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mardi, 12 juillet 2016

Seul contre Tous [Cinéma/Critiques]

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Après plusieurs succès en demi-teinte (dont l'After Earth de Shyamalan), Will Smith se fait plus discret. Mais c'est pour mieux revenir en force. Dans Concussion (Seul contre Tous en France), il incarne le Dr Bennet Omalu, médecin légiste de son état spécialiste du cerveau qui au début des années 2000 a mis le doigt sur un phénomène tragique frappant les joueurs de football américain.

Qui dit histoire vraie, dit implication.

Pour apprécier la prestation de Will Smith, la VO est vivement conseillée, l'acteur s'étant entraîné assidument afin de recréer l'accent nigérien. Il a en outre également répété les gestes précis des autopsies pour garantir un maximum de crédibilité.

Tout en retenue, le jeu de Will Smith fait merveille. Son personnage à la fois innocent, intègre, timide autant que tenace et solitaire est touchant de bout en bout. Le savoir incapable de danser lors d'une séquence en boite de nuit fait d'ailleurs sourire. Quand on connaît la star pour son dynamisme musical, on est d'autant plus admiratif de ce caractère coincé qu'il parvient à totalement crédibiliser. Sa pudeur et sa droiture sont d'ailleurs telles qu'on doute que l'histoire se passe de nos jours ou plutôt il semble appartenir à une autre époque.

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Scandale oblige le déroulement a un air de déjà-vu avec phase d'enquêtes, de découvertes, de dénonciations et d'intimidations, dans la même veine on pense par exemple à Révélations, les méfaits dissimulés du tabac étant eux-mêmes évoqués dans le film, mais cela n'enlève rien à l'intérêt du sujet toujours d'actualité.

Voir ces footballeurs, légendes vivantes aux USA, autant dieux parmi les hommes que guerriers jugés invincibles devenir fous de douleur, fous tout court et supplier pour être guéris est tout simplement bouleversant, ce qui nous vaut une prestation mémorable de David Morse (Contact, Crossing Guard) physiquement méconnaissable.

Concussion nous sensibilise et nous informe d'une manière très efficace, levant le voile sur un aspect aussi choquant que méconnu d'un sport qui, lui, est loin d'être anonyme.

 

 

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samedi, 09 juillet 2016

Basic Instinct 2 [Cinéma/Critiques]

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« Les jambes de femmes sont des compas qui arpentent le globe terrestre en tous sens, lui donnant son équilibre et son harmonie. » Sharon Stone donne un sens très personnel à cette citation du film L'Homme qui aimait les Femmes de François Truffaud.

Faire une suite à un film aussi marquant que Basic Instinct relève moins du challenge que du suicide artistique. Succédant à Paul verhoeven, Michael Caton-Jones a pourtant relevé le défi.

Je m'attendais à une relecture paresseuse et maladroite du premier et c'est finalement tout le contraire que j'ai eu. Au vu des nombreuses critiques virulentes que le film a collectionné, j'en suis sûrement l'un des rares défenseurs. Explications.

Le Retour du Pique à Glass

Au début, on s'inquiète et on s'inquiète même beaucoup. Après une introduction qui donne le ton et rappelle les ingrédients inhérents au premier (sexe, drogue et adrénaline), on a rapidement droit à deux face à face, l'un avec la police, l'autre avec un psy, le Dr Glass, successeur de Michael Douglas alias Le Flingueur dont on ignore le sort. Après le flic, le psy, choix plutôt inspiré et qui promet pas mal de complexité dans les interactions. Mais le souci c'est que malgré plusieurs occasions de rappeler le passif de Catherine Tramell (l'interrogatoire, le procès, la consultation), ce qui est arrivé dans le premier film n'est jamais mentionné de près ou de loin et là forcément ça agace et on se dit que le film se tire une balle dans le pied en se présentant comme un simple reboot.

Heureusement, cette impression ne dure pas, car aux moments où l'on ne s'y attend plus, le passif de la romancière au pic à glace est bel et bien placé dans la conversation, mais d'une manière très particulière qui en dit encore plus long sur la psychologie perverse de la blonde.

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Malgré les années passées, Sharon Stone (Sphère) a brillamment réussi à redonner vie à la fascinante Catherine Tramell, renforçant son caractère emblématique, sa toute-puissance, la magnifiant moins par le physique (coiffures d'un goût douteux, maquillage plus important) et la nudité (seins refaits) que par sa capacité exponentielle à provoquer, anticiper, perturber le psychisme masculin et même humain. A commencer par brouiller l'esprit du spectateur dans une suite d'énigmes et de mystères se nourrissant sans cesse des interprétations possibles. A noter que Sharon Stone bénéficie à nouveau du talent de Micky Sébastian pour la doubler.

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Le Dr Michael Glass, nouveau héros manipulé par Catherine Tramell, découvrant les péripéties de son prédécesseur dans un roman de Catherine herself. Je vous laisse deviner qui sera le héros de son prochain livre.

Car plus que les séquences érotiques, qui n'ont pas l'ambition de rivaliser avec celles du premier, mais bien de rappeler que le sexe n'est qu'une des nombreuses armes de Catherine,  le scénario est encore une fois le véritable intérêt, creusant à chaque fois un peu plus la dualité des personnages, à l'instar de celle du Dr Michael Glass, campé par un David Morrissey très intéressant puisque jouant dans un autre registre. Là où Michael Douglas était présenté comme une bombe à retardement, un être humain tentant de contrôler son animalité, bien que troublé, Glass résiste mieux grâce à son éthique professionnelle et sa relation avec Catherine prendra une forme tout à fait différente, moins dans la complicité et la complémentarité que dans l'opposition directe. Mais comme on le devine, Glass sera lui aussi victime de ses faiblesses ainsi que de nombreuses manipulations et faux-semblants.

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David Thewlis (à gauche) incarne un flic à l'opposé de celui joué par Michael Douglas, voyant clair dès le début dans le jeu de Catherine, se jurant de la mettre hors d'état de nuire et tentant de convaincre le Dr Glass de sa dangerosité. 

On suit donc avec un intérêt sans cesse croissant les revirements de l'intrigue, pris au piège nous-mêmes des ambitions ambigües d'un trio qui ne cesse de se mouvoir entre lumière et ténèbres. La conclusion du film loin d'éclaircir les zones d'ombre en remettra une couche et vous fera cogiter à loisir sur la véritable nature des personnages et de leurs agissements. On est paumé, mais on jubile avec l'impression délectable d'avoir fait partie du casting. Pour une suite jugée au mieux médiocre, c'est plus que je ne pouvais en espérer.

 

 

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vendredi, 01 juillet 2016

Fallout 4 Roleplay [Roleplay]

Selon le profil choisi (au hasard ou non) définissez si vous commencez le jeu seul ou avec un compagnon qui pourra être le cas échéant votre femme/mari, soeur/frère, ami(e), partenaire,...

Mettez tout ou une partie de l'argent accumulé dans votre partie principale dans un endroit précis. Il servira pour votre partie RP car vous commencerez sans doute avec peu de capsules sinon rien. Vous puiserez dedans quand il vous faudra simuler une paye et une récompense gagnée.

Pour limiter l'équipement porté, autorisez-vous seulement à une page affichée dans chaque catégorie sans avoir à faire défiler la molette du Pip-Boy.

Profils :

 

1-Artilleur

2-Coursier définissez aléatoirement un objet de valeur que vous devez ramener à un PNJ.

3-Fermier définissez une colonie ou une ville au hasard comme point de départ.

4-Garde de Caravane vous pouvez escorter de vrais marchands ou imaginez qu'un compagnon est un marchand en l'équipant de manière adaptée. Définissez un itinéraire : point de départ, haltes et point d'arrivée.

5-Habitant définissez une colonie ou une ville au hasard comme point de départ. En tant qu'habitant vous pouvez avoir pour objectif un autre profil de la liste.

6-Habitant d'Abri définissez aléatoirement l'abri parmi ceux existant sur la map :

1°L'abri 75 dans le collège de Malden. Il est réservé aux familles qui ont des enfants de moins de 15ans et qui sont inscrits a l'école publique de la ville. 2 adultes maximum sont autorisés a entrer avec les enfants.

2°L'abri 81 à l'ouest de Diamond City. Il s'agit d'un abri encore entier, qui "trie" sur le volet les personnes autorisées à y pénétrer, il vous faudra leur donné 3 réacteurs à fusion afin de faire du commerce avec eux et découvrir l'abri.

3°L'abri 95 a la frontière de la Mer Luminescente (Sud-Ouest). Vault Tec y a admis des toxicomanes dans le but de les soigner de leurs addictions et d'y trouver un remède efficace.

4°L'abri 111 Notre abri de départ, on y trouve presque rien, sauf notre Pip-Boy, quelques terminaux, et Le Cryolator est un fusil expérimental qui glace les ennemis, mais que demande à déverrouiller un coffre "expert" dans le bureau du superviseur.

5°L'abri 114 Un abri qui a pour but de tester la gestion du stress, on y a fait croire que celui-ci était luxueux, afin d'attirer les bourgeois de tout Boston, mais au final, c'est tout l'inverse.

L'Habitant d'Abri peut avoir pour objectif un autre profil de la liste.

7_Initié de la CdA

8-Marchant ambulant un compagnon vous servira de garde du corps. S'il se retrouve à terre, il est considéré comme mort et vous devez en recruter un autre.

9-Mercenaire

10-Milicien

11-Pillard/Raider vous pouvez établir votre base  dans l'Allée du Pendu et équiper vos compagnons et colons comme des pillards pour simuler une bande entière.

12-Récupérateur

13-Vagabond solitaire peut avoir pour objectif un autre profil de la liste.

jeudi, 23 juin 2016

Talisman version Digitale [Jeux Vidéo/Critiques]

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Talisman est un vieux jeu de plateau (1983) à côté duquel je suis complètement passé. Bon en même temps à l'époque, j'étais à l'école primaire et je découvrais les Livres dont Vous êtes le Héros (oui déjà geek !), je pouvais pas être partout ! Pourtant en le découvrant je réalise qu'il propose une expérience ludique assez idéale pour moi.

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Je me souviens avoir vu cette boite à l'époque où je fréquentais pas mal les boutiques de jeux, mais mon expérience sur Hero Quest et ma recherche d'un jeu similaire plus fouillé avait dû peut-être m'orienter davantage sur Warhammer Quest. Et puis j'avais vraiment pas accroché sur l'illustration (oui je sais c'est con !)

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Le plateau de jeu original et sa réplique digitale ci-dessous :

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Les affrontements auraient mérité plus d'effets visuels, cela aurait été l'occasion de compenser la sobriété des illustrations des Personnages incarnés, heureusement les illustrations de la plupart des autres cartes sont d'un bien meilleur niveau.

Points Forts :

- Un excellent mix entre jeu de société et jeu de rôle

- Un prix très attractif (à peine 15 euros en ce moment sur Steam contre 60 en neuf en version physique)

- Un contenu très riche dès le départ

- Une prise en main immédiate

- Une interface bien pensée, très lisible

- Beaucoup de rebondissements (grâce à l'aléatoire)

- Une excellente dynamique : les personnages et le contenu du plateau évoluent constamment et grâce aux trois zones de jeu qu'on peut explorer assez librement, il y a une dimension monde ouvert vraiment agréable qui fait oublier la pauvreté visuelle

- Une énorme rejouabilité grâce notamment aux modifications de règles qui permettent en outre de changer d'objectif et de supprimer la très lourde phase finale de couronnement.

- Les succès qui permettent de gagner de l'expérience même quand on perd une partie et d'obtenir à terme plusieurs runes avantageuses

- On peut jouer seul ou avec plusieurs amis à ses côtés, contre d'autres joueurs en ligne, contre l'IA et même mixer tout ça !

- Les extensions de la version boite disponibles (mais payantes) qui apportent pas mal d'intérêt

- Léger en terme de mémoire (heureusement !)

- Ne prend pas de place chez vous (enfin pas plus que votre ordi)

Points Faibles :

- Graphiquement inchangé par rapport au jeu physique ce qui induit des illustrations assez pauvres globalement, très peu d'animations et aucun relief sur le plateau, vraiment dommage quand on sait ce qui se fait dans le même genre (au hasard : Armello)

- L'aléatoire très présent et donc parfois très punitif, j'en veux pour preuve d'avoir perdu toutes mes vies à la suite dans ma première partie au moment où mon adversaire tentait de prendre la couronne de commandement. Scrongneugneu ! Cependant à force de jouer on comprend qu'on a plus d'emprise sur le jeu qu'on ne le pense au début et qu'en exploitant les atouts de son personnage et les possibilités du plateau l'aspect stratégique augmente. J'en veux pour preuve une anecdote personnelle. J'incarnais la Goule qui possède 4 points de Destin et qui me permet donc de relancer un dé sur 4 tours de mon choix quand je le souhaite (déplacement/combat/évènement). Il ne me restait plus qu'une vie donc je risquais de perdre tout ce que j'avais gagné jusque-là. En revanche j'avais 8 pièces d'or. Après analyse, je décide que le mieux est de me rendre au village. Je fais mon déplacement, mais il ne me donne pas le bon lieu. J'utilise un point de destin ce qui m'amène sur un portail magique apparu en cours de partie. C'était une option que j'envisageais je l'exploite donc. Si je fais un 2 je pourrais me rendre directement au village. Je fais un premier jet qui ne me plait pas, je relance grâce au destin et j'atterris enfin au village où je peux récupérer 3 vies contre 3 pièces d'or grâce au guérisseur. Et l'aventure de continuer de plus belle !

- Quelques bugs fâcheux comme certains pouvoirs qui ne fonctionnent pas même quand les conditions sont présentes, lorsqu'on doit choisir la face d'un dé qui ne s'affiche pas correctement ou que certaines règles ne sont pas énoncées sur les cartes et qu'on les découvre par hasard (on peut se débarrasser de l'esprit frappeur chez l'occultiste par exemple)

- Pas les mêmes sensations qu'entre amis autour d'une table, forcément !

 

Pour avoir un aperçu plus concret rendez-vous ICI. Ce youtuber présente de surcroît chaque extension dans une vidéo à part entière.

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Une version Warhammer 40 000 de Talisman baptisée Horus Heresy qui reprend le gros des règles a l'air très séduisante, dommage qu'elle soit intégralement en anglais pour le moment.

En Lien

Comment jouer à Warhammer Quest sur Photoshop avec Skype

 

 

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lundi, 20 juin 2016

L'Ame Num3r1que

L’Ame Num3r1que

 

 

Tous les matins réveillé

Par une tonne de courrier

Des avions de papier

Qui m’envahissent de la tête aux pieds

 

Des lettres types

Aux prospectus

Je suis victime

D’un harcèlement de plus

 

Pourcentages et quotas

Faut rentrer dans les cases

Et si tu rentres pas

Tu passes pour un naze

 

Carte grise

Analyses

Le loyer

La redevance

Les papiers

Assurance

Les agios

Les impôts

 

Enfermé dans l’ordinateur

Ma vie n’est plus qu’un compte à rebours

Je ne retrouve plus le décodeur

J’ai dépassé le point de non-retour

 

Mon cerveau fait le piquet de grève

Il revendique sa part de rêves

Je dépose enfin le bilan

D’une vie qui s’imprime juste en noir et blanc

 

Non !

Je n’étais pas un numéro

J’avais un corps

J’avais une peau

J’avais un cœur et un cerveau

Et une paire d’ailes dans le dos

 

Au volant d’un caddie de supermarché

Tu te vantes de ton pouvoir d’achat

Mais c’est toi qui te fais acheter

Par les forces de vente

 

Des codes barres comme des barreaux

Tu deviens ton propre bourreau

Tu ignores toutes les sommations

Piégé par l’esprit de consommation

 

Assis devant la télé

Tu crois être enfin libéré

Mais ils t’ont déjà retrouvé

Tu es la proie rêvée

Pour les rois de la pub et du marché

 

Tu aimes ce système

Et en retour il t’aime

Alors surtout ne change rien

Alors surtout ne le quitte pas

Car il se pourrait qu’un jour tu regrettes

De ne pas l’avoir fait plus tôt

Car il se pourrait qu’un jour tu te réveilles

Pour te rendre compte qu’il est trop tard

Et que t’as passé ta vie à courir dans une roue

Comme un rongeur dans une cage dorée 

 

Crois-moi sur parole

Ce n’est pas juste une parabole

J’ai tout compris c’est pas de bol

 

Non !

Tu n’es pas un numéro

Tu as un corps

Tu as une peau

Tu as un cœur et un cerveau

Et une paire d’ailes dans le dos

 

 

 

T’as aimé…ou pas

T’as tout lu, tout vu, tout entendu…ou pas

Peu importe, post un com et like la page pour dire que tu existes car ton avis est important pour moi, mais aussi pour le futur de ce blog, un gros merci d’avance !

La Murène [Nouvelles/Thriller]

La Murène.jpg

 Tanya descendit les marches de l’université avec empressement. La jupe de son uniforme voletait facilement au gré du mouvement, de même que sa queue de cheval noire. C’était une belle journée. Pour autant elle n’avait pas l’esprit tranquille. Les études n’y étaient pour rien. C’était cette histoire de tueur en série qui occupait ses pensées. Il faut dire que le nombre de victimes commençait à grossir de manière inquiétante et toujours aucune piste sérieuse selon les forces de l’ordre. Elle ne pouvait se défaire de l’idée qu’elle serait la prochaine. Elle avait le profil.
Solitaire, elle ignora comme à son habitude les groupes de jeunes filles épars sur le trottoir, discutant de choses aussi primordiales que le dernier clip de la dernière chanteuse en vogue ou bien la nouvelle paire de chaussures à la mode. Hors de prix, évidemment. Tout comme son amitié.
Elle laissait derrière elle ces conservations futiles lorsqu’une voiture s’avança jusqu’à elle. Le conducteur baissa la vitre côté passager pour faire entendre sa voix :
- Je peux vous raccompagner ? Vous avez l’air fatigué de marcher.
Sans ralentir, sans même tourner la tête, Tanya répondit :
- Ca se comprend, je tombe sur des tarés de votre espèce tous les cent mètres.
L’homme fit entendre son rire. Son rire avait une sonorité agréable. Tanya s’arrêta et se pencha pour le dévisager. L’homme immobilisa son véhicule et tourna la tête, comme pour mieux se faire identifier.
Il devait avoir la quarantaine. Des cheveux courts et clairs, des yeux rieurs, l’air sportif et pantouflard à la fois. En fait, ça pouvait être n’importe qui.
Tanya se méfia donc très naturellement.
- Pour votre question, c’est non.
- Vous ne montez pas avec des inconnus, ça se défend. Surtout par les temps qui courent.
Il tendit sa main droite.
- Je m’appelle Richard.
- Ca ne change rien.
- Est-ce qu’il y a une autre raison à ce refus ?
Tanya fit mine de réfléchir.
- Est-ce que ce monde est un endroit dangereux pour une personne comme moi ?
Richard secoua la tête.
- Touché.
Puis elle lâcha abruptement :
- Vous avez le profil du tueur, moi, celui de la victime.
- Tu m’as l’air d’une spécialiste, dit-il en riant. Tu travailles pour la police ?
- Je hais les flics.
- J’en conclus que tu as déjà eu affaire à eux.
- Je préfère oublier.
- Je comprends. Tu ne changeras pas d’avis, alors.
- Si vous continuez à me suivre, je surmonterai ma haine et j’appellerai la police.
Tanya redressa la tête et s’apprêta à repartir.
- Si j’étais vraiment le tueur, tu sais très bien que ce n’est pas ça qui m’arrêterait.
Elle baissa lentement la tête jusqu’à la portière. Son regard en disait assez long sur l’angoisse qu’avait suscitée en elle cette dernière déclaration :
- Qu’est-ce que vous avez dit ?
Richard sourit, un peu amusé, un peu gêné, comme s’il lui avait raconté une blague salace.
- Désolé, je n’aurais pas dû dire ça. C’était de mauvais goût. Je suis vraiment navré. Tu me pardonnes ?
En guise de réponse, il eut une vue imprenable sur le majeur de la main droite de la jeune fille. Elle pressa le pas et disparut au coin de la rue, invisible parmi la foule.

Le lendemain, Tanya quitta l’université plus tôt. Elle se rendit à l’autre bout du quartier et se paya un hot-dog dégoulinant de ketchup. Un de ses rares plaisirs. Elle mordit dedans et faillit s’étrangler en reconnaissant la voiture stationnée devant elle.
- Coucou !
Elle sursauta et fit tomber son hot-dog qui laissa une belle marque rouge sur le sol.
- Je crois que ça compromet encore mes chances de te ramener chez toi.
Elle fit un pas en arrière en reconnaissant Richard debout à côté d’elle. Ce type était une vraie sangsue. Il l’avait sûrement suivie depuis l'université.
- Non, je ne vous ai pas suivie, jeune fille. Je traîne moi-même souvent par ici après le boulot. Pas pour les hot-dogs, mais plutôt pour l’ambiance. C’est un coin tranquille, il y a un joli parc.
Il la dévisagea franchement.
- Et de jolies filles.
Les yeux de Tanya menacèrent de sortir de leur orbite :
- Putain d’obsédé !
Elle saisit son téléphone et commença à composer un numéro en mettant quelques mètres entre elle et lui.
- Ne fais pas ça, l’implora-t-il.
Elle le toisa avec dédain.
- Ah, ouais ! Pourquoi ? Vous avez un casier judiciaire chargé ?
Il secoua la tête en souriant avant de tendre son portefeuille.
- Je suis flic.
La main tenant le téléphone tomba mollement.
- Putain, la poisse.

Il lui avait racheté un hot-dog et s’en était offert un. A présent, ils mangeaient tous les deux, assis sur un banc dans le parc vanté par Richard. Quelques joggers rythmaient la vie de ce lieu tout comme les cris des oiseaux mendiant quelque miette échouée sur le sol.
- Ne me dis pas que tu n’es jamais venue ici ?
Tanya haussa les épaules.
- Les parcs c’est pas mon trip.
- Ah. Et c’est quoi ton trip ? Les universités ?
Elle grimaça.
- Vous allez coincer le tueur ?
- Désolé de te décevoir, mais je ne suis pas chargé de l’affaire. Je ne suis qu’un modeste gratte-papier. Ce qui ne m’empêche pas de contribuer à la sécurité de la population.
- En suivant les étudiantes fans de hot-dogs ?
Richard la toisa avec admiration.
- D’où te vient cette fantastique répartie ?
- Quand on a pas de vie, faut avoir de l’humour, j’imagine.
- Qu’est-ce que ça veut dire, pas de vie ?
- Si vous m’aviez dit que vous étiez psy, j’aurais peut-être répondu, mais vu que vous êtes seulement flic.
- C’est loin d’être incompatible. Un bon flic se doit d’être fin psychologue.
- Ok. Alors qu’est-ce que vous pouvez deviner sur moi rien qu’en me regardant ?
Richard s’esclaffa, déconcerté par la tournure des évènements avant de se laisser séduire par le défi :
- Milieu modeste. Liens familiaux réduits voire inexistants. Solitaire dans l’âme. Passé douloureux. Caractère en acier trempé. Athée. Extrême sensibilité, mais refoulée au plus profond. Anorexique.
Richard essaya de détendre l’atmosphère, qui s’était sensiblement refroidie, avec son sourire le plus chaleureux :
- J’ai bon ?
Tanya jeta les restes de son hot-dog et se leva brusquement. Sans un mot, elle courut vers la sortie du parc en bousculant un jogger au passage.
Richard l’observa, pensif, avant de regarder les oiseaux picorer le pain.
Il soupira.
- J’ai bon.

Le jour suivant, elle prit un autre itinéraire. Les cours l’ayant ennuyé à mourir, elle n’avait aucune envie de se farcir Richard en plus de cela. J’ai le cafard, j’ai pas envie de poulet, se dit-elle sans réussir à s’amuser de sa réflexion.
Elle qui répugnait à se mélanger au commun des mortels se força à prendre un bon bain de foule pour conserver un anonymat salvateur.
Pour elle, ce fut comme plonger en apnée. Elle détestait les gens de la rue.
Ils ne marchaient jamais au bon rythme. Et puis il y avait les odeurs. Elle avait un odorat très sensible et dans ces conditions, il était soumis à rude épreuve. Elle caressa nerveusement le Zippo dans la poche de sa veste en cuir.
L’objet avait toujours eu un effet apaisant sur elle, enfin cela était dû moins à l’objet lui-même qu’aux circonstances dans lesquelles elle était entrée en sa possession. Quelques images d’une indicible violence lui zébrèrent l’esprit.
Elle frissonna, puis accéléra le pas, sans se soucier de la bousculade occasionnée. Elle était presque sortie de la masse compacte de piétons lorsqu’elle se heurta à l’un d’eux qui arrivait en sens inverse. Levant les yeux, elle dévisagea le crétin qui lui faisait obstacle. Lorsqu’elle le reconnut, sa main se referma comme une griffe sur le briquet gravé.
- Je n’ai pas demandé de garde du corps, alors foutez-moi la paix !
La pluie tomba sans crier gare. Un crachin, violent et froid comme la mort.
Richard déploya un parapluie au-dessus d’eux.
- Je ne fais que mon boulot.
- Il y a des tas de filles à surveiller. Pourquoi moi ?
- Parce que je ne peux pas toutes les surveiller.
- Et si je ne veux pas être surveillée, c’est mon droit.
- Oui, tout comme tu as le droit de mourir.
- Si je dois y passer, vous ne pourrez rien y faire. Vous ne pouvez pas toujours être derrière mon dos.
Sur ces mots, elle s’éloigna d’un pas exprimant toute sa contrariété. Et ses pieds étaient aussi expressifs que son visage. Richard dût courir pour la rejoindre.
- Non, mais je peux réduire les risques. C’est ça mon boulot. Les miracles, c’est pour les magiciens. Je suis très lucide, ne t’en fais pas.
- Je suis aussi en droit de penser que vous me harcelez. Que vous soyez flic ne change rien.
- Tu es effectivement en droit de le penser. Et moi je suis en droit de penser que tu as un casier chargé et que ma présence te rappelle un peu trop le passé que tu veux oublier.
Tanya s’arrêta subitement, la bouche déformée par un rictus de haine :
- Vous vous êtes renseigné sur moi ?
Richard affronta son regard avec la force de l’expérience.
- Non. Je n’ai aucune raison de le faire, tant que tu ne m’en donnes pas une.
- Vous ne seriez pas en train de me faire du chantage, par hasard ?
- Je fais en sorte de te garder en vie. Méfie-toi si tu veux, mais ne m’empêche pas de faire mon job. Tu n’as rien à y gagner.
- C’est marrant, je pense justement le contraire.
Elle glissa deux doigts dans sa bouche et émit un sifflement strident qui vrilla les tympans du flic. Le temps qu’il se remette de cette attaque surprise, la jeune fille avait disparu dans un taxi qui l’emporta à l’autre bout de l’avenue, vers une destination connue d’elle seule.

Elle put se féliciter d’avoir été si sèche avec Richard lorsque plusieurs jours passèrent sans qu’elle ait le malheur de tomber sur lui à l’improviste. Il avait fini par comprendre. Il était tenace, mais elle l'était aussi.

Pendant ce temps, le tueur en série avait fait une nouvelle victime. Assise sur les marches menant à l’entrée de l’université, Tanya lut la première page d’un journal abandonné là presque à dessein. La photo de la jeune fille assassinée vint lui rappeler un peu plus combien elle était une proie idéale. Elle lut l’article en détails comme pour s’obliger à affronter sa peur en face.
Les mots « ligotée », « égorgée », « violée » furent autant de gifles assenées comme à son intention.
Elle avait peut-être fait une erreur en décourageant Richard de la protéger. La seconde d’après, elle jetait le journal et crachait sur le sol. Elle n’avait pas besoin de lui. Elle n’avait besoin de personne. Elle était assez forte. Si tel n’avait pas été le cas, elle n’aurait pas survécu à son passé.
Elle traversa le parc en se convainquant que c’était plus par provocation que dans l’espoir de tomber sur son protecteur. Elle décida d’en profiter pour s’acheter un hot-dog. Elle se raidit en apercevant Richard assis sur un banc en compagnie d’une espèce de junkie. Elle devait avoir son âge. Une chose était sûre, elle lui ressemblait assez pour qu’elle ne puisse y voir une coïncidence. Le fumier, il lui avait déjà trouvé une remplaçante !
Elle se dissimula derrière une poubelle et les épia comme deux amants clandestins. Ce n’était pas de la jalousie. Enfin, peut-être un peu. Pour une fois que quelqu’un s’intéressait à elle, voilà qu’elle trouvait le moyen de se priver de son attention. Oui, elle était tenace. Et très lunatique, aussi. Elle commença à avancer furtivement vers le couple lorsqu’elle le vit se lever et quitter le parc. Ils avaient tout l’air d’être les meilleurs amis du monde. Tanya eut juste le temps de voir la junkie grimper dans la voiture de Richard avant que le véhicule ne disparaisse à l’autre bout de l’avenue, vers une direction inconnue.
L’étudiante jura avant de soupirer, résignée. Au moins une fille qui serait épargnée par le tueur, se consola-t-elle. Puis elle revint dans le parc pour faire un sort à un hot-dog dégoulinant de sauce tomate.

Gina revint à elle. Le goût de son propre sang lui emplissait la bouche. Elle commença à gémir en réalisant dans quelle situation elle se trouvait. Elle était attachée fermement à une chaise. On lui avait ôté ses vêtements. Il faisait très froid. Elle ne distinguait rien de précis. Il faisait trop sombre et le sang qui avait coulé sur ses yeux ne l’aidait pas à repérer quoi que ce soit. La douleur sur son crâne l’empêcha pendant un moment de comprendre l’étendue de la tragédie qui s’annonçait. Elle essaya de se remémorer comment elle était arrivée jusque-là. Lorsqu’elle se rappela du type prévenant qui l’avait accostée, elle comprit rapidement. Elle avait toujours été très naïve, confiante en sa bonne fortune. La roue avait tourné. Elle pleura. Elle n’était pas bâillonnée, mais elle préféra sangloter en silence de peur d’attirer l’attention sur elle. Elle espérait sans doute un miracle. C’était une farce, voilà tout, un bizutage de mauvais goût, comme celui qu’on réservait aux nouvelles étudiantes.
Qu’est-ce que cela aurait-il pu être autrement ?
Elle renifla un peu trop bruyamment à son goût, mais ce faisant, elle remarqua enfin l’odeur d’urine. Elle était si forte qu’elle se demanda comment elle avait fait pour ne pas la sentir plus tôt. Elle crut immédiatement que cela venait d’elle avant de s’apercevoir que c’était une odeur plus ancienne, une odeur qui imprégnait complètement les lieux, leur conférant une identité des plus sordides. Car c’était plus qu’une simple odeur d’urine, c’était l’odeur de la peur, viscérale, primitive, celle qui ronge un être humain de la tête aux pieds alors qu’il est sur le point de connaître un supplice comme nul autre pareil.
Gina sursauta. Son cœur martela sa poitrine avec une force inouïe comme pour s’en extraire. Quelque chose venait de tomber à ses pieds. La faible lumière naturelle provenant du plafond lui apprit qu’il s’agissait d’un journal. Après un moment d’hésitation, elle tordit le cou pour le déchiffrer. Une photo illustrait la première page, le portrait d’une jeune fille coiffée comme elle, même queue de cheval noire, même visage pâle, même sentiment de solitude ancré dans le regard. Alors la peur s’exprima à son tour en elle, alimentant un peu plus l’odeur imprégnant les lieux. Une odeur qui ne manquerait pas d’écoeurer l’odorat ô combien sensible de la prochaine victime.

Tanya attendait Richard sur les marches de l’université, un journal en main. Nouvelle victime. Et elle la connaissait pour l’avoir vue en compagnie de Richard, la veille. Ce flic n’était pas de taille pour la mission qu’il s’était choisi. Elle ne fut pas surprise de le voir quelques instants plus tard se garer à proximité et venir à sa rencontre.
Il avait l’air fatigué. Pas de sourire enjôleur, cette fois. Tanya ne l’épargna pas pour autant.
- Tu n’as pas su la protéger, pourquoi tu réussirais à me protéger, moi ?
- Je ne fais pas de miracles, tu te souviens ? Je réduis seulement les risques.
- Tout ce que tu as fait c’est d’attirer un peu plus l’attention du tueur sur elle. Ca fait quoi d’être complice d’un tel taré ?
Il écarquilla les yeux avant de la gifler. Estomaquée, elle se leva et lui rendit sa gifle. Elle fit mine de quitter les lieux, mais il la retint par un bras.
- Je ne veux pas qu’il t’arrive la même chose !
Elle se planta devant lui, hors d’elle :
- Alors pourquoi tu m’as abandonnée ?
Ils se figèrent un moment tandis que les élèves descendaient en masse les escaliers, suspendant leur intimité naissante. Ce qui leur donna l’occasion à tous deux de retrouver leur calme.
- Excuse-moi, dit Richard, c’est vrai je n’aurais pas dû. Mais t’es vraiment pas une fille facile, tu sais.
Tanya ne répondit rien. Il comprit qu’elle reconnaissait enfin ses torts.
- Ne restons pas là.

Ils allèrent manger plusieurs hot-dogs, histoire d’enterrer la hache de guerre.
Alors que le jour déclinait, ils décidèrent de se balader à l’écart du monde dans un parc peu fréquenté de la ville.
Richard s’arrêta à proximité d’une imposante fontaine surmontée d’un cupidon qui semblait prendre un malin plaisir à les viser. Il prit Tanya par les épaules :
- Reste avec moi. Je t’en prie. Fais ça pour moi si tu ne veux pas le faire pour toi.
Un sourire illumina son visage.
- Ou l’inverse.
Tanya sourit à son tour. Elle retint ses larmes avant de se jeter dans ses bras. Richard la serra longuement contre sa poitrine, la serra de plus en plus fort comme pour rattraper tout ce temps où elle était restée hors de sa portée. Mais il finit par serrer trop fort le corps si fragile de la jeune fille. A présent, elle peinait clairement à respirer.
- Richard, mais qu’est-ce que t…
Elle le dévisagea, paniquée. Elle ne le reconnut pas.
En l’espace d’un instant, Richard était devenu un autre homme. Elle essaya alors de se débattre, lui donnant des coups de pied dans les tibias. Sans mot dire, il lui assena un coup de tête et la regarda s’écrouler à ses pieds.
- Oui, vraiment pas une fille facile.
Il commença à soulever le corps inerte, aussi léger qu’une plume, sans même remarquer les poings fermés de sa victime. Il contempla le Cupidon hilare, comme se riant de la situation. Richard trouva cela très amusant aussi.

