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lundi, 20 juin 2016

Du Sommeil du Juste [Nouvelles/Anticipations]

 

 

- Il est végétarien. Je parie que tu l’ignorais. Je suis certain que tu l’imaginais épris de viande fraîche, égorgeant lui-même poulets, canards, agneaux…

- Comment sais-tu qu’il est végétarien ? Il te l’a dit peut-être ?

Je riais presque en formulant ma question tant l’assurance de mon ami m’apparaissait contestable voire ridicule.

Il ne répondit pas. Mais le sourire qu’il produisit me glaça jusqu’au sang.

Je serrai les poings.

- Cet homme est la pire aberration que la terre ait jamais portée. Je ne permettrai pas qu’il la foule à nouveau.

A nouveau ce sourire effrayant, implacable, qui me désarmait et faisait de moi un pathétique rempart contre le mal qui siégeait en ce lieu.

Mon ami profita de mon impotence manifeste pour s’imposer :

- Si cet homme n’avait pas existé, s’il n’avait pas fait ce qu’il a fait, tout le bien qui est né pour contrer ses projets n’aurait pu de ce fait voir le jour. Cet esprit de résistance, cette bravoure, cette fraternité chez les uns et cet élan de soutien chez les autres, comment auraient-ils pu naître autrement ? Les héros sont nécessaires à ce monde. Et pour les créer, il leur faut un mal à leur mesure. Le génie de cet homme, ce n’était pas de rallier des hommes à sa cause et à sa vision. Au contraire. Son véritable talent - qu’il n’a sans doute pas eu le loisir de mesurer -  c’est d’avoir su engendrer une formidable solidarité autour de la notion de bien. Grâce à lui, tout était clair. On pouvait changer de camp, mais on ne pouvait ignorer de quel côté on était. C’est précisément ce qui manque au monde d’aujourd’hui. La frontière entre le bien et le mal est devenue floue, les repères plus complexes. Il faut à nouveau que le mal absolu se dresse sur cette terre afin que de nouveaux héros s’éveillent et luttent côte à côte. Il faut une évidence, un symbole. Il faut faire cesser ce flottement nauséabond, apathique, dans lequel nos esprits s’embourbent jour après jour. Le mal absolu est une vertu. Il rend tout si transparent, si lisible.

- Bon dieu, éructai-je. Ferme ta gueule ! Tu es aussi fou que lui !

Je ne pouvais en supporter davantage. Je sortis mon arme et la pointa sur lui. Ce geste m’apparut naturel, même si j’ignorais mes intentions précises à plus long terme.

Il ne fut pas le moins du monde intimidé. Il croisa les mains dans son dos.

- Merci de me donner raison. Tu vois. Ca a déjà commencé. Tu es maintenant un héros, toi qui, auparavant, n’étais qu’un petit flic des bas quartiers. Sa simple évocation suffit à faire naître des vocations de guerriers, même chez les individus les plus insignifiants. C’est cela son véritable pouvoir. Alors imagine s’il était à nouveau en course.

J’ôtai le cran de sûreté.

- Suis-moi. Nous allons sortir d’ici.

Mon ami se raidit.

- Je n’irai nulle part. Tu devras me tuer.

A mon tour, je lui décochai un sourire carnassier.

- Je n’aurai pas besoin d’aller jusque-là.

Je levai mon revolver pour l’assommer. Il évita mon attaque et agrippa mes poignets. Nous luttâmes sans mot dire, sans un cri, sans injures. Ce qui rendit cette lutte plus âpre encore. Et tandis que nous luttions pour la possession de mon arme, je me rappelle avoir eu la vision de ce sarcophage vitré à l’intérieur duquel dormait du sommeil du juste cet être innommable, ce mal incarné, responsable de tant d’atrocités. Cela eut un effet incroyable sur moi. Mes forces furent décuplées en un instant. Bandant mes muscles, j’envoyai violemment mon adversaire à terre. Ayant récupéré l’arme, je me jetai sur lui et l’assommai d’un coup bien ajusté.

Mon ami allait répondre de ses actes devant les autorités.

