songeur. J'ai un programme bien précis et il se trouve que tu cadres parfaitement avec. Des mutants abrutis, on va en rencontrer très bientôt.

Fawkes lui dédicaça son plus beau sourire.

- Quand est-ce qu'on part ?

- Dès que j'aurais résolu un problème.

Johnny fixa son nouvel allié avec un intérêt encore plus grand.

- Dis-moi, t'aurais pas vu un réservoir et un frein de moto, par hasard ?

 

Chapitre 4 : Les Amants sont Eternels

 

La nuit tomba trop tôt au goût de Johnny. Mais il s'en réjouit néanmoins. Personne ne les verrait entrer dans sa planque secrète.

Grâce à Fawkes et sa connaissance des environs, il ne leur avait fallu que quelques heures pour mettre la main sur les deux objets demandés par Murphy.

Un récupérateur leur avait fait un échange avantageux. Johnny avait troqué son fusil d'assaut chinois rouillé et les quelques capsules en sa possession.

Il se sentait vraiment en veine.

Le trio descendit dans le souterrain.

- Ca pue le radcafard ! gogna Fawkes.

Johnny sourit.

- Ah, bon ? Je croyais que c'était ton parfum.

Il composa un mot de passe sur un terminal et une porte blindée s'ouvrit.

Ils entrèrent dans une pièce comportant des casiers, un matelas poussiéreux en guise de lit ainsi qu'un bureau et une table. Sur la table, un objet mystérieux était recouvert d'une bâche. Lorsque Johnny la souleva avec un geste excessivement cérémonial, il découvrit une gatling laser semblable à celle que tenait amoureusement Fawkes.

- Passons aux choses sérieuses !

Les trois compagnons se firent un festin des vivres volées à l'Enclave avant de se lancer dans la réparation d'Emma, accompagné dans cette passionnante entreprise par les ronflements de Rocky.

Le mercenaire se félicita d'avoir rencontré le super mutant. Malgré sa rudesse, il était visiblement doué pour tout ce qui touchait à la mécanique. Il savait que tous les super mutants actuels étaient nés dans l'abri 87, seul endroit au monde où cette espèce pouvait trouver les moyens de se reproduire. Tout comme ses congénères, Fawkes avait été un être humain dans une autre vie. Et il en gardait assurément des réflexes. Johnny ressentit de la pitié pour lui. Et cela l'encouragea plus que jamais à remplir la mission qu'il s'était fixé.

- Tu l'appelles vraiment Emma ? demanda Fawkes.

- Hein ? croassa Johnny en revenant à la réalité.

- La sulfateuse, là, tu l'appelles vraiment Emma ? C'est pas un prénom de fille, ça ?

Les yeux de Johnny s'embuèrent sans qu'il s'en rende compte.

- C'est le prénom d'une fille très importante pour moi. J'imagine que j'ai eu cette idée pour ne pas l'oublier. Tu vas m'aider à la délivrer.

- Fini ! s'écria Fawkes en contemplant le fruit de leur travail.

Il s'empara de la gatling laser, comme prêt à combattre une armée à lui tout seul.

Ce qui amusa beaucoup le mercenaire.

- Vous êtes faits l'un pour l'autre !

- C'est quoi le programme, chef ?

- Direction la station de métro Northwest-Seneca. Je te présenterai un autre ami.

- Ouais ! beugla le super mutant.

- Mais avant, on va dormir un peu. Enfin, si on y arrive, ajouta Johnny en écoutant les ronflements de son chien.

 

Chapitre 5 : Highway To Hell

 

Barrett restait silencieux dans un coin de la pièce, ses petits yeux méchants observant les trois visiteurs avec un égal mépris. Mais sa mâchoire encore endolorie venait lui rappeler qu'il n'avait pas trop son mot à dire.

Fawkes essayait de se faire tout petit, mais les dimensions de l'atelier de Murphy ne l'y aidaient pas vraiment. Rocky rongeait un fémur d'écorcheur en regardant distraitement le trio penché sur le prototype de side-car.

- Ca peut vraiment rouler, l'ami, déclara le super mutant en faisant mine d'étaler sa science.

- Je veux, dit Murphy avec autant de fierté.

- Ouais, en gros, il y a que moi qui ai un doute, remarqua tristement Johnny. C'est con, parce que c'est quand même moi qui est censé piloter cet engin.

Fawkes lui donna une tape amicale dans le dos qui faillit lui faire sauter les vertèbres.

- T'as de la chance. T'as trouvé les deux meilleurs mécanos des Terres Désolées !

Johnny serra les dents.

- Ou les deux plus cinglés ! Enfin, j'ai pas trop le choix. A vous de jouer, les gars.

Au bout de plusieurs heures, le temps pour Murphy de faire les derniers ajustements et de peindre la moto, le trio poussa le véhicule jusqu'à l'extérieur de la station.

Le soleil à son zénith aveugla un instant Johnny. Lorsqu'il put enfin contempler le side-car, il en eut le souffle coupé. L'engin brillait de mille feux. On l'aurait dit tout droit sorti d'une usine. Sur le réservoir, il eut la surprise de lire son nom et son prénom en lettres de feu.

- Ca c'est moi qu'ai eu l'idée, apprit Fawkes. Ca te plaît ?

Johnny fut tout sourire.

- Si en plus ça roule, je vais vraiment me sentir au paradis !

- Y a qu'une seule façon de le savoir, dit Murphy en essuyant ses mains avec un chiffon plus sale encore.

Il indiqua le siège du pilote.

- En route, monsieur le dentiste des Terres Désolées !

Le mercenaire prit un plaisir fou à s'asseoir sur l'engin. Lorsqu'il le démarra, il entendit une série de cliquetis qui ne présageaient rien de bon.

Et si tout explosait au premier coup d'accélérateur ?

Mais il était trop tard pour être pessimiste. Comme pour lui assurer son soutien, Rocky vint s'installer dans le cockpit réservé au passager.

- Ok, mon chien, accroche-toi !

Johnny mit les gaz. Il y eut un bruit de décharge électrique et le side-car partit comme une flèche. Un sourire vissé sur les lèvres, Johnny goûtait pleinement à un sentiment de liberté qu'il n'avait jamais ressenti de toute son existence.

Il eut tout le mal du monde à revenir vers la station. Il avait presque oublié l'existence de ses compagnons et en plus de cela, le side-car avait le plus grand mal à tourner.

- C'est rien, rassura Murphy. Quelques réglages supplémentaires devraient suffire. Mais pour un premier essai, c'est plutôt concluant, non ?

Johnny serrait les poignées avec un plaisir communicatif :

- Tu peux déposer le brevet, Murphy et commencer la distribution. Car je peux t'assurer que bientôt tout le monde en voudra une !

- Dis-donc, grogna Fawkes, j'ai pas l'intention de te suivre à pieds ! Y a pas une petite place pour moi ?

 

Cloisonné dans le « panier », Fawkes riait à gorge déployée, tenant sur ses genoux un Rocky apparemment aux anges. Murphy leur avait fourni des casques et des lunettes de moto à tous les trois ce qui donnait un aspect burlesque au trio déjà détenteur d'un fort potentiel comique.

Sur les conseils du super mutant - avec qui il s'était très bien entendu - Murphy avait également ajouté un pied sur l'avant du panier pour y monter la laser gatling. Ainsi, même en roulant, il lui serait permis de faire joujou, le cas échéant.

Ils avaient remercié le savant avant de prendre définitivement la route.

Johnny ne se serait jamais imaginé aussi reconnaissant envers une goule. Décidément, sa vie lui réservait bien des surprises.

Il avait promis à Murphy de ne revenir le voir qu'en possession d'un important stock de bombes sucrées. Il lui avait touché deux mots quant à l'efficacité de l'ultra-jet.

Puis il lui avait demandé :

- Pourquoi ne pas garder cette prodigieuse machine pour toi. Tu devais me la donner, c'est vrai, c'était le deal. Mais je peux pas m'empêcher d'avoir l'impression de te la voler. C'est quand même le fruit de plusieurs années de recherche.

- Qu'est-ce que tu veux ? avait répondu Murphy. Je suis un scientifique, et toi un aventurier. Nous n'avons pas les mêmes motivations, ni les mêmes ambitions. Je suis très fier de mon travail. J'ai réussi. C'est tout ce qui compte pour moi. A toi maintenant de lui donner un autre sens.

Et Johnny comptait bien satisfaire cette condition.

 

La moto laissait dans son sillage un nuage de poussière, ce qui inquiétait un peu Johnny. Un vertiptère en reconnaissance risquait de les repérer plus facilement. En compensation, le moteur à énergie conçu par Murphy faisait très peu de bruit.

La route menant à l'abri 87 était dégagée. Pas d'édifices importants à proximité, ils devraient à priori ne pas être trop embêtés.  Il avait un super mutant comme escorte, il avait réparé Emma et il fonçait droit vers son objectif en étant assuré de l'atteindre à temps. C'était plus qu'il n'en fallait pour être rassuré sur ses chances de succès.

Sans oublier cette moto dernier cri ! Johnny se relaxa complètement et en profita pour détailler le petit tableau de bord qu'il avait sous les yeux. Sous les cadrans indiquant la vitesse et le niveau d'énergie, il y avait quelques boutons dont il ignorait complètement la fonction. Ils ne servaient peut-être à rien. Sans doute Murphy les avait-il placé là sans autre but que de combler son souci d'esthétisme. Il décida quand même d'en essayer un. Fawkes se mit soudain à beugler.

- Eh, la machine se détraque !

Johnny vit avec étonnement le panier et ses deux occupants effectuer une rotation et se retrouver dans l'autre sens.

Désormais, Fawkes et Rocky regardaient en arrière et il ne leur fallut pas longtemps pour être couvert de la poussière et des débris que soulevait le side-car en avançant.

- Eh, remets-nous à l'endroit, c'est pas drôle, Johnny !

- Désolé, fit l'intéressé en riant.

Il allait s'exécuter lorsqu'un autre cri du mutant l'interrompit dans son geste.

- Attends, il y a quelque chose qui arrive droit sur nous !

Johnny jeta un coup d'œil dans son rétro en essayant de distinguer un éventuel poursuivant au-delà du nuage de poussière. Il ne vit rien. Il comprit qu'il fallait qu'il lève les yeux. Il se raidit instantanément en reconnaissant la silhouette familière de deux vertiptères.

- Merde, c'est l'Enclave ! Fallait s'en douter !

Johnny accéléra, mais se rendit rapidement compte qu'il ne parviendrait pas à distancer les deux appareils. Une boule de feu germa sur sa gauche manquant peu les changer en grillades. Le trio comprit que l'Enclave n'était pas venue faire des prisonniers.

Johnny se tourna brièvement vers Fawkes :

- Qu'est-ce que tu attends ? Dézingue-moi ces connards !

Le mutant éclata d'un grand rire avant d'empoigner la gatling laser.

- Venez, mes mignons, c'est tonton Fawkes qui régale !

Dans la seconde qui suivit, le vertiptère de tête subit des tirs nourris qui l'obligèrent à virevolter. Ce faisant il heurta le flanc de l'autre appareil qui éjecta accidentellement l'un de ses passagers en armure dans un grand fracas métallique.

L'un des tireurs fit alors parler son incinérateur lourd. Le canon vomit une nouvelle boule de feu.

Fawkes et Rocky la virent arriver sur eux avec horreur.

- Projectile en approche ! hurla le mutant accompagné d'aboiements véhéments du chien.

Johnny effectua une manœuvre qui faillit renverser la moto, mais leur permit néanmoins d'esquiver l'ardent missile qui ne trouva rien de mieux à faire que carboniser une malheureuse brahmine somnolente.

Fawkes en fut tout retourné.

- Zut, un stock de steaks qui part en fumée !

Il poussa un grognement et se remit à tirer comme un forcené sur les appareils beaucoup trop proches. L'un des tireurs pointa un fusil d'étrange facture en direction du véhicule. Quand il pressa la détente de son arme, un filin terminé par un grappin en jaillit. Johnny sentit une terrible secousse. La moto échappa brutalement à son contrôle et menaça de quitter le sol.

- Putain, qu'est-ce que...

- Je crois qu'ils veulent la moto ! fit Fawkes en voyant le grappin fiché dans l'arrière du side-car.

Johnny se retourna, menaçant. Enfin, moins que le canon de son calibre 12.

- Ils peuvent toujours rêver !

Il fit feu. Le câble fut sectionné et le side-car retomba sur ses roues après quelques inquiétants soubresauts.

Profitant de la consternation de leurs ennemis, Fawkes lança une nouvelle offensive et une salve de laser désintégra le vertiptère de tête dans un grand flamboiement de débris métalliques.

- Et de un ! annonça-t-il triomphalement.

- C'est pas trop tôt, répliqua Johnny avec aigreur.

Mais l'Enclave n'avait pas dit son dernier mot.

Une série de boules de feu se mit à pleuvoir tout autour d'eux transformant ce qui était au départ une agréable ballade en chemin de croix, en véritable autoroute pour l'enfer !

- Les fumiers ! rugit le mercenaire.

Un autre grappin fusa dans leur direction. Johnny louvoyait pour leur éviter une incinération gratuite et ce faisant, le grappin manqua sa cible et transperça l'épaule droite du super mutant.

- Ah, non ! C'est pas du jeu !

Fawkes s'empara du câble qu'il tira violemment vers lui. Le soldat fut éjecté du vertiptère et tomba au sol, rapidement remorqué par la moto comme un poids mort.

Fawkes continua de tirer le filin, ramenant le soldat inanimé vers le side-car. Le soldat reprit ses esprits au moment même où le mutant braquait sur lui le canon de sa gatling laser :

- Fais risette !

Johnny fulminait.

- Doit bien y avoir d'autres gadgets sur cet engin!

Il pressa un bouton. Sitôt après, le panier pivota pour retrouver sa position d'origine.

- Non ! beugla Fawkes. Pas maintenant, Johnny !

- Merde !

Le soldat s'agrippa d'une main au side-car et de l'autre empoigna un fusil laser avec l'évidente intention de l'utiliser contre le pilote. Des crocs de chien dans son bras lui firent abandonner son projet. Cramponné au soldat, Rocky se mit en devoir de lui faire lâcher prise. Fawkes fulminait :

- Johnny, fais-moi tourner ! Rocky est en danger !

Le mercenaire était au bord de la crise de nerfs. Cette course-poursuite n'en finissait plus. L'image d'une jeune femme blonde suffit pourtant à lui procurer la concentration requise. Il appuya sur le premier bouton, inversant le panier et autorisant Fawkes à suivre la lutte entre Rocky et son adversaire. Le soldat avait lâché son arme, mais sa main libre était resserrée autour de la gorge du chien.

- Lâche-le, bouffon en scaphandre ! vociféra le mutant.

A ces mots, il orienta sa gatling vers le soldat et tira une courte rafale. Le méchant perdit  sa prise sur la moto et sur Rocky et tout espoir de voler le side-car, à peu près dans cet ordre. Fawkes récupéra Rocky au vol et regarda le soldat rouler derrière eux. Lorsqu'il s'arrêta de rouler, il secoua sa tête endolorie. Il pesta contre sa mauvaise fortune, mais apprécia bien vit le fait d'être encore en vie. En voyant la moto s'éloigner, il porta une main à sa grenade à plasma.

- Si nous ne pouvons l'avoir, alors elle ne sera à personne !

Fawkes  offrait un déluge de caresses à Rocky, mais il s'arrêta net en voyant un petit objet métallique dépasser de sa gueule.

- Bah, qu'est-ce que tu manges ?

Cela ressemblait assez à une goupille de grenade. L'explosion qui pulvérisa le soldat de l'Enclave derrière eux le confirma.

- Sacré toutou ! fit Fawkes en lui ébouriffant la tête ! C'est toi le meilleur !

- Et moi, je fais la sieste, peut-être !

La patience de Johnny commençait à se faire aussi rare qu'un sourire sur un fangeux.

- Allez, Murphy, tu as forcément pensé à mettre une arme secrète à utiliser en cas d'urgence !

Il appuya sur les boutons restants, priant pour déclencher un phénomène positif.

Venue de nulle part, une voix d'homme se fit soudainement entendre :

- Ici, Three Dog, Yeeehou ! La voix libre des Terres Désolées, pour vous. Et maintenant, un peu de musique...

Johnny comprit que Murphy lui avait installé la fameuse Galaxy News Radio. Charmante intention qui pour l'heure ajoutait à sa fureur.

Le vertiptère les bombardait sans relâche et creusait sensiblement l'écart au son de «  a Wonderful Guy ».

- Ca devient super urgent ! souligna Fawkes.

Johnny actionna le dernier bouton.

Le flanc gauche de la moto s'escamota, libérant un missile dans un grand panache de fumée. La lueur de l'explosion éclaira le visage hilare du super mutant !

- Touché ! Et de deux !

L'appareil de l'Enclave perdit rapidement de l'altitude pour finir par s'écraser mollement sur la terre ferme.

Johnny n'en fut pas rasséréné pour autant. Il effectua un demi-tour avec difficulté et s'arrêta à la hauteur de la carcasse fumante du vertiptère. Il descendit de la moto et s'approcha du cockpit. Quelques coups de feu résonnèrent.

- C'est bon, Fawkes. Ils sont tous morts !

- Ouais, continuons, alors !

Johnny allait retourner sur le side-car lorsqu'une idée complètement folle traversa son esprit en ébullition.

- Dis-donc, il a l'air de pouvoir encore voler. Ca vous dirait un baptême de l'air ?

 

Chapitre 6 : La Liberté en Prime

 

A bord du vertiptère volé à l'Enclave, le trio survolait les Terres Désolées avec un sentiment de supériorité bien compréhensible. Fawkes se tenait dans la soute, regardant avec fascination le sol aride défiler sous eux. Il tenait la gatling laser contre lui en vérifiant de temps à autre que le side-car restait en place.

Johnny, quant à lui, pilotait son nouveau joujou sous le regard complice de Rocky assis à ses côtés, visiblement ravi de la promenade.

- Quel pied !

Les trois amis eurent tôt fait de distinguer une étrange cohorte.

- Ce sont eux ! annonça Johnny comme s'il avait vu une oasis.

- Ils ont l'air nombreux, dit Fawkes. Même pour nous.

Johnny lui jeta un regard inquiet.

- Je rigole, ajouta le super mutant.

Il leva sa gatling.

- On va se les faire !

- Ouais, bah, oublie pas que y a pas que des monstres en bas. Y aussi des innocents et parmi eux ma fiancée.

Johnny osa enfin s'angoisser un peu.

- Ouais, va falloir la jouer pas trop bourrin, cette fois.

- Tu comprends ce que ça veut dire « pas trop bourrin », Fawkes ?

- Moi je veux bien, mais avec Emma, j'ai dû mal à tirer au coup par coup !

Johnny faillit s'étrangler en détectant le sous-entendu grivois, mais accidentel, du super mutant.

Il ralentit un peu et amorça sa descente.

Il devait y avoir une trentaine de mutants et moitié moins de prisonniers. Il y avait des maîtres et des brutes solidement armés.

Le mercenaire comptait bien sur l'effet de surprise.

Il essaya de repérer sa dulcinée. Il distingua une frêle silhouette avec des cheveux blonds. Il se persuada que c'était Emma.

- Eh, hurla Fawkes à l'adresse de ses congénères. Vous avez dix secondes pour relâcher les otages sinon on ouvre le feu !

- Qu'est-ce qui te prend ? le morigéna Johnny.

- Excuse-moi, mais j'ai toujours rêvé de dire ça !

La file indienne s'arrêta et tous levèrent les yeux vers l'appareil qui les dominait.

Les prisonniers faisaient peine à voir, mais en voyant le vertiptère, une lueur d'espoir sembla illuminer leur regard. Les mutants, quant à eux, ne trouvèrent rien de mieux à faire que de s'esclaffer bruyamment.

- Je crois qu'ils nous prennent pas au sérieux, observa Fawkes avec une remarquable lucidité.

- On va les faire changer d'avis.

Johnny s'empara de l'incinérateur lourd et tira une salve.

L'un des mutants riait encore lorsque la boule de feu le changea en grillade.

Un silence terrible succéda à l'attaque. Puis un maître mutant épaula son lance-missiles :

- Abattez-moi ce traître !

- Traître ? s'indigna Fawkes. Mais j'ai jamais été de votre côté !

Johnny évita de justesse la roquette, mais les balles se mirent à ricocher contre la carlingue de l'appareil.

- Merde, on a tout fait foirer !

C'est ce moment que choisit un groupe de paladins de la Confrérie de l'Acier pour se mêler à la bataille. Ils jaillirent de derrière une formation rocheuse et se jetèrent sur les super mutants, les affrontant si nécessaire au corps à corps armés de leur éventreur.

- On a vraiment du cul, Fawkes ! Apparemment, on était pas les seuls à s'intéresser à eux !

Johnny posa tant bien que mal le vertiptère.

- Rocky, tu restes là. Trop dangereux pour toi.

Il ignora les jérémiades du chien et Fawkes et lui descendirent pour affronter le bataillon de mutants en pleine débâcle.

- Fawkes, il faut qu'on s'occupe des prisonniers. Il faut les isoler de la bataille.

- Je suis avec vous ! hurla son compagnon tandis qu'il était la cible des paladins.

Johnny sourit.

- Tu devrais te trouver un déguisement !

L'instant d'après, il enflammait deux mutants.

Les balles sifflaient autour du mercenaire qui s'attendait à tout moment à en prendre une. Il fit bien car l'une d'elle lui entailla le bras gauche. Il se mordit les lèvres et continua d'avancer jusqu'à un groupe de prisonniers qui hésitaient à fuir. L'un d'eux semblait les exhorter à profiter de la confusion pour filer en douce. C'était une femme. Johnny s'avança plus près. C'était Emma ! Son Emma !

Il la prit dans ses bras, interrompant brutalement son discours. Il ne la relâcha qu'à contrecœur. Elle avait le visage fatigué et semblait faible. Mais de pouvoir à nouveau la toucher et plonger ses yeux dans les siens suffit à le rendre heureux. Elle le regarda, totalement hébétée, ne réalisant pas qu'il avait pu venir la sauver.

- Viens avec moi ! Venez tous avec moi !

Johnny entraîna la jeune femme vers la formation rocheuse d'où avait jailli la Confrérie de l'Acier.

- Fawkes, tu nous couvres !

- Avec plaisir, chef !

Le bruit caractéristique de la gatling laser ponctua sa déclaration.

Ils n'avaient pas fait dix mètres que trois mutants leur tombaient dessus, armés de bâtons cloutés.

- C'est pas gentil de nous fausser compagnie, firent-ils de leur grosse voix.

Johnny embrasa le plus proche, mais vida du même coup le réservoir de son incinérateur lourd.

- Merde ! Je crois qu' on est cuit, nous aussi !

Un bruit de tronçonneuse se fit entendre. La tête d'un des mutants s'envola de ses épaules et le dernier reçut la lame d'un éventreur en plein cœur.

Tandis que les corps sans vie s'abattaient sur le sol, un paladin apparut, couvert de sang et de viscères.

- Je suis le paladin Cross ! fit une voix déterminée de femme. Elle était revêtue d'une armure assistée et d'un casque assorti, comme tous ses frères d'armes.

- Je vais vous escorter en lieu sûr. On fera les présentations plus tard.

- Bonne idée, fit Johnny avant de la suivre, le contact rassurant de la main d'Emma dans la sienne.

Fawkes n'avait pas perdu son temps. Rapidement, il avait prouvé qu'il était bien du côté des membres de la Confrérie qui avait cessé devant ses exploits de l'importuner comme un vulgaire super mutant. Hélas Emma - l'autre Emma - avait rendu l'âme et il se battait désormais à l'aide d'armes plus ou moins improvisées.

Fawkes repéra un de ses congénères particulièrement dangereux. Il mitraillait à tout va avec son mini-gun, sans se soucier s'il tirait sur des humains ou non. Il avait déjà tué quatre paladins, trois mutants et trois esclaves dans sa folie meurtrière. Fawkes attendit qu'il recharge pour se charger de son cas. Tandis qu'il s'élançait avec pour seule arme ses poings nus, un paladin attentionné lui lança une super masse qu'il attrapa au vol.

- Merci l'ami !

D'un bond puissant, il se jeta de tout son poids sur son adversaire, une brute de la pire espèce. Il lui assena trois coups consécutifs. L'autre ne broncha pas et lui porta un coup terrible avec son mini-gun. Fawkes tomba au sol, groggy, avant de balancer son arme vers la brute. Celle-ci la reçut en pleine face et tomba à genoux sous le choc.

- C'est l'heure de payer la facture, mon gars !

Fawkes lui empoigna le crâne et le dévissa avec tout le savoir-faire d'un mécano hors pair.

La bataille touchait à sa fin. La confrérie avait pris nettement le dessus, même si elle avait sacrifié beaucoup de soldats dans cette lutte sans merci.

Fawkes coupa court aux félicitations des paladins pour rejoindre son ami.

 

Johnny laissa Cross et les autres paladins s'occuper des esclaves pour passer un peu de temps avec Emma. Elle était encore sous le choc de ce qu'elle venait de vivre. Elle n'arrivait plus à parler. Elle pleurait de temps en temps, se serrant contre le mercenaire en murmurant son prénom. Il lui caressait les cheveux.

- C'est fini, Emma. C'est terminé. Tu n'as plus rien à craindre.

Elle poussa un hurlement qui démentit son affirmation.

Johnny se retourna. Un Behemoth leur faisait face, un bâton orné d'une bouche d'égoût en guise d'arme. Il était énorme. Il représentait le stade ultime de l'évolution des super mutants. Heureusement, il en existait peu dans les Terres Désolées.

Johnny mesura combien il avait de la chance avec un sourire amer.

Il n'avait pas vu de Behemoth depuis... depuis ce fameux jour où enfant, il était tombé nez à nez avec l'un d'entre eux. Il avait massacré ses parents et avait voulu l'ajouter à son tableau de chasse. Il s'en souvenait comme si c'était hier. Le colosse le dominait, debout sur une montagne de carcasses de voitures. Sans se rendre compte de ce qu'il faisait, Johnny avait ramassé une grenade sur le corps de son père et l'avait balancé devant lui. Au moment où le Behemoth s'était jeté sur lui, l'explosion avait enflammé les véhicules, produisant une boule de feu cataclysmique qui envoya le monstre en plein ciel. Johnny ne le vit jamais redescendre. Seul son bras droit retomba devant lui. Un bras qu'il avait conservé longtemps, comme pour se rappeler de ce jour néfaste teinté d'un soupçon de miracle.

Oui, il avait bel et bien menti à Murphy. Il avait réellement vaincu un Béhémoth à lui seul quand il n'était qu'un enfant. Ce Béhémoth à qui il devait de s'appeler ainsi.

Il observa le colosse qui à présent les menaçait tous. Johnny senti un frisson glacial parcourir sa colonne vertébrale lorsqu'il vit que le Behemoth n'avait qu'un seul bras.

- On dirait que le destin a décidé que je devais finir le travail.

Plusieurs paladins, dont Cross, voulurent s'interposer. Le monstre les balaya tous de sa massue improvisée. Puis il baissa la tête pour dévisager Johnny qui n'en menait pas large.

Comme s'il l'avait reconnu, ses yeux s'agrandirent et il poussa un hurlement à décorner un troupeau de brahmines.

Johnny serra les poings.

- Je t'ai massacré quand j'avais dix ans, c'est pas maintenant que je vais me défiler. Deuxième round !

Le mercenaire repoussa Emma qui le retenait et força le monstrueux mutant à lui courir après. C'était son combat, son duel. Personne d'autre ne devait s'en mêler.

Mais Fawkes en décida autrement. Il avait grimpé à bord du vertiptère et heurta de plein fouet le Behemoth. Sous le choc, l'appareil menaça de s'écraser. Le Behemoth tomba un genou au sol, à peine ébranlé. Johnny en profita pour ramasser quelque chose au sol. Il grimpa sur la jambe du colosse qui poussa un nouveau hurlement de rage. Johnny jeta dans sa gueule écumante ce qu'il avait ramassé. Il s'apprêtait à s'enfuir, mais son adversaire l'emprisonna dans sa main valide. Le mercenaire sentit une pression terrible sur ses os. Il se voyait déjà réduit en poussières lorsque la tête du Behemoth implosa dans un immonde geyser.

Son corps s'écroula dans un bruit de tonnerre. Les paladins vinrent aider Johnny à se libérer. Ceci fait, il cracha plusieurs goupilles et se laissa tomber dans les bras d'Emma, totalement épuisé.

 

Chapitre 7 : Bons Baisers des Terres Désolées

 

Quand il récupéra un peu, Le paladin Cross expliqua à Johnny que la Confrérie avait repéré ce groupe de mutants quelques temps auparavant. Elle le soupçonnait de se rendre à l'abri 87 pour y  produire de nouveaux spécimens de leur espèce. On peut dire qu'ils avaient vu juste.

- Cet abri 87, il faudrait le détruire une bonne fois pour toutes ! s'emporta le mercenaire en observant Fawkes.

Ce dernier afficha une triste moue.

- On pourrait peut-être en parler à Murphy, avant. Il a l'air doué, ce petit gars. Il pourrait trouver un moyen d'inverser le processus, non ?

Johnny ne put s'empêcher de sourire.

- Pourquoi ? Tu ne te plais plus en mutant ?

Fawkes eut l'air gêné.

- Bah, en fait...

Johnny s'aperçut qu'Emma acceptait mal la présence de Fawkes après ce qu'elle venait de vivre. Elle acceptait encore moins son évidente complicité avec son fiancé.

- Je comprends, dit Johnny. Je comprends. Ce n'est pas comme si tu avais toujours été mutant, crut-il bon de rappeler.

- Je veux qu'on parte d'ici, le supplia Emma.

- Oui, dit Johnny en lui caressant la joue. On va y aller. Mais j'ai encore un petit travail à terminer.

Il scruta l'horizon.

- Tout le monde n'a pas encore payé la facture.

- Vous voulez parler du Dr Nuke ? interrogea Cross comme si elle avait lu dans ses pensées.

Elle avait retiré son casque. C'était une belle femme à la peau noire et aux cheveux courts, étonnamment blancs.

- Qu'est-ce que vous savez à son sujet ?

- Il n'est plus de ce monde. On a trouvé son cadavre non loin d'ici. Voilà ce que c'est que de traiter avec les super mutants.

Johnny poussa un soupir en dévisageant Emma.

- Dommage. J'aurais bien voulu m'en occuper moi-même.

