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lundi, 20 juin 2016

Le Train de la Haine [Nouvelles/Anticipations]

 

 

On a reçu à peu près le même nombre de coups de matraque.

C’est peut-être ce qui nous a rapproché, lui et moi.

Il me dit qu’il s’appelle Jérémie et qu’il est homosexuel.

Il me tend la main.

Dans d’autres circonstances, j’aurais certainement eu un mouvement de recul.

Mais là, c’est différent.

On est dans la même galère et on sait tous les deux où elle va nous mener.
Je lui serre la main et me présente :

- Bertrand, célibataire endurci et pathétique hétéro.

Cette note d’humour est la bienvenue. Jérémie me le fait comprendre par un sourire.

Il me raconte que depuis quelques semaines sa cité a été la cible de contrôles réguliers. Tôt ce matin, il a été pris dans une rafle menée par cette putain de milice primaire et toute-puissante.

- Tu as dû être dénoncé, lui dis-je, comme moi.

Il ne semble pas surpris. Il s’explique :

- J’ai entendu dire qu’ils offraient des récompenses.

On est tous les deux horrifiés.

On a l’impression d’être en pleine guerre mondiale même si on n’a jamais réellement connu ça.

On n’est pas des juifs entre les mains des nazis et pourtant c’est cette même putain de haine primaire et toute-puissante qui nous a mis dans ce wagon avec un tas d’autres, cette même putain de haine qui nous a arraché à notre destin, à notre vie.

Pourquoi ?

C’est sans doute ça le pire, car chacun d’entre nous connaît la réponse.

Ce qui ne rend pas la pilule plus facile à avaler. Loin de là.

On est tous là, parce qu’un jour le gouvernement  a décidé que nous n’étions pas socialement productifs, un truc dans ce goût-là.

Je ne me souviens pas de la formule exacte.

En tout cas, c’est ce que ça voulait dire.

Jérémie, moi, ainsi que tous les autres, on n’aura pas de gosses et par conséquent on ne viendra pas renouveler la masse des consommateurs qui entretiennent notre belle société construite sur ce putain de fric primaire et tout-puissant.

Non.

Parce qu’on n’est pas destiné à reproduire ce putain de schéma primaire et tout-puissant, on a été jugé inutile et condamné.

Sans forme de procès.

 

Est-ce qu’on en est arrivé là ?

 

J’entends le train qui s’arrête. Les prisonniers murmurent, puis retiennent leur souffle. Jérémie me jette un regard affolé. On comprend tous les deux ce qui nous attend. Même si on le savait depuis le début, on a toujours cru qu’ils allaient s’arrêter avant.

Les portes s’ouvrent. On nous crie de sortir.

Au moment de descendre, je sens la peur creuser un gouffre dans mon estomac. Alors naturellement, sans même y penser, je glisse ma main dans celle de Jérémie.

- Fais gaffe, dit-il, on pourrait nous voir.

Cette note d’humour est la bienvenue, il le voit à mon sourire.

 

Oui, on en est arrivé là.

 

 

 

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Killer Scoop : L'émission qui tue [Nouvelles/Anticipations]

 

 

 

 

Emission N° 12 – 3ème jour

 

- Mme Bertrand, cela fait trois jours que l’émission a commencé. Le record, détenu par Monsieur Sanchez, est de cinq jours. Nous avons reçu beaucoup de questions de spectateurs, de téléspectateurs et même de certaines agences de presse qui suivent votre parcours avec beaucoup d’intérêt. Parmi ces nombreuses questions, trois sont revenues plus particulièrement. Je me permets de vous les poser : Est-ce que vous pensez faire mieux que Monsieur Sanchez ? Est-ce que vous pensez que vous avez eu de la chance jusqu’à maintenant ou que c’est grâce à votre prudence que vous avez survécu ? Et dernière question :

Si vous gagnez le montant de la cagnotte qui s’élève maintenant à 120 000 Euros, qu’allez-vous en faire ?