Tanya revint à elle. Le goût de son propre sang lui emplissait la bouche. Elle commença à gémir en réalisant dans quelle situation elle se trouvait. Elle était attachée fermement à une chaise. On lui avait ôté ses vêtements. Il faisait très froid. Elle ne distinguait rien de précis. Il faisait trop sombre et le sang qui avait coulé sur ses yeux ne l’aidait pas à repérer quoi que ce soit. La douleur sur son crâne l’empêcha pendant un moment de comprendre l’étendue de la tragédie qui s’annonçait. Elle essaya de se remémorer comment elle était arrivée jusque-là. Lorsqu’elle se rappela sa conversation avec Richard, elle comprit rapidement. C’est ce moment que choisit la pourriture des lieux pour lui sauter au visage, maltraitant son odorat ô combien sensible. La pièce empestait l’urine. La chaise aussi. Elle réalisa que la fille du journal devait se trouver la veille à cette même place qu’elle occupait. Un constat qui aurait rendu fou n’importe qui.
- Tu n’es pas flic, alors.
- Qu’est-ce qui t’effraierait le plus ?
Richard apparut devant elle. Il était nu. Elle lui adressa un regard provocateur. Il s’approcha d’elle et s’accroupit.
- Quand je t’ai rencontrée la première fois, j’ai su que tu ferais une proie idéale. Pas parce que tu serais une proie facile. Au contraire. Parce ce que tu me résisterais. Et ça, ça ne m’était jamais vraiment arrivé.
Elle sourit.
- Ravie de réaliser ton fantasme.
Il la jaugea avec fascination.
- Tu n’as pas peur de mourir, hein ?
Elle leva les yeux et le dévisagea sans ciller :
- Je suis déjà morte tellement de fois.
Richard secoua la tête.
- Je me doute que tu en as pas mal bavé.
Il se releva et fit quelques pas, les yeux dans le vague.
- C’est embêtant. Lire la peur dans les yeux de mes victimes, voir leurs regrets, ça fait partie de mon plaisir. Et si je ne l’ai pas, mes actes perdent tout leur sens.
Tanya fit la moue.
- Je te croyais plus sophistiqué.
Richard esquissa un sourire.
- Et moi je te croyais plus sensible.
- Alors, on va se faire la gueule ?
Richard s’esclaffa.
- Ah, tu vas me manquer, Tanya.
Il avait un couteau dans la main.
Il se jeta sur elle sans crier gare.
Tanya bascula vivement sur le côté. La chaise se renversa sur le sol. Emporté dans son élan, le tueur s’étala de tout son long, égratignant son sexe sur le sol. Il poussa un cri de douleur. Tanya ouvrit son poing droit et actionna le Zippo. La flamme était puissante. Tanya sentit l'odeur de sa chair brûlée, mais en vérité, elle en avait vu d'autres. Richard gémissait. Il tentait de se relever, cherchant sa lame du regard. Derrière lui, il entendit sa victime commençait à se libérer. Il réalisa alors combien il avait sous-estimé la jeune fille. Au moment où il allait se saisir de son arme, le pied droit de Tanya lui percuta violemment la mâchoire. Il secoua sa tête endolorie et lui porta un coup de poing terrible dans le bas-ventre. La jeune fille tomba à genoux, la bouche grande ouverte. Il en profita pour ramasser son couteau. Il attrapa la queue de cheval de son adversaire et sa lame décrivit un arc de cercle. Qu’elle ne termina jamais. Tanya tendit son bras et la flamme du Zippo lui brûla les parties. Il tomba aussitôt à genoux. Elle ignora son hurlement. Sans lui laisser de répit, elle lui flanqua un coup de pied dans la tête et se saisit ensuite de la chaise qu'elle écrasa sur lui à plusieurs reprises. Elle ne s’arrêta que lorsque le dossier lui resta dans les mains.
A bout de forces et de souffle, elle s’écroula sur le sol en contemplant le corps inerte de Richard. Elle vit avec soulagement sa poitrine se soulever lentement. Il devait rester en vie, c’était dans le contrat.
Lorsqu’elle fut suffisamment remise de l’épreuve, elle quitta la cave et trouva un téléphone dans la maison. Tandis qu'elle les appelait, elle caressa son poignet gauche là même où ils lui avaient introduit le traceur.

Ils arrivèrent discrètement moins d’une demi-heure après. L’agent Ron Davis emmitoufla Tanya dans une couverture avec une attitude aussi paternelle que le lui permettait son statut. Il caressa son épaisse moustache rousse en regardant ses hommes emporter le corps inanimé du tueur dans le fourgon.
- Ca été ?
La jeune fille essuya le sang séché qui avait coulé de son nez.
- A votre avis ? Faudrait quand même mettre à jour mon assurance. Juste au cas où.
Elle s’assit sur ce qui restait de la chaise et balança ses jambes dans le vide comme une enfant gâtée :
- Vous auriez pas une cigarette ?
Davis l’observa, médusé.
- T’es vraiment parfaite pour ce job.
D’un clappement de langue, elle lui rappela sa question.
- Désolé, j’essaie d’arrêter de fumer.
Elle soupira.
- Vous allez me ramener tout de suite ?
Davis haussa les épaules avec sollicitude.
- C’est dans le contrat, tu le sais bien. T’es une murène, Tanya. Et une murène rentre toujours dans son trou après avoir attrapé sa proie.

Le tueur enterra sa quatrième victime dans les bois avant de monter dans sa camionnette. Il expira bruyamment comme après chaque meurtre. Ca faisait partie du rituel. Il posa ses mains gantées sur le volant et démarra. Il avait déjà repéré sa prochaine victime. Une délicieuse créature. Jeune, peu farouche et avec des yeux bleus ensorcelants comme il en avait rarement vu. Il frémit à l’idée de poser ses mains sur elle.

18 heures plus tôt

Ron Davis était assis face à Tanya dans sa cellule tout confort pour leur entretien hebdomadaire. Ron était l’une des rares personnes à connaître son existence. Pour le reste du monde, Tanya n’existait plus. Officiellement, celle qui avait perdu ses parents en les brûlant vifs le jour de ses seize ans avait été arrêtée et purgeait une peine de longue durée dans un établissement psychiatrique sous haute surveillance. En vérité, son sang-froid exceptionnel, son esprit analytique et ses capacités d’adaptation exemplaires avaient retenu l’attention d’une cellule secrète du FBI. Qui depuis ne pouvait plus se passer de ses services.
Un contrat avait été passé avec le gouvernement. Les détenus devenaient trop nombreux, ils coûtaient cher, les soigner prenait du temps. Une idée avait fini par germer. Et si pour purger sa peine envers la société, un criminel exploitait son savoir-faire afin de purger la société des autres criminels. Une autre forme de justice. Confidentielle. Très confidentielle.
En échange d’une relative liberté, Tanya les aidait à coffrer les pires prédateurs humains du pays. Et elle se montrait de plus en plus douée. Pour eux, c’était un contrat différent à chaque fois. Pour elle, c’était simplement un job, son job. Et elle était une professionnelle pour le moins zélée.

Ron avait étalé une dizaine de photos sous son nez, attendant fébrilement son verdict. Tanya minaudait tout en jouant avec son zippo. Celui de feu son beau-père ou plutôt de l'homme qui l'avait maltraitée, avec ce même zippo, jusqu'à la violer, très régulièrement. Son corps en était encore témoin.

Lorsque Tanya avait trouvé la force de confier son traumatisme à sa mère, sa mère de sang, celle-ci n'avait trouvé rien de mieux à faire que mettre en doute sa confession. "Je sais que tu ne l'aimes pas. Tu ne l'as jamais aimé. Alors tu inventes cette histoire pour que je le quitte." Une forme de lâcheté, pire : de complicité. Qui n'avait pu trouvé grâce aux yeux de Tanya.

En un éclair elle quitta son passé pour se recentrer sur le présent :
- Toutes les victimes avaient les yeux bleus ? Enfin, je veux dire, avant que le tueur leur enlève.
Ron opina du chef.
- Ca veut dire que je vais porter des lentilles ?
Ron confirma à nouveau avant d’agiter la photo de la dernière victime :
- Celui là est très dangereux. Mais il est aussi très exigeant.
Tanya posa ses bottes sur la table.
- Ok. Alors trouvez-moi un putain de bleu !

Lorsque le tueur la vit en train de faire du stop à la sortie de la ville, il crut que Dieu en personne avait répondu à son appel. Le moment et le lieu idéals pour opérer. Pas de témoin. Lorsqu'il ouvrit sa portière et qu'elle se glissa sur le siège avant, ses mains se crispèrent sur le volant. Elle avait des yeux tellement bleus, tellement lumineux qu'ils ne pouvaient pas être naturels. Oui un véritable ange envoyé par Dieu lui-même. Il tempéra son émotion.
- Vous allez où, jeune fille ?
Tanya lui dédia son sourire le plus irrésistible :
- Très loin d'ici, dit-elle avec tristesse.
- Tu as été abandonnée, c'est ça ? Peut-être même trahie ?
Elle acquiesça.
Il lui caressa la cuisse.
- Ne t'inquiète pas. Tout va bien se passer, maintenant. Je vais m'occuper de toi.
Tout en serrant le zippo dans sa poche, Tanya se dit exactement la même chose.

 

 

 

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Le Monde Innocent [Poésies]

 

 Le Monde Innocent

 

Sur une île lointaine

Nous croyant à l’abri

De la peur, de la haine,

Nous jouissions sans répit

De notre imagination toute entière

Ignorant toute frontière

 

Puis le bateau est arrivé

De cette liberté nous a privé

Dans cet autre monde

Nous voilà enfermés, séparés

Privés de notre magie

Nous avons grandi

Bien malgré nous

Dans un monde de fous

Des codes, des règles, des lois

Sur nos cœurs comme autant de poids

Faites par des adultes pour des adultes

Mais surtout pas pour toi et moi

 

Dans les rues j’ai erré

Pendant des années

Pour te retrouver

J’ai refusé la tentation

J’ai refusé la corruption

 

J’ai vu des choses

Qui ont éborgné mon cœur

Et écorché mon âme

La vie n’était plus rose

Elle était juste infâme

Je n’aurais jamais cru apprendre

Aussi bien la douleur

 

Je t’imaginais

Voir les mêmes horreurs

Ta robe de pureté

Eclaboussée par elles

Alors je pleurais de plus belle

Et je comptais les heures

Dans cette ville immense

que je ne quittais pas

car je savais tout comme toi

que c'était notre seule chance

de pouvoir nous retrouver

 

Et je comptais les heures

Dans cette immonde ville

En retirant chaque esquille

en retirant chaque écharde

Du cœur de mon cœur

condamné à les sentir repousser

à l'intérieur

car jamais assez sur mes gardes

 

Une fois

Alors que j’étais poursuivi

Par des hommes alcoolisés

J’ai cru t’avoir retrouvé

Car j’ai rapetissé

Au point de pouvoir m’échapper

En toute sérénité

Ca n’a pas duré

Ca n’est plus jamais arrivé

Mais sans le savoir tu m’as sauvé

Et peut-être moi-même t’ai-je offert

Une douce accalmie entre deux enfers

 

Dans les rues j’ai erré

Pendant des années

Pour te retrouver

J’ai refusé la tentation

J’ai refusé la corruption

Jusqu’à me faire arrêté

Par excès d’honnêteté

Et de simplicité

Pour n’avoir pas su m’adapter

A ce monde dénaturé

 

Je me retrouve au tribunal

Priant pour que se termine

Ce cauchemar insondable

Et cette femme qui me pointe du doigt

Et cette femme qui m’incrimine

Et moi qui ne sais pas

Pourquoi je la trouve si belle

Elle-même semble troublée

Au point de s’arrêter

Gêné par ce silence

Le juge suspend l’audience

 

Je regarde hébété

Les menottes glisser de mes poignets

Je ne peux l’expliquer

Cette soudaine liberté

Mais je ne peux la nier

Alors j’en profite pour m’échapper

Dans ce bureau

A l’écart de tous

Je la rejoins

Celle qui m’accusait de tous les maux

Dans un passé pas si lointain

 

Nous voilà à nouveau face à face

Mais méprisant ce miracle

Ils entrent dans la pièce

Pour m’arrêter

Et cette menace

Et cette urgence

Nous redonne enfin accès à la vérité

Par le biais d’un regard privilégié

 

Le bateau coulait déjà

Quand je t’ai vu pour la première fois

Je suis tombé à l’eau

Sur le point de me noyer

Tu m’as rattrapé

et c’est quand nos mains se sont serrées

Que le miracle est arrivé

Nous avons retrouvé notre enfance

Et avec nous tout l’équipage

Transformant ce tragique naufrage

En véritable cure de jouvence

 

Et sur cette île nous avons échoué

Et sur cette île nous avons joué

Une sorte de rêve éveillé

Qu’un autre bateau a fini par briser

 

C’est alors qu’ils font irruption

Dans le lieu de nos retrouvailles

Mus par mon arrestation

Mais dès qu'ils franchissent le seuil

Ils redeviennent des enfants

Comme nous, aussi innocents

Nos mains se sont rejointes

nous ne craignons plus rien

Car tu es une petite fille

Et moi un petit garçon

Tout peut recommencer

Nous avons de nouveau le pouvoir

Et plus que jamais

Dans cette immense cité surpeuplée

Il peut s’exprimer

 

Des prisons, des bases militaires

Jaillissent des enfants par centaines

Les bras levés, émerveillés

Enivrés par leur sentiment de liberté

Les banques et les bourses

N’ont plus de raison d’être

De même que les écoles

n'ont plus rien à nous apprendre

 

Nous dansons autour d'un feu de joie

alimenté par l'argent et les armes

Ces faux dieux, ces mauvais rois

qui ont corrompu nos âmes

 

A la vitesse où se répand

Ce remède inespéré

Bientôt même les conflits

Les plus lointains

Les plus anciens

Ne seront plus

Qu’un mauvais souvenir de plus

La peur et la haine

Meurent sous un rayon de soleil

Dans un éclat de joie

Sans nul autre pareil

 

Entre les gratte-ciels

Dans chaque ruelle

Nous nous élançons

Nos rires nous accompagnant

Tout du long

Et les mains serrées

Nous sourions comme jamais

Car tout autour de nous

Le monde redevient innocent

Aussi innocent que nous

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Child hands by flowerfield

 

En Lien

La Résurrection des Fleurs

 

Retrouvez la musique d'Apocalyptica dans :

 

 

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Le Coeur dans les Etoiles [Nouvelles/Fantastique]

 

Galien la regardait toutes les nuits depuis plusieurs mois. Elle semblait lui sourire davantage à chaque fois. Ils ne pouvaient se parler, mais il osait penser qu’elle souhaitait elle aussi qu’ils se rapprochent enfin.

Une nuit plus belle que les autres, alors que les étoiles semblaient l’encourager, il se passa quelque chose d’inexplicable. Un petit trou s’ouvrit dans la poitrine de Galien et une petite graine s’en échappa. Il la ramassa, surpris. D’où pouvait-elle bien venir ? A quoi pouvait-elle bien servir ?

Il dormit très peu, observant la graine et se demandant sans cesse qu’elle était sa fonction.

La lune disparut, ainsi que son merveilleux visage et le soleil, implacable souverain, régna une fois de plus dans le ciel, annonçant une terrible journée de canicule.

Galien commençait à souffrir beaucoup de la situation. Dans ce désert où il vivait depuis sa naissance, il y avait peu d’eau, presque pas de nourriture. Les habitants devaient marcher très longtemps pour trouver quelque chose à se mettre sous la dent. Et si cela continuait, il n’y aurait bientôt plus personne en état de marcher.

Galien gratta le sol asséché et creusa un petit trou dans lequel il plaça la graine. Cela lui paraissait naturel de la mettre sous terre même s’il n’avait jamais vu une telle chose se faire.

Il se dit que ce serait bon aussi pour la graine de recevoir de l’eau. Mais il ne pleuvait presque jamais et l’eau était tellement rare qu’elle était bue en un temps record.

Malgré la chaleur, il marcha longtemps d’en l’espoir d’en trouver, persuadé qu’il tenait la solution pour rejoindre le beau visage de la lune qu’il chérissait depuis tant de temps. Il rencontra quelques hommes et quelques femmes, mais personne capable de l’aider dans sa quête.

Le soir, il retourna près de sa graine, le visage triste. La lune lui offrit alors son sourire comme pour le consoler de sa déveine. Mais en le voyant, cela ne fit que le rendre plus triste encore. Il cria :

- Pourquoi je ne peux pas te toucher ?

Il commença à pleurer. Les larmes roulèrent sur ses joues avant de toucher le sol asséché.

Et quelque chose d’inexplicable se produisit. La terre se fissura et un rameau se hissa hors de l’ouverture. Galien s’essuya les yeux. Il était fou de joie. Grâce à ses larmes, sa graine avait poussé. Il avait réussi !

Cette nuit-là, il offrit à la lune une danse endiablée en promettant à qui pouvait l’entendre qu’il ne s’arrêterait pas en si bon chemin. Le plus dur était fait selon lui.

Le lendemain et les jours suivants, le rameau commença à flétrir. Et Galien comprit qu’il avait énormément besoin d’eau. Si jamais il mourrait, il ne pourrait plus rejoindre la lune et il ne savait pas s’il pourrait obtenir une autre graine.

La tristesse l’envahit à nouveau et il se remit à pleurer, arrosant le rameau fatigué qui brusquement s’élança vers le ciel. Les yeux humides, le garçon observa l’arbre pousser à une vitesse prodigieuse. Il continua alors à pleurer, mais cette fois, seule la joie faisait couler ses larmes.

Cela se passa ainsi pendant plusieurs jours et plusieurs nuits. Tour à tour heureux et découragé, Galien arrosait l’arbre démesuré porteur de tous ses espoirs.

Il vint naturellement un moment où il prit peur que l’arbre dans son irrésistible progression ne blesse le merveilleux visage de la lune. Il ne souhaitait certainement pas que tous ses efforts aboutissent à un tel résultat.

Alors, une nuit plus belle que les autres, tandis que les étoiles semblaient l’encourager, il grimpa sur l’arbre et se mit à l’escalader avec une facilité stupéfiante. Il regarda à peine le sol disparaître sous lui, son regard fixé sur le disque blanc et souriant perché au-dessus de lui.

- Je vais y arriver ! se répétait-il. Je vais te rejoindre !

Hormis son objectif, il finit par tout oublier : le danger, la faim, le sommeil. Le seul fait de réaliser son rêve le nourrissait  et faisait taire les protestations de son corps et de son esprit.

Il oublia également la notion du temps. Il s’était peut-être passé des jours, des semaines ou des mois lorsqu’il parvint finalement jusqu’en haut de l’arbre. Le jour tombait. Le soleil, implacable souverain, quitta son trône céleste pour céder la place à la lune et à son merveilleux…

Galien se figea. Non, c’était impossible ! Où était-il donc passé ? Qui l’avait volé ?

La lune était bien là, devant lui, à portée de main. Mais ce visage qui l’avait tant ému, ce sourire qui l’avait tant aidé à garder l’espoir, ils n’étaient plus là. Quelque chose d’inexplicable s’était passé. La douleur qu’il ressentit fut telle qu’il trébucha et tomba de l’arbre. Il tomba d’une hauteur vertigineuse.

La mer en contrebas accueillit son corps d’enfant dans une grande gerbe d’eau salée.

Aussi salée que l’avaient été ses propres larmes.

 

Tanis la regardait toutes les nuits depuis plusieurs mois. Elle semblait lui sourire davantage à chaque fois. Ils ne pouvaient se parler, mais il osait penser qu’elle souhaitait elle aussi qu’ils se rapprochent enfin.

Une nuit plus belle que les autres, alors que les étoiles semblaient l’encourager, il contempla le sol asséché à l’endroit où il avait planté la graine, des jours auparavant. Une grande tristesse l’envahit. Comment pouvait-il espérer la voir pousser dans un monde où il ne pleuvait jamais, où l’eau n’existait pour ainsi dire pas ?

Il cria :

- Pourquoi je ne peux pas te toucher ?

Une silhouette apparut alors près de lui, enveloppée dans un vêtement ample qui cachait son corps et son visage. Tanis s’empressa alors de lui demander :

- J’ai besoin d’eau pour arroser ma graine. En avez-vous ?

L’homme secoua la tête.

- Non, mais toi tu en as plus qu’il n’en faut.

Il abaissa son capuchon. L’homme avait de longs cheveux et une barbe. Et des larmes coulaient sur ses joues. Tanis le regarda, surpris, puis il contempla à nouveau le sol. Et c’est alors qu’il comprit. Sa joie fut telle qu’il se retourna pour se jeter dans les bras de l’inconnu. Mais ce dernier avait disparu.

 

Les yeux remplis de larmes, Tanis serrait les dents tout en donnant de violents coups de hache dans le tronc d’arbre. Alors qu’il était sur le point d’accomplir son forfait, une main ferme retint son bras armé.

- Tu as tort de faire cela.

Tanis se retourna. C’était l’inconnu qu’il n’avait pas revu depuis le jour de leur rencontre.

Tanis était fou de rage et de revoir cet homme était encore pire pour lui.

- Je te maudis toi aussi ! Si tu savais comment atteindre la lune, tu devais aussi savoir que son sourire si merveilleux n’existait pas. Pourquoi ne m’as-tu rien dit ? Pourquoi m’as-tu laissé à mes illusions ?

L’inconnu sourit.

- Parfois, nous nous trompons sur le sens de l’amour que nous portons à certaines choses ou à certaines personnes.

Tanis retrouva son calme. Le visage et la voix de l’inconnu étaient apaisants. Il semblait être venu de très loin pour lui parler. Il l’écouta attentivement lorsqu’il ajouta :

- Cela ne veut pas dire que cet amour n’a pas de sens.

Galien leva le bras et cueillit une pomme qu’il tendit à Tanis. Celui-ci leva la tête et remarqua pour la première fois les innombrables fruits qui avaient poussé en même temps que l’arbre.

Alors il commença à comprendre.

Galien le dévisagea, toujours en souriant :

- La lune n’a peut-être pas de visage, mais notre amour, lui, était bien réel. Si chacun de nous vient à y goûter, alors notre monde ne sera plus un désert, mais une terre fertile et nourricière. Et chacun de nous pourra enfin devenir un être humain.

 

 

 

T’as aimé…ou pas

T’as tout lu, tout vu, tout entendu…ou pas

Peu importe, post un com et like la page pour dire que tu existes car ton avis est important pour moi, mais aussi pour le futur de ce blog, un gros merci d’avance !

Le Train de la Haine [Nouvelles/Anticipations]

 

 

On a reçu à peu près le même nombre de coups de matraque.

C’est peut-être ce qui nous a rapproché, lui et moi.

Il me dit qu’il s’appelle Jérémie et qu’il est homosexuel.

Il me tend la main.

Dans d’autres circonstances, j’aurais certainement eu un mouvement de recul.

Mais là, c’est différent.

On est dans la même galère et on sait tous les deux où elle va nous mener.
Je lui serre la main et me présente :

- Bertrand, célibataire endurci et pathétique hétéro.

Cette note d’humour est la bienvenue. Jérémie me le fait comprendre par un sourire.

Il me raconte que depuis quelques semaines sa cité a été la cible de contrôles réguliers. Tôt ce matin, il a été pris dans une rafle menée par cette putain de milice primaire et toute-puissante.

- Tu as dû être dénoncé, lui dis-je, comme moi.

Il ne semble pas surpris. Il s’explique :

- J’ai entendu dire qu’ils offraient des récompenses.

On est tous les deux horrifiés.

On a l’impression d’être en pleine guerre mondiale même si on n’a jamais réellement connu ça.

On n’est pas des juifs entre les mains des nazis et pourtant c’est cette même putain de haine primaire et toute-puissante qui nous a mis dans ce wagon avec un tas d’autres, cette même putain de haine qui nous a arraché à notre destin, à notre vie.

Pourquoi ?

C’est sans doute ça le pire, car chacun d’entre nous connaît la réponse.

Ce qui ne rend pas la pilule plus facile à avaler. Loin de là.

On est tous là, parce qu’un jour le gouvernement  a décidé que nous n’étions pas socialement productifs, un truc dans ce goût-là.

Je ne me souviens pas de la formule exacte.

En tout cas, c’est ce que ça voulait dire.

Jérémie, moi, ainsi que tous les autres, on n’aura pas de gosses et par conséquent on ne viendra pas renouveler la masse des consommateurs qui entretiennent notre belle société construite sur ce putain de fric primaire et tout-puissant.

Non.

Parce qu’on n’est pas destiné à reproduire ce putain de schéma primaire et tout-puissant, on a été jugé inutile et condamné.

Sans forme de procès.

 

Est-ce qu’on en est arrivé là ?

 

J’entends le train qui s’arrête. Les prisonniers murmurent, puis retiennent leur souffle. Jérémie me jette un regard affolé. On comprend tous les deux ce qui nous attend. Même si on le savait depuis le début, on a toujours cru qu’ils allaient s’arrêter avant.

Les portes s’ouvrent. On nous crie de sortir.

Au moment de descendre, je sens la peur creuser un gouffre dans mon estomac. Alors naturellement, sans même y penser, je glisse ma main dans celle de Jérémie.

- Fais gaffe, dit-il, on pourrait nous voir.

Cette note d’humour est la bienvenue, il le voit à mon sourire.

 

Oui, on en est arrivé là.

 

 

 

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Bulletproof Love [Nouvelles/Thriller]

Bulletproof Love.jpg

Il est 14h30.

Je rentre dans la banque.

Je m’approche des bureaux.

Elle a la tête baissée. Elle consulte un dossier.

J’ai le cœur qui cogne. Je ne vois pas encore son visage et pourtant j’ai le cœur qui cogne comme si lui l’avait déjà vu.

Quand elle relève la tête,  je cogne avec lui.

Instantané de bonheur. J’en prends une grande dose, pour toutes celles que je n’ai pas prises, qu’on m’a volées, que j’ai refusées.

Elle paraît en faire autant.

C’est électrique à plus d’un titre, un coup de foudre sur la même longueur d’onde.

heartrate.jpg

L’un de ses collègues s’adresse à elle. Notre alchimie se ménage une parenthèse pour mieux se rouvrir après.

Je n’écoute pas ce qu’elle lui répond, j’entends juste sa voix qu’elle doit éclaircir plusieurs fois pour se faire comprendre. J’ai presque de la peine pour elle. Si je devais parler moi aussi il faudrait qu’on m’ouvre la gorge pour extirper le chat qui y a fait son nid.

Lorsque son attention se fixe à nouveau sur moi je sens bien que la magie est toujours là, mais qu’elle doit faire une petite place à la raison, question de commodité publique.

Je plonge un bras dans ma bouche et j’en extirpe par la queue le chat angora qui a élu domicile dans mon œsophage.  Comme il a laissé quelques pelotes de poil, ma diction en souffre un peu, mais je parviens à me faire passer pour un client lambda aux yeux des autres.

Comme moi, elle doit penser que c’est triste de parler de compte bancaire à découvert alors que c’est notre premier échange. Le pire c’est que c’est mon premier découvert. J’ai toujours été très économe. La seule fois où je me laisse aller me prive d’une conversation sans nulle autre pareille…En même temps, c’est précisément ce découvert qui nous a fait nous rencontrer. Et puis que lui aurais-je dit sinon ? Sans cette excuse, sans cet alibi en béton puisque véridique, qu’aurais-je trouvé comme prétexte bidon pour l’aborder ?

- Je vous fais patienter.

Ce vouvoiement me fait un peu mal tant j’ai le sentiment qu’on s’est toujours connu. On s’est juste perdu de vue l’espace de quelques vies, c’est tout. C’est pas la mort.

On est grimé, on joue la comédie. Je me fais une raison. Une fois la scène terminée, on ôtera nos masques et on jouera franc jeu.

Je vais m’asseoir dans un coin en m’assurant de la garder dans ma ligne de mire. Ca devrait m’aider à patienter.

J’ai pas le temps de dire ouf qu’ils rentrent dans la banque. Eux aussi sont masqués, mais ils ne jouent pas la comédie. Ils crient, ils montrent des armes qui ne sont pas factices. Je n’ai d’yeux que pour elle car je sais qu’elle se trouve en première ligne. Elle est terrifiée et cela me terrifie. Car ce n’est qu’alors que je réalise l’ampleur de la menace.

Des sirènes de police retentissent. Je n’ai jamais été aussi heureux de les entendre. Les braqueurs sont pris de court, ils ne partagent pas mon ressenti. J’ai peur qu’ils paniquent et ne commettent l’irréparable. L’un d’eux s’adresse à Eve. Acceptez que je l’appelle Eve. Puisqu’elle m’a fait connaître le Paradis, ce n’est que justice. Eve est belle et incarne l’innocence. Cela va la condamner. Je me lève lorsque je les vois s’emparer d’elle. L’un d’eux me fusille du regard avant de pointer son arme. Vaut-elle que je risque une balle pour elle ? Assurément, mais pas maintenant, cela ne servirait à rien. Je veux la revoir. Mon cœur se charge d’approuver et de renchérir à ce sujet. Impuissant, je les regarde l’emporter loin de moi. Elle prend le temps de m’adresser un regard que je saisis au vol. Je n’oublierai pas ses yeux et je fais en sorte qu’elle n’oublie pas les miens. Puis elle disparaît.

Les jambes ankylosées, je me précipite vers la porte. Ils montent dans une voiture et s’enfuient au loin. J’essaie de relever la plaque, mais l’adrénaline trouble ma vue. La police est là. Un agent vient vers moi. Je devrais rester là, le laisser prendre soin de moi, le laisser me consoler en le laissant penser que cela suffira. Mais je ne suis plus moi depuis que je l’ai vue. Je pointe un doigt autoritaire vers la banque pour lui commander de s’occuper des autres et je cours vers son véhicule. Il a laissé sa portière ouverte. Je m’engouffre dans l’habitacle et je démarre aussitôt. Je viens de devenir moi aussi un criminel.

Tandis que je roule pour rattraper mon retard, j’écoute la fréquence de la police pour localiser les braqueurs. Je n’ai pas longtemps à attendre. Je souffle une fois sorti de la ville, je vais pouvoir accélérer. Je suis recherché, mais je n’en ai cure. L’amour me donne des ailes et un alibi en béton. Le juge qui me fera condamner pour avoir écouté mon cœur n’est pas né.

Je roule à tombeaux ouverts sur une route de campagne lorsque j’entends des nouvelles.

« …véhicule signalé vient d’être retrouvé par une patrouille. Aucune trace des suspects. Le corps d’une jeune femme répondant au signalement de l’otage est couché sur le bas-côté. Elle ne respire plus…

Mes pieds écrasent la pédale de frein comme pour refuser en bloc la réalité qui vient de m’être assené en pleine figure. J’ouvre la portière pour prendre une bouffée d’air. A peine sorti, je vomis tripes et boyaux. Je suis surpris de ne pas compter mon cœur parmi les rebuts.

Je me colle contre la voiture. Je suis incapable de me relever. Je viens de mourir.

Une petite voix me dit que ce ne sont que des mots, que ça n’a rien de définitif.

Je sais qu’elle ment pour me protéger, comme elle l’a toujours fait, avec plus ou moins de succès. Je devrais l’écouter, ne pas rendre les armes pour si peu. Mais je me sens vidé. Responsable. Coupable. Comme si mes sentiments l’avaient condamnée. Je dois être puni pour ce crime. Et je ne vois pas pire châtiment que le désespoir. Finalement le juge capable de me condamner existe. Et le bourreau aussi.

Je ferme les yeux. Mon cœur s’époumone, mes yeux se liquéfient. Et moi, je disparais lentement de la surface de la terre. Car je sais que le Paradis sans elle, c’est forcément l’Enfer. 

 

 

 

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« …Je répète, le corps identifié appartient à une auto-stoppeuse prise en chemin par les ravisseurs ; je répète, il ne s’agit pas de l’otage, l’otage est toujours en vie… »

Dieu vient de me parler. Mes ailes repoussent dans mon dos. Je replace mon cœur en bandoulière et redémarre sur les chapeaux de roue. Je déclenche les essuie-glaces avant de comprendre que ce sont des larmes de joie qui coulent sur mon pare-brise.

Je me permets même un sourire.

Son image danse dans mon esprit. Je lui fais toute la place possible afin qu’elle y soit à l’aise. Je pousse les meubles, je fais même la poussière. « Tu es ici chez toi. Reste aussi longtemps que tu veux. » Elle comprend et danse de plus belle, illuminant les lieux. Mes yeux en sont éblouis.

A la radio, les nouvelles ne sont pas bonnes. La police a perdu la trace des fuyards. Je ne vais devoir compter que sur moi-même. Suis-je de taille ? fait la petite voix. Je grimace. « Tu ne m’auras pas cette fois ! »

 

Je repère un barrage au loin. Ils ont de plus gros chats à fouetter que moi, mais les priver d’une voiture à un moment aussi critique ne m’a évidemment pas attiré leur sympathie. Je pourrais toujours mettre ça sur le compte d’un trauma, mais je perdrais un temps précieux. Je coupe à travers champs.

 

La nuit me tombe littéralement dessus. J’ai pas retrouvé leur trace et la radio est aphone. Auraient-ils changé de fréquence pour ne pas me laisser d’indice ? Pour m’éviter de me faire trouer la peau ? Savent-ils seulement après quoi je cours ?

Le désespoir revient toquer à ma porte. L’image d’Eve dansant dans mon esprit se fige un instant. Je prends peur. « S’il te plaît, n’ouvre pas. Ne fais pas ça. Tu es en sécurité ici. N’ouvre surtout pas ! »

Je sens que j’ai peu de temps devant moi avant qu’elle ne cède. Je parle d’Eve, mais aussi de la porte. Le désespoir n’est pas seul, la raison est venue lui prêter main forte.

Une lumière s’allume au loin avant de s’évaporer comme un mirage.

Je sors de la voiture et distingue une masure au loin. J’ai continué de rouler à travers champs en n’écoutant que mon instinct. Je décide de continuer à lui faire confiance malgré l’absence concrète de résultat. Après tout, mon amour aussi est aveugle.

Un muret qui a connu des jours meilleurs entoure la propriété. Je distingue mal l’intérieur, mais il y a du mouvement. Il y a de la vie. J’en mettrais ma main à …

Un flic me tombe dessus sans crier gare. Il me muselle. Oui il y a du mouvement, mais tout autour de moi. Je comprends que malgré moi j’ai servi d’appât ou plutôt de guide. Ils auraient pu m’arrêter depuis longtemps. Ils n’ont fait que me suivre à distance espérant que je les mène à bon port. Eux aussi ils ont écouté leur instinct.

Ils veulent m’éloigner de la scène. Je m’enracine. Un coup de feu fait avorter cette lutte idiote. Je suis jeté à terre. Je me bouche les oreilles tandis que les agents de l’ordre font feu sans sommation pour répliquer. Je leur hurle d’arrêter, de penser à elle. Mais mon regard croise le regard vide de l’un des leurs. Il doit avoir mon âge. Ce n’est plus une arrestation. C’est une vendetta. D’autres hommes mortellement atteints tombent violemment au sol. Les braqueurs ont sorti l’artillerie lourde.  Ce n’est plus une vendetta, c’est un massacre. Les criminels n’hésitent pas à se  rapprocher. Si je reste planté là,  mon sort sera vite fixé. Je m’écarte du muret et m’élance vers les voitures de police. On me tire dessus. Un flic s’interpose. Il prend la balle avant de riposter. Au final je tombe au sol sous le poids de deux corps. Le calme revient soudain. Mais la tempête n’a pas disparu pour autant. Elle se rapproche sous la forme de deux silhouettes armées. Je n’ai pas beaucoup de temps. La peur me dit de faire le mort. Le courage me dit de faire de même, mais avec plus de subtilité. Je peux faire d’une pierre deux coups. Je peux sauver ma peau et peut-être me rapprocher d’elle.

 

Je sens le sang du type que j’ai dépouillé couler sur ma peau tandis qu’ils m’emportent vers une destination inconnue. L’un des hommes essaie encore de retirer ma cagoule. Je secoue la tête avec plus de conviction. Il n’insiste pas. Il met ça sur le compte de mes blessures. Du moins je l’espère. Comme un motard accidenté voudrait conserver son casque, son identité. La mienne c’est justement de ne plus en avoir.

La lumière est faible à l’intérieur, mais je remarque quand même que la maison est bien équipée. Etait-ce un refuge connu de longue date ? Ils sont plus nombreux. Certains attendaient le butin sur place. Ils ont l’air organisé et pourtant ils sont repartis bien vite bredouille de la banque. Et si ce braquage n’avait été qu’un enlèvement déguisé ? Eve est peut-être la fille du patron. Elle vaut peut-être…Je me mords les lèvres. Comment je peux l’associer à une somme d’argent en un moment pareil ? Et comme pour me démontrer à quel point je suis stupide de la déshumaniser autant, une porte laissée ouverte me donne un accès direct sur une chambre, sur un lit, sur un corps allongé, ligoté, sur un visage bâillonné, sur des yeux rougis par les larmes. Je n’ai pas oublié ses yeux et elle n’a pas oublié les miens. L’espace d’une fraction de seconde, c’est comme des retrouvailles. Question d’habitude. On s’aime à la vitesse de l’éclair, mais c’est toujours aussi électrique. J’ai réussi l’impossible, je suis de nouveau auprès d’elle malgré tous les obstacles. J’ai justifié l’existence de cet amour de la déraison. Je le mérite et elle aussi. Car elle a dû en baver. J’ose espérer que mon image a dansé dans son esprit et qu’elle a pris soin de lui faire de la place.