- Si ça peut vous rassurer, ajouta Cross. Des pourritures comme lui, c'est pas ce qui manque dans les Terres Désolées.

Puis elle remit son casque.

- Nous allons escorter ces gens en lieu sûr. Vous voulez nous accompagner ?

- Non, merci, répondit le mercenaire.

- Vous savez que vous feriez un très bon paladin. Votre ami Fawkes, aussi, d'ailleurs !

En entendant son nom, le mutant devint tout guilleret.

- Chef, c'est une bonne idée, non ?

Johnny afficha un air las.

- Rejoins-les si tu veux, Fawkes. Tu es libre.

Le mutant devint tout penaud.

- Mais...

Johnny lui serra la main.

- Je suis vraiment heureux de t'avoir rencontré, Fawkes. On te doit beaucoup.

Le mutant lui serra la main, attristé.

- Je viendrai te voir de temps en temps à la Citadelle.

Ce qui réussit à faire sourire l'intéressé.

- T'as intérêt, sinon...

Le couple regarda les rescapés de la bataille monter à bord du vertiptère piloté par Fawkes et disparaître dans le couchant.

- Je crois qu'il est temps de partir, annonça Johnny.

 

Quelques instants plus tard, le side-car roulait à tombeaux ouverts. Emma était assise derrière Johnny, enlaçant sa poitrine de ses bras et Rocky était dans le panier, regrettant l'absence de l'imposant mutant.

Le mercenaire avait allumé la radio.

« Salut les Terres Désolées, ici, Three Dog. Yahouuu ! Pour votre plus grand plaisir. Encore une nouvelle journée de passée en Post-Apocalyptia. Et si je vous disais, les amis, que notre célèbre héros vient encore de faire parler de lui. Non, non, non. Je ne vous parle pas de notre valeureux habitant de l'abri 101, ni même du légendaire Johnny Behemoth. Je vous parle d'un super mutant qui a carrément viré sa cutie pour aider la Confrérie de l'acier à éradiquer les membres de son espèce. C'est pas un truc dingue, ça ? Si vous avez du mal à digérer une nouvelle pareille, je vous rassure, c'est tout à fait normal. Alors pour vous faire passer la pilule plus facilement, je ne vois qu'un seul remède : un peu de musique...

- Ca alors, fit Johnny, on aura tout vu !

La chanson « Way Back Home » se fit alors entendre dans la nuit, accompagnant le trio de ses sonorités délicieusement rétros, sous un ciel paré d'étoiles scintillantes.

- Merde, ils connaissent pas le rock'n roll à GNR !

 Au loin une soucoupe volante se crasha.

Une journée tout à fait normale en somme dans les Terres Désolées de la Capitale.

En attendant la prochaine...

 

 

 

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samedi, 30 janvier 2010

2. Johnny Behemoth Contre l'Armée des Démons

 

Chapitre 1 : Un Assaut Capital

 

Le Maître super mutant donnait ses instructions d'une voix sèche aux neuf mutants sous ses ordres :

- Ramassez-moi ces armes, abrutis !

Ils s'étaient établis dans les ruines de DC depuis peu et l'aménagement ne se faisait pas sans peine. Les mutants regrettaient d'avoir quitté les Terres Désolées proprement dites et la manière dont ils traînaient les pieds en disait long sur leur motivation.

- Vous mangerez pas tant que ce sera pas rangé, tas de...

Le maître s'interrompit en voyant un de ses soldats faire semblant de remplir un sac à gore. Il se rapprocha de lui, furieux, et lui broya l'épaule :

- Et toi ! T'es bon pour nourrir les radcafards !

L'intéressé se retourna avec un grand sourire :

- Après toi, gros tas !

Fawkes posa le canon d'un pistolet laser sur sa tempe avant de s'adresser aux autres :

- Lâchez vos joujous ou je fais un carton !

Il se mit à glousser.

- J'ai toujours rêvé de dire ça !

Les huit mutants se regroupèrent quelques instants pour palabrer avant de braquer leurs fusils d'assaut et de faire feu. Le corps du Maître fut criblé de balles et Fawkes perdit son arme. Il fut alors bien avisé de se servir du cadavre comme bouclier. Lorsqu'il comprit qu'il était temps pour lui de réagir, il balança le corps exsangue sur les tireurs :

- Vous êtes virés, les gars !

Trois paladins de la Confrérie de l'Acier profitèrent de la confusion pour prendre les super mutants à revers. Trois des monstres s'élancèrent sur Fawkes, visiblement ravi de la confrontation :

- Venez voir tonton Fawkes !

Il récupéra l'arme qu'il avait dissimulée dans un sac à gore. Elle prenait l'apparence d'un souffleur à feuilles couplé à un aspirateur. Bien inoffensive à première vue. Sauf qu'elle avait pour nom Lance-Briquettes et qu'elle avait la capacité d'envoyer à peu près n'importe quoi avec une grande célérité, faisant d'un objet anodin une arme redoutable.

Fawkes pressa la détente et ses adversaires furent assaillis d'ustensiles de toutes sortes : réservoir de moto, casserole, fer à repasser, appareil photo, nain de jardin,...

L'un d'eux eut la tête tranchée par une simple assiette, un autre fut pulvérisé par un assortiment de grille-pain, de balles de baseball et d'ours en peluche.

Malheureusement, Fawkes se retrouva à court de munitions alors que son dernier adversaire reprenait ses esprits. Le gentil mutant récupéra alors les membres épars de ses congénères sans vie et les engouffra dans le chargeur de son arme unique :

- Fawkes soigne le mal par le mal !

La seconde d'après, il projetait sur le super mutant une série de bras, de jambes et de têtes qui causèrent son décès dans les plus brefs délais.

De leur côté les paladins n'avaient pas perdu leur temps. L'un d'eux, prénommé Kodiak à juste titre, jouait au base-ball avec sa masse et les crânes des mutants à sa portée faisaient d'excellentes balles.

- Bandes de dégénérés ! Vous avez pas encore compris que vous êtes pas chez vous ?!!

Et autant dire qu'il explosa son score et ses adversaires.

Ses compagnons, le Chevalier Artemis et le Paladin Bael s'occupèrent des derniers résistants avec quelques projectiles bien placés.

La présence de Fawkes parmi la Confrérie de l'Acier était encore loin de faire l'unanimité, notamment auprès de Gunny, le responsable de la formation des initiés, qui acceptait déjà très mal des humains comme volontaires.

C'est le Paladin Stellaire Cross qui avait appuyé la candidature du Super Mutant auprès de l'Aîné Owyn Lyons après avoir assisté à ses exploits aux côtés de Johnny Behemoth (cf Johnny Behemoth conte Dr Nuke).

Un mutant au sein des ennemis jurés des mutants, évidemment ça pouvait facilement passer pour une absurdité, voire une trahison.

Mais comme à son habitude, Fawkes avait rapidement prouvé sa valeur. Comme espion et saboteur au sein de l'ennemi, on pouvait difficilement faire mieux.

La tactique était maintenant parfaitement rodée.

Fawkes s'incrustait, se fondait dans le décor et au moment opportun, il passait à l'action. Le parfait éclaireur. Ses détracteurs se faisaient du coup moins nombreux.

L'irascible Kodiak grinçait encore des dents, mais il avait trop de respect pour l'Aînée Lyons pour remettre en cause sa décision.

- Encore un beau massacre ! claironna Fawkes.

Kodiak grimaça.

- Bon, inutile de traîner ici. On ramasse les armes et...

- Regardez, dit Artemis en consultant un terminal que les mutants avaient semble-t-il dérobé à l'Enclave sans pouvoir y accéder. Il y a là des choses très intéressantes. On dirait que l'Enclave est sur un gros coup. Des expériences pas très catholiques qui concernent des super mutants et des écorcheurs.

Fawkes s'approcha.

- Ca me dit quelque chose, fit-il en posant un gros doigt sur son menton.

Kodiak dévisagea ses hommes avec un air complice :

- Quand tu t'en souviendras, on aura déjà nourri les radcafards !

Les yeux de Fawkes s'illuminèrent :

- Ca y est, je me rappelle ! C'est au moment où j'ai rencontré Johnny. Ils m'avaient enfermé avec un écorcheur. Et on se demandait ce qu'ils pouvaient bien mijoter.

- Ils voulaient peut-être vous accoupler ? plaisanta Kodiak.

Fawkes se força à sourire. Il y avait déjà eu droit à celle-là !

- Ca rendrait les super mutants sûrement plus charmants, s'esclaffa le paladin rapidement imité par ses compagnons.

Fawkes n'était pas dupe. Il était conscient de servir régulièrement de bouc émissaire. Mais il avait appris à vivre avec. A sa façon.

Il dévisagea franchement Kodiak :

- Si j'en crois vos têtes, l'accouplement a déjà donné de jolis fruits.

Kodiak sentit la moutarde lui monter au nez. Il brandit sa massue de manière menaçante avant d'être interrompu pas Artémis :

- Il faut immédiatement qu'on ramène ses données à la Citadelle. Apparemment le projet de l'Enclave est déjà bien avancé.

Ils prirent tout l'équipement qui pouvait les intéresser et se mirent en route.

- Dis-moi, fit Kodiak de son ton bourru, quand est-ce que tu nous le présentes ton fameux Johnny ? C'est vrai, tu nous en parles tellement...

La question sembla attrister le mutant. Johnny avait promis de venir le voir à la Citadelle. Il avait l'impression que ça faisait une éternité de cela. L'avait-il oublié ? Avait-il trouvé un acolyte plus digne de lui ?

Fawkes ferma les poings et leva dignement la tête.

- Il viendra bientôt. Il me l'a promis.

 

Chapitre 2 : De Joyeuses Retrouvailles

 

Murphy ignora les gouttes de sueur qui coulaient sur les verres de se lunettes. Il était sur le point de terminer une expérience délicate.

- On a de la visite.

Le savant jeta un regard noir à Barrett, son garde du corps. Il le supportait de moins en moins. Que n'aurait-il pas fait pour l'échanger contre...

- Johnny Behemoth, pour vous servir !

Le célèbre mercenaire apparut dans l'encadrement de la porte de l'atelier, vêtu de son armure de cuir comme d'une seconde peau, son magnum 44 à sa hanche et son fidèle canon scié dépassant de son épaule comme une extension de chair.

Il offrit son plus large sourire et tendit une main :

- Non, s'il vous plaît, pas de photos, aujourd'hui !

Murphy oublia soudainement ses travaux auparavant vitaux et vint serrer la main du visiteur :

- Content de vous voir, Johnny ! Le side-car marche toujours ?

- Ca roule plutôt bien, je ne m'en lasse pas. Je viens justement recharger les batteries.

La goule le dévisagea avec un sourire malicieux :

- Vous avez de quoi de payer ?

Un grincement se fit entendre et Rocky arriva, tirant à l'aide d'une corde un caddy de supermarché rempli de boites rectangulaires en tous points identiques.

Il devait y en avoir une bonne cinquantaine.

Les yeux de Murphy devinrent des feux de joie :

- C'est ce que je crois ?

Johnny opina.

- Des bombes sucrées de la première fraîcheur. Enfin, façon de parler, évidemment !

Murphy ne put cacher son excitation :

- Ah, je savais que je pouvais compter sur vous ! Vous tenez toujours vos promesses !

- Oui, d'ailleurs j'en ai une autre à respecter. Et je vais y aller de ce pas.

- Ok, fit Murphy. Je vais recharger le side-car. Pendant que j'y suis, j'en profiterai pour apporter de nouvelles modifs.

Johnny leva un sourcil, plein d'espoir :

- Tu veux dire que tu vas enfin m'enlever cette satanée radio ?

- GNR ? Certainement pas, c'est...

- La voix libre des Terres Désolée, récita le mercenaire d'un air las. Je sais, je suis pas près de l'oublier. Ca coûtait rien de demander.

 

Chapitre 3 : L'Homme qui Tombe à Pic

 

Suite à la découverte majeure faite par le chevalier Artemis, l'Aînée Lyons avait réuni un conseil d'urgence dans le Grand Hall, nanti d'un bureau circulaire pouvant figurer la légendaire table ronde des chevaliers d'autrefois.

On aurait dit une réunion d'état-major. Ce qui était plus ou moins le cas.

Les paladins les plus éminents étaient naturellement présents (Cross, Kodiak en tête) ainsi que des scribes qui avaient pour vocation d'archiver toutes les connaissances acquises par la Confrérie de l'Acier.

Fawkes, comme à son habitude, se tenait dans un coin en essayant vainement de se faire tout petit. Mais il se sentait privilégié de pouvoir assister à une audience aussi importante.

Le vieil homme n'eut pas besoin de réclamer l'attention. Lorsqu'il commença à parler, tout le monde n'eut d'yeux que pour lui :

- Mes frères, l'heure est décidément grave. Les super mutants nous causaient déjà assez de soucis, mais visiblement l'Enclave représente désormais une trop grande menace pour qu'elle ne devienne pas notre nouvelle priorité.

Les documents en notre possession nous apprennent qu'elle a édifié une nouvelle base. Tout près d'ici.

Son ton se fit plus grave.

- A DC.

Des clameurs s'élevèrent.

- Ils veulent nous renverser une bonne fois pour toute, c'est ça !

C'était Cross qui venait de parler ainsi, se faisant l'écho de tous.

Lyons reprit :

- C'est malheureusement ce qui est à craindre. Nous représentons les deux forces les plus puissantes et les mieux organisées des Terres Désolées. Et on ne peut pas dire que nos ambitions se rejoignent. C'était inévitable, je présume. Et ce n'est pas le projet sur lequel ils travaillent actuellement qui peut nous rassurer.

Il agita des imprimés comme pour donner plus de poids à ses futures déclarations :

- Ils sont en train de mener des expériences qui représentent un danger absolu, non seulement pour nous, mais aussi pour l'ensemble des Terres Désolées.

Il fit distribuer une copie à chacun des documents qu'il tenait.

- Car s'ils nous balayent, nous, la Confrérie de l'Acier, qui sera le rempart contre la folie et le désespoir de ce monde ? Qui pourra empêcher une politique de terreur de s'installer un peu partout, détruisant irrémédiablement nos chances de reconstruire une humanité digne de ce nom ?

- Vous avez pensé à moi ?

Les visages consternés de la Confrérie se tournèrent vers celui qui venait de parler.

Fawkes bondit de son coin en bousculant les paladins alentours.

- Johnny !

Le mercenaire dut subir une étreinte particulièrement chaleureuse de Fawkes qui le fit regretter de l'avoir fait languir autant.

- C'est Johnny, aboya le mutant, Johnny Behemoth !

Kodiak détailla le héros avec un rictus.

- Ils font vraiment la paire, ces deux-là !

- Excusez-moi, fit le mercenaire, je ne voulais pas vous interrompre. Mais à en juger par votre admirable discours, vous vous apprêtez à partir en guerre, avec les gros moyens. De mon côté, sachez que j'ai appris certaines choses sur ce projet et cette base. Et ma conclusion est qu'un détachement trop important nuirait à coup sûr à la réussite de cette mission.

D'un geste impérieux, Lyons fit cesser les contestations de tous genres qui fusaient de toute part. Il se planta devant le mercenaire avec un aplomb que peu d'hommes de son âge pouvaient se vanter de posséder :

- Bien que j'ai beaucoup entendu parler de vous, il adressa un regard à Fawkes, je n'ai pas l'honneur de vous connaître Monsieur Behemoth.

- Je vous en prie, fit l'intéressé avec son sourire charmeur, appelez-moi Johnny.

- Le Paladin Stellaire Cross a également tenu des propos très élogieux à votre égard et m'a rendu compte en détails de l'aide précieuse que vous avez fourni à elle et ses hommes dans des conditions extrêmement hostiles.

Johnny fit une révérence à l'intention de la guerrière ce qui ne fut pas du tout du goût de Kodiak dont le rictus s'agrandit.

Lyons poursuivit :

- Elle a d'ailleurs beaucoup contribué à l'intégration de votre ami Fawkes au sein de la Confrérie. Ce qui, de par sa nature très spécifique, n'était pas chose aisée, vous en conviendrez.

Johnny adressa cette fois un clin d'œil appuyé à la jeune femme. Voyant cela, Kodiak émit un véritable grondement d'ours.

- Mais il a su se montrer brave et faire oublier ce qui pouvait constituer un élément rédhibitoire à sa condition de Paladin. Ce qui n'est pas le moindre de ses exploits.

Johnny décocha un regard complice au mutant, ravi de son sort.

- Tout ça pour dire, que vous avez sans nul doute gagné vos entrées, ici, Monsieur Behemoth. Pour autant, votre intervention me paraît un tantinet dépasser ces droits fraîchement acquis.

- J'en suis le premier désolé, avoua Johnny qui savait reconnaître la valeur d'un homme à ses mots. Je désirais simplement apporter mon soutien dans une expédition de premier ordre. Je suis loin d'égaler un membre de votre Confrérie dans son investissement pour un monde meilleur, je vous l'accorde volontiers. A vrai dire, je n'ai jamais vraiment cru que les choses pouvaient s'arranger. Mais ce que je sais, c'est que tant qu'il y aura des pourritures qui continueront de sévir en ce bas monde, moi, Johnny Behemoth premier et seul du nom, je serai là pour leur piétiner la gueule et leur rappeler que s'il n'y a plus de justice y aura toujours mon 44 pour remettre un peu d'ordre dans tout ce bordel qui nous entoure.

Il tapota la crosse de son magnum comme pour donner plus de poids à sa harangue.

Fawkes se mit à applaudir sans retenue, bientôt imité par Cross. Finalement tous les paladins et scribes présents dans la salle saluèrent l'oraison du mercenaire qui en fut le premier étonné.  Même Kodiak se surprit à sourire.

L'Aînée Lyons le toisa avec amusement :

- Et bien, on peut dire que vous savez soigner votre entrée, Johnny Behemoth. Je pourrais certainement vous trouver un rôle à jouer d'ici peu.

Le mercenaire savoura la nouvelle.

- Ce sera avec grand plaisir.

Et Fawkes de l'enlacer à nouveau.

- Arrête, ils vont finir par croire qu'on est marié !

- A propos, fit le mutant profitant d'un nouveau discours de Lyons à l'adresse de ses hommes, où est Emma ? Elle va bien ?

- Oui. Elle est à Big Town pour quelques jours. Elle a retrouvé de la famille là-bas. Je me suis dit que c'était l'occasion idéale de venir voir un vieil ami. On dirait que je tombe à pic !

- Oui, exulta Fawkes, c'est reparti pour un tour !

 

Chapitre 4 : La Croisière s'amuse

 

La confrérie avait assez de connaissances pour lancer l'Opération Coup de Poing.

L'Aînée Lyons souhaita bonne chance à ses troupes, vêtu de sa fidèle robe de scribe bleue et les regarda quitter l'enceinte de la Citadelle, conscient des enjeux.

L'escouade était dirigée par le Paladin Stellaire Cross et composée de l'inénarrable duo Johnny/Fawkes, du Paladin Kodiak, du Chevalier Artemis, du Chevalier Capitaine Dusk (sniper expert) et de quatre recrues qui avaient déjà démontré leur potentiel dans de précédentes missions.

Ils partaient rejoindre DC. Ils pensaient prendre le métro, mais Johnny leur avait proposé une solution plus rapide et moins risquée. Il connaissait une femme qui possédait un bateau et qui pourrait leur faire traverser le fleuve en moins de deux. Le temps était trop précieux pour se permettre des pérégrinations inutiles.

La femme en question s'appelait Nadine. C'était une rousse au tempérament volcanique qui affichait une apparence de mercenaire avec ses vêtements usés et son canon scié à la ceinture. Nul doute qu'elle avait dû vivre de drôles d'aventures, elle aussi. Les paladins comprirent rapidement comment il avait été facile pour Johnny d'obtenir son assistance. Ils étaient faits du même bois.

L'après-midi touchait à sa fin lorsqu'ils montèrent à bord. Nadine les accueillit froidement, mais personne ne s'en plaignit.

Le départ fut rapidement donné et le bateau se dirigea vers l'autre rive, vers DC.

- Alors, fit Nadine, tandis que Johnny la rejoignait dans la cabine de pilotage, quoi de neuf dans les Terres désolées ?

Johnny croisa les bras sur sa poitrine et observa distraitement le fleuve.

- Bah, la routine. Des méchants pas beaux à dérouiller.

Puis son visage s'éclaira.

- Ah, si. J'ai gagné une moto très sympa. Tu adorerais. Faudra que je t'emmène faire une ballade, un de ces quatre.

Nadine renifla comme si quelque chose l'incommodait. Elle aussi faisait mine de s'intéresser au fleuve.

- Et Emma ?

- Elle va bien. Elle est à Big Town pour quelques jours. Elle a retrou...

- Ca ne lui fait rien ?

- De quoi ?

Nadine regarda Johnny avec une franchise qui le désarçonna.

- De te savoir avec moi.

Johnny se racla la gorge.

- Et bien, à dire vrai, elle ne sait pas réellement ce que je fais. J'étais venu voir mon ami Fawkes et...

- Le mutant ? fit-elle en riant.

Johnny afficha une gêne plutôt rare chez lui.

- Oui, le mutant.

Nadine reporta son regard vers l'avant.

- Je pensais que tu finirais un jour par trouver un partenaire digne de toi. Je pensais juste que ce serait quelqu'un d'autre.

Johnny s'approcha d'elle.

- Je sais ce que tu penses. Mais c'est pas aussi simple. Je suis avec Emma, maintenant.

Nadine le dévisagea. Son regard troubla le mercenaire. Et autant dire qu'il en fallait beaucoup pour le troubler.

- C'est sûr que les tentations sont moindres avec un mutant.

Johnny supporta son regard, non sans effort.

- Exactement.

Puis comme s'il ne s'était rien passé, elle prit un ton jovial et donna un coup de gouvernail pour éviter un récif :

- Si tu me dois une ballade, alors moi aussi. Je connais un coin que tu rêverais d'explorer. C'est un peu humide, mais ça change vraiment des Terres Désolées. J'y ai vécu de sales moments, mais j'avoue que ça m'a aidé à me forger un caractère en acier.

- Et comment il s'appelle ce paradis ? fit Johnny plus qu'intéressé.

- Ca s'appelle Point Lockout. Les indigènes sont tout à fait ton genre : laids, dangereux et ils pullulent comme des goules dans un métro.

- J'avoue que c'est tentant. Je suis en manque de nouvelles têtes, ces temps-ci...

Fawkes apparut à l'entrée de la cabine.

- Dites, chef, j'ai un truc à te dire.

Nadine adressa un clin d'œil narquois au mercenaire.

- Vous voulez que je vous laisse la cabine.

Johnny secoua la tête en souriant.

- Qu'est-ce qui se passe ?

- On a repéré du mouvement dans l'eau.

- Des fangeux, tu crois ?

Fawkes haussa les épaules.

- Possible.

Nadine vérifia son canon scié.

- Ces saloperies me fichent la paix d' habitude, mais quelques fois...

Il y eut un choc terrible et les trois héros faillirent se retrouver les quatre fers en l'air.

En bas, les paladins étaient sur le qui vive.

- En voilà un,  annonça Dusk en mettant un fangeux en joue.

La créature était en train de remonter à la surface à une vingtaine de mètres. Elle arborait comme tous ses semblables une solide carapace et une tête presque invisible. Elle brassait l'eau de ses membres inhumains. On aurait dit une espèce de crabe géant. En beaucoup moins savoureux. Il nageait parfaitement et ses membres postérieurs lui permettaient de surcroît de se déplacer facilement sur la terre ferme où il osait parfois s'aventurer. Un curieux mélange dû encore une fois aux radiations post-nucléaires.

Dusk fit feu avec une précision chirurgicale. La balle perfora le visage du fangeux qui demeura aussi inerte qu'une bouée.

- Joli tir ! dit Johnny qui venait de redescendre. Il se félicita d'avoir un soldat tel que lui à ses côtés. Etant donné ce qu'ils allaient bientôt affronter, ce n'était pas du luxe.

Dusk continua de fouiller le fleuve avec la lunette de son fusil, bientôt imité par Johnny et son 44 amélioré. Le bateau reprit sa route. Il avait dû heurter une épave.

Le fond du fleuve était rempli de débris.

- De ce côté, attention !

Une recrue venait de déceler un roi fangeux. D'apparence beaucoup plus humaine, il détenait une arme terrible : un rayon sonique qu'il projetait en hurlant.

Le jeune soldat réagit trop tard et il reçut un rayon en pleine tête. Il s'écroula aussitôt.

Cross l'examina rapidement.

- Il a perdu connaissance.

Elle fit parler son fusil laser et toucha la créature ainsi qu'une autre qui émergeait à proximité.

- Il en vient de tous les côtés ! cria-t-elle.

Les rois fangeux harcelaient les paladins de leurs attaques, les distrayant et permettant aux fangeux de se rapprocher plus facilement du bateau. L'un d'eux parvint à monter à bord. Il reçut un chapelet de plomb, mais heurta un soldat avant de mourir sur le pont. La malheureuse recrue tomba à l'eau et avant que ses camarades aient pu intervenir, trois fangeux réglèrent son sort.

- Fumiers ! rugit Kodiak. Je vais tous vous bouffer, sales crabes de merde !

Johnny arracha quelques grenades de l'équipement d'un des paladins et les lança dans l'eau. Un magnifique geyser souleva trois cadavres de fangeux.

- On dirait qu'on aura de la soupe pour ce soir !

Dusk abattit un roi d'une balle en pleine tête et observa avec satisfaction sa cervelle en apesanteur.

Fawkes se précipita à la poupe. Plusieurs fangeux étaient en train de grimper par-dessus le bastingage.

- C'est l'heure du bain de sang !

Il brandit sa gatling laser et fit de la compote de fangeux. Des pinces restèrent accrochés au parapet comme d'improbables ornements.

- On dirait qu'ils se calment, dit Artémis après avoir vidé un chargeur sur un groupe de créatures.

- Je vais voir Nadine, déclara Johnny.

Tandis qu'il montait l'escalier, un roi fangeux grimpa à bord et lui balança un rayon. Le mercenaire poussa un cri et tomba dans les marches.

- Johnny !

Fawkes fit volte-face. Il vit la créature grimper dangereusement vers la cabine.

Le roi fangeux tomba nez à nez avec une jeune femme rousse au tempérament volcanique. Détail d'importance elle braquait contre son faciès hideux le canon d'un calibre 12.

- Désolé, je prends pas les clandestins !

La seconde d'après, elle explosait littéralement le crâne de l'imprudent.

Les fangeux comprirent la leçon et cessèrent leurs attaques. On put alors s'occuper des blessés.

Johnny et l'une des recrues étaient allongés chacun sur une banquette et se remettaient doucement. Fawkes veillait consciencieusement sur le mercenaire.

- Je vais bien, le rassura Johnny. Je suis juste un peu sonné.

- Nous avons déjà perdu un homme, constata Kodiak. Cette mission sent pas bon.

- Allons, fit Cross, nous savons bien que dans ce genre d'entreprise, le voyage en lui -même fait partie des risques.

- Et si c'était un piège ? s'inquiéta une recrue. Et si l'Enclave avait laissé ses informations à dessein, afin de nous tendre une embuscade ?

- Dis-toi que nous y avons pensé, répondit Artémis et que c'est pour ça que nous avons choisi d'emmener des bleus tels que toi !

L'autre ne trouva plus rien à dire.

La tension était palpable. Chacun était pressé de mettre pied à terre et de tomber dans la gueule du loup si tel était leur destin. Le doute était plus irritant encore.

 

Chapitre 5 : Dans la Gueule du Loup

 

L'escouade fut soulagée une fois le bateau amarré de l'autre côté du fleuve.

Les paladins remercièrent Nadine qui leur offrit quelques provisions pour la route.

- Je vous ai même fait du pâté de fangeux, dit-elle en riant.

Johnny lui fit un signe de la main depuis la berge.

- A bientôt sale rouquine !

- Dégage, beau blond !

Puis il rejoignit les autres en ignorant le malaise qu'il ressentait.

Leur progression à travers les ruines de la capitale se fit dans un silence presque royal. Les membres de la confrérie n'étaient pas très loquaces et Johnny lui-même se perdait régulièrement dans ses pensées. Fawkes n'osait le divertir de peur de déclencher son courroux.

Le mutant se mit à siroter un nuka cola quantum.

La bouteille explosa dans sa main.

Les paladins se mirent immédiatement à couvert.

- Vous voyez quelque chose ? s'enquit Cross.

Dusk et Johnny fouillèrent la place et les immeubles dévastés à l'aide de leur lunette respective.

- Y en a deux derrière l'abribus, annonça le second.

- Et un dans l'immeuble à droite, renchérit le premier.

Cross médita un instant avant d'ordonner :

- Fawkes fait parler ta gatling sur l'abribus. Dusk, tu décolles pas ton viseur de l'immeuble. Dès que tu peux, tu tires !

Le mutant se dressa et arrosa la cible désignée d'une bonne rafale de laser.

Les deux hommes planqués changèrent de position et se découvrirent un peu. Suffisamment pour être identifiés. C'était des soldats de l'Enclave. Ils avaient dû établir un avant-poste en vue de dissuader d'éventuels visiteurs de s'approcher de leur base secrète.

Tous les paladins se mirent à ouvrir le feu sur les deux soldats qui répliquèrent avec leur fusil à plasma. Touché, Artemis se renversa en arrière.

Dans l'immeuble, quelque chose bougea. Dusk mit rapidement la menace dans sa ligne de mire. Une balle siffla à un pouce de son casque. La sienne trouve le front du tireur embusqué qui chuta du haut de son perchoir avant de s'écraser sur une carcasse de voiture.

- Cessez le feu ! hurla Cross.

Les trois ennemis étaient morts. Kodiak et sa massue allèrent s'en assurer de plus près. Artemis se faisait soigner par les recrues.

- Venez voir ! cria Kodiak .

L'escouade le rejoignit près du corps du sniper de l'enclave. Il avait perdu son casque.

- C'est Bones ! s'exclama Cross. C'est un des nôtres. Il a disparu il y a une semaine. On a cru que les mutants en avaient fait l'un des leurs.

Johnny caressa une marque étrange sur une de ses tempes.

- Je crois que l'Enclave commence à se spécialiser dans les expériences d'un goût douteux.

Ce terrible constat ne fit que renforcer la détermination du groupe.

Kodiak serra les dents de plus belle. Ils offrirent une sépulture décente au paladin Bones et se remirent en route.