 

Mme Bertrand était visible sur l’écran géant du plateau. Elle était assise dans une cuisine. C’était une fort jolie femme de 45 ans, blonde, élancée, des yeux bleus à damner un saint. Comme à son habitude, elle baissa sensiblement la tête pour répondre :

- Je… je me contenterais de dire que c’est uniquement pour mes enfants que je joue. Comme vous le savez, j’ai 45 ans et j’ai énormément de mal à trouver du travail. Que je pâtisse de mon âge c’est une chose, que mes enfants en souffrent, c’en est une autre. Je ne veux plus les voir malheureux. Et je veux encore moins les perdre. Cela en dit assez long je crois.

La jeune femme se leva de table. Elle paraissait fragile. Trop.

 

Edouard Ventura redoutait que la réponse manque cruellement d’émotions. L’audimat était intraitable là-dessus. Quelques mots bien sentis dans son oreillette le lui confirmèrent.

 

- Mme Bertrand, une dernière chose s’il vous plaît et je vous laisse en paix. Sans vouloir le moins du monde douter de vos chances de succès, il apparaît quand même que vous semblez une proie plutôt facile pour notre tueur.

 

La caméra opéra un zoom avant sur l’intéressée qui tournait le dos à l’objectif.
Lorsqu’elle tourna son visage, ses yeux bleus étaient emplis de larmes et ses lèvres étaient secouées de spasmes :

- Une proie facile ! C’est comme ça que vous me définissez, c’est comme ça que vous me voyez ! Essayez d’enlever ses petits à une femelle, qu’elle quelle soit, et vous verrez si c’est une proie facile !

Elle sortit du champ.

Et Edouard Ventura afficha son plus beau sourire.

 

- Non, il faut que le tueur agisse cette nuit.

Il était 16H00. L’heure de la Grande Réunion. La télé diffusait les meilleurs moments des émissions précédentes, ce qui permettait de débattre en toute tranquillité sans perdre pour autant une miette d’audience. Parmi cette sélection gratinée, il y avait le moment où Francis Bonneval, garagiste à Toulouse, avait pris son fusil pour se défendre et s’était malencontreusement tiré une balle dans le pied. Un autre où Monsieur P. avait exécuté un malheureux clochard qu’il avait pris pour le tueur. Avant de se faire lui-même poignardé. Il y avait aussi bien entendu des instants plus dramatiques comme lorsque Mme Anne Hermann s’était fait prendre par surprise dans sa salle de bains. Le tueur avait rejoué « Psychose » pour la plus grande joie des fans et ce jour-là l’audimat avait explosé.

Et Edouard Ventura comptait bien réitérer l’exploit.

Le jeune Jérôme Monnet secoua la tête.

- Non, pas cette nuit. Si tu le fais intervenir cette nuit, elle y passera à coup sûr et du coup elle ne touchera pas la cagnotte. Depuis le début de l’émission, la cagnotte n’a été remportée que deux fois. Et la dernière fois, ça remonte à  la cinquième émission. Les candidats sérieux commencent à manquer. Il faut leur montrer qu’ils ont une chance. L’audience marche bien, mais ça pourrait changer si c’est toujours nous qui gagnons.

Edouard dévisagea Jérôme avec gravité. Il l’aimait bien. C’était un jeune gars intelligent et sensible. Peut-être un  peu trop.

-  C’est très bien vu et je te remercie de tes observations. Mais rien n’oblige le tueur à en finir cette nuit. Il peut très bien jouer au chat et à la souris avec elle. Ce serait même l’idéal. Cela satisferait tout le monde.

Edouard vit qu’il n’avait pas ôté tous les doutes de son employé.

- Qu’est-ce qu’il y a encore ?

