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samedi, 16 mai 2015

La dernière fée [Nouvelles/Fantasy]

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 Je l’appelais ma petite fée.

Elle m’appelait son petit prince.

Tous les matins j’allais à la chasse. Et tous les midis je rentrais pour déguster le savoureux repas qu’elle avait pris le soin de nous concocter. En retour, je lui lisais les poèmes qu’elle et la nature m’avaient inspirés conjointement durant mon périple forestier.

Bien sûr la chasse était un terme ironique, puisqu’en réalité je ne faisais que capturer les rimes soufflées par la beauté des paysages et l’image de celle qui partageait mon existence depuis quelques mois déjà.

On était heureux et on ne s’en lassait pas. Comme si nous nous rappelions constamment sans jamais l’évoquer la dureté de notre passé. Nous méritions cette vie tout comme nous nous méritions l’un l’autre.

Je glissais une plume d’oiseau dans l’or de ses cheveux et j’eus droit à son regard le plus enjôleur. Je n’avais jamais vu des yeux comme les siens. Ils semblaient refléter la lumière alentours si bien que leur couleur pouvait varier du tout au tout. Mais la fascination qu’ils exerçaient sur moi était invariable.

Elle m’avait regardé ainsi des centaines de fois au bas mot, mais ce jour-là je sentis que le moment que nous attendions impatiemment tous les deux allait avoir lieu : la nuit de notre union véritable.

Nous la préparâmes longuement et tendrement à grands renforts de caresses, de mots doux, d’attentions diverses. Ce fut un jeu dans lequel nous excellâmes au-delà de nos propres attentes.

Si bien que le soir quand nous nous mîmes au lit, nos corps furent naturellement les réceptacles de notre amour et de nos désirs les plus intimes. Dans nos étreintes passionnées, c’est à peine si je prêtais attention aux cicatrices de ses omoplates dont elle avait toujours tu l’origine. Un mystère entier que j’avais toujours respecté. Elle ne m’en aimait que davantage et c’était une récompense suffisante pour ne rien y changer. Tandis qu’elle me comblait de bonheur je fus à même d’apprécier à sa juste valeur sa reconnaissance.

 

Je fus éveillé avant elle. Je soufflai tendrement sur sa nuque. Elle dormait encore profondément. Je choisis de ne pas la réveiller et de partir à la chasse. J’étais encore enivré de notre nuit de noces.

Je partis en sifflotant, les oiseaux croisés sur ma route faisant écho à mon chant joyeux.

La nature elle–même semblait comprendre et louer ma béatitude. L’inspiration me vint encore plus facilement que de coutume et ma gibecière se remplit en un rien de temps de poésies dédiées à ma moitié. L’encre finit par me manquer et j’écourtais ma balade à seule fin de pouvoir me réapprovisionner.

 

Je rentrais plut tôt que d’habitude, mais je fus surpris de ne pas trouver ma petite fée occupée aux fourneaux. Peut-être s’apprêtait-elle encore, désireuse de m’apparaître encore plus belle qu’avant, à compter que cela fut possible. 

Je déposais mon équipement sur la table vierge de toute préparation culinaire et explorer notre gentilhommière, le cœur battant, comme étreint par…par un terrible présage. Mon visage se crispa, je m’en aperçus sans vraiment en saisir la cause. Le soleil semblait s’être tout à coup retiré et une ombre froide et étouffante était soudainement descendue sur la maisonnée.

Je sus intuitivement qu’elle était toujours dans la chambre, toujours endormie et je pus le vérifier rapidement. Mais pourquoi une telle angoisse, dans ce cas ? Elle était exactement dans la même position que quand je l’avais quittée quelques heures plus tôt. A cela près que sa peau semblait avoir perdu l’éclat rayonnant qui la caractérisait. L’ombre semblait peser sur elle plus que sur toute autre chose. Je tendais une main tremblante dans sa direction. Je caressais ses longs cheveux d’or maintenant éteints. Ils me restèrent dans les mains. Son corps glissa alors du lit et je poussai un cri déchirant en découvrant ce qu’il m’était forcé de reconnaître comme un cadavre pourrissant.

Une main se plaqua sur ma bouche et une force irrésistible m’emporta à l’extérieur de la demeure. Le souffle coupé je tombais à genoux une fois libéré de la formidable poigne de l’inconnu. Je redressais la tête avec un air ahuri.

Un homme aux allures de sauvage, bâti comme un lion aux muscles saillants et à la longue chevelure d’ébène me toisait avec un inquiétant mélange de mépris et d’admiration. Il portait une large épée ceinte à la taille. Ses nombreuses cicatrices témoignaient d’une existence pour le moins mouvementée.

- Il faut la brûler tout de suite.

Je ne compris pas immédiatement qu’il ne s’adressait pas à moi, mais à un autre personnage resté dans la maison. Mais je ne devinais que trop bien leurs intentions. Et je ne pouvais pas, au nom de mon amour, les laisser commettre un tel forfait sous mes yeux sans je fasse rien pour les en empêcher.

Je me levais, les poings serrés, l’air mauvais. Un simple coup de pied émoussa en un instant ma volonté la plus farouche.

- Laisse tomber, cul-terreux. C’est ce qu’il y a de mieux à faire. T’as déjà fait assez de mal comme ça. Enfin, elle t’a bien aidé, j’imagine.

Cette fois, le barbare s’adressait bel et bien à moi. Mais pour ce qui était de comprendre le sens de ses paroles, c’était autre chose. Mon expression traduisit assez bien ma stupéfaction.

