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lundi, 14 juin 2010

Le Glas sonne toujours Trois fois [Red Dead Redemption FanFic]

Le soleil effleurait le sommet déchiré des falaises rouges de ses doigts de lumière comme un amant attentionné caresserait lascivement le corps d’une femme assoupie à ses côtés, une femme depuis longtemps convoitée.

La chaleur faisait miroiter le sol et l’air tout autour des deux hommes, debouts face à face. Comme dans un duel. Et justement, c’en était un.

Les jambes légèrement écartées, la moustache luisante et le pardessus  fringant, Gordon Blackmore défiait son adversaire du regard en caressant nerveusement la crosse nacrée de son six coups, gagné au poker deux jours plus tôt.

L’autre se tenait droit comme un I, comme pour le provoquer davantage, et mâchonnait un brin d’herbe en lorgnant le levant.

Ou ce type était fou à lier ou c’était un tireur émérite.

Gordon s’en moquait bien, il avait déjà réduit au silence plusieurs représentants des deux catégories. Sa réputation à Armadillo n’était plus à faire.

Les témoins se gardaient bien de prévenir le Marshall officiant dans la ville. Un duel était moins un crime qu’une attraction par ici et moins encore un simple règlement de compte.

Un duel au soleil était de loin la plus belle façon de mourir à cette époque où la sauvagerie des loups n’avait rien à envier à celle des hommes.

Le brin d’herbe fut brusquement éjecté d’entre les lèvres de l’étranger. C’était le signal. Il y en avait toujours un, peu importait sa forme.

Les témoins retinrent leur souffle. Certains, plus téméraires, osèrent se rapprocher de quelques pas, comme pour mieux voir à quoi ressemblait la mort.

Un hardi garçonnet avait même pris congé de ses parents à leur insu pour assister au spectacle. Planqué derrière l’auge des chevaux, il scrutait de ses beaux yeux bleus innocents les deux pistoleros en leur inventant à chacun un passé héroïque.

Sûrement plus reluisant que le véritable.

Le coup partit si vite que les regards les plus vifs furent pris de vitesse. Dans le silence qui s’était fait maître de la rue, la détonation fit l’effet d’une explosion.

Les deux hommes avaient dégainé et ne semblaient pas être blessés. Certains observèrent les canons pour connaître celui qui avait tiré. Le garçonnet vit une mince volute de fumée s’échapper du colt noir et argent de l’étranger. Gordon lâcha son arme et éructa. Sa bouche cracha une giclée de sang et il bascula en avant dans un grand envol de poussière et de tissu.

Alors c’était à ça que ressemblait la mort ?

Les plus désappointés reprirent rapidement leur activité interrompue en se demandant ce qui avait bien pu leur faire espérer autre chose.

Les autres, éblouis par la chute d’un géant, restèrent sur place, le regard accroché sur le cadavre et l’étranger qui rangea son arme fumante dans son étui.

Sa dégaine était celle d’un baroudeur solitaire, mais son assurance et l’expression franche de son visage bronzé dénotait un instinct social des plus aiguisés.

Il ne portait pas de chapeau. Ses cheveux blonds étaient singulièrement longs et ses vêtements aux couleurs passées lui conféraient l’allure d’un vagabond.

Le genre de type dont on ne se méfiait pas. Pas assez.

Gordon Blackmore venait de faire les frais de cette erreur. Il aurait pourtant dû savoir depuis le temps qu’une bonne main au poker pouvait être synonyme d’aller simple en Enfer pour qui contestait un peu trop la fortune des autres.

Le goudron et les plumes, c’était dépassé. Dommage pour Gordon. Il apprendrait à voler autrement, désormais.

L’étranger venait de s’agenouiller auprès du corps inerte du joueur invétéré. Ses mains expertes fouillèrent ses habits poussiéreux. Il en extirpa quelque chose qu’il dissimula bien vite dans sa besace avant de poser son regard perçant sur le garçonnet ébahi.

- Tu devrais rentrer chez toi, petit. Tu es un peu trop jeune pour voir de telles choses. Si j’avais su, j’aurais attendu que tu partes. De si beaux yeux ne devraient pas être souillés par cette parodie de justice.

L’étranger avait une voix plutôt douce qu’il s’efforçait visiblement de durcir pour paraître plus effrayant.

Il se leva, jeta un dernier regard à l’enfant fasciné, avant de pousser les portes battantes du saloon.

 

L’étranger s’installa nonchalamment au comptoir en ignorant l’attention dont il faisait l’objet.

- Un whisky !

- Offert par la maison ! lança le barman, jovial. Ce Blackmore m’a toujours fait l’effet d’une sale crapule, sans cesse dans l'attente d’un mauvais coup. Il rançonnait d’honnêtes gens depuis trop longtemps avec ses jeux et ses paris stupides. Je suis content que quelqu’un ait fini par lui clouer le bec une bonne fois pour toutes.

Sa mine s’assombrit lorsque deux hommes entrèrent dans la salle.

Ils portaient des chapeaux ronds et affichaient une élégance relative. Leur costume avait connu des jours meilleurs et sans doute qu’eux aussi à en juger par leur rictus commun. L’un d’eux sortit son arme et pulvérisa le verre que l’étranger s’apprêtait à vider.

- Gordon Blackmore était peut-être une grande gueule et un flambeur, mais ce qui est sûr c’est qu’il ne méritait pas de finir troué par un traîne-savate dans ton genre.

- Pourtant, c’est bien lui que le croque-mort est en train d’embaumer.

L’étranger lécha l’alcool qui avait aspergé son visage avec une lenteur provocatrice.

- Dans quelques minutes, ce sera ton tour, blondinet de mes deux !

Une seconde plus tard, les deux comparses de Blackmore ressortirent du saloon, avec chacun une balle dans le cœur.

- J’avais très soif, déclara l’étranger comme pour justifier sa justice expéditive aux clients attablés. Et quand j’ai très soif, je suis très susceptible.

Le barman lui servit un autre verre tout en fixant les portes battantes qui grinçaient encore.

- Tu as un nom, l’étranger.

L’intéressé vida son verre d’un trait avant de se coller un nouveau brin d’herbe entre les dents.

- Ouais.

- Lequel ? fit le commerçant, éberlué.

- Way, c'est mon nom. Je m’appelle William Way. Et j’ai encore pas mal de chemin à faire. Alors, ne m’en veuillez pas si je ne reste pas plus longtemps dans votre charmante bourgade.

Sur ces mots, il quitta l’établissement et il ne fut bientôt plus qu’une silhouette indistincte à l’horizon, un mirage comme on peut en voir tant d’autres du côté de Cholla Springs.

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