- Tu es sûr qu’il est sous contrôle ? Je veux dire… Je trouve qu’il y a quand même eu des débordements. Lorsqu’il a tué les enfants de Mme Klein par exemple. C’était elle qui était  visée. Et il n’y a pas été de main morte avec eux. Ce n’était pas prévu, ce n’était pas dans le script. Et la fois où il a égorgé le doberman de Monsieur Bouvier. Tu ne vas pas me dire que ça ne pouvait pas être évité. On a reçu des plaintes. La SPA a failli gagner son procès. Ca pas été facile de leur faire gober que c’était un animatronique.

Edouard sourit en repensant aux scènes évoquées.

- Ces gamins auraient dû dormir à cette heure-là. Ils n’avaient pas dix ans. Quant à ce chien, et bien… c’est Bouvier qui a déconné si tu regardes bien. Il ne nous a jamais dit qu’il avait un putain de molosse. Eddy n’a pas eu le choix. T’aurais préféré qu’il se laisse bouffer peut-être ? Bonjour la crédibilité ! Est-ce qu’Hannibal Lechter se laisserait emmerder par un clebs ?

Jérôme lança un regard noir à son supérieur.

- Hannibal Lechter est un tueur fictif.

Edouard sentit qu’il avait encore du chemin à faire pour le convaincre.

- Ecoute, tu viens de le dire toi-même. Eddy n’est pas un acteur. C’est un vrai tueur. Il a ça dans le sang. Le fait que rien ne soit truqué  garantit une qualité constante de l’émission. On s’était mis d’accord là-dessus dès le départ. Sur M16, ils ont pris des comédiens, ils ont bidouillé les scènes de meurtre. T’as vu le résultat ? TéléFun ce n’est pas M16 ou Canal Flux ! Nous, on triche pas avec le public.

Jérôme grimaça :

- Mais c’est normal que ça n’ait pas marché sur les autres chaînes. Leur sang ressemblait à de la gelée de groseille. Quant au tueur… Son masque prêtait plus à rire qu’à autre chose.

Edouard crut bon de brosser son équipier dans le sens du poil.

 - Bon, j’admets qu’Eddy a un peu trop improvisé ces derniers temps. Mais ne t’en fais pas. On graisse la patte à suffisamment de monde pour avoir les coudées franches. Les gens veulent du spectaculaire, de l’inattendu. Un peu d’imprévu ne peut pas nous faire de mal, bien au contraire. Si ça peut te rassurer, je te promets de briefer sérieusement Eddy pour cette nuit. Il donnera des sueurs froides à tout le monde, mais il n’abîmera pas Mme Bertrand. J’y veillerai personnellement.

Jérôme soupira.

- Ok. Je te remercie, Edouard.

- Dis-moi, je te trouve bien sentimental. Enfin, plus que d’habitude. Tu n’aurais pas des vues sur notre candidate, par hasard ?

Le visage de Jérôme s’empourpra et il baissa la tête.

Edouard éclata de rire avant de reprendre brusquement son sérieux.

- Ce sera cette nuit et ce sera dans la maison. Le tueur portera un masque blanc, très simple mais très efficace. Il va apparaître brusquement, surgissant des ombres où personne ne l’attendait. On va leur rejouer « Halloween ». Ils aiment les références cinématographiques. Ils vont être servis.

 

Il était

21H30.

Mme Bertrand était installée dans son salon. Son visage était invisible derrière la couverture d’une très célèbre revue féminine qu’elle feignait sûrement de lire. L’émission générait énormément d’argent, mais entre les procès et les droits d’exploitations divers, les sponsors étaient vitaux.

On annonça que la liaison venait de se faire.

Edouard Ventura avait troqué son ensemble écru contre un superbe costume noir à paillettes.

Les fidèles de l’émission savaient que cela ne pouvait signifier qu’une chose : il allait se passer quelque chose d’excitant dans très peu de temps. C’est Edouard qui avait trouvé cette astuce dès la troisième émission. Cela permettait d’intensifier l’attention des spectateurs et de créer une sorte de complicité implicite avec le public.

 

- Mme Bertrand, comment vous sentez-vous ?