 

La route était monotone. Les ruines de DC offraient peu d'intérêt. Mais le groupe était aux aguets, s'attendant à tout moment à subir un autre assaut de l'Enclave.

Ils parvinrent à une autre place. Il n'y avait pas d'autre chemin possible, il leur fallait la traverser.

- Un instant, dit Dusk.

L'œil rivé à sa lunette, il inspectait le sol.

- Ma main à couper que c'est un champ de mines.

- Qu'est-ce qui te fait dire ça ? s'enquit Cross.

Le sniper tira et la seconde d'après une explosion creusa un cratère fumant aux dimensions inquiétantes.

- Ca !

- Des mines à plasma, grogna Kodiak. Ca va être coton !

Fawkes bomba le torse.

- Laissez-moi y aller, dit-il. Je vais vous frayer un chemin. Je suis le plus costaud.

- Non, fit Johnny en l'arrêtant. T'es juste le plus cinglé. Y a sûrement une meilleure solution.

L'une des recrues du nom de Texas s'avança.

- Avec votre permission, je me porte volontaire. Dusk sera mon guide, il me dira où aller. Je baliserai le chemin avec ces fumigènes au fur et à mesure de ma progression. Vous n'aurez alors plus qu'à les suivre. J'ai eu la meilleure note aux tests d'aptitude physique. Je suis l'homme de la situation.

Devant tant d'ardeur, Cross ne put qu'approuver.

- Bonne chance, soldat !

- On est avec toi, l'encouragea Johnny.

Le volontaire jeta un dernier regard au peloton avant de commencer son périple. Dusk sentait une pression monstre sur ses épaules. Mais il avait de l'expérience et une totale confiance en ses capacités. Ce genre de responsabilité le grisait plus qu'une bouteille de whisky.

- Vas-y, Texas, tout droit !

- Tout droit ! répétèrent les autres à l'unisson.

L'intéressé sourit.

- Bien reçu.

Cross le regarda évoluer avec angoisse sur ce qui était ni plu ni moins un tapis de bombes. Elle décida de détendre tout le monde, à commencer par elle :

- Fais attention ! Ce serait dommage de trouer ce joli petit cul !

- Un poil sur ta gauche ! annonça Dusk. Oui, comme ça !

Johnny se mordait la lèvre. Il se sentait impuissant. Et il détestait ça.

- Pour un peu, dit Dusk, il n'aurait presque pas besoin de moi. Il se débrouille comme un chef. J'ai l'impression qu'il voit les mines avant moi. Regardez-le, il est déjà presque de l'autre côté.

Texas venait de poser un nouveau fumigène sur ses pas lorsqu'une explosion retentit.

Tout le monde sursauta.

Dusk fit pivoter sa lunette.

- C'est rien, c'était juste une saloperie de radcafard.

- Texas, continue !

L'œil du sniper s'écarquilla brusquement.

- Attention, sur ta droite !

Texas interpréta l'ordre donné de travers à moins que ce ne fut Dusk qui commit une maladresse. Il crut qu'il devait aller à droite alors que c'était précisément là que résidait le danger. L'explosion fit voler le corps du jeune soldat à plusieurs mètres de hauteur. Les autres virent avec horreur une jambe se détacher dans un flot de sang.

- Putain, c'est pas vrai ! s'emporta Dusk, empli d'incompréhension.

Les larmes aux yeux, il tira sur une mine permettant au corps de Texas de retomber sans danger de l'autre côté de la place. Il avait réussi à leur tracer la route. Mais à quel prix. Dusk fut le premier à passer derrière lui, ce qui était compréhensible.

Lorsque tous les autres l'eurent rejoint, Texas ne respirait plus. Et pourtant son visage rayonnait. Comme s'il mesurait pleinement ce qu'il avait accompli.

Dusk prit son holoplaque.

- Je te jure qu'on se souviendra de toi ! Je te le promets.

 

 La mort de Texas laissa planer un silence de mort sur le groupe déjà peu enclin à converser. Seul Fawkes s'autorisait à chantonner de temps en temps, ce que tout le monde appréciait finalement sans l'avouer :

 

«C'est qui qui tourne pas rond ?

C'est l'Enclave !

 C'est qui qui va manger du plomb ?

C'est l'Enclave !

C'est qui qui va lui refaire le portrait ?

C'est nous, la Confrérie de l'Acier !

 

Dusk secouait régulièrement la tête, caressant l'holoplaque du défunt. Johnny l'observait. Il avait de la peine pour lui.

Il serra les poings. L'Enclave allait payer au centuple les pertes subies. Il pouvait le lire sur chaque visage.

- D'après le plan, dit Artemis, on ne devrait plus être loin.

Il n'avait pas plus tôt dit cela que Dusk repérait deux soldats de l'Enclave encadrant l'entrée d'une simple tente.

L'escouade se mit rapidement à couvert pour aviser de sa future stratégie.

- Le mieux serait de ne pas déclencher l'alerte, commença Cross. On ignore combien ils sont là-dedans !

- Dans une tente, y a pas beaucoup de place ! observa Fawkes.

- Cette tente est une vitrine pour ne pas attirer l'attention, expliqua Artemis. Le véritable accès est souterrain.

Fawkes se tordit le cou pour semble-t-il examiner le bas de son dos.

- Laisse tomber, dit Johnny en s'amusant du quiproquo.

Kodiak poussa un grognement pour annoncer qu'il allait parler :

- Je propose qu'on les contourne. Moi et...tiens, Johnny !

Les deux hommes s'apprêtaient à quitter leur poste quand Fawkes jeta quelque chose sur le sol. C'était une armure de l'Enclave.

- C'est celle de Bones ! Elle pourrait permettre à l'un de vous d'entrer incognito, non ?

Johnny le gratifia de son sourire charmeur :

- Alors, toi, tu m'étonneras toujours !

Puis il se passa une main sur le menton en dévisageant le super mutant :

- En y réfléchissant bien, on pourrait même y entrer à deux !

 

Quelques instants plus tard, un soldat de l'Enclave accompagné d'un super mutant s'approchait de l'entrée de la tente.

Les gardes ne parurent pas trop étonnés de cette visite. Mais ils manifestèrent une certaine nervosité en voyant que le mutant était assez vivace.

- Ne vous inquiétez pas, fit le soldat, je lui ai injecté un tranquillisant. Il ne fera aucune vague.

- Tu n'es pas au courant ? On ne prend plus de spécimens. Apparemment, il y a un souci au niveau du comportement des hybrides. On a reçu l'ordre de contrôler d'abord ceux-là avant de refaire des expériences de mutation.

Johnny allait répondre quelque chose lorsque l'autre garde lui demanda :

- Je reconnais pas ta voix. Tu serais pas...

- Bones, termina le mercenaire. Je suis Bones. Mes deux partenaires se sont faits liquidés à l'avant-poste. J'en ai réchappé de justesse. Heureusement, je reviens pas les mains vides.

- C'est con, dit le premier garde, mais Bones a eu la langue arrachée pendant son interrogatoire. Il y a une semaine.

Johnny caressa le 44 planqué dans son dos. Il se mit à rire.

- C'est vrai que c'est très con !

Les deux gardes pointèrent leur fusil à plasma, mais avant d'avoir pu faire feu, ils recevaient chacun deux balles dans le crâne.

- Merci Dusk, fit Johnny sans se retourner.

 

Quelques minutes plus tard, ils étaient tous les sept à l'intérieur de la tente. Artemis avait dit vrai. Une porte métallique permettait d'accéder à un souterrain. Seulement elle ne s'ouvrait que par un terminal. Qui réclamait un code bien spécifique.

- Merde ! gronda Kodiak. Ca commence à bien faire ces conneries !

Il s'empara de la gatling laser de Fawkes.

- Je vais vous faire une serrure, moi !

Cross l'arrêta à temps.

- T'es malade, Kodiak ! Si tu fais ça, on peut dire adieu à la discrétion.

Kodiak la défia du regard :

- On est pas venu faire de la dentelle, que je sache !

- Moins on se fera repérer, mieux ce sera. A partir de maintenant, nous n'avons plus aucun indice sur ce qui nous attend. A part que les scientifiques de l'Enclave ont donné naissance à une espèce contre-nature qu'ils maîtrisent plus ou moins bien. C'est pas le moment de perdre les pédales. Ok ?

Kodiak souffla un grand coup et rendit son arme à Fawkes.

- Désolé, Cross.

- Bon sang !

Artemis en avait profité pour s'installer devant le terminal. Et visiblement, les choses ne se présentaient pas très bien.

- Il ne me reste plus qu'une seule chance, après ça l'ordinateur se verrouille définitivement. J'ai le choix entre trois mots.

- Lesquels ? demanda une recrue du nom de Manfred.

- Adversité, horizon ou déficience.

Tout le monde se mit à réfléchir sur le choix le plus logique.

- Adversité, dit Johnny. Ca symbolise leur lutte contre vous, contre la Confrérie.

- Je dirais plutôt horizon, dit Cross. L'horizon c'est le futur et c'est justement ce qu'ils pensent fabriquer en ce moment.

- Choisis déficience, déclara l'autre recrue prénommée Salt avec une surprenante assurance.

- Pourquoi, interrogea Artemis. Les autres ont de bons arguments. Quel est le tien ?

- J'ai obtenu la note maximale aux tests de logique et de psychologie.

Artemis sourit.

- C'est un très bon argument.

Il attendit une approbation de Cross avant d'appuyer sur une touche du clavier.

- Va pour déficience !

Un chuintement métallique les figea tous sur place. Artemis se recula de peur que le terminal ne soit piégé. La porte coulissa et ils distinguèrent une volée de marches.

Tandis qu'ils descendaient dans les profondeurs, Salt se rapprocha d'artemis :

- Je t'ai menti. Je suis passé de justesse aux tests. Le vrai argument c'est que j'ai toujours eu du bol aux devinettes. Mais avoue que ça ne t'aurait pas convaincu !

 

Chapitre 6 : L'Arme Parfaite

 

Ca y était. Ils venaient de plonger dans la gueule du loup, dans l'antre de la folie.

Ils cheminèrent dans un réseau de galeries, suivant les conduits principaux.

- Ils nous mèneront à coup sûr aux laboratoires, expliqua Artemis.

Toujours revêtu de l'armure de l'Enclave, qu'il trouvait très inconfortable, Johnny Behemoth ouvrait la marche, Fawkes était en queue de peloton. La lumière éclairait le tunnel par intermittence, comme si le réseau électrique avait subi un disfonctionnement.

- On dirait que l'Enclave a pas payé sa facture, plaisanta le mercenaire.

Ils passèrent devant plusieurs portes verrouillées dont l'accès leur était interdit. Même pas de terminal à proximité. La base ne leur livrerait pas tous ses mystères.

En même temps,  ils n'étaient pas venus faire un état des lieux.

- Ca s'élargit, annonça Johnny.

Aussitôt les mains se resserrèrent sur les armes.

- Merde !

Johnny venait de se baisser. Il avait buté dans un objet mou.

Manfred, qui était derrière lui, s'alarma :

 - Qu'est-ce qu...

Une rafale couvrit le reste de sa phrase et la recrue tomba sur ses équipiers, le casque perforé. Son visage n'était plus qu'une infâme bouillie.

- Non !

Dusk se baissa et pointa son fusil. En deux coups, il détruisit la tourelle Mark VI vissée au plafond et qu'aucun d'eux n'avait su repérer dans la pénombre.

- Il est mort, dit Artemis.

Salt se sentit soudain très seul :

- Si c'est un bizutage, il est vraiment de très mauvais goût !

Evidemment, personne ne rit. Les pertes se montaient à trois. Trois bleus. Trois initiés. Mais il fallait poursuivre, coûte que coûte.

- Regardez, dit Johnny. J'ai marché sur un corps.

Ils se baissèrent pour l'examiner.

- C'est un soldat de l'Enclave.

- Qu'est-ce qui s'est passé ?

Kodiak caressa l'armure qui présentait des griffures et un trou béant au niveau de la poitrine.

- On dirait qu'il est tombé sur un écorcheur. Mais regardez la taille des blessures. Un spécimen comme ça, ça n'existe pas. Le bougre s'est fait littéralement décapsulé.

Les soldats se dévisagèrent.

- Je crois qu'on a une petite idée de la tournure des évènements, dit Cross. Un mélange d'écorcheur et de super mutant, ça ne pouvait pas donner un rataupe. On a affaire à une super espèce comme on n'en a jamais vu. Une arme parfaite.

- Et en totale liberté, ajouta froidement Kodiak.

- Ce n'est peut-être qu'un accident isolé, espéra Salt, peu enclin à se mesurer à un super écorcheur.

Johnny se redressa, le magnum au poing :

- Quelque chose me dit qu'on va rapidement le savoir.

Un chuintement métallique résonna dans leur dos et ils assistèrent impuissants à la fermeture du tunnel par une porte blindée. Sitôt après, une voix de femme enregistrée annonça avec le plus grand calme :

- Danger sécurité niveau 4 ! Fermeture des accès principaux ! Tout le personnel est invité à quitter la base en empruntant les sorties d'urgence. Je répète : danger sécurité niveau 4...

- Y a combien de niveaux ? s'inquiéta Salt.

- En principe, y en a cinq, répondit Cross.

- Et qu'est-ce qui se passe à ce moment-là ?

Kodiak regarda l'initié avec un sourire de prédateur :

- Boum !

- De mieux en mieux ! ajouta l'initié. Dire que j'étais content de venir.

- Ouais, mais si on s'en sort, bonjour les honneurs, déclara Johnny.

Dusk ne partageait pas son point de vue :

- Raconte ça à Texas !

Cross sentit que c'était le bon moment pour ressouder l'équipe :

- Allez les gars, c'est pas l'heure de chômer ! On a pas encore nettoyé l'endroit. On doit s'assurer qu'ils ne pourront pas poursuivre leurs travaux ! Qui sont déjà bien trop avancés, fit-elle remarquer.

La galerie s'était suffisamment élargie pour qu'ils avancent sous forme de  trois binômes : Johnny/Dusk, Cross/Kodiak et Artemis/Salt. Fawkes fermait toujours la marche, sa gatling prête à œuvrer.

Ils avaient l'impression de marcher depuis des jours. Ils trouvèrent d'autres cadavres : soldats, officiers, scientifiques, parfois dans des postures qui laissaient deviner une fin violente et particulièrement soudaine. L'un des officiers était assis à une table. Il tenait encore un verre à la main, à la hauteur de ses lèvres, la moitié supérieure de sa tête reposant sur ses genoux.

- L'arroseur arrosé, observa Johnny.

De la fumée commença à s'engouffrer dans le tunnel au moment où ils descendirent une autre volée de marches.

- J'ai l'impression de m'enfoncer dans les entrailles de l'Enfer, avoua Salt.

- Alors préparons-nous au comité d'accueil ! renchérit Johnny.

La fumée s'épaissit, leur masquant à leur plus grand soulagement d'autres carnages qui avaient laissé sur les parois des éclaboussures peu ragoûtantes. Ils entrèrent dans une salle faisant office de vestiaire pour les scientifiques. Des corps mutilés jonchaient le sol. Les murs avaient été perforés par endroits, preuve qu'un combat terrible avait fait rage.

Kodiak n'en pouvait plus d'attendre une inévitable confrontation :

- Mais bon sang, qu'elles s'amènent ces pourritures sans nom !

Un grondement épouvantable répondit à son appel. Johnny sentit une présence avant qu'une force terrible ne le soulève dans les airs !

- Où est-il ? Je ne le vois pas ! cria Fawkes.

Johnny retomba violemment au sol, se félicitant d'avoir conservé l'armure de l'Enclave. Sans cela, il aura déjà rejoint le paradis des mercenaires.

Un cri retentit. Artemis tomba à son tour.

Kodiak se mit à faire de grands moulinets avec sa masse.

- Mais montre-toi, bordel de merde !

Puis ce fut Fawkes qui fit les frais d'une nouvelle attaque du prédateur qui pour l'heure demeurait toujours invisible.

- Je le tiens, hurla-t-il. Abattez-le !

Le mutant pissait le sang. Il avait lâché sa gatling laser.

Cross et Dusk firent feu de concert. Et c'est alors qu'ils virent les contours de leur ennemi se dessiner fugitivement. Il portait un camouflage optique. Tel un caméléon.

- Qu'est-ce que c'est que ce délire ?

Le monstre délaissa Fawkes et fit mine de s'intéresser aux autres. Salt évita de justesse une décapitation. Dusk tira une balle en espérant atteindre le crâne de la bête. Kodiak n'attendit pas le résultat et sa masse décrivit un magnifique arc de cercle. Le choc expédia le prédateur contre les casiers du vestiaire qu'il écrasa sous son poids formidable. Terrifiés, ils l'entendirent se relever d'un coup qui aurait assommé un behemoth. Furieux, Kodiak s'élança. La bête le repoussa d'un coup de griffe avant de prendre une balle de 44 entre les yeux.

Le monstre s'écroula face contre terre et apparut enfin aux yeux de tous. Son allure générale évoquait bien celle d'un écorcheur, à la différence qu'il était plus grand que n'importe lequel d'entre eux, plus massif et que ses griffes et ses cornes étaient encore plus démesurées. Et il était aussi vert que Fawkes.

Cross ne pouvait détacher ses yeux du cadavre qu'elle s'attendait à voir bondir à tout instant :

- Mon dieu, mais qu'est-ce qui leur a pris de donner naissance à un truc pareil !

- Une déficience mentale ! supposa Salt. Je comprends mieux le code d'entrée, maintenant.

On s'assura que la bête était belle et bien morte, puis on s'occupa des blessés.

Artemis était assez mal en point tout comme Fawkes. Ils nécessitaient tous deux des soins importants. Johnny s'en sortait mieux. Mais son bras droit le faisait souffrir plus qu'il ne l'eut souhaité.

- Et combien y a-t-il de ces charmantes créatures ? s'enquit Fawkes en grimaçant tandis que Cross appliquait un pansement sur sa poitrine déchirée.

Salt ramassa un imprimé taché de sang. En le déchiffrant, son visage devint blanc comme un linge :

- Une trentaine !

Kodiak s'assit sur un banc en secouant la tête :

- Je savais que cette mission sentait pas bon !

La voix précédente annonça :

- Alerte niveau 5. Danger maximum. Toutes les issues vont être verrouillées dans quelques instants. La phase d'auto-destruction sera enclenchée dans vingt minutes.

Personne n'osa faire de commentaire. Mais l'espoir commençait à se faire aussi rare qu'un sourire sur un fangeux.

Ils allaient se remettre en route quand une voix étouffée se fit entendre :

- Sortez-moi de là, je vous en supplie !

Les membres de l'escouade se retournèrent comme un seul homme. L'un des casiers sur lesquels le monstre s'était écrasé venait de parler. Couvert par ses équipiers, Fawkes s'en approcha et toqua à la porte :

- Y a quelqu'un dans la boite ?

Il souleva le casier et d'une simple secousse il ouvrit la porte et libéra son contenu. Un scientifique de l'enclave en combinaison dégringola de sa cachette improvisée. En tombant nez à nez avec le cadavre du super écorcheur il poussa un hurlement.

- Il est mort, l'informa placidement Kodiak en le soulevant d'une main. Son regard n'eut alors rien à envier à la gatling laser de Fawkes :

- Et tu vas bientôt l'imiter, salopard !

Cross s'avança, la mâchoire serrée :

- Ca vous a pas suffi de trafiquer les mutants et les écorcheurs, il a fallu aussi que vous fassiez joujou avec les cerveaux de nos gars !

Le survivant s'affola :

- Pitié, je vous dirai tout ce que je sais !

- Combien vous avez de prisonniers, poursuivit Cross, combien de nos hommes croupissent dans cette base ?

Kodiak secoua le scientifique qui peinait à trouver ses mots :

- Réponds, enfoiré ! Combien ?

- Un, un seul ! Je vous jure que c'est vrai. Mais il n'est pas ici en ce moment. Il est...

- Mort, acheva Dusk. Il s'appelait Bones. Et c'est moi qui l'ai tué.

Il colla le canon de son fusil sur le front ruisselant de sueur du chercheur :

- T'as voulu jouer à Dieu. Mais c'est l'Enfer que tu vas connaître.

- Ca suffit ! intima Cross. Nous ne le tuerons pas. Les infos qu'il détient sur l'Enclave valent plus que son cadavre. C'est l'intérêt de la Confrérie qui prime sur toute autre considération. L'Aînée Lyons en personne voudra l'interroger. Ne le privez pas de ce plaisir.

Cross était un soldat aguerri doublé d'une femme intelligente. Elle connaissait suffisamment ses hommes et en particulier Kodiak pour savoir qu'en mentionnant le nom de leur leader, elle parviendrait sans peine à restaurer le calme et la raison dans les esprits.

Tandis que Kodiak libérait leur prisonnier, Cross le fusilla du regard :

- Ne te crois pas sauvé pour autant. Tu regretteras bientôt la compagnie des supers écorcheurs lorsque nous t'exposerons dans la Citadelle à la vue de tous.

L'intéressé déglutit lentement, puis il dit :

- Si vous m'emmenez avec vous, je dois récupérer des archives dans mon bureau. C'est par ici.

- Il recula vers l'issue qu'ils avaient emprunté pour venir. Son bas-ventre explosa, aspergeant les soldats les plus proches de morceaux d'intestins. Quelque chose remonta en un éclair jusqu'au sommet de son crâne, sectionnant son buste sur toute sa hauteur. Le super écorcheur quitta son camouflage intégral. Il lécha sa main toute poisseuse de sang et enjamba sa victime avec un mouvement presque félin. Ses petits yeux jaunes jetaient des lueurs diaboliques.

Johnny lui fit sauter la main d'un tir bien ajusté et les autres se chargèrent de lui amputer les jambes avant qu'il puisse bondir sur eux. Lorsque son corps s'abattit sur le sol, il respirait encore. Kodiak appuya alors une botte sur sa nuque et laissa tomber sa massue sur son crâne hybride :

- Avec nous, ton espèce ne fera pas de vieux os !

 

Ils reprirent leur progression, attentifs au moindre bruit suspect, à la limite de la paranoïa.

Cross était en tête du cortège, suivait Dusk, Salt soutenant Artemis, Johnny épaulant Fawkes et Kodiak fermant la marche, armé de la gatling laser du mutant.

Artemis déchiffrait le reste du document trouvé par l'initié :

- Ils mentionnent plusieurs fois le stealth boy que nous savons tous être un gadget très pratique pour bénéficier d'une furtivité limitée. Il semble que ses composants entrent dans la structure cellulaire du super écorcheur. Pour notre plus grand malheur.

- Une arme vraiment parfaite, nota Cross. Y a-t-il d'autres surprises au menu ?

Artemis poursuivit sa lecture avant de secouer la tête :

- S'il y en a, elles ne sont pas indiquées ici.

Ils entendirent une autre porte se fermer derrière eux. L'avenir devenait de plus en plus incertain pour l'Opération Coup de Poing.

Ils finirent par atteindre le labo principal où les attendait un spectacle des plus macabres.

D'autres scientifiques gisaient ça et là, dans d'écoeurants tas d'entrailles. Un nombre important de soldats avaient aussi trouvé la mort emportant avec eux quelques prédateurs. Mais en faisant les comptes, il restait assurément des créatures en nombre suffisant pour inquiéter les membres de la Confrérie de l'acier.

- Faut buter les saloperies qui restent et trouver un moyen de se casser d'ici rapidement !

Cross jaugea Kodiak avec un sourire.

- Je n'aurais pas mieux dit !

Ils examinèrent les installations.

Les gigantesques containers en verre brisés par leurs occupants témoignaient de la sortie prématurée des créatures hybrides. Et de l'échec du projet. Enfin, d'un certain point de vue. Car le moins que l'on pouvait dire, c'était que les créatures étaient parfaitement viables.

Des corps de super mutants et d'écorcheurs maintenus dans une sorte d'état végétatif attendaient sagement de servir de cobayes pour de futures expériences.

La gatling laser détruisit ce destin programmé par l'Enclave.

Artemis, accompagné de Salt, compulsait toutes les données auxquels il pouvait avoir accès via les terminaux et les formulaires abandonnés. Il désigna un cercle sur le sol au centre de la salle et un autre visible sur la voûte éloignée.

- Apparemment, ça doit s'ouvrir des deux côtés.

- Auto-destruction dans dix minutes ! annonça la voix enregistrée.

Salt et Artemis s'associèrent joyeusement pour trouver le code d'accès.

- Les voilà !

Pas moins de sept supers écorcheurs jaillirent dans le labo. Ils se tenaient légèrement voûtés comme de simples écorcheurs, mais leur teint verdâtre et leur gabarit rappelait inévitablement l'autre espèce à laquelle ils étaient affiliés.

- Feu à volonté ! ordonna Cross pour la plus grande satisfaction de tous.

Salt et Artemis redoublèrent d'efforts pour déloquer la commande du sas d'urgence.

Kodiak pulvérisa deux créatures. Dusk en abattit deux aussi. Affaibli, Fawkes regardait alentours afin de détecter une menace moins évidente. Johnny, quant à lui, faisait parler avec une égale efficacité son calibre 12 et son magnum 44.

Finalement, c'était les super écorcheurs qui allaient payer la facture de leurs créateurs. Il ne resta bientôt plus que des cadavres troués comme des passoires.

Kodiak cracha au sol :

- La génétique, je la nique !

Quelque chose lui tomba dessus sans crier gare. Il chuta sur le ventre et impuissant, sentit des griffes meurtrières creuser un tunnel dans son armure !

- Merde ! Débarrassez-moi de lui !

Son agresseur était camouflé. Ses équipiers tirèrent au jugé.

- Il y en a d'autres ! hurla Fawkes en empoignant la massue de Kodiak d'une main ferme.

Johnny se tint près de lui et fit feu avec son canon scié, terrassant un prédateur à bout portant.

Dusk repéra des empreintes faites dans une flaque de sang. Il vida un chargeur sur la créature qui pensait être totalement invisible.

- Où en sont les comptes ? interrogea Kodiak. Combien nous en reste-t-il à zigouiller ?

- S'il y en a bien une trentaine, répondit Cross, il doit nous en rester une dizaine.

Ils profitèrent de l'accalmie pour recharger. Cross rejoignit Salt et Artemis.

- Qu'est-ce que ça donne de votre côté ?

En guise de réponse, une ouverture se dessina dans le sol et un vertiptère en émergea.

- Ca se présente mieux ! dit Johnny.

Fawkes lui dédia un sourire complice.

- Ca me rappelle des souvenirs !

- Tu m'étonnes, fit le mercenaire qui comprenait parfaitement l'allusion.

(cf Johnny Behemoth contre Dr Nuke)

- Par contre mauvaise nouvelle, annonça Artemis. On a verrouillé l'ouverture automatique du plafond. Et la commande manuelle est défectueuse. Quelqu'un va devoir rester en bas pour l'activer manuellement et la laisser ouverte.

Implicitement, cela signifiait qu'il fallait faire un sacrifice.

- Je m'en charge, dit Fawkes dont le pansement était imbibé de sang. Montez dans l'appareil.

- Qu'est-ce que tu racontes ? s'exlama Johnny. Tu es le seul à savoir piloter l'un de ces engins !

Fawkes sourit :

- Tu sais très bien que ce n'est pas vrai, Johnny.

- Auto-destruction dans cinq minutes !

- Bon décidez-vous ! grogna Kodiak tandis que Salt et Artemis grimpaient déjà à bord de l'appareil. Tout va péter dans cinq minutes, y compris les saloperies qui sont encore à l'intérieur cette base ! On a plus qu'à mettre les voiles, maintenant !

Il fit parler la gatling.

- Grouillez, hurla-t-il. Voilà les derniers qui pointent leur museau !

Dusk et lui reculèrent en direction du vertiptère tout en couvrant leur retraite. Cinq autres super écorcheurs venaient de pénétrer dans la salle par différents accès.

Cross entraîna Johnny avec elle.

- Fawkes sait ce qu'il fait !

Le mercenaire prit la place du pilote non sans ressentir un profond dégoût.

- Je peux pas le laisser comme ça !

Dusk et Kodiak montèrent à leur tour dans l'appareil qui commença à s'élever.

Il restait deux écorcheurs encore assez vifs pour menacer Fawkes. Le mutant actionna l'ouverture de la voûte. Le ciel étoilé de la nuit apparut. Il leva son pouce en direction de Johnny et lui adressa un dernier sourire qui en disait long.

Puis il leva la massue de Kodiak au-dessus de sa tête :

- Venez, mes mignons, c'est tonton Fawkes qui régale !

Les deux super écorcheurs se ruèrent sur lui.

Johnny ne vit pas la suite des évènements. Et ce fut sûrement mieux ainsi.

Le vertiptère s'éloigna de la base et ils étaient hors de portée lorsque la destruction s'enclencha. Dans un sourd grondement ils aperçurent une boule de feu s'épanouir dans le ciel tel un soleil impromptu.

Johnny sentit son cœur s'alourdir d'un poids terrible.

- Adieu Fawkes !

La main de Cross se posa sur son épaule :

- Il aura sa place dans les archives de la Confrérie. Je vous le garantis.

Evidemment, c'était un piètre réconfort pour le mercenaire. Il venait de perdre un précieux allié et un ami de valeur, des denrées plutôt rares en ces temps si sombres, en ces Terres si Désolées.

 

 

 

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dimanche, 08 février 2009

L'Eternité contre le Néant

 

 

Le temps est un corridor fermé que l’être humain arpente de long en large en croyant qu’il est infini.              

 

                                                                                               -  Seiko -

 

 

 

 PROLOGUE

 

 

 

Il était 8h43. Noel Milkawn descendait l’escalier menant au bas du talus lorsqu’il vit l’homme jeter quelque chose à travers l’une des fenêtres de sa propriété. Son sang ne fit qu’un tour et il se lança à la poursuite du vandale. Il l’avait presque rejoint lorsque l’explosion les jeta tous deux au sol. Noel se redressa sur un bras et frissonna à la vue du trou béant qui avait constitué sa chambre dans un passé encore récent. L’instant d’après, il fusillait du regard le terroriste qui menaçait de lui échapper. D’un bond, il se jeta sur lui. L’autre le regarda comme s’il venait de voir un fantôme. Ils luttèrent, leurs poings frappant confusément tout ce qui se trouvait à leur portée. Noel se sentit soulevé du sol et il traversa la porte-fenêtre du salon. A demi groggy, il vint s’affaisser contre un secrétaire. Ses yeux s’écarquillèrent comme si une idée l’avait soudainement frappé. Sa main droite glissa vers l’un des tiroirs au moment où son agresseur s’écrasa sur lui. Des mains se nouèrent autour de sa gorge et il sut dès lors qu’il n’aurait pas le choix. D’une main, il tenta de repousser son adversaire, de l’autre, il ouvrit le tiroir. Il plongea ses doigts avides à l’intérieur, mais sa fouille se solda par un échec. Proche de l’asphyxie, son instinct de survie lui ordonna d’improviser. Alors d’un coup de tiroir, il assomma le tueur qui  s’écroula lourdement.  