 

On me pose sur un lit branlant. Je la sais vivante, proche et pourtant encore si inaccessible.

L’équipe est sur le départ. Les renforts de police seront bientôt là. Que vont-ils faire de moi, de nous ? Et si nous n’étions plus que des poids morts ?

Je ne peux me résoudre après tout ce que j’ai enduré. Je me convaincs que le plus dur est fait. Je comprends rapidement qu’ils ont décidé de m’abandonner sur place. Oui, un poids mort. Mais elle ? Elle est leur…Non je ne vais pas le dire. Je sais ce qu’elle représente pour eux. J’aimerais tellement qu’elle ne vaille pas plus que moi à leurs yeux, qu’ils nous abandonnent tous deux, ici. Qu’ils nous laissent enfin nous aimer.

Et puis je repense à l’auto-stoppeuse, un deuxième otage sacrifié pour le bien de leur réputation de criminels sérieux. Et puis je me rappelle que ce ne sont pas des enfants de chœur. Nous abattre ne serait qu’une formalité administrative pour eux. Comme pour faire écho à mes craintes j’entends une détonation toute proche. Un électrochoc pour mon coeur. Je me redresse alors qu’un homme entre dans la chambre en pointant son arme sur moi.

- Rien de personnel.

Il s’apprête à tirer. Rien ne peut l’arrêter, même pas moi, même pas cet amour de la déraison qui m’anime depuis le début.

Et pourtant il ne tire pas. Je ne vois pas son visage sous sa cagoule, mais je vois ses yeux tout comme il voit les miens. Et ils se connaissent. Je me rappelle. C’est lui qui m’a menacé à la banque alors que je faisais mine d’intervenir. Sa bouche s’ouvre. Il est sous le choc. Quelqu’un l’appelle. Il pose un doigt sur sa bouche. La seconde d’après il tire dans le mur juste à côté de moi. C’est comme de voir sa propre mort vous taper dans le dos en se marrant : « Ca va pour cette fois, mais la prochaine… »

Comment expliquer un tel geste ? De la pitié ? Une forme de respect ?

Mais surtout : en a-t-il eu autant pour elle ?

Il s’éloigne sans rien dire. J’entends la porte d’entrée se fermer. Il faut que je sache s’ils l’ont emmenée. Je me tire de ma torpeur. J’entends des crissements de pneu. Je me rue dans la chambre où je l’ai vue. J’entends les voitures qui s’éloignent. Je regarde le lit.

 

Ses yeux, je les reconnais, c’est bien lui. Mais que fait-il ici, habillé comme eux ? Je ne vois pas d’explication à part qu’il est en réalité un complice et qu’il ne m’a parlé à la banque que pour endormir les soupçons. Pourtant ce regard… J’ai mal. Je n’ai plus d’espoir.

Je me suis imaginé trop de choses, en tout cas pas les bonnes. Je ne veux pas mourir ici, pas comme ça. En le rencontrant, j’ai eu le sentiment que je pouvais commencer à vivre. C’est trop injuste, trop cruel. Mais c’est peut-être ça finalement la vie. Un piège aux allures de rendez-vous.

Je ne comprends toujours pas pourquoi ils m’ont emmenée, moi. Pourquoi pas le directeur ? Moi je ne suis qu’une stagiaire. Je ne représente rien. Bien sûr, je sers de garantie s’ils veulent s’échapper sans représailles ou s’ils veulent demander une rançon. Mais avec cette fusillade dehors, je sais bien que maintenant la donne a changé. Les négociations sont inutiles. C’est œil pour œil maintenant. Je les sens fébriles. Ils préparent quelque chose.

Je ne dois pas m’arrêter de penser. Si je m’arrête, je suis…

Un homme entre dans la chambre. Cagoulé et surtout armé. Il pointe son arme sur moi sans la moindre hésitation. C’est la fin. De mes tourments, mais de ma vie aussi. Alors je ferme les yeux. Je pense à lui qui incarnait mon Paradis, à son regard, à son sourire nerveux tandis qu'il me dévisage, comme s'il était le premier homme rencontrant la première femme pour la première fois. Et puis j'écoute mon coeur rythmer les souvenirs de cet amour foudroyé en plein vol. Et je respire une dernière fois.

 

 

 

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Elle est là. Toujours ligotée et bâillonnée. Je me penche sur elle. Elle ne bouge pas.

Lentement, elle ouvre les yeux. Je retire ma cagoule et la rassure. Je comprends qu’elle m’a pris pour l’un des leurs.  Je veux la libérer, mais les liens sont solides. Ca prend quelques minutes. Une éternité à nos yeux.

Bien sûr je ne peux pas savoir que la maison est piégée et que tout doit sauter dans une poignée de secondes. On se regarde, on se touche. On doute de la réalité de l’autre, de ce moment fantasmé qui nous a  permis de rester en vie. Je la prends dans mes bras et elle fait de même. Alors seulement je lui avoue la vérité, celle que je n’ai pas osé m’avouer, celle que je n’ai pas osée vous révéler :

- Je savais que je ne pourrai pas te sauver.

Elle me regarde, stupéfaite.

- Alors pourquoi ?

Nous ne pouvons pas savoir que la maison est piégée et qu’il ne nous reste plus qu’une poignée de secondes à vivre. Et pourtant je lui réponds :

- Parce que je voulais mourir avec toi.

Tandis que le minuteur de la bombe atteint le zéro fatidique, je repense à notre vie, aux ingrédients si infimes soient-ils qui l’ont composée en l’espace de quelques heures.

Je repense à ses cheveux, à ses mains, à son cou enjolivé d’une mèche, à ses yeux qui me fixent et me révèlent mon existence à ce monde comme rien d’autre avant ne l’avait fait. Et puis mon cœur qui s’improvise chanteur d’opéra avec tout l’orchestre derrière pour me signifier combien cette rencontre est miraculeuse. Impossible de savoir pourquoi.

Lui seul le sait. Car le cœur a sa propre mémoire.

Son cœur à elle le sait également. Et c’est pourquoi elle m’embrasse.

Alors comme pour immortaliser notre étreinte et ma déclaration d’amour, la maison explose et nos corps fusionnent dans un déferlement de feu.

 

Il est 14h30.

Il rentre dans la banque.

Il s’approche des bureaux.

J’ai la tête baissée. Je consulte un dossier.

J’ai le cœur qui cogne. Je ne vois pas encore son visage et pourtant j’ai le cœur qui cogne comme si lui l’avait déjà vu.

 

Quand je relève la tête,  je cogne avec lui...

 

 

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Du Sommeil du Juste [Nouvelles/Anticipations]

 

 

- Il est végétarien. Je parie que tu l’ignorais. Je suis certain que tu l’imaginais épris de viande fraîche, égorgeant lui-même poulets, canards, agneaux…

- Comment sais-tu qu’il est végétarien ? Il te l’a dit peut-être ?

Je riais presque en formulant ma question tant l’assurance de mon ami m’apparaissait contestable voire ridicule.

Il ne répondit pas. Mais le sourire qu’il produisit me glaça jusqu’au sang.

Je serrai les poings.

- Cet homme est la pire aberration que la terre ait jamais portée. Je ne permettrai pas qu’il la foule à nouveau.

A nouveau ce sourire effrayant, implacable, qui me désarmait et faisait de moi un pathétique rempart contre le mal qui siégeait en ce lieu.

Mon ami profita de mon impotence manifeste pour s’imposer :

- Si cet homme n’avait pas existé, s’il n’avait pas fait ce qu’il a fait, tout le bien qui est né pour contrer ses projets n’aurait pu de ce fait voir le jour. Cet esprit de résistance, cette bravoure, cette fraternité chez les uns et cet élan de soutien chez les autres, comment auraient-ils pu naître autrement ? Les héros sont nécessaires à ce monde. Et pour les créer, il leur faut un mal à leur mesure. Le génie de cet homme, ce n’était pas de rallier des hommes à sa cause et à sa vision. Au contraire. Son véritable talent - qu’il n’a sans doute pas eu le loisir de mesurer -  c’est d’avoir su engendrer une formidable solidarité autour de la notion de bien. Grâce à lui, tout était clair. On pouvait changer de camp, mais on ne pouvait ignorer de quel côté on était. C’est précisément ce qui manque au monde d’aujourd’hui. La frontière entre le bien et le mal est devenue floue, les repères plus complexes. Il faut à nouveau que le mal absolu se dresse sur cette terre afin que de nouveaux héros s’éveillent et luttent côte à côte. Il faut une évidence, un symbole. Il faut faire cesser ce flottement nauséabond, apathique, dans lequel nos esprits s’embourbent jour après jour. Le mal absolu est une vertu. Il rend tout si transparent, si lisible.

- Bon dieu, éructai-je. Ferme ta gueule ! Tu es aussi fou que lui !

Je ne pouvais en supporter davantage. Je sortis mon arme et la pointa sur lui. Ce geste m’apparut naturel, même si j’ignorais mes intentions précises à plus long terme.

Il ne fut pas le moins du monde intimidé. Il croisa les mains dans son dos.

- Merci de me donner raison. Tu vois. Ca a déjà commencé. Tu es maintenant un héros, toi qui, auparavant, n’étais qu’un petit flic des bas quartiers. Sa simple évocation suffit à faire naître des vocations de guerriers, même chez les individus les plus insignifiants. C’est cela son véritable pouvoir. Alors imagine s’il était à nouveau en course.

J’ôtai le cran de sûreté.

- Suis-moi. Nous allons sortir d’ici.

Mon ami se raidit.

- Je n’irai nulle part. Tu devras me tuer.

A mon tour, je lui décochai un sourire carnassier.

- Je n’aurai pas besoin d’aller jusque-là.

Je levai mon revolver pour l’assommer. Il évita mon attaque et agrippa mes poignets. Nous luttâmes sans mot dire, sans un cri, sans injures. Ce qui rendit cette lutte plus âpre encore. Et tandis que nous luttions pour la possession de mon arme, je me rappelle avoir eu la vision de ce sarcophage vitré à l’intérieur duquel dormait du sommeil du juste cet être innommable, ce mal incarné, responsable de tant d’atrocités. Cela eut un effet incroyable sur moi. Mes forces furent décuplées en un instant. Bandant mes muscles, j’envoyai violemment mon adversaire à terre. Ayant récupéré l’arme, je me jetai sur lui et l’assommai d’un coup bien ajusté.

Mon ami allait répondre de ses actes devant les autorités.

Quant à celui qui reposait, imperturbable, au milieu de la pièce, il allait bientôt trouver le seul véritable repos qu’il méritait d’avoir.

Je me dirigeai vers le sarcophage, en proie à une haine implacable. Je pointai le pistolet vers le visage du monstre. Cette mèche… Cette moustache…

Je pris conscience que j’allais pouvoir enfin accomplir une tâche dont tant d’autres avant moi avaient voulu s’acquitter. Avec la plus farouche détermination, sans l’ombre d’un doute, je pressai la détente. Il n’y eut aucun bruit, aucune détonation. Je ressentis un choc terrible en comprenant que le chargeur de mon arme était vide. Ce salaud avait la chance avec lui.

Heureusement, je repris rapidement mes esprits. Ce n’était pas une stupide négligence qui allait m’empêcher de remplir ma mission. Une mission que je devais autant à moi-même qu’à tous ceux qui avaient péri et souffert sous le règne de terreur du dictateur.

Plus jamais, me répétai-je tout en recherchant fiévreusement une arme digne de ce nom. Etrangement, je me surprenais à rejeter certains objets que je jugeais trop communs pour assassiner un homme tel que lui. C’était un monstre, mais en premier lieu une légende, aussi néfaste fut-elle. Et puis il fallait que je brise ce satané couvercle qui abritait son corps.

Son corps que je voyais respirer comme la plus suprême offense.

Finalement je m’emparai d’une chaise qui, hélas, ne répondit pas à mes attentes et se brisa sur le verre manifestement renforcé. Retournant à ma voiture, je trouvai enfin de quoi accomplir ma mission. Mais comble d’ironie, ni la clé anglaise, ni le poing américain ne purent entailler la surface du couvercle. J’étais en plein cauchemar. Je commençais à trouver la situation particulièrement grotesque. Quelques centimètres seulement me séparaient du plus grand bourreau de l’humanité et j’étais incapable de les franchir. Je pouvais sortir chercher de l’aide, téléphoner, mais j’étais entré dans un état second qui interdisait toute éventualité de laisser à quelqu’un d’autre le soin d’expédier le dictateur dans sa dernière demeure.

Et de toutes façons, qui me croirait ?

Il fallait que je trouve un moyen d’ouvrir ce diable de sarcophage puisque je ne pouvais le briser. Il datait probablement de la seconde guerre mondiale. Aussi résistant était-il, il ne pouvait être très compliqué à ouvrir. Je cherchai une commande, un bouton, un levier sur le socle. Rien. Plusieurs câbles en partaient dont je suivis des yeux les méandres. Ils conduisaient dans une pièce attenante que j’avais déjà fouillée intégralement sans rien remarquer d’intéressant. Je m’apprêtai à y retourner en désespoir de cause lorsque le son d’une voix me figea sur place. Quelqu’un venait de parler en allemand. Et en me tournant légèrement, je sus, en voyant son corps toujours inanimé, qu’il ne s’agissait pas de mon ami.

Je me retournai complètement. Le plus grand criminel de tous les temps se tenait face à moi. Il s’était assis sur le rebord du sarcophage. Il se frotta les yeux comme un enfant. Il avait l’air extrêmement fatigué. Avait-il dormi depuis la date supposée de son suicide en 1945 ? C’était complètement surréaliste. Il avait l’air affaibli, désorienté, mais il était vivant, si terriblement vivant. Savait-il à quelle époque il était ?

Ses yeux… Il me dévisagea soudain gravement, regarda autour de lui, avant de prononcer à nouveau quelques mots en allemand. Le führer s’adressait à moi. Je fis un effort considérable pour me rappeler les rudiments de cette langue acquis au cours de mes années d’étude. Mais c’était si lointain. Il répéta sa phrase. Plus fermement. J’étais tétanisé. Ce n’était pas une question. Il voulait quelque chose. C’est tout ce que je comprenais. Devant mon hébètement, il se mit à faire de grands gestes avec sa bouche comme s’il mastiquait énergiquement un aliment. Là tout devint clair. Le Führer avait faim. La surprise passée, je m’entendis lui répondre :

- Pas de viande, c’est bien ça ?

 

 

 

 

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Les Mots de la Vie [Nouvelles/Fantastique]

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   Elle avait fermé les yeux depuis un moment déjà, ce qui ne diminuait en rien le charme que Robert lui avait toujours trouvé, même s'il avait été le seul. Personne dans son entourage, encore moins dans sa famille, n'avait compris son choix. "Ordinaire" était le mot qu'il avait toujours lu dans les yeux de ses proches pour qualifier la femme de sa vie sans jamais l'entendre. Mais cela n'avait jamais été nécessaire d'en arriver là, il avait perçu très tôt cette forme de rejet à son encontre. Dans son malheur, il avait relativisé. Au moins cela lui avait-il permis de mieux mesurer la stupidité de ceux qu'il pensait être des amis dignes de ce nom. Car foncièrement, ils n'avaient jamais rien eu à reprocher à sa femme. Hormis qu'elle ne correspondait pas du tout à leur propre fantasme.

Ils avaient donc un peu vécu leur amour dans une bulle. Ce qui n'avait pas été pour leur déplaire.

La lumière épousait les traits de sa femme avec une grâce presque intentionnelle. Comme pour lui rendre hommage. Le fait est que le moment était particulièrement bien choisi. Ses longs cheveux roux flamboyaient comme pour annoncer l'issue fatidique de la cérémonie. Robert pleura et se pencha pour embrasser le visage impassible. Il essaya de ne pas penser à ce qu'il adviendrait de lui dans quelques instants. En vain. Il sentit alors la douleur lui étreindre le coeur et creuser en lui un insondable gouffre. Il était en train de perdre une partie de lui-même et il sut intuitivement que ce n'était là qu'un avant-goût de son deuil futur.

Quelqu'un ferma le cercueil, clôturant par la même occasion le plus beau chapitre de sa vie.

 

L'hiver prenait racine cette année là, rendant ses perspectives de survie encore plus faibles qu'auparavant. Grelottant de froid malgré un manteau trop long, elle faisait peine à voir, le visage blanc comme un linge, des cernes inquiétantes sous des yeux trop grands pour son visage d'enfant. A 21 ans, elle n'était pourtant plus une petite fille. Mais la rudesse de son adolescence avait creusé ses traits, dénaturé sa démarche et son regard au point de la faire paraître comme une rescapée de guerre.

Quand chaque jour est une lutte pour vivre le jour suivant, le mot guerre n'est pas exagéré. La faim et la soif, elle connaissait, au point que parfois manger et boire lui faisaient peur. Lorsqu'on a des repères, quels qu'ils soient, les perdre est toujours un moment délicat, un dilemme extrême. Plus d'une fois, elle avait boudé sa nourriture alors que son estomac n'était plus qu'un insondable gouffre. Elle avait peur d'être rassasiée comme on peut craindre le bonheur après des années de dépression.

Elle évitait toujours la fouille des poubelles en publique. Se raccrocher à quelques vestiges d'éducation lui permettaient de garder un minimum vital de dignité humaine. Et dans son cas, cela valait de l'or, évidemment.

 

Robert rentra chez lui. Il ne se souvenait pas du trajet. Il avait conduit mécaniquement, laissant son cerveau le piloter lui-même en mode automatique. Il n'était plus vraiment là. Terrassé par l'ampleur de la tragédie, son esprit cherchait un espace-temps digne de l'abriter en attendant que l'orage passe. Il allait falloir être patient, les prévisions météo étant une denrée rare dans ce cas précis. C'est tout aussi machinalement qu'il ouvrit sa boite aux lettres. Il n'espérait ni n'attendait de courrier particulier. Au contraire. N'importe quel prospectus serait déjà en soi une lame suffisamment aiguisée pour élargir la plaie qui déchirait son âme en deux. Tout ce qui désormais le ramènerait à son existence terrestre serait un martyre. L'enveloppe était tellement petite qu'il faillit ne pas la voir. Sa taille fut moins la source de sa curiosité que l'élégance de l'écriture. Il ne connaissait personne qui avait une telle écriture. Elle n'avait pas été postée, mais déposée directement à son domicile. Ce qui, évidemment, attisait son intérêt.

Avide de se distraire, son esprit oublia la tempête pour un temps et se plongea dans la lecture de cette lettre mystérieuse.

 

Vous ne me connaissez pas et pour ainsi dire je ne vous connais pas non plus. J'en sais néanmoins assez sur vous pour m'octroyer le droit de m'adresser à vous de cette manière. Vous vivez actuellement un drame que je ne prétends pas comprendre, même si j'ai moi-même connu des moments de grande solitude. Les raisons qui me poussent aujourd'hui à écrire cette lettre sont trop complexes pour que je veuille sacrifier l'attention privilégiée que vous voulez bien me porter. Aussi irais-je droit au but : je connais le moyen de vous faire retrouver l'être si cher à votre coeur et j'ai toutes les raisons de vous le transmettre sans rien exiger en retour. Tout ce que vous avez à faire c'est de suivre scrupuleusement les quelques instructions ci-dessous. Je vous laisse décider de l'honnêteté de ma démarche. En espérant que contre toute raison, votre intuition vous assure du respect et de l'estime que j'ai pour vous.

 

Il n'y avait, bien entendu, aucune signature. Robert eut du mal à cacher son trouble, encore moins à ne pas soupçonner sa famille de se jouer de lui et de son infortune. Etaient-ils capables d'étendre leur perversité à cette extrémité ? Robert n'avait aucune envie de le vérifier et c'est pourquoi, sans même lire la suite, il chiffonna la lettre et rangea la boulette de papier dans sa poche. Un bon feu de cheminée l'attendait et cette supercherie ferait un excellent combustible.

 

La chaleur. Elle essayait de s'imaginer devant un bon feu de cheminée au point de sentir son corps réagir à une température aussi positive que virtuelle. Cela marcha quelques secondes. Elle sentit une douceur l'envelopper, une légèreté, un confort désarmant. Et puis les flocons de neige emportèrent son rêve comme une feuille morte. Elle qui aimait religieusement la neige étant petite la détestait à présent plus que tout au monde. Ce manteau blanc représentait pour elle son innocence perdue, la confrontait malgré elle à la vie qu'elle avait perdu, à ses espoirs gelés. Elle ne supportait pas le bonheur des autres, mais peut-être encore moins celui qu'elle avait pu connaitre, il lui semblait une éternité de cela. Elle connaissait bien le quartier et les squatters comme elle qui le peuplaient. Cela n'était, hélas, pas toujours d'un grand réconfort. Elle s'était trop éloignée de son antre comme elle appelait affectueusement l'abri le plus cher à son coeur. La tempête de neige était maintenant trop forte pour qu'elle put envisager d'y retourner sans encombre. Elle devrait improviser. Elle lécha la glace accumulée sur ses lèvres. Question d'habitude.

 

Robert allongea ses jambes maigres devant la cheminée. Ses pieds nus recueillirent la chaleur du feu avant de la projeter joyeusement dans tout son corps. Malgré cela, un froid persistait en lui que même le volcan le plus actif ne serait en mesure de neutraliser. Il plongea ses mains dans ses poches comme pour s'armer davantage contre ce mal-être. C'est ainsi qu'il retomba malgré lui sur la lettre mystérieuse. Son destin était déjà scellé. Il leva la main pour lancer la boulette de papier dans l'âtre, mais ne put se résoudre à terminer son geste. Il n'avait pas lu la fin. Ce simple constat l'empêchait clairement de mettre son projet à exécution. Il chaussa son nez de coûteuses lunettes - l'un de ses rares luxes - avant de déplier la lettre et de décrypter l'écriture rendue moins élégante par les innombrables pliures du papier.

 

Pour exaucer votre souhait, vous devez respecter à la lettre ces deux conditions :


- Ecrivez tout ce que vous avez sur le coeur, sans retenue, ni compromis.

- En guise de crayon, utilisez de l'encre naturelle et la plume d'un oiseau né le même jour que vous. 

 

Robert ne s'attendait évidemment pas à pareil dénouement. Ou plutôt n'était-ce pas précisément ce qu'il avait craint et l'avait incité à ignorer la finalité de ce message pour le moins suspect ? C'était un canular, cela ne pouvait être autre chose, une farce d'une connaissance à lui ou bien d'un inconnu, peu importait. Il expira bruyamment. Il était peut-être fragile, mais ce n'était pas pour autant qu'il allait naïvement tomber dans le panneau.

 

Blottie dans une encoignure de porte, en attendant que la tempête passe, elle pensa à son père. Elle pensait toujours à son père dans les moments les plus sombres de son existence. Difficile de faire autrement. C'est quand il l'avait quittée, qu'elle s'était retrouvée seule au monde, désemparée, impuissante. Il s'était tellement bien occupé d'elle, il l'avait tant aimée, que la vie sans lui s'était vite transformée en cauchemar. Incapable de faire face à sa douleur, elle s'était complètement coupée du monde. Et il ne s'était guère passé de temps avant que la rue ne lui ouvre les bras.

- Papa.

Elle tenta de l'invoquer, pour raviver ses meilleurs souvenirs. Mais un déluge de larmes noya sa tentative que le froid implacable gela comme pour censurer son émotion naissante.

 

Robert resta plusieurs jours inerte, se levant rarement, se nourrissant encore moins.

Un matin, il réalisa qu'il n'avait toujours pas brûlé cette maudite lettre alors il arma son bras pour la projeter dans l'âtre. Une pensée soudaine l'arrêta. Mais s'il n'y plaçait aucune attente, aucun espoir, que risquait-il à aller jusqu'au bout ? Ce petit jeu occuperait son esprit et lui permettrait en outre d'extérioriser ses états d'âme. Il y avait pire comme coup fourré. Et de savoir que les mauvaises intentions de son mystérieux persécuteur ne l'affecteraient pas le moins du monde ne pouvait que le motiver à s'investir pleinement dans ce projet.

L'encre ne posait aucun problème, ce n'était pas une denrée rare. Mais restait à résoudre le problème de la plume. Un oiseau né le même jour que lui. L'espèce n'était pas précisée, il supposa que cela ne revêtait pas une grande importance. Sa recherche en serait facilitée. Mais le même jour, cela sous-entendait-il aussi la même année ? Trouver un oiseau de 35 ans paraissait déjà être une gageure, alors avec une date de naissance identique à la sienne !

Robert secoua la tête et se mit à rire. Il imagina sa femme rire aussi en le voyant se triturer les méninges pour si peu. Il haussa les épaules. L'âge suffirait bien. Après tout, il faisait ça juste pour s'occuper. Ni plus, ni moins.

Il n'était pas expert en ornithologie, mais à son sens, un oiseau ne devait pas vivre bien longtemps. Assurément plus qu'un rongeur, mais sûrement moins qu'un chien ou un chat. Il lui faudrait pas mal de chance. Et puis comment connaître l'âge précis d'un oiseau ? Il s'imagina capturer un pigeon dans la rue et lui demander poliment sa date de naissance. Il se mit à rire sans savoir s'il pourrait s'arrêter. Il s'essuya les yeux avant de comprendre qu'il commençait aussi à pleurer. Sa femme était toujours là, dans un recoin de son esprit, indissociable de la moindre de ses pensées. Il repensa alors au jour où il avait compris qu'elle ferait toujours partie de lui. La mémoire lui revint rapidement. C'était lors de cette journée au zoo, où, main dans la main, ils observaient les espèces sans mot dire, leur coeur discourant à bâtons rompus, comme réanimé après une interminable période de sommeil. C'était au début de leur relation, cette période où un couple expérimente toutes sortes de distractions moins par intérêt que pour exposer leur amour à la lumière d'un nouveau décor, d'un nouveau public. Lorsqu'on s'aime, on est régulièrement en représentation, plus souvent qu'on ne le pense. Et c'est lorsqu'on se retrouve seul qu'on s'en aperçoit le plus.

Robert se laissa complètement possédé par cette émotion passée. Il pouvait encore sentir l'odeur âcre des animaux en captivité contrastant avec le parfum fleuri de sa douce. Lorsqu'il ouvrit les yeux, son poing fermé tenait la lettre comme pour catalyser ses idées. Il sourit. Il savait où trouver un oiseau qui lui dirait son âge.

 

Le gardien du zoo le toisa avec perplexité.

- Un oiseau de trente-cinq ans, dites-vous ?

Le vieil homme se gratta la tête.

- Bah, je pense à Voltaire, mais je suis pas sûr à cent pour cent, faudrait que je vérifie le registre.

Robert se mordait nerveusement les lèvres, tenaillé entre son désir de satisfaire au mieux les exigences de la lettre et sa volonté de ne pas prendre tout cela... au pied de la lettre justement.

- Voltaire, c'est...un oiseau ?

Le vieil homme s'esclaffa tout en compulsant des notes manuscrites.

- Oui ! C'est vrai que c'est un nom bizarre pour un oiseau. C'est moi qui ai eu l'idée. Comme c'est un vautour, vous comprenez, ça sonnait bien. Voltaire le Vautour. Et puis, c'est une espèce qui a tellement mauvaise réputation que de lui donner un nom aussi classe je trouvais que ça rééquilibrait un peu la balance, vous voyez.

Robert acquiesça à son tour, perplexe.

- Un vautour ? J'ai rien contre cet oiseau, vous savez, mais j'aurais préféré...

- Ah ! Le voilà ! Voltaire, né le 12 août 1977. Trente-cinq ans, donc !

Robert ouvrit la bouche sans qu'aucun son ne puisse en sortir.

Le gardien s'alarma.

- Vous vous sentez bien ?

Robert déglutit. Son corps entier se couvrit d'une sueur glacée.

- Je suis né le 12 août 1977.

Le vieil homme s'esclaffa derechef et lui donna une bourrade dans le dos :

- Et bien on dirait que vous avez tiré le bon numéro ! Sacrée bande de veinards !

 

Une fois rentré chez lui avec en sa possession une plume dudit Voltaire, Robert ne put se résoudre à continuer de voir en cette lettre une quelconque manipulation. Le souvenir de sa femme, le zoo, la date de naissance du vautour. Trop de coïncidences. C'était forcément lié, cela voulait forcément dire quelque chose, lui dire quelque chose.

Ecris-le !

A partir de ce jour, Robert se lança à corps perdu dans l'écriture de sa vie et de celle de son amour disparu. Tout à son devoir de restituer à la perfection la vérité de ses sentiments, il en oublia de dormir, de manger et de boire. Sa santé se dégrada sans qu'il en eut conscience. Ce n'est que lorsqu'il se trouva dans l'incapacité d'écrire le moindre mot qu'il songea à reprendre des forces. 

Le livre fut terminé en quelques semaines. Il restait des retouches à faire, bien sûr, mais l'essentiel était inscrit noir sur blanc. Robert en ressentait une fierté sans pareille. Il avait pu ainsi revivre les meilleures années de son existence, son esprit désaltéré par la source de tous ses plus beaux souvenirs. Il embrassa la plume.

- Merci Voltaire. Je ne penserai plus jamais de mal de ton espèce.

Mais maintenant qu'il avait obéit aux volontés émises par la lettre, une énigme demeurait encore : comment sa femme allait-elle bien pouvoir lui être ramenée ? Devait-il attendre sagement son retour ? Viendrait-elle sonner simplement à la porte ? Lui fallait-il exposer ses cendres en un lieu symbolique pour la voir renaître tel un phénix ?

Son mystérieux bienfaiteur ne mentionnait rien à ce sujet. Plutôt que de se torturer l'esprit inutilement, Robert décida de ne rien faire. Il se persuada que l'absence de détails à ce sujet sous-entendait que le reste se déciderait sans lui, qu'il n'avait rien de plus à faire. Il espérait seulement que quelle que soit la forme du miracle, il se produirait dans un avenir proche et de manière évidente.

Craignant que son apparence négligée n'effraie l'élue de son coeur, Robert retrouva une hygiène de vie digne de ce nom et se remit à sortir, n'oubliant jamais de prendre le livre avec lui, la précieuse lettre glissée dans ses pages. L'attente était difficilement supportable d'autant qu'il ne recevait aucun indice susceptible de lui indiquer la progression du miracle. Plusieurs jours s'écoulèrent ainsi. Il observait l'urne avec insistance, croyant parfois déceler un mouvement suspect. Mais il s'apercevait rapidement que c'était le fruit de son imagination.

Un soir, pour s'occuper l'esprit, il décida de relire son livre et d'y apporter d'ultimes corrections, espérant aussi par ce geste accélérer le processus de résurrection. Seulement, il lui fut impossible de remettre la main dessus. Il retourna la maison sens dessus dessous, mais en vain. Il s'écroula sur le canapé, anéanti. Il comprit que durant l'une de ses sorties, il avait dû l'oublier sans y penser, sans doute sur un banc. Il pensa immédiatement à un jardin publique et se précipita dehors. La seule pensée que le livre put être entre d'autres mains que les siennes fut comme un coup de couteau en plein coeur. D'autant qu'il était probable que cela affecte grandement le retour de sa femme. Agité comme un fou, il sillonna la ville, en tentant de se remémorer les différents trajets parcourus. Encore une fois sans résultat.

Il rentra chez lui vers midi, tout débraillé, le visage blême, les traits tirés, le regard halluciné de celui qui a approché le Paradis pour mieux tomber en Enfer. C'est presque mécaniquement qu'il ouvrit la boite aux lettres pour en extraire le courrier. Ses yeux se posèrent immédiatement sur une petite enveloppe. Il reconnut immédiatement l'écriture. Il ouvrit l'enveloppe et lut la lettre avec fébrilité :

 

J'ai le regret de vous annoncer que j'ai omis de vous faire part de deux conditions supplémentaires pour que votre requête aboutisse :

- Vos écrits doivent être lus impérativement et intégralement par une personne portant le même prénom que l'être dont vous souhaitez le retour.

- Vous ne devez écrire qu'un seul exemplaire de votre journal

Avec toutes mes excuses.

 

Robert se laissa tomber au beau milieu de la rue. Pouvait-il être maudit à ce point après avoir connu l'ivresse de tant d'espoir ? Le visage de sa femme lui apparut, flou, imprécis, désormais plus distante qu'elle ne l'avait jamais été. Et de sombres pensées vinrent alors l'assaillir.

 

L'écriture était élégante, le texte soigné et émouvant. Emilia ne comprenait pas comment le livre avait pu être abandonné de la sorte. A défaut de lui réchauffer le corps, l'histoire lui réchauffa le coeur. Surtout quand l'auteur, un dénommé Robert, raconta sa rencontre avec une certaine Emilia et leur amour grandissant. Drôles de coïncidences. L'auteur portait le même prénom que son père et sa bien-aimée le même prénom qu'elle. Des raisons plus que suffisantes pour se plonger à corps perdu dans ce journal écrit avec le coeur. Le temps était redevenu clément. Emilia sourit, ce qui ne lui était pas arrivé depuis longtemps. Elle ne mangerait peut-être pas aujourd'hui, mais son esprit serait repu, et cela était tout aussi appréciable pour elle. Tout en parcourant le livre, elle songea qu'elle pourrait elle aussi raconter son histoire, raconter ses plus belles années avec son père et même sa douleur quand il était mort et qu'elle était devenue asociale. Tandis qu'elle se faisait cette réjouissante réflexion, elle trouva une enveloppe faisant sans doute office de marque-page. En lisant l'adresse écrite dessus, elle éprouva une grande joie en comprenant qu'elle pouvait redonner ce livre si précieux à son propriétaire et lui témoigner toute sa sympathie par la même occasion. Mue par une enivrante curiosité, elle pêcha la lettre à l'intérieur de l'enveloppe et en découvrit le contenu.

Qui semblait terriblement s'adresser à elle.

 

Le gardien du zoo se planta devant la jeune femme, les mains sur les hanches.

- L'âge de mes oiseaux ? Mais qu'est-ce que c'est que cette nouvelle lubie ? Vous êtes la deuxième personne à me demander ça ! C'est un nouveau jeu télévisé ou quoi ? Savent vraiment plus quoi inventer pour faire frémir la ménagère !

- Avez-vous un oiseau âgé de 21 ans ? demanda timidement Emilia.

- Vingt et un ans ? Et bien il y a Providence. Né le 8 mai 1992.

Emilia écarquilla les yeux comme si elle avait vu un fantôme.

- Vous aussi ? Et bien on dirait que vous avez tiré le bon numéro ! Sacrée bande de veinards !

 

Emilia prit la plume du cygne que lui tendit le vieil homme ainsi que l'encrier et plusieurs feuilles de papier. Elle ne lui avait pas précisé l'usage qu'elle comptait faire de tout cela et lui avait cru bon de ne pas s'en inquiéter.

- Merci, fit-elle, des larmes plein les yeux.

- Bah faut pas vous mettre dans un état pareil, fit le gardien en se méprenant sur sa réaction. J'aboie beaucoup, vous savez, mais j'ai jamais mordu personne, pas comme ce vieil émile.

Voyant que la jeune femme ne comprenait pas, il ajouta avec un clin d'oeil :

- C'est un alligator que j'ai appelé comme moi. Sale caractère, mais on s'entend comme larrons en foire.

Alors qu'Emilia s'éloignait, il ajouta avec humeur :

- Bon, mais vous direz à la production qu'il y a d'autres zoos dans la région. J'ai autre chose à faire, quand même ! Et vous écrivez rien sur moi, c'est compris ! J'ai pas envie de passer à la télé pour exciter la ménagère, moi !