L’intéressée posa la revue qu’elle feuilletait et plongea ses beaux yeux bleus dans l’objectif.

Elle avait coupé ses beaux cheveux blonds qui auparavant cascadaient jusqu’au bas de son dos.

- Je me sens sereine, Edouard. Oui, très sereine.

Un frémissement agita l’assistance.

Même Edouard ne put cacher son trouble.

- Ma…Madame Bertrand…

- Je vous en prie, appelez-moi Lise.

- Et bien, Lise, c’est une véritable transformation. On peut connaître les motifs d’un tel changement ? Un changement aussi physique que psychologique, si je ne m’abuse.

Lise sourit.

- Vous avez raison. J’ai pris sur moi, voilà tout. Il faut que je gagne. C’est sans doute la seule occasion que j’ai de me mettre, moi et mes enfants, à l’abri du besoin. Je ferai tout ce qui est humainement possible pour remporter la partie. Quant à mes cheveux…

Lise prit une mèche blonde entre ses doigts délicats.

-… Je suppose que c’est pour éviter au tueur de me les arracher.

Des rires éclatèrent. Edouard fit écho, mais le cœur n’y était pas. Ce revirement n’était pas fait pour le rassurer. Mais il tint à saluer le courage de la candidate.

- Ma… Lise, vous pouvez vous vanter de nous surprendre. Il est évident que vous avez mis toutes vos chances de vôtre côté. Après avoir déménagé plusieurs fois, changé de noms, voilà que vous changez de visage. Nous sommes de tout cœur avec vous et à la place du tueur, je réfléchirais à deux fois avant de me lancer à vos trousses !

A nouveau l’assistance fit entendre des rires soutenus.

- Sachez, ma chère lise, que 63% du public vous donne vainqueur. C’est énorme. Même Monsieur Sanchez n’a pas obtenu un tel pourcentage. Et vous n’êtes pas sans ignorer que le public se trompe rarement.

Lise sourit de plus belle.

- Je ferai en sorte d’honorer cet encourageant pronostic, merci.

- Bon, même si nous sommes rassurés quant à  votre détermination, espérons tout de même que le tueur ne parvienne pas à vous débusquer.

L’expression de Lise s’altéra. Elle jeta un regard glacial à la caméra.

- Ne me prenez pas pour une idiote. Je sais très bien qu’il me trouvera. Il trouve toujours ses victimes. C’est le but du jeu, non ? Il faut un minimum d’adrénaline pour remplir les quotas. Il viendra et il viendra cette nuit.

Il fallut toute son expérience et sa discipline à Edouard Ventura pour dissimuler la consternation qui fut la sienne.

- Et qu’est-ce qui vous fait dire qu’il viendra cette nuit ?

Lise sourit à nouveau.

-  Voyons, Edouard. Vous avez mis votre costume noir à paillettes.

L’explosion de rire de l’assistance fut la goutte d’eau pour Edouard.

- Bon, et bien nous verrons. En attendant, je vous propose de nous retrouver après une courte page de publicité.

 

- La salope ! La salope !

Edouard entra dans son bureau. Il était fou de rage.

Il jeta sa cravate, pailletée elle aussi, et déboutonna son col.

Jérôme Monnet était assis devant un moniteur. Il avait tout suivi. Et il affichait une mine réjouissante.

- Elle était sublime.

Edouard se servit un Whisky et s’assit.

-  Elle m’a tourné en ridicule. « Ne me prenez pas pour une idiote », mima-t-il. C’est plutôt elle qui m’a pris pour un con, ouais ! La garce, elle sait pas ce qui l’attend !

Il vida son verre d’un trait et se resservit.

Le visage de Jérôme se rembrunit subitement.