Noel se redressa, exténué, la gorge endolorie. Mais qui pouvait bien être ce type pour lui en vouloir à ce point ? Il avait bien quelques ennemis et des détracteurs désireux de le voir en fâcheuse posture. Mais de là à vouloir l’éliminer chez lui et de manière aussi radicale…

 Il s’avança vers son agresseur inerte et entreprit une fouille au corps minutieuse. Il trouva ses papiers et apprit qu’il se nommait Miguel Darras.

Evidemment c’était peut-être un nom d’emprunt. Il perçut un mouvement sur sa droite. Un homme élégant le mettait en joue. Il eut le temps de reconnaître le revolver caché habituellement dans son secrétaire avant que la détonation n’éclate.

 

 

 

 PREMIERE PARTIE

 

 

 

 Leon Wilkman ouvrit les yeux en soupirant bruyamment. L’incroyable intensité du rêve lui martelait le crâne. Epuisé – alors qu’il avait dormi huit heures d’affilée – il s’assit sur son lit en essayant douloureusement de regagner le présent calme et confortable de son existence. Une sonnerie retentit. Il fixa son réveil avant de se persuader que le bruit venait d’ailleurs. Il enfila un pantalon de pyjama et une chemise assortie. En sortant de la chambre, son regard caressa le sabre de collection, véritable antiquité, accroché au-dessus de la porte. Cet objet, lorsqu’il le contemplait, avait le don de l’apaiser. C’était donc devenu une sorte de rituel pour lui.

Un sourire aux lèvres, il se rendit dans le hall. Il pressa une commande sur le mur et la porte d’entrée devint transparente. Un homme en uniforme bleu et gris se tenait devant lui. Il portait un paquet anonyme sous le bras.

Leon vérifia son haleine et haussa les épaules avant d’ouvrir la porte.

L’employé lui dédicaça son sourire le plus vendeur.

- Bonjour Monsieur. Vous êtes bien Leon Wilkman ?

L’intéressé jaugea le paquet du regard en essayant d’imaginer ce qu’il pouvait contenir. Mais son cerveau de mercenaire retraité faisait le piquet de grève.

Il acquiesça.

Le facteur lui tendit un registre.

- J’ai un colis pour vous. Signez juste ici.

Leon ne sut pas pourquoi, mais il avait la conviction qu’il lui fallait gagner du temps.

- Un instant, s’il vous plaît. Je vais chercher mes lunettes. J’y vois rien sans mes lunettes.

Il s’éloigna et se dirigea vers le secrétaire.

« J’ai pas de lunettes, se dit-il. Pourquoi j’ai dit un truc pareil ? »

Le facteur pressa une main sur son oreille droite.

- Est-ce qu’il portait des lunettes ? murmura-t-il à un interlocuteur invisible. Réponds, ça urge.  Il n’a pas l’air dans son assiette. Je veux un oui ou un non, c’est tout. Est-ce que dans ton rêve il portait des lunettes ?

- Je suis désolé, dit Leon en regardant autour de lui. Je ne sais plus où je les ai rangées.

L’employé redressa la tête en lui balançant son sourire de commercial.

« Ce n’est qu’un postier, songea Leon. Pourquoi je me méfie autant de lui ? C’est peut-être son sourire. On dirait qu’il veut me vendre quelque chose sans me le dire. Comme ces colporteurs du dimanche. C’est complètement insensé ! »

Le postier secoua la tête et lui fit signe de la main.

- Monsieur Wilkman. J’ai juste besoin d’une signature, vous savez. Vous n’avez pas besoin…

Leon revint sur ses pas.

- Vous avez raison. Ca n’en vaut vraiment pas la peine. Excusez-moi, vous m’avez tiré du lit et…

Leon prit le stylo et parapha l’endroit désigné.

L’employé lui remit le colis.

- Et voilà pour vous. Bonne journée, Monsieur Wilkman.

Leon l’observa monter l’escalier menant en haut du talus où l’attendait sa camionnette. Puis il reporta son attention sur le mystérieux paquet.

Il l’agita, mais n’entendit aucun bruit distinctif.

Il l’avait presque rejoint lorsque l’explosion les jeta tous deux au sol.

Leon frissonna. Il venait d’avoir un terrible pressentiment. C’était un piège.

Il regarda le facteur monter dans son véhicule.

L’instant d’après, il fusillait du regard le terroriste qui menaçait de lui échapper. Son sang ne fit qu’un tour et il se lança à la poursuite du vandale.

Comme dans un état second, Leon courut jusqu’au bas du talus.

L’employé mit le contact. Il adressa un dernier regard à la maison de Leon Wilkman. Et eut le souffle coupé en le voyant lui balancer le colis qu’il venait de lui remettre.

- L’enfoiré !

Le facteur éjecta la portière au moyen d’une commande et bondit hors de l’habitacle. Alors qu’il dévalait la pente, la camionnette disparut dans une explosion tonitruante.

- L’enfoiré ! éructa Leon.

Il regagna le hall et tenta de reprendre ses esprits. Son regard s’attarda sur le secrétaire. Il ouvrit un tiroir et plongea une main à l’intérieur.

…et il sut dès lors qu’il n’aurait pas le choix.

- C’est cela que vous cherchez sans doute.

Leon se retourna, stupéfait.

Un homme élégant lui faisait face. Il pointait un revolver sur lui. Son revolver.

Le postier arriva sur ces entrefaites. Son uniforme était pitoyable et lui-même faisait peine à voir.

- Putain, il a failli m’avoir !

L’homme élégant lui sourit.

- Les risques du métier, mon cher samuel.

Leon les dévisagea tour à tour. Une rencontre du troisième type lui aurait paru moins incongrue que cette embuscade matinale complètement surréaliste.

- Qui êtes-vous ? Qu’est-ce que vous me voulez ?

L’homme élégant semblait s’amuser de la situation.

- Je n’ai malheureusement pas encore toutes les réponses. Mais je suis plutôt en bonne voie. On est dans le même bain, mon cher Leon. Ou devrais-je plutôt dire Monsieur Noel Milkawn.

Leon se prit la tête à deux mains. Son crâne se prenait pour une cocotte-minute. Une terrible sensation de déjà-vu le parcourut de long en large.

Sally Redfield n’était pas loin. Elle avait entendu l’explosion. Si Noel était mort, ils le paieraient très cher. Elle regarda à travers la porte-fenêtre. Lorsqu’elle vit le tueur tirer sur son associé,  son cœur cessa de battre aussi.

Quelque chose traversa un carreau et une seconde plus tard la pièce était noyée dans un nuage de fumée impénétrable. Une main à la fois douce et ferme s’empara de celle de Leon qui se laissa entraîner par cet ange providentiel.

Quand il rouvrit les yeux, il était assis dans une conduite intérieure. A ses côtés, une rousse au visage fermé tenait le volant entre ses mains comme elle tenait leurs vies.

- Allys Freddeil ! Mais qu’est-ce que tu fous là ? Je comprends rien à ce qui se passe !

La jeune femme resta concentrée sur sa conduite.

- J’avoue que j’ai moi-même un peu de mal à tout saisir. Mais dans les grandes lignes… Disons pour faire court qu’on a la mort aux trousses et que ce n’est pas la première fois. Si tu as échappé à l’explosion, tu dois savoir de quoi je parle.

Leon fit un effort pour ne pas la décevoir.

- Ce rêve !  J’ai la sensation que tout est lié à ce rêve que j’ai fait.

- Ce n’est pas un rêve, dit Allys.

La voiture fit une embardée. Une volée de klaxons accompagna sa trajectoire.

Les yeux de Leon la supplièrent de lui expliquer.

Elle ne se fit pas trop prier.

- Ces quatre enfoirés veulent notre peau. Je n’ai pas encore trouvé la raison, mais j’y travaille d’arrache-pied. Ce que je sais, c’est qu’ils ne sont pas à leur coup d’essai. La dernière fois, je suis arrivée trop tard. Mais cette fois…

Le cerveau de Leon manifesta le désir de vouloir revenir au boulot.

- Tu veux dire qu’ils ont déjà essayé dans le passé ?

Allys se tourna vers lui en lui adressant son plus beau sourire.

- Si c’était aussi simple, mon chou !

Quand elle l’appelait comme ça, c’était rarement pour le rassurer.

Ils étaient vraiment dans la merde, seulement Leon ignorait dans quelle genre de merde ils pataugeaient et ça, ça avait le don de la rendre encore plus merdique.

Sur ces entrefaites, son cerveau revint prendre son poste.

- Dis-moi, tu as bien dit « quatre enfoirés » tout à l’heure ? Où sont les deux autres ?

La lunette arrière se désintégra, rapidement imitée par la sérénité de Leon.

- Putain de merde !

Allys se fendit d’un nouveau sourire.

- J’ai bien dit quatre, mon chou !

Elle orienta son rétroviseur au moyen d’une commande et l’image de leurs poursuivants apparut sur le pare-brise : une conduite comme la leur avec à son bord deux hommes en complet-veston dont l’un arborait une arme d’un acabit plutôt édifiant.

Leon déglutit.

- J’imagine que tu ne comptes pas les semer.

En guise de réponse, elle pressa une commande. Un compartiment s’ouvrit entre elle et lui et la crosse métallisée d’une arme à feu s’érigea.

Leon s’en empara machinalement.

- Je suppose que ça veut dire non.

Puis il lorgna du côté de sa portière.

- J’imagine qu’ensuite tu vas me propulser au dehors au moyen d’un de tes gadgets et que je vais devoir me faire un plaisir d’arroser ces deux lascars.

A nouveau ce sourire délicieux qui chez Allys annonçait rarement une bonne nouvelle.

La portière s’escamota et le siège de Leon se télescopa à l’extérieur, au milieu d’une enfilade de véhicules et de ricochets de balles sifflantes.

- Bordel de…

Il sut qu’il n’avait pas beaucoup le choix s’il voulait que ce cauchemar se termine rapidement. Il lui fallait faire feu de tout bois. Ca tombait bien, il avait entre les mains une bûche du feu de Dieu.

Le fusil mitrailleur vomit un geyser de métal hurlant sur la conduite des malfrats.

Tant et si bien que le véhicule se transforma en puzzle 3D. Ses propriétaires avec.

Allys siffla son admiration.

- Tu n’as pas perdu la main, dis-moi !

Leon la fusilla du regard avant de pointer son arme sur elle.

Elle pressa la commande et son partenaire réintégra instantanément l’habitacle.

- Tu veux autre chose, mon chou ?

Leon replaça l’arme dans son logement.

- Oui. Je veux prendre mon petit-déjeuner et mettre des vêtements décents.

Puis son visage devint cramoisi.

- Et arrête-moi cette foutue bagnole !

 

 

Elle lui avait sauvé la vie. Cela ne la rendait que plus séduisante.

Il la regarda dormir et eut soudain très envie de dormir à ses côtés.

Il s’allongea près d’elle. Cherchant sa main, il trouva son poignet qu’il caressa tendrement. Un frémissement lui apprit qu’elle était réveillée. Un soupir lui fit comprendre qu’elle ne souhaitait pas qu’il s’arrête.

Le motel s’appelait « Au Bonheur des Ames ». Et cette nuit-là,  il ne déméritait nullement son enseigne.

 

Ulrich secoua l’épaule de Samuel.

- Réveille-toi, il faut qu’on y aille.

Samuel étouffa un bâillement.

- Mais où ? Steve et Mario ne donnent plus signes de vie. On n’a aucun indice sur l’endroit où ils sont allés.

Ulrich démarra la conduite.

- Maintenant si.

Ses yeux sourirent.

- Je sais où ils vont dormir cette nuit.

Samuel scruta son mentor.

- Il va se passer quelque chose cette nuit ?

L’interrogé fit ronronner le moteur.

 - Pas si on l’empêche.

 

Tandis qu’il l’enserrait sans crainte de l’étouffer, elle sentit la vie se répandre en elle. Elle sut dès lors que cette nuit annonçait pour eux un futur empli de félicité.

 

Allys se réveilla. Encore un de ces rêves étranges.

Elle regarda le cadran de sa montre. 13h09. Ils avaient roulé toute la matinée.

Elle regarda Leon installé au volant. Il avait beau avoir une coupe affreuse et un pyjama ridicule, elle ne pouvait s’empêcher de le trouver à son goût. Elle regrettait de l’avoir laissé si longtemps sans nouvelle. Il ne méritait pas son indifférence. Mais c’était peut-être justement cela même qui l’avait incitée à laisser le temps les séparer. Elle n’était que trop consciente de l’effort constant qu’elle faisait pour continuer à le considérer comme un associé. Et seulement comme tel.

Leon lui dédia un regard qui fit fondre sa résolution.

- Bien dormi, mon chou ?

Elle sourit. Sa gouaille légendaire faisait la grasse mat’. Elle laissa un silence s’installer, puis demanda comme pour le rompre :

- Tu sais où tu nous conduis ?

- J’espérais que tu me le dirais. Tu n’aurais pas eu une de ces fameuses visions qui nous assaillent en ce moment ?

Elle rougit en repensant au contenu de son rêve. Elle espéra qu’il ne l’avait pas remarqué.

- Ca te dit quelque chose « Au Bonheur des Ames ? »

Le cerveau de Leon se plia en quatre. Mais comme il manquait de souplesse…

- On dirait le titre d’un bouquin.

- C’est un motel. Plus loin. A l’ouest.

Leon acquiesça.

- Tu y es déjà allé ?

Nouveau rougissement.

- Oui. Et toi aussi.

Il inspira profondément.

- Tu ne peux toujours pas m’expliquer ce qui nous arrive ? Je suis un grand garçon, tu sais. Je sais faire preuve d’imagination.

Elle le dévisagea abruptement.

- Est-ce que tu aurais le courage d’accepter l’idée que d’une certaine manière nous avons déjà vécu cette vie ainsi que tous ces évènements avec lesquels nous nous sentons si familiers ?

- Tu veux parler de réincarnation ?

Allys se recroquevilla sur son siège comme une enfant.

- Je veux parler d’un concept beaucoup moins répandu. Celui du temps orthogonal.

Le silence de Leon lui conseilla vivement de rentrer dans les détails.

- Une sorte de réalité alternative, de présent parallèle.

Leon esquissa une grimace. Cela pouvait évidemment expliquer pas mal de choses. A commencer par ses rêves, ses pressentiments et ses impressions de déjà-vu. Ce qui n’était pas spécialement fait pour le réconforter. L’ignorance était parfois tellement plus confortable.

Leon se mit à penser à voix haute.

- Ces hommes qui veulent nous tuer, nous les avons déjà rencontrés et nous leur avons déjà échappés. Qu’est-ce que c’est ? Un gag de répétition ? Dieu s’est offert une photocopieuse et s’amuse avec comme un gamin avec un nouveau jouet ?!!

Deux détails lui revinrent en mémoire.

- L’un de mes agresseurs de ce matin, il savait où je planquais mon revolver. Et il m’a appelé par un autre nom…

Allys opinait du chef comme si les informations qu’il lui transmettait venaient conforter sa vision des choses.

D’un haussement de sourcils, Leon l’invita à s’exprimer. Elle s’exécuta :

- Pour employer une image plus parlante, disons qu’au moment où nous parlons il existe un autre exemplaire de nous auquel nous sommes indubitablement connectés. Ce que nous avons initialement pris pour des rêves sont vraisemblablement les bribes d’une autre vie que ces doublent mènent à notre insu en dehors de la réalité que nous connaissons.

Leon fit l’effort notable de digérer les révélations sans broncher. Mais cela lui fit l’effet de recevoir un parpaing sur le crâne. Et sans anesthésie locale.

- Si je comprends bien ta logique, cela signifie que ces autres exemplaires rêvent probablement de nous eux aussi. Peut-être même sont-ils en train de rêver de nous en ce moment même.

Leon commençait à se prendre au jeu, malgré lui. Les possibilités qu’impliquait une telle théorie le fascinaient autant qu’elles le terrorisaient.

- Oui. Peut-être rêvent-ils de nous en train de parler d’eux. Il y a de quoi devenir dingue.

- Je ne te le fais pas dire, dit Allys. C’est le problème avec la connaissance et la vérité en générale. Elles ont une sérieuse tendance à nous dépasser.

Leon médita en silence sur ce qui venait d’être dit avant de déclarer :

- Reprends le volant, s’il te plaît. J’ai besoin de me reposer le cerveau.

- A tes ordres, mon chou.

Alors qu’elle actionnait une commande, il grimaça :

- Je déteste ça.

Elle jubila.

- Moi, j’adore.

Le siège de Leon coulissa brusquement en arrière - permettant à celui de sa partenaire d’intégrer le poste de pilotage – puis il subit un virage de quatre-vingt dix degrés pour venir occuper l’espace réservé au passager.

 

- Et si nous échouons ? s’enquit Samuel. Que se passera-t-il ?

Ulrich Sand crispa ses mains sur le volant.

- Je préfère imaginer le pire.

- Mais si comme nous le pensons, ces rêves que tu fais ne sont pas des prémonitions, pourquoi leur faire confiance ? Pourquoi aller dans leur sens ?

Ulrich soupira.

- Ecoute, j’ignore pourquoi mon inconscient me dicte toutes ces choses, mais ce que je sais c’est que nous devons aller jusqu’au bout. Je n’ai jamais tué personne, et pourtant je peux te jurer que je ne serai pas tranquille tant que je n’aurai pas vu leurs cadavres de mes yeux. L’enjeu est trop important. Je le ressens au plus profond de moi. C’est une croyance qui dépasse tout ce en quoi j’ai pu croire jusqu’à présent.

 

Leon ouvrit les yeux. Il avait la bouche pâteuse et la tête en compote.

- Je peux savoir de quoi tu as rêvé tout à l’heure ?

Allys crispa ses mains sur le volant en repensant à son rêve.

- Qui t’as dit que j’avais rêvé ?

Leon se fendit d’un sourire.

- Comme par hasard, dès que tu te réveilles, tu sais très exactement où nous sommes censés aller.

Allys vit bien qu’elle ne pourrait pas le mener en bateau.

- Ok, j’ai rêvé. J’ai rêvé du motel.

Leon n’en finissait pas de sourire.

- Mais je suis certain que tu as rêvé d’autre chose, n’est-ce pas ?

Allys était gênée au plus haut point et elle ne fut capable d’émettre qu’un silence en guise de réponse.

Leon jubila.

- Tu as rêvé que nous faisions l’amour, hein, mon petit chou ?

Allys se tourna vers lui, furibonde.

- Espèce de… Sous prétexte que tu viens de faire le même rêve que moi, cela ne t’autorise pas à jouer avec mes sentiments! Petit con !

- Attention !

Allys tourna le volant à temps, évitant de justesse le pois lourd venant dans l’autre sens.

 

Tandis que Leon s’entretenait avec le réceptionniste, Allys jeta un coup d’œil au cadran de sa montre. 17h56. Ils avaient bien roulé. C’était étrange. Elle avait le sentiment qu’on lui avait donné rendez-vous ici. Et qu’elle était sur le point de faire une rencontre primordiale. Elle était inexplicablement tendue.

- Combien pour deux chambres ? s’enquit Leon.

- Navré, monsieur, il ne nous en reste plus qu’une seule. La sept.

Leon sourit malgré lui.

- Elle a deux lits ?

L’employé secoua la tête.

 

- Pourquoi tu fais la grimace ? s’emporta Leon en s’asseyant sur le lit. On aurait très bien pu aller ailleurs. Je suis certain qu’il y a des dizaines d’autres établissements dans le coin qui ont des tas de chambres libres. C’est toi qui as insisté pour qu’on reste ici.

Allys tournait comme un lion en cage. Elle se rongeait les ongles.

- Je sais, je sais. Mais c’est plus fort que moi. J’ai l’impression que c’est ce qu’il faut faire.

Leon avait de la peine de la voir dans cet état, elle qui, d’habitude, était si sereine. Il se leva et lui empoigna les bras :

- Si ces visions ne sont pas des prémonitions, pourquoi les respecter à la lettre ? Pourquoi ne pas suivre un autre chemin ?

Allys le dévisagea avec gravité. Tant qu’il en fut troublé. Elle se libéra et s’assit sur le lit en se recroquevillant comme une enfant.

Leon s’assit à côté d’elle. Ni trop près, ni trop loin. Allys avait besoin de réconfort. Il n’était pas maître en la matière, d’autant que la situation ne s’était jamais présentée.

- Tu crois que nous sommes les seuls à ressentir cela ? Tu crois que tous les êtres humains sur cette terre ont des doubles aussi dont ils ignorent l’existence et qui pourtant influencent leur destinée ?

Allys se tourna vers lui. A son sourire, il comprit qu’il ne s’en était pas trop mal tiré.

- Prends-moi dans tes bras.

Leon n’avait plus du tout envie de rire. Lui aussi avait rêvé qu’ils faisaient l’amour. Et en dépit des apparences, il était au moins aussi désemparé qu’elle à l’idée que cela puisse se produire.

- Pourquoi veulent-ils nous tuer ? Nous sommes des personnes honnêtes,  bienveillantes.

Au son de sa voix, Leon devina qu’Allys s’efforçait de ne pas pleurer. Elle était en train de craquer. Il lui caressa les cheveux.

 

Samuel Girard jeta un coup d’œil à l’horloge de bord.

18h36.

- Tu veux que je prenne le volant ? Tu as conduit toute la journée. Tu dois être crevé.

Ulrich Sand s’aperçut que ses yeux se fermaient. Il secoua la tête.

- Non, ça va. Je vais bien.

- Tu as peur de faire de nouveaux rêves ? Ca nous aiderait pourtant à y voir plus clair. Tu sais ce qui nous attend si nous allons jusqu’au terme de cette histoire.

Ulrich se tourna vers son associé. Toute trace de fatigue avait soudainement déserté son visage.

- Je sais ce qui nous attend si nous n’y allons pas.

 

Leon était installé au bureau dont était nanti la chambre. Allys s’était endormie sur le lit toute habillée. Lui était toujours en pyjama. A présent, il s’en amusait. Sur un morceau de papier, il avait écrit :

 

Noel Milkon      Noel Milkaun       Noel Milkawn = Leon Wilkman

 

Il sourit.

- Un anagramme!

Puis il commença à rire nerveusement.

«  Je ne sais pas qui fait les règles du jeu, mais en tout cas, il doit bien se marrer cet enfoiré! »

Allys gémit et se tourna. Leon l’observa.

Elle lui avait sauvé la vie. Cela ne la rendait que plus séduisante.

Il la regarda dormir et eut soudain très envie de dormir à ses côtés.

Il s’allongea près d’elle. Cherchant sa main, il trouva son poignet qu’il caressa tendrement. Un frémissement lui apprit qu’elle était réveillée. Un soupir lui fit comprendre qu’elle ne souhaitait pas qu’il s’arrête.

Le motel s’appelait « Au Bonheur des Ames ». Et cette nuit-là,  il ne déméritait nullement son enseigne.

 

Ulrich arrêta la voiture et vérifia le chargeur du revolver.

Il prit une profonde inspiration.

Samuel le fixa.

- Il n’a peut-être pas écouté ses rêves comme tu l’as fait. Ils ne sont peut-être pas dans le motel.

Ulrich observait la façade de l’établissement.

- C’est bizarre. Il y a une faute d’orthographe au nom de l’enseigne.

- Tu as entendu ce que je t’ai dit ? s’emporta Samuel.

Ulrich le scruta avec une froide détermination.

- Il a évité la bombe. Crois-moi, ils sont dans le motel.

Il sortit de la conduite.

 

Leon s’arc-bouta pour embrasser Allys et transmettre dans ce baiser toute la force de son amour.

Et tandis qu’il l’enserrait sans crainte de l’étouffer, elle sentit la vie se répandre en elle. Elle sut dès lors que cette nuit annonçait pour eux un futur empli de félicité.

 

Ulrich et Samuel s’arrêtèrent devant la porte de la chambre numéro sept.

Ulrich vérifia son arme pour la énième fois. Il dévisagea son partenaire et lui transmit toute sa résolution dans un simple regard.

D’un coup d’épaule, il ouvrit la porte et les deux hommes se ruèrent dans la pièce plongée dans l’obscurité. Le couple se dressa sur le lit. Ulrich fit feu sans hésiter. Il vida le chargeur entier.

- Allume !

Samuel trouva le commutateur et l’actionna.

Les draps étaient imbibés de sang. Un vrai carnage.

Ulrich s’approcha des corps. Lorsqu’il les identifia, il se laissa tomber à genoux.

Samuel le rejoignit.

- Oh, mon dieu !

Occupé à contempler les corps exsangues des deux homosexuels, Samuel ne vit pas Ulrich pointer son arme sur sa tempe.

Un coup de feu éclata tandis qu’à l’extérieur, la vieille enseigne du « Rue des Bons Hameau » grinçait dans la tempête naissante.

 

- Maudit ! Tu as triché ! Tu as changé le nom de l’enseigne !

Le Sombre Adversaire scruta sereinement le Grand Programmateur qui venait de l’invectiver.

- Je n’ai fait que changer l’ordre des lettres. C’est tout à fait réglementaire, mon cher. Et puis, de toute manière, je n’ai pas l’apanage de la fourberie, il me semble. En d’autres temps, tu n’as toi-même pas hésité à l’employer afin de l’emporter. Car tout comme moi, tu sais très bien  que si nous jouions seulement selon les règles, la partie ne serait pas aussi passionnante, pas aussi incertaine et durable. Car ne me dis pas que tu n’y as jamais songé : si le jeu fait de nous ce que nous sommes, que deviendrions-nous s’il devait s’arrêter ? Notre existence pourrait-elle se poursuivre ? Nous n’en savons absolument rien. Rien ne nous permet de croire qu’après le jeu, il existe un futur pour nous deux. L’éternité contre le néant, que choisis-tu ?

Le Grand Programmateur ne répondit rien. Il savait que le Sombre Adversaire était dans le vrai. Et cela ne l’enchantait pas particulièrement.

Il commençait à être fatigué de cette partie interminable. Il se demandait même parfois s’il n’avait pas intérêt à laisser son rival gagner. Mais quelque chose venait à chaque fois le tancer de n’en rien faire. L’enjeu était trop important. Ils ignoraient tous deux à quel point. La finalité de tout ceci leur échappait.

 

 

 

  DEUXIEME PARTIE

 

 

 

  Ralf Del Itoh regardait son album photo. D’aucun aurait trouvé cette occupation des plus incongrues compte tenu des circonstances. Mais c’était la moindre des complexités de la personnalité du dictateur.

Des coups résonnèrent à la porte.

- Entrez ! fit l’ancien chancelier sans détourner le regard des photographies.

Un homme en uniforme tendit le bras avant de se mettre au garde-à-vous.

- Mon Maître, l’Amérique vient de capituler. Les Alliés sont vaincus. Nous avons gagné la guerre. Le Troisième Empire va pouvoir débuter son règne et tout cela grâce à vous.

Ralf Del Itoh sourit. Le soldat ne l’avait jamais vu sourire ainsi.

- Non, dit le dictateur en lui tendant une photo de son album. C’est à eux que nous le devons.

Le soldat prit la photo et la détailla. Il y avait une belle jeune femme rousse dont le ventre rebondi témoignait d’un heureux évènement. Un homme séduisant la tenait dans ses bras. Ils avaient l’air très heureux d’être ensemble. Piqué par la curiosité, le soldat retourna la photo. Il y avait un message au verso :

 

 

 

Merci pour ce merveilleux cadeau que tu nous fais. Pour les prénoms, j’ai beaucoup réfléchi. Je propose Ralph si c’est un garçon. Et si c’est une fille… Et bien, appelons-la Ralphie ! Je plaisante. Je suis sûr que ce sera un garçon. Encore un pressentiment. Je t’embrasse très fort.

 

                                                                         Leon, ton chou.

 

 

Le Grand Programmateur fixa le Sombre Adversaire. Il le fixa sans mot dire puis fixa le jeu placé entre eux.

Il était fatigué de devoir résoudre cette équation qui s’étalait sous ses yeux. Fatigué d’en modifier les termes, de la transformer.

Il était surtout en fâcheuse posture. Et tous les deux le savaient.

Mais la partie était loin d’être finie. Le Grand Programmateur détenait encore de bonnes pièces. Et surtout une stratégie qui avait maintes fois fait ses preuves dans le passé. Il sourit. La victoire était encore possible. Son expression s’assombrit lorsqu’il vit le Sombre Adversaire se lever et prendre congé.

Il savait pourtant que cela le mettait hors de lui. Le Sombre Adversaire se retirait pour savourer son succès. Il reviendrait disputer la partie plus tard.

En attendant, des hommes et des femmes allaient subir la folie d’un empereur au sommet de sa gloire.

Le Grand Programmateur jura. Il ne pouvait plus le supporter. C’était arrivé déjà trop souvent. Il vérifia une dernière fois qu’il était bien seul et reprit une de ses pièces perdues précédemment qu’il replaça sur le plateau.

Un sourire illumina son visage.

- Il est grand temps de remettre en jeu l’un de mes meilleurs atouts

 

 

- Et si nous échouons ? s’enquit Samuel. Que se passera-t-il ?

Ulrich Sand crispa ses mains sur le volant.

- Je préfère imaginer le pire.

- Mais si comme nous le pensons, ces rêves que tu fais ne sont pas des prémonitions, pourquoi leur faire confiance ? Pourquoi aller dans leur sens ?

Ulrich soupira.

- Ecoute, j’ignore pourquoi mon inconscient me dicte toutes ces choses, mais ce que je sais c’est que nous devons aller jusqu’au bout. Je n’ai jamais tué personne, et pourtant je peux te jurer que je ne serai pas tranquille tant que je n’aurai pas vu leurs cadavres de mes yeux. L’enjeu est trop important. Je le ressens au plus profond de moi. C’est une croyance qui dépasse tout ce en quoi j’ai pu croire jusqu’à présent.

 

Chris Ludan se réveilla. Il secoua la tête pour quitter définitivement ce rêve sordide. Un rêve qui dépassait en intensité tous ceux qu’il avait pu faire auparavant.