 

Robert regardait droit devant lui. Il fixait l'horizon au-dessus du champ. Si on ne pouvait pas lui rendre Emilia, alors c'est lui qui se rendrait jusqu'à elle. Après tout, c'est le destin qui l'avait voulu ainsi. Pourquoi s'y opposer si au final il réalisait son voeu le plus cher ? Il posa un pied sur la voie ferrée comme pour mieux se faire à l'idée. Il ne sentirait rien. Il serait mort avant. Il avait confiance. Son amour le guidait.

 

Emilia se trouva un coin tranquille, à l'abri des regards. Question d'habitude. La roue semblait vouloir tourner pour elle. Enfin. Si ce Robert avait suivi les instructions de la lettre, c'est qu'il croyait en leur pouvoir de lui ramener sa femme. Et de ce fait avoir abandonné son livre était certainement un rituel propre à finaliser l'opération. Elle savait qu'elle devait se méfier, mais la perspective de revoir son père lui procurait tellement de joie qu'elle n'avait aucune envie de gâcher ce qui constituait peut-être pour elle l'unique possibilité de retrouver sa vie d'antan. Elle se dit qu'il serait plus sage d'aller voir Robert pour savoir si le miracle avait eu lieu. Et puis l'envie de revoir son Robert à elle fut plus forte. Elle trempa délicatement la pointe de la plume dans l'encrier et la posa aussi délicatement sur la page vierge.

 

La silhouette tortueuse du train se profila. Robert inspira longuement. "Un aller simple, s'il vous plait." plaisanta-t-il in petto. De pouvoir rire de la situation ajouta à sa sérénité. Le transport roulait à un train d'enfer. Aucune chance d'en réchapper.

 

Tandis qu'elle goûtait au plaisir de laisser les mots traduire ses pensées les plus intimes, Emilia fut frustrée de ne pas trouver la bonne expression pour refléter la dureté de son deuil et cette volonté de vouloir lui échapper à tout prix. Elle savait que Robert en avait trouvé une très juste qu'elle s'était aussitôt appropriée. Elle se souvenait juste des mots abri et espace-temps, mais le reste se dérobait inexplicablement. Pourquoi ne s'en souvenait-elle pas ? Résolue à la retrouver, elle relut le livre et finit par retomber sur la formule recherchée. Elle réalisa du même coup qu'elle n'avait pas été jusqu'au bout du journal. Elle regarda le nombre de pages qui lui restait à lire et contempla son propre texte, peu avancé.

 

Le train fit entendre sa plainte. Funeste en ces circonstances. Les rails tremblèrent. La tête surgit. Robert s'avança en étant assuré que le conducteur ne pourrait pas l'éviter. Il sentit la puissance du véhicule, comme le souffle d'un géant. Il ouvrit les yeux et regarda les wagons disparaître de sa vue les uns après les autres. Il l'avait manqué. Il ne comprenait pas. Il s'était pourtant avancé sur les rails, juste devant lui. C'est alors qu'il senti quelque chose de chaud et de doux dans sa main. Il tourna la tête.
La lumière épousait les traits de sa femme avec une grâce presque intentionnelle. Comme pour lui rendre hommage. Le fait est que le moment était particulièrement bien choisi. Ses longs cheveux roux flamboyaient comme pour fêter leurs retrouvailles. Robert pleura.

- Emilia, c'est bien toi ? Ce n'est pas possible. C'est un rêve ?

Emilia sourit et l'enlaça.

- Bien sûr, Robert. Mais qu'importe, puisque nous le vivons ensemble.

 

Emilia ferma le livre et renifla. La fin était vraiment belle. Il lui restait si peu à lire qu'il aurait été dommage de repousser l'échéance. Mais maintenant qu'elle connaissait l'histoire d'Emilia et de Robert, il était temps pour elle d'écrire la sienne, celle de Robert et d'Emilia.

 

- Chérie, ne bouge pas, je vais ouvrir.

Emilia se rendit dans le hall d'entrée et ouvrit la porte.

Une jeune femme vêtue comme une vagabonde lui offrit un sourire désarmant.

- Vous êtes Emilia ?

L'intéressée acquiesça.

- Alors ça a marché ? C'est merveilleux ! Mon père aussi va revenir alors, hein ?

Elle se mit à pleurer.

La femme de Robert la fit entrer et se mit en devoir de la consoler. Robert découvrit la jeune Emilia avec stupeur.

- Qui est-ce ?

La jeune femme se ressaisit aussitôt en voyant Robert. Elle lui tendit son livre.

- Tenez. J'ai tout lu et je vous remercie. Ca m'a beaucoup aidé pour écrire le mien. Je suis tellement heureuse que vous ayez retrouvé votre femme. Après tout ce que vous avez vécu ! Comment ça marche ? Quand est-ce que je vais pouvoir revoir mon père ? Dites-moi que je vais le revoir ! Dites-moi que ça marche pour tout le monde !

Robert l'écoutait, tout en feuilletant son journal, comme dans un état second. Il s'était passé plusieurs semaines depuis ses retrouvailles avec Emilia. Et s'il avait déploré la perte de son livre, d'être à nouveau réuni avec l'amour de sa vie l'avait cependant très vite consolé. En retombant sur l'enveloppe glissée au milieu des pages et surtout de son fatidique contenu, il commença à comprendre la présence de la jeune femme et tous ses questionnements.

- Tu as perdu ton père, c'est ça ?

La jeune Emilia opina.

- Comment s'appelait-il ?

Elle lui répondit avec ce sourire si chaleureux.

- Robert, comme vous. Et moi je m'appelle Emilia, comme votre femme.

Robert fit un pas en arrière, ébranlé par le choc de cette révélation. Il savait ce que cela signifiait : il devait à la jeune femme le retour de sa bien-aimée ! Il la pria de patienter quelques instants, puis revint avec une lettre qu'il lui tendit.

- Il te manque un morceau du puzzle.

Elle lut avec empressement :

 

J'ai le regret de vous annoncer que j'ai omis de vous faire part d'une condition supplémentaire pour que votre requête aboutisse :

- Vos écrits doivent être lus impérativement et intégralement par une personne portant le même prénom que l'être dont vous souhaitez le retour.

- Vous ne devez écrire qu'un seul exemplaire de votre journal

Avec toutes mes excuses.

 

Robert laissa la jeune Emilia comprendre tout ce que cela impliquait pour elle comme pour lui. Sans un mot, elle lui tendit son journal qu'il prit avec cérémonie.

- Je vais le lire avec grand plaisir. Je crois que je te dois bien ça.

Puis il sourit.

- Mais ne t'inquiète pas, je lirai vite.

- En attendant, dit la femme de Robert, tu peux rester ici. Tu es la bienvenue.

 

Dans la rue, devant la maison, un vieil homme se gratta la tête avant de sourire avec malice :

- Sacrée bande de veinards !

Le cacatoès perché sur son épaule claironna :

- T'as du boulot, Emile ! Rrrrrrr ! 'spèce de limace !

- T'as raison, Francky ! Le courrier n'attend pas.

Le vieil homme ouvrit sa sacoche remplie de lettres avant de s'éloigner vers l'horizon en sifflotant.

 


 

 

Ce blog c'est pas juste un passe-temps
j'y bosse dur tous les jours
Je ne te demande pas d'argent
mais juste en retour
un petit commentaire
Ce sera mon salaire
C'est plus précieux que ça en a l'air

Les Tueurs Rêvent aussi [Nouvelles/Thriller]

 

L’opéra était sur le point de commencer.

Anton Zinsky dirigeait l’orchestre. Il était loin d’être un débutant et pourtant à chaque fois qu’il faisait face aux musiciens, la baguette levée, il éprouvait une joie sans égale.

Alors que le rideau s’écartait et qu’un décor paradisiaque voyait le jour, Anton imprima à sa baguette un lent mouvement sinueux tout en rythmant de la main gauche. Et les premières mesures retentirent dans la salle bondée du sol aux balcons.

Une voix céleste s’éleva, dominant l’envolée des cordes et hypnotisant l’assistance. Anton frissonna. Dans ces moments-là il se sentait béni des dieux. Peut-être même leur égal.

Le meilleur rôle, se disait-il. J’ai le meilleur rôle. Acteur et spectateur d’un spectacle grandiose, il avait le sentiment de se trouver au cœur d’un éden en pleine croissance, chaque ingrédient rivalisant de beauté avec le précédent, les uns se greffant aux autres pour constituer un fleuve d’émotions sans commune mesure. Lorsque la voix de la soliste fut rejointe par le chœur, Anton sentit une larme couler sur sa joue. Sa main souple devint alors un poing et la baguette cingla furieusement l’air comme pour en extraire d’insoupçonnables  délices.

La symphonie venait de gagner le cœur de chaque spectateur. Anton le savait. Il leur tournait le dos et pourtant il pouvait percevoir les vibrations émanant de chaque homme et de chaque femme aussi aisément qu’il distinguait la sonorité unique de chaque instrument. Lui-même était un instrument autant qu’un virtuose au service de la plus belle des choses : l’harmonie.

Le morceau se termina bien trop vite à son goût. Lorsqu’il fit face au public pour le salut rituel, les bouquets de roses rouges se mirent à pleuvoir sur lui. C’était un succès, mission accomplie. Il sentit l’ivresse le gagner un peu plus lorsque tout le monde se leva pour l’applaudir. Un pétale lui frôla la joue, là même où il avait pleuré, donnant naissance à une poétique larme de sang. Anton regarda presque négligemment la baguette dans sa main droite. Elle n’était plus là. A la place, il tenait une arme. Un pistolet noir comme la nuit équipé d’un silencieux. Le restaurant résonnait encore des cris des clients épouvantés. Les sept gardes du corps gisaient dans des postures qui annonçaient leur mort mieux que les impacts de balle émaillant leur corps. Le mobilier alentours témoignait de la violence de la fusillade qui venait d’avoir lieu. Le ministre le fixait de ses yeux éteints, le front serti d’un lugubre rubis. Sa femme était tombée à genoux. Elle avait la tête baissée et semblait paralysée. Anton détailla sa robe blanche virginale avant d’essuyer sa joue éclaboussée de sang frais. La cantatrice releva la tête. Elle était en larmes. Anton sut alors qu’il avait été exceptionnel ce soir. Il lui sourit. La gorge nouée par l’émotion, elle lui demanda avec espoir :

- Ni femmes, ni enfants, n’est-ce pas ?

Le tueur la contempla avec tendresse :

- Ni témoins.

La baguette virevolta une dernière fois, une dernière fois la diva donna de la voix, clôturant l’opéra avec une maestria qui laissa le public béat.

 

T’as aimé…ou pas

T’as tout lu, tout vu, tout entendu…ou pas

Peu importe, post un com et like la page pour dire que tu existes car ton avis est important pour moi, mais aussi pour le futur de ce blog, un gros merci d’avance !

Le Mot de la Fin [Nouvelles/Fantastique]

Le Mot de la Fin.jpg

L’homme était enchaîné, pieds et poing liés. Sa condition de prisonnier à elle seule reflétait une nature rebelle et menaçante au-delà de ce qu’il est possible d’imaginer.
Les gardes n’avaient pas pris la peine de le bâillonner pour la bonne raison qu’il était inconscient. Et ce, pour un moment. Ils avaient fait ce qu’il fallait pour ça.
Ils le jetèrent violemment dans la cellule et poussèrent la grille qui se ferma dans un cliquetis sonore.
Quand les sentinelles furent suffisamment loin, le prisonnier se redressa, faisant mentir leur réputation. Ses yeux clairs à l’éclat surnaturel jaillir de l’ombre de son visage comme des joyaux. Il était seul dans la pièce et pourtant il déclara solennellement :
« T’es mon dernier espoir alors je te demande de prendre très au sérieux ce que je vais te dire.»

L’Autorité finissait de rédiger une note quand le chef de la garde fut introduit dans son bureau.
- Il est neutralisé ? demanda-t-elle avec un empressement qui trahit sa nervosité.
- Oui, il ne posera plus de problèmes.
- Bien. C’est qu’il commençait sérieusement à mettre la pagaille, celui-là.
- Je vous ai toujours obéi sans poser la moindre question, mais je dois avouer que je n’ai jamais compris en quoi ce qu’il faisait était un crime.
- Je ne vous en veux pas. Je ne vous paye pas pour penser. Mais maintenant que les choses sont réglées et bien réglées, il me semble intéressant de vous donner quelque explication sur la nature des évènements que vous avez contribué à rendre aussi…sereine.

« Je ne suis pas ce que tu crois et toi-même tu n’es pas ce que tu penses être. Tu as beaucoup plus d’importance que tu ne l’imagines. Tu n’es pas simplement un lecteur de cette histoire. Tu n’en es pas que le témoin. Tu peux influencer son cours et surtout sa finalité. Ecoute-moi attentivement. Car je vais t’expliquer comment. De ton choix va dépendre le sort de beaucoup de personnes. De tout un monde, sans vouloir te mettre la pression. »

- La première fois que j’ai entendu parler de lui, il criait sur les toits que le monde vivait dans l’ignorance. Que le monde était différent de ce qu’il semblait être.
- Oui, je me souviens. Il disait qu’il était plat.
- C’est cela.
L’Autorité exhiba sa note avec un geste sophistiqué.
- Aussi plat que cette feuille.
- A compter même que cela soit vrai, comment pourrait-il le savoir ?
- C’est ce que je lui ai demandé lors de notre entretien. Et vous savez ce qu’il m’a répondu ?

« Je suis un voyageur. Je voyage d’histoire en histoire. Je ne sais pas pourquoi j’en suis capable et il y a bien longtemps que j’ai cessé de me poser la question. J’accomplis mon destin, je réponds à un besoin et la nature de ce besoin suffit à m’encourager à poursuivre mon but, quel qu’en soit le prix. Mais je ne peux y arriver seul. Toi et moi faisons partie de cette histoire, là, à ce moment précis où tu lis ces mots. Chacun d’un côté de la page. Et chacun à notre façon. Mon rôle est de t’informer que tout ce que tu lis prend vie et que tout ce que tu ne lis pas, même si c’est écrit, n’existe pas. Tu peux faire de cette histoire dramatique, une belle histoire, une histoire qui se termine bien. Il ne tient qu’à toi de t’arrêter de lire au bon moment. Et le bon moment moi seul le connais. C’est pour ça que j’ai besoin de toute ton attention, de toute ta confiance. »

- Il voulait peut-être simplement devenir célèbre, déclara le chef de la garde pour qui une telle ambition n’avait par ailleurs pas grand intérêt.
- C’est ce que j’ai pensé au début. Braver l’Autorité, ça a toujours son charme aux yeux de la populace. Mais quelque chose me troublait chez cet homme. Rien de visible, de palpable. Une impression tenace, suffisante pour me faire croire qu’il disait la vérité. J’ai alors convoqué le Chaman.
- Le Chaman ?
- Oui, c’est ce que je viens de dire.
- Il a lu en lui ?
- Il a vu des choses, effectivement. Et rien de rassurant. Car l’homme que vous avez enfermé dans la Salle au Trésor est la plus grande menace que nous ayons jamais connue. Le Chaman n’a pas su me révéler son identité. Tout ce qu’il sait à son sujet c’est qu’il peut communiquer avec une entité extérieure à notre dimension. Une entité très puissante, invisible, avec le soutien de laquelle il lui est permis de changer la nature même de ce monde. C’est pour cette raison qu’il ne doit en aucun cas rester seul dans l’obscurité. Car la solitude et l’obscurité lui confèrent le pouvoir de communiquer avec l’entité.
- Hum…Très intéressant. Et c’est quoi cette entité ?
- Il a employé le mot…

« Observateur, tu l’as toujours été, mais il temps pour toi de devenir Acteur. Dès que je te le dirais tu ôteras tes yeux de cette page, tu cesseras de lire. »

- Très intéressant. Mais il y a juste un détail que je tiens à rectifier, Monsieur.
- Ah, oui et lequel ?
- Le prisonnier n’a pas été enfermé dans la Salle au Trésor.
L’Autorité sembla grandir sous l’effet de la colère :
- Mais pourquoi donc ? Je vous l’avais ordonné !
- Sauf votre respect, il n’y avait plus de place. J’en profite pour vous féliciter sur l’état de vos finances.
- Mais où l’avez-vous mis alors ? rugit l’Autorité.
- Là où il y avait de la place. En isolement.
- Il est donc seul ?
- Absolument.
- Vous l’avez bâillonné au moins ?

Le prisonnier se tenait pieds nus sur un amoncellement de chaînes comme autant de serpents désarticulés désormais inoffensifs. La manière dont il s'en était défait resterait un mystère. Il crocheta la serrure avec une esquille d’os de son propre bras. Ses innombrables voyages lui avaient appris à ignorer la douleur, sous bien des formes. Deux gardes étaient postés tout près de là.
« Tu peux fermer les yeux et reprendre quelques lignes plus bas. Ca va pas être beau à lire. »

Le premier garde sentit une main lui traverser la poitrine dans un jaillissement de viscères. La main s’empara de la lame du second et lui ouvrit la gorge. Le garde porta ses mains à la blessure béante et la lame en profita pour lui agrandir l’entrejambe.
« Je t’avais prévenu. J’ai rien d’un saint. »
- N’ayez crainte. Il n’est pas là-bas depuis très longtemps. Je vais immédiatement le transférer en lieu sûr.
- Crétin ! Une seule minute lui aura suffi à commettre l'irréparable. Il est sûrement déjà trop tard !
- Je confirme !
Le prisonnier bondit dans la pièce depuis une trappe.
- Ce souterrain aurait dû être condamné depuis longtemps, Votre Autorité Suprême ! Comment je le sais ? L’avantage d’avoir lu cette histoire avant d’y avoir mis les pieds. C’est un autre de mes pouvoirs. Je ne vous l’avais pas dit ?
L’Autorité eut un mouvement de recul, terrifié de se sentir si vulnérable. Cela ne lui était jamais arrivé.
Le chef des gardes dressa son épée.
Le prisonnier se rua sur elle. Il n’eut qu’à tordre le poignet de son propriétaire pour la récupérer et lui arracher la tête des épaules dans un geyser de sang. Se retournant il avisa son ultime adversaire.
- Votre Autorité, laissez-moi vous décharger vous aussi d’un lourd fardeau.
L’épée effectua une courbe mortelle et l’Autorité à son tour fut décapitée sans autre forme de procès. D’un coup de pied, le prisonnier ouvrit une fenêtre et balança les deux têtes au milieu de la foule qui s’était assemblée dans les rues pour empêcher son exécution.
- Maintenant vous êtes libres !
Alors que la nouvelle se répandait comme une traînée de poudre, le prisonnier regagna le souterrain secret.
« Merci de ta confiance et de ton soutien. Mais il est temps pour nous de nous séparer. J’ai d’autres histoires à libérer et toi d’autres récits à lire. Alors bonne lecture et peut-être à une prochaine. Tu dois arrêter de lire. Maintenant ! »
L’Autorité n’était pas aussi vulnérable. Elle avait prévu un système de sécurité. Le prisonnier n’avait pas fait dix mètres dans le souterrain que des flammes le dévoraient et le réduisaient en cendres en quelques instants.
L’Autorité entra dans son bureau, accompagné du Chaman.
- Tu es décidément un allié de valeur. Cette idée de me faire remplacer par un sosie crée par tes soins et mieux encore cette idée de lui faire croire à son succès…Ma-gni-fique !
Le Chaman demeura imperturbable.
- Mais le peuple se soulève.
- Alors que le peuple souffre !
- Très bien Votre Autorité. Il sera fait selon vos désirs.
Et de ce côté-là, l’Autorité savait qu’elle ne serait pas déçue.

 

FIN

 

 

Cette nouvelle a été écrite dans le cadre d'un concours sur un forum sur le thème "L'Observateur". Concours que je suis très heureux d'avoir gagné.

 

 

Ce blog c'est pas juste un passe-temps
j'y bosse dur tous les jours
Je ne te demande pas d'argent
mais juste en retour
un petit commentaire
Ce sera mon salaire
C'est plus précieux que ça en a l'air

Le Meilleur de Tous [Nouvelles/Thriller]

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Synopsis : L'agent du FBI Gary Chase doit faire équipe avec Vincent Faulk, un policier démis de ses fonctions suite à une forme aigüe de schizophrénie. Vincent s'avère rapidement être la meilleure arme pour capturer Eric Schultz, un dangereux psychopathe, lui aussi schizophrène et arrêté par Vincent quelques années plus tôt.  

Fraîchement évadé, Eric sème rapidement les cadavres derrière lui. Le temps est compté. Le tandem réussira-t-il à neutraliser cet implacable tueur en série avant qu'il ne se volatilise ?

 

1

 

- Qu’est-ce que tu fous là, salope ? Je t’ai déjà dit de me foutre la paix. Ca te plaît de me harceler, c’est ça ? Tu prends ton pied ! Et bah profites-en parce que ça va pas durer !

- Mais à qui vous parlez ? C’est à moi ?

La jeune métisse était terrorisée, mais sa curiosité était devenue plus importante que sa propre survie. Eric la maintenait fermement par la gorge contre la porte du placard de l’entrée.

Il l’avait suivie jusque chez elle. Elle habitait la campagne. Il savait qu’il ne serait pas dérangé. Il tourna la tête en direction de la porte d’entrée.

- Putain, Jimmy, t’avais raison ! C’est vraiment un coin paumé, ici.

- Pas de problème, dit Jimmy.

Assis en tailleur, la casquette baissée, il jouait avec sa fidèle balle de base-ball. Il cessa brusquement de la lancer et jeta un regard noir vers sa gauche.

- Par contre, t’aurais pas dû dire à Jenny où on allait.

Le visage d’Eric se crispa et il suivit le regard du garçon. Une belle rousse le dévisageait avec un air goguenard en feignant de se limer les ongles.

- Hein ? Mais qu’est-ce que tu racontes ?  Je lui ai rien dit. C’est pas moi qui l’ai amenée ici. Tu sais bien que je veux plus la voir. On est plus ensemble. Hein, t’entends, salope ? C’est plus la peine de t’accrocher à moi ! Tu m’as fait croire que tu m’aimais, ça t’a pas suffit ?

La pin-up minauda.

- Mon pauvre Eric, t’es même pas foutu de reconnaître la vérité.

Eric transpirait comme un bœuf, mais c’est à peine s’il s’en apercevait, au contraire de sa victime que la vue des gouttes de sueur rendait plus nerveuse encore. Elle tentait désespérément de déceler une silhouette, une ombre qui aurait témoigné de la présence d’un autre occupant dans la maison. En vain. Elle commença alors à comprendre à qui elle avait affaire. Son cœur devint alors le baromètre de sa peur.

- La vérité ? Quelle vérité ? s’exclama Eric. Il ne réalisa pas non plus qu’il avait resserré son étreinte sur le frêle cou de la métisse. Ses borborygmes ne l’alertèrent aucunement.

La rousse exhala un nuage de fumée pris à une cigarette avant de l’informer froidement :

- Que t’es un putain d’impuissant qui ne sait jouir que de son propre malheur.

Jenny avait parlé avec un total détachement, comme répétant une rengaine.

Ce qui eut le don d’enflammer Eric.

- Quoi ? Moi…Moi, je suis un impuissant ? C’est moi que tu traites d’impuissant ?

Son expression s’altéra. Il libéra sa proie et serra les poings de colère.

- Je t’aimais, Jenny. Je t’aimais comme un fou, mais tu ne m’as pas laissé le temps de te combler. J’avais tellement à te donner. T’as pas idée. Tellement d’amour.

Il releva la tête et la regarda droit dans les yeux. Saturé par les regrets et la nostalgie, il pleurait silencieusement.

- De plaisir aussi.

Jimmy fit claquer une bulle de chewing-gum.

- La gonzesse se tire.

Eric recouvrit sa nature de prédateur en une fraction de seconde. Il fit volte-face. La jeune métisse venait d’ouvrir la porte d'entrée et s’apprêtait à s’élancer au-dehors. Il la rattrapa en un éclair et la plaqua derechef contre la porte du placard avec une violence inouïe.

- Pitié, faites pas ça ! Je ne vous connais pas, je ne vous ai rien fait !

Eric ne l’entendit pas. Il regarda une dernière fois en direction de Jenny, là où sa victime ne voyait qu’un espace vide, terriblement dénué de tout intérêt. Le regard du tueur devint soudain noir comme la nuit.

- Tu vas voir si je suis un impuissant !

 

 

2

 

 

 Gary Chase était sur la route depuis l’aube. Depuis son départ précipité de New-York, il supportait un grand manque de sommeil, de nombreux cafés aussi mauvais que coûteux, quelques chauffards, mais ce qui l’exaspérait par-dessus tout, c’était de devoir traverser presque la moitié de la Pennsylvanie sans trop savoir pourquoi.

Cas de force majeur, s’était-il répété tout au long du trajet en singeant la voix suave de son patron. L’expression avait bon dos. Le repos aussi était un cas de force majeur. Seulement Ted Meyers du FBI n’était pas du genre à se laisser attendrir avec ce genre d’argument.

Gary avait néanmoins réussi à joindre Phil Tretco, le shérif du comté de Tioga, afin d’obtenir des détails supplémentaires sur l’affaire. Tout en roulant en direction de Knoxville, il questionna son interlocuteur par téléphone :

- Mais pourquoi ne pas avoir embauché de la main d’œuvre locale ?

 

Phil Tretco caressa son crâne glabre avant d’indiquer une chaise vide à Gary.

- Nos effectifs sont considérablement réduits en ce moment. Et puis pour ne rien vous cacher, le dossier que je suis chargé de vous transmettre est loin d’être banal. Sans vouloir vous lancer de fleurs, on est pas de taille, ici.

Gary haussa les sourcils de manière hautement comique :

- Quoi ? C’est pas une simple fugue d’adolescent ?

Le shérif sourit avant de poser une chemise en carton devant l’agent.

- Eric Schultz ? fit Gary en feuilletant le dossier. Ca me dit quelque chose.

- Le contraire serait étonnant. Il est connu pour avoir le meurtre dans le sang et le diable dans la peau. Tuer est totalement compulsif chez lui. Il peut tuer n’importe qui, n’importe quand. Isolé ou en public, rien ne l’arrête. Il s’adapte à toutes les situations. C’est un vrai prédateur humain.

- Ce n’est quand même pas un surhomme.

Tretco poussa un soupir qui n’annonçait rien de bon.

- Pire. Il est schizophrène. Le pire cas qu’on ait jamais vu.

- Comment ça ? Vous voulez dire qu’il entend…des dizaines de voix ?

- Une infinité.

- Sur toute une vie, je veux bien le croire.

Tretco fixa Gary droit dans les yeux.

- Non, je voulais dire par jour.

L’agent grimaça, visiblement perplexe.

- Ca veut dire quoi, exactement ?

- Ca veut dire que dans une situation extrême, quand vous, vous n’avez qu’une seule option, lui, il en a à revendre.

- C’est tout ce que vous avez trouvé pour m’encourager ?

Le shérif ne releva pas et Gary regretta une fois de plus que son sens de l’humour soit un humour à sens unique.

- Personne ne l’a jamais arrêté ? ajouta-t-il pour refaire bonne figure.

- Si, un seul homme. C’est justement pour ça que vous êtes ici. Comme je vous l’ai dit, nos effectifs sont réduits. Je vous demande de nous le ramener.

- Qui est-ce ?

- Un flic. Il travaillait sous mes ordres. Il est à la retraite, maintenant. Mais c’est un type encore brillant qui va pouvoir vous filer un sacré coup de main sur cette affaire.

- Pour avoir réussi à arrêter Schultz, ça doit être un génie.

 

 

3

 

 

Gary descendit de son Landcruiser noir et releva le col de son imperméable. La neige s’était remise à tomber. A travers les flocons, il distingua la bâtisse blanche et élégante perdue au fond des bois.

Sympa la maison de retraite, se dit-il. Faudra pas que j’oublie de demander à finir mes jours par ici.

Lorsqu’il lut le panneau d’accueil, il déchanta. Il empoigna son téléphone portable et quelques secondes plus tard Phil Tretco était en ligne.

- Ecoutez Phil, vous avez dû vous tromper d’adresse. Je suis devant un institut psychiatrique.

- Non, ce n’est pas une erreur, monsieur Chase. Vous êtes à la bonne adresse.

Gary déglutit.

- Ok, je commence à comprendre. Vous aviez peur que je refuse, c’est ça ?

- Il y a de ça. Désolé, je ne fais que suivre les instructions de votre supérieur.

- Je savais qu’il m’appréciait, mais à ce point là…Comment s’appelle mon client ? ironisa Gary pour se détendre l’esprit.

- Il s’appelle Vincent Faulk.

- Ce n’est pas un génie, alors.

- D’un certain point de vue, si. Il a le même génie que Schultz. Sauf qu’il est de notre côté.

Gary poussa un soupir.

- Je vois.

 

Quelques instants après, le temps pour Gary d’encaisser ce nouveau choc, il se retrouva en présence de la responsable du Dickinson Mental Health Center, une femme d’une quarantaine d’années, très accorte, mais surtout très réfractaire à l’idée de se séparer de l’un de ses pensionnaires.

- Je suis désolée, monsieur Chase, mais il est hors de question que ce patient quitte notre établissement. Encore moins pour se replonger dans une enquête propre à détruire tout ce que nous avons mis en place depuis des années pour le traiter.

Gary produisit un document avec un geste et un sourire qui témoignaient fidèlement de son expérience de cas similaires.

- Le gouvernement des Etats-Unis n’est pas d’accord avec vous, madame. Vous avez d’autres arguments à lui opposer aussi vains que celui-ci ou je peux emmener votre précieux patient ?

 

Lorsque Gary pénétra dans la chambre de Vincent Faulk, un médecin s’apprêtait à lui administrer sa dose de médicaments quotidienne.

Gary observa le patient, un type plutôt banal hormis un embonpoint manifeste et des traits juvéniles, avant de remarquer l’alignement de flacons et de comprimés sur la table. Conscient que la prise du traitement nécessitait plus de temps qu’il n’en disposait, il tendit au thérapeute un sac en papier en souriant jusqu’aux oreilles :

- C’est pour emporter !

 

 

4

 

 

- Vous vous êtes cru dans un fast-food ?

Vincent Faulk regardait le paysage défiler tandis que la voiture filait à nouveau en direction de Knoxville.

- Désolé, dit Gary. Le temps nous est compté.

- J’apprécie beaucoup d’être à nouveau dehors, je ne vous le cache pas, mais ce serait trop vous demander de me dire pourquoi vous m’avez fait sortir ?

- Ca tient en deux mots : Eric Schultz.

Le visage de Vincent se décomposa.

- Il a refait parler de lui ?

- Tout juste. Il s’est évadé il y a deux jours. Hier, le corps d’une jeune métisse a été retrouvé chez elle, près de Philadelphie. Elle a été violée, puis étranglée. On a retrouvé ses empreintes. Il n’a fait aucun effort pour les cacher. Vu son profil, on peut craindre que ce ne soit que le début d’une longue série.

Vincent poussa un soupir à fendre l’âme.

- Et moi qui croyais qu’aujourd’hui était peut-être la promesse d’un bonheur insoupçonné.

- Navré, Vincent. Je suis agent du FBI, pas animateur télé. La bonne nouvelle, ça va être à nous de la fabriquer.

- Je dois vous aider à le remettre en cellule, c’est ça ?

Gary opina.

- Vous l’avez déjà fait, non ? Ce sera un jeu d’enfant. J’ai pas l’habitude d’avoir un partenaire, mais je suis sûr que ça se passera bien.

- Loin de moi l’idée de vous décevoir, mais à l’époque où j’ai arrêté Eric, je n’étais pas malade.

- Justement, maintenant que vous êtes, disons plus proche de lui, vous êtes l’homme idéal pour me seconder sur cette affaire. Encore plus qu’avant.

Vincent n’ajouta rien, mais son expression trahit ses doutes à ce sujet.

- Ok, fit Gary avec un soudain entrain. Alors, comment ça se passe ce phénomène d'illusions ? Par exemple, là, pendant que nous discutons, vous voyez d’autres personnes…je sais pas moi…disons…à l’arrière de la voiture ?

Il fit un signe de la main et adressa un sourire débile au rétroviseur intérieur.

Evidemment, Vincent fut loin de partager la légèreté de son point de vue. Son ton fut assez éloquent.

- Je vois des gens qui ont tous leur place là où je les vois. C’est la perversité de cette maladie.

- Je savais que résumer la schizophrénie à entendre des voix était simpliste. Mais j’avoue que je ne m’attendais pas à ça. Les illusions dont vous êtes victime ne sont pas seulement auditives, alors ?

Vincent opina à son tour.

- Il m’est extrêmement difficile voire impossible de différencier les gens réels de ceux que j’invente. Si nous traversions un carnaval, je verrai des musiciens, des danseurs, des chanteurs, des gens en train de s’amuser, tout comme vous. Mais je verrai aussi des musiciens, des danseurs, des chanteurs et des gens qui s’amusent, mais qui n’existent pas.

- Pourquoi vous les matérialisez ? Je veux dire, qu’est-ce qu’ils vous apportent ces gens imaginaires ?

- C’est évident, un équilibre. Je vois des personnes que j’ai besoin ou envie de voir.

- Je crois que je comprends. Votre esprit fonctionne un peu comme si vous rêviez.

- Oui, il y a de ça. C’est une sorte de rêve éveillé. Sauf que le rêve et la réalité sont étroitement imbriqués au point de ne faire qu’un.

Gary réalisa qu’il était en train de se passionner pour leur conversation. Il avait toujours été curieux, c’est ce qui faisait de lui un agent de terrain efficace. Ce qui constituait l’ombre et la lumière des êtres humains l’avait toujours fasciné au plus haut point.

- Mais si nous partons de ce principe, il vous arrive peut-être de voir des choses que vous ne voudriez pas voir, comme lorsque l’on fait un cauchemar.

- Oui, l’inconscient est loin d’être une science exacte. Il peut m’arriver de rencontrer des personnes qui me fragilisent sur un plan émotionnel.

Le visage de Gary s’illumina comme un sapin de Noël.

- Qui vous fragilisent ? Mais c’est bon, ça !

- Je ne vois pas en quoi.

- Là, vous me décevez, alors. Si certaines de vos visions vous rendent vulnérables, alors il en est certainement de même pour Schultz. J’ai tout son dossier. En l’épluchant, nous trouverons sans doute les éléments propres à susciter cette fragilité chez lui.

- Vous voulez les exploiter ?

Gary arbora son plus large sourire.

- Mieux que ça. Je veux pouvoir les lui faire créer à son insu.

 

5

 

 

Gary avait arrêté la voiture à une station-service, histoire de faire le plein et de se remplir l’estomac. Lui et Vincent s’étaient installés à la table d’une cafétéria. Gary était absorbé dans la lecture du dossier de Schultz, tandis que Vincent observait les autres clients. Il plissa les yeux en dévisageant un routier qu’il lui semblait reconnaître. Puis il se rappela qu’il n’avait pas pris tout son traitement. Il ouvrit le sac en papier et commença à sortir les médicaments. Gary s’en saisit et jeta le contenu par la fenêtre.

Vincent le fusilla du regard :

- Mais qu’est-ce que vous faites ? Vous êtes malade ?

- Moi, non, mais vous, oui. Et je tiens à ce que vous le restiez. On m’a fourni l’arme fatale pour stopper un tueur en série, je n’ai pas l’intention de l’échanger contre un flingue en plastique.

Sous le coup de la colère, Vincent se leva :

- Je ne suis pas une arme ! Je suis peut-être malade, mais je suis encore un être humain. Et je tiens à le rester !

Les clients alentours ainsi que les serveuses furent pour le moins embarrassés. Gary resta imperturbable.

- C’est tout à votre honneur. Il n’empêche que vous allez faire ce que je vous dis. Il n’y a que comme ça que tout se passera pour le mieux. Je vous respecte, Vincent, soyez certain de cela. Vous étiez flic et vous faisiez du bon boulot. Même malade, vous avez encore du potentiel. J’en suis le premier convaincu.

Vincent comprit qu’il était sincère. Il se rassit et calma ses nerfs sur son sandwich. Gary lui ficha la paix et se plongea dans le dossier de leur cible. Après quelques minutes de silence, il acquiesça de contentement, comme s'il avait trouvé le début d'un filon à creuser :

- Vous saviez que Schultz était sorti pendant plusieurs mois avec une prostituée ?