Cela le fit sourire.

- T’as baisé une fée, mon gars. Et la dernière en plus. Tu sais ce que ça veut dire ?

- Quoi ?

Mon esprit était embrumé. Je vivais un vrai cauchemar qui ne paraissait pas vouloir finir. Bien au contraire. Je sus que ce n’était que le début de mes tourments lorsque la gentilhommière fut la proie des flammes et que l’auteur de cette sauvage incinération vint rejoindre son acolyte.

Il n’avait pas ses manières rustres, en cela il était son parfait opposé. Elégant, gracieux même, son visage avait une beauté androgyne. Je remarquai avec un hoquet de surprise ses deux oreilles terminées en pointe. Il me fixa à son tour avec espièglerie.

- Le mal n’est pas venu d’une armée d’orcs ou d’un sorcier maléfique. Les temps changent, semble-t-il.

On venait de me priver de l’amour de ma vie, de ma vie-même et ces deux personnages semblaient rire de mon malheur. C’était insupportable.  Ignorant un probable second coup de pied, je me redressai et hurlai :

- Allez-vous me dire  qui vous êtes et ce qui m’arrive ?

L’elfe ouvrit de grands yeux avant de se tourner vers son compagnon :

- Tu ne lui as rien dit ?

- Si, j’ai même été très clair. Les métaphores c’est pas mon truc. J’ai déjà eu du mal à retenir le mot…

A nouveau ce sentiment d’être le dindon de la farce.

- Il a l’air vraiment innocent, fit l’autre. Tu me diras, comment approcher une fée autrement.

Le barbare s’esclaffa avec exagération.

- Tu appelle ça approcher ? Il l’a culbuté, oui, et pas qu’un peu.

- Quoi ? Tu as tenu la chandelle, peut-être.

- Si on avait pris mon chemin, ça aurait pu se faire je te signale et on serait peut-être pas autant dans la merde.   

- Un peu tard pour pleurer.

Là c’était sans doute de moi qu’il parlait. La tristesse me tomba dessus sans crier gare. Ma colère ne pouvant apaiser ma douleur, mes yeux versèrent des cascades de larmes à en noyer un troupeau de vaches.

- Et arrête ça tout de suite tu veux.

L’elfe se moqua ouvertement du barbare.

- Dis plutôt que tu es jaloux car tu n’as jamais su t’émouvoir.

- Vrai et c’est pourquoi je suis toujours debout pour le dire, espèce de danseuse !

Il balança son poing vers l’elfe, mais celui-ci esquiva avec une pirouette de son crû.

- Encore raté !

La seconde d’après il reçut une pointe de botte dans l’estomac qui lui coupa l’envie de renchérir.

Le corps aussi endolori que si j’avais dévalé une falaise, je rampai gauchement vers la gentilhommière en flammes.

L’elfe me désigna du menton.

L’intéressé grogna avant de m’empoigner rudement par le col.

Avant de réaliser ce qui m’arrivait, je me retrouvais sur la croupe d’un cheval, derrière le sauvage et nous partions au galop laissant ma vie se consumer dans la plus totale indifférence.

J’entendis l’elfe élever la voix pour couvrir le tumulte de notre cavalcade :

- Si tu as quelques mots à dire c’est maintenant ou jamais.

Ils me vinrent naturellement. Et je me remis à pleurer en les prononçant :

- Je l’appelais ma petite fée. Elle m’appelait son petit prince.

Ils n’entendirent rien et ce fut sûrement mieux ainsi.

 

Pressentant que le voyage allait être long et monotone, j’ai tenté de m’assoupir. Mes yeux se sont fermés, mais pour ce qui est du sommeil, ce n’en fut que l’ombre. Son visage angélique et la découverte de son cadavre ne cessaient de me hanter. Je sortis épuisé de cette lutte.

Nous ralentîmes. Le jour tombait et comme indifférent à la nature tragique des évènements, le soleil m’offrit son plus beau coucher.  Je retenais mes larmes de crainte de faire l’objet de nouvelles railleries.

Nous finîmes par nous arrêter près d’un vieil arbre racorni qui semblait veiller sur la plaine tel un vigile séculaire. Je ne sentais plus mon postérieur, mais je m’assis quand même contre le tronc.

Experts en campements de fortune, les deux compères firent un feu avec de la mousse et quelques branches mortes glanées à proximité. Je les regardais, totalement détaché, comme perdu entre deux mondes desquels je me sentais dissocié.

Ou plutôt qui m’effrayaient autant l’un que l’autre.

L’elfe déposa la carcasse d’un herbivore. Il en retira une flèche aussi belle que mortelle entre ses doigts…je faillis dire de fée.

- Avec tout ça, je n’ai même pas eu le loisir d’apprécier notre rencontre. J’ai toujours pourtant rêvé de me retrouver face à un membre de ton peuple.

Tandis qu’il préparait un breuvage à base de plantes et d’eau croupie, l’elfe se permit son premier sourire. J’en fus ému.

- T’as entendu, le sauvage ? Il a dit peuple en parlant de mon espèce. Lui au moins a du respect.

Seul un grognement lui répondit. Le barbare préféra se concentrer sur le découpage de la viande.

- Comme tu l’auras remarqué, nous avons quelques divergences plutôt tenaces.

Il rit doucement. Son rire sonna cette fois comme le tintement d’une rivière. C’était bel et bien un elfe, malgré la première image peu flatteuse que j’en avais eu.