La réalité se rappela violemment à lui sous la forme d’un étendard noir orné d’un aigle rouge sang. L’emblème des forces de Ralph Del Itoh, ennemi suprême de la liberté et de la tolérance. Il observa les autres résistants qui l’accompagnaient. Fatigués, blessés physiquement et moralement mais toujours armés et surtout déterminés à repousser les hordes impies du Troisième Règne.

Il y avait eu le règne du Saint Empire romain germanique.

Il y avait eu le règne de l’empire fondé par Marc Bisk.

Il n’y aurait pas celui de Ralf Del Itoh.

Chris Ludan rassembla ses compagnons d’armes autour de la table sur laquelle était dressé la position des forces ennemies.

Pour eux, la partie ne faisait que commencer.

 

Triomphant, debout sur un Char de combat de type Blinkbowl, Ralf Del Itoh défilait le bras tendu au son de la flamboyante Marche de Radetzky. Il souriait.

C’était son air favori et il en avait fait depuis des années son hymne personnel.

Il trouvait enfin, en ce glorieux jour d’ascension, l’occasion idéale d’en faire retentir les percutantes mesures. Il n’avait pas lésiné sur les moyens. Un orchestre entier, remorqué par le char, jouait en direct devant un public médusé. Tous les habitants de Washington semblaient sous le charme de la musique. Les fusils-mitrailleurs Juggernaut pointés dans leur dos avaient sans doute le don de développer leur fibre musicale.

 

- Vous allez bien, Capitaine Ludan ?

Chris Ludan fixa son équipier avec un sourire qui se voulait rassurant. Ces affreuses migraines le reprenaient. Mais ce n’était pas en montrant une telle faiblesse qu’il allait pouvoir obtenir le meilleur de ses troupes. Il devait s’en accommoder.

- Ce n’est rien, Andy. J’ai dû avoir mon compte de gueules de bois dans une autre vie. Faut croire que maintenant j’en paye le prix.

Andy s’esclaffa. Chris l’accompagna.

Il profita du fait que tous ses hommes l’observaient pour faire une annonce spéciale.

- Maintenant que ce cher Ralf croit avoir remporté une victoire totale et définitive, il va s’empresser de donner aux hommes qu’il a perdu une sépulture décente afin d’honorer leur mémoire comme il convient. Histoire d’en faire des martyrs de guerre, des héros sacrifiés pour la bonne cause. C’est là que nous allons entrer en jeu.

A cette annonce, les visages se défirent. Les hommes du Capitaine Ludan étaient coutumiers de ses plans peu orthodoxes. Mais là, ça frôlait la démence.

Jerry Cold, son bras droit, parla pour tout le monde :

- Tu veux qu’on enterre les cadavres à la place de ces salauds ?!

Ludan leur dédia un sourire équivoque.

- Mieux que ça. Nous allons faire en sorte que certains d’entre eux ne soient jamais morts.

Sur ces mots, il s’empara d’un fusil à grenades Hellfire, une arme ennemie qui avait causé d’énormes pertes dans les rangs alliés.

- Del Itoh croit que toute résistance est anéantie. Nous allons nous charger d’entretenir son utopie.

 

Il aurait été mensonger de dire que Ralf Del Itoh était aux anges. Non. C’était bien plus que cela. Il exultait littéralement de joie. Son cœur battait au rythme de la musique tant et si bien que le dictateur avait le sentiment que c’est de sa poitrine même que sortait les accents enchanteurs des cuivres, des cordes et des percussions. Et cela ne faisait que renforcer son exaltation. Son bras droit, Buruts,  vint le rejoindre.

Del Itoh lui adressa un sourire paternel.
- Je ne sais pas si je te l’ai déjà dit, mais cette magnifique marche a été écrite par Johann Strauss Senior en hommage au feld-maréchal autrichien comte Joseph Radetzky. Ce brave Joseph a livré bataille contre les troupes françaises pendant les guerres napoléoniennes. Il n’avait pas moins de 82 ans lorsqu’il a mené son ultime campagne en Italie en 1849. Un bel exemple à suivre.

Buruts regarda la foule de prisonniers américains constituant l’auditoire.

Cette scène lui laissait un arrière-goût dans la bouche. Del Itoh ne voyait pas le mal qu’il était en train de faire autour de lui. Il y a longtemps qu’il ne le voyait plus. Il avait construit sa vie, bâti ses rêves et forgé sa destinée sur la souffrance des autres. Comment pourrait-il faire marche arrière ? Il avait dépassé le point de non-retour depuis trop longtemps.

Buruts avait crû parfois déceler un regain de conscience chez le dictateur, une ombre de doute, d’hésitation à des moments stratégiques, comme lorsqu’il avait pris la décision de multiplier les Camps de Contrition. Ces installations pénitentiaires avaient servi de base aux plus dangereux scientifiques du Troisième Empire. Les prisonniers, pour la plupart des hommes et des femmes de couleur ainsi que nombre de mutilés et d’handicapés, avaient constitué des cobayes idéales pour des expériences contre nature : lavages de cerveaux, lobotomisations, conditionnements, greffes, clonages. Devant cette escalade d’horreur, Buruts n’avait pu rester de marbre et avait tenté de décourager son père de continuer à employer de telles méthodes.  Il était parvenu à l’émouvoir en élaborant un discours mettant en jeu leurs propres relations. Cela n’avait pas duré. Là encore, cette impression de lucidité s’était rapidement évanouie pour faire place à une froide détermination, un engagement sans faille.

Les atrocités avaient repris de plus belle.

Buruts médita ces souvenirs glaçants. Il scruta à nouveau la foule.

Réflexion faite, il n’y avait qu’un seul prisonnier. Del Itoh, lui-même. Prisonnier de lui-même, de sa faiblesse.

L’aide de camp savait qu’il avait aussi les mains couvertes de sang. Il avait toujours su se tenir à l’écart de la guerre proprement dite, mais il s’était rendu lui aussi coupable de toutes les atrocités commises par son silence et son allégeance forcenée.

Il ne valait pas mieux que Del Itoh lui-même. C’est peut-être pour cette raison qu’il n’avait pu s’empêcher de grimper sur le char et de se tenir aux côtés du dictateur. Pour extérioriser cette image de complicité. Et certainement pas parce qu’il était son fils adoptif.

Il regarda son père. D’un sourire, il fit mourir le sentiment de haine qu’il ressentit pour la première fois à son égard.

- Si je puis me permettre, père, vous marchez sur les traces de Radetzky. Vous pouvez être fier de vous.

 

Le Grand Programmateur ne put s’empêcher de rire. Ca sentait le roussi pour le dictateur. Une bonne faille à exploiter, se dit-il. Il vérifia que le Sombre Adversaire était toujours hors de vue et s’approcha d’une armoire vétuste dans le fond de la pièce. Il commença à fouiller avidement à la recherche d’un objet précis.

- Mais où est-elle, bon sang !

Tandis qu’il la recherchait activement, sans s’occuper du bruit qu’il générait, une pensée terrible se fit jour en lui : « Pourvu qu’il ne l’ait pas jetée ! C’est vrai, depuis tout ce temps qu’elle n’a pas été utilisée ! Si jamais elle est perdue, je ne m’en remettrai jamais ! Une telle personnalité ! Un tel potentiel ! »

Il poussa un cri de joie lorsque ses doigts rencontrèrent la figurine. Elle était un peu ternie, certes, mais elle était encore en état de jouer et c’était tout ce qui importait. Le Grand Programmateur l’embrassa.

- Qu’est-ce que tu fais ?

Le Sombre Adversaire était revenu.

Le Grand Programmateur cacha la figurine dans son poing et alla s’asseoir devant le plateau de jeu.

- Je contemplais l’étendue de mes pertes. Force m’est de constater que tu es un très bon joueur.

Le Sombre Adversaire se fendit d’un sourire et se rendit jusqu’à l’armoire qu’il verrouilla. Il remit la clé autour de son cou et revint prendre sa place.

Il scruta son adversaire avec malice.

- Epargne-moi tes flatteries d’origine suspecte. Je ne sais pas ce que tu manigances, mais je compte bien le découvrir.

Il reporta son attention sur le plateau de jeu.

- Hum, tu n’as pas perdu de temps, on dirait. J’ai l’impression qu’il y a eu un petit peu de changement en mon absence.

Un bruit insolite lui fit tourner la tête.

Le Grand Programmateur en profita pour placer son nouvel atout dans la partie.

 

Elle sentit les flammes lui lécher les pieds. L’odeur de sa propre chair brûlée remonta jusqu’à elle. Elle eut envie de vomir, mais la douleur l’en empêcha. Elle voulut crier, mais sa voix fut étouffée par le rugissement du brasier. La chaleur fit bouillir son sang dans ses artères et fit fondre ses vêtements et sa peau comme de la cire. Plus que quelques instants et ce serait la fin.

 

 Jenna se réveilla. L’air empestait encore la chair brûlée. Mais ce n’était pas la sienne. Elle était sur un bateau volé à l’ennemi. Ses hommes s’affairaient, vérifiant les munitions, distribuant les rations, peaufinant la stratégie établie.

Elle avait des bottes de cuir, un ceinturon dans lequel était glissé un pistolet. Elle portait un pantalon fauve, une simple chemise de teinte claire et ses longs cheveux châtains étaient retenus par une élégante queue de cheval.

Elle évitait de regarder le brassard noir orné de l’aigle rouge qu’elle arborait et qu’elle savait faire partie intégrante de l’uniforme du Troisième Empire.

Ils traversaient la mer de Crète. Les monuments rattachés à l’illustre mythologie grecque avaient été pillés et détruits par les troupes impies de Del Itoh, parfois sans son consentement. La folie était vite devenue contagieuse, comme un immonde relent charrié par le vent de la guerre.

Ils n’étaient pas loin des côtes. L’épouvantable odeur qui l’avait tirée du sommeil provenait des charniers abandonnés. Elle n’osait imaginer l’état des corps. Elle savait qu’il n’y avait pas que des adultes.

Son visage se crispa, ses poings se serrèrent. En l’espace d’un instant, elle ne fut plus la jeune israélienne orpheline jetée malgré elle dans la tourmente. Elle redevint Jenna d’Acre, la Panthère de Dieu, la Vierge de Fer.

Elle se redressa et improvisa une réunion. Une centaine d’hommes se tenait avec elle sur le bâtiment. Tous voués corps et âme à sa cause. Ils s’étaient baptisés « Les Frères de la Délivrance. »

- Mes Frères, dit Jenna de sa voix claire et autoritaire, nous arrivons bientôt en Italie, pays d’origine de ce mal innommable. D’après des sources sûres, Del Itoh en personne s’y rendra afin de faire signer la capitulation aux dirigeants alliés. La ville dans laquelle aura lieu l’assemblée ne nous a pas encore été communiquée. Certains pensent que ce sera Rome ou Venise. Moi je suis persuadée que ce sera Milan. Car c’est la ville natale de Del Itoh. Sa vanité est notre plus précieux allié pour anticiper ses intentions. Et jusqu’à présent, mon instinct ne m’a jamais trompé. Elle ajusta sa casquette sur sa tête. Alors, où irons-nous, mes frères ?

Tous les hommes levèrent le bras comme un seul et crièrent :

- Milan !

 

C’était une bien triste besogne et cruelle à plus d’un titre. Mais la victoire l’exigeait. Les hommes du Capitaine Ludan dépouillaient les cadavres, les inhumaient et revêtaient les uniformes pris aux morts, devenant par là même ceux qu’ils faisaient disparaître.

Chris vit un soldat jeter le brassard faisant partie intégrante de l’uniforme ennemi. Il marcha jusqu’à lui.

- Ramasse-le et porte-le. C’est un ordre. Nous leur ressemblerons autant que possible. Il y aura suffisamment d’occasions pour nous trahir, alors je veux mettre toutes les chances de notre côté. Ca ne m’enchante pas plus que toi, mais ça fait partie du plan et nous le suivrons à la lettre.

Le soldat soupira et ramassa le brassard.

Chris improvisa une réunion dans les restes d’un hôtel. Une carte des Etats-Unis était déroulée sur une table et punaisée par endroits.

- D’ici quelques jours, les troupes de Del Itoh viendront jusqu’ici. D’après eux, il n’y a plus âme qui vive en Géorgie. Cet état a été l’un des plus bombardés. Nous en savons quelque chose.

Les visages se durcirent au souvenir des pertes humaines. Les chasseurs et les bombardiers avaient fait place nette, détruisant d’importants stocks de nourriture et de munitions ainsi que les principaux générateurs d’énergie.

Les bâtiments de guerre piégés en haute mer par les nouvelles mines Deathwash avaient mis fin officiellement à la résistance de ce côté-ci du monde.

Tout cela avait laissé un goût amer dans la bouche des survivants. Il avait fallu à Chris Ludan déployer des trésors d’ingéniosité pour les convaincre de s’engager avec lui dans un nouveau combat. Vivre libre ou mourir, tel était leur credo. Ce n’était pas très original, mais c’était un argument qui avait déjà fait ses preuves dans le passé. Il leur avait répété qu’il existait d’autres poches de résistance ailleurs telle que la leur et qu’elles attendaient tout comme la leur de réunir tous les éléments nécessaires pour se fortifier. En temps et en heure leurs efforts combinés se verraient récompensés. Il fallait être patient et persévérant.

Chris regarda ses hommes. Il éprouva une immense fierté d’être à la tête de tels soldats. Il poursuivit :

-  Dès ce soir, nous marcherons vers la capitale. Nous avons récupéré quelques blindés de type Kougar en état de marche. Nous nous ferons passer pour un commando Slasher chargé de récupérer du matériel de guerre en vue de l’acheminer vers la côte. Comme vous avez pu le remarquer, je n’ai pas enfilé la tenue d’un officier, mais celle d’un simple fantassin comme la vôtre. Je crois que j’en ai un peu marre des responsabilités.

Les hommes rirent. Chris se félicita de ce trait d’humour. C’était vital de pouvoir encore rire en une telle période. Il reprit son sérieux.

- En fait cela leur évitera de poser trop de questions embarrassantes. Nous dirons simplement que le Général…

Chris sortit des papiers qu’il avait rangés dans sa poche :

-… Banco…

Nouveaux rires.

- …Ca ne s’invente pas. Donc nous dirons que notre supérieur, ce brave Général Banco, a marché sur une mine et que nous rentrons retrouver Del Itoh en vue de l’escorter jusqu’en Europe. Je sais que la plupart d’entre vous sont de très bons pilotes qui ont déjà fait leurs preuves. Moi-même, j’ai toujours aimé me retrouver dans un cockpit. De ce fait, nous demanderons à intégrer humblement une escadrille de chasseurs. On va jouer à l’arroseur arrosé, on va retourne sa stratégie contre lui. Vous m’avez compris ? On va se faire le plaisir de dézinguer son zinc à ce fumier !

Les hommes saluèrent le discours avec force cris et gesticulations. Il y eut même quelques rafales tirées en l’air. Devant ce débordement de joie, Chris sourit. Mais son visage s’assombrit lorsqu’il repéra la triste figure de Calvin Carson.

- Carson ! Tu as quelque chose à me dire ?

Le silence revint. Tous les regards se tournèrent vers l’intéressé. Qui ne se fit pas prier plus longtemps :

- Je pense que tu n’as pas oublié que très peu d’entre nous, voire aucun, ne parle l’italien. Je ne veux inquiéter personne, mais je pense que ce détail peut éventuellement avoir son importance dans le plan que nous devons suivre.

Une rumeur sourde gagna l’assemblée que Chris fit cesser rapidement.

- Jerry !

Le bras droit du Capitaine fendit la foule et s’avança jusqu’à Carson aux pieds duquel il déposa une caisse noircie par la fumée.

- Qu’est-ce que c’est ?

Sur un signe de Chris, Jerry l’ouvrit. A l’intérieur, il pêcha un petit appareil emballé dans du plastique qu’il jeta à Carson. Ce dernier inspecta l’objet dont il ignorait le nom autant que la fonction.

Chris se chargea de combler ses lacunes :

- On a baptisé ça un vox imperati. Je peux me tromper, mon latin n’est plus ce qu’il était. Autrement dit, c’est un appareil qui permet de comprendre et de parler la langue ennemie. On a trouvé cette caisse il y a deux jours. Très bien planquée. Une bénédiction. Il y en a assez pour nous tous.

Consterné, Carson contemplait l’appareil sous tous les angles.

- Fais-nous une démonstration, lui proposa Jerry.

Carson ôta le vox imperati de sa protection. Il ajusta l’oreillette couleur chair dans son oreille droite et ajusta le modulateur vocal sur sa pomme d’Adam avec l’aide de Jerry. Il se racla plusieurs fois la gorge puis déclara :

- Il piace spaghettis !

Ce qui ne manqua pas de provoquer l’hilarité générale.

 

 

- Tu as entendu ce bruit ?

Le Grand Programmateur haussa les épaules.

- Ce n’était probablement rien. Le coin est plutôt calme. C’est le moins que l’on puisse dire.

Le Sombre Adversaire commença à trépigner sur sa chaise.

- Tu ne voudrais pas aller jeter un coup d’œil ? C’est le genre de choses qui me perturbe facilement. Et je n’arriverai pas à jouer correctement si je ne suis pas tranquillisé.

Le Grand Programmateur feignit de se concentrer sur le jeu.

- C’est ton problème, il me semble. Tu n’as qu’à vérifier par toi-même.

Le Sombre Adversaire produisit un rictus à la mesure de sa frustration.

A son tour, il fit mine de reporter toute son attention sur la partie en cours.

- A titre informatif, si je devais perdre à cause de cette…broutille, tu ne pourrais pas t’attribuer tout le mérite de ta victoire. Et quel intérêt dans ce cas ?

Le Grand Programmateur releva la tête. Il arrivait toujours un moment où ils redevenaient de simples enfants, chahutant, se querellant et se piégeant sans vergogne.

Il pointa un doigt en direction du Sombre Adversaire et l’agita nerveusement comme dans l’intention de proférer une menace. Puis il soupira et se leva.

Il écarta le rideau qui masquait l’autre côté de la pièce et disparut.

Le Sombre Adversaire glissa une main dans sa poche, embrassa la figurine qui s’y trouvait et la déposa rapidement sur le plateau.

Le Grand Programmateur revint à sa place.

Le Sombre Adversaire le dévisagea :

- Alors ?

- Je n’ai rien vu. Ca ne valait vraiment pas le coup que je me déplace.

Le Sombre Adversaire sourit.

- Tu m’en vois désolé.

 

- Jenna, la Sicile est en vue !

La jeune femme rejoignit Jonas au poste de pilotage. Elle sourit.

- Très bien.

Elle dévisagea son équipier avec gravité.

- Je crois qu’il est temps.

Elle posa une mallette sur une table et l’ouvrit. Elle saisit son contenu qu’elle appliqua soigneusement sur son visage. Lorsqu’elle se retourna, son équipier eut un mouvement de recul.

- Mon dieu ! C’est à s’y méprendre !

Ralf Del Itoh sourit.

- Avec un modulateur vocal ce sera vraiment à s’y méprendre, fit la voix de Jenna d’Acre.

 

Jenna vérifia une dernière fois l’efficacité de son déguisement. Elle compara le reflet que lui renvoyait le miroir avec une photo de Del Itoh prise sur l’ennemi.

Elle avait pris l’apparence de l’homme que le monde libre haïssait le plus, de l’homme qu’elle haïssait le plus. Un paradoxe qui allait pourtant peut-être leur permettre de remporter la victoire. Peu importait les moyens. L’enjeu exigeait les solutions les plus inacceptables.

Elle frissonna en s’apercevant  qu’ils avaient les mêmes yeux.

Au moins, elle n’aurait pas à supporter le port de lentilles qu’elle trouvait douloureux. Elle étira les lèvres, faisant sourire le dictateur.

- Bene.

Elle se retourna et c’est alors qu’elle remarqua le message déposé sur son bureau.

En le découvrant, elle écarquilla les yeux de stupeur. Une terreur sourde l’envahit, faisant trembler ses mains. Puis ses sourcils se froncèrent et son visage se durcit. Elle quitta sa cabine en furie.

Gad, le radio, était à l’avant du bâtiment, partageant une discussion animée avec les mécanos. Lorsque ces derniers virent Jena marcher vers eux, ils tremblèrent à l’idée d’avoir commis une bévue. Elle avait retiré son masque et son visage était déformé par une colère sans nom. Lorsqu’elle agita le message radio, ils remercièrent le ciel.

- Pourquoi tu ne m’as pas averti ?!

Gad ne l’avait jamais vu si en colère. Il regretta profondément d’en être la cause.

- Je pensais que c’était secondaire étant donné nos dispositions.

- Si c’est secondaire, c’est à moi seule d’en juger.

Ses yeux s’embuèrent.

- Et puis, comment as-tu pu une seule seconde penser que ça pouvait être secondaire ? Des vies sont en jeu, des hommes sont en danger, des hommes comme nous, des soldats qui luttent pour la liberté et la justice. Nous ne pouvons pas en toute conscience feindre de l’ignorer.

A présent, elle s’adressait à tous.

- Nous n’avons pas le droit de les abandonner. Si ce message nous est parvenu, ce n’est pas un hasard. Je ne crois pas aux hasards. Et je sais que vous non plus.

Il y eut un silence. Puis un homme demanda :

- Où sont-ils ?

Le visage de Jenna s’éclaira instantanément.

- En France. A Orléans.

Jonas fendit la foule et se planta devant elle.

- On ne peut pas saborder une stratégie qui nous a demandé des semaines de préparation. Tout est fin prêt. Excuse-moi, Jenna, je pensais ne jamais avoir à te dire ça, mais je te trouve complètement inconsciente.

Elle planta ses yeux noirs dans les siens, le défiant avec superbe.

- Qui m’aime me suive.

 

Le capitaine Ludan et ses hommes eurent bientôt l’occasion d’éprouver l’efficacité du vox imperati.

Une garnison flanquée de soldats motocyclés vint à leur rencontre. Chris descendit prestement d’un char Kougar et se chargea du compte-rendu. En italien.

- Mes respects, Mon Général. Soldat Siri, artilleur du septième commando Slasher. Content de vous voir. On a perdu notre radio. Impossible de communiquer notre position. Le Général Bingo, paix à son âme, a péri, il y a deux jours, sur une de ces saloperies de mines rampantes.

Le chef de la garnison détailla le détachement avec une attention qui inquiéta les hommes de Ludan. Si jamais leur imposture n’était pas parfaite, ils le sauraient très bientôt. Après un examen qui leur parut interminable, le général se rapprocha de Chris qu’il dévisagea gravement.

- C’est étrange. Vous ne ressemblez pas à des hommes du Troisième Empire.

Chris s’empêcha de déglutir. Lorsqu’il vit le gradé plonger une main dans son manteau, il s’apprêta à faire signe à ses hommes d’ouvrir le feu.

- Vous avez dû passer trop de temps en Amérique !

Le général fit jaillir un flacon de cognac.

- Bienvenue en Italie !

Puis il éclata de rire.

 

Un appareil de ravitaillement attendait sur la berge. Les deux pilotes italiens s’interrogeaient mutuellement sur l’avenir du monde en fumant une cigarette.

Le navire de guerre Di Galio accosta à ce moment. Les deux pilotes  allèrent à sa rencontre. A l’avant se dressait Ralf Del Itoh, mains croisées dans le dos,  telle une figure de proue, escorté de deux soldats figés comme des statues.

Déconcertés par cette apparition, les pilotes le saluèrent néanmoins en tendant le bras.

- Mes respects, Mon Maître.

- Nous vous croyions en Amérique, là où la victoire s’est affirmée.

Les deux gardes du corps du dictateur abattirent les deux pilotes.

Jenna rejoignit la terre ferme.

« Les Frères de la Délivrance » acheminèrent leur matériel à l’intérieur du cargo aérien. Il ne leur fallut en tout et pour tout qu’une demi-heure pour prendre totalement possession de l’appareil. Sitôt chargé, il décolla en mettant le cap vers l’hexagone.

 

L’arrivée de Ludan et de ses hommes à Washington fut une douleur sans nom.

Les monuments les plus symboliques de la capitale avaient particulièrement souffert des bombardements et des offensives aux canons lourds Ouranos. Sûrement à dessein.

De l’obélisque, il ne restait plus que la base et la statue de Lincoln était décapitée. Quant à la Maison Blanche, emblème de souveraineté, elle arborait une façade meurtrie par les tirs de harcèlement des mitrailleuses françaises Hallebarde. Un des éléments déterminants dans la suprématie de l’Italie avait été sa capacité à incorporer presque systématiquement l’armement ennemi dans le sien et à s’y adapter rapidement, multipliant ainsi sa puissance de feu et décuplant l’efficacité de sa stratégie.

L’aéroport était déjà infesté d’appareils impériaux de toute catégorie : des chasseurs américains Sweeping en passant par les bombardiers anglais Skycrush. Les italiens s’étaient même payés le luxe de dérober un Stormaker, un appareil de guerre qui abritait dans ses soutes une véritable usine d’armement. On le surnommait à juste titre « l’arsenal volant. »

Ralf Del Itoh avait déjà embarqué à bord du « Mein Kampf », son avion personnel. L’appareil ressemblait à un aigle géant. Son museau imitait presque à la perfection le bec vorace du rapace. Le soleil miroitait sur le fuselage blindé, lui conférant une beauté qu’il ne méritait pas.

 

Après avoir fait montre de leurs talents de pilote, Chris Ludan et ses hommes furent assignés à l’escorte du « Mein Kampf. » Aucune parole ne fut prononcée, juste des regards encourageants invitant à la prudence.

Avant de se diriger vers la capitale, Chris avait répété inlassablement la stratégie d’attaque avec ses hommes. Parmi ses hommes, une femme s’était détachée par son panache et ses idées. Elle se nommait Lisa Derdefyll. Chris l’estimait beaucoup. Peut-être un peu trop. Il l’avait prise comme co-pilote et ils montèrent ensemble à bord d’un Sweeping.

Lisa rayonnait littéralement. La perspective d’une victoire sur le Troisième Empire avait le don de sublimer sa beauté. Chris eut beaucoup de peine à s’arracher à cette contemplation. Ce n’était guère le moment de se laisser distraire. Il reporta son attention sur le ciel fourmillant d’appareils. Ils étaient en bonne position. Le « Mein Kampf » était juste un peu plus loin devant eux. Une fois que les autres auraient fait place nette, ils n’auraient plus qu’à mettre un terme à l’existence de Ralf Del Itoh.

Il s’adressa à Lisa, mais se rappela qu’il parlait toujours dans la langue du despote. Il arracha son vox imperati et l’écrasa sous le talon de sa botte.

- C’est maintenant que tout va se jouer.

Lisa lui serra la main. Il se retint de l’embrasser.

 

Tandis que le cargo italien amorçait sa descente, Jonas interrogea Jenna :

- J’aurais pu moi-même me charger de cette mission. Tu serais restée en Italie avec la moitié des hommes. Pourquoi à tout prix changer notre plan ? Pourquoi risquer une capitulation complète alors que la victoire était en train de nous sourire ?

La jeune israélienne ne semblait pas avoir entendu. Elle regardait droit devant elle. Elle semblait essayer de se rappeler quelque chose. Jonas allait réitérer sa question lorsqu’elle dit :

- C’est important. Plus important que tu ne peux le croire. Plus important que je ne peux l’imaginer.

Jonas ne pouvait se contenter d’une telle réponse.

- Comment peux-tu le savoir ?

Jenna était dans un état second.

- Je ne sais pas comment. Fais-moi juste confiance comme tu as su si bien le faire jusqu’à présent.

Jonas comprit que toute contestation était vaine. Jena était à nouveau dans une transe mystique à l’échelle de celle qui lui avait permis de se lancer à la tête d’une petite armée pour gagner une guerre qui donnait tous les signes d’être perdue. Il l’avait suivie une première fois, émerveillé par sa fougue. Pourquoi renoncerait-il maintenant à partager avec elle une victoire acquise par d’autres moyens ?

- Quels sont les effectifs ?

Jenna ne put s’empêcher de sourire. Il était revenu avec elle et elle s’en félicitait intérieurement.

- Le message mentionnait une centaine de fantassins français. Du côté italien, deux tanks Blinkbowl qui les prennent en tenaille.

- De quel armement dispose nos alliés?

- Apparemment, rien de menaçant. C’est là que le bât blesse.

- Nous n’avons pas grand-chose non plus.

- Nous avons l’effet de surprise. C’est bien plus qu’il n’en faut.

Elle produisit un objet cylindrique.

- Et puis, je compte bien sur les grenades magnétiques ainsi que sur les mines rampantes pour atomiser ces salauds.

 

Ralf Del Itoh était installé dans le salon somptueusement décoré. Il avait fait ramener à bord d’illustres toiles de maîtres dérobées aux alliés. Il aimait la peinture. Il aimait l’art. Il s’était d’ailleurs toujours senti artiste dans l’âme. Sans doute l’avait-il été dans une autre vie. Il se plaisait à le penser.

Buruts le rejoignit avec deux verres et une bouteille de vin rouge.

Il n’avait pas choisi un grand crû de sorte qu’il savait que l’arrière-goût du poison foudroyant passerait comme une lettre à la poste.

- Pourquoi avoir baptisé cet avion « Mein Kampf » ? Pourquoi pas quelque chose qui sonne un peu plus italien ? Je sais que les allemands nous soutiennent depuis longtemps dans nos actions, mais je trouve que c’est quand même leur faire beaucoup d’honneur.

Le dictateur sourit sans apparemment prendre ombrage de la remarque.

- Je pense que je n’étais pas simplement artiste dans une autre vie. Je devais être aussi allemand. J’ai toujours admiré cette langue, ses accents, sa richesse, sa poésie.

Buruts était loin de partager une telle passion. Mais comme à son habitude, il ne dit mot et remplit les deux verres.

- Et que signifie « Mein Kampf », déjà ? J’oublie à chaque fois.

- Mon combat.

Del Itoh parut s’enfermer dans un songe enchanteur. Son sourire se déploya. Il porta le verre à ses lèvres.

- Ca ferait un bon titre pour un bouquin.

La bouteille de vin explosa dans la main de Buruts.

Des crépitements de balles résonnèrent sur la carlingue de l’appareil.

Le visage du dictateur devint cramoisi. L’air s’engouffra par le hublot. Il laissa tomber son verre.

- Bon sang, mais qu’est-ce que c’est que ce bordel !