- Qu’est-ce que vous allez faire ? Vous n’allez quand même pas la punir de défier la mort. On avait besoin d’une femme forte, d’une candidate qui en a. Jusqu’à maintenant on avait eu droit qu’à des pleurnicheuses incapables de surmonter leur peur. Les gens aiment les références, vous vous souvenez ? Ce sont vos mots. Ils vont voir en Lise Bertrand une Jeanne d’Arc, une Sarah Connor, une Helen Ripley, une Clarice Starling!

Edouard leva un sourcil.

- Helen qui ?

- La survivante du Nostromo.

Edouard haussa l’autre sourcil.

- L’héroïne d’Alien ! Vous oubliez vos classiques, Edouard.

Edouard vida son verre.

- J’oublie rien du tout. Si elle veut un monstre à sa hauteur, je peux te jurer qu’elle va l’avoir.

 

22H00.

 

- Jérôme, qu’est-ce qui se passe ? Je ne vois rien. On est pourtant en liaison, non ? Dis-moi que ce n’est pas la caméra qui déconne ?

Edouard Ventura transpirait. Il sentait que quelque chose ne tournait pas rond.

- Jérôme ?! Je suis en direct, merde !

Sitôt après, il offrit son sourire le plus vendeur à l’assistance présente ainsi qu’à la caméra braquée sur lui.

- Fidèles téléspectateurs, il semblerait que nous souffrions d’un petit problème technique.

- C’est pas un problème technique, fit la voix de Jérôme dans son oreillette.

- Comment ça?!

- Lise a coupé l’électricité.

- Quoi ?! Mais elle a pété les plombs !

- Oui, on pourrait le penser. En fait c’est plutôt malin de sa part. Le tueur va avoir du mal à la localiser dans le noir. Elle, elle connaît la disposition des lieux par cœur. Le jeu du chat et de la souris, oui, mais toute la question est de savoir qui va être la souris.

- Mais, merde, fulmina Edouard en jetant des sourires crispés au public, c’était pas ce qui était censé se passer !

- Vous vouliez de l’imprévu, non ?

Edouard poussa un soupir. Il fallait faire face. Il n’avait pas le choix.

- Pour des raisons, purement tactiques, annonça-t-il, il semblerait que Lise Bertrand ait choisi de se terrer dans le noir afin de mieux se soustraire aux attaques du tueur. Très ingénieux, ajouta-t-il en serrant les dents. Heureusement, l’équipe technique de Killer Scoop a tout prévu.

Les caméras sont équipées de dispositifs infrarouges qui vont nous permettre de suivre les évènements. Si le tueur décide de frapper cette nuit, nous ne le manquerons pas.

Edouard se tourna brièvement, le temps pour lui de se tamponner le front et les tempes à l’aide d’un mouchoir.

- Voyons où se cache cette facétieuse Mme Bertrand.

Sur l’écran, les différentes pièces de l’appartement apparurent dans des tons verts phosphorescents.

- Lise ? Vous m’entendez ? C’est Edouard Ventura. Nous sommes en direct. Nous aimerions recueillir vos impressions. Le public, qui vous soutient je vous le rappelle, serait très heureux de pouvoir connaître vos sentiments et vos intentions.

Jérôme Monnet se retint de rire. Ce connard d’Edouard tendait une carotte un peu trop grosse. Lise n’allait pas mordre à l’appât comme ça. Contrairement à lui, le présentateur n’avait pas encore mesuré le degré d’implication de la candidate. Elle était elle-même en train de se faire prédateur. Maintenant c’était œil pour œil, dent pour dent. A l’idée que le tueur puisse se faire dessouder par une mère de famille, un sourire s’élargit sur son visage juvénile.

«  Pourvu qu’elle tienne le coup ! » Heureusement qu’il n’y avait pas de micro dans son crâne. Si Edouard pouvait entendre ne serait-ce que le quart de ce qu’il pensait, il se ferait virer sur le champ avec pertes et fracas. Ou pire. Il le livrerait au tueur lors d’une prochaine émission.