- Vous n’avez rien en commun, c’est peu dire. Pourquoi une telle association ?

- Nous avons tous deux été affectés à cette mission par nos propres commanditaires. Notre association comme tu dis si bien est le fruit du hasard ou bien la volonté des dieux, comme tu voudras.

Je me rendis compte que parler d’eux m’aidait à oublier mon sort et surtout celui de…

Je secouai la tête pour chasser son souvenir aussi aigu qu’une lame de poignard.

L’elfe me tendit alors une coupe de son mystérieux breuvage.

Confiant, je bus sans le questionner. Je sentis une certaine amertume, mais l’arrière–goût était agréable, et une douce chaleur envahit mon corps et mon esprit. Je me sentis instantanément plus léger, plus libre, mes tourments comme relégués au second plan. Je profitais enfin du moment présent.

- Merci.

- Ne le remercie pas, tonna la voix du barbare. Il a endormi plus d’une catin comme ça à seule fin de perdre son pucelage.

L’elfe sourit tristement.

- Ca n’a jamais marché.

Le barbare se rapprocha et me tendit une belle brochette de viande :

- Mais peut-être que tu sera l’exception, déclara-t-il avec ce que j’espérais être de l’humour. Sauf qu’il ajouta après :

- Il n’est pas très regardant sur le sexe, contrairement à moi.

Visiblement mal à l’aise, l’elfe tenta de sourire pour diminuer son trouble.

- Ne l’écoute pas, il se plait à m’humilier. Il connaît mon inconfort à ce sujet. Mais je connais aussi ses failles alors…

 

La tête appuyée sur sa selle, le barbare mordait à pleines dents dans une cuisse dégoulinante. Je préférai penser que c’était de la sauce plutôt que du sang.

L’elfe ramena du bois.

- J’ai repéré quelques prédateurs qui pourraient venir nous importuner cette nuit. On fera des tours de garde.

Le barbare éructa sans retenue.

- Fais la garde si ça te chante. Moi j’ai besoin de roupiller. Si une chose s’approche de moi je l’empale et j’en fais une brochette.

Je le crus sur parole.

L’elfe me rassura.

- Ne t’en fais pas. Je veillerai sur nous trois.

Le barbare suça l’os avec un bruit écoeurant.

- Fais quand même gaffe à ton cul. Il est chaud comme la braise.

Puis il s’installa pour dormir comme s’il avait lancé une banalité.

L’elfe secoua les épaules, m’incitant à ignorer les attitudes de son compagnon d’une manière générale. Ce que je fis bien volontiers tant elles me répugnaient. Et puis je sentais naître entre l’elfe et moi une complicité qui n’était pas pour me déplaire.

- Tu as parlé de mission tout à l’heure. Tu peux être plus précis ? Vous me cherchiez ?

Il s’assit d’une étrange manière et ferma les yeux.

- C’est la fée que nous cherchions. Nous avons eu vent de la mort de toutes les autres. Si aucune fée ne vit en ce monde, alors notre protection contre le mal est pour le moins fragile. Le problème c’est que le mal est au courant.

Il ne me voyait pas et pourtant alors que je comprenais ma responsabilité dans cette sombre affaire, il ajouta :

- Ne culpabilise pas. Tu ignorais qui elle était vraiment. Elle a tout fait pour te le cacher. Elle a coupé ses ailes et s’est comporté comme une simple humaine.

- A la perfection, complétai-je en même temps que lui, comme dans un état second.

- Mais ce n’est pas le pire, hélas. Elle savait très bien ce qui l’attendait si elle faisait l’amour avec toi. Ca aussi, elle ne t’en a rien dit. Elle a fait ce choix pour elle et je l’espère pour toi aussi. Elle voulait connaître et partager ce bonheur éphémère. Mais en faisant cela, elle a ni plus ni moins lancé une malédiction dont nous allons bientôt tous être victimes si ce n’est pas déjà fait.

N’eut été les propriétés du breuvage et ma position, les bras m’en seraient tombés.

Je n’avais encore rien vu du mal à l’œuvre, mais malgré moi je m’en sentais déjà complice.

J’ouvris la bouche, mais l’elfe fit avorter ma question en posant son index sur ses lèvres.

Je compris qu’il était temps de dormir. Et aussitôt je m’endormis.

 

Je fus tiré de douces rêveries par des bruits de lutte. Je pensais immédiatement aux prédateurs évoqués par l’elfe. Mais j’eu la surprise de voir mes deux compagnons engagés dans un authentique pugilat, leurs piétinements et la poussière qu’ils soulevaient menaçant à tout instant d’éteindre le feu déjà moribond.

- Mais qu’est-ce qui vous prend ? Vous êtes des compagnons !

Comme mon intervention ne parut pas les raisonner, je sortis ma botte secrète :

- Vous êtes des héros !

Pour mon plus grand soulagement, j’obtins l’effet escompté. Ils se figèrent et me dévisagèrent. Mais ce fut pour éclater de rire. Le barbare se tenait même les côtes :

- Des héros ? Elle est bien bonne, celle-là ! Je passe mon temps à empocher de l’or en tuant des inconnus pour le compte de riches salopards et quand je tue des innocents ça me rapporte généralement dix fois plus. Quand à ton ami l’elfe, il tue l’ennui en droguant tout ce qui bouge pour arrondir ses fins de mois et…

- Merci, mais le reste tu l’as déjà dit.

Le barbare grimaça.

- C’est vrai.