L’opération  « Délivrance » venait de commencer.

L’avion de Ludan se faufila vers le « Mein Kampf », couvert par les autres chasseurs de son unité.

Dans le cockpit de l’aigle d’acier, les informations parvenaient dans la plus grande confusion aux oreilles des deux pilotes. Des informations et un vacarme de cris et d’explosions qui ne laissaient aucun doute sur son origine.

Des voix américaines se faisaient entendre sur une de leurs fréquences. Leur escadrille était en train de se faire attaquer !

Furieux, le Maître se tourna vers son fils pour réclamer une explication.

Il sut qu’il n’en aurait pas lorsqu’il vit son corps inanimé sur le sol de la cabine. Sa poitrine était rouge. Et ce n’était pas du vin.

 

 

 

« NON ! »

Le Grand Programmateur serra les poings. « Mauvais timing ! »

A trop accumuler les atouts, il finissait par les saboter. Il venait d’en sacrifier un inutilement. Il se mordit la lèvre et jeta un coup d’œil furtif au Sombre Adversaire. Ce dernier était étrangement calme en dépit des évènements.

«  Il avait dû prévoir cette attaque. »

Il reporta son attention sur le jeu.

Et espéra que rien d’autre ne viendrait enrayer la parfaite mécanique de sa stratégie.

 

Jenna terminait de briefer « les Frères de la Délivrance. » Jonas la rejoignit rapidement et lui donna un sac de munitions qu’elle ajusta sur ses épaules.

- Allons-y.

Elle grimpa sur un amas de ruines – un centre commercial dans un passé encore récent – et porta une paire de jumelles à ses yeux.

- Je vois le premier char tout en haut de l’avenue. On avance jusqu’à la barricade, là-bas, et on lâche les mines rampantes.

Les détonations des canons ébranlèrent l’atmosphère.

En dépit de la menace et du spectacle de désolation que la cité assiégée offrait au regard, Jenna se sentait étrangement sereine. Comme si elle était en terrain connu. Peut-être ce sentiment de déjà-vu qu’elle ressentait n’était pas étranger à son état presque euphorique. La victoire ne faisait aucun doute. Elle était presque palpable.

Jonas donna un violent coup de pied dans ses convictions.

- Et si c’était un piège !

Tout en progressant, Jena le dévisagea avec perplexité.

- Aucune raison que ça en soit un. Personne ne sait que nous existons.

- Nos exploits au Moyen-Orient ont été retentissants. Ta réputation a pu te précéder.

Jenna s’arrêta et fixa son allié avec une sorte de compassion.

- Tout le monde me croit morte. Ce simulacre d’assassinat nous a coûté suffisamment en explosifs.

Jonas sourit en se projetant la scène. Cet attentat à la voiture piégée avait été un bon moyen d’avoir les coudées franches. Il est vrai que le résultat avait été à la hauteur de leurs espérances. Mais contrairement à Jenna, d’être à Orléans lui procurait un sentiment de malaise qui ne le laissait pas en paix et le faisait douter de tout.

- Tu as sûrement raison. C’est juste que nous n’avons jamais été aussi proches de la victoire.

Elle lui serra la main. Il se retint de l’embrasser.

 

Les chasseurs impériaux tombaient comme des mouches.

Del Itoh avait actionné le mode transparence du « Mein Kampf » et à travers le fuselage fantôme il pouvait voir son escorte se dissoudre dans de fulgurantes détonations  et autant de lugubres flèches de fumées noires pleuvant vers le sol.

C’était pire que dans ses cauchemars les plus fous. Quelqu’un avait réussi à se dresser contre lui, dans le plus parfait anonymat. Et ça ne pouvait pas être cette maudite « Vierge de fer » puisqu’il la savait à Orléans, prête à tomber dans son embuscade. Non, c’était quelqu’un d’autre. Et d’ignorer son nom et son visage le mettait dans une rage sans nom. Il pénétra dans le poste de pilotage.

- Actionnez l’armement du « Mein Kampf ! »

L’un des pilotes osa le mettre en garde.

- Mon maître, nous risquons de ne pas avoir assez d’énergie pour rallier l’Europe.

Le regard légendaire de Ralf Del Itoh fit le reste.

 

Le chasseur du Capitaine Ludan louvoyait habilement, évitant les tirs ennemis et les morceaux d’épaves constellant le ciel transformé en enfer l’espace de quelques minutes. Multipliant les morceaux de bravoure, il n’hésita pas à secourir un allié en difficulté tout en arrosant copieusement sa cible prioritaire qui soudain commença à se transformer de manière inquiétante.

- Merde, c’est quoi ce bordel ?

L’aigle de métal venait de se dresser à la verticale tout en se stabilisant. Les parties de son fuselage étaient en train de coulisser, de s’escamoter dans une parfaite harmonie tel un puzzle grandeur nature exécuté par des doigts invisibles et experts.

En moins d’une minute, le « Mein Kampf » devint un humanoïde surréaliste, un titan à tête de rapace qui déversa un déluge de feu au moyen de canons mitrailleurs intégrés dans ce qui lui tenait lieu de bras.

- Mon Maître, nous ne savons même pas sur qui tirer. Nous risquons de toucher votre escorte.

Le dictateur produisit un râle de dédain.

- Pour ce qu’il en reste et vu son efficacité, je saurai m’en passer.

 

Pourtant la présence du géant de fer eut un effet foudroyant sur les survivants du Troisième Empire. Il leur inspira une vaillance qui mit à mal les efforts des hommes de Ludan.

- Ils se laissent pas faire, Mon Capitaine, rugit Jerry Cold. C’est à cause de ce putain de robot! Maintenant, ils sont chargés à bloc!

- J’en fais mon affaire ! déclara Chris. Continuez à faire le ménage.

- On a détruit tous les bombardiers, mais il reste le Stormaker ! aboya Carson.

- Laissez-le nous! ordonna Lisa. Puis elle se tourna vers Chris :

- Ces Stormakers sont de véritables armureries ambulantes.

Chris se tourna vers elle, intrigué.

- On  n’égratignera même pas ce robot avec nos missiles Sunshot, ajouta-t-elle.

Chris sourit en devinant sa pensée.

- Doublement ravi que tu sois à bord.

Tandis qu’une partie des hommes – menée par Jonas - harcelaient l’un des deux chars Blinkbowl pour offrir un peu de répit à leurs alliés assiégés, l’autre – vouée aux ordres de Jenna – s’occupaient de positionner une escouade de mines rampantes dans les égouts. Ceci fait, ils remontèrent en surface et vérifièrent sa position sur un écran tactile que Jenna arborait sur son bras gauche.

- Déploiement !

Les points lumineux figurant les mines se frayèrent un chemin dans le réseau souterrain.

La voix de Jonas retentit dans son oreillette :

- On est obligé de battre en retraite !

- Bien reçu. Nous prenons la suite des opérations. Dirigez-vous vers le second char. Terminé.

 Les mines n’étaient plus qu’à quelques mètres de leur objectif.

- Jenna, il y a quelque chose qui cloche !

- Quoi ?

Je viens d’effectuer un scan sur votre cible. Il n’y a personne à bord.

- Qu’est-ce que tu veux dire ?

- Ces chars sont automatisés. Ce n’est pas normal. Ca pue le coup fourré !

- Les chars automatisés sont connus pour leur précision. C’est un atout stratégique, rien de plus.

- S’ils sont si précis, pourquoi n’ont-ils toujours pas fait leur boulot ?

- T’es parano. Je poursuis l’opération comme prévue. Terminé.

 

Jonas jura. Jenna était complètement aveuglée. Jusqu’ici cet entêtement avait représenté une force. Mais désormais, cela risquait de devenir leur talon d’Achille à tous.

Une explosion tonitruante l’arracha à ses pensées. Sous ses yeux, le char automatisé se fendit en deux. Des cris de joie résonnèrent autour de lui. Qu’il ne fut pas d’humeur à partager.

Il suivit ses hommes vers le second char, persuadé qu’ils allaient droit dans la gueule du loup. Lorsqu’il repéra une bombe dissimulée sous un grava, ses craintes se virent justifiées. Rapidement, son regard balaya le périmètre. Le terrain était truffé d’explosifs. C’était bel et bien une embuscade.

- On met les voiles ! On était attendu. C’est bourré de C4. C’est une embuscade ! Je répète, c’est une embuscade !

Jena avait grimpé sur les restes du char et brandissait héroïquement son fusil telle une déesse martiale en plein triomphe. Et la réaction de ses hommes venait parfaire cette belle image de guerrière assouvie.

Rien ne pouvait venir saboter cela, pas même le discours inquiétant qu’elle recevait dans son oreillette.

Accompagnée de sa troupe - aussi aliénée qu’elle- elle vint à bout du second char en utilisant les grenades magnétiques qui éventrèrent littéralement le blindé.

Elle arracha son oreillette et laissa ses hommes la porter en triomphe jusqu’aux survivants assiégés dans les ruines de l’hôtel de ville.

 

 Andy enchaînait les tonneaux et les acrobaties de toutes sortes comme dans un concours d’aéronautique. Sauf que c’était moins pour épater la galerie que pour sauver sa peau. Deux chasseurs impériaux étaient à ses trousses et son sillage portait l’empreinte de leurs tirs assidus.

Il effectua un virage à quatre-vingt dix degrés, évitant un avion ennemi arrivant droit devant lui. Une explosion lui apprit qu’il avait fait d’une pierre deux coups. Il attendit que son second assaillant se rapproche suffisamment et exécuta un looping qui le plaça juste derrière lui. A peine positionné, son index écrasa la gâchette reliée aux mitrailleuses qui perforèrent l’appareil de l’italien. Ce dernier perdit rapidement de l’altitude. Mais dans son malheur, il se retrouva dans la trajectoire du chasseur de Ludan. Il décida alors de tenter le tout pour le tout.

 

Lisa termina de s’harnacher. Elle arbora le jet-pack à la manière d’une nouvelle robe, ce qui fit sourire Chris.

- Tu ne veux vraiment pas que je m’en charge ?

Elle le regarda d’un air railleur.

- Tu vas me dire que c’est un travail d’homme, peut-être ?

- Non, ce serait superflu.

Elle se rapprocha de lui.

- Merci, mon chou.

En surface, elle affichait une apparente désinvolture. Mais en profondeur, c’est elle qui retenait à son tour une effusion.

La voix paniquée de Andy les arracha à leur intimité.

- Un rital arrive droit sur vous. Je l’ai touché, il va s’écraser !

Un vacarme leur arracha les oreilles et leur apprit que Andy venait de rallonger la liste des victimes de l’invincible titan de métal.

Chris déporta son appareil, mais tout en explosant, le kamikaze le percuta à l’arrière, détruisant l’une de ses tuyères. A son tour, son chasseur partit en vrille.

- Lisa, sors de là !

La jeune femme était pétrifiée. Elle regardait tour à tour la brèche par laquelle elle savait pouvoir s’échapper et le pilote cramponné aux commandes qui s’égosiller pour la convaincre de l’abandonner.

- Il n’y a qu’un jet-pack, Chris !

Le Capitaine se fendit d’un sourire sans joie.

- Alors on dirait que j’ai intérêt à poser cet appareil.

Puis la pensée soudaine de perdre Lisa renfloua son autorité :

- Fous le camp avant qu’il soit trop tard ! C’est un ordre et il n’est pas négociable !

Une déflagration leur apprit qu’une autre tuyère venait de rendre l’âme. Lisa ferma les yeux et s’élança par l’ouverture.

Elle eut le temps de voir le chasseur tomber en piqué et terminer sa course contre un appareil ennemi avant d’être projetée en plein coeur des affres de la bataille aérienne.

 

« C’est pas vrai ! Non, pas lui ! »

Le Grand Programmateur redoublait d’efforts pour contenir la colère et la frustration qui le submergeaient. Un par un, il perdait ses atouts les plus précieux !

Et le terrifiant regard du Sombre Adversaire qui semblait lui dire : « Et tu n’as encore rien vu ! »

 

Jenna et ses hommes pénétrèrent dans les vestiges de l’hôtel de ville. Mais ils n’eurent pas l’accueil attendu. Une centaine de soldats impériaux vêtus d’uniformes français les menaçaient de leurs Juggernaut.

« Jonas avait raison. Depuis le début ! »

Jenna pâlit. Elle avait délibérément ignoré ses avertissements. Une fois de plus, elle s’était laissée emportée par cette exaltation mystique qui défiait toute règle, toute raison. Mais cette fois, cela pouvait leur coûter très cher.

- Jonas, tu avais raison ! C’est un guet-apens ! Nous sommes assiégés à l’hôtel de ville. Il n’y a pas d’alliés. Je répète il n’y a pas d’alliés. Ce sont tous des hommes de Del Itoh !

A l’instant où Jonas entendait cette déclaration qu’il redoutait autant qu’il espérait, des tirs de sniper déclenchèrent les bombes disséminées tout autour d’eux.

Jenna arracha son oreillette, évitant de justesse la surdité. Ce qui ne l’empêcha pas de percevoir la tonitruante série d’explosions qui venaient de réduire à néant un hypothétique renfort.

- Jonas !

Jena se laissa tomber à genoux et ferma les yeux. Elle venait d’ouvrir la boîte de Pandore. Elle avait livré le monde au mal absolu, elle, qui s’était sentie née pour l’éradiquer. Elle était maudite. A jamais.

Lorsqu’elle ouvrit les yeux, elle vit ses hommes tomber les uns après les autres, subissant les tirs des lance-grenades Hellfire. Alors elle serra les poings et bondissant telle une lionne enragée, elle fit feu sur leurs ennemis regroupé tels des démons impies.

Elle en avait occis près d’une vingtaine lorsqu’un tir de sniper l’arrêta net dans son élan rédempteur.

Elle se renversa en arrière tandis que les troupes du Troisième Empire mettaient un terme à l’escarmouche.

 

Le Grand Programmateur ne put étouffer un cri. C’en était fini.

Il camoufla sa détresse derrière le regard haineux qu’il décocha au Sombre Adversaire drapé dans sa méprisante assurance.

« Cette fois, il ne veut pas gagner. Il veut m’humilier. »

- Ce n’est pas encore fini, si tu regardes bien.

Le Grand Programmateur dévisagea intensément son rival avant d’observer la partie. Il avait pourtant raison. Un élément en sa possession semblait porter en lui un grand potentiel. Un potentiel déterminant pour l’issue de la bataille ? De la partie ? Le Grand Programmateur n’osait y croire. Il avait été échaudé tant de fois en si peu de temps. Mais le désir et le besoin de remporter le défi s’imposèrent à lui. Gagner contre toute attente, contre tout espoir serait pour lui l’occasion de retourner complètement la situation. Et si c’était pour lui le moyen ultime d’humilier son adversaire ? Son rictus s’altéra et devint un sourire. Il décida de reprendre les rênes et de miser sur cet outsider.

 

Lisa n’eut pas le loisir de pleurer longtemps la perte du Capitaine Chris Ludan.

Un appareil venait de la prendre en chasse.

- Ils ont eu Chris ! lâcha-t-elle en serrant les dents.

- Les fumiers ! fit Jerry Cold. Ils vont le regretter !

En voyant son objectif sous le feu des américains, Lisa s’alarma :

- Ne tirez pas sur le Stormaker ! Je répète : ne tirez pas sur le Stormaker !

- C’est pourtant une cible facile ! argumenta Carson.

- Je sais, mais c’est notre seule arme contre ce satané robot ! Je vais m’introduire à l’intérieur de l’avion, le lancer sur la tête et m’éjecter au dernier moment. Moi seule le peux !

- Bien reçu ! On va tâcher de le distraire un peu. Terminé.

- Je m’occupe de te couvrir, Lisa, fit la voix de Jerry.

- Parfait. A charge de revanche !

« Ca s’est fait, songea Lisa. Au suivant ! »

Elle accéléra pour distancer le chasseur à ses trousses, mais ce dernier apparut bientôt sur sa gauche.

A 15h, un autre chasseur semblait l’avoir prise pour cible.

«  Manquait plus que ça ! »

Mais à peine arrivé, cet ennemi importun disparut aussi vite, détruit par une salve salvatrice tirée à point nommée par Jerry. La proximité de l’explosion chahuta la jeune femme qui vit avec horreur une aile perforée fondre sur elle en tournoyant. Elle glissa in extremis à l’intérieur du projectile et l’entendit avec bonheur s’encastrer mortellement dans le cockpit de son premier poursuivant. A peine remise de cette échauffourée, elle s’aperçut que son manège venait d’attirer l’attention de deux autres Sweeping italiens. Le premier était rivé à son sillage comme si sa vie en dépendait, quant au second, il venait face à elle, tirant sans discontinuer. Elle était rapide, mobile, mais si désespérément vulnérable face au feu véloce de l’ennemi. Heureusement, Lisa avait deux atouts de poids pour palier à cette faiblesse : une parfaite maîtrise du propulseur qui ornait son dos et un degré d’astuce équivalent. Chris avait eu le temps de la connaître suffisamment. Pas assez selon elle mais suffisamment pour savoir qu’il était plus sage que ce soit elle qui conserve le jet-pack. Elle prit le temps de formuler une fervente prière à son intention avant de se lancer dans un ahurissant numéro d’acrobaties. Elle virevolta telle une étoile filante euphorique, échappant de justesse aux chapelets mortels que les deux chasseurs lui distribuaient sans compter. Profitant d’une impulsion, elle plongea sous un feu nourri provenant des deux côtés. Qui ne fut pas perdu pour tout le monde. Le Sweeping se trouvant dans son dos se décomposa violemment sous l’impact. L’autre eut plus de chance. Il se déporta à temps et ne sacrifia que son pare-brise. Le pilote n’eut pourtant pas le loisir de savourer cette victoire. Profitant de l’accalmie, Lisa s’était transporté jusqu’au chasseur en difficulté. Le pilote n’eut que le temps de la voir jeter une mine – ventouse dans le cockpit avant que son appareil vole en éclats.

La jeune femme eut bien vite l’occasion de renvoyer l’ascenseur à Jerry. A son tour, il fut la proie d’un chasseur dont la ténacité le repoussait dans ses derniers retranchements. Elle se lança alors dans le sillage de l’italien et colla une mine ventouse au niveau de ses tuyères. Elle se propulsa ensuite à hauteur du cockpit. Le pilote se tourna vers elle, ahuri, et elle lui adressa un petit geste de la main. Avant que la queue de son appareil ne disparaisse dans une boule de feu.

- Merci Lisa ! Il commençait à me saper le moral !

- De rien, Jerry. J’ai toujours détesté les dettes !

Cependant qu’ils devisaient de la sorte, le pilote italien s’éjecta de son appareil à leur insu. Calvin repéra la toile de son parachute et se chargea de la perforer d’un tir bien ajusté. Libéré de ses suspentes, le pilote tomba comme une pierre avant de remonter subitement vers la bataille, véhiculé par un jet-pack savamment camouflé. Son propulseur s’escamota sur chacun de ses flancs, lui distribuant une mine-ventouse dans chaque main. Il repéra un allié en mauvaise posture et se fit une joie de le débarrasser de leur ennemi commun.

- Merde ! aboya Carson. Il y a un fumier de rital qui se balade en jet-pack. Il vient de descendre Rudy ! Ce n’était qu’un gosse !

- Bien reçu, Andy. Je m’occupe de ce plagiaire !

Lisa évita une rafale avant de fondre sur sa nouvelle cible prioritaire.

L’italien porta une main à son oreille droite et se retourna. Lisa comprit qu’un de ses alliés venait de lui communiquer sa position. Elle dégaina son pistolet et fit feu à plusieurs reprises. L’autre  esquiva et se trouva derrière elle en un éclair.

- Bye bye Wonder Woman !

Lisa entendit le rire lugubre de son adversaire en même temps qu’un objet métallique se coller contre son propulseur. Elle fut glacée d’effroi en comprenant qu’elle portait une mine-ventouse. Sans réfléchir, elle se libéra de son harnais et repoussa le jet-pack. Ce dernier ne trouva rien d’autre à faire que percuter un chasseur américain. Le souffle de l’explosion grilla le visage de Lisa et la projeta sur l’italien auquel elle s’accrocha désespérément. Soit elle avait un ange gardien, soit elle était vraiment Wonder Woman ! La lutte fut de courte durée. Elle supporta stoïquement les secousses et les jurons de l’italien avant de l’assommer d’un coup de crosse. Réduisant la vitesse de son jet-pack, elle put s’en emparer et regarda le corps inerte de son adversaire filer vers le sol.

- Bye bye Superman !

Grâce aux soutiens de Jerry, de Carson et de quelques autres, elle arriva sans plus de mal jusqu’à l’arsenal volant. Seulement, l’accès de la soute était verrouillé de l’intérieur et elle avait utilisé sa dernière mine-ventouse pour secourir Jerry.

- Besoin d’un serrurier, mam’zelle ?

Justement c’était Jerry. Il avait gardé un œil sur elle et tous deux s’en félicitèrent.

Il se positionna correctement avant de lâcher une courte salve.

La porte fut pulvérisée,  permettant à la jeune femme de pénétrer dans l’appareil.

- Merci Jerry. Me revoilà ta débitrice !

Elle était attendue. Trois soldats accoururent, armé chacun d’un fusil - mitrailleur Juggernaut. Elle dégaina son pistolet et abattit le premier. L’un des deux autres lui logea une balle dans l’épaule gauche. Elle tomba derrière un amas de caisses. Serrant les dents, elle toucha mortellement le tireur. Elle arrosa copieusement le dernier avant de constater qu’elle n’avait plus de munitions. Heureusement lui non plus. Elle se releva avec peine et leva les bras en signe de reddition. L’italien dit quelque chose en se rapprochant qu’elle ne prit pas la peine de traduire. En même temps qu’elle faisait volte-face, elle s’arc-bouta et enclencha les fusées de son jet-pack qui se chargèrent d’incinérer vivant le soldat impérial.

Se débarrasser des pilotes fut chose plus aisée. Elle libéra un siège et s’installa aux commandes.

- Je suis en place. Jerry, Calvin, vous me recevez ?

Un long silence meurtrier lui répondit. Elle était peut-être désormais la seule survivante de leur escadrille. Elle poussa un long soupir et dirigea l’appareil vers la tête du titan qui semblait ne pas l’avoir repérer dans tout ce chaos.

Elle enclencha le MVR ou Mode de Vision Rapprochée.

Le cockpit du « Mein Kampf » occupa en transparence tout l’espace de son champ de vision. Elle eut alors le loisir de détailler les deux pilotes absorbés dans leurs manœuvres et surtout Ralf Del Itoh en personne. C’était donc cet homme qui avait monopolisé tant de moyens, alimenté tant de haine, de courage, de dévotion. Elle observa son visage. Il fallait qu’il meure, tout en elle le lui ordonnait, et pourtant, une voix obscure, surgie d’un recoin perdu de son inconscient se dressa contre la plus intraitable logique. Pourquoi ressentait-elle un lien particulier avec ce monstre de tyran ? Pourquoi cette impérieuse voix intérieure lui affirmait qu’en tuant cet homme, elle allait indéniablement tuer une partie d’elle-même ? Cela n’avait aucun sens. C’était pure folie.

La voix de Jerry retentit dans l’habitacle comme pour mettre un terme à l’inconcevable dilemme.

- Lisa, qu’est-ce que tu fous, enclenche la PAU ! Ce salaud est à nous !

Il se garda bien de lui dire que son appareil était en feu et qu’il n’avait plus que quelques instants à vivre.

La voix de Jerry emplit le cockpit du « Mein Kampf ».

- Vous savez ce qu’il dit ? interrogea Del Itoh.

L’un des pilotes tendit l’oreille et plissa les yeux.

- Ces foutus américains bouffent la moitié des mots ! On dirait qu’ils préparent quelque chose. Il s’inquiète au sujet d’une manœuvre.

 Le dictateur détailla les appareils occupant le ciel. Puis soudain il pâlit.

- Ils vont lancer le Stormaker contre nous !

L’un des pilotes secoua la tête.

- Il est beaucoup trop lent.

L’autre pilote secoua la tête à son tour :

- Pas si elle actionne la Propulsion Auxiliaire d’Urgence. Ce système a été conçu pour éviter qu’un tel appareil puisse exploser n’importe où et endommager d’importantes unités impériales. Grâce à cela, il peut acquérir la vitesse d’un chasseur pendant une période suffisante. Et nous ne pourrions probablement pas l’éviter !

Le regard de Del Itoh s’embrasa.

- Alors détruisez-le !

Le pilote allait s’exécuter, mais une pression sur son épaule le retint.

- Qu’y a-t-il, maître ?

Del Itoh regardait droit devant lui. Son regard semblait traverser l’espace jusqu’à atteindre le pilote même du Stormaker.

- Je ne sais pas. Je ressens une impression étrange. Comme si j’allais regretter ce geste.

- C’est pourtant la seule chose à faire, mon Maître.

- Oui, cela ne fait aucun doute.

Le bras armé du titan menaça le Stormaker.

Lisa ôta son casque, libérant une somptueuse chevelure rousse.

- Je ne peux pas. Pardonnez-moi.

Elle était en pleurs.

Ralf Del Itoh poussa un soupir à fendre l’âme.

- Feu !

Le poing du robot cracha une série d’éclairs qui pulvérisèrent le bombardier.

 

Les poings du Grand Programmateur s’abattirent sur le plateau, menaçant d’y apporter plus de confusion encore. Il ignora l’expression de son rival et se laissa complètement choir sur sa chaise. Sa manière de signifier sa reddition.

Le Sombre Adversaire croisa ses doigts avec une évidente délectation.

- Une taupe qui s’ignore est une taupe qui vaut de l’or.

Le Grand Programmateur se laissa gagner par une reposante léthargie.

- Epargne-moi les maximes de ton esprit tordu.

- Tu ne veux pas voir ce que j’ai réservé à ton atout majeur ? Ca vaut le coup, crois-moi sur parole. Tu sais quoi, je crois que je connais enfin mon plus gros défaut.

- La folie ?

- L’ironie.

 

Jena ouvrit les yeux. Elle fut déçue de constater qu’elle n’était pas morte. Le sniper s’était contenté de lui injecter un tranquillisant. Une charmante attention qu’elle devait sans nul doute à Ralf Del Itoh lui-même.

Elle était assise sur une chaise, pieds et poings liés. On lui avait retiré son uniforme, ses bottes. Il ne lui restait que ses sous-vêtements. Elle se demanda si les soldats l’avaient violée pendant qu’elle était inconsciente.

Un officier sortit de l’ombre et comme s’il avait lu dans ses pensées, il s’adressa à elle dans un anglais approximatif :

- Pas peur. Le Maître arriver bientôt. Faire pas mal à toi avant.

Il lui empoigna la mâchoire et lui assena un coup de poing.

- Pour ça, dire que toi tomber.

Elle aurait nettement préféré que cette brute d’officier s’occupe de son sort. Car elle savait qu’il serait de toutes façons toujours plus enviable que celui que pouvait lui réserver le dictateur. Elle cracha une giclée de sang avant de s’adresser à lui :

- Mes hommes ?

L’officier haussa les épaules.

- La guerre. Pas beaucoup choix.

Jena tourna la tête et se retint de pleurer en pensant à Jonas. Elle l’avait trahi. Ni plus, ni moins. Lui et tous les Frères de la Délivrance qui l’avaient suivi sans état d’âmes jusqu’au bout de son obsession. Au lieu de les mener à la victoire, elle les avait mené à une mort certaine. Elle méritait ce qui allait lui arriver. Quoi que ce fut.

 

Chris Ludan était perdu. Il avait l’impression de sortir du coma ou quelque chose d’approchant. Il se souvenait de la bataille aérienne, de Lisa s’échappant du Sweeping avec le jet-pack, mais après…

Il chercha son avion du regard. S’il s’était écrasé, comme ce devait être le cas,  il devrait rester au moins une épave, des fragments, quelque chose. Pourtant il n’y avait aucune trace du chasseur. Le sol était vierge de tout impact. Comme s’il s’était totalement désintégré.

Et comme si cela ne suffisait pas pour le perturber, lui-même n’avait aucune blessure. Il avait dû tomber dans la quatrième dimension.

Il secoua la tête pour chasser cette élucubration. Ce n’était pas le moment de divaguer. Il leva les yeux. Le ciel était d’une étrange teinte, baignant tout le paysage dans un curieux contraste de jour et de nuit. Comme si la nature n’arrivait pas à se décider. Chris avait l’impression surréaliste d’avancer dans une peinture. « J’espère que c’est une toile de maître ! »

D’être tombé sur la terre ferme était inconcevable. D’après ce qu’il se rappelait, ils étaient encore très loin du continent au moment où ils avaient engagé la bataille. Avait-il pu dériver à ce point ? Dans ce cas, où était –il ? Sur une île perdue ? En Angleterre ? En France ? Les deux pays étaient aux mains des italiens du Troisième Règne ce qui impliquait qu’il ne serait pas le bienvenu s’il avait bien atterri en Europe.

Il poussa un soupir de soulagement en découvrant un pistolet glissé dans sa ceinture. Puis il eut l’idée de jeter un coup d’œil à sa montre-boussole.

Le cadran était intact, mais elle ne marchait plus. C’était pourtant un modèle dernier cri si l’on en juger par l’électronique dont elle était saturée jusqu’au bracelet. Elle était capable de déterminer l’heure, la température, le taux d’humidité, la qualité de l’air et bien d’autres choses encore. Mais soit le coin avait souffert d’intenses décharges magnétiques, soit il était sur une autre planète. Car tous les détecteurs affichaient NEANT.

Il ne se sentit plus de joie lorsqu’il repéra enfin une espèce de baraque aussi paumée que lui. Il s’approcha néanmoins à pas de loups, ne sachant sur qui il pouvait tomber. Il s’empara de son arme. Il n’y avait pas de fenêtre, juste une porte. Pas de sonnette. Pas de poignée. Un simple panneau de ce qui semblait être du bois avec d’étranges reflets irisés. Chris le poussa doucement d’une main et pénétra à l’intérieur.

 

De l’eau glacée !

Jena sortit de sa torpeur, le visage dégoulinant. L’officier se tenait devant elle, un seau à la main, un sourire aux lèvres.

- Pas dormir. Le Maître ici.

Décidément, elle aurait préféré mourir. Mais elle était maudite et le martyr était apparemment devenu sa nouvelle vocation. « Qu’il en soit ainsi. »

Une main lui saisit à nouveau la mâchoire, mais ce n’était pas celle de l’officier. Son regard plongea dans le regard de Ralf Del Itoh.