Vincent fit mine de ne pas avoir entendu avant de réaliser que c’était une réaction stupide.

- Oui. Elle s’appelait Jenny Carver. Ca s’est mal terminé.

- Il y a eu rupture visiblement.

- Dans tous les sens du terme. Il a rompu avec elle et lui a brisé le cou. Elle a été sa première victime. A partir de là, ça été l’engrenage.

Gary se désintéressa un instant du dossier et reporta son attention sur son équipier.

- Mais comment l’avez-vous arrêté au juste ?

- Très simplement. Il était encore inexpérimenté et moi je commençais à prendre mes marques en tant que flic. Et j’avais un excellent partenaire.

A ce moment, le visage de Vincent s’assombrit et il se réfugia dans le silence. Gary comprit qu’il n’obtiendrait rien de plus à ce sujet pour le moment. Il reprit sa lecture et son visage s’illumina subitement :

- Voilà, j’ai trouvé une piste ! Ses parents sont morts dans un accident de bateau. Il a été élevé par son grand-père. A la dure, à ce qu’il semble, si son témoignage est vrai.

- Battu ? s’enquit Vincent.

- Oui et pas qu’un peu. On aurait presque pitié.

- Pas de fumée sans feu.

- Donc imaginons que nous soyons en sa présence, est-ce que vous pensez qu’en évoquant son grand-père, en lui rappelant les tortures qu’il a subi, il puisse le matérialiser et se trouver dans un état de fragilité tel que ceux que vous avez pu connaître ?

- Il est raisonnable de le penser. Mais cela ne se fera pas en cinq minutes. Et il faut qu’il soit réceptif, à l’écoute.

- Bah, entre deux meurtres, j’imagine qu’il fait une pause !

Gary réalisa combien sa plaisanterie était d’un goût douteux. Une fois de plus.

- Désolé, ce n’était pas drôle.

- Je ne vous le fais pas dire, approuva Vincent avec un air de reproche. Vous savez, Agent Chase, vous et moi ne sommes pas si différents, finalement.

Gary but son café avant de grimacer de manière équivoque.

- Permettez-moi d’en douter.

Vincent ignora sa remarque :

- Nous avons tous les deux trouvé un subterfuge pour conserver un semblant d’équilibre mental dans un monde où la folie prédomine. Moi, j’invente des gens et vous, vous faites des blagues tordues.

L’agent Chase se contenta de sourire, trop effrayé à l’idée qu’il ait raison.

 

 

6

 

 

Le Landcruiser noir était bloqué par la circulation. La sortie de la station-service était bouchée par les véhicules des routiers, des touristes et des gens de passage, comme eux.

Loin de s’impatienter, Vincent en profitait pour contempler les alentours et surtout les passants. Des gens normaux, pensa-t-il. Enfin, qui lui apparaissaient comme tels.

- Vous voyez cette femme élégante devant nous ?

Voyant que Gary peinait à la repérer, il précisa :

- Celle avec un chignon et un manteau gris.

Gary pinça les lèvres.

- Qu’est-ce qui vous plairait ? Que je vous réponde que je la vois ou que je vous dise que vous l’avez inventée ?

Vincent arbora une mine renfrognée.

- Je préfère que vous ne répondiez pas. Elle est jolie et elle me sourit. Cela me suffit.

- Vous savez, il y a un moyen très simple de savoir si elle est réelle ou pas. Il suffit que vous essayiez de la toucher.

- Vous ignorez que je suis capable de croire que j’ai un contact physique avec mes créations. C’est pourtant précisé dans mon dossier et celui de Schultz. Vous auriez pu bosser un peu plus.

Gary s’amusa de sa réflexion.

- Intéressante perspective. Vous dites que vous pouvez les toucher ou du moins croire que vous le faites ? Alors qu’est-ce qui vous empêche de penser que je ne suis pas l’une de vos créations ?

Vincent lui adressa un sourire narquois.

- C’est vous qui conduisez, non ?

Gary lui rendit son sourire.

- Oui, à moins que vous ne soyez en réalité assis dans votre chambre et que vous imaginiez que nous sommes dans cette voiture en train d’avoir cette passionnante conversation.

- Vous me surestimez.

- J’ai entendu dire que l’esprit humain n’avait pas de limite, pérora Gary.

- Le mien, si.

- Alors espérons que celui de Schultz en ait aussi.

 

7

 

 

 Il était 11h00. La cafétéria était déserte. Eric commanda un petit-déjeuner tardif à une serveuse aguichante. Son poing droit se ferma lorsque ses yeux glissèrent sur la gorge de la jeune femme.

- Oublie-là !

Eric tourna la tête. Jimmy était assis à la table, en face de lui. Il jouait avec sa balle de baseball, la casquette baissée, faisant claquer une bulle de chewing-gum par intermittence.

- Tu m’as suivi ?

Jimmy ne répondit pas. Il se contenta d’indiquer de la tête la voiture de police garée à l’extérieur.

Eric émit une sorte de grognement.

- Jenny et maintenant les flics ! Tu serais pas en train de me porter la poisse, par hasard ?

Jimmy répondit par un claquement de bulle, preuve que du haut de ses quinze ans, il se fichait royalement de l’accusation.

Eric inspecta son environnement. Il fut interrompu dans son travail par une serveuse dont le badge indiquait qu’elle s’appelait Suzanne.

- Bonjour, Monsieur. Je peux prendre votre commande ?

Eric la regarda à peine. Elle accusait un certain âge et la fatigue qui allait avec.

- C’est déjà fait.

- Vous êtes sûr ? On ne s’est pourtant pas parlé.

Eric daigna lever les yeux.

- Votre collè…

Il réalisa simultanément que la serveuse aguichante qui l’avait accueilli avait disparu et que celle qui se tenait devant lui avait une masse de cheveux roux.

Son poing droit se ferma lorsque ses yeux glissèrent sur sa gorge.

Il jeta un regard à Jimmy. Ce dernier releva sa visière. Ses yeux n’étaient pas ceux d’un adolescent. C’était ceux d’un homme pris de folie furieuse. C’était ceux d’Eric.

Eric se jeta sur la serveuse et resserra ses mains autour de son cou. Elle poussa un croassement et commença à gesticuler comme un automate déréglé. Eric la maintint contre le comptoir.

- Tu vas voir si je suis un impuissant !

Une balle siffla à un centimètre de son visage, une autre fracassa une bouteille sur le comptoir.

- Police ! Lâche-là immédiatement et recule, Schultz !

Eric obtempéra lentement. La serveuse s’enfuit sans demander son reste. Eric entendit un policier venir dans son dos.

- Mets les mains sur la tête. Au moindre geste suspect, mon partenaire et moi n’hésiteront pas à t’abattre, compris ?

Schultz opina du chef avant de placer ses mains sur sa tête. A ce moment, la serveuse qui l’avait accueilli apparut derrière le comptoir, face à lui. Elle était baissée et le fixait avec intensité.

- Je ne sais pas ce qu’ils vous reprochent, chuchota-t-elle, mais je suis sûre que c’est une erreur. Du menton, elle indiqua un gros tesson de verre posé sur le comptoir.

Eric la remercia d’un discret hochement de tête.

- Ok, j’ai compris.

Le policier empoigna le bras droit d’Eric pour lui passer les menottes. Eric se déporta sur le côté avec une incroyable rapidité. Il saisit le bras de l’officier et faisant pivot, le jeta contre le comptoir. Le tesson lui perfora le visage dans un bruit atroce et une effusion de sang tout aussi écœurante. Eric se saisit de son pistolet et plaça le corps sans vie devant lui juste au moment où l’autre policier faisait feu.

Jimmy était resté à la table. Il attira l’attention d’Eric.

- Ne tire pas sur lui, tu vas tâcher son uniforme.

Comme d’habitude son ton était monocorde, dénué de toute émotion.

Eric fronça les sourcils. Il jeta un rapide coup d’œil au flic qui le menaçait à l’autre bout de la salle avant de noter qu’ils avaient sensiblement la même corpulence.

- Merci, Jimmy.

Jimmy baissa les yeux et suivant son regard, Eric avisa un couteau à steak abandonné sur la table. Il tira quelques balles avant de s’en saisir. Le policier avait visiblement des scrupules à tirer sur le cadavre de son partenaire. Il se rapprochait, tentant de repérer un défaut dans la cuirasse du tueur. Eric abaissa son bouclier sans crier gare…

- Vise la tête ! encouragea Jimmy.

Le visage d’Eric pâlit.

- Jenny ! Mais qu’est-ce que tu fous là ?

Perplexe, le policier tourna la tête en direction de la belle rousse, évidemment sans parvenir à la voir.

Alors Eric profita de sa distraction pour balancer le couteau avec une mortelle précision.

 

 

8

 

 

Vincent tentait de penser le moins possible à sa future confrontation avec Schultz. Et le fait qu’il ait contracté la même maladie que lui à un degré presque semblable ne pouvait qu’ajouter à son mal-être. Nul doute que s’il venait à l’apprendre, Schultz se ferait une joie de le railler sur l’ironie de son sort.

Gary leva un index pour faire une annonce importante.

- Un tiers des schizophrènes ne passent pas par les phases préliminaires et s’installent rapidement dans leur délire. Le facteur déclenchant est principalement le stress, mais l’origine du trouble est multifactorielle : génétique, environnementale, virale, biologique. La maladie demeure méconnue et le tabou sur les maladies mentales ne facilite pas les choses.

Vincent poussa un soupir long comme le bras.

- Wikipédia ?

Gary était tout sourire.

- Pas exactement. Mais j’ai effectivement vu ça sur le net. Vous savez ce que je crois, Vincent ?

L’intéressé s’abîma dans la contemplation de la route.

- J’ai peur de deviner.

- Je crois que de tous ces personnages que vous êtes capable d’imaginer, aucun ne vous arrivera jamais à la cheville. Vous êtes le meilleur de tous. Vous n’avez pas besoin d’eux. Vous le pensez seulement. Quand vous aurez compris cela, quand vous vous en serez convaincu, je pense que vous serez sur la bonne voie. Celle de la guérison.

Peut-être parce qu’il ne s’attendait pas à de tels mots de la part de l’agent Chase ou que personne d’autre avant lui n’avait su s’exprimer de la sorte à son sujet, Vincent se sentit brutalement ramené à une réalité, à une vérité auxquelles il ne s’était pas confronté depuis longtemps. Il sentit une douleur immense en même temps qu’une enivrante sensation de libération, hélas trop fugitive. Il se rendit compte qu’il pleurait.

Gary lui-même ne put rester de marbre face à la réaction qu’il venait de susciter. Il éprouva de la gêne, de la culpabilité, puis il sut qu’il n’avait fait que venir en aide de la manière la plus simple et la plus naturelle à quelqu’un qui en avait cruellement besoin. Il ressentit alors de la compassion et voulut exprimer sa sollicitude.

Il approcha une main, hésita, puis se ravisa.

De son côté, Vincent s’essuyait rageusement le visage dans l’espoir de balayer d’un seul coup toutes ces psychoses qui lui avaient gâché la vie.

Comme pour les distraire de leur malaise commun, le shérif Tretco choisit ce moment pour contacter Gary.

- Oui, shérif, nous serons là dans une dizaine de minutes. Merde ! Ca s’est passé quand ? Ok, nous allons sur place. A plus tard.

- Accrochez-vous, Vincent !

Gary fit demi-tour et écrasa l’accélérateur sous le regard terrorisé de Vincent.

- Schultz a abattu deux officiers de police dans une cafétéria. Et il a pris leur voiture.

Vincent secoua doucement la tête comme s’il était en train de comprendre quelque chose.

- Alors le prédateur vient de trouver son déguisement.

 

9

 

 

- Ok, merci Phil. Je vous tiens au courant.

Gary se tourna vers son partenaire.

- La voiture de police qu’a volé Schultz était équipée d’un émetteur. Elle a été localisée. Il se dirige vers Winnefield Heights par la 76.

Vincent pinça les lèvres.

- Il est beaucoup trop intelligent pour ne pas le faire délibérément. Il a une idée derrière la tête. Et je le connais suffisamment pour savoir que ce sera pas une bonne idée.

- Moi je crois que comme tous les psychopathes, il est amené fatalement à négliger la prudence au profit de ses pulsions les plus pressantes. Il se fout d’être repéré. C’est même ce qu’il veut, probablement.

- Pourquoi le voudrait-il ? Il est de nouveau libre, non ?

- Sans risques, pas de gloire, non ? Ce qu’il veut c’est être connu pour être reconnu. Il a été étouffé étant enfant, dans tous les sens du terme. Pour lui, tuer c’est sa façon de respirer, d’exister. Mais pour se sentir vraiment vivant, il a besoin que tout le monde le sache en vie. Il veut qu’on sache qu’il tue et qui il a tué. D’où cette apparente négligence lors des meurtres alors que c’est un cerveau brillant, c’est évident. Il n’aurait pas survécu aussi longtemps, sinon.

Vincent émit un sifflement exagéré.

- Jolie analyse. On voit qu’il y a du bagage.

- Mon psy aime beaucoup ce que je fais.

- Votre psy ?

- J’ai vu et entendu des choses, tout comme vous. Des choses que je préfèrerais oublier. J’imagine que je ne suis pas à l’abri, moi, non plus. Je prends des précautions. Je ne veux pas devenir dangereux.

- Ce n’est pas moi qui vais vous décourager.

Gary compris ce qu’il sous-entendait par là.

- Vous n’êtes pas dangereux, Vincent.

- Comment pouvez-vous en être certain ?

- Si l’une de vos visions vous ordonnait de me tuer, vous le feriez ?

- Non.

- Pourquoi ?

- Parce que ma conscience et ma morale me l’interdiraient. Contrairement à ce que beaucoup de monde pense, tous les schizos ne sont pas des fous sanguinaires.

- Je sais. Mais pourquoi Schultz n’est pas comme vous, ou plutôt, pourquoi vous n’êtes pas comme lui ? Vous avez sans doute vous aussi des raisons de passer à l’acte, par colère, par frustration, par rancune. Ce n’est jamais les raisons qui manquent.

- Justement, pas besoin d’être schizo pour en arriver là. Vous êtes bien placé pour le savoir. Des tueurs sans pitié vous avez dû en voir défiler et je suis certain que la plupart d’entre eux étaient considérés comme sains d’esprit. En ce qui me concerne, j’ai trouvé une astuce, un subterfuge. J’ai crée un vide en moi, insondable, une sorte de puits sans fond que je matérialise et dans lequel je déverse toute ma colère, toute ma haine, tout ce que j’ai de plus noir et de plus pesant. Jusqu’à maintenant cela a très bien fonctionné et je pense que c’est ce qui manque à Eric.

- Vous savez, même si je fais tout pour arrêter des types comme lui, je ressens toujours, à un moment ou à un autre, une sorte de compassion et même d’admiration pour eux. Parce que même si leur maladie leur sert d’excuse pour commettre leur crime, il y a beaucoup de souffrance personnelle à la base de leurs actes et ils doivent vivre avec tous les jours.

- Oui, il n’y a pas pire bourreau pour un être humain que lui-même.

- Je vous envie, Vincent.

Ce dernier soupira.

- Ne recommencez pas à être sarcastique. Je commençais juste à vous apprécier.

- Je le pense sincèrement.

- Alors pourquoi ?

- Parce que vous pouvez voir tous les gens que vous aimez quand vous en avez envie.

Vincent pencha la tête et émit un clappement de langue désapprobateur.

- Ils ne sont pas réels, vous le savez bien.

- Peut-être…
Gary reporta son regard sur la route, sans doute pour éviter de montrer ses yeux.
- …Mais ils sont plus supportables que la solitude.

 

10

 

Gary composa un numéro sur sa radio de bord.
- Qu’est-ce que vous faites ? Vous appelez des renforts ?
- Pas vraiment. J’appelle Schultz.
Vincent se figea.
- Quoi ?
- Tretco m’a filé le code de sa voiture. Schultz veut un rapport privilégié avec les autorités ? Il va l’avoir.
Après avoir composé le numéro, Gary tendit le micro à Vincent.
- Quoi, moi ?
Gray sourit.
- Vous pensiez vraiment y échapper ?
Vincent n’avait rien d’un gaulois, mais il eut soudain la sensation que le ciel lui tombait sur la tête.
- Non, pas vraiment.
Gary alluma le haut-parleur.
- Officier Jonathan Taylor, j’écoute.
Lorsque Vincent entendit la voix d’Eric résonner dans l’habitacle, son corps entier trembla. Il dut se faire violence pour parler sans que sa voix ne tremble elle aussi.
- Eric ? C’est Vincent Faulk.
Le visage d’Eric s’éclaira comme un arbre de Noël.
- Vincent ! C’est un plaisir ! A ton tour tu refais surface. Mais attention, cette fois, je suis le pêcheur et tu es le poisson.
Vincent jeta un regard significatif à Gary.
- Je me doutais bien que tu avais une sale idée en tête.
- La vengeance est un plat qui se mange froid. Moi j’ai toujours préféré manger chaud. En prison, j’avais trop le temps de remuer le couteau dans la plaie. Et puis, les médias ont fait leur travail. Il n’y a pas beaucoup d’endroits qui leur échappent, maintenant. L’intimité est devenue une denrée rare en ce monde. On paiera bientôt pour la conserver. C’est ce qu’on fait déjà.
Vincent sentit sa gorge se nouer. Il savait ce que sous-entendait Eric.
- J’ai beaucoup pensé à toi, Vincent. Quand j’ai appris ce qu’il t’était arrivé, plus encore. Rassure-toi, je t’épargnerai le couplet sur l’ironie du destin. Trop facile. En revanche, je frémis d’impatience à l’idée de tout ce que nous allons pouvoir partager bientôt. Surtout ne me réponds pas que nous n’avons rien à partager. Ce serait te voiler la face et tu le sais.
Vincent était comme paralysé. De se sentir tout à coup aussi proche malgré lui du tueur le faisait se sentir à nouveau coupable et peut-être même complice.
Gary dut l’encourager par de grands gestes pour qu’il reprenne la conversation.
- Qu’est-ce que tu veux, Eric ? Me tuer ?
- Non ! Enfin, pas dans l’immédiat. Disons que tes futures réactions seront déterminantes quant à ton avenir. Je savais qu’en m’évadant les autorités viendraient te chercher pour te remettre le pied à l’étrier, avec ta maladie comme porte-étendard. Tu m’as arrêté alors que je faisais mes armes. Depuis, je suis devenu un guerrier complet et accompli. C’est merveilleux tu ne trouves pas. La boucle est bouclée.
Gary s’empara vivement de la radio.
- Et si tu la bouclais justement !
Vincent lui reprit rageusement l’émetteur en le masquant de la main.
- Qu’est-ce que vous foutez ?
- Je joue le rôle du mauvais flic. Vous, il faut qu’il vous aime. C’est primordial. Vous vous souvenez de notre plan ? Son grand-père et tout le reste ? C’est vous qui allez vous en charger. Vous êtes le plus qualifié. Quand il sera en état de faiblesse, alors j’interviendrai.
Vincent opina sans pouvoir se départir d’un sourire sans joie.
- Désolé, Eric, je ne suis pas seul. On m’a imposé un chaperon.
Eric afficha un large sourire.
- FBI ?
- Tout juste.
- Alors toutes mes condoléances. En plus, je parie que c’est un vrai connard.
Eric s’esclaffa.
Vincent fixa Gary avec ironie.
- Encore dans le mille.
Gary secoua la tête, navré de sa réponse.
Vincent lui donna un petit coup de coude.
- Vous voulez passer pour le mauvais flic, oui ou non ?
- Bon, dit Eric, passons aux choses sérieuses. Il faut qu’on se voie.
- Où et quand ?
Eric jeta un coup d’œil à la carte posé sur le siège du passager. Un pistolet était posé dessus en guise de presse-papiers.
- Vous êtes où ?
Vincent interrogea Gary de la pointe du menton.
- Dites-lui qu’on est à Tioga.
- Tioga, ça te dit quelque chose ? C’est pas loin de Knoxville, là où j’exerçais.
Eric rit à nouveau.
- Je me rappelle bien de Knoxville. Comment va ce cher Phil Tretco ?
- Il va bien, souffla Gary.
- Il va bien, répéta Vincent. Toujours aussi chauve.
Vincent regretta sa plaisanterie. Le rire d’Eric avait quelque chose d’inquiétant.
- Ok, alors retrouvons-nous à mi-chemin.
- Et c’est où à mi-chemin ? Je m’appelle pas Google Map.
- Très drôle.
Eric prit quelques instants pour consulter sa carte.
- Rendez-vous à Wilkes-Barre. Plus précisément à l’aéroport.
- Un lieu publique ? s’épouvanta Vincent.
- Tout juste.
D’un geste, Gary signifia à Vincent qu’il ne servait à rien de négocier.
- Ok. Dans combien de temps ?
- Dans une heure.
- On n’y sera jamais dans une heure, annonça Gary.
- C’est trop juste pour nous, informa Vincent. On est en pleine campagne, comme je te l’ai dit. Tu connais le coin. La route est merdique, tout en lacets.
- Je vous donne une heure et demie. Si vous êtes pas à l’heure…
- Eric ! C’est pas un jeu !
- Tu te trompes, Vincent. La vie entière est un jeu. Elle nous le prouve tous les jours. Regarde-nous. Regarde ce qu’elle a fait de nous. Tu veux encore la prendre au sérieux, après tout ce que tu as vécu ? La vie se fout de nous. On est ses jouets. Je ne fais que lui renvoyer l’ascenseur.
- Peut-être, mais tu te trompes de cible.
Le ton d’Eric trancha avec le reste de la conversation.
- Ma cible c’est toi pour l’instant et si tu veux pas que j’en change en cours de route, je te conseille de te pointer à l’heure avec ta baby-sitter.
Vincent reposa la radio. Son visage était livide.
- Il a coupé.
- Bien joué, dit Gary.
- Mais pour le délai, ça va être coton !
Gary tapota le volant avec fierté.
- Je vais vous montrer ce qu’elle a dans le ventre. C’est un vrai tout-terrain. Comme moi.
Son regard s’enfiévra. Il sortit de la route et fonça à travers champs.

 

11

 

Vincent vomit son sandwich.
- Ca va mieux ? lui lança Gary depuis l’intérieur du Landcruiser.
L’intéressé secoua la tête.
- Vous m’aviez pas dit que vous étiez malade en bagnole !
Vincent s’essuya la bouche.
- Je ne le suis pas. C’est votre conduite ! Vous vous croyez au Paris-Dakkar ?
Gary s’esclaffa.
- Ok. On va reprendre la route. Mais je vous préviens, ce n’est que partie remise. Il faudra faire autorité sur votre estomac.
Gary sortit de la voiture pour mieux se faire entendre.
- J'ai profité de cette pause impovisée pour mettre Tretco au courant de la situation. J'ai également donner des directives très strictes pour qu'aucun flic de cet état ne se mette en travers de la route de Schultz. Mon patron, Ted Mayers, a appuyé ma demande et autant vous dire que personne ne bronche quand Ted donne un ordre.
Vincent leva le doigt comme s'il allait dire quelque chose, mais trois secondes après, il se penchait de nouveau vers le sol.


Peu après, Le Landcruiser regagna le confort et la monotonie de l’asphalte, pour le plus grand soulagement de Vincent.
- Ca va mieux ? s'enquit Gary.
- Oui. Désolé. C’est pas comme ça qu’on tiendra notre engagement.
- Essayer de dormir un peu. Il doit rester des cachets dans la boite à gants. Vous allez bientôt avoir du pain sur la planche, il faut que vous soyez en pleine forme. De mon côté, je vais tâcher de trouver un « terrain » d’entente.
Gary s’esclaffa, mais son rire s’étrangla.
Il pila brutalement, évitant de peu une collision avec une camionnette qui venait de s’immobiliser sans crier gare.
- Merde, je déteste ce genre d’abrutis !
Vincent était impassible, comme détaché des évènements. Mais ce n’était qu’une illusion.
- Il y a eu un accident.
- Comment le savez-vous ?
- J’ai été flic, n’oubliez pas. J’ai gardé un peu d’instinct.
A son tour, Gary émit un sifflement.
Vincent pouffa de rire.
- Non, je déconne. De mon côté, on voit de la fumée devant.
Pendant que Vincent sortait de la voiture et remontait la file de véhicules, Gary lança un appel pour prévenir les secours si ce n’était pas déjà fait. Lorsqu’il rejoignit Vincent, celui-ci était occupé à convaincre un officier débordé qu’il était en droit d’être là.
Gary brandit son insigne avec l’autorité dont il savait faire montre.
- FBI ! Cet homme travaille avec moi. Nous sommes sur une affaire importante et notre temps est compté.
L’officier grimaça.
- Le leur aussi si les pompiers ne rappliquent pas dans la minute.
Il indiqua du menton plusieurs personnes gisant à terre.
- Alors on va vous aider, déclara Vincent.
L’officier le remercia d’un signe de tête avant de revenir maintenir le périmètre de sécurité menacé par une foule de badauds trop curieux et de véhicules tout aussi encombrants.
Gary en profita pour fusiller Vincent du regard comme s’il avait dit une grossièreté.
- Bon dieu, Vincent ! Si on arrive en retard, Schultz en fera une affaire personnelle. C’est écrit noir sur blanc dans son dossier. Vous le connaissez mieux que moi. Ce type est tout sauf épris d’indulgence. Il nous le fera payer. Et vous savez comment !
A son tour, Vincent extériorisa son écoeurement :
- Ces gens sont en danger et vous ne pensez qu’à Schultz ?!!
- Il y a quatre personnes en danger ici, j’ai bien noté. Mais si nous n’arrivons pas à l’heure au rendez-vous, il y a aura des dizaines de victimes supplémentaires.
- C’est du délire ! On va quand même pas les laisser crever !
- Il y a des services médicaux pour ça. Ils sont déjà en route.
- Vous savez très bien qu’ils arriveront trop tard.
- Vous avez une idée ?
- Je vais en chercher une, moi, au moins.
Il s’approcha d’une des voitures avant d’ajouter sans se retourner :
- FBI ça voudrait pas dire Foutrement Bien Incapable, par hasard ?
- Ne soyez pas grossier. J’ai appris à analyser une situation et à prendre les meilleures décisions quelles qu’en soient les conséquences. Les sacrifices sont toujours à envisager, du moment qu’ils permettent la sauvegarde d’un plus grand nombre.
Vincent s’agenouilla sur la route près d’une des victimes.
- C’est pathétique. On dirait un discours militaire.
- La guerre est ce qu’elle est, mais elle a certainement apporté pas mal d’enseignements à ceux qui l’ont faite.
- Ouais, comme celle de pouvoir crever au nom d’une cause débile qu’ils ne cautionnaient même pas.
- Je vous trouve plutôt étroit d’esprit pour quelqu’un qui a autant d’imagination.
- C’est que vous jugez beaucoup trop vite. Et surtout très mal.
- Merci du sermon. Je tâcherai de m’en souvenir lorsqu’on ramassera les cadavres à Wilkes-Barre.
Sur ces mots, Gary improvisa un pansement pour interrompre l’hémorragie d’un accidenté.
- Connard, mumura Vincent.
La jeune femme dont il jaugeait les blessures revenait de reprendre connaissance.
- Quoi ?
- Madame, tout va bien, je suis de la police. Dites-moi si vous pouvez plier vos jambes et vos bras.
Elle vérifia avant d’opiner.
Lorsque tout sembla en ordre pour l’arrivée des secours, Gary fit un signe de la main à l’officier et se dirigea vers son Landcruiser d’un pas résolu.
Vincent le retint par un bras.
- C’est tout l’intérêt que vous portez à la vie des autres.
- Je me sens impuissant si vous voulez tout savoir. Je ne sais pas gérer ce genre de situations. Je ne sais plus. Demandez-moi n’importe quoi, mais pas ça.
Vincent ne perdit pas de sa hargne :
- Je peux savoir comment vous êtes arrivé au FBI ?
Gary se retourna. Il avait les yeux embués.
- J’ai perdu ma femme dans un accident de voiture. Ca fait presque trois ans. Ca vous paraît assez…significatif.
Viincent allait dire quelque chose lorsque l’officier arriva en courant. Il ne cachait pas sa panique :
- Une autre voiture vient d’être découverte. Elle a été projetée dans le fossé c’est pour ça qu’on ne l’a pas vue tout de suite. Les parents sont saints et saufs, mais leur fille est encore coincée à l’arrière.
- Et je parie que ça va exploser, lança Gary avec une étonnante légèreté.
Vincent le connaissait assez bien maintenant pour savoir que ce n’était qu’une illusion.
L’officier secoua la tête.
- Exactement. Et ce n’est pas tout. Les pompiers sont retardés. Y a eu un autre accident encore plus grave à quelques kilomètres au sud. C’est la merde !
Le trio courut jusqu’à la voiture en question. Gary et l’officier ne furent pas trop de deux pour rassurer les parents éplorés.
Gary revint ensuite aux côtés de Vincent qui avait ramassé une barre de fer et s’en servait comme levier pour ouvrir la portière. Les flammes envahissaient déjà l’habitacle. La situation semblait réellement désespérée. Il n’avait pas le matériel qu’il fallait.
Vincent regarda droit devant lui sur le bas-côté, à un endroit où tous les badauds y compris Gary ne voyait rien qu’un espace dénué de tout intérêt.
- Les secours sont là, ils vont nous dire quoi faire.
Les trois pompiers descendirent du camion. Ils fixèrent Vincent et personne d’autre.
D’un signe de tête, Vincent leur indiqua qu’il était prêt.
- Montrez-moi.
Tour à tour, Les trois sauveteurs montrèrent à Vincent les gestes à faire pour permettre le secours de l’enfant. Comme dans un état second, il donna des directives à Gary, à l’officier, aux parents et même aux badauds. Il avait l’air tellement sûr de lui qu’il ne vint à l’idée de personne de contester ses décisions. Avec discipline et patience, les paires de bras sollicités vinrent à bout du métal, mais le plus dur restait à faire. Vincent enleva la fillette dans ses bras. Elle ne devait pas avoir plus de dix ans. C’était une métisse. Il la posa au sol avec la plus extrême délicatesse comme si elle menaçait de se briser. Il s’agenouilla à côté d’elle. Elle respirait encore, mais son pouls était très faible. Gary s’approcha et murmura :
- Cette gamine va mourir et les secours ne sont toujours pas là. Je sais que ça peut paraître dément, mais je n’ai jamais fait de réanimation. Et vous ?
Vincent regarda en direction du bas-côté. Les trois pompiers et leur camion avaient disparu. Il fouilla alors le cercle de badauds du regard comme dans l’espoir de trouver une aide providentielle. Soudain, il remarqua une femme. Elle portait un manteau gris et un chignon. Elle lui sourit.
Vincent lui adressa un signe de tête. Son visage était méconnaissable. Gary l’observait, médusé.
- Montrez-moi.
La jeune femme s’exécuta aussitôt. Elle simula les gestes précis à faire avec le timing idéal, rapidement relayé par un vieil homme, puis un adolescent. Position de sécurité, bouche à bouche, massage cardiaque.
Vincent les observa avec une application exemplaire, reproduisant les gestes qui sauvent à la perfection, comme si sa propre vie en dépendait. Sa concentration était incroyable et les parents de l’enfant en étaient profondément émus. Mais leur émotion n’avait rien à envier à celle de Gary. A mesure qu’il comprenait d’où venait la formidable inspiration de Vincent, l’agent se sentit soudain tout petit et réellement insignifiant face au génie qui se manifestait face à lui.
Un hélicoptère arriva sur ces entrefaites. Il avait intercepté l’appel de détresse et repéré la fumée. La chance tournait. La fillette fut emportée dans les airs, rejoignant le ciel  en laissant bon espoir sur son état. Vincent avait fait ce qu’il fallait, parce qu’il avait su trouver des alliés à la hauteur. Il commença à regagner doucement la réalité. Son esprit lui paraissait confus. Il ne sut plus très bien ce qui venait de se passer. Gary le comprit rapidement.
- Je n’en reviens pas de ce que vous venez de faire. Vous l’avez sauvée. Sans vous, elle était condamnée. Vous l’avez sauvée. Vous seul l’avez fait. Vous aviez déjà fait des réanimations ?
Vincent regardait autour de lui, tentant de se réapproprier les évènements et surtout son mental. Il ne vit même pas les badauds lui adresser des louanges et des félicitations à qui mieux mieux. Il essaya de repérer une jeune femme avec un manteau gris dans la foule. Mais sans succès.
- Je… Je croyais ne pas m’en souvenir.

 

12

 

Les deux hommes reprirent la route. Ce qui s’était passé avait changé encore davantage la manière dont chacun percevait l’autre.
- Je suis vraiment navré pour votre femme. Je regrette de l’avoir appris dans ces circonstances.
- Il ne faut pas. Je ne vous en aurais sans doute jamais parlé, sinon. Et ça m’a fait le plus grand bien de le faire.
- Alors le psy ce n’est pas que pour le boulot.
Gary opina.
Vincent l’observa avec plus d’intérêt.
- Vous faites souvent des cauchemars, j’imagine.
- Oui.
Puis le regard de Gary changea et il retrouva sa véhémence :
- Vous êtes le parfait opposé de Schultz, déclara-t-il avec un engouement extraordinaire. Il est la mort et vous êtes la vie. Ne laissez jamais personne vous comparer à lui. Vous venez de sauver une enfant d’une mort certaine parce que vous avez vu des gens que personne d’autre n’était capable de voir. Dans votre cas, ce n’est pas une malédiction, ce n’est même pas une maladie. C’est un pouvoir, un don du ciel.
- Merci, ça me touche beaucoup, Gary. Seulement, j’ai des raisons d’être plus objectif que vous. Vous avez vu le côté lumineux, mais je possède aussi le côté obscur, pour vous donner une image qui vous parle.
- Comment ça ? Vous n’avez jamais tué personne que je sache.
Le visage de Vincent s’assombrit. Il se fermait à nouveau comme la fois où il avait évoqué son partenaire dans la cafétéria de la station-service.
Mais cette fois, la curiosité de Gary fut la plus forte :
- Dans quelles circonstances vous avez quitté la police, Vincent ?
- Je crois que c’est facile à deviner. Un schizo dans les forces de l’ordre, cherchez l’erreur.
Tout en disant cela, Vincent haussa les sourcils de manière comique.
Gary faillit s’étrangler de rire.
- En tout cas, vous n’avez pas été viré parce que vous étiez un tueur psychopathe.
- Vous l’avez lu dans mon dossier ?
- Non, je l’ai lu en vous.
- Et vous faites souvent ça ?
- Autant que possible. Ca aide à affiner l’instinct. Les dossiers c’est bien beau, mais c’est souvent incomplet et ça manque…
- D’humanité ?
- Quelque chose comme ça.
- Je ne savais pas que le FBI faisait dans la charité.
- Bien sûr que si. C’est même la raison de son existence.
- Peut-être, mais j’ai toujours pensé qu’il y avait anguille sous roche. Ne le prenez surtout pas mal.
- Je n’ai aucune raison. Moi, je sais pourquoi je fais ce métier.
- Pour les bonnes raisons ?
Gary opina.
Alors Vincent d’ajouter :
- Protéger et Servir et tout le tremblement ?
Nouveau hochement de tête.
- Et bien pour en revenir à mon cas, figurez-vous que je n’étais plus capable de tout ça et c’est pour ça qu’ils m’ont gentiment mis au rebut. Pas besoin de commettre un meurtre à la hache. Il a suffi que mes visions commencent à me distraire un peu trop et j’ai commis une grave erreur avec laquelle je dois vivre.
Voyant qu’il avait toute l’attention de Gary, Vincent, très confiant,  poursuivit :
- Pour vous la faire courte, j’étais avec un collègue, très sympa au demeurant. On aimait bien créer une sorte de compétition entre nous. Un jour, on devait appréhender un suspect dangereux et supposé armé. Au moment critique de l’arrestation, j’ai vu un gros chien noir débouler de nulle part dans l’appartement. C’était un vrai molosse. Sauf qu’il n’existait que dans mon imagination. En fait, j’ai compris plus tard que le stress de l’intervention m’avait fait matérialisé un de mes pires souvenirs d’enfance, Raoul, le chien de garde de mes voisins. J’ai cru qu’il allait nous attaquer. J’ai sorti mon arme et j’ai tiré pour l’effrayer. Ca a tout foutu en l’air. Le suspect nous a repéré et a fait feu. Mon partenaire a été touché à la poitrine. Je suis parvenu à neutraliser le gars, mais le mal était déjà fait. Mon collègue, il s’appelait Fernando, s’en est tiré de justesse. La suite vous la connaissez dans les grandes lignes.
Gary acquiesça.
-Témoignages, rapports d’enquête, entretien psychologique et diagnostic psychiatrique.
- Oui, ça n’a pas traîné. Je crois que mon cas a été bouclé en moins d’une semaine. Du jour au lendemain, je suis passé de jeune recrue prometteuse à l’ennemi public n°1.
- Mais pourquoi vous n’avez pas menti ?
- Mentir ? Pour quoi faire ?
- Pour vous protéger !
- J’étais peut-être schizo, mais j’étais encore lucide et je savais très bien que la seule façon intelligente de me protéger c’était de me faire soigner et dans les plus brefs délais. J’adorais mon métier, Agent Chase, et s’il m’est possible de le reprendre un jour, je serais le plus heureux des hommes.
- Je comprends. Mais personne ne vous a donc soutenu dans cette épreuve ? Vous aviez acquis une réputation quand même.
- On m’a regardé comme un pestiféré, comme si j’allais contaminer tout le central.
- Cela aurait dû rester confidentiel.
- Oui. Mais ça faisait sans doute trop plaisir à certains de me voir exclus du service. Le succès provoque toujours la jalousie de certains, surtout de ceux qui stagnent faute de prendre de réelles initiatives. J’en ai fait les frais.
- Et Phil Tretco ? Il a l’air d’un type honnête et sérieux.
- Il l’est. C’est effectivement le seul qui m’a vraiment témoigné du soutien. Mais ça n’a pas changé grand-chose. Personne ne m’a tendu la main dans ma famille. Je crois d’ailleurs qu’elle n’attendait que ça pour couper définitivement les ponts avec moi. De me sentir aussi seul au monde, ça a probablement aggravé la maladie. Il n’a pas fallu longtemps pour que je commence à voir des gens qui n’étaient pas vraiment là.