La seconde d’après ils se rouaient à nouveau de coups. J’aurais voulu vous dire que l’elfe attaquait et esquivait avec toute l’agilité qui le caractérisait, dansant comme un chat, mais ce n’était pas le cas. Il était ivre de fureur et se battait comme un fauve enragé à l’instar du barbare. Lorsque ce dernier reçut un coup au visage qui le fit saigner du nez, ses yeux faillirent sortir de leur orbite. Il dégaina son épée sans réfléchir pour s’apercevoir qu’une flèche était plantée dans son cou. Il écarta l’elfe d’un vigoureux coup de pied avant de lui trancher la tête sous mon regard horrifié. Il retira la flèche d’un coup sec et grogna en en détaillant la pointe.

- Fumier !

Il tituba et s’affala lourdement contre l’arbre duquel je m’éloignai vivement. La mort semblait se faire un plaisir de ma compagnie. Evidemment ce n’était pas réciproque.

Le barbare me dévisagea gravement. Mais ce n’est pas sa propre fin qui semblait le perturber :

- Tu ne comprends donc pas. Je t’ai sauvé de ses griffes. Je venais de comprendre ses intentions à ton sujet. Il murmure souvent dans son sommeil. Une chance, moi j’ai l’ouïe fine. Il voulait t’amener à son roi pour que tu payes ton crime et ainsi obtenir la main de sa fille. Il était tout sauf désintéressé.

Mes yeux s’embuèrent à cette annonce.

- Tu vas me dire que tu valais mieux que lui, c’est ça ?

J’étais paradoxalement plein d’espoir.

- Non. Mais moi je n’ai jamais essayé de faire croire le contraire.

Il sourit tendrement, puis fut secoué par un violent spasme. Il cracha une grosse giclée de sang avant de s’abattre sur le sol. Sa tête chevelue réanima le feu dans un crépitement sinistre.

Sans réfléchir je saisis une selle et enfourchais l’une des deux montures. Qui m’expédia au sol en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Alors qu’impuissant, j’observai les deux chevaux s’éloigner vers l’horizon, un nouveau tandem des plus insolites fit son apparition : un nain chevauchant un centaure. Dit comme ça, ça peut faire rire, mais ma situation était telle que son comique m’échappa.

Le nain répondait bien à la description fantasmée que je m’en faisais. Petit, mais costaud, recouvert d’une armure toute en dorures et motifs angulaires, la barbe blanche fournie tressée par endroits et une crête hérissant son crâne bruni enjolivé de tatouages symboliques. Une hache à double tranchant ornait son dos.

Le centaure me fit plus forte impression encore. Il était musclé et son torse d’homme prolongeait si naturellement sa partie chevaline que j’avais grand mal à savoir qui de l’un ou de l’autre prenait le dessus. En vérité, c’était inutile. Le centaure était un tout et le meilleur de chaque espèce à ce qu’il semblait. C’est sans doute pour cette raison qu’il portait aussi bien la queue de cheval.

- Dragonstorm, enfin !

Le nain interrompit mes réflexions en sautant à bas de sa monture. Il ramassa l’épée du barbare dont il embrassa la lame encore couverte du sang de l’elfe.

- Ce crétin de Crom n’avait aucune idée de sa valeur sinon crois-moi qu’il aurait fait graver une ou deux runes. Il cracha sur le cadavre du barbare :

- C’est pas grave, tout le plaisir est pour moi !

Il s’esclaffa avant que son attention ne soit retenue par la dépouille de l’elfe :

- Nom de…Butin de merle ! Mais c’est mon jour de chance, Ram !

Il récupéra l’arc en bois jusque-là privé de propriétaire.

- Vifif ! L’arc légendaire qui aurait occis le géant Slag n’a-qu’un-œil.

Le dénommé Ram planta sa javeline dans le sol. Il croisa les bras sur sa poitrine et me fixa avec amusement.

- C’était un cyclope. Tout le monde fait l’erreur.

- C’est une impression où tout le monde se fiche éperdument de moi et du fait que je viens de tout perdre.

L’impression était d’ailleurs si forte que je l’avais émise à voix haute malgré moi.

- Plait-il ? fit le nain.

Il remarqua enfin ma présence et cela m’embarrassa plus que je n’aurais su le dire.

- Vous n’êtes pas là pour moi, je veux dire, vous n’étiez pas à la recherche de la dernière fée ?

Les deux compères se dévisagèrent. J’ai cru qu’ils allaient se mettre à rire, mais ils se contentèrent de hausser les épaules. Le nain brandit l’épée.

- Au risque de te faire perdre tes illusions, ceci était ma seule motivation. On pistait Crom depuis un moment déjà. Quant à ton histoire de fée, et bien, la dernière fois que j’en ai vu une, c’était…

- Dans un pichet de bière, compléta Ram avec un sourire. Je m’en souviens car au même moment je fricotais avec une licorne.

Cette fois ils éclatèrent de rire. Mais c’était plus à l’écoute de vieux souvenirs que dans l’intention de me blesser.

J’eus alors le sentiment d’être victime d’une mauvaise blague. Et ce, depuis le début. C’était une forme de protection contre la dramatique tournure des évènements j’en conviens, mais avouez qu’il y avait de quoi se pendre. Comme je n’avais pas de corde sous la main, dans l’immédiat j’ai préféré prendre ça à mon tour avec légèreté. Et je me suis mis à rire avec eux, c’était nerveux donc forcément au bout d’un moment comme je ne m’arrêtais pas, ils se sont demandés si je n’étais pas fou.

