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dimanche, 08 février 2009

Dans ma Tête [Nouvelles/Humouroïd]

   Je la dévorais des yeux depuis près d’un quart d’heure.
Un quart d’heure plus amer qu’américain. Elle m’ignorait totalement.

D’ordinaire, le poids de votre regard finit toujours par attirer l’attention de la personne observée. Le mien pesait apparemment aussi lourd qu’une plume. Ou alors feignait-elle de ne pas avoir remarqué l’intérêt que je lui manifestais pourtant ouvertement.

Mon ego me persuadait que la première hypothèse était la bonne. Par pur esprit de contradiction, mon intellect soutenait fermement la seconde.

Mon cœur, quant à lui, se foutait bien de l’un comme de l’autre, comme à son habitude. Il avait une faim de loup et cette fille faisait un petit chaperon rouge idéal.

Lorsque enfin, elle a reposé le journal qu’elle lisait depuis une éternité, ça été pour se jeter dans les bras d’un hidalgo au sourire racoleur qui m’envoya illico dans les cordes.

Le combat était terminé car perdu d’avance.

Je n’ai jamais eu l’âme d’un guerrier. D’un chevalier, peut-être.

Mais sans cheval, ni arme, ni armure, ma vaillance fait du surplace.

Comme souvent dans ces cas-là, la météo se mit subitement au diapason de mon humeur.

Quand je suis sorti de la bibliothèque, il pleuvait des cordes. Et autant vous dire, que c’était pas des cordes à piano. Celles qui me tombaient dessus auraient pu ligoter un troupeau de baleines. La ville a pris rapidement des allures de forteresse assiégée. Les gens se sont mis à courir et les voitures à arroser scrupuleusement les trottoirs sur lesquels je surfais tant bien que mal.

 

J’ai regagné ma propre voiture, trempé comme une soupe. Les croûtons en moins.

Il pleuvait comme vache qui pisse alors j’ai quitté le parking en ruminant mes plus sombres pensées.

Quand l’autre, là-haut, s’est décidé à fermer les vannes, je me suis vite rendu compte que j’avais fait fausse route. J’étais carrément sorti de la ville et je zonais sur une route de campagne baignée par une brume matinale qui avait dû faire la grasse mat’ vu qu’il était dix-huit heures passées.

La situation ne s’annonçait guère mieux.

Mes phares ont pris le relais de mes essuie-glaces pour tenter de m’offrir une vision convenable de mon chemin.

Peine perdue.

On n’y voyait encore moins que sous le déluge. Là, j’ai vraiment commencé à trouver que c’était une journée de merde et que c’était sans doute pour ça que j’avais préféré rendre les bouquins que j’avais pas pris le temps de lire plutôt que de rester sous la couette à rêvasser.

Et puis soudain, tout s’est éclairé. Comme si on avait truffé le coin de dizaines de super projecteurs et qu’on les avait tous allumés d’un coup.

Seulement les projecteurs en question avaient tous l’air d’éclairer d’en haut.

J’ai fermé les yeux, abruti, aveuglé par ce flot de lumière. On aurait dit qu’ils rejouaient « Rencontres du troisième type » au-dessus de moi. Seulement le type en question, là, c’était moi. Et comme je ne me souvenais pas avoir rencontré Spielberg récemment, j’ai commencé à me dire que ce serait vraiment raisonnable de flipper. Des effets spéciaux de cette qualité, on les rajoute rarement pendant le tournage.

Alors, là, oui, j’ai commencé à flipper.

Surtout, quand la radio s’est mise à chanter « Viva Las Vegas » du grand Elvis.

- Putain, me suis-je écrié, il est vraiment vivant !

Le King remettait ça. Un dernier concert en plein ciel et il fallait que je tombe dessus.

J’espère qu’ils n’allaient pas me refuser l’entrée sous prétexte que je n’avais pas de billet.

Mais là, je débloquais totalement. Malheureusement. Car la réalité était bien pire.

J’ai ouvert ma portière et je me suis rué dehors. A peine ai-je posé un pied au sol, que je me suis senti littéralement soulevé.

- Putain, me suis-je écrié. C’est moi, Superman !

Mais là encore, pure élucubration de ma part.

La vérité était beaucoup moins savoureuse.

J’ai perdu connaissance et quand j’ai ouvert les yeux, j’étais allongé sur une espèce de table et trois personnes me faisaient face. J’ai cru que j’avais eu un accident de voiture, que j’étais à l’hôpital et que ces trois charmantes personnes – que je ne distinguais pas encore très bien – étaient des médecins compétents et attentionnés.