 

13

 

Eric roulait à toute vitesse. Il se mit à siffloter. Il se sentait joyeux. Il savait qu’on lui laisserait le champ libre jusqu’à Wilkes-Barre. Il connaissait les rouages de la police et la police le connaissait suffisamment pour savoir de quoi il était capable.
- Il suffirait qu’ils envoient un sniper pour te liquider. Tu y as pensé, mon chou ?
Eric jeta un coup d’œil dans le rétro intérieur. Jenny l’aguichait sur la banquette arrière. Elle était vêtue d’un corsage moulant sa généreuse poitrine et d’une mini-jupe qui laissait entrevoir le galbe de ses cuisses blanches. Eric se souvint de bons moments passés avec elle. Mais cela lui fit plus de mal que de bien.
- Quand est-ce que t’es montée ?
- Elle est là depuis le début, renseigna Jimmy, assis à côté d’elle.
Eric préféra les ignorer tous les deux. Il voulait profiter au maximum de son sentiment de liberté.
Sur la droite, il repéra une jolie fille faisant du stop. Elle était aussi sexy et provocante que Jenny. Ses poings se resserrèrent sur le volant. Il ralentit pour la détailler à sa convenance. Pensant qu’il allait s’arrêter, la fille se fit plus aguichante encore.
- Depuis quand tu t’es pas fait une pute ? Je veux dire, depuis moi ?
Jenny avait délibérément employé un ton détaché, comme si elle parlait de la pluie et du beau temps. C’était sa marque de fabrique, sa signature.
Les mains d’Eric se crispèrent un peu plus sur le volant. Il s’arrêta à la hauteur de l’auto-stoppeuse.
- Ne la prends pas, dit Jimmy avec une autorité toujours surprenante pour son âge.
- Vous commencez vraiment à me faire chier, tous les deux !
Eric redémarra en faisant crisser ses pneus. La fille avait disparu, comme consumé par sa colère.
- On t’a jamais dit que tu l’ouvrais un peu trop pour ton âge ?
Eric jetait des regards courroucés dans le rétro intérieur à l’attention de ses deux passagers.
- T’es pas ma mère, fit Jimmy avec dédain.
- S’il te plait, me parle pas de ta mère. En parlant de pute, en voilà bien une, tiens !
- Tu parles de ta sœur, je te signale.
C’était Jenny. Jenny la chieuse. Eric la détestait quand elle le méprisait et cherchait à le rabaisser à tout prix.
- A mon grand regret, rétorqua Eric. Mais comment t’appelles une fille qui passe son temps dans des palaces à se faire allumer par le premier gigolo venu ? Et pendant ce temps, qui s’occupe de son fils, hein ? Qui s’occupe du petit Jimmy ?
Eric soupira.
- Ca fait peut-être mal d’entendre ça, mais ça vaut mieux que de se voiler la face.
- Je sais très bien m’occuper de moi, dit Jimmy avant de faire claquer une bulle de chewing-gum.
- Ah ouais ? Si c’était le cas, tu serais pas assis à l’arrière de cette caisse avec un tonton en fuite déguisé en flic ! Tu crois pas ?
Le silence de ses deux passagers finit par lui donner raison.
Eric jeta un coup d’œil à sa montre.
- Je commence à doucement me faire chier, moi.
Il plissa les yeux. Quelque chose à environ cent mètres semblait obstruer la route. Il ralentit et son visage se tordit sous le coup d’une vive émotion lorsqu’il comprit ce qu’il se passait.
- Les fils de pute !
Il arrêta la voiture et se passa la langue sur les lèvres. Il y avait six voitures de patrouille et deux fois plus d’hommes. Des policiers en uniforme, armés de 9 mm et de fusils à pompe. Il avait tué deux des leurs. C’était plus qu’une arrestation. C’était une vendetta. Un mégaphone cracha son ultimatum :
- Eric Schultz ! Sors de ton véhicule les mains sur la tête. Tu as dix secondes. Au moindre geste suspect ou si tu n’obtempères pas, nous ouvrons le feu. Il n’y aura pas d’autre avertissement.
Eric sourit. Il redémarra et s’empara de la radio.
- Vincent ?
- Je t’écoute, Eric.
Vincent se tourna vers Gary.
- Pourquoi il nous rappelle ?
Gary se concentrait sur la route, mais cela ne l’empêcha pas pour autant d’ironiser :
- Peut-être que le doux son de votre voix lui manque.
Vincent grimaça.
- Ecoutez-moi bien, toi et ton connard de chaperon. Vous voulez jouer au con avec, moi, alors on va jouer. Mais je peux vous assurer qu’à ce jeu-là, j’ai toujours une longueur d’avance. Vous auriez jamais dû me coller ce barrage. Vous le savez bien. Je sais pas pourquoi vous avez fait ça. Vous croyez vraiment que ça va m’arrêter ? Maintenant c’est œil pour œil. Je vais passer en mode méchant. Surveillez bien la radio, car on va pas tarder à annoncer un massacre en règle. Vous l’aurez cherché !
Eric coupa la communication. Il avait parlé rapidement, sans donner le temps de répliquer à ses interlocuteurs.
Vincent et Gary se dévisagèrent, éberlués, puis Gary se mit à assener de grands coups sur le volant.
- Merde ! Merde ! Merde ! Putain, mais quels cons ! Je leur avais dit de ne rien faire. Ils en ont fait qu’à leur tête ! Maintenant on va payer les pots cassés !
- Il va tous les tuer, dit Vincent en imaginant très bien la scène. Et le pire, c’est que ce ne sera qu’un avant-goût. Ensuite, il nous fera payer notre trahison envers lui.
- Putain ! rugit Gary. On l’avait. Tout était réglé, il a fallu que ces enfoirés jouent les cow-boys !
- On peut rien faire, hein ?
Gary faisait fonctionner son cerveau à plein régime. Il n’avait pas le droit d’échouer si près du but. Il repensa subitement à Rachel, sa femme et à ce qu’elle lui aurait dit en cette occasion. Son regard s’illumina.
- Rappelle Eric. Tu vas lui demander de nous donner les plaques d’immatriculation des voitures du barrage. On va identifier ces enfoirés et les remettre vite fait derrière leur bureau. Il faut qu’il comprenne qu’on rien à voir avec ça.
Vincent s’exécuta fébrilement. Il composa plusieurs fois le numéro. En vain. Ses traits se décomposèrent lorsqu’il comprit qu’Eric ne répondrait pas. Gary accéléra de plus belle. Mais ils savaient tous deux qu’en dépit de leurs efforts la situation était en train de leur échapper.
Eric se frotta les mains.
- On dirait que j’ai un peu de boulot. Fermez les yeux, les copains, ça va pas être joli à voir. Il jeta un coup d’œil à l’arrière, mais ses deux passagers avaient visiblement préféré prendre congé.
Eric s’en félicita. Ces deux pots de colle l’auraient gêné de toute façon. Il arrêta la voiture à trente mètres du barrage et défia les policiers du regard à travers le pare-brise.
- Venez m’arrêter. Je sais que vous allez venir. Vous préférez me faire la peau les yeux dans les yeux, au corps à corps, hein ? Je sais ce que c’est. C’est viscéral. Et puis, loin des yeux…
Eric s’esclaffa.
Quatre flics s’avancèrent, l’arme haute, le regard mauvais. Le premier voulut ouvrir la portière du passager, mais elle l’était déjà. D’un coup de pied, Eric l’ouvrit à la volée. Le flic fut violemment jeté au sol et son arme vola loin de lui. Une balle éclata la vitre. Eric reçut quelques éclats. Il secoua la tête avant de se jeter sur la banquette arrière. Les trois flics ouvrirent le feu à plusieurs reprises. Le pare-brise explosa et les sièges de l’habitacle furent criblés d’impacts. Le silence s’installa, seulement troublé par les craquements du moteur encore chaud et par la respiration haletante des policiers aux aguets. La main armée d’Eric apparut au-dessus de la vitre arrière droite. L’un des flics ouvrit la bouche pour alerter ses partenaires, mais la balle lui perfora la pomme d’Adam. Il s’écroula face contre terre. Les deux autres répliquèrent. Ils arrosèrent l’arrière de la voiture avant de s’apercevoir qu’il n’y avait plus personne à l’intérieur. L’un des flics reçut une balle dans chaque cheville. L’autre comprit alors que le tueur était allongé sous le véhicule. Il se coucha sur le sol et brandit son arme. Eric fut plus rapide. Il visa entre les yeux et le toucha mortellement.
Celui qui avait été assommé par la portière reprit connaissance. Sa main chercha son arme à tâtons sur le bitume. Une menotte se referma sur son poignet et il se retrouva attaché à la portière en un éclair. Impuissant, il regarda Eric ramasser son fusil à pompe.
- C’est sûrement ça que tu veux ?
Le tueur le dominait de toute sa hauteur. Du sang avait éclaboussé son uniforme. Maintenant cela n’avait plus aucune importance. Il contempla l’arme entre ses mains. Il l’embrassa avant de se fendre d’un sourire carnassier.
- J’adore ce jouet !
Le flic tendit ses mains devant lui en un rempart illusoire.
- Faites pas ça. J’ai une femme et elle est enceinte. Je vous en supplie. J’obéis juste aux ordres.
Eric opina.
- Je comprends, petit. Moi aussi. Mais question hiérarchie, je suis légèrement au-dessus de toi.
Il lui colla le canon sous l’œil droit et appuya sur la détente.

 

14


Gary roulait à une vitesse indécente même pour un agent du FBI comme lui. Trop occupé à éviter un accident, il demanda à Vincent de contacter la police de Philadelphie.
- L'idée c'est de leur passer un savon, c'est ça ?
Gary acquiesça.
- Ils vont aussi devoir ramasser les morceaux avec nous.
Lorsque Vincent parvint à s'entretenir avec un responsable, les deux hommes furent ébranlés par son explication :
- J'ai envoyé personne sur cette route, vous pouvez me croire. On a bien reçu les consignes et on connaît suffisamment Schultz pour ne pas le provoquer sur son propre terrain.
- Vous êtes certain ?
- Je vous le répète : je n'ai mis aucun barrage en place. Il a libre accès jusqu'à Wilkes-Barre.
- Merci, dit Vincent  lorqu'il eut repris ses esprits. Vous pouvez pas savoir combien ça nous soulage.
Gary ralentit un peu et s'affaissa sur son siège en soupirant.
- Merci, mon Dieu.
- Vous êtes croyant ? s'enquit Vincent.
Gary sourit nerveusement.
- Non, mais parfois la tentation est grande.

Gary se passa une main sur le front comme pour se faire à une terrifiante idée.
Comme s'il avait lu dans ses pensées, Vincent opina du chef avant de déclarer :
- Oui, Eric est capable de ça. Imaginez de quoi il pourrait être capable si nous le poussions dans ses derniers retranchements.
La perspecive d'affronter Schultz n'apparaissait plus aussi séduisante à Gary, il devait bien l'admettre.
- Il ne va sûrement pas nous donner le choix.
Il s'accorda un délai de réflexion avant d'ajouter avec espoir :
- Je peux donner l'ordre de faire évacuer l'aéroport.
Vincent se râcla bruyamment la gorge.
- Mauvaise idée. Ca reviendrait au même pour lui que d'installer un barrage.
- Evidemment. Il veut qu'on le voit chasser sur le terrain de son choix, mais interdiction de modifier les règles de son jeu.
Vincent acquiesca :
- Vous commencez à bien le cerner. Ce ne sera pas du luxe.
Gary se cramponna à son volant comme pour transmettre plus d'énergie à son véhicule :
- Je compte faire plus que le cerner.

 

15

 

Eric venait de reprendre la route. Il se recoiffa d'une main et examina son uniforme. Il constata avec étonnement qu'il n'était plus taché de sang.
Il oublia vite ce détail insolite en pensant à la foule qui l'attendait à l'aéroport. La fête allait bientôt avoir lieu et c'est lui qui aurait l'honneur de donner le coup d'envoi.

En arrivant sur les lieux, peu de temps après, il fut déçu de trouver aussi peu de monde. Des gens allaient et venaient bien dans le hall, mais l'impression générale ne le satisfaisait pas vraiment.
- Qu'est-ce que tu aurais voulu ? Des strip-teaseuses ?
Une bulle rose sortit des lèvres de Jimmy.
Eric ne lui adressa pas même un regard.
- Tiens, te revoilà, toi ! Me dis pas que l'autre cinglée est avec toi !
L'intéressé ne répondit pas.
- Très bien, fit Eric. Tu commences à devenir un gentil garçon. Si tu continues à être sage, je t'emmènerais peut-être faire un tour en avion.
- Tu sais piloter ?
- Non, mais je trouverai bien quelqu'un pour nous emmener. Je sais être très convaincant, tu sais. Surtout quand je veux faire plaisir à un ami.
- Je te demande juste de ne pas tuer d'hôtesses de l'air.
- Pourquoi je ferai ça ? s'indigna Eric. J'adore les hôtesses de l'air. C'est grâce à elles que la plupart des gens oublient qu'ils peuvent mourir en avion. Ce sont des anges. Et moi, les anges, je les respecte.
- Ca veut dire que tu vas juste les faire souffrir.
Eric regarda enfin le jeune garçon. Il haussa les épaules en soupirant.
- Tu me connais, Jimmy. J'ai besoin d'un contact physique privilégié avec les gens. Je suis comme ça. Faut que je les touche pour me sentir réel.
- Tu pourrais juste...je sais pas moi...leur serrer la main ou leur faire la bise.
- Dis, si c'est pour me sortir des conneries de ce genre, tu peux aller voir ailleurs si j'y suis. Tu le veux ce tour en avion, oui ou non ?
Jimmy secoua rapidement la tête.
- Bon, alors tu la boucles et tu me laisses faire connaissance à ma manière. C'est dingue, ça ! C'est quand on me rend nerveux comme ça que je mets à faire n'importe quoi. Et après, on me reproche d'avoir dépassé les limites. Je suis un type raisonnable. Mais si on m'emmerde, si on critique mes habitudes, forcément je deviens irritable. C'est normal. Faut se mettre un peu à ma place. J'ai pas une vie facile. Je dirais même plus, personne n'aurait envie d'avoir la vie que j'ai. Non, Personne.
Une fillette l'observait parler tout seul avec amusement. Elle lui sourit.
- Dis, monsieur, tu parles à qui ? A des fantômes ?
Eric se baissa et lui sourit à son tour.
- Non, Jimmy, aucune hôtesse.

 

16

 

Gary gara le Landcruiser sur le parking de l'aéroport. Vincent sortit de la voiture et regarda autour delui d'un air ahuri :
- Mais...le parking est vide. On est au bon endroit, vous êtes sûr ?
Gary le rejoignit. Il sourit.
- J'ai fait évacuer les lieux.
Vincent faillit avaler sa langue.
- Quoi ? Mais vous êtes complètement malade !
- Vous avez le droit de le penser, mais je sais très bien ce que je fais.
- Mais tout à l'heure...
- De la pure stratégie. Quand on a appris que le barrage était seulement l'oeuvre de Schultz, j'ai su que j'avais fait le bon choix. Il espérait rencontrer un obstacle sur la route, donc il l'a imaginé. Il ne s'attend pas à trouver l'aéroport vide, donc il va s'employer à le remplir. Tretco a été très clair avec moi à ce sujet. Le pouvoir d'Eric n'a que les limites de son imagination.
- Mais vous êtes complètement inconscient. La maladie de Schultz n'est pas une science exacte.
- Vous ne jouez jamais au poker ?
- Jamais avec la vie des gens !
- Moi non, plus. C'est pour ça que j'adore le poker.
Vincent fusilla l'agent du regard et pointa un index menaçant dans sa direction :
- Si jamais on s'en sort vivant, je vous jure que je...
- Suivez-moi au lieu d'essayer de dire des âneries.
Vincent ne supportait pas de s'être fait avoir de la sorte. Son visage s'empourpra :
- Et puis d'abord, quand est-ce que vous avez appelé pour évacuer l'aéroport ? On a passé la journée collés l'un à l'autre.
Tout en se dirigeant vers les portes du hall, Gary lui lança un regard amusé :
- Vous oubliez le moment où vous avez vomi votre sandwich.
Lorsqu'ils entrèrent dans le hall, ils purent mesurer combien les autorités avaient bien fait leur boulot.
- Pas un chat, observa Vincent avec inquiétude.
- Oui, mais où est Schultz ? s'enquit Gary.
Vincent marcha soudain dans une direction précise.
- Il est aux toilettes.
- Qu'en savez-vous ?
- Mon petit doigt qui me l'a dit.
- Ce ne serait pas plutôt une jolie femme avec un chignon et un manteau gris ?
- Dois-je en conclure que celle que j'ai vu à la station-service n'existait pas ?
Vincent n'était pas dupe de sa propre pathologie ce qui le rendait encore plus attachant. Gary en fut peiné. Il n'avait pas toujours été très tendre avec lui. Il allait s'en excuser lorsqu'ils arrivèrent devant les toilettes.
Gary saisit aussitôt son arme et posa un doigt sur sa bouche pour intimer le silence à son partenaire. Il avait à peine posé sa main sur la poignée que la porte que celle-ci s'ouvrit à la volée. Schultz se rua sur l'agent et le mit à terre. Un coup de feu éclata. Les deux hommes luttèrent pour la possession de l'arme. Eric jubilait.
- La sécurité va rappliquer et vous foutre des bâtons dans les roues. Vous êtes deux beaux minables.
Après un instant d'hésitation, Vincent frappa le tueur dans le dos à plusieurs reprises pour lui faire lâcher prise. Eric semblait totalement insensible à la douleur. Il fronça les sourcils en apercevant Jimmy du coin de l'oeil.
- Tire-toi de là ! C'est pas un spectacle pour les gosses !
Vincent se figea :
- Quoi ?
Eric en profita pour lui envoyer son talon gauche dans les parties. Vincent se plia en deux sous le choc. Une nouvelle détonation se fit entendre.
Schultz se redressa et s'enfuit en courant. Une main plaquée sur l'entrejambe, Vincent vint s'enquérir de l'état de son partenaire.
- Ca va, Gary ?
Il s'épouvanta en voyant ses vêtements tachés de sang.
- Ca va, fit Gary en serrant les dents. Il va juste me ruiner en pressing. Rattrapez-le. Il ne faut pas qu'il s'échappe d'ici.
Vincent lui serra l'épaule.
- Comptez sur moi, il n'ira pas loin.
A ces mots, il ramassa le pistolet et s'élança à la poursuite du tueur.
Eric se frayait un chemin dans la foule devenue soudain plus dense, comme un fait exprès.
- Poussez-vous ! rugit-il.
Il tomba sur trois agents de sécurité.
- Un problème, monsieur ?
Eric tourna la tête. Vincent arrivait droit sur lui. Il avait l'air très déterminé.
- Un type un peu collant. Ca doit être pour ça qu'il se prend pour un super héros.
Les hommes furent insensibles à son humour.
- Vous voulez qu'on vous en débarrasse ?
Eric réfléchit un instant.
- Ouais. Mais faites-ça discrètement. Je vais en profiter pour le baratiner.
Il se retourna et se planta devant Vincent, armé d'un sourire inquiétant qui se voulait amical.
- Ca va tes couilles ?
Vincent secoua la tête en grimaçant.
- Désolé pour l'accueil, reprit Eric, mais si je t'avais simplement dit bonjour, tu aurais pris ça pour une embuscade. Je suis pas hypocrite.
Vincent se redressa comme pour se montrer à la hauteur du défi qui s'annonçait.
- Non, juste Schizophrène. J'imagine que c'est moins grave.
- J'aime pas ton humour, Faulk.
- Désolé, mais le service psychiatrique du Dickinson Mental Health Center ne m'a pas aidé à le bonifier.
Cette allusion détendit quelque peu Schultz.
- Ils t'ont bourré de médocs, hein ? C'est tout ce qu'ils savent faire. Pour eux, on est des animaux d'une espèce inconnue. Ils savent pas où nous ranger, alors ils font comme si ils savaient. Mais on est à part, tu sais. C'est normal qu'on fasse des conneries. Faut le temps d'apprendre à se connaitre.
- Tu pouvais apprendre autrement qu'en tuant des innocents. Moi j'ai fait un autre choix.
- Non, t'as juste obéi à ta conscience. Le choix de l'évidence, c'est pas un choix. Moi je choisis pas non plus. Je fais selon mon coeur. Tu devrais jeter ton flingue. La sécurité est derrière toi.
Vincent sentit qu'il perdait son assurance. Ce n'était pourtant guère le moment. Heureusement, c'est ce moment que choisit Gary pour venir à la rescousse.
Sa blessure était moins grave qu'il n'y paraissait. Vincent en fut soulagé. L'agent s'appuya contre une colonne et murmura avec gravité :
- Vous allez répéter mot pour mot tout ce que je vais vous dire.
- Tu sais aussi bien que moi qu'il n'y a personne à part nous, déclara soudain Vincent avec autorité.
Schultz le toisa avec dédain.
- Ne te prétends pas supérieur à moi. J'ai plus d'expérience que toi, mon vieux.
- Si par expérience, tu entends victimes au compteur, alors oui, tu es plus expérimenté que moi.
Schultz le braqua avec son pistolet de flic.
- Tu me sous-estimes, ça se voit. Tu me prends pour le méchant de l'histoire et tu te dis que ça suffit à faire de toi un héros.
- Oui, dans les grandes lignes, c'est comme ça que je vois les choses. Mais ça veut pas dire que j'ai pas envie que tu t'en sortes.
- Arrête, tu vas me faire pleurer. Je suis très sensible.
- Je sais. Sinon, tu aurais oublié depuis longtemps ce que ton grand-père t'a fait.
- Ah ! J'imagine que ça c'est ta botte secrète. C'est le moment où je vais m'apitoyer sur moi-même en m...
Le regard de Schultz se troubla.
- Putain, vous l'avez amené ici avec vous ! Mais vous êtes des sales fils de put...
Ses yeux étaient visiblement fixés sur son ancien tortionnaire.
- Qu'est-ce que tu fous là, salopard ! Tu veux finir le boulot, hein ? Tu veux ma peau ?
Le pistolet tremblait dans la main d'Eric.
- C'est moi qui vais te la prendre, vieil enfoiré ! Et je vais faire ça lentement, en souvenir du bon vieux temps.  
Vincent s'approcha lentement d'Eric. L'illusion pouvait disparaître à tout instant. Le temps était compté.
Eric pleurait malgré lui. Il soufflait comme pour mieux résister à la vague d'émotions qui le submergeait.
- T'es venu me demander pardon, c'est ça ? Tu crois que je suis assez cinglé pour accepter ? Jamais je te pardonnerai. La torture, c'est pas défendable. Tu aurais dû me tuer. Au lieu de m'élever, tu m'as rabaissé. Je suis devenu un reptile à cause de toi. J'ai passé ma vie à ramper comme un serpent et à me camoufler comme un putain de caméléon !
Eric ne faisait plus du tout attention à Gary et à Vincent qui en avait profité pour se rapprocher de lui. Encore quelques secondes et il pourrait le neutraliser. Mais c'est alors qu'Eric pointa son arme vers lui avec un visage impassible. Toute trace de souffrance avait disparu.
- J'ai pas oublié ce que m'a fait ce vieux salaud. Mais c'est pas pour autant que j'ai envie de revoir sa gueule.
Vincent comprit à cet instant qu'il avait effectivement sous-estimé Eric. Et il allait sûrement le payer au prix fort.
- Tu pointes ton flingue comme si c'était ta queue, mon chou. T'es chargé, tu crois ?
Eric ouvrit de grands yeux en reconnaissant la voix.
- Jenny, mais qu'est-ce que tu f...
La belle rousse l'observait. Elle se tenait contre une colonne dans une pose très glamour.
- C'est la fin pour toi, tu le sais. Tu as fait ce qu'il fallait pour.
Eric voulait l'ignorer, mais il en fut incapable. Peut-être parce qu'il sentait qu'elle était dans le vrai.
- Tu m'as bien aidé à en arriver là. On aurait pu être tellement heureux ensemble.
- Alors pourquoi tu m'as tuée ?
Sous le coup de la surprise, Eric baissa son arme.
- Quoi ?
- Je suis morte et tu le sais.
Jenny tira une bouffée de sa cigarette. On aurait dit une actrice des années cinquante.
- Tu n'as qu'un seul moyen de trouver le salut, mon chou. Un seul.
Elle mima une arme avec sa main libre et se toucha la tempe du bout des doigts.
Eric prit une grande inspiration.
- Si je le fais, ce sera pour me libérer de toi.
Vincent se jeta sur lui pour le désarmer, mais Eric n'eut qu'un geste à faire. Il retourna l'arme contre lui et pressa la détente. Le tueur s'écroula, touché à la poitrine. Jimmy s'agenouilla aussitôt près de lui, les larmes aux yeux :
- Je te jure que j'y suis pour rien ! Je te le jure !
Eric posa une main sur la casquette du garçon avant de lui adresser un dernier regard empli de tendresse :
- Je sais, Jimmy. Je sais.
Il lui serra la main.
- Accroche-toi, fiston. On va décoller.
Puis sa tête bascula en arrière et ses yeux se fermèrent.
Après avoir constaté sa mort, Vincent alla rejoindre Gary pour s'enquérir de son état et le remercier d'avoir joué les entremetteurs. Il ne le trouva pas. Il avait dû en profiter pour appeler des renforts car plusieurs voitures de police arrivèrent sur les lieux et une vingtaine d'hommes bouclèrent rapidement la zone.
Vincent s'adressa directement au chef :
- Je cherche Gary Chase, l'agent du FBI qui était avec moi.
Son interlocuteur posa une main sur son épaule avant d'indiquer du menton un brancard.
- Désolé, il s'en est pas sorti.
Vincent sentit le monde chavirer autour de lui. Il ne comprenait pas. La blessure était insignifiante. Il l'avait vu de ses yeux !
- Où l'avez-vous trouvé ?
- Devant la porte des toilettes. La balle a atteint directement le coeur. Il n'a pas souffert.

 

17



Vincent dévisagea son visiteur. Il aurait voulu dire tellement de choses sur Gary, mais le fait qu'il n'y parvenait pas n'était lié d'aucune manière au peu de temps qu'ils avaient passé ensemble.
- Je suis content de l'avoir connu, dit-il simplement.
Ted Meyers le gratifia d'un sourire amène. Il sentit que cela ne servait à rien de s'éterniser. Il se leva et se dirigea vers la porte.
Une question s'échappa alors des lèvres de Vincent :
- Il vous a parlé de l'accident de voiture de sa femme ?
L'ancien supérieur de Gary soupira longuement.
- Non. Jamais.
Puis il quitta la chambre du Dickinson Mental Health Center.
Vincent se retrouva à nouveau seul, assis sur son lit. Seul avec ses démons.
Il commença à sangloter. Il s'arrêta subitement en sentant quelque chose toucher doucement sa main droite. Il ouvrit les yeux. Sa douleur s'estompa aussitôt. Il releva la tête. Face à lui se tenait Gary Chase. Et il lui souriait.
- Vous êtes le meilleur de tous.

 

 

 

T’as aimé…ou pas

T’as tout lu, tout vu, tout entendu…ou pas

Peu importe, post un com et like la page pour dire que tu existes car ton avis est important pour moi, mais aussi pour le futur de ce blog, un gros merci d’avance !

Killer Scoop : L'émission qui tue [Nouvelles/Anticipations]

 

 

 

 

Emission N° 12 – 3ème jour

 

- Mme Bertrand, cela fait trois jours que l’émission a commencé. Le record, détenu par Monsieur Sanchez, est de cinq jours. Nous avons reçu beaucoup de questions de spectateurs, de téléspectateurs et même de certaines agences de presse qui suivent votre parcours avec beaucoup d’intérêt. Parmi ces nombreuses questions, trois sont revenues plus particulièrement. Je me permets de vous les poser : Est-ce que vous pensez faire mieux que Monsieur Sanchez ? Est-ce que vous pensez que vous avez eu de la chance jusqu’à maintenant ou que c’est grâce à votre prudence que vous avez survécu ? Et dernière question :

Si vous gagnez le montant de la cagnotte qui s’élève maintenant à 120 000 Euros, qu’allez-vous en faire ?

 

Mme Bertrand était visible sur l’écran géant du plateau. Elle était assise dans une cuisine. C’était une fort jolie femme de 45 ans, blonde, élancée, des yeux bleus à damner un saint. Comme à son habitude, elle baissa sensiblement la tête pour répondre :

- Je… je me contenterais de dire que c’est uniquement pour mes enfants que je joue. Comme vous le savez, j’ai 45 ans et j’ai énormément de mal à trouver du travail. Que je pâtisse de mon âge c’est une chose, que mes enfants en souffrent, c’en est une autre. Je ne veux plus les voir malheureux. Et je veux encore moins les perdre. Cela en dit assez long je crois.

La jeune femme se leva de table. Elle paraissait fragile. Trop.

 

Edouard Ventura redoutait que la réponse manque cruellement d’émotions. L’audimat était intraitable là-dessus. Quelques mots bien sentis dans son oreillette le lui confirmèrent.

 

- Mme Bertrand, une dernière chose s’il vous plaît et je vous laisse en paix. Sans vouloir le moins du monde douter de vos chances de succès, il apparaît quand même que vous semblez une proie plutôt facile pour notre tueur.

 

La caméra opéra un zoom avant sur l’intéressée qui tournait le dos à l’objectif.
Lorsqu’elle tourna son visage, ses yeux bleus étaient emplis de larmes et ses lèvres étaient secouées de spasmes :

- Une proie facile ! C’est comme ça que vous me définissez, c’est comme ça que vous me voyez ! Essayez d’enlever ses petits à une femelle, qu’elle quelle soit, et vous verrez si c’est une proie facile !

Elle sortit du champ.

Et Edouard Ventura afficha son plus beau sourire.

 

- Non, il faut que le tueur agisse cette nuit.

Il était 16H00. L’heure de la Grande Réunion. La télé diffusait les meilleurs moments des émissions précédentes, ce qui permettait de débattre en toute tranquillité sans perdre pour autant une miette d’audience. Parmi cette sélection gratinée, il y avait le moment où Francis Bonneval, garagiste à Toulouse, avait pris son fusil pour se défendre et s’était malencontreusement tiré une balle dans le pied. Un autre où Monsieur P. avait exécuté un malheureux clochard qu’il avait pris pour le tueur. Avant de se faire lui-même poignardé. Il y avait aussi bien entendu des instants plus dramatiques comme lorsque Mme Anne Hermann s’était fait prendre par surprise dans sa salle de bains. Le tueur avait rejoué « Psychose » pour la plus grande joie des fans et ce jour-là l’audimat avait explosé.

Et Edouard Ventura comptait bien réitérer l’exploit.

Le jeune Jérôme Monnet secoua la tête.

- Non, pas cette nuit. Si tu le fais intervenir cette nuit, elle y passera à coup sûr et du coup elle ne touchera pas la cagnotte. Depuis le début de l’émission, la cagnotte n’a été remportée que deux fois. Et la dernière fois, ça remonte à  la cinquième émission. Les candidats sérieux commencent à manquer. Il faut leur montrer qu’ils ont une chance. L’audience marche bien, mais ça pourrait changer si c’est toujours nous qui gagnons.

Edouard dévisagea Jérôme avec gravité. Il l’aimait bien. C’était un jeune gars intelligent et sensible. Peut-être un  peu trop.

-  C’est très bien vu et je te remercie de tes observations. Mais rien n’oblige le tueur à en finir cette nuit. Il peut très bien jouer au chat et à la souris avec elle. Ce serait même l’idéal. Cela satisferait tout le monde.

Edouard vit qu’il n’avait pas ôté tous les doutes de son employé.

- Qu’est-ce qu’il y a encore ?

- Tu es sûr qu’il est sous contrôle ? Je veux dire… Je trouve qu’il y a quand même eu des débordements. Lorsqu’il a tué les enfants de Mme Klein par exemple. C’était elle qui était  visée. Et il n’y a pas été de main morte avec eux. Ce n’était pas prévu, ce n’était pas dans le script. Et la fois où il a égorgé le doberman de Monsieur Bouvier. Tu ne vas pas me dire que ça ne pouvait pas être évité. On a reçu des plaintes. La SPA a failli gagner son procès. Ca pas été facile de leur faire gober que c’était un animatronique.

Edouard sourit en repensant aux scènes évoquées.

- Ces gamins auraient dû dormir à cette heure-là. Ils n’avaient pas dix ans. Quant à ce chien, et bien… c’est Bouvier qui a déconné si tu regardes bien. Il ne nous a jamais dit qu’il avait un putain de molosse. Eddy n’a pas eu le choix. T’aurais préféré qu’il se laisse bouffer peut-être ? Bonjour la crédibilité ! Est-ce qu’Hannibal Lechter se laisserait emmerder par un clebs ?

Jérôme lança un regard noir à son supérieur.

- Hannibal Lechter est un tueur fictif.

Edouard sentit qu’il avait encore du chemin à faire pour le convaincre.

- Ecoute, tu viens de le dire toi-même. Eddy n’est pas un acteur. C’est un vrai tueur. Il a ça dans le sang. Le fait que rien ne soit truqué  garantit une qualité constante de l’émission. On s’était mis d’accord là-dessus dès le départ. Sur M16, ils ont pris des comédiens, ils ont bidouillé les scènes de meurtre. T’as vu le résultat ? TéléFun ce n’est pas M16 ou Canal Flux ! Nous, on triche pas avec le public.