- On devrait peut-être le laisser, suggéra Ram. Il a l’air d’avoir subi un choc.

Le nain sembla approuver avant de considérer les deux armes fraîchement acquises.

- En étudiant la question, je serais plutôt d’avis de l’emmener avec nous. Je ne sais pas s’il a toute sa tête, mais reconnais qu’il nous a sacrément porté chance. Et la chance est une force dont personnellement je ne tiens pas à me passer étant donné son caractère des plus aléatoires.

Le centaure aida le nain à grimper sur son dos avant de me tendre la main :

- On se rend à la cité de Brokenfield. On a des provisions pour la route et le plein de blagues grivoises.

Je ne pouvais décemment pas accepter la compagnie de gredins aux intentions aussi incertaines.

- D’accord, fit ma couardise.

Et voilà comment je me suis retrouvé embarqué dans de nouvelles aventures. Vous me direz, il y a des façons moins originales de faire son deuil.

 

On chevauchait dans une lande rocheuse. Pas âme qui vive. Ca commençait à devenir une habitude. Au moins je pouvais savourer le voyage.

- Au fait, je ne me suis pas présenté. Pik l’Epique et voici Ram de Stolenfish. Et toi ?

- Je m’appelle…

Ma réponse fut couverte par un rugissement formidable au-dessus de nous. Une rafale de vent faillit nous renverser.

- Bord d’aile de merle ! Ram, c’est bien ce que je crois ?

- Oui, Pik, c’est bien ça.

- C’est pas un dragon ? fis-je alors que mes yeux se concerter à voix basse pour vérifier l’information.

- Un Crasse-feu, ou un Sanguerre. Vu d’ici, difficile de faire la différence.

Pik se mit à se trémousser.

- Et bien si ça vous dit, je peux aller lui demander. Ca fait un bail que je me suis pas fait un trophée digne de ce nom.

- Euh, c’est pas un peu risqué ?

- Le revoilà !

Ram s’écarta à temps pour nous éviter une incinération prématurée.

Mais il faut croire que le dragon trouva d’autres chats à fouetter car il s’éloigna à tire d’ailes.

Je commençais enfin à réaliser dans quel monde je vivais. Et à dire vrai, ce n’était pas vraiment fait pour me rassurer.

- Dites, maintenant que j’ai retrouvé tous mes esprits, je peux vous poser une question très sérieuse ?

Pik se tourna vers moi :

- Tu sais le sérieux, c’est pas trop notre fort, mais dis toujours.

- Vous êtes quand même au courant pour le mal ? Je veux dire par rapport à la mort de la dernière fée et tout ?

Le silence qui suivit fut assez éloquent c’est pourquoi je me permis une autre question :

- Dites, vous êtes bien des héros ?

- Ah, ça pour sûr, mon gars, t’as pas à en douter !

- Pourquoi ? s’enquit Ram.

- Au cas où j’aurais encore une mauvaise surprise.

- Tu pensais qu’on allait te vendre à un esclavagiste à Brokenshield ?

Pik se râcla la gorge.

- Alors là, franchement, ce serait mal nous connaître. On est peut-être pas des saints, mais de là à profiter d’un innocent fermier.

- D’un innocent fermier ?

- Quoi ? T’es pas innocent ?

- Bah, euh…je…Si, enfin je veux dire, oui, il me semble bien, mais je suis pas vraiment fermier, même pas du tout. J’habitais la campagne et j’étais un peu isolé, c’est tout.

- Bah alors je sais où on va aller en premier une fois arrivé à Brokenshield.

Evidemment ils s’esclaffèrent. Evidemment c’était à mes dépens.

 

Le paysage s’altéra. La végétation environnante annonçait des terres plus fertiles et la proximité d’une civilisation digne de ce nom. Je m’en réjouissais autant que cela m’inquiétait.

Qui sait sur quels énergumènes j’allais tomber dans un futur proche ?

Nous fîmes une halte pour nous reposer et nous restaurer.

Je pensais naïvement que Ram était végétarien du fait de sa double nature. Mais quand je le vis dévorer un steack de cheval, je compris qu’il fallait définitivement que je perde mes illusions. Après un repas fait de viande séchée et de bière, le centaure s’octroya un somme bien mérité et Pik redevint bavard.

- Et tu vivais seul dans ta ferme, enfin dans ta campagne ?

Je me curais les dents avec une esquille d’os.

- Non, j’étais avec ma femme.

- Et pourquoi n’est-elle pas avec toi ?

- Elle est morte récemment.

Cela ne l’émut pas le moins du monde et il ne fit rien pour le cacher.

- Ah ? Et de quoi peut-on bien mourir à la campagne, à part d’ennui ?

Il n’y avait aucune ironie dans sa voix. Il était vraiment curieux.

C’est à cet instant précis que je compris qu’il valait mieux en dire le moins possible sur mon histoire. Je n’ai jamais été partisan du mensonge. Mais cultiver le secret, ça, c’était dans mes cordes. J’avais le sentiment de me protéger tout en restant sincère.

- On peut parler d’autre chose ? C’est encore dur à accepter, tu comprends.

Ce qui était on ne peut plus vrai.

Il  n’avait visiblement jamais perdu un être cher, mais il fit comme s’il comprenait, ce qui me toucha  particulièrement.

A mon tour, je voulus le connaître un peu mieux. Mais il devina mon intention et s'allongea sur sa hache en guise de réponse. Il fallut bien que je me résigne.