Compétents et attentionnés, ils l’étaient certainement. Médecins, c’était encore chose possible. Mais humains…

Ils n’avaient pas de bouche, pas de cheveux, une tête un peu trop grosse, des yeux un peu trop petits. Mais après tout, personne n’est parfait.

J’aurais vraiment dû baliser à ce moment-là, car en juger par les instruments que tenaient les trois types, ils n’avaient pas que de bonnes intentions à mon égard.

« Vous croyez que ça a marché » ? a demandé le premier.

« Il est peut-être encore trop tôt  pour le dire », a répondu le deuxième.

«  Attendons qu’il reprenne ses esprits », a ajouté le troisième.

J’ai regardé les trois types avec insistance. Ils avaient parlé et pourtant ils n’avaient pas de bouche. En tout cas, rien d’approchant.

Peut-être qu’ils communiquaient par des moyens extra-sensoriels. Après tout, c’était des extra-terrestres !

« Faut que je me tire d’ici » ! me cria mon bon sens avec toute la bravoure qui le caractérisait.

Je me suis levé et au mépris du danger, j’ai fait mine de quitter la salle. J’ai jeté un coup d’œil vers mon comité d’accueil. Les types n’en revenaient pas. Evidemment, s’ils avaient crû m’avoir tué, c’était plutôt raté dans le genre. Je me sentais plutôt bien, mis à part ce léger bourdonnement dans ma tête.

Subitement, je les ai à nouveau entendus :

«  D’habitude, ça prend combien de temps » ?

«  C’est inquiétant. Peut-être est-ce un sujet plus résistant ».

« Saperlipopette, ça risque de lui donner un sérieux avantage ! C’est quand même dingue une capacité pareille» !

Je comprenais rien à leur charabia. Ils parlaient pourtant très bien français avec juste un léger accent grave.

Je n’avais peut-être pas envie de comprendre, tout simplement. Un peu comme quand j’étais au lycée. Sauf, que les trois profs, là, ils ne me voulaient pas que du bien.

J’avais presque atteint la sortie, lorsque j’ai entendu l’un d’eux balancer :

«  Il faut l’arrêter ! Prévenez les gardes et faites sortir les chiens ! Il faut dire aux autres que l’opération a échoué. On n’entend pas ce qu’il pense. Il est imprévisible » !

Je n’ai pas vraiment pris le temps de cogiter là-dessus. Ca sentait vraiment trop le roussi pour moi. J’ai décampé. J’ai pris un couloir. Pas le temps d’admirer la déco. Je crois que les murs étaient plutôt blancs. Et en Béton.

En dehors de ça…

Deux types sont arrivés pour me bloquer le passage. Ils étaient armés de fusils dont la taille aurait fait flippé un troupeau de sangliers en rut.

En plus, ils l’avaient mauvaise. Le premier a dit :

«  Pourvu qu’il me fasse pas courir, ce petit con de terrien. J’ai la jambe gauche en compote ».

Et le second a ajouté :

«  Pourvu qu’il ne voit pas la porte à sa droite » !

C’est précisément à ce moment là – comme quoi des fois la nature est bien faite – que mon cerveau s’est remis à fonctionner. J’ai compris que si, moi, je pouvais entendre leurs pensées, eux étaient incapables de lire dans les miennes. Ils ne pouvaient pas me mentir, ni me cacher quoi que ce soit. Ils en étaient physiquement incapables. Moi, c’était une toute autre histoire. J’avais un super pouvoir à exercer contre eux : ma nature humaine. Et je n’allais pas m’en priver.

- Ok, les gars, je me rends. Vous pouvez baisser vos armes. J’ai carrément trop peur de vous.

Apparemment, ces deux abrutis n’étaient pas au courant de ma situation. Ils étaient convaincus de ce que je disais. Ils souriaient même. Les cons.

Je n’ai pas eu le temps de voir leur tronche lorsque j’ai ouvert la porte sur ma droite et que je me suis engouffré dans une nouvelle coursive. Mais elles m’auraient sans doute fait pisser de rire.

Manque de bol, je suis tombé dans une embuscade. Cinq types m’attendaient à l’autre bout. Ceux-là n’avaient pas de fusils, mais ce qu’ils osaient appeler des chiens. En réalité, de vraies gueules de requins sur pattes, bavant et grognant comme s’ils étaient enragés et qu’ils n’avaient pas bouffé depuis des semaines. Ce qui était sûrement le cas.

J’ai avancé un peu, en cherchant comment dans une telle situation je pouvais exploiter mon pouvoir. Alors les deux crétins de tout à l’heure sont arrivés dans mon dos en pointant leur canon sur moi. J’ai souri. Elvis était avec moi.