Jérôme grimaça :

- Mais c’est normal que ça n’ait pas marché sur les autres chaînes. Leur sang ressemblait à de la gelée de groseille. Quant au tueur… Son masque prêtait plus à rire qu’à autre chose.

Edouard crut bon de brosser son équipier dans le sens du poil.

 - Bon, j’admets qu’Eddy a un peu trop improvisé ces derniers temps. Mais ne t’en fais pas. On graisse la patte à suffisamment de monde pour avoir les coudées franches. Les gens veulent du spectaculaire, de l’inattendu. Un peu d’imprévu ne peut pas nous faire de mal, bien au contraire. Si ça peut te rassurer, je te promets de briefer sérieusement Eddy pour cette nuit. Il donnera des sueurs froides à tout le monde, mais il n’abîmera pas Mme Bertrand. J’y veillerai personnellement.

Jérôme soupira.

- Ok. Je te remercie, Edouard.

- Dis-moi, je te trouve bien sentimental. Enfin, plus que d’habitude. Tu n’aurais pas des vues sur notre candidate, par hasard ?

Le visage de Jérôme s’empourpra et il baissa la tête.

Edouard éclata de rire avant de reprendre brusquement son sérieux.

- Ce sera cette nuit et ce sera dans la maison. Le tueur portera un masque blanc, très simple mais très efficace. Il va apparaître brusquement, surgissant des ombres où personne ne l’attendait. On va leur rejouer « Halloween ». Ils aiment les références cinématographiques. Ils vont être servis.

 

Il était

21H30.

Mme Bertrand était installée dans son salon. Son visage était invisible derrière la couverture d’une très célèbre revue féminine qu’elle feignait sûrement de lire. L’émission générait énormément d’argent, mais entre les procès et les droits d’exploitations divers, les sponsors étaient vitaux.

On annonça que la liaison venait de se faire.

Edouard Ventura avait troqué son ensemble écru contre un superbe costume noir à paillettes.

Les fidèles de l’émission savaient que cela ne pouvait signifier qu’une chose : il allait se passer quelque chose d’excitant dans très peu de temps. C’est Edouard qui avait trouvé cette astuce dès la troisième émission. Cela permettait d’intensifier l’attention des spectateurs et de créer une sorte de complicité implicite avec le public.

 

- Mme Bertrand, comment vous sentez-vous ?

L’intéressée posa la revue qu’elle feuilletait et plongea ses beaux yeux bleus dans l’objectif.

Elle avait coupé ses beaux cheveux blonds qui auparavant cascadaient jusqu’au bas de son dos.

- Je me sens sereine, Edouard. Oui, très sereine.

Un frémissement agita l’assistance.

Même Edouard ne put cacher son trouble.

- Ma…Madame Bertrand…

- Je vous en prie, appelez-moi Lise.

- Et bien, Lise, c’est une véritable transformation. On peut connaître les motifs d’un tel changement ? Un changement aussi physique que psychologique, si je ne m’abuse.

Lise sourit.

- Vous avez raison. J’ai pris sur moi, voilà tout. Il faut que je gagne. C’est sans doute la seule occasion que j’ai de me mettre, moi et mes enfants, à l’abri du besoin. Je ferai tout ce qui est humainement possible pour remporter la partie. Quant à mes cheveux…

Lise prit une mèche blonde entre ses doigts délicats.

-… Je suppose que c’est pour éviter au tueur de me les arracher.

Des rires éclatèrent. Edouard fit écho, mais le cœur n’y était pas. Ce revirement n’était pas fait pour le rassurer. Mais il tint à saluer le courage de la candidate.

- Ma… Lise, vous pouvez vous vanter de nous surprendre. Il est évident que vous avez mis toutes vos chances de vôtre côté. Après avoir déménagé plusieurs fois, changé de noms, voilà que vous changez de visage. Nous sommes de tout cœur avec vous et à la place du tueur, je réfléchirais à deux fois avant de me lancer à vos trousses !

A nouveau l’assistance fit entendre des rires soutenus.

- Sachez, ma chère lise, que 63% du public vous donne vainqueur. C’est énorme. Même Monsieur Sanchez n’a pas obtenu un tel pourcentage. Et vous n’êtes pas sans ignorer que le public se trompe rarement.

Lise sourit de plus belle.

- Je ferai en sorte d’honorer cet encourageant pronostic, merci.

- Bon, même si nous sommes rassurés quant à  votre détermination, espérons tout de même que le tueur ne parvienne pas à vous débusquer.

L’expression de Lise s’altéra. Elle jeta un regard glacial à la caméra.

- Ne me prenez pas pour une idiote. Je sais très bien qu’il me trouvera. Il trouve toujours ses victimes. C’est le but du jeu, non ? Il faut un minimum d’adrénaline pour remplir les quotas. Il viendra et il viendra cette nuit.

Il fallut toute son expérience et sa discipline à Edouard Ventura pour dissimuler la consternation qui fut la sienne.

- Et qu’est-ce qui vous fait dire qu’il viendra cette nuit ?

Lise sourit à nouveau.

-  Voyons, Edouard. Vous avez mis votre costume noir à paillettes.

L’explosion de rire de l’assistance fut la goutte d’eau pour Edouard.

- Bon, et bien nous verrons. En attendant, je vous propose de nous retrouver après une courte page de publicité.

 

- La salope ! La salope !

Edouard entra dans son bureau. Il était fou de rage.

Il jeta sa cravate, pailletée elle aussi, et déboutonna son col.

Jérôme Monnet était assis devant un moniteur. Il avait tout suivi. Et il affichait une mine réjouissante.

- Elle était sublime.

Edouard se servit un Whisky et s’assit.

-  Elle m’a tourné en ridicule. « Ne me prenez pas pour une idiote », mima-t-il. C’est plutôt elle qui m’a pris pour un con, ouais ! La garce, elle sait pas ce qui l’attend !

Il vida son verre d’un trait et se resservit.

Le visage de Jérôme se rembrunit subitement.

- Qu’est-ce que vous allez faire ? Vous n’allez quand même pas la punir de défier la mort. On avait besoin d’une femme forte, d’une candidate qui en a. Jusqu’à maintenant on avait eu droit qu’à des pleurnicheuses incapables de surmonter leur peur. Les gens aiment les références, vous vous souvenez ? Ce sont vos mots. Ils vont voir en Lise Bertrand une Jeanne d’Arc, une Sarah Connor, une Helen Ripley, une Clarice Starling!

Edouard leva un sourcil.

- Helen qui ?

- La survivante du Nostromo.

Edouard haussa l’autre sourcil.

- L’héroïne d’Alien ! Vous oubliez vos classiques, Edouard.

Edouard vida son verre.

- J’oublie rien du tout. Si elle veut un monstre à sa hauteur, je peux te jurer qu’elle va l’avoir.

 

22H00.

 

- Jérôme, qu’est-ce qui se passe ? Je ne vois rien. On est pourtant en liaison, non ? Dis-moi que ce n’est pas la caméra qui déconne ?

Edouard Ventura transpirait. Il sentait que quelque chose ne tournait pas rond.

- Jérôme ?! Je suis en direct, merde !

Sitôt après, il offrit son sourire le plus vendeur à l’assistance présente ainsi qu’à la caméra braquée sur lui.

- Fidèles téléspectateurs, il semblerait que nous souffrions d’un petit problème technique.

- C’est pas un problème technique, fit la voix de Jérôme dans son oreillette.

- Comment ça?!

- Lise a coupé l’électricité.

- Quoi ?! Mais elle a pété les plombs !

- Oui, on pourrait le penser. En fait c’est plutôt malin de sa part. Le tueur va avoir du mal à la localiser dans le noir. Elle, elle connaît la disposition des lieux par cœur. Le jeu du chat et de la souris, oui, mais toute la question est de savoir qui va être la souris.

- Mais, merde, fulmina Edouard en jetant des sourires crispés au public, c’était pas ce qui était censé se passer !

- Vous vouliez de l’imprévu, non ?

Edouard poussa un soupir. Il fallait faire face. Il n’avait pas le choix.

- Pour des raisons, purement tactiques, annonça-t-il, il semblerait que Lise Bertrand ait choisi de se terrer dans le noir afin de mieux se soustraire aux attaques du tueur. Très ingénieux, ajouta-t-il en serrant les dents. Heureusement, l’équipe technique de Killer Scoop a tout prévu.

Les caméras sont équipées de dispositifs infrarouges qui vont nous permettre de suivre les évènements. Si le tueur décide de frapper cette nuit, nous ne le manquerons pas.

Edouard se tourna brièvement, le temps pour lui de se tamponner le front et les tempes à l’aide d’un mouchoir.

- Voyons où se cache cette facétieuse Mme Bertrand.

Sur l’écran, les différentes pièces de l’appartement apparurent dans des tons verts phosphorescents.

- Lise ? Vous m’entendez ? C’est Edouard Ventura. Nous sommes en direct. Nous aimerions recueillir vos impressions. Le public, qui vous soutient je vous le rappelle, serait très heureux de pouvoir connaître vos sentiments et vos intentions.

Jérôme Monnet se retint de rire. Ce connard d’Edouard tendait une carotte un peu trop grosse. Lise n’allait pas mordre à l’appât comme ça. Contrairement à lui, le présentateur n’avait pas encore mesuré le degré d’implication de la candidate. Elle était elle-même en train de se faire prédateur. Maintenant c’était œil pour œil, dent pour dent. A l’idée que le tueur puisse se faire dessouder par une mère de famille, un sourire s’élargit sur son visage juvénile.

«  Pourvu qu’elle tienne le coup ! » Heureusement qu’il n’y avait pas de micro dans son crâne. Si Edouard pouvait entendre ne serait-ce que le quart de ce qu’il pensait, il se ferait virer sur le champ avec pertes et fracas. Ou pire. Il le livrerait au tueur lors d’une prochaine émission.

Il pouffa avant de prendre une grande inspiration. Non. Ce n’était guère le moment de déconner. C’était un moment crucial. Il fallait qu’il reste concentré. « Allez Lise, je suis avec toi ! »

 

Soudain tout le monde se figea. Spectateurs, techniciens, tous retinrent leur souffle en apercevant une silhouette apparaître derrière une fenêtre du salon.

Edouard  attendit sagement que la tension monte avant de déclarer :

- Mesdames et messieurs, je crois que notre tueur est sur le point de faire son entrée. «  Numérote tes abattis, ma cocotte. Tu sais pas à qui t’as à affaire. Eddy va te débusquer en moins de deux et te faire ravaler ta fierté à deux balles ! »

Heureusement qu’il n’y avait pas de micro dans son crâne. Si le public pouvait entendre ne serait-ce que le quart de ce qu’il pensait, il se ferait lyncher sur le champ.

Le tueur plongea un bras dans un carreau sans se soucier du bruit. Il se saisit de la poignée et la manipula. L’instant d’après, il était dans le salon, sa lame de couteau de cuisine faisant comme un éclair dans sa main gantée.

Il étudia la pièce avant de se diriger vers le couloir. Un craquement provenant de l’étage fut audible par tout le monde. Le tueur emprunta l’escalier. C’était un homme corpulent. Physiquement, Lise Bertrand ne pouvait rivaliser avec lui.

Il arriva sur le palier. La chambre de Lise était tout près. Il saisit la poignée de la porte, l’ouvrit sans un bruit et entra. Tout le monde écarquilla les yeux en repérant une forme allongée sous les couvertures.

«  Elle n’est pas assez stupide pour s’endormir après tout ce qu’elle nous a dit ! » songea Edouard.

De son côté, Jérôme se faisait la même réflexion. « C’est un piège. Et il est tombé en plein dedans. »

Edouard changea de canal.

«  Eddy, elle se fout de ta gueule. Tire-toi d’ici. T’auras l’air de quoi une fois que t’auras éventré un traversin ? »

Eddy ne répondit pas. Il se contenta de faire volte-face et de se diriger vers la porte. A la stupeur de tous, Lise Bertrand jaillit du lit dans un grand envol de couvertures avant de se jeter sur le tueur. Il y eut un cri et le tueur s’abattit violemment contre l’armoire.

Lise Bertrand apparut face caméra, le visage déformé par une expression de sauvagerie insoupçonnée. Dans sa main droite, elle tenait un pic à glace.

«  La salope ! jura Edouard. Elle nous a fait sa version de Basic Instinct. Quelle merde !

Jérôme se leva en faisant éclater sa joie tandis que l’assistance produisait un concert de clameurs de toutes sortes.

Edouard se ressaisit rapidement. Il changea à nouveau de canal. « Plan B pour tout le monde ! Je répète : plan B pour tout le monde ! »

Alors que le visage de Lise Bertrand remplissait tout l’écran, tout le monde put voir le changement radical de son expression. Elle semblait stupéfaite.

- Je l’ai tué. Je l’ai tué.

Elle fit tomber son arme qui tinta sur le parquet de la chambre.

Son regard se fixa accidentellement sur l’objectif.

- J’ai gagné. Dieu soit loué, j’ai gagné.

Quelque chose se dressa derrière elle. Un mouvement prompt et précis. Lise Bertrand poussa un cri bref avant de s’écrouler.

Comme par magie, la lumière revint dans l’appartement.

Le corps sans vie de la candidate gisait aux pieds du tueur masqué. Un masque blanc, d’une simplicité effroyable. Il se baissa et extirpa le manche du poignard saillant du dos de la mère de famille.

Un mouvement de caméra bien étudié montra l’armoire en piteux état ainsi que des taches de sang, convaincant tout le monde que le tueur s’était miraculeusement relevé malgré sa blessure. Une mère de famille, aussi déterminée soit-elle, ne pouvait venir à bout d’un tueur en série. Ceux qui avaient crû le contraire en étaient pour leurs frais.

Un dernier plan sur le tueur victorieux puis sur le visage inerte de Lise Bertrand.

Fondu au noir.

Une photo de la candidate apparut sur laquelle vint se dessiner une croix rouge, sanglante avant d’être intégrée dans le tableau de chasse du tueur.

Edouard ne put contenir sa joie. «  Tu viendras plus la ramener, ma jolie ! »

Le visage de Jérôme était défait. Il se tenait la tête à deux mains comme pour l’empêcher de tomber « Ils l’ont eue. Les fumiers. Ils ont triché. » Il se rassit mécaniquement et secoua la tête comme un automate déréglé.

Une musique sinistre envahit la scène.

Edouard s’imposa une attitude de recueillement. Le silence se fit dans l’assistance. Une minute fut dédiée à la mémoire de Lise Bertrand dont le courage et le dévouement pour ses enfants resterait à jamais gravée dans les mémoires et les annales de l’émission.

Puis le présentateur darda un regard empreint de gravité en direction de la caméra :

- Notre tueur n’a pas failli à sa réputation. Lise Bertrand a malheureusement appris à ses dépens qu’il a plus d’un tour dans son sac.

 

Une heure plus tard, dans les coulisses, Jérôme croisa son patron. Il le défia un instant du regard. L’autre sourit jusqu’aux oreilles :

- Ca lui apprendra à se foutre de ma gueule !

Edouard Ventura eut le temps de voir le visage de son assistant s’empourprer avant de se sentir violemment projeté contre un mur.

- Espèce de fumier ! Tu en as fait une affaire personnelle ! Tu n’as pas joué les règles du jeu ! Elle avait gagné ! Elle avait tué le tueur ! Pourquoi tu as fait venir un remplaçant ? Que vont devenir ses enfants, maintenant ?!!

Malgré l’inconfort de sa situation, Edouard conserva son flegme et la majeure partie de son arrogant sourire :

- Les règles sont faites pour être changées. Lise l’a d’ailleurs très bien compris. Seulement, elle en a payé le prix.

Jérôme fit mine de frapper son supérieur, mais il se contenta de resserrer son étreinte sur lui :

- Tu es donc prêt à transgresser toutes les lois pour entretenir ta gloire personnelle ?

Edouard se dégagea vivement avant de rétorquer froidement :

- Je ne fais qu’aller plus loin que tous les autres. Je suis un pionnier. Je n’espère pas être compris. Tout ce qui compte c’est ce que je fais et ce qui en restera. Moi, j’ouvre la voie à la télé de demain. Qu’est-ce que tu fais de beau, toi, dans la vie ?

 

Edouard Ventura rentra chez lui tard. Et légèrement accompagné. Il laissa la bimbo du nom de Jessica prendre une douche et s’installa sur le canapé. Toute la soirée et une bonne partie de la nuit, il s’était convaincu d’avoir fait le bon choix. Et les rasades de whisky l’y avaient bien aidé. Le téléphone sonna près de lui. Il décrocha mécaniquement. C’était Jérôme.

- Tu devrais jeter un coup d’œil sur M16 ou Canal Flux.

Edouard faillit raccrocher. Il se ravisa.

- Je n’ai aucune envie de regarder une chaîne concurrente.

- Je te promets que tu le regretteras pas.

Edouard alluma la télé et tout en zappant, poursuivit la conversation :

- Qu’est-ce qui se passe ? Ils ont enfin trouvé un concept digne de ce nom ?

- Précisément !

Le visage hilare de Ventura se rembrunit à cette annonce. Il arrêta de zapper et monta le volume. Le présentateur de la chaîne était en train d’annoncer un véritable scoop :

«  La source de ces révélations demeure inconnue, mais une chose est sûre, elles ne manqueront pas de déclencher une polémique sans précédent ! Voici en exclusivité la diffusion d’une conversation privée provenant des coulisses de TéléFun :

 

Edouard Ventura vit son visage apparaître sur son écran géant. Il commença à comprendre :

 

- Eddy n’est pas un acteur. C’est un vrai tueur. Il a ça dans le sang. Le fait que rien ne soit truqué  garantit une qualité constante de l’émission. On s’était mis d’accord là-dessus dès le départ. Sur M16, ils ont pris des comédiens, ils ont bidouillé les scènes de meurtre. T’as vu le résultat ? TéléFun ce n’est pas M16 ou Canal Flux ! Nous, on triche pas avec le public.

- Espèce de fumier ! Tu en as fait une affaire personnelle ! Tu n’as pas joué les règles du jeu ! Elle avait gagné ! Elle avait tué le tueur ! Pourquoi tu as fait venir un remplaçant ? Que vont devenir ses enfants, maintenant ?!!

- Bon, j’admets qu’Eddy a un peu trop improvisé ces derniers temps. Mais ne t’en fais pas. On graisse la patte à suffisamment de monde pour avoir les coudées franches. Les gens veulent du spectaculaire, de l’inattendu. Un peu d’imprévu ne peut pas nous faire de mal, bien au contraire. Les règles sont faites pour être changées. Lise l’a d’ailleurs très bien compris. Seulement, elle en a payé le prix.

- Tu es donc prêt à transgresser toutes les lois pour entretenir ta gloire personnelle ?

- Je ne fais qu’aller plus loin que tous les autres. Je suis un pionnier. Je n’espère pas être compris. Tout ce qui compte c’est ce que je fais et ce qui en restera.

 

Edouard Ventura était dans un état second. Ce qui était en train de se passer était surréaliste. Comment avait-il pu être piégé, lui, le présentateur et le producteur le plus adulé ?

Il changea de chaîne et changea encore, mais le programme était partout le même. Sa bobine passait sur tous les canaux et il répétait inlassablement le même plaidoyer.

Cet habile montage, il le savait, ne pouvait avoir été fourni que par une seule personne.

La voix de Jérôme se fit à nouveau entendre :

- Alors que penses-tu de ce concept, Edouard ?

Edouard voulut rétorquer quelque chose, mais les mots ne venaient pas. Parasité par cette trahison, par l’étendue du complot, son cerveau faisait le piquet de grève. Il laissa tomber le combiné et ouvrit un tiroir.

Jessica apparut dans le salon, son corps splendide encore humide serti d’une serviette éponge d’un blanc immaculé. Elle regarda l’écran :

- On parle encore de toi, Ed ?

Lorsqu’elle vit Edouard Ventura planter le canon d’un revolver dans sa bouche, elle poussa un hurlement rapidement concurrencé par une fulgurante détonation. La serviette éponge d’un blanc immaculé fut imbibée de rouge et du sang frais éclaboussa l’écran de télévision sur lequel apparaissait encore le visage enjoué de Edouard Ventura :

« Moi j’ouvre la voie à la télé de demain. Qu’est-ce que tu fais de beau, toi, dans la vie ? »

Imperturbable, la voix de Jérôme répondit à travers le combiné :

- Je fais exactement la même chose. Bienvenue dans la télé de demain, Ed !

 


Visuel crée par Nassosvakalis

 

 

T’as aimé…ou pas

T’as tout lu, tout vu, tout entendu…ou pas

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Le Bon Mélange [Nouvelles/Drames]

Le Bon Mélange.jpg

Théo n’avait jamais aimé l’école.
Les sciences encore moins.
Aussi lorsque ses parents lui avaient commandé un B minimum au prochain devoir, il avait immédiatement senti la pression. Et comme pour être certains d’obtenir le résultat escompté, ils avaient crû bon de l’amadouer avec des vacances au ski.
La récompense était belle, mais était-elle vraiment à la hauteur des efforts qu’elle allait nécessiter ?
Il avait trois semaines pour réviser.
Le premier jour, lorsqu’il ouvrit le livre, il eut la nausée.
C’était vraiment du chinois pour lui. Ou plutôt, il aurait préféré que ce soit du chinois, vu qu’il était d’origine chinoise. Mais ce qu’il avait sous les yeux ressemblait plus à des hiéroglyphes qu’à autre chose.
Le deuxième et le troisième jour il ignora le livre.
Le quatrième, il senti qu’il était très mal parti et que s’il continuait comme ça il pouvait dire adieu à la neige.
Le cinquième jour, au lieu de rentrer directement à la maison après les cours, il s’arrêta sur le bord ombragé d’une rivière.
C’est précisément à cet endroit qu’il fit la connaissance de Jasper.
Jasper était un homme grand et sec. Il ne devait pas avoir quarante ans, mais il était déjà chauve. Il avait le visage marqué. Théo était encore trop jeune pour comprendre par quoi.
Il savait qu’il devait se méfier des étrangers. Jasper sentit son hésitation.
- Tu sais, bonhomme, on est pas obligé de devenir les meilleurs amis du monde. Mais que cela ne t’empêche pas de rester un peu ici si tu le souhaites.
Puis il l’examina attentivement.
- Tu as l’air de fuir quelque chose.
Théo s’assit sur une grosse pierre, imitant Jasper. Un confident, c’est ce qui lui avait toujours manqué, sans qu’il puisse le formuler ainsi. Il était fils unique, ses copains n’étaient pas très à l’écoute et ses parents ne juraient que par sa réussite scolaire.
- Non, je ne fuis pas. Je sors de l’école.
- Ah. C’est la première fois que je te vois ici. Tu pensais trouver quelque chose.
- Je ne sais pas, monsieur.
- Ouais, fit Jasper. Je crois que toi et moi on est dans la même galère.
Comme Théo se sentit en confiance, il perdit de sa retenue :
- Et vous, qu’est-ce que vous faites ici ?
- La même chose que toi, bonhomme. Je cherche ce que je pourrais bien trouver.
Il se mit à rire aux éclats. Le rire de jasper était très sonore au point que Théo en fut presque effrayé. Jasper remarqua son expression.
- Excuse-moi. Ces temps-ci, je n’ai plus trop l’occasion de rire.
Théo se mit à jouer avec une branche morte.
- Moi aussi, en fait.
- Tu as l’air très sérieux pour un gosse de ton âge. On dirait que tu portes le monde entier sur tes épaules.
- J’ai du travail à faire, mais j’ai vraiment pas le courage.
Il exhiba son livre de sciences.
Jasper tendit la main avec un sourire. Théo le lui donna.
- La Chimie ! Ah ! Moi aussi je détestais ça. Mais à deux, on pourra peut-être en venir à bout, qu’est-ce que t’en dis ?
Théo haussa les épaules.
Jasper rit à nouveau.
- Je prends ça pour un oui. Allez, viens, bonhomme, rapproche-toi.
Théo s’installa à côté de Jasper et ensemble ils affrontèrent les hiéroglyphes.

Cette nouveauté dans leur quotidien devint rapidement une habitude et d’habitude, elle devint naturellement un rituel, des plus précieux, des plus sacrés qu’ils ne manquaient tous deux sous aucun prétexte.
Se sentant aussi seuls l’un que l’autre, ils mesuraient la chance de s’être rencontrés de la sorte.
Les progrès de Théo en Chimie furent aussi manifestes que la force de cette complicité inespérée. Théo appréciait les efforts de Jasper afin de lui inculquer des notions jusque-là incompréhensibles. Il ne voulait pas lui faire perdre son temps, le décevoir encore moins. Le zèle dont il fit montre était inédit et fit évidemment la fierté de Jasper.

- Tu aurais dû être professeur, lui dit un jour Théo alors qu’il partageait un paquet de biscuits.
Jasper ne répondit pas. Mais le garçon eut le temps de voir le coin de ses yeux briller.

Le jour du devoir approchait. Il ne restait plus que trois jours. Théo n’avait pas vu le temps passer. Il faut dire que la compagnie et le talent de Jasper avaient su lui ôter ses peurs et son désespoir les plus ancrés. Un vrai miracle.
Ces trois derniers jours, Théo les passa seul. Seul, car Jasper fut introuvable. Ni au bord de la rivière, ni aux alentours. Disparu. Comme s’il n’avait jamais existé. Comme si sa mission accomplie, il s’était envolé, tel un ange.
Théo en fut très attristé. Mais il était malgré tout très heureux d’avoir connu Jasper.
Il eut un B à son devoir. Il aurait probablement eu un A s’il avait pu avoir des nouvelles de Jasper pour le rassurer.
A la maison, on fêta dignement cet heureux évènement et Théo reçut la promesse de passer les prochaines vacances aux sports d’hiver.
Là-bas, il rencontra celle qui devint la femme de sa vie et qui lui donna des années plus tard trois beaux enfants. Théo n’oublia jamais Jasper et l’importance qu’il avait eu dans sa vie.


Le jour du devoir de Chimie


Jasper s’assit sur la chaise de dentiste et se laissa sangler.
- Qu’est-ce qu’il a fait ? demanda un jeune gardien au vétéran.
- Il a tué toute une famille. Les deux parents et les trois gosses. Des chinois.
- Un accident ?
Le vétéran secoua la tête, le visage sombre.
- Crime raciste. On l’a chopé il y a trois jours. Il était en cavale depuis des années, ce fumier. Il est grand temps qu’il paie.
Un employé préparait l’injection létale, le bon mélange allié au bon dosage. Jasper respira un grand coup avant que l’aiguille de la seringue pénètre sa peau. Sa dernière pensée fut pour Théo.

Théo eut toujours une pensée pour Jasper. Il conserva toute sa vie le livre de Chimie qui les avait réunis et dans lequel Jasper avait écrit à son intention :

« La chimie c’est comme les émotions humaines. Si tu mélanges les bons ingrédients, tu peux faire tout exploser, mais tu peux aussi obtenir un miracle. »

 

 

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C'est plus précieux que ça en a l'air

Le Jour où l'Amour s'arrêta [Nouvelles/Anticipations]



1
 
Elle leva la main comme pour me toucher, espérant par ce geste ranimer un début de flamme.
Je le devinais parce que j'eus le même réflexe. Mais à l'instant où nos regards se croisèrent, l'espoir nous déserta littéralement. Nous demeurions de parfaits inconnus l'un pour l'autre. Inexorablement.
Elle baissa sa main et me tourna le dos, honteuse de sa réaction. Je n'étais pas moins gêné.
Plus tard, quand elle vint me rejoindre dans la chambre, elle me trouva occupé à remplir une valise. Elle comprit immédiatement mon intention. La même idée lui avait traversé l'esprit quelques instants plus tôt.
Lorsque j'eus terminé, je fis mine de lui dire au revoir.
- Je suis désolée, dit-elle d'un ton monocorde.
Je savais qu'en réalité elle était soulagée que je quitte la maison car j'étais moi-même soulagé de partir.
- Ce n'est pas grave, répondis-je.
Evidemment, j'étais sincère.
En me retrouvant dans la rue, je respirai enfin. Pour je ne sais quelle raison, mon regard accrocha la poubelle en plastique qui nous appartenait.
Elle débordait.
Une pensée s'imposa alors dans mon esprit, un dernier sursaut d'espoir, comme pour me convaincre que j'aurais tout essayé.
Impossible de rester si c'était pour jouer un simulacre. Il me fallait du réel, de l'authentique. Mes souvenirs ne m'aidaient en rien. Ils étaient devenus beaucoup trop glacés pour m'émouvoir. Les connexions nécessaires ne se faisaient pas.
Ecoutant cette impérieuse voix intérieure, je lâchai ma valise et commençai à fouiller dans le contenu de nos sacs poubelles. Peut-être trouverai-je un mot, un objet, quelque chose de suffisamment intime à notre couple pour me rappeler mes sentiments envers elle.
Il me fallait une étincelle. Oui, une simple étincelle.
Sans me soucier du désordre occasionné, je vidai les sacs sur le sol et mes mains avides se mirent en devoir de filtrer la masse de détritus afin d'en extraire quelque diamant ou plutôt quelque rose.
A genoux sur le trottoir, mon costume taché par les déchets alimentaires, je faisais sûrement peine à voir. Mais je n'en avais cure. Il me fallait cette preuve, cet indice que quelque chose de très fort entre nous avait existé et pouvait vivre encore.
Le temps passa sans que j'eusse trouvé quoi que ce soit de secourable. C'était peine perdue. C'était sans issue.
Je me relevai, écrasant au passage une photo d'elle rayonnante dans  la lumière de notre jardin. J'avais pourtant vu cette photo. Je l'avais même ramassé et longuement regardé comme dans l'attente d'un signe, d'un miracle. Qui n'était jamais venu.
Mon cœur était devenu imperméable.
Comme pour se rire de moi, la pluie se mit à tomber. C'est alors que je remarquai une silhouette de l'autre côté de la rue, en face de chez nous. Une femme qui m'était familière. Une voisine. A la vue du fatras indescriptible qu'elle dominait, je compris aisément qu'elle s'était lancée dans le même genre de croisade que moi. Avec le même succès, semblait-il.
Nous échangeâmes un bref regard. La pluie redoubla de violence.
Nous faisions vraiment peine à voir. Et le pire, c'est que nous en étions terriblement conscients.
Je ramassai ma valise et me mis à courir comme un fou pour échapper à mon image.
Et à la sienne.
Mais qu'étions-nous donc devenus, tous ?
Des amants maudits ? Des âmes en peine ?
J'avais trop de questions, trop de pourquoi. Il me fallait des réponses. Pas forcément les meilleures, pas forcément les bonnes, mais des réponses quand même et de quelqu'un d'extérieur. Surtout quelqu'un d'extérieur.
Je n'assumai pas du tout ce qui m'arrivait. Je me sentais atteint d'une maladie gave et contagieuse, comme si j'avais attrapé un virus extrêmement dangereux. Sauf que dans mon cas, je n'avais rien attrapé du tout. Bien au contraire. J'avais perdu quelque chose. Et quelque chose d'essentiel, de fondamental. Je me vidai de mon humanité, de ce qu'il y avait de meilleur en moi. Car sans la capacité d'aimer, qu'étais-je vraiment ? Pouvais-je encore être qualifié d'être humain ? J'avais de très gros doutes à ce sujet.
Je ne pouvais accepter cette situation sans rien faire. Alors je décidai d'aller voir quelqu'un comme on dit si bien.
Je cherchai sur mon doigt mon alliance de mariage pour m'insuffler le courage dont j'avais besoin. Je ne la trouvai pas. Et pour cause. Je l'avais jeté dans les poubelles sans même m'en rendre compte. Le temps était compté.
 

2
 

- Bonjour, fis-je en entrant dans le bureau comme dans une morgue.
Peut-être parce que je sentais bien que quelque chose en moi était mort.
Le Docteur Mc Cabb avait une quarantaine d'années, mais il faisait plus jeune à cause de ses longs cheveux et de son allure décontractée.
C'était un éminent praticien. Eminent et donc coûteux. Mais je crois que j'étais prêt à vider mon compte en banque si cela pouvait remplir mon cœur à nouveau.
- Bonjour monsieur Lawrence, asseyez-vous.
Sa voix me mit tout de suite en confiance. Mais j'imagine que cela faisait partie de sa stratégie.
Il essuya ses lunettes avant de les chausser de nouveau.
- Comment allez-vous ? dit-il en me serrant la main.
Je déglutis péniblement.
- Et bien, pas très bien. C'est pourquoi je vous ai appelé en urgence, vous vous en doutez.
- Excusez-moi, simple formule d'usage. Disons plutôt : qu'est-ce qui vous amène exactement ?
Je redoutais terriblement de passer aux aveux tant ma crainte d'être jugé était grande. Mais je craignais sans doute encore plus de devoir être condamné à ne plus rien ressentir.
- Je...C'est...Ce n'est pas facile à dire. J'ose espérer que ce ne sera pas difficile à comprendre pour vous. Je ne pouvais pas en parler à mes proches. Je ne voyais personne d'autre vers qui me tourner.
Mc Cabb se mit à sourire. Il croisa les mains sur son bureau et se pencha sensiblement vers moi.
- Vous savez, monsieur Lawrence, je ne fonde pas mes diagnostics sur la seule qualité de mes années d'étude. Je me sers aussi de mes expériences personnelles. Ce qui, vous en conviendrez, est irremplaçable. Je suis peut-être psychiatre, mais je suis avant tout un être humain, tout comme vous, avec ses doutes, ses peurs, ses faiblesses, ses problèmes. La théorie, c'est bien beau, mais rien ne vaut la pratique.
C'était un discours plutôt convaincant. Il était bien rôdé. Et comme ça devait nécessairement être vrai, j'ai commencé à me détendre un peu.
Son sourire s'élargit alors.
- Je vous écoute, monsieur Lawrence.
Je pris une profonde inspiration avant de déclarer :
- Je ne suis plus amoureux de ma femme.
- Depuis combien de temps ?
Je ressentis l'effet d'un nœud coulant autour de ma gorge.
- Depuis ce matin, articulai-je péniblement.
- Et que ressentez-vous pour elle, à présent.
- Et bien... Rien, plus rien. Je la vois comme une étrangère avec qui je n'ai plus rien en commun. Plus rien ne m'attire chez elle. En fait, c'est tout le contraire.
Mc Cabb dodelina de la tête comme s'il se souvenait d'un cas similaire.
- Vous lui en avez parlé ?
- Oui, rapidement. C'est vite devenu insoutenable.
- Et que vous a-t-elle dit ?
Je me crispai.
- C'est là que ça devient fou.
J'ai dévisagé le docteur avec anxiété. Le mot n'était peut-être pas le plus adapté. Je craignis sa réaction.  Mac Cabb devait le redouter aussi, ce mot là, mais grâce à ses années d'expérience, il avait aussi sûrement appris à l'apprivoiser et à  relativiser son emploi.
Voyant qu'il conservait la même expression de curiosité, je poursuivis :
- Elle m'a dit la même chose. Elle m'a dit qu'elle ne ressentait plus rien pour moi, comme si c'était la première fois qu'elle me voyait. Elle ne comprenait pas ce qu'elle faisait avec un type comme moi. Cela n'avait aucun sens. Surréaliste, non ?
Mc Cabb éluda habilement ma question.
- Vous vous êtes disputé ?
- Non. C'est sans doute le plus curieux dans toute cette histoire. On a discuté très calmement. En fait, on était soulagé de partager la même chose.
- Que s'est-il passé ensuite ?
- Je suis parti de la maison.
J'indiquai du regard la valise posée à côté de moi.
- Je ne sais pas ce qu'elle va faire de son côté et pour être tout à fait honnête, ça m'est égal.
- Vous étiez mariés depuis combien de temps ?
- Cela faisait douze ans. Vous vous rendez compte ? Et du jour au lendemain, plus rien.
Mc Cabb jeta un regard à sa montre.
- Je suis désolé, monsieur lawrence. Comme je vous ai dit au téléphone, je dois déjeuner avec mes filles. Comme tous les mercredi.
Je vis en cette déclaration la possibilité de me sentir moins seul.
- Vous êtes divorcé ?
Mc Cabb sourit. Il avait du deviner mon espoir.
- Quand je vous disais que j'étais avant tout un être humain, ce n'était pas du pipeau.
 