à suivre

 

 

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vendredi, 05 février 2010

La Naissance de Monarque [Nouvelles/Le Combat du Papillon]

 

« J'ai souvent regretté qu'il n'existât pas des dryades ; c'eut infailliblement été avec elles que j'aurais fixé mon attachement. »

 

                   Jean-Jacques Rousseau (Les Confessions)

 

 

J'étais un libertin.

Un noceur.

Avec tout ce que cela sous-entend de débordements, d'inconséquences.
Et de dépravations.

Mais j'étais heureux.

Du moins en étais-je convaincu.

Je goûtais à tous les plaisirs.
Sans crainte, sans doute et sans regret.
Je ne connaissais aucun tabou, aucun interdit.

J'obtenais ce que je désirais et je désirais ce que j'obtenais.
Rien ne me freinait.

Et si ma conduite indisposait quelqu'un, cela était rapidement et proprement réglé.

Au pistolet, s'il s'agissait d'un homme.

Au lit, s'il s'agissait d'une femme.
Dans les deux cas, je remportais toujours le duel.

J'étais fin tireur.

Ma réputation se répandit comme une traînée de poudre.
Ma compagnie devint un bien très convoité.

J'avais une certaine fortune et un charme certain.

Ce qui ne gâchait absolument rien.

Les hommes m'enviaient ma table.

Les femmes, mes murs.

Les uns comme les autres ma capacité à les séduire par ma seule présence.

Je n'étais pas roi.

Mais je possédais une cour que le monarque lui-même devait me jalouser.

Plus tard, je lui ravirai même ce titre.

 

Une nuit, pourtant, toute cette existence bascula.

Je fis un rêve qui devait changer ma vie à jamais.

Ma vie et surtout mon âme.

 

Dans ce rêve, j'atteignais un endroit d'une beauté sans pareille.
Des arbres immenses et majestueux montaient jusqu'au ciel. Les rivières étaient peuplées d'étoiles, cascadant des nuages et les pétales colorés des fleurs étaient de somptueux papillons qui s'envolaient à mon approche.

C'était comme de marcher dans un vivant poème.

Quelque chose m'avait attiré en ces lieux.

Quelque chose d'important, de vital.

D'inévitable.

L'air était empli de senteurs enivrantes.

Un orchestre invisible jouait une symphonie aux accents enchanteurs accordés à la beauté du paysage dans lequel je m'enfonçais.

A un moment donné, je me suis arrêté au bord d'une rivière, moins pour me désaltérer que pour goûter l'eau dont je devinais la saveur.

Je ne me trompai pas.

Elle était en effet d'une fraîcheur exquise, revigorante. Meilleure en tous points que tous les alcools dont j'avais le loisir d'abuser.

Lorsque je relevai la tête, elle était là, de l'autre côté de la rivière, m'épiant de ses grands yeux dorés. Ses longs cheveux, ainsi que son corps entier, semblaient parfaitement se fondre dans le sous-bois environnant. Seuls ses beaux yeux de biche ressortaient clairement de la nature dans laquelle elle savait si bien se dissimuler.

C'était une nymphe. Une dryade.

Je le sus intuitivement.

Alors mon cœur se mit à battre très fort.
J'eus le sentiment de redevenir un enfant.
Pur, innocent.

Je ne pouvais détacher mon regard de ces yeux, de ce visage.

Ce fut comme une révélation pour moi.

Mon émotion fut si forte qu'elle m'éveilla.

 

Je me retrouvai dans un lit. Des corps de femmes nues étaient couchés près de moi, figés dans des poses obscènes qui me rappelèrent une longue soirée d'orgies.

Je me levai et quittai cette couche impie, en proie à une panique sans nom.

A cet instant précis, j'eus l'horrible sentiment de retomber en enfer, moi qui avais connu le paradis.

Le choc fut terrible.

Je découvris qui j'étais, quelle vie j'avais menée jusqu'alors.

Une vie sans scrupule, sans morale.

Et cette vérité me terrassa littéralement.

Je connaissais mon âme. Je l'avais rencontrée dans ce rêve. J'avais vu sa beauté. Je ne pouvais plus l'ignorer. Mais j'avais un corps qui la retenait prisonnière et faisait de moi un véritable monstre de perversité.

Pendant des années, je m'étais comporté avec la plus parfaite insouciance, prônant le vice, l'érigeant en éducation.

Je m'étais fait geôlier, puis bourreau de mon âme.

Ma nature profonde enfin révélée, il m'était désormais impossible de me conduire comme avant.

Tout du moins, c'est ce que je crus.

Les habitudes revinrent vite.

Si j'avais pu être seul un certain temps, j'aurais pu sans doute m'absorber dans quelque réflexion salutaire. Mais je ne l'étais jamais. Je n'avais jamais ressenti le besoin de l'être auparavant. Des hommes et des femmes étaient sans cesse à mes côtés.

Pour ne pas dire plus près.

Pris dans le tourbillon de ma vie de débauche, j'oubliai mon âme.

Jusqu'à ce que je m'endorme.

Alors elle reprenait tous ses droits et profitant de l'inertie de mon corps épuisé de ses excès, me conduisait naturellement où était ma place et où m'attendait mon destin.

Car bien heureusement, je la revis. La nymphe.

Elle se baignait dans une rivière, son beau corps nu aux couleurs de la forêt dont elle était gardienne, sa chevelure verte et épaisse comme un doux lit de mousse se déversant dans l'onde pure.