Elle était face à son pire ennemi, face au bourreau de l’Humanité. Et elle était pieds et poings liés. Son destin était d’une cruelle ironie.

- Alors c’est toi la Panthère de Dieu, la Vierge de Fer. L’es-tu seulement encore, vierge ?

L’officier acquiesça.

Del Itoh sourit.

- Je crains que tes vœux de chasteté ne trouvent en moi aucun écho de compassion. Tu t’es abstenue pour rien.

Jena entendit l’officier éclater de rire. Del Itoh avait dû faire une remarque spirituelle, mais comme elle ne comprenait pas un mot d’italien.

Le dictateur, lui, gardait un sérieux inquiétant.

- Vos efforts à tous ont été honorables, mais un peu trop tardifs. Tes alliés américains ont eux aussi essayé de m’arrêter. Très audacieux de leur part. Mais on ne gagne pas une guerre comme celle-ci avec de l’audace.

Il leva le poing et la voix :

- Il faut de la rage au cœur !

Il sourit. Jena se dit que ce n’était pas de bon augure pour elle.

- Je n’ai jamais crû en ta mort présumée. Mais puisque tu tiens tant à mourir, ton Maître va t’exaucer. C’est devenu sa spécialité.

Il se recula.

- Qu’on la détache et qu’on l’emmène sur la place.

L’officier s’exécuta.

Sous bonne escorte, Del Itoh conduisit la jeune femme sur la place dite, au centre de laquelle se dressait la statue d’un cavalier. Ou plutôt d’une cavalière.

- Tu sais qui c’est ?

C’était Jeanne d’Arc, immortalisée pour ses exploits. Une farouche combattante, une femme à la foi inébranlable. Comme Jena.

La jeune femme était hypnotisée par la sculpture. Sa vie trouvait un sens nouveau à la vue et au souvenir de cette guerrière et de ce qu’elle avait enduré.

« Nous nous ressemblons tellement.  Mais contrairement à elle, j’ai échoué. Si près du but. »

- Attachez-là à la statue, ordonna Del Itoh.

Deux hommes s’emparèrent de la jeune femme et la ligotèrent au piédestal.

Des fusils furent dressés, en nombre suffisant pour lui garantir une mort rapide. Sauf s’ils étaient très mauvais tireurs. Jena ne savait si elle devait rire ou pleurer. Dans le doute, elle ne fit rien. Il y a longtemps que les choses lui avaient échappé. Elle n’avait été maîtresse de rien. Elle n’avait été qu’un jouet, un instrument aux mains d’un esprit malin. Que cette mascarade se termine enfin ne pouvait que lui procurer un certain réconfort.

L’officier leva une main.

- En joue.

Les soldats obtempérèrent.

- Non !

Ralf Del Itoh dévisagea Jena et la statue avant de se diriger vers un soldat en particulier.

- Puisqu’elles se ressemblent tant, qu’elles meurent toutes les deux de la même façon.

Le soldat s’avança et pointa la gueule de son lance-flammes vers la jeune femme. Alors elle comprit toute la portée de ses cauchemars.

L’officier baissa le bras.

- Feu !

 

- Tu n’es qu’un ignoble monstre sadique !

Le Grand Programmateur se leva pour éviter un drame.

L’autre se fit un plaisir de jeter de l’huile sur le feu.

- Tu comprends ce que je voulais dire en parlant d’ironie ?

- Il vaut mieux que je sorte sinon je suis capable de…

- De me tuer ? acheva le Sombre Adversaire. Tu sais bien que c’est impossible. Pas à mains nues en tout cas. Et tu sais comme moi qu’il n’y a plus d’armes ici.

Le Grand Programmateur lui jeta un regard noir.

- A qui la faute ? Tu as tiré la dernière balle, provoquant l’extinction d’une espèce qui avait obtenu mille fois plus ma faveur que cette déplorable race humaine avec qui j’ai dû composer pendant tout ce temps. Cela n’a jamais été mon choix. Et pourtant, tu dois le reconnaître, je me suis bien battu.

- J’en conviens tout à fait. Mais nous avons toujours été à armes égales. A toi d’en convenir.

- Impossible. Ce jeu est conçu pour un esprit que je n’ai pas. Je suis trop innocent.

Le Sombre Adversaire s’esclaffa.

- Si ça ce n’est pas de l’ironie !

Il sursauta.

- J’ai entendu un bruit.

Le Grand Programmateur ne cacha pas son dédain.

- Merci, mais tu m’as déjà fait le coup. Tu n’as plus besoin d’employer de telles bassesses pour l’emporter. Tu as gagné au cas où tu ne l’aurais pas remarqué. Et je n’ai pas l’intention de rejouer si tu veux tout savoir.

Le Sombre Adversaire se leva.

- Quoi ? Mais tu plaisantes, nous devons absolument poursuivre le jeu ! Ce n’est pas ma première victoire et ça ne doit pas être ma dernière ! Tu sais très bien que nous ne sommes plus rien sans ce jeu !

- Parle pour toi.

Le Sombre Adversaire se rassit.

- Te souviens-tu de ce que tu faisais avant le jeu ?

Son interlocuteur le regarda sans mot dire. Il connaissait ses arguments par cœur.

- Non, évidemment, reprit le Sombre Adversaire, tout comme moi. Cela fait si longtemps que nous jouons que nous ne nous souvenons de rien d’autre.

Le Grand Programmateur se dirigea vers le rideau.

- Je vais sortir d’ici. J’en ai soupé de tout ceci. Ce jeu, cette pièce. Toi…

Le Sombre Adversaire fut soudain pris de panique. Il se dressa et balbutia :

- On pourrait échanger nos places! C’est très simple et ça ne coûte rien d’essayer !

Le Grand Programmateur haussa les épaules en reniflant bruyamment. Il écarta le rideau et se recula brusquement comme s’il venait de voir un fantôme.

Une arme était braquée sur lui. Chris Ludan s’avança dans la pièce.

- Que personne ne bouge !

Le Sombre Adversaire dévisagea l’arrivant. Il glissa une main dans sa poche.

- Comment est-ce possible ? Il ne devrait pas être ici ! Comment est-il arrivé ?

Le Grand Programmateur semblait ému de se retrouver face à son champion. Il le scrutait à la manière d’un père qui rencontrerait son fils pour la première fois. Il n’en perdit pas pour autant son brillant esprit d’analyse.

- On dirait bien qu’à force de les utiliser, certains d’entre eux ont fini par acquérir plus de pouvoir que nous ne l’imaginions. Il faut croire que nous ne connaissons pas encore toutes les règles du jeu.

La patience de Chris se fit la belle. Il devint menaçant.

- Arrêtez ces messes basses ! De quoi parlez-vous ? Qui êtes-vous ? Vous êtes anglais, américains ?

Le Grand Programmateur lui adressa un regard magnanime.

- Je pense qu’au point où en sont les choses, rien ne nous interdit de te le dire. Surtout si ça peut mettre fin une bonne fois pour toutes à ce jeu stupide.

Le Sombre Adversaire se leva.

- Ne lui dis pas ! Ne lui dis rien !

- Toujours ta peur obsessionnelle du néant ?

Le Sombre Adversaire jeta un regard méprisant à Chris.

- Pourquoi devrions-nous nous soumettre ? Ce n’est qu’un pion. Son arme ne fonctionne certainement pas ici !

Chris rendit son regard au Sombre Adversaire avant de braquer son pistolet vers une armoire. Il pressa la détente. Une détonation retentit et la porte de l’armoire s’ouvrit.

- Apparemment, elle fonctionne.

Il plaça le Sombre Adversaire dans sa ligne de mire.

- Mais je peux faire un nouvel essai pour vous convaincre.

Le Sombre Adversaire s’assit en essayant de se faire tout petit.

- C’est inconcevable ! Ca ne peut-être qu’une anomalie !

Le Grand Programmateur continuait d’observer Chris avec un mélange de stupeur et de fascination.

- Peut-être que le jeu lui-même a développé une forme de conscience. Et qu’elle commence à se manifester…

Chris le menaça de son arme.

- Sois plus clair ou tu n’auras plus le loisir de cogiter.

Du menton, le Grand Programmateur désigna le plateau du jeu.

- Tout est là. Tout est dans le jeu. Tout ce qui a existé, tout ce qui est arrivé, tout ce que tu as connu est son œuvre. Nous ne sommes là que pour entretenir la mécanique si je puis m’exprimer ainsi. Même si nous avons le plus grand mal à nous en rappeler, il est très raisonnable de penser que le jeu était là bien avant nous.

Chris dévisagea les deux joueurs.

- Amnésiques ?

Le Sombre Adversaire produisit un sourire plein de malice.

- Immortels.

Chris ignora ce qu’il prit pour un sarcasme et s’approcha de la table. Il détailla le plateau.

- Je ne comprends rien à ce que vous me racontez et je ne vois pas grand-chose là dedans.

- C’est naturel, reprit le Grand Programmateur. C’est la première fois que tu le vois. Si tu avais la même expérience du jeu que nous, tu verrais de l’eau, des continents, des forêts, des villes, des hommes, des femmes, des soldats, la guerre, le Troisième Empire régnant sur toute la sur…

- Ferme-là ! rugit le Sombre Adversaire.

Chris le frappa de la crosse de son arme.

- Non, toi, ferme-la !

Il examina tour à tour le jeu et le Grand Programmateur.

- Tu es en train de me dire que ce que vous appelez le jeu est une représentation du monde que vous supervisez comme bon vous semble ? Vous me croyez assez bête pour avaler ça ?

Le Sombre Adversaire prit quelque chose sur le bord de la table.

Chris pointa son arme sur lui, mais se détendit lorsque l’autre ouvrit son poing. A l’intérieur, il y avait une figurine humaine. Chris la prit et la regarda parce que c’était ce qu’on attendait de lui. Le niveau de détails était impressionnant.

Le personnage lui semblait terriblement familier. Au point qu’il en ressentait un douloureux malaise.

- C’est toi, dit le Grand Programmateur.

- Tu ne fais plus partie du jeu à l’heure actuelle. Tu es mort.

- Mort ? Je n’ai rien d’un mort, sauf si vous l’êtes aussi.

Le Sombre Adversaire décida de changer son fusil d’épaule. C’était peut-être aussi bien que cet intrus soit là. Il allait peut-être enfin pouvoir partager ce poids, cette responsabilité qu’il détenait seul depuis si longtemps ; le partager avec quelqu’un de tout à fait… extérieur. Cela mettrait un peu de piment dans son existence.

- Quand tu auras compris tout le fonctionnement du jeu, tu sauras que le mot « mort » n’est en fait  qu’une façon de dire qu’un pion n’est plus valide jusqu’à ce qu’il soit de nouveau remis en jeu. Chaque pion est réutilisable. Ce qui laisse un certain nombre de possibilités. Il n’y a pour ainsi dire pas de limite. Pas de fin.

Chris avait trop peur de comprendre. Il se raccrocha à sa perception prosaïque du monde.

- Qu’est-ce que cela veut dire ?

Le Grand Programmateur désigna du menton l’armoire ouverte précédemment.

Chris redonna la figurine au Sombre Adversaire et s’approcha du meuble.

 A l’intérieur il y avait d’innombrables boîtes dont le couvercle était recouvert d’inscriptions indéchiffrables. En tout cas pour lui.

A l’intérieur de chaque boîte, il y avait d’innombrables figurines. Comme celle qu’il avait tenu dans sa main. Il fut pris d’un vertige. Il lâcha son arme et se laissa tomber sur le sol.

- Ce n’est possible, ça ne peut pas être ça ! La vie ne peut pas se résumer à ça !

Le Sombre Adversaire se tourna vers son éternel rival :

- Je crois qu’il a besoin d’une preuve.

Le Grand Programmateur opina du chef.

- Où voudrais-tu être si tu pouvais retourner sur Terre ?

Chris les dévisagea, espérant qu’ils allaient éclater de rire et lui dire ensuite qu’ils s’étaient bien foutus de lui. Mais ils affichaient un sérieux qui le glaça jusqu’aux os.

- Je voudrais être aux côtés de Lisa, Lisa Derdefyll. Je veux savoir ce qu’il lui est arrivé.

Le Sombre Adversaire observa la figurine représentant Chris.

- Rien de plus simple.

Puis il la plaça dans le jeu.

Chris disparut de la pièce et…

 

… se retrouva dans l’eau, manquant se noyer, lui qui était pourtant un nageur émérite. Autour de lui flottaient d’innombrables fragments d’avions. Cette vision fut l’ultime preuve de la folle théorie qu’avançaient les deux énigmatiques joueurs. Il reconnut les restes de  plusieurs Sweeping et ceux d’un Stormaker. Et c’est à ce moment qu’il comprit le sort de Lisa. S’il était bien à l’endroit voulu, cela ne pouvait signifier qu’une seule chose : la jeune femme avait péri durant la bataille.

Une tristesse terrible le submergea. Ses yeux se fermèrent comme pour censurer le drame. Il leva la tête vers le ciel et sa bouche s’ouvrit pour expulser toute sa rage :

- Pas elle !

 

Lorsqu’il rouvrit les yeux la seconde d’après, il était de nouveau dans la pièce en compagnie des deux joueurs. Il s’écroula derechef contre l’armoire et ne put refouler l’émotion d’une telle découverte :

- Nous ne sommes donc que des figurines entre vos mains, des pions sans aucune volonté!

Les deux adversaires se dévisagèrent. Ils avaient le sentiment d’avoir impunément péché toute leur vie et d’être enfin démasqués et jugés. Auparavant, il ne leur avait jamais semblé utile de ressentir la moindre culpabilité. Personne n’était jamais venu leur reprocher quoi que ce soit. Ils étaient même plutôt fiers de leurs prestations. Et voilà qu’un imprévu venait tout remettre en question.

- Vous n’avez donc jamais expérimenté la vie autrement que par ce jeu ?

Le Grand Programmateur inspira longuement avant de répondre.

- Comme nous le disions tout à l’heure, nous ne nous souvenons de rien à part du jeu. Si nous avons fait et vécu autre chose avant, et bien, nous l’avons oublié. Et c’est sûrement mieux ainsi.

Chris se releva, les yeux baignés de larmes, les dents serrés par la haine :

- Vous ne valez pas mieux que ce salopard de Del Itoh !

Il renversa une boîte au sol, éparpillant des dizaines de figurines.

Le Sombre Adversaire s’avança vers lui. Le pistolet de Chris revint le menacer.

- Ne bouge pas, ordure ! Le jeu est terminé ! Vous allez tous les deux pointer au chômage !

Il renversa le contenu d’autres boîtes. Ses semelles écrasèrent plusieurs figurines.

Le Sombre Adversaire empoigna son partenaire de jeu :

- On ne peut pas le laisser faire ! Il va tuer des tas d’innocents !

Le Grand Programmateur regardait la scène avec un sourire discret, mais perceptible.

- Que crois-tu que nous avons fait jusque-là ?

Chris était comme dans un état de second. Il pensait à l’histoire avec un grand H ainsi qu’à toutes les autres, moindres en apparence. Il pensait à sa propre histoire. Il ne savait pas s’il devait rire, pleurer ou hurler. Tout ce qu’il était capable de faire pour le moment était de saccager cette maudite armoire. C’était un exutoire comme un autre. Vivre libre ou mourir !

Le Sombre Adversaire se rapprocha doucement de lui :

- Arrête, tu es en train de tuer des gens !

- Non, je les délivre. Je les délivre tous de leur état de marionnettes, de leur condition d’esclaves !

- Ce ne sont pas des marionnettes. Tu n’es pas une marionnette. Tu as toujours conservé un libre-arbitre sur lequel nous étions incapables d’influer.

Chris s’immobilisa et se tourna vers le Sombre Adversaire.

- Ah, oui ! Dis-moi quand, alors ? Quand j’ai envoyé mes hommes se faire massacrer en plein ciel ou quand j’ai laissé Lisa quitter le chasseur pour…

- Elle serait restée avec toi, elle serait morte quand même.

Chris lui décocha un coup de poing.

- Elle m’aurait alors peut-être rejoint ici, alors !

Le Grand Programmateur pointa un index en direction de la table :

- Vous pouvez à nouveau être ensemble. C’est encore possible. Il suffit que l’on modifie le jeu. Nous faisons cela tout le temps. Il n’y a ni passé, ni futur, rien qu’un éternel présent que l’on reconfigure selon nos besoins respectifs.  Moi je suis de ton côté. Je l’ai toujours été.

Le Sombre Adversaire essuya le sang qui coulait de son menton.

- Regardez-moi ce pleutre. Et si tu lui disais plutôt qui est vraiment Lisa. Si tu lui disais qui elle était avant d’être cette vaillante résistante! Si tu lui disais pourquoi elle n’a pas pu tirer sur Del Itoh quand elle en a eu l’occa…

- La ferme ! cria le Grand Programmateur.

Chris orienta son arme vers lui.

- Non, toi, ferme-la.

Il s’adressa au Sombre Adversaire.

- Qu’est-ce que tu vas m’annoncer ? Que c’était une femme dépravée ? Un tueur sadique ? Peut-être Jack l’éventreur ?

Le Sombre Adversaire sourit.

- Tellement pire que tout cela réuni.

D’un regard dépourvu de pitié, Chris l’invita à être plus précis.

- Elle était la mère de Del Itoh. Et toi-même, tu as essayé de la tuer, elle et le père du futur Maître. Ayant échoué, tu t’es suicidé. Une balle dans la tête. Tu n’as jamais vraiment su d’où venaient ces terribles migraines dont tu as souffert toute ta vie, n’est-ce pas ?

Chris se caressa la tempe, en proie à un formidable sentiment d’impuissance face à la perspective qui lui était progressivement dévoilée. Ce qu’il avait considéré comme la réalité n’avait été en fait que la partie émergée de l’iceberg.

Et puis la colère dénatura ses traits :

- Espèces de …

Le Sombre Adversaire se jeta sur lui pour s’emparer du pistolet. Une première balle siffla au-dessus de la tête du Grand Programmateur, une seconde troua le rideau. Ses yeux s’écarquillèrent quand il vit le canon de l’arme se diriger dangereusement vers la table. Il se jeta sur le côté et poussa un cri lorsque la balle s’enfonça dans sa poitrine. Il bascula en arrière.

Chris fixa le corps avec hébétude.

- Je l’ai tué ?

Le Sombre Adversaire profita de sa consternation pour lui arracher le pistolet des mains. Il  s’agenouilla auprès du corps.

- Ce n’est qu’une question de temps.

Il rangea le pistolet dans une poche. L’évènement eut le don d’instaurer une trêve dans les esprits. Chris rejoignit le Sombre Adversaire. Il se pencha vers le Grand Programmateur. En découvrant sa blessure et son expression douloureuse, il éprouva une grande pitié. Et il prit conscience que si cet homme mourrait, ce serait aussi une partie de lui qui disparaîtrait. A ce titre, il partageait une émotion commune avec le Sombre Adversaire. Ce dernier devait aussi beaucoup de son existence à son interaction avec le Grand Programmateur. Pour lui, ce n’était pas seulement un très bon adversaire qui allait partir. C’était tellement plus que cela.

Chris sentit un nouveau vertige le prendre. Il pria pour se réveiller de ce cauchemar tout en apposant ses mains jointes sur la poitrine exsangue.

- Il faut faire quelque chose. Vous avez une trousse de secours ?

Le Sombre Adversaire baissa la tête.

-  Il n’y a rien pour soigner, ici. Je vous l’ai dit, nous sommes immortels. Enfin, nous pensions l’être jusqu’à votre arrivée.

Tous deux acceptaient mal leur impuissance. Le Sombre Adversaire prit la main du Grand Programmateur. Il se devait de l’accompagner jusqu’au bout. Histoire peut-être de prouver et de se prouver qu’il était un joueur fair-play contrairement aux apparences.

Le Grand Programmateur ouvrit la bouche. Les deux autres se figèrent, attentifs à ses dernières paroles. Mais il n’y eut qu’un hoquet suivi d’une giclée de sang. Chris abaissa ses paupières. Le Sombre Adversaire fixa le mort, le souffle coupé. Cette image défiait la raison. Ils avaient toujours été deux. Qu’allait-il devenir sans lui ?

Il se leva et regagna lentement sa place. Il observa le jeu qui lui apparaissait sous un nouveau jour.

Chris s’approcha de la table. Malgré les explications qu’il avait reçues par les deux joueurs, le jeu était encore une énigme pour lui. Il le contemplait sans comprendre comment il était possible de maîtriser tant de paramètres. « Jouer à Dieu n’est sans doute pas à la portée de tout le monde. » L’esprit des deux joueurs devait faire partie intégrante du jeu. C’est sans doute pour cette raison qu’il n’en distinguait que la superstructure.

Le Sombre Adversaire observait maintenant le corps inanimé du Grand Programmateur. « Ce vieux fou a finalement réussi à quitter le jeu. Lui qui voulait en être délivré, le voilà servi. Mais quel égoïste ! » Son attention se porta alors sur Chris, aussi songeur que lui. Et son visage s’éclaira.

- On dirait bien que même à notre niveau, nous n’échappons pas au destin. Et il vient de parler.

Il désigna la chaise vide du menton :

- J’ai besoin d’un partenaire.

Chris se recula, horrifié.

- Même si je le voulais,  je ne pourrai pas le remplacer. Je suis issu du jeu.

Il scruta le Sombre Adversaire. Ses sourcils se froncèrent.

- A moins que vous ne m’ayez bluffé depuis le début.

Sa méfiance fit sourire son interlocuteur.

- Aucunement. Tu es bien issu du jeu. Mais ce n’est en rien un obstacle.

Le Sombre Adversaire glissa une main dans une poche et la tendit vers Chris.

Ce dernier manqua défaillir en voyant les deux figurines qu’il lui présentait.

Il les prit dans sa main et les examina pour s’assurer de leur réalité.

L’une d’elle représentait indéniablement le Sombre Adversaire. Quant à l’autre, bien que brisée en deux, il était évident qu’elle était la réplique miniature de feu le Grand Programmateur.

- Il ne l’a jamais su. J’ai préféré le lui cacher, révéla le Sombre Adversaire. Ca valait mieux pour lui. Et aussi pour moi. Tu n’es pas le premier à être parvenu jusqu’ici. Ces figurines ont toujours été là pour me le rappeler. Au fur et à mesure que j’ai compris les subtilités du  jeu, j’ai aussi compris que notre place était ici désormais et qu’il était plus sage d’oublier que nous avions pu être autre chose que ces deux joueurs assidus que nous incarnons depuis des temps immémoriaux. J’ai préféré l’oubli à la folie. Je crois que c’est pour ça que je les ai conservées  dans ma poche pendant tout ce temps à son insu. Pour garder à l’esprit que nous avions trouvé le meilleur rôle de notre vie.

Chris était captivé par le récit. Il en oubliait ses craintes et sa colère.

- Vous n’avez jamais voulu partir ?

- Si, plus d’une fois. Surtout lui. C’est même ce qu’il s’apprêtait à faire lorsque tu es arrivé. Mais à chaque fois que j’évoquais l’idée qu’à l’extérieur c’était le néant et qu’il ne trouverait rien, il changeait brusquement d’avis. Il s’est bien éclipsé quelques fois, mais désespéré, il a toujours fini par revenir au bercail. S’il y a quelque chose en dehors de cette maison, ce n’est certainement pas à côté. Mieux vaut passer le temps à jouer qu’à chercher un hypothétique éden. Nous ne sommes pas si mal lotis. En tout cas, c’est loin d’être l’enfer.

Chris secoua la tête.

- Et si je ne veux pas rester ici. Et si je préférais retourner dans le jeu ?

Le Sombre Adversaire produisit une suite de clappements de langue.

- En sachant tout ce que tu sais, tu serais vraiment prêt à y retourner ? Cela m’étonnerait fort. Je te vois mal remettre les chaînes que tu viens juste de briser.

- Tu me crois assez fou pour infliger à d’autres le traitement que j’ai moi-même subi ?

- Bien au contraire. Je te crois assez intelligent pour le leur éviter. En restant ici, à mes côtés, tu as le pouvoir de changer le monde d’une manière que tu n’aurais jamais osé imaginer. Tu veux renverser Del Itoh ? Qu’à cela ne tienne ! Jouons une partie et que le meilleur gagne ! Tu aimes Lisa, tu veux la protéger ? Nous pouvons la remettre en jeu et tu deviendras alors le meilleur ange gardien qu’elle puisse avoir !

Chris pointa un doigt accusateur sur le jeu.

- Je n’ai pas besoin de m’abaisser à cela. Il me suffit de briser la figurine de Del Itoh et le Troisième Empire n’aura jamais existé.

Le Sombre Adversaire lui adressa un regard presque compatissant.

- S’il est une chose indissociable de l’être humain, c’est bien la souffrance. Mais c’est un mal que j’ai eu tout le loisir de juger comme nécessaire. Sans l’épreuve pour le transcender, l’homme n’a guère de chance de se fortifier, d’évoluer. C’est une condition siné qua non.

Chris le fusilla du regard.

- J’ai déjà donné ma réponse. Tu vas immédiatement replacer ma figurine dans le jeu. Ainsi que celle de Lisa.

Le Sombre Adversaire pointa le pistolet sur lui.

- Tu vas immédiatement t’asseoir sur cette chaise.

Chris obéit. Il se baissa un instant avant de se redresser et de dévisager son rival avec une déconcertante assurance.

- Tu crois peut-être que je n’ai aucun moyen de pression sur toi ?

Du menton, il indiqua le sol.

Le Sombre Adversaire aperçut avec horreur sa figurine dépassant sous la botte de Chris.

- Mais qu’est-ce que tu…

Chris profita de son trouble pour lui tordre le poignet et récupérer son arme.

- Je n’ai peut-être pas encore tout assimilé, mais il me semble que si j’appuie suffisamment là-dessus, tu risques d’en pâtir sérieusement. Qu’en dis-tu ?

Le visage du Sombre Adversaire devint rouge.

- Le jeu nécessite deux joueurs, sinon il ne fonctionne pas ! Et s’il ne fonctionne pas…

- Alors l’Humanité sera enfin délivré du joug de pseudo dieux ! Il ne t’est jamais venu à l’idée que le jeu avait peut-être une autre fonction que celle que vous lui avez attribuée et que vous l’avez tout simplement dénaturé, perverti ?

Le Sombre Adversaire sentit qu’il perdait le contrôle de la situation. Un comble pour quelqu’un habitué à manipuler les esprits. Et cela ne l’enchantait pas.

Comme il ne répondait pas, Chris ajouta :

- Tu auras bientôt tout le temps d’y réfléchir.

Le Sombre Adversaire balança l’une de ses dernières cartouches :

- Tout à l’heure, tu as eu de la chance. Si tu retournes dans le jeu, tu ne pourras peut-être plus jamais revenir ici.

Chris étala un sourire.

- Que Dieu m’en préserve. Maintenant tu vas faire en sorte de me ramener où est ma place. Et ne t’avise surtout pas de me jouer un sale tour. Que ce soit ici ou ailleurs, je te garde en otage, dit-il en arborant la figurine du Sombre Adversaire. Tu as intérêt à ne pas me mettre de bâtons dans les roues. Ce sera moi contre Del Itoh. Aucune intervention de ta part. Au moindre faux pas, je te brise.

Dépité, le Sombre Adversaire n’en demeurait pas moins sur ses positions.

- Vous n’avez pas appris à ne penser que par vous-même. Toi comme les autres, vous ne pourrez pas vous passer très longtemps de notre action.

Chris sourit derechef.

- Quelque chose me dit qu’on saura très bien s’en passer.

Tout en le mettant en joue, il inspecta les figurines du Grand Programmateur récemment retirées du jeu. Lorsqu’il reconnut celle de Lisa, son sourire s’éploya sur tout son visage.

 

 

 

TROISIEME PARTIE

 

 

 

Chris disparut de la pièce et se retrouva dans l’eau, manquant se noyer, lui qui était pourtant un nageur émérite. Autour de lui flottaient d’innombrables fragments d’avions. Cette vision fut l’ultime preuve de la folle théorie qu’avançaient les deux énigmatiques joueurs. Il reconnut les restes de  plusieurs Sweeping et ceux d’un Stormaker. Et c’est à ce moment qu’il comprit le sort de Lisa. S’il était bien à l’endroit voulu, cela ne pouvait signifier qu’une seule chose : la jeune femme avait péri durant la bataille.

Une tristesse terrible le submergea. Ses yeux se fermèrent comme pour censurer le drame. Il leva la tête vers le ciel et sa bouche s’ouvrit pour expulser toute sa rage :

- Pas elle !

 

Chris Ludan ouvrit les yeux. Le réveil fut douloureux. D’un point de vue physique seulement. Car lorsqu’il découvrit qu’il était aux commandes d’un Sweeping avec Lisa Derdefyll comme co-pilote, la joie qui s’empara de lui fut d’une toute autre nature.

- Bien dormi, mon chou ?

Les mots étaient superflus. Car il se souvenait de tout. Depuis sa chute en avion jusqu’à son affrontement avec le Sombre Adversaire en passant par la mort du Grand Programmateur. Mais pour l’heure, c’était de retrouver Lisa vivante, indemne, inchangée qui lui procurait la plus vive effusion. Il la serra dans ses bras, ému jusqu’aux larmes. Déconcertée, elle voulut d’emblée le railler « eh, Dom Juan, tu vas nous faire crasher ! » Mais elle avait elle-même si souvent désiré un tel rapprochement qu’elle se tut et goûta pleinement la chaleur de cet enlacement inespéré.

Au bout d’une minute, Chris se fit violence pour s’arracher à cette merveilleuse étreinte. Il reprit sa place et tenta de remettre un peu d’ordre dans ses idées. Il plongea une main dans sa poche et sourit en ouvrant son poing. La figurine du Sombre Adversaire était toujours en sa possession.

Lisa s’éclaircit la gorge.

- Qu’est-ce que c’est ?

Chris se tourna vers elle. A la lueur de ses plus récentes expériences, la présence de Lisa à ses côtés signifiait tellement de choses. Il se rappela ce que le Sombre Adversaire avait dit en évoquant la vie antérieure de la jeune femme :

 

« Elle était la mère de Del Itoh. Et toi-même, tu as essayé de la tuer, elle et le père du futur Maître. Ayant échoué, tu t’es suicidé. Une balle dans la tête. Tu n’as jamais vraiment su d’où venaient ces terribles migraines dont tu as souffert toute ta vie, n’est-ce pas ? »

 

Lisa et lui s’étaient déjà rencontrés sous de regrettables auspices. Peut-être même plus de fois que ne l’avaient laissé supposer les révélations du Sombre Adversaire. De vie en vie leurs rapports avaient incroyablement évolué. D’ennemis farouches ils étaient devenus amis. Amants ? Il était encore trop tôt pour le dire. Il fallait pour cela que la guerre leur laisse un peu plus de place, un  peu plus d’espoir. Mais Chris comptait bien sur cette nouvelle chance pour leur ouvrir de nouvelles perspectives.