Il pouffa avant de prendre une grande inspiration. Non. Ce n’était guère le moment de déconner. C’était un moment crucial. Il fallait qu’il reste concentré. « Allez Lise, je suis avec toi ! »

 

Soudain tout le monde se figea. Spectateurs, techniciens, tous retinrent leur souffle en apercevant une silhouette apparaître derrière une fenêtre du salon.

Edouard  attendit sagement que la tension monte avant de déclarer :

- Mesdames et messieurs, je crois que notre tueur est sur le point de faire son entrée. «  Numérote tes abattis, ma cocotte. Tu sais pas à qui t’as à affaire. Eddy va te débusquer en moins de deux et te faire ravaler ta fierté à deux balles ! »

Heureusement qu’il n’y avait pas de micro dans son crâne. Si le public pouvait entendre ne serait-ce que le quart de ce qu’il pensait, il se ferait lyncher sur le champ.

Le tueur plongea un bras dans un carreau sans se soucier du bruit. Il se saisit de la poignée et la manipula. L’instant d’après, il était dans le salon, sa lame de couteau de cuisine faisant comme un éclair dans sa main gantée.

Il étudia la pièce avant de se diriger vers le couloir. Un craquement provenant de l’étage fut audible par tout le monde. Le tueur emprunta l’escalier. C’était un homme corpulent. Physiquement, Lise Bertrand ne pouvait rivaliser avec lui.

Il arriva sur le palier. La chambre de Lise était tout près. Il saisit la poignée de la porte, l’ouvrit sans un bruit et entra. Tout le monde écarquilla les yeux en repérant une forme allongée sous les couvertures.

«  Elle n’est pas assez stupide pour s’endormir après tout ce qu’elle nous a dit ! » songea Edouard.

De son côté, Jérôme se faisait la même réflexion. « C’est un piège. Et il est tombé en plein dedans. »

Edouard changea de canal.

«  Eddy, elle se fout de ta gueule. Tire-toi d’ici. T’auras l’air de quoi une fois que t’auras éventré un traversin ? »

Eddy ne répondit pas. Il se contenta de faire volte-face et de se diriger vers la porte. A la stupeur de tous, Lise Bertrand jaillit du lit dans un grand envol de couvertures avant de se jeter sur le tueur. Il y eut un cri et le tueur s’abattit violemment contre l’armoire.

Lise Bertrand apparut face caméra, le visage déformé par une expression de sauvagerie insoupçonnée. Dans sa main droite, elle tenait un pic à glace.

«  La salope ! jura Edouard. Elle nous a fait sa version de Basic Instinct. Quelle merde !

Jérôme se leva en faisant éclater sa joie tandis que l’assistance produisait un concert de clameurs de toutes sortes.

Edouard se ressaisit rapidement. Il changea à nouveau de canal. « Plan B pour tout le monde ! Je répète : plan B pour tout le monde ! »

Alors que le visage de Lise Bertrand remplissait tout l’écran, tout le monde put voir le changement radical de son expression. Elle semblait stupéfaite.

- Je l’ai tué. Je l’ai tué.

Elle fit tomber son arme qui tinta sur le parquet de la chambre.

Son regard se fixa accidentellement sur l’objectif.

- J’ai gagné. Dieu soit loué, j’ai gagné.

Quelque chose se dressa derrière elle. Un mouvement prompt et précis. Lise Bertrand poussa un cri bref avant de s’écrouler.

Comme par magie, la lumière revint dans l’appartement.

Le corps sans vie de la candidate gisait aux pieds du tueur masqué. Un masque blanc, d’une simplicité effroyable. Il se baissa et extirpa le manche du poignard saillant du dos de la mère de famille.

Un mouvement de caméra bien étudié montra l’armoire en piteux état ainsi que des taches de sang, convaincant tout le monde que le tueur s’était miraculeusement relevé malgré sa blessure. Une mère de famille, aussi déterminée soit-elle, ne pouvait venir à bout d’un tueur en série. Ceux qui avaient crû le contraire en étaient pour leurs frais.