Lorsqu'elle sentit qu'elle n'était plus seule, les pétales vivants des fleurs environnantes s'envolèrent et vinrent la couvrir de leur parure multicolore.

Lorsqu'elle se retourna, seul son visage était visible.

Son visage et ses yeux dont le regard me transperçait le cœur avec la vélocité et la précision d'une flèche.
Et son carquois était rempli.

Mais mon regard n'avait rien à envier au sien, comme je devais l'apprendre plus tard.

Mon cœur battant comme un soufflet de forge, je la vis s'avancer vers moi avec une grâce surnaturelle.

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  Elle était si belle.

Le vêtement qu'elle portait, vivant et animé, chatoyait par instant lorsque les papillons le composant faisaient battre leurs ailes.

La magie était palpable.

Je fus convaincu de vivre le plus beau moment de ma vie.

Elle était si près de moi lorsqu'elle s'arrêta. J'étais paralysé, enraciné au sol.

Comme un chêne.

Je me demande encore comment j'ai pu trouver la force de parler dans de telles circonstances.
Sans doute craignais-je de ne plus jamais en avoir l'occasion.

- Je voudrais devenir comme toi.

Elle m'étudia longuement, moi ainsi que la déclaration que je venais de lui faire.

- C'est impossible.

Ses lèvres avaient à peine bougé. Sa voix avait la douceur d'une caresse.

Sa réplique, elle, me glaça.

- Pourquoi ?

A mon tour, je l'observai intensément, espérant peut-être influencer sa réponse.

Elle parut horrifiée.

- Parce que, moi, je n'ai jamais été comme toi.

A cette annonce, mon cœur se fendit et je sentis des larmes sourdre de mes yeux. A mon grand étonnement, elles ne coulèrent pas, mais remontèrent vers le ciel.

Elle sembla s'amuser de ma réaction. En ces lieux, ce phénomène était naturel.

Je fermai les poings. J'étais décidé à ne pas renoncer au paradis qui s'offrait à moi.

Dans cette forêt, je me sentais chez moi.

En paix.

- Je veux rester ici, implorai-je comme un enfant. Avec toi. Je ne veux pas retourner d'où je viens. Je préfère mourir plutôt que d'y retourner.

Ces grands yeux d'ambre me dévisagèrent alors gravement.

- C'est ce qu'il te faudra faire si tu souhaites rester ici, avec moi. Il te faudra mourir. Car tant que ton âme sera liée à ton corps, elle sera soumise à la réalité dans laquelle il demeure.

Je soupirai.

- Comment ? Si mon destin est de mourir vieux, je ne pourrais supporter de quitter sans cesse ce royaume pour retomber dans l'autre monde. Je ne pourrais le supporter.

Sa main effleura la mienne.

Mon cœur se mit à chanter malgré la peine qui m'accablait.

- Tu viens de te répondre. Ta souffrance te fera trouver le moyen.

Je serrai sa main comme on se raccroche à la vie.

- J'ai pourtant si peur de ne pas y parvenir. J'ai si peur de perdre mon âme et le chemin qui mène jusqu'à toi.

A son tour, elle me serra la main.

- Alors je vais t'aider à ne pas les oublier.

Elle pencha ma tête vers la sienne et déposa ses lèvres sur les miennes.

L'émotion de ce baiser me traversa de toutes parts.

 

Lorsque j'ouvris les yeux, elle avait disparu. La forêt aussi.

Je me retrouvai à nouveau dans un lit encombré de corps nus d'amantes lascives.

Un vertige me prit. Et une envie de vomir.

Je trouvai un coin où me blottir et là, repensant à ma nymphe, à notre conversation et à la chaleur de son baiser, je versai toutes les larmes de mon corps.

Et celles-là ne remontèrent pas vers le ciel.

 

Je perdis rapidement la notion du temps ainsi que le goût de toutes ces bassesses qui jusqu'alors avaient constitué ma vie.

Je redevenais moi, l'essence de moi.

Ce qui ne se faisait pas sans douleur.

Une lutte terrible avait lieu en moi. Celle de mon âme revenue à elle-même et ce corps, cette enveloppe physique sordide, alimentée par le péché, souillée par la perversion, attentive à toute tentation, de l'emprise de laquelle je ne pouvais me défaire qu'en plongeant dans les bras de Morphée, jusque dans son esprit, seul endroit où je savais trouver la paix, la liberté.

Et l'Amour.

 

Bien souvent, je prétextai une fatigue imaginaire ou un mal qui n'était que chimère pour m'étendre seul et profiter de ces siestes afin de rejoindre mon paradis intérieur.

Las.

Pour mon plus grand malheur, par mes soins passés, j'avais rendu ma cour bien trop fidèle à ma présence pour espérer me voir privé d'elle au-delà de quelques instants.

Mes rêves étaient interrompus, toujours prématurément.

Au réveil, la douleur de la séparation cédait rapidement la place à la plus vive des colères. Bien évidemment, mes sujets ne comprenaient pas mon attitude.

Et ils en auraient été bien incapables.

Cela ne faisait qu'attiser mon ire.

Et dans ces moments de fureur indomptable, seuls les plaisirs les plus vils étaient capables de me rasséréner. Mais c'était une consolation provisoire et néfaste, car une fois contenté, je revenais à moi, épris de remords, la conscience torturée et je maudissais ma faiblesse.

Victime d'un cercle en tous points vicieux, je me sentais proche de la mort sans pourtant jamais l'atteindre.