- Chris ? Tu vas bien ?

Chris avait à peine entendu la question de Lisa.

- Oui, on ne peut mieux.

- Qu’est-ce que c’est ? répéta-t-elle.

Chris fit jouer la figurine entre ses doigts.

- Une garantie.

- Quelle garantie ?

Chris savoura sa future réponse dans un soupir.

- La garantie d’être libres.

Un profond sentiment de malaise sabota son euphorie. Il se rappela les figurines, les deux joueurs, maîtres du destin et bien sûr le jeu lui-même, cette représentation du monde qui avait de quoi ébranlé l’esprit le plus solide. C’était tellement surréaliste et en même temps d’une logique si prévisible.

En concevant tous ces jeux de société, ces jeux vidéo si élaborés, l’homme n’avait fait que reproduire à une autre échelle la réalité qui préexistait depuis une éternité. Le monde n’était qu’un microcosme, le morceau d’un puzzle fabriqué au format de l’univers.

Chris eut un vertige, une envie de vomir. De vomir tout ce qu’il savait. Tout ce qu’il savait, il l’avait intégré si facilement. Il avait dû vivre un paquet de fois cette pathétique pantomime qu’il appelait jusque-là la vie. Inconsciemment, il avait dû être préparé à digérer sans trop broncher une pareille somme de révélations sur la nature des choses. Mais cette pensée, loin de le rassurer, avait le don de le plonger dans un état d’extrême confusion.

Il suffisait d’ailleurs qu’il pense à quelque chose, anodin ou pas, pour se rendre compte à quel point sa perception du monde était irrémédiablement changée. Pour le meilleur et pour le pire.

Il comprit qu’il était vital pour lui de trouver un compromis avec son expérience. Ne pas oublier – de toutes façons le pouvait-il ? – mais considérer les faits avec un maximum de recul, de légèreté. Dans la mesure du possible.

L’humour et la dérision. Voilà quelles seraient ses prochaines armes pour vaincre. Vaincre un ennemi peut-être plus impitoyable que la guerre, que Del Itoh lui-même : la folie !

Maintenant qu’il était revenu du purgatoire, sa connaissance était un mal qui le rongeait et dont il devait rapidement trouver l’antidote.

 

«  Monsieur, vous souffrez d’une exposition prolongée à la vérité. Je vous recommande un grand bol d’amnésie, matin, midi et soir ainsi qu’un bain quotidien dans l’auto-dérision. »

 

Oui, songea-t-il, l’ironie va peut-être pouvoir me sauver.

Il se sentait comme un personnage de cartoon qui aurait eu accès aux coulisses du film et qui de retour sur le plateau serait condamné à faire semblant de ne rien avoir vu afin d’apprécier l’histoire, son propre rôle et celui des autres.

Mais si la vie était une mise en scène et la mort un simulacre, pourquoi ne pas s’en amuser ?

Pourquoi ne pas jouer comme un enfant ?

Il connaissait les règles, autant en profiter. Il avait une revanche à prendre sur pas mal de choses. Et enfin les moyens de ses ambitions.

Il serra la main de Lisa.

- Cette fois, on va l’avoir !

Ses sentiments pour elle eurent un effet curateur sur sa santé mentale plutôt claudicante.

Jusqu’à ce qu’il doute de leur authenticité. L’aimait-il vraiment ou l’aimait-il parce que le jeu l’avait nécessité ?

A quoi bon me torturer, se dit-il. De toutes façons, on aime rarement pour de bonnes raisons.

Sa lucidité récemment acquise le terrifiait comme une arme dernier cri dont on ne mesure qu’avec crainte tout le potentiel. S’il ne devenait pas fou, qu’allait-il bien pouvoir devenir ?

La voix précipitée de Lisa l’arracha à ses réflexions :

- Voila son avion !

Le Sombre Adversaire observait l’action se dérouler sous ses yeux.

Avec un goût amer dans la bouche.

Ne pas y prendre part relevait pour lui de la science-fiction. Il caressa l’idée d’ajouter une petite touche personnelle, discrète, mais conséquente. Ludan n’était sûrement pas assez intelligent pour faire la distinction entre ses agissements et ceux de ses congénères. Après tout, Ludan n’était qu’un être humain

Il avança une main vers le plateau. Mais se ravisa au dernier moment. Non, Ludan n’était pas qu’un simple être humain. En croyant cela, il se mentait délibérément. Ludan savait trop de choses. Sa conscience était devenue trop puissante. Sans doute était-ce pour cela qu’il n’avait pas pu lui effacer la mémoire. Son esprit s’était affranchi de bien des codes.

Le Sombre Adversaire scruta la figurine du Capitaine. « Moi aussi je peux te briser ! »

Il allait s’exécuter lorsqu’il se rappela un détail d’importance. Ludan détenait sa figurine. Il risquait très gros. En brisant la figurine de Ludan, il briserait probablement la sienne aussi. Il était bel et bien piégé.

Il se tourna vers le corps du Grand Programmateur, plus ému qu’il ne l’eut souhaité.

- C’est sûrement toi le plus heureux, maintenant.

Ne trouvant rien de mieux à faire, il quitta la table pour donner une sépulture décente à son regretté rival. Il l’enveloppa dans le rideau de la pièce et emporta son corps au dehors. Mais tandis qu’il s’évertuait à lui creuser une tombe, il fut dans l’incapacité d’assister à un étrange phénomène. Le plateau du jeu s’éclairait progressivement d’un feu intérieur tout à fait inexpliqué.

 

- Vous avez l’air inquiet.

Buruts venait d’entrer dans le salon soigneusement aménagé dans le « Mein Kampf. » Ralf Del Itoh était assis et pianotait sur son CODEDO personnel.

Il affichait effectivement une mine soucieuse.

- Je suis en train de vérifier un détail qui n’en est peut-être pas un. Un certain Siri a rejoint mon escorte. Mais il m’est tout à coup revenu à l’esprit un rapport selon lequel un dénommé Siri était mort en Géorgie. Je m’en souviens car j’ai appris sa mort juste avant d’apprendre la capitulation des Etats-Unis.

- Alors il n’est pas mort pour rien, ironisa Buruts.

Mais le Maître ne paraissait pas enclin à plaisanter.

- Ce qui m’importe c’est qu’il le soit bel et bien.

 

Buruts le rejoignit avec deux verres et une bouteille de vin rouge.

Il n’avait pas choisi un grand crû de sorte qu’il savait que l’arrière-goût du poison foudroyant passerait comme une lettre à la poste.

Des crépitements de balles résonnèrent sur la carlingue de l’appareil.

Le visage du dictateur devint cramoisi. L’air s’engouffra par le hublot. Il laissa tomber son verre.

 

Ce rêve n’avait cessé de poursuivre le fils adoptif du dictateur.

Dans sa vision, il se décidait enfin à assassiner Del Itoh. Sa tentative échouait. Et apparemment, les américains n’y étaient pas pour rien. Jusque-là, il avait toujours négligé cet avertissement, l’incombant davantage à une obsession personnelle qu’à un don prophétique.

Mais compte tenu des évènements, il était maintenant forcé d’y voir une forme de prémonition.

Il se tenait debout, droit comme un i, les mains dans le dos. Et dans ses mains il tenait un pistolet muni d’un silencieux.

« Bien placée, une balle peut faire l’effet d’un poison foudroyant. »

Il observa le hublot qu’il suspectait de figurer dans son rêve avant de s’en écarter discrètement.

« Si j’arrive à l’amener devant, non seulement, j’économise une balle, mais en plus je m’innocente de ce crime. »

Le COmpilateur DE DOnnées venait de terminer la vérification lancée par Del Itoh.

Lorsqu’il vit le résultat affiché sur l’écran, le Maître se leva brusquement.

- Préviens tous nos pilotes sur une fréquence codée. Ce Siri et ses hommes sont des salopards d’imposteurs américains !

Buruts décida de lui laisser une ultime chance de se préserver d’une mort instantanée.

- Il se peut qu’il y ait deux Siri dans notre armée.

Le regard de Del Itoh lui assura que non. Le Maître lui tourna le dos et contempla l’escadrille à travers le hublot.

Alors Buruts ponta son pistolet vers lui.

Alors une explosion tonitruante ébranla l’appareil.

Buruts perdit son arme et se retrouva au sol. Del Itoh jura, puis enclencha le mode transparence du « Mein Kampf. »  A travers le fuselage fantôme de l’appareil, il vit avec horreur les avions de son escorte tombaient comme des mouches.

Ce spectacle laissa le dictateur sans voix. Mais ce n’était rien comparé à ce qui se passait au-dessus de l’escadrille. Le ciel était en feu. Littéralement ! Le firmament n’était plus qu’un torrent de lave en ébullition vomissant sporadiquement des sphères incandescentes. En tombant les astres zébraient l’espace et anéantissaient irrémédiablement tout objet volant présent sur leur trajectoire.

Del Itoh déglutit péniblement.

- Les larmes du Diable !

Buruts oublia subitement son projet d’assassinat lorsqu’il découvrit à son tour la vision cataclysmique.

- Vous avez déclenché l’Apocalypse !

Del Itoh eut un haussement de sourcils ironique avant de répondre :

- Je n’en espérais pas temps.

Puis il se dirigea vers le poste de pilotage.

Après avoir détruit une vingtaine d’appareils, les météorites s’immobilisèrent dans le ciel sans une once d’explication. Puis sans plus de préambule, elles décidèrent d’éclore et de cracher de leur sein une immonde créature ailée qui ne méritait d’autre nom que celui de démon. Leur aspect et leur taille variaient, mais tous les témoins de leur naissance s’accordèrent à penser qu’ils se valaient en matière d’épouvante. Ils étaient tous nantis d’une paire d’ailes protubérantes qui fouettaient l’air en produisant une fumée noire nauséabonde.

- Del Itoh ! Ici, le Capitaine Chris Ludan de l’armée américaine ! Ne me dites pas que c’est le fruit de vos expériences contre-nature !

Il parlait en italien. Il avait oublié d’ôter son vox imperati.

- Je n’y suis absolument pour rien ! tempêta le Maître. Même si j’aurais préféré vous donner une autre réponse.

Il poussa un cri et se recula. Un démon venait de passer un bras à travers la vitre. Saisissant l’un des pilotes par le cou, il l’arracha de son siège. L’italien poussa un hurlement que le démon éteignit rapidement en lui croquant le visage avant de laisser tomber son corps sans vie.

Des balles crépitèrent sur l’épiderme rouge et luisant de la créature. Piquée au vif, elle se transporta jusqu’à un autre appareil avant de cracher sur lui un souffle de feu dévastateur.

 

- Merde ! Qu’est-ce que c’est que ça ?

Le cargo Di Galio venait d’entrer dans une zone de turbulences pour le moins inattendue. Jena et Jonas voyaient l’enfer se déchaîner au dehors et leur cerveau mettait un point d’honneur à leur fournir une explication digne de ce nom.

Ils se persuadèrent que leur imposture avait été révélée et que la DCA se faisait un malin plaisir de les canonner. Jusqu’au moment où ils réalisèrent que les projectiles venaient bel et bien d’en haut. A peine remis du choc de ce constat, ils subirent une violente avarie qui plongea l’équipage entier dans une grand moment de doute quant au succès de leur équipée.

Tandis que l’avion embrasé piquait sérieusement du nez, Jonas ne put s’empêcher de sourire :

- Comme renfort, on fait mieux !

- Le pire n’est jamais décevant, renchérit Jena.

L’explosion d’un moteur les invita à reprendre leur sérieux. Ils se cramponnèrent aux commandes et abandonnèrent définitivement l’idée d’atterrir à Orléans.

Une autre ville s’étendait sous eux. S’ils s’en sortaient vivants, ils savaient que ce serait de courte durée. Les italiens se feraient une joie de finir le boulot.

Tout en serrant les dents, Jonas interrogea :

- On avait un plan de rechange où cas où ça tournerait mal ?

Jena ne prit pas le temps de réfléchir :

- Oui. Improviser.

 

Comme les démons s’en prenaient indifféremment aux italiens et aux américains, Ludan écarta  une hypothétique intervention du Sombre Adversaire. La bataille qu’il pensait livrer prenait une toute autre tournure. Les perspectives n’étaient plus les mêmes. Le vieil adage « L’union fait la force » devenait une option de moins en moins inacceptable. De ce fait, Ludan crut bon de s’adresser à leur ennemi juré :

- Ecoutez-moi, Del Itoh, c’est l’hécatombe dans chaque camp. Je ne sais pas d’où viennent ces saloperies et visiblement vous non plus. Alors on va passer directement à une autre priorité : restez en vie ! Et pour ça, je ne vois qu’une seule solution : ou on décide de coopérer provisoirement ou on dit adieu à nos ambitions respectives. Qu’est-ce que vous décidez ?

Le silence qui s’ensuivit – troublé par les rugissements des explosions – inquiéta Chris et Lisa au point qu’ils se demandèrent si la traduction avait été correctement effectuée.

Finalement la voix du Maître se fit entendre :

- J’accepte de vous assister.

Ils comprirent alors que cette attente n’était qu’un effet pervers de sa mégalomanie.

 

Le pilote rescapé du « Mein Kampf » quitta son siège et endossa son jet-pack.

Del Itoh le toisa avec humeur.

- Qu’est-ce que vous faites ?

L’intéressé lui prêta une attention toute relative.

- Vous servir a été un honneur, mon Maître. Mais là…

Puis il s’engagea dans la coursive en direction du salon.

Le maître devint rouge.

- Buruts, arrête-moi ce…

Buruts venait d’apparaître. Il laissa passer le pilote et pointa son pistolet en direction du dictateur.

- Je crois que le pire démon est à bord de cet avion.

Del Itoh s’avança.

- Ma parole ! Vous vous êtes tous donné le mot ! Je savais que c’était dans l’épreuve qu’on reconnaissait ses amis, mais là…

Un hublot éclata. Un appendice flexible – peut-être une langue – s’enroula autour de Buruts. Il hurla de douleur. Le tentacule était brûlant. Il jeta un regard perplexe à son père avant d’être happé au-dehors.

Le pilote détourna la tête et ouvrit rapidement la porte.

- Putain de merde ! Mais qu’est-ce que c’est que ça ?

Il s’élança au dehors tel un missile. Et regretta aussitôt le confort du cockpit. Il ne trouva pas les mots pour décrire la vision d’horreur dont il fut l’infortuné témoin. Partout la mort frappait, avec une précision de chirurgien. Les démons s’engouffraient dans les avions et massacraient les équipages à la chaîne. Comment pouvait-il espérer en réchapper ? Sur sa lancée, il évita de justesse une aile squameuse jaillie de nulle part selon ses sens. Pour être décapité une seconde plus tard par des serres impies et impitoyables. Son corps acéphale décrivit une trajectoire aléatoire avant de s’encastrer violemment dans la queue d’un Sweeping.

- Merde ! Qu’est-ce que c’était ?

Andy encaissa durement le choc de la collision. Il venait d’assister, impuissant, à la mort de Carson, brûlé vif dans son chasseur, et la perspective de l’imiter ne l’enchantait pas plus que cela. Mourir comme un martyr, d’accord. Mais comme une merguez…

- Eh, les gars, regardez ! L’avion de Del Itoh !

C’était Jerry Cold. Les regards convergèrent vers l’appareil du dictateur qui, pour l’heure, semblait être une proie de choix pour les démons insatiables. Sept d’entre eux s’agrippaient à son fuselage et menaçaient de le mettre en pièces.

Del Itoh sourit en constatant leur présence sur son scan externe.

- Ok, mes mignons. Del Itoh va s’occuper de vous.

Le dictateur s’installa au poste de pilotage et se rappelant les gestes observés - semblait-il dans une autre vie - il commença à effectuer une série d’opérations.

A la surprise de tous, le « Mein Kampf » se dressa à la verticale.

- Qu’est-ce qu’il fait ? interrogea Lisa.

Chris plissa les yeux et serra la commande des missiles Sunshot.

- Si c’est une entourloupe, les démons n’auront pas le loisir de goûter du dictateur en sauce.

L’avion était en train de se transformer. Les différentes pièces le constituant, coulissant, s’imbriquant différemment en vue d’une toute nouvelle configuration. Pris au piège, certains démons furent écrasés par la mécanique en mouvement. Ce que personne ne regretta.

Lorsque l’opération s’acheva, c’est un humanoïde à tête d’aigle qui répondait désormais au nom de « Mein Kampf . »

- Tu parles d’une arme secrète ! s’exclama Andy.

Chris et Lisa frissonnèrent à la vue du titan made in Italia.

- Avec ça, ce salaud nous aurait laminé !

Del Itoh produisit un sourire à la mesure de son orgueil. Il sentait que tous les regards autant que tous les espoirs reposaient sur lui, désormais. Et cela justifiait, selon lui, toutes ses récentes déceptions.

- Ici, Del Itoh, à l’attention de tous les pilotes. Faites place nette, il va y avoir du grabuge !

Les canons-mitrailleurs du robot se mirent à cracher un déluge de feu et de fer sur l’armée démoniaque et tandis que le dictateur riait à gorge déployée en les voyant se disloquer, la Marche de Radetzky résonnait, tonitruante, dans tous les cockpits.

Chris assistait au massacre, en se persuadant qu’il ne rêvait pas.

- Ce salaud est en train de faire un carton ! Si on m’avait dit qu’un jour je rendrai grâce à sa folie !

Lisa n’en pensait pas moins. Qu’un bourreau comme Del Itoh puisse faire figure de héros l’espace d’un instant, ça forçait, sinon au dégoût, en tous cas à l’embarras le plus total.

Elle s’alarma brusquement en voyant un démon plus coriace s’intéressait de très près au Stormaker  dont il épluchait présentement le fuselage comme un fruit  mûr.

- Del Itoh ! Concentrez votre feu sur le gros à …

Elle allait lui indiquer la position précise lorsque les deux bras armés du titan pulvérisèrent l’appareil et le démon le chevauchant dans un éblouissant feu d’artifices, réduisant en poussières les chasseurs sataniques à proximité.

- Je sais ce que j’ai à faire, chiens d’américains !

 

Le cargo heurta si violemment la route qu’il faillit bien se briser en deux sous le choc.

Un brasier emporta une partie de l’équipage et les deux pilotes eux-mêmes sentirent le souffle brûlant leur griller les omoplates.

Jena et Jonas savaient désormais que les choses ne leur appartenaient plus. La piste était dégagée. Tout ce qu’ils espéraient c’était que l’avion continue droit sur sa lancée et ne heurte aucun obstacle en cours de route. Le cargo s’immobilisa si brusquement qu’il s’en fallut de peu que les deux pilotes ne soient éjectés de l’appareil. Rapidement rassurés sur leur propre sort, ils s’enquirent de l’état des hommes à l’arrière.

L’odeur de chair brûlée saturant la soute les prit à la gorge. Jena fut assaillie par une horde de sensations terriblement familières. Cette odeur lui apparaissait monstrueusement intime, comme faisant partie d’elle, comme liée inextricablement à des souvenirs d’enfance, mais si lointains qu’elle était incapable de les visualiser.

La découverte de survivants la ramena à la réalité et dés lors elle n’eut plus d’attention que pour eux, comme une mère rivée au chevet de ses enfants malades.

Elle pleura presque en voyant Gad se dégager de sous un corps carbonisé. Le radio se jeta à moitié dans ses bras.

- J’ai juste eu le temps d’éloigner les explosifs avant que…

Jena lui caressa les cheveux avant de le dévisager gravement. Il comprit qu’à ses yeux il venait de se racheter. La récompense était de taille.

Quittant les décombres du cargo, les « Frères de la Délivrance » - désormais réduits à un maigre peloton – inspectèrent les environs. Leur atterrissage forcé n’avait pu passer inaperçu. Restait à savoir quel genre d’accueil  leur serait réservé.

- Ce ne sera sûrement pas très chaleureux ! supputa Jonas.

- Tant mieux, fit un des soldats. Car question chaleur on a été servi.

La phrase avait été dite sans aucune ironie. Les sourires se crispèrent rapidement. Leurs pertes étaient incommensurables. La tragédie qui venait de les endeuiller n’était pas près de les quitter.

- Qu’est-ce que c’était ? fit un autre soldat, se faisant l’écho de tous. La DCA ?

- Non, répondit Jena. Et quelque chose me dit que nous allons le regretter.

Jonas s’alarma.

- Regardez là-bas !

La ville – ils ignoraient encore laquelle – avait souffert des bombardements italiens comme tant d’autres, mais également d’un autre fléau. Plus récent et infiniment plus destructeur.

Ils découvrirent des corps brûlés et mutilés dans des proportions qui excluaient d’emblée une attaque ordinaire. Jonas s’agenouilla pour les examiner.

- Il y a des français, mais aussi des italiens. Comme si une force les avait frappés avec la même intension.

Jena promena son regard acéré tout autour d’eux.

- Une force égale à celle qui nous a pris tous nos frères.

- Venez voir par ici !

C’était la voix affolée de Gad. Les autres le rejoignirent et se figèrent à la vue d’une sphère à l’aspect surréaliste. Elle était aussi haute qu’un homme et elle fumait comme si elle venait d’être crachée par un volcan.

- C’est une des choses qui nous a heurté !

Jena observa l’objet avec un mélange de haine, d’effroi et de fascination.

- Qu’est-ce que c’est ? firent plusieurs voix derrière elle.

- Sûrement la nouvelle arme de Del Itoh. Quand on connaît le spécimen, on se dit que ce serait tout à fait de lui d’inventer une atrocité pareille. Seulement…

Jonas étudiait la chose avec au moins autant d’intérêt et il compléta  sans peine :

- … A première vue, ça n’a pas l’air de sortir d’une usine d’armement.

L’un des soldats s’avança. La haine déformait son visage.

- Mon frère est mort à cause de cette saloperie et vous êtes là à disserter comme si c’était une œuvre d’art ! Je me fous d’où elle peut venir ! Bousillons-la !

Joignant le geste à la parole, il lâcha une rafale. Qui parut n’occasionner aucun dégât visible sur la surface de la sphère. Jena et Jonas le fustigèrent du regard. Un craquement riva de nouveau leur attention sur la mystérieuse arme. Elle était en train de s’ouvrir. D’un geste, Jonas ordonna à tous les hommes de reculer et de se tenir prêts à ouvrir le feu.

- Et si c’était un œuf de dragon ? glissa un soldat à l’oreille de son équipier.

Ce dernier peina à sourire.

- Parle pas de malheur !

Rapide comme l’éclair un appendice jaillit de l’œuf pour venir s’enrouler autour de Gad.

- Mon dieu ! Aidez-moi !

Les « Frères de la Délivrance » accoururent pour le secourir. Certains, comme Jonas, firent feu sur la sphère et le tentacule. Les autres, dont Jena, s’accrochèrent au radio pour l’empêcher d’être emporté par la chose. Suite à toutes ces réactions, l’appendice se figea. Pour s’embraser une seconde plus tard. Jena se jeta au sol juste à temps. Elle vit avec horreur Gad et ceux qui l’étreignaient encore disparaître dans un mur de flammes et un concert de cris déchirants.

- Non !

L’œuf s’ouvrit alors complètement, expulsant un être démoniaque qui, s’il n’avait pas le gabarit d’un dragon, en présentait néanmoins toute la force et la férocité. La seule apparition de cette créature eut un effet presque aussi dévastateur que sa langue sur les survivants regroupés derrière leurs deux charismatiques leaders.

Jonas contemplait le démon sans pouvoir se convaincre de sa réalité.

- Ce n’est pas une arme de Del Itoh, ça !

En détaillant le corps écarlate et vaguement humain, Jena sentit son courage se recroqueviller.

Dans un nuage de cendres chaudes, la langue du démon se rétracta.

- Visez la tête !

Les soldats rouvrirent le feu. Le dos musclé du monstre vomit deux ailes de cuir membraneuses qu’il plaça devant lui en guise de bouclier. Les balles ricochèrent comme sur un tank. Sans crier gare, sa langue se déroula et s’enroula autour de l’arme de Jonas. Il lutta âprement pour la récupérer, mais réalisa bien vite qu’il n’était pas de taille. La vision de Gad et des autres consumés par le feu fut un électrochoc pour Jena. Que Jonas puisse subir le même sort était inconcevable.

- Lâche-la !

Jonas vit le regard affolé de la jeune femme. Il s’exécuta. Les ailes du démon s’écartèrent et sa langue se rétracta. Le fusil-mitrailleur se retrouva dans sa gueule écumante. Alors Jonas eut une idée.

- Balancez les grenades magnétiques !

Les hommes ne se firent pas prier. Les projectiles fusèrent dans toutes les directions pour brusquement infléchir leur course vers une seule trajectoire. En une seconde le corps de l’arme fut hérissé d’explosifs. Comprenant le danger, la créature cracha le morceau de métal qui obstruait ses mâchoires.

- Couchez-vous !

La détonation qui suivit couvrit les «  Frères de la Délivrance » de débris organiques. En se relevant, Chris rejeta la monstrueuse langue qui avait failli avoir sa peau et qui maintenant ne représentait qu’un écoeurant trophée de chasse. Après s’être assurés qu’ils étaient tous sains et saufs et qu’ils ne risquaient plus rien, ils se rassemblèrent, encore sous le choc de cette confrontation surnaturelle.

- Quelque chose me dit que la France entière doit être envahie de ces choses, dit Jonas.

- Et probablement le reste du monde, ajouta Jena.

 

L’escadrille parvint à rallier la France sans encombres. Ils atterrirent dans la capitale où le Maître savait pouvoir compter sur de nombreuses forces alliées. Du moins en théorie.

Del Itoh souhaitait gagner l’Italie au plus vite – de peur qu’elle n’ait succombé elle aussi aux attaques démoniaques – mais il était impératif de recharger les batteries du « Mein Kampf » s’il voulait pouvoir défendre sa patrie efficacement. Les leaders avaient chacun tenté de joindre par radio leur pays respectif. Sans succès. Ce qui ne manquait pas de les inquiéter.

Tandis que l’avion impérial reprenait sa forme initiale et se posait sur une piste intacte de l’Aéroport d’Orly, Chris Ludan faisait un topo de la situation avec ses hommes.

- Nous ne sommes plus beaucoup et nous ignorons l’étendue exacte de la menace. Sommes-nous les seuls à avoir été attaqués de la sorte ? Je ne le pense pas.

Jerry observa Del Itoh descendre de son appareil. Il serra les poings.

- Et lui ! On ne va quand même pas le laisser repartir sous prétexte qu’il nous a filé un coup de main. Il n’avait pas le choix de toutes façons. On était dans le même bain.

Chris jeta un regard à Lisa, occupée à soigner les blessés, puis il reporta son attention sur le dictateur.

- Je vais m’occuper de ça. Pendant ce temps, faites le recensement de ce que nous avons et de ce que nous avons besoin.

Le capitaine vit bien que sa réponse ne faisait pas l’unanimité, mais il n’y eut pas de contestation.

Lorsqu’il arriva auprès de Del Itoh, celui-ci était occupé à dessiner des motifs sur le fuselage de son avion.

Chris se dit que c’était une entrée en matière comme une autre.

- Elles sont bizarres vos croix.

- Ce sont des svastikas, informa le dictateur sans s’arrêter.

Tandis qu’il alignait les symboles comme autant de victoires sur leur ennemi commun, un bout de langue pointait entre ses lèvres, lui conférant l’aspect d’un enfant appliqué.

Chris ne savait s’il devait rire ou pleurer devant ce spectacle. Mais depuis quelques temps, l’étrange faisait partie de son quotidien. Maintenant qu’il savait plus ou moins comment le monde fonctionnait, il n’arrivait plus à considérer le dictateur comme avant, en tout cas plus comme les autres. Lui aussi avait été un pantin. A quel point ? Cela, il l’ignorait.

- C’est de quelle origine ? On dirait le nom d’un alcool russe.

- Pas du tout ! s’emporta Del Itoh. Ca vient d’Inde. Il y a des choses de ce pays que je trouve très intéressantes d’un point de vue symbolique.

- Moi, c’est le Japon qui m’a toujours fasciné. Ses rites ancestraux, ses codes, ses légendes aussi.

Chris sourit nerveusement. Il était en train d’avoir une conversation culturelle avec l’incarnation du mal. Pour être étrange, sa vie devenait vraiment étrange. Mais il en vint à se dire que le mal avait peut-être trouvé une nouvelle incarnation.

- Ces… choses qui nous ont attaqué tout à l’heure, vous ne croyez pas que c’est le mal incarné ?

Cette fois, Del Itoh s’interrompit dans sa tâche et se tourna vers son interlocuteur :

- Le mal incarné ?  Mais c’est moi, le mal incarné ! Si je n’ai plus ça, que me reste-t-il ?

Chris contempla le pinceau dans la main du Maître. Il sourit à nouveau.

- Il vous reste la peinture.

 

 Sources d'Inspiration :

 

Théorie du Temps Orthogonal par Philip K. Dick

 

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A l'époque où la série Medal of Honor était encore ancrée dans la deuxième guerre mondiale, l'idée d'incarner une femme renforcée par ces artworks où on la voyait combattre activement l'ennemi m'a fait forte impression et m'est restée à l'esprit des années après au point que j'ai souhaité rendre hommage à cette figure de femme héroïque. Le personnage de Jenna d'Acre est directement inspiré de ces éléments.

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A noter que comme indiqué ci-dessus la musique du jeu a été composée par Michael Giacchino, connu depuis pour avoir illustré des blockbusters comme Les Indestructibles, Mission Impossible 3 et Protocole Fantôme et bien sûr les films estampillés J.J. Abrams (Star Trek 1 &2, Super 8). Il a par ailleurs participé à la création du thème principal du jeu Black, autre FPS emblématique. Des compositeurs de films oeuvrant sur des jeux vidéo, c'est maintenant devenue chose courante, par exemple Hans Zimmer (Man Of Steel, Inception) sur Crysis 2 et Brian Tyler (Insaisissables) sur Assasin's Creed IV.

 

 

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