Un dernier plan sur le tueur victorieux puis sur le visage inerte de Lise Bertrand.

Fondu au noir.

Une photo de la candidate apparut sur laquelle vint se dessiner une croix rouge, sanglante avant d’être intégrée dans le tableau de chasse du tueur.

Edouard ne put contenir sa joie. «  Tu viendras plus la ramener, ma jolie ! »

Le visage de Jérôme était défait. Il se tenait la tête à deux mains comme pour l’empêcher de tomber « Ils l’ont eue. Les fumiers. Ils ont triché. » Il se rassit mécaniquement et secoua la tête comme un automate déréglé.

Une musique sinistre envahit la scène.

Edouard s’imposa une attitude de recueillement. Le silence se fit dans l’assistance. Une minute fut dédiée à la mémoire de Lise Bertrand dont le courage et le dévouement pour ses enfants resterait à jamais gravée dans les mémoires et les annales de l’émission.

Puis le présentateur darda un regard empreint de gravité en direction de la caméra :

- Notre tueur n’a pas failli à sa réputation. Lise Bertrand a malheureusement appris à ses dépens qu’il a plus d’un tour dans son sac.

 

Une heure plus tard, dans les coulisses, Jérôme croisa son patron. Il le défia un instant du regard. L’autre sourit jusqu’aux oreilles :

- Ca lui apprendra à se foutre de ma gueule !

Edouard Ventura eut le temps de voir le visage de son assistant s’empourprer avant de se sentir violemment projeté contre un mur.

- Espèce de fumier ! Tu en as fait une affaire personnelle ! Tu n’as pas joué les règles du jeu ! Elle avait gagné ! Elle avait tué le tueur ! Pourquoi tu as fait venir un remplaçant ? Que vont devenir ses enfants, maintenant ?!!

Malgré l’inconfort de sa situation, Edouard conserva son flegme et la majeure partie de son arrogant sourire :

- Les règles sont faites pour être changées. Lise l’a d’ailleurs très bien compris. Seulement, elle en a payé le prix.

Jérôme fit mine de frapper son supérieur, mais il se contenta de resserrer son étreinte sur lui :

- Tu es donc prêt à transgresser toutes les lois pour entretenir ta gloire personnelle ?

Edouard se dégagea vivement avant de rétorquer froidement :

- Je ne fais qu’aller plus loin que tous les autres. Je suis un pionnier. Je n’espère pas être compris. Tout ce qui compte c’est ce que je fais et ce qui en restera. Moi, j’ouvre la voie à la télé de demain. Qu’est-ce que tu fais de beau, toi, dans la vie ?

 

Edouard Ventura rentra chez lui tard. Et légèrement accompagné. Il laissa la bimbo du nom de Jessica prendre une douche et s’installa sur le canapé. Toute la soirée et une bonne partie de la nuit, il s’était convaincu d’avoir fait le bon choix. Et les rasades de whisky l’y avaient bien aidé. Le téléphone sonna près de lui. Il décrocha mécaniquement. C’était Jérôme.

- Tu devrais jeter un coup d’œil sur M16 ou Canal Flux.

Edouard faillit raccrocher. Il se ravisa.

- Je n’ai aucune envie de regarder une chaîne concurrente.

- Je te promets que tu le regretteras pas.

Edouard alluma la télé et tout en zappant, poursuivit la conversation :

- Qu’est-ce qui se passe ? Ils ont enfin trouvé un concept digne de ce nom ?

- Précisément !