- Ok, les mecs, je suis vraiment foutu, là. Cette fois, je me rends. Je ne peux pas vous mentir, vous le savez très bien. Tout à l’heure, je ne sais pas ce qui m’a pris. Comme une envie de pisser. Vous savez ce que c’est. Ce genre de truc, c’est tout à fait… imprévisible !

Tandis que je leur vendais mes salades, les deux types se sont détendus.

De l’autre côté, les autres avec leurs chiens ont bien essayé de foutre la merde :

«  Ne l’écoutez pas ! L’opération n’a pas marché ! Il peut vous surprendre » !

Mes deux lascars, heureusement pour moi, étaient sûrement végétariens. Car mes salades, ils les ont toutes avalées.

- C’est à quelle jambe que tu as mal déjà ? La gauche ?

L’intéressé a opiné et m’a souri avec une touchante sincérité. Comme si j’allais le soigner.

Pour le soigner, je l’ai soigné. J’ai sauté et je lui ai carrément pété la guibole. Il s’est vautré et son fusil à éléphant est retombé dans mes mains.

- Merci Elvis. T’es vraiment un dieu !

J’ai embrassé le canon de l’arme et j’ai visé l’autre type.

- Fais gaffe, je vais tirer dans la tête !

Evidemment il s’est baissé. Evidemment, je lui ai fait sauté la mâchoire d’un coup de genou.

J’ai repris le couloir que j’avais quitté précédemment et j’ai foncé.
Les autres n’étaient pas loin derrière moi. J’entendais les grondements de leurs chiens et leurs gueulantes à eux :

«  Attention, il a un Mega-gun » !

Mon arme me plaisait déjà beaucoup, mais avec un nom pareil, elle en jetait encore plus.

« Lâchez les Sharkulls  » !

Leurs bestioles ne me plaisaient déjà pas beaucoup, mais avec un nom pareil, elles me faisaient encore plus flipper.

Il était vraiment temps que je me fasse la malle de ce vaisseau.

J’ai repéré une porte sur ma droite. Elle était verrouillée. Ce devait être une salle importante. Il fallait donc que j’entre.

J’ai pris mon Mega-gun avec une évidente satisfaction et j’ai tiré. L’explosion m’a arraché les tympans et la balle, elle, a arraché la porte.

- Ouahou ! ai-je fait.

Quand j’ai pénétré dans la salle, j’ai vu que j’avais eu du  nez. C’était une salle des machines. Et c’est de là notamment que venait le rayon tracteur qui m’avait amené à bord.

Mes poursuivants se rapprochaient.

«  Il est dans la salle des machines ! S’il tire avec son Mega-gun, il va faire crasher le vaisseau » !

Putain, Elvis m’avait vraiment à la bonne, ce jour-là.

Après avoir inversé la fonction du rayon tracteur, j’ai canardé à tout va, histoire de partir en beauté. J’ai soulevé la grille d’accès. Au moment où je l’ai refermé, un affreux Sharkull – un sacré pléonasme ! – s’est jeté dessus. C’était moins une.

Le rayon m’a déposé au sol, puis levant la tête, j’ai vu le vaisseau partir en cacahuète.

J’ai eu la force de remonter dans ma voiture et après, c’est le trou noir.

 

Le lendemain, la tête encore farcie des images de mon aventure délirante, je me suis rendu à la bibliothèque. Mécaniquement. C’était le seul repère rassurant qui me restait. La fille était encore là. Celle-là même que j’avais dévisagée la veille pendant presque un quart d’heure.

Elle lisait le journal et à en juger par son expression, le contenu devait être de la plus haute importance. Histoire de partager quelque chose avec elle, j’ai pris un exemplaire qui traînait près de moi. Et là, en première page, j’ai lu un truc qui m’a fait dresser les cheveux sur la tête :

 

Un avion expérimental s’écrase.

Aucune perte humaine.

Le gouvernement nie farouchement la thèse de l’OVNI.

 

« Putain de merde » ! me suis-je dit. Ce n’était pas un rêve ! J’ai vraiment été dans ce vaisseau, j’ai vraiment vu ces types ! »

J’ai vu la fille se tourner vers moi comme si je l’avais appelée par son nom. Elle me regardait bizarrement. Même comme ça, elle était vraiment à tomber. « C’est de loin la plus belle fille que j’ai jamais vu », me suis-je dit avec une touchante sincérité.

Son expression a brusquement changé. Ses yeux se sont mis à briller et elle a souri comme un ange :

- C’est vrai ?

Je n’en croyais pas mes yeux ni mes oreilles. Elle se rendait enfin compte que j’existais. Elle faisait attention à moi. Elle me parlait.