Quant à celui qui reposait, imperturbable, au milieu de la pièce, il allait bientôt trouver le seul véritable repos qu’il méritait d’avoir.

Je me dirigeai vers le sarcophage, en proie à une haine implacable. Je pointai le pistolet vers le visage du monstre. Cette mèche… Cette moustache…

Je pris conscience que j’allais pouvoir enfin accomplir une tâche dont tant d’autres avant moi avaient voulu s’acquitter. Avec la plus farouche détermination, sans l’ombre d’un doute, je pressai la détente. Il n’y eut aucun bruit, aucune détonation. Je ressentis un choc terrible en comprenant que le chargeur de mon arme était vide. Ce salaud avait la chance avec lui.

Heureusement, je repris rapidement mes esprits. Ce n’était pas une stupide négligence qui allait m’empêcher de remplir ma mission. Une mission que je devais autant à moi-même qu’à tous ceux qui avaient péri et souffert sous le règne de terreur du dictateur.

Plus jamais, me répétai-je tout en recherchant fiévreusement une arme digne de ce nom. Etrangement, je me surprenais à rejeter certains objets que je jugeais trop communs pour assassiner un homme tel que lui. C’était un monstre, mais en premier lieu une légende, aussi néfaste fut-elle. Et puis il fallait que je brise ce satané couvercle qui abritait son corps.

Son corps que je voyais respirer comme la plus suprême offense.

Finalement je m’emparai d’une chaise qui, hélas, ne répondit pas à mes attentes et se brisa sur le verre manifestement renforcé. Retournant à ma voiture, je trouvai enfin de quoi accomplir ma mission. Mais comble d’ironie, ni la clé anglaise, ni le poing américain ne purent entailler la surface du couvercle. J’étais en plein cauchemar. Je commençais à trouver la situation particulièrement grotesque. Quelques centimètres seulement me séparaient du plus grand bourreau de l’humanité et j’étais incapable de les franchir. Je pouvais sortir chercher de l’aide, téléphoner, mais j’étais entré dans un état second qui interdisait toute éventualité de laisser à quelqu’un d’autre le soin d’expédier le dictateur dans sa dernière demeure.

Et de toutes façons, qui me croirait ?

Il fallait que je trouve un moyen d’ouvrir ce diable de sarcophage puisque je ne pouvais le briser. Il datait probablement de la seconde guerre mondiale. Aussi résistant était-il, il ne pouvait être très compliqué à ouvrir. Je cherchai une commande, un bouton, un levier sur le socle. Rien. Plusieurs câbles en partaient dont je suivis des yeux les méandres. Ils conduisaient dans une pièce attenante que j’avais déjà fouillée intégralement sans rien remarquer d’intéressant. Je m’apprêtai à y retourner en désespoir de cause lorsque le son d’une voix me figea sur place. Quelqu’un venait de parler en allemand. Et en me tournant légèrement, je sus, en voyant son corps toujours inanimé, qu’il ne s’agissait pas de mon ami.

Je me retournai complètement. Le plus grand criminel de tous les temps se tenait face à moi. Il s’était assis sur le rebord du sarcophage. Il se frotta les yeux comme un enfant. Il avait l’air extrêmement fatigué. Avait-il dormi depuis la date supposée de son suicide en 1945 ? C’était complètement surréaliste. Il avait l’air affaibli, désorienté, mais il était vivant, si terriblement vivant. Savait-il à quelle époque il était ?

Ses yeux… Il me dévisagea soudain gravement, regarda autour de lui, avant de prononcer à nouveau quelques mots en allemand. Le führer s’adressait à moi. Je fis un effort considérable pour me rappeler les rudiments de cette langue acquis au cours de mes années d’étude. Mais c’était si lointain. Il répéta sa phrase. Plus fermement. J’étais tétanisé. Ce n’était pas une question. Il voulait quelque chose. C’est tout ce que je comprenais. Devant mon hébètement, il se mit à faire de grands gestes avec sa bouche comme s’il mastiquait énergiquement un aliment. Là tout devint clair. Le Führer avait faim. La surprise passée, je m’entendis lui répondre :

- Pas de viande, c’est bien ça ?

 

 

 

 

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