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 J'ignore combien de temps il s'écoula.

Il n'existait plus qu'un seul temps pour moi. Celui où je pouvais la voir, la retrouver, même de brefs instants. Le reste n'était qu'une attente douloureuse et impie.

Mais la chance finit par poindre à l'horizon, sous une forme des plus improbables.

Un jeune homme se présenta à moi. Un artisan.

J'avais abusé de son épouse. Il demandait réparation. Par les armes.

Il n'avait pas froid aux yeux car il connaissait ma réputation.

Auparavant, je l'aurais à peine regardé et aurais ordonné à l'un de mes valets de se charger de la formalité. Mais j'entrevis en cet homme en apparence simple, le plus grand espoir, une opportunité que je n'attendais plus.

Sans le savoir, il pouvait me permettre de réaliser mon vœu le plus cher.

Oui, l'occasion était trop bonne pour ne pas la saisir.

La haine que j'inspirais à l'offensé était manifeste. Un sentiment de vengeance évident l'animait. Au moins étais-je en mesure de le comprendre. Si elle me fit trembler au premier abord, sa détermination eut ensuite le don de me conforter dans ma décision.

Je pensai faire d'une pierre deux coups.

J'avais changé. Je n'étais plus le même homme. Ce que j'avais fait subir à cet artisan et à sa femme m'épouvantait au plus haut point. Je le regrettai sincèrement et profondément tant que l'idée me vint naturellement de présenter mes excuses.

Mais en fin de compte, j'allais faire bien mieux que cela.

 

Le jour convenu du duel, mes fidèles écuyers tentèrent de me dissuader de m'engager pour si peu. Leur rappelant ma légendaire habileté et leur précisant que je voyais en cette rencontre un divertissement digne de moi, ils ne trouvèrent plus aucune raison d'insister.

Ils finirent même par se dire que cela allait m'aider à redevenir le joyeux luron dont je n'étais plus que l'ombre.

 

A l'heure convenue du duel, nous nous présentâmes, chacun accompagné de nos témoins, à l'orée d'une forêt.

Une forêt. Cela me fit sourire.

Je pensai instinctivement à ma nymphe qui m'attendait dans la sienne.

Bientôt, me dis-je. Bientôt.

Etant l'offensé, l'artisan eut la primeur du premier coup de feu.

Il me manqua.

J'ignorais s'il était exercé. Je l'espérai profondément.

Sa volonté de me châtier jouait assurément en sa faveur.

Je tirai à mon tour. A la surprise de tous, je manquai ma cible.

D'un sourire, je rassurai mes témoins. Ils interprétèrent alors ma maladresse comme une volonté de ma part de prolonger le jeu et ainsi donner de faux espoirs de victoire à mon adversaire.

Nous nous rapprochâmes.

La distance entre nous était encore conséquente, mais je pouvais lire aisément l'expression peinte sur le visage de l'artisan bafoué.

Il voulait ma mort. Ni plus, ni moins.

Il l'ignorait, mais il détenait le pouvoir de se venger autant que celui de me libérer. Il était mon Charon personnel, mon passeur, non pour les enfers - puisqu'il allait me permettre de les quitter - mais bien pour le paradis.

J'entendis le coup de feu. Puis plus rien.

L'artisan avait disparu ainsi que nos témoins respectifs.

Seule la forêt demeurait. Mais elle était métamorphosée. D'une beauté céleste étrangement familière.

Le pistolet n'était plus dans ma main.

Je compris que mon passeur avait fait son office. Nul doute que la joie devait le submerger. Une joie qui ne pouvait avoir d'égale que celle qui me remplissait à l'instant où je me précipitai pour retrouver ma nymphe, ma dryade, ma fée.

Elle m'attendait, rayonnante, comme si elle avait deviné ce qui s'était passé.

Elle me savait libéré.

Nous tombâmes dans les bras l'un de l'autre. La forêt toute entière sembla faire écho à notre bonheur.

Alors ma poitrine s'ouvrit et mon cœur inonda ma nymphe d'une lumière opaline. Lorsqu'elle s'estompa, j'avais devant moi une femme d'une grande beauté aux longs cheveux noirs moirés de vert. Je remarquai aussi que ses paupières étaient fardées et ses lèvres peintes de la même teinte.

C'était bien ma nymphe, mais mon amour pour elle l'avait transfigurée. Elle était devenue un peu moi.

- Comment t'appelles-tu ?

Elle examina son nouveau corps avant de répondre :

- Je m'appelle Vanesse. Reine du Cœur.

Alors sa poitrine s'ouvrit et son cœur m'inonda d'une lumière opaline d'où j'émergeai, transfiguré.

Je me baissai pour examiner mon nouveau corps. J'étais nu, d'une blancheur virginale et dépourvu de sexe. Et tandis que j'admirai mon apparente pureté, tels les pétales d'une fleur, deux ailes de papillon à mes dimensions s'ouvrirent majestueusement dans mon dos.

J'étais devenu un peu elle.

Je m'aperçus, qu'à mon instar, elle arborait elle aussi des ailes de papillon aux couleurs chatoyantes.

Peut-être parce que je la considérais comme ma fée.

Cette vision me fit pleurer et je souris avec elle en voyant mes larmes s'orienter vers la cime des arbres.

- Je m'appelle...Monarque.

Le sourire de Vanesse d'élargit.

- Roi des larmes !

 

Nous étions désormais fée l'un pour l'autre.

 

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