Là, ma tête s’est mise à bourdonner. J’ai caressé ma tempe droite dans l’espoir de faire cesser la douleur naissante et c’est alors que mes doigts ont rencontré une anomalie. J’avais une cicatrice. Je ne me souvenais pas m’être cogné à ce point. J’ai définitivement abandonné cette hypothèse lorsque j’ai réalisé que la cicatrice en question faisait le tour de mon crâne. Alors, subitement, mon cerveau s’est remis à fonctionner.

Les types m’avaient opéré. Ils m’avaient implanté une espèce de haut-parleur qui par l’entremise de mes oreilles permettait aux gens de l’extérieur d’entendre mes pensées les plus intimes aussi facilement que j’avais pu entendre celles de mes kidnappeurs. L’opération n’avait pas foiré, loin de là. Le résultat s’était simplement fait attendre. Et désormais, il fallait que je me fasse une raison. Je n’avais plus de secrets pour personne. M’interdire de penser était impossible. Cela revenait à m’interdire de respirer.

Et je n’ai jamais été très bon en apnée.

- Quelle horreur !

La fille ne souriait plus du tout. Elle me dévisageait avec un air terrorisé.

Il fallait absolument que je dompte mes réflexions, sinon j’allais rapidement faire le vide autour de moi.

Dans le meilleur des cas.

Seulement, la situation m’était insupportable. Je me sentais comme une victime, un cobaye, un malade, un fou. Maudit. Condamné à perpétuité.

J’ai fait exploser ma colère :

- Bande d’enfoirés ! Qu’est-ce que vous m’avez fait ? Qu’est-ce qu…

Sur ces entrefaites, l’hidalgo est venu se planter à côté de ma dulcinée.

- Qu’est-ce qui se passe, chérie ? Ce type t’embête ?

Je regardais ce connard avec mépris. Il se croyait obligé de jouer les durs pour épater la galerie. Il aurait dû savoir que « C’est pas le moment de me faire chier » ! me suis-je dit avec un certain tact.

Les yeux de mon rival se sont agrandis et il a grimacé :

- Reste poli, enfoiré ou je vais t’…

Il n’a pas eu le temps de terminer sa phrase. Il a terminé dans la panse d’un Sharkull rescapé du crash de l’astronef. Blessé, il était encore plus gerbant.

Couverte du sang de son ex, la fille s’est mise à hurler, bientôt imitée par toute la salle. Comme dans un état second, d’un coup de pied, j’ai renversé une  bibliothèque sur la bestiole, j’ai attrapé la pin-up par la taille et j’ai sorti mon Mega-gun de sous mon imper.

«  Maintenant, ça va chier » !

Je ne sais plus trop si j’ai dit ou pensé cette réplique mûrement réfléchie, mais après tout, dans mon cas, cela ne faisait plus aucune différence.

Le Sharkull a explosé le meuble d’un coup de dents et s’est jeté sur moi.

J’ai alors prié très fort pour qu’Elvis ne soit pas loin.

 

 

 

 

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Commentaires

Bravo! chapeau bas! Du rythme, des images... la maitrise de la langue! que dire de plus?? de l'humour? du style? eh là mais ces chevilles risquent d'enfler à ce gentil écrivain!

Écrit par : Julie | samedi, 01 août 2009

Mes chevilles te remercient pour toutes ces éloges (elles adorent ça !!! )
J'essaie de ne pas m'enfermer dans un seul style alors très heureux que certaines choses te plaisent.
Question : comment as-tu eu connaissance de ce blog ? (c'est toujours intéressant de savoir)

Bon séjour sur d'art et d'amour et à bientôt (pour de nouvelles éloges me murmurent mes chevilles)

Écrit par : Greg | samedi, 01 août 2009

Vu que tes chevilles n'attendent que ca je vais te feliciter.
Un trés bon style, tu nous mets vraiment dans la peau de ton personnage
Bon j'arrête là les compliments sinon tu pourras plus mettre tes chaussures^^

Écrit par : Slartibartfast | mardi, 18 août 2009

J'adore le style. Un seul bémol : c'est un peu bref... J'aurai bien ailé que le délire continue plus loin !
J'aime bien aussi les fins dans ce genre là, clôturant sans vraiment clôturer...

Écrit par : Jartagnan | lundi, 30 mai 2011

oui c'est mon défaut je fais au plus court pour être sûr de finir ! J'en suis le premier conscient mais j'arrive pas à faire autrement (les idées se bousculent et j'aime pas trop être sur plusieurs histoires en même temps !)

Écrit par : greg armatory | lundi, 30 mai 2011

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