Le visage hilare de Ventura se rembrunit à cette annonce. Il arrêta de zapper et monta le volume. Le présentateur de la chaîne était en train d’annoncer un véritable scoop :

«  La source de ces révélations demeure inconnue, mais une chose est sûre, elles ne manqueront pas de déclencher une polémique sans précédent ! Voici en exclusivité la diffusion d’une conversation privée provenant des coulisses de TéléFun :

 

Edouard Ventura vit son visage apparaître sur son écran géant. Il commença à comprendre :

 

- Eddy n’est pas un acteur. C’est un vrai tueur. Il a ça dans le sang. Le fait que rien ne soit truqué  garantit une qualité constante de l’émission. On s’était mis d’accord là-dessus dès le départ. Sur M16, ils ont pris des comédiens, ils ont bidouillé les scènes de meurtre. T’as vu le résultat ? TéléFun ce n’est pas M16 ou Canal Flux ! Nous, on triche pas avec le public.

- Espèce de fumier ! Tu en as fait une affaire personnelle ! Tu n’as pas joué les règles du jeu ! Elle avait gagné ! Elle avait tué le tueur ! Pourquoi tu as fait venir un remplaçant ? Que vont devenir ses enfants, maintenant ?!!

- Bon, j’admets qu’Eddy a un peu trop improvisé ces derniers temps. Mais ne t’en fais pas. On graisse la patte à suffisamment de monde pour avoir les coudées franches. Les gens veulent du spectaculaire, de l’inattendu. Un peu d’imprévu ne peut pas nous faire de mal, bien au contraire. Les règles sont faites pour être changées. Lise l’a d’ailleurs très bien compris. Seulement, elle en a payé le prix.

- Tu es donc prêt à transgresser toutes les lois pour entretenir ta gloire personnelle ?

- Je ne fais qu’aller plus loin que tous les autres. Je suis un pionnier. Je n’espère pas être compris. Tout ce qui compte c’est ce que je fais et ce qui en restera.

 

Edouard Ventura était dans un état second. Ce qui était en train de se passer était surréaliste. Comment avait-il pu être piégé, lui, le présentateur et le producteur le plus adulé ?

Il changea de chaîne et changea encore, mais le programme était partout le même. Sa bobine passait sur tous les canaux et il répétait inlassablement le même plaidoyer.

Cet habile montage, il le savait, ne pouvait avoir été fourni que par une seule personne.

La voix de Jérôme se fit à nouveau entendre :

- Alors que penses-tu de ce concept, Edouard ?

Edouard voulut rétorquer quelque chose, mais les mots ne venaient pas. Parasité par cette trahison, par l’étendue du complot, son cerveau faisait le piquet de grève. Il laissa tomber le combiné et ouvrit un tiroir.

Jessica apparut dans le salon, son corps splendide encore humide serti d’une serviette éponge d’un blanc immaculé. Elle regarda l’écran :

- On parle encore de toi, Ed ?

Lorsqu’elle vit Edouard Ventura planter le canon d’un revolver dans sa bouche, elle poussa un hurlement rapidement concurrencé par une fulgurante détonation. La serviette éponge d’un blanc immaculé fut imbibée de rouge et du sang frais éclaboussa l’écran de télévision sur lequel apparaissait encore le visage enjoué de Edouard Ventura :

« Moi j’ouvre la voie à la télé de demain. Qu’est-ce que tu fais de beau, toi, dans la vie ? »

Imperturbable, la voix de Jérôme répondit à travers le combiné :

- Je fais exactement la même chose. Bienvenue dans la télé de demain, Ed !

 


Visuel crée par Nassosvakalis

 

 

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jeudi, 08 juillet 2010

La Télé-Réalité : ça Pue et ça Tue !!!

Télé la Réalité copie.jpg
Un dessin réalisé il y a plus d'un mois, malheureusement plus que jamais d'actualité.
Les limites de ces programmes sont sans cesse repoussées pourvu que l'audimat suive et que les candidats se bousculent. Alors un seul moyen de stopper le massacre (le mot est de circonstance) : Changer de chaîne ou changer d'occupation, mais vite, il y a urgence !!! Car si ça continue les programmes télé ce sera bientôt ça :
 
  
Et nous ne les devrons qu'à nous-mêmes !
 
Moi je vais changer (le monde ?) de monde si je peux !!!
 
 
 

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