3
 
Je n'étais guère plus avancé. Malgré sa compréhension et sa sympathie manifestes, le docteur Mc Cabb n'a pas su me donner ce que j'attendais. Notre entretien a tourné court et j'ai négligé beaucoup de détails comme de lui parler de la voisine par exemple. Je lui ai laissé mes coordonnées, bien sûr et on a convenu de se revoir. Maigre consolation.
J'ai voulu le rappeler une fois en centre-ville, et puis j'ai eu peur qu'il ne me réponde pas.
On n'est jamais certain de l'effet qu'on fait à ceux à qui l'on parle de choses très personnelles. C'est un peu quitte ou double. Que le docteur Mc cabb soit un professionnel ne changeait pas forcément la donne.
Oui, je redevenais pessimiste.
En marchant dans la rue, ma valise à la main, j'ai regardé autour de moi, comme dans l'espoir de lire mon propre égarement sur d'autres visages que le mien. Je ne voulais pas me sentir seul dans ce cas. J'ai pensé rendre visite à la voisine qui avait probablement, elle aussi, pris rendez-vous chez un bon psy, chez Mc Cabb peut-être.
En vérité, j'étais paumé. J'avais des idées, mais aucune ne me paraissait raisonnable. Aucune ne me paraissait assez sérieuse pour me tirer d'affaire.
Mon malaise empirait de minute en minute.
Je n'étais donc pas si insensible puisque je souffrais un peu. C'était étrangement paradoxal. Ce qui n'adoucissait en rien mon tourment.
J'étais là, à ruminer sur un banc, en regardant les passants et en imaginant leur vie quand mon téléphone sonna. Mon cœur fit un bond quand je reconnus la voix suave du docteur Mc Cabb.
- Monsieur Lawrence ? Excusez-moi de vous déranger, mais il vient de m'arriver quelque chose d'incroyable. Quelque chose qui m'a instantanément rapproché de vous et de notre entretien de ce matin.
- Ah...ah bon, fis-je avec une évidente surprise.
- Oui ! poursuivit Mc Cabb d'un ton qui me paraissait pour le moins nerveux. Tout à l'heure j'étais au restaurant avec mes deux filles, comme tous les mercredi. Elles étaient là en face de moi. Et...comment vous dire ? On ne s'est pas adressé un seul mot. Je n'avais absolument rien à leur dire et visiblement elles non plus. C'est à peine si nous avons touché à notre assiette. Il y avait un malaise entre nous qui n'a fait qu'empirer. Je ne voyais pas ce que je faisais là, j'avais l'impression d'être un imposteur, de prendre la place de quelqu'un. Vous voyez ?
Bien sûr que je voyais ce qu'il voulait dire. C'était précisément ce que j'avais ressenti en présence de ma femme. Le ciel semblait m'avoir entendu et avoir répondu à ma prière d'une bien étrange manière. Mc Cabb semblait être atteint lui aussi du même mal qui m'avait été transmis. Je n'étais réellement plus seul !
- Qu'avez-vous fait ? demandai-je avec une vive curiosité.
Les rôles étaient inversés. C'est moi qui avais le savoir puisque j'avais l'expérience. A moi donc de délivrer le diagnostique. J'aurais pu rire de la situation si elle n'avait touché un sujet aussi dramatique.
- J'ai honte de le dire, répondit Mc Cabb, mais j'ai quitté les lieux. C'était trop éprouvant. J'ai abandonné mes deux filles dans le restaurant.
Je ne sus quoi ajouter. C'était terrible d'entendre cela d'un homme qui quelques heures auparavant semblait chérir ses enfants comme ses biens les plus précieux dans la vie.
Mais la question qu'il me posa juste après fut plus terrible encore. Elle enfonça le clou si fort que j'en ressentis une douleur vivace.
- Dites-moi, monsieur Lawrence, vous pensez que c'est contagieux ?
 
4
 
Nous nous retrouvâmes dans un café. Moi qui ne pensais pas revoir Mc Cabb de sitôt. L'avenir m'avait réservé une jolie surprise. Enfin, jolie...
Lorsqu'il entra dans la salle bondée, c'est à peine si je le reconnus. Je peux dire sans ambages qu'il avait pris un sacré coup de vieux. Lorsqu'il s'assit en face de moi, je pus remarquer à quel point sa récente expérience avait creusé ses traits et éclairci son teint.
Il se pencha vers moi comme pour ne pas être entendu :
- Il y a peut-être trop de monde ici.
Je repensai instinctivement à la question fatidique qu'il m'avait posé au téléphone et qui avait été par la suite à l'origine d'un profond malaise. « Etait-ce contagieux ? » La question était certainement légitime. Mais j'avais des raisons évidentes de ne pas vouloir l'entendre tant elle était synonyme d'accusations et de culpabilité.
Etait-ce à proprement parler un nouveau virus ?
Evidemment, nous en savions encore trop peu tous les deux pour nous forger une véritable opinion objective.
Je scrutai les yeux clairs du docteur à travers les verres de ses lunettes. Etait-il en proie à la panique où s'efforçait-il encore de raisonner en psychiatre ?
Un serveur nous aborda. Instinctivement, nous nous écartâmes et Mc Cabb commanda rapidement en notre nom pour se débarrasser de lui au plus vite.
Le docteur me mettait mal à l'aise. Je voyais moins en lui un allié potentiel qu'un complice, complice d'un mal sans équivalent que nous supposions être capables de transmettre malgré nous.
Je me mis alors à penser à voix haute.
- Ca peut être l'air, ça peut être le contact physique ou bien rien de tout cela. Peut-être que le simple fait que nous ayons vécu la même chose à quelques heures d'intervalle n'est dû qu'au fruit du hasard.
Mais là je sentis que Mc Cabb ne m'approuvait pas. Il ne répondit pas pour autant. Il regardait les autres clients et les serveurs qui allaient de table en table. Si l'air et le contact physique étaient les moyens pour la maladie de se propager, alors il ne lui faudrait pas longtemps pour contaminer tout le monde. J'imaginai des couples faisant l'amour - certains pour la première fois - et être condamnés suite à cela à ne plus ressentir quoi que ce soit.
Un frisson glacial me parcourut.
- Vous avez raison. Allons nous-en d'ici !
 
5
 
Nous nous mîmes à errer loin de la foule, tels des bannis ou des fantômes. Sans cœur, qu'étions-nous d'autre de toutes façons ?
Seul c'était insupportable. A deux, ça ne l'était pas forcément moins.
J'évitai de regarder Mc Cabb de peur de lire dans ses yeux  quelque chose qui aurait ressemblé à un jugement. Il devait forcément m'en vouloir de l'avoir réduit à ce que j'étais devenu, moi. Et je le comprenais. Mais le fait qu'il restait à mes côtés me soulageait un peu, je l'avoue. En vérité, avait-il le choix ?
Nous nous assîmes sur un banc dans un parc déserté. L'air s'était refroidi. Tout comme nous.
Je regardai les arbres dénudés, desséchés alors que j'aurais juré que nous étions au printemps.
Encore un frisson. Les plantes pouvaient-elles souffrir aussi de cette anémie sentimentale ?
Un chat errant jaillit d'une poubelle avant de glisser sous mes jambes.
J'en eus le souffle coupé.
Je ne savais plus où porter mon regard pas plus que mes pensées.
Fallait-il nous isoler ? Devions-nous nous livrer comme de vulgaires criminels ?
Je tournai mon regard vers Mc Cabb pour lui faire part de mes angoisses. Il n'était plus là.
J'étais de nouveau seul, le poids du monde sur mes épaules.
C'est alors que je vis un journal abandonné tout près de moi. Plus tard, je compris que Mc Cabb avait dû le lire et que ce simple geste l'avait décidé à s'enfuir.
Les articles étaient pour la plupart terriblement ordinaires et ne méritaient pas un intérêt particulier. Mais en y attardant un peu plus d'attention qu'à l'accoutumée, on pouvait justement réaliser combien ils constituaient un puzzle sinistre.
Depuis quelques jours on recensait un nombre important de divorces et de séparations inexplicables. Les avocats étaient complètement dépassés par les évènements d'autant plus qu'ils étaient pour la plupart eux-mêmes victimes d'une rupture sentimentale. Si ça ce n'était pas un signe ! Le phénomène ne datait donc pas d'aujourd'hui. Je n'étais pas le premier. Je n'avais pas su regarder autour de moi sinon j'aurais sans doute observé bien avant des symptômes de cette maladie. Quelqu'un me l'avait forcément transmis. Ma femme ? Mon patron ? La voisine, qui sait ?
Je fus soulagé. Mais rapidement, la panique et la peur reprirent leurs droits sur moi. Devais-je attendre qu'on mette un nom sur ce mal pour me déclarer malade ? Etait-ce prématuré ?
Tout dépendait de la virulence de la maladie en vérité. Si elle disparaissait aussi vite qu'elle était apparue, il n'était pas nécessaire de faire connaître ma situation. Mais comment pouvais-je être certain de cela ?
Collé sur la poubelle d'où le chat était sorti, je vis un autocollant. C'était une pub pour un numéro vert à l'attention des personnes en détresse. Il n'y avait rien de précisé quant à la nature de la détresse.
Je composai le numéro sur mon portable. Une voix de femme me répondit. Je faillis couper l'appel, mais en comprenant qu'il s'agissait d'une messagerie, je laissai la voix poursuivre.
La ligne était saturée. Je devais patienter en attendant qu'elle se libère un peu. J'écoutai à demi, distrait par la vue d'un couple attendrissant. Ils étaient jeunes, beaux et ils avaient l'air heureux. Je me disais que de voir tout cela s'éteindre à jamais était inacceptable. Et alors même que je me faisais cette réflexion je vis les deux amoureux desserrer leurs mains et se faire face. Ils se jetèrent un regard que je ne connaissais que trop bien, pour mon plus grand malheur. Mon cœur eut un spasme. Ma gorge se serra. Devant moi, la maladie venait de faire deux nouvelles victimes. Alors que le garçon et la fille s'éloignaient l'un de l'autre sans un mot, la messagerie s'interrompit et une autre voix de femme m'invita à parler.
Je coupai la communication et quittai le parc. J'étais maudit et j'étais loin d'être le seul, désormais.
 
6
 
Je rasai les murs. J'étais une ombre. Au long de ma route indécise, je captai de temps à autre quelque conversation, quelque message diffusé par les médias qui venait amplifier l'inquiétant phénomène menaçant de gagner la planète. On spéculait déjà sur d'hypothétiques signes avant-coureurs. Moi je savais pertinemment qu'il n'y en avait pas. Cela arrivait, un point c'est tout. Dans une vitrine, un mur de téléviseurs diffusait en boucle les premiers témoignages de couples venant de subir ce nouveau fléau. Je les trouvai bien courageux de se faire connaître de la sorte et j'eus un peu honte de me comporter comme un fugitif.
Je dormis à l'hôtel plusieurs jours. Je ne pus fermer l'œil. Je suivis assidûment à la télé l'évolution des évènements, moi qui m'informe si peu d'habitude. On ne cessait de donner des recommandations aux personnes qui n'étaient pas encore touchées par le virus. Je trouvai qu'on faisait peu cas des victimes. Comme si elles n'existaient pas. Ou plutôt comme si elles n'existaient plus. Oui, nous étions bel et bien des fantômes, à présent.
Entre deux émissions, les grandes chaînes diffusaient à la pelle des pubs pour des produits aphrodisiaques en tous genres. De grandes marques de cosmétiques et des grands noms de la haute-couture s'étaient déjà associés à une vaste campagne visant à promouvoir tous les secrets de la séduction. Evidemment, c'était peine perdue. Aussi vain que de chercher un diamant dans une poubelle.
Un soir, allongé sur mon lit, j'entendis des râles et des cris provenant d'une chambre voisine. Un couple faisait l'amour. Au son de leurs voix et à la durée de leurs ébats, je compris aisément qu'ils faisaient l'amour comme pour la dernière fois.
La paranoïa s'installait. On savait que le mal pouvait frapper d'une seconde à l'autre. On savait que personne n'était à l'abri.
Les scientifiques et les philosophes avaient beau se pencher sur la question, on ignorait toujours la cause de l'épidémie. Certains malades avaient été longuement étudiés par d'éminents spécialistes. Mais rien ne venait les différencier des autres si ce n'était cette incapacité à éprouver la moindre empathie.
Plusieurs jours passèrent encore. Je restais cloîtré dans ma chambre autant que possible.
Quand je sortais, le propriétaire m'observait d'un œil soupçonneux. Il m'aurait pris pour un gangster que cela m'aurait soulagé. Car je savais que sa méfiance était d'une toute autre nature. Mon temps était compté. Je savais qu'il me jetterait dehors un jour ou l'autre sous un prétexte bidon. Héberger un homme tel que moi n'était pourtant pas un crime.
Du moins, pas encore.
Les chaînes passaient les plus beaux films d'amour comme pour relancer la machine. Sur les ondes et dans les rues, on diffusait les plus grandes chansons d'amour. Un thème émouvant et fédérateur avait même été spécialement crée par des stars de la pop américaine pour soutenir les victimes et redonner de l'espoir. Il s'intitulait "We are the Love". On pouvait faire difficilement plus symbolique.
Le 14 février approchait à grands pas. Et beaucoup de gens pensaient qu'il allait signifier la fin du monde. Moi le premier.
 
7
 
L'économie commença à souffrir de cette forme de stérilité. On se rendit compte à quel point les choses du cœur faisaient vendre.
Une fois n'est pas coutume, les chaînes de télé n'eurent que peu de scrupules à s'emparer du phénomène pour le détourner à leur avantage.
Elles organisèrent des jeux lors desquels les couples candidats devaient prouver leur amour au fil d'épreuves à la difficulté croissante avec à la clé une prime substantielle.
En singeant un hypothétique remède, les médias ne faisaient qu'égarer davantage les hommes.
Le jour où un couple se brisa en direct pendant une émission, l'audimat explosa.
Le filon était tout trouvé.
Mais bien heureusement, cela ne dura pas.
De plus en plus de gens ne se laissant plus facilement émouvoir, certaines recettes ne firent pas long feu.
On chercha de nouveaux concepts. On en trouva. Sans que cela change les choses.
Moi-même je commençais à regarder tout cela avec dédain. Je ne pouvais plus aimer, mais j'appréciais de plus en plus la perspective de ne plus jamais souffrir et faire souffrir par les sentiments. Je n'étais peut-être pas si perdant. Je n'étais peut-être pas si malade. Au contraire. Cette maladie était peut-être une bénédiction, un remède inattendu contre les affres de la passion. J'avais de plus en plus de mal à voir les choses autrement.
Je quittai l'hôtel, fort de ma conviction. Pourquoi continuer à me cacher alors qu'en vérité j'avais vaincu un mal plus grand que celui qu'on me prêtait ?
Je réalisai bientôt que cette croyance se généralisait un peu partout, au point de constituer un mouvement à part entière. Je n'eus alors qu'une hâte, qu'un seul but : trouver cette nouvelle famille et l'intégrer. Mais les choses se gâtèrent à ce moment là.
Le gouvernement mit en place plusieurs mesures pour le moins drastiques.
Bien que la théorie du virus transmis par simple contact physique  n'ait jamais pu être prouvée, les autorités s'accordèrent sur cette hypothèse et à partir de là, toute victime était considérée comme potentiellement dangereuse pour la santé émotionnelle des autres.
Comme tant d'autres, je vis, impuissant, des baraquements lugubres se dresser sur les places publiques. La tension monta d'un cran.
On disait qu'une milice spécialisée avait les moyens de reconnaître les malades et les traquait sans relâche.
Une fois démasqués, les malades étaient - selon toute probabilité - parqués dans ces baraquements, mis en quarantaine en attendant qu'un remède soit trouvé.
Une forme de dictature était en train de naître sans que personne n'ait le courage de la nommer. Ce qui était encore plus terrifiant.
Mais la révolte grondait. Je le savais. Car en moi je sentais les prémices d'une colère que je ne connaissais pas.
On disait aussi que cette milice était constituée de personnes atteintes qui s'étaient engagées de gré ou de force. Des personnes comme moi, qui n'avais plus à craindre d'être en contact avec des malades et qui par conséquent étaient naturellement immunisées. Et toutes désignées pour appréhender les individus recherchés.
Bien évidemment, je ne me voyais pas faire ça. Je n'avais peut-être plus de sentiments, mais j'avais encore une morale.
J'étais en colère, mais je mourrai de peur aussi. La situation n'avait vraiment rien de réjouissant. Même les haut-parleurs avaient cessé de nous transmettre des chants d'espoir. Maintenant ne résonnaient que des directives et des avertissements annoncés d'une voix mécanique, dénuée de toute chaleur.
Je regrettai amèrement d'avoir quitté le confort et la sécurité de ma chambre d'hôtel.
Maintenant, il m'était difficile de trouver un refuge digne de ce nom.
Une nuit, alors que les arrestations se multipliaient, j'échappai de justesse à une rafle et me précipitant dans une ruelle, je tombai nez à nez avec ce bon vieux docteur Mc Cabb.
Il fut aussi surpris de me voir. Nous nous observâmes un instant, ne sachant trop comment réagir, sans doute éprouvés par nos expériences mutuelles. Puis la raison nous revint et nous nous serrâmes la main avec chaleur. L'avantage c'est que nous nous connaissions et que nous n'avions rien à craindre l'un de l'autre. Je lui parlai rapidement du mouvement dont j'avais appris l'existence et que je m'efforçais de rejoindre.
- Oui, j'en ai entendu parler, me dit-il avec enthousiasme. Je pensais justement me rendre à leur QG.
- Vous savez où il se trouve ? demandai-je avec exaltation.
- Non, répondit Mc Cabb, attristé. La seconde d'après, son visage se fendit d'un sourire.
- Mais je connais quelqu'un qui pourra nous le dire. Une de mes anciennes patientes avec qui j'avais un lien privilégié.
Je n'osai lui demander de préciser de quelle sorte de lien il s'agissait.
Nous marchâmes jusqu'au bout de la ruelle avec précaution. L'obscurité jouait en notre faveur, mais nous savions la milice très bien équipée. Des bruits de lutte et des cris de contestation nous parvinrent et nous nous immobilisâmes. Les arrestations ne se faisaient pas toujours dans de bonnes conditions.
J'eus un mouvement de recul en distinguant le corps inconscient d'un milicien appuyé contre un container.
Mc Cabb se baissa et ramassa un objet sur le sol.
- Vous savez comment ils s'y prennent pour identifier les malades ?
Je secouai la tête tout en me demandant si le docteur était lié à l'incident. Peut-être que ce garde lui était tombé dessus et qu'il n'avait pas eu le choix.
- Ne vous en faites pas, déclara-t-il comme pour me rassurer à ce sujet. Il respire encore.
Avant que j'ai pu comprendre ce qui arrivait, il m'avait glissé un bracelet d'étrange facture autour du poignet droit. Je ressentis une petite piqûre.
- Mais qu'est-ce qu...
Mc Cabb expliqua :
- Le bracelet est un appareil qui analyse le sang et envoie le diagnostic à ce récepteur.
Il produisit un autre appareil pourvu d'un écran tactile. Des chiffres et des diagrammes s'affichaient en temps réel. Pour avoir des moyens, ils avaient des moyens. Et des informations aussi qu'ils s'étaient bien gardés de partager avec les civils.
Je regardai successivement les deux objets avec une terreur bien compréhensible.
- Alors c'est grâce au sang qu'ils peuvent savoir. Depuis quand le savent-ils ?
- Je l'ignore, répondit Mc Cabb.
- J'imagine que grâce à ce système, nous sommes fichés facilement.
Mc Cabb m'adressa un regard étrange qui aurait dû m'alerter. Je n'y pris pas garde. Il savait mettre en confiance. Il avait des années d'expérience. Je ressentis une violente décharge au poignet qui remonta en un éclair jusqu'à mon cerveau. Je perdis connaissance.
 
8
 
Je repris conscience sur ce qui ressemblait à un matelas. Je me levai et m'en éloignai. Il sentait l'urine ou quelque chose d'approchant. La tête me tourna un instant. La lumière dans la pièce était faible. Je repensai à Mc Cabb, à ce traître qui m'avait livré à la milice ou plutôt qu'il avait intégrée. De gré ou de force. Je ne pouvais plus faire confiance à personne. J'étais seul, plus que jamais.
Je traînais ma silhouette voûtée par l'âpreté de ces dernières heures. Une cloison faite de verre renforcé empêchait toute escapade. Un rideau fut tiré, me dévoilant la rue noyée sous les feux de projecteurs blafards et sillonnée par la milice. Un garde casqué - nanti d'un masque sinistre - m'observa comme on observerait un poisson exotique dans son aquarium. Je le vis enfoncer du poing un bouton. Une partie du plancher de ma cellule s'escamota, révélant un plateau-repas des plus sommaires. Dans un accès de rage incontrôlable, je me mis à frapper sur la vitre comme un forcené en criant le nom de celui à qui je devais d'être là.
Plusieurs miliciens se retournèrent pour me regarder. Mc cabb était peut-être l'un d'entre eux. Je l'espérais profondément. Je voulais qu'il voie ma colère. Je voulais qu'il ait peur.
Le rideau fut refermé. D'un coup de pied je fis voler le plateau et son contenu. Je contemplai avec une fascination presque morbide les spaghettis dégoulinant de sauce tomate descendre le long du mur. J'avais la sensation d'être l'un d'entre eux et en même temps je me sentais aussi sali que le mur lui-même.
Je me laissai tomber jusqu'au sol, anéanti.
 
Je restai le plus longtemps possible éveillé. Je n'étais pas en paix. Je ne savais pas ce qu'ils mijotaient et je n'avais aucun moyen de le savoir. Je n'avais aucun échange avec les gardes. Ils se contentaient de m'observer régulièrement et de me donner à manger. Les brefs moments où ils tiraient le rideau, j'en profitais pour examiner la rue et ce qui s'y passait. Je voyais des gens jetés sans ménagement dans des baraquements par la milice. Il y en avait de plus en plus. A travers certaines vitres je voyais même plusieurs malades cohabiter dans une même cellule. La place commençait à manquer. L'espoir aussi. Je crus reconnaître ma femme parmi les prisonniers. Ouvrant mon portefeuille, je retirai la photo d'elle qui - à une époque maintenant révolue - représentait pour moi le signe incontestable de mon attachement exclusif pour elle.
Dans un moment pareil, j'aurais dû pleurer en détaillant son visage. Mais je n'étais pas en isolement pour rien. Je déchirai la photo. Plus rien n'avait de sens, désormais.
 
J'ignore combien de temps il se passa. Je ne m'en souciai plus. J'attendais, résigné, qu'ils trouvent un remède ou qu'ils nous abattent comme des chiens. Je ne sais pas quelle finalité me paraissait la plus écoeurante ou la plus enviable.
Un jour, je me réveillai après un long somme et un repas qui l'avait été beaucoup moins.
Je tressaillis en voyant une silhouette emmitouflée, assise contre l'un des murs, immobile. Ce n'était pas un garde. Je finis par comprendre que la place venant sérieusement à manquer, ils avaient fini par m'attribuer un compagnon de cellule. Charmante attention. Maintenant au lieu de devoir seulement me réconforter, il faudrait que je panse les blessures d'un autre. Je n'avais vraiment pas la tête à ça. Il faudrait qu'il se contente de ma présence.
Je n'étais pas pressé de faire connaissance, alors je conservai mes habitudes, l'air de rien.
La silhouette finit par s'animer et s'adresser à moi :
- Vous êtes bien infecté, n'est-ce pas ?
La voix était plutôt jeune et assurément féminine.
Je m'approchai un peu, piqué par la curiosité. Je m'attendais à rencontrer quelqu'un que je connaissais sans doute. Plus rien ne pouvait me surprendre. Mais là, je me trompai.
La jeune femme abaissa sa capuche, dévoilant un visage fatigué encadré de cheveux blond cendré. Ses yeux étaient vifs. Ils me fixaient, me transperçaient même au point que cela me gêna presque.
- Je m'appelle Clara, dit-elle simplement.
- Andrew, dis-je aussi simplement.
Je ne pus rien ajouter d'autre. Elle se leva un peu gauchement et se dressa face à moi. Elle était plutôt grande. Elle me saisit les poignets.
- Vous êtes bien infecté ? répéta-t-elle.
Son geste et sa question me surprenaient tout autant.
- Oui, bien sûr, tout comme vous. Nous ne serions pas ici, sinon.
Elle resserra sa prise. Ses yeux étincelèrent de plus belle. Comme si elle était sur le point de pleurer. Ce qui était impensable.
- Non, je le suis pas, ajouta-t-elle.
Je la dévisageai, abasourdi. Son expression me révéla combien elle disait vrai. Des larmes coulaient sur ses joues.
- Quoi ?
Je me dégageai violemment de son étreinte.
- Mais vous êtes complètement folle ! Je viens certainement de vous contaminer !
- Au risque de vous choquer davantage, c'est ce que je voulais.
- Je ne vous crois pas. Si vous n'étiez pas malade, vous ne seriez pas ici. Vous seriez en train de fuir, de vous cacher. Ils contrôlent tout le monde en plus. Ils auraient vu que vous n'étiez pas atteinte. Ils sont bien équipés, croyez-moi. J'ai eu tout le loisir de m'en rendre compte.
- Pourquoi chercheraient-ils à contrôler quelqu'un qui prétendrait être malade ? C'est précisément le genre de personnes qu'ils recherchent. Que l'on puisse mentir à ce sujet est au-dessus de leur raisonnement. Et du vôtre aussi, apparemment.
Je n'appréciai pas son ton. Elle semblait me rabaisser au même rang que les miliciens. Je trouvai ça très maladroit de sa part. Insultant.
- Pourquoi feriez-vous une chose pareille ? C'est stupide !
Elle reprit sa place initiale comme si elle voulait s'isoler. Cela ne fut pas pour me déplaire.
- Si je vous disais que vous veniez de me rendre un très grand service.
Je n'avais pas envie de chercher à savoir où elle voulait en venir. La patience comme l'espoir m'avait quelque peu abandonné.
- Je n'ai rien fait du tout. Vous ne savez pas ce qui vous attend. Vous êtes bien avancée d'avoir fait ça. Vraiment stupide, grommelai-je.
Il y eut un silence et je crus que la conversation s'arrêterait là. Je lui désignai le matelas pour lui indiquer qu'elle pouvait s'allonger. J'espérais surtout que l'odeur d'urine lui fasse regretter sa décision. Et c'est alors qu'elle me dit :
- Quelqu'un à qui vous teniez ?
Je plissai les yeux. Elle avait ramassé les morceaux de la photo de ma femme et s'était amusé à la recomposer. Je grimaçai.
- Moi aussi j'aimais quelqu'un, reprit-elle. Un peu trop. Même après qu'il m'ait trompé, je l'aimais toujours. Encore plus je crois. Ca fait des mois qu'on a rompu et impossible de m'en remettre. Je restais prisonnière de mes plus beaux souvenirs avec lui. Comme si une partie de moi ne voulait pas accepter ce qu'il m'avait fait. Ou plutôt comme si j'avais décidé de souffrir seulement à cause du meilleur de ce que j'avais perdu. J'imagine que la plupart des amours nourrissent une forme d'aveuglement. Ce ne serait pas de l'amour, sinon.
Cette situation m'exaspérait. Qu'elle fasse de moi son confident après avoir fait de moi son bourreau était intolérable.
- Pourquoi vous me dites tout ça ?
- Vous ne comprenez donc pas ? Quand j'ai appris l'existence de ce virus, j'ai vu enfin le bout du tunnel. Cela a été une vraie révélation. Enfin le moyen de ne plus souffrir, de ne plus penser à lui. Aller de l'avant. Repartir de zéro. C'était tellement inespéré.
Je l'entendis sangloter.
Sale petite égoïste, pensai-je. Elle s'était servie de moi, de tout le monde, en fait, pour parvenir à ses fins. Insensible au sort des autres, des vrais malades comme moi, elle n'avait pensé qu'à elle. Je fermai les poings et lui jetai un regard noir :
- Sale...
On tira le rideau et la lumière s'engouffra dans la pièce, nous éblouissant. Le garde m'observa comme à l'accoutumée. Je levai aussitôt le majeur de ma main droite à son intention. Ce n'était pas le moment de m'énerver. Il resta devant la vitre sans réagir. Puis, lentement, avec des gestes étudiés, il retira son casque. Mon cœur fit un bond lorsque je reconnus le visage du docteur Mc Cabb. Son expression était imperméable. Il m'étudiait. Je serrai les dents de rage et me jetai contre la vitre que je martelai.
- Salaud ! Enfoiré ! Pourquoi vous avez fait ça ? Pourquoi ?
Un soldat l'appela. Il se retourna et après avoir remis son casque, il s'éloigna de la vitre.
Je restai, là, espérant qu'il revienne pour lui exprimer encore ma rancœur. Mais il ne revint pas. Le rideau fut tiré et le plancher s'escamota pour nous offrir un dîner frugal.
Je vis le nez de Clara se trémousser.
- Qu'est-ce que c'est ? Du poulet ?
Je commençai à manger.
- Vous n'avez qu'à venir voir.
Elle s'approcha. Quelque chose dans sa façon de bouger m'intriguait. Une sorte d'hésitation, d'approximation. Comme si elle était handicapée.
- Je peux savoir pourquoi vous vous êtes énervé comme ça?
Je continuai à mastiquer ma viande. Je n'avais aucune envie de partager quoi que ce soit de personnel avec elle.
- Mon psy m'a envoyé ici.
Je ne me rendis compte qu'après coup que je lui avais répondu.
Je la vis sourire en piochant une cuisse de poulet. Elle semblait regarder le mur derrière moi, à l'endroit où mes spaghettis avaient laissé une trace sanglante.
- Vous devriez en changer.
Je ne m'attendais tellement pas à cette déclaration que je faillis m'étouffer. Puis la fatigue et la tension accumulée eurent raison de moi et je partis dans un éclat de rire qui mit une éternité à s'éteindre. Elle m'accompagna dans cet accès d'hilarité et nous eûmes tout le mal du monde à nous calmer. Nous nous tenions les côtes tandis que nos yeux pleuraient sans discontinuer.
J'avoue que cela me fit un bien fou. Je me rendis soudainement compte que j'avais été odieux avec elle et que malgré cela, elle ne semblait pas m'en vouloir. Peut-être que son comportement envers moi était encore intéressé. Peut-être qu'elle avait encore besoin de moi.
Ma méfiance venait de regagner ses pénates.
Après avoir éructé le plus discrètement, j'allai m'allonger sur le matelas dont j'avais appris à apprivoiser l'odeur. Je regardai le mur contre lequel j'étais couché pour ne pas la regarder, elle.
- On dit que les yeux sont le miroir de l'âme. Alors quand on perd la vue, vous croyez qu'on gagne sept ans de malheur ?
Je me retournai et la dévisageai pour comprendre pourquoi elle venait de dire une chose pareille. Elle fixait un point au-dessus de moi. Un emplacement où il n'y avait absolument rien. Et c'est là que je compris. Je l'avais traitée d'égoïste et pourtant, si moi-même je ne l'avais pas été autant, j'aurai remarqué qu'elle était aveugle.
Je m'assis sur le lit.
- Je suis désolé. Je n'avais pas...
Elle émit un petit rire qui eut le don de me détendre.
- Quand je parlais d'amour et d'aveuglement, ce n'était pas seulement une image, je crois.
Je me levai et me tins près d'elle. Ses yeux ne mentaient pas. Elle était effectivement aveugle. Et d'une certaine manière, je l'avais été aussi.
- Venez vous allonger. Le matelas ne sent pas très bon, mais il est plutôt confortable. Je dormirai dans un coin. Ce sera ma punition.
Elle sourit. Son sourire était désarmant. J'avais l'impression de la voir pour la première fois.
- C'est moi qui fais une bêtise et c'est vous qui êtes puni ?
- J'imagine que j'aurais fait la même chose si j'avais été dans votre situation. Vous n'avez rien fait de mal. Vous avez simplement fait un choix.
- Merci, murmura-t-elle.
Elle se dirigea vers le matelas. Instinctivement je voulus l'accompagner. Mais c'était idiot. Elle se débrouillait très bien sans aide. Elle s'assit.
- C'est vrai qu'il sent mauvais.
Je m'installais dans une encoignure de la pièce, la plus proche du matelas.
Elle tourna la tête vers moi.
- Vous pensez que ça prend combien de temps ?
- Quoi donc ?
- La transmission du virus.
- Je ne sais pas. Quelques heures. Peut-être moins. Vous vous en apercevrez quand vous ne penserez plus à lui. Ou plutôt quand vous penserez à lui sans en souffrir.
- J'ai hâte, dit-elle.
Je me sentis tout à coup apaisé et réconforté de savoir que grâce à moi elle allait pouvoir être plus heureuse.
- De toutes façons, il n'y a aucune raison pour que cela ne marche pas.
Mais une fois encore, je me trompai.
 
9
 
 Nous dormîmes ainsi. Elle sur le matelas et moi dans un coin.
Je dormis très mal. Je pensai à notre conversation, à notre parcours de vie respectif. Le fait que nous nous soyons retrouvés ensemble dans ce baraquement avait peut-être un sens. En tout cas, je ne pouvais me défaire de cette idée.  Parce que je demeurai éveillé la plus grande partie de la nuit, j'eus tout le loisir de l'entendre sangloter. Manifestement le virus n'avait pas encore agi sur elle.
Au matin, nous partageâmes un unique gobelet de café tiède. On avait l'impression d'être des prisonniers de guerre, attendant notre condamnation. Mais de savoir que je l'attendais avec Clara me réchauffait un peu le cœur.
- C'est étrange, dit-elle. J'ai la sensation que je suis immunisée. Le virus aurait déjà dû faire effet sur moi, vous ne croyez pas ?
Je ne voulais pas lui faire perdre espoir. Et je voulais moi-même y croire encore.
- Ca dépend sûrement de la personne, de son organisme. Des tonnes de paramètres doivent rentrer en jeu. Ca ne veut rien dire.
Je lui pris la main sans y réfléchir. Peut-être parce que je savais qu'elle ne pouvait pas me voir.
- Courage, Clara. Le plus dur est fait. Tu m'as supporté.
A nouveau ce sourire éclatant. J'aurais voulu qu'il dure des heures.
Sa phrase de la veille me revint en mémoire :
« On dit que les yeux sont le miroir de l'âme. Alors quand on perd la vue, vous croyez qu'on gagne sept ans de malheur ? »
Et c'est alors que j'eus la révélation.  Je plongeai mes yeux dans ceux de Clara. La solution était là. L'explication tant recherchée. Le virus ne se transmettait pas par le contact physique, ni par l'air. Il voyageait par les yeux, par le regard. Et c'est pour ça que Clara n'était pas infectée. Elle avait raison. Elle était immunisée. Son handicap l'avait protégée de la maladie. J'étais tellement convaincu de mon raisonnement que j'en aurais mis ma main au feu.
Ma main resserra davantage la sienne.
- Tu ne peux pas attraper cette maladie.
Son visage se crispa et je le regrettai.
- Pourquoi ?
- C'est ta phrase qui m'a tout fait comprendre. Les yeux sont le miroir de l'âme et ils réfléchissent la maladie. Tu es aveugle, tu ne crains donc rien.
Pour n'importe qui, cela aurait été la plus merveilleuse des nouvelles. Pour Clara, c'était comme si je lui annonçais la fin du monde.
Elle se mit à pleurer.
- Il n'y a pas une minute, tu disais tout le contraire. A quoi tu joues avec moi ?
Elle se raidit et me repoussa avant de se blottir dans un coin.
- Je veux sortir d'ici. Puisque je ne peux pas être malade, je n'ai aucune raison de rester ici, avec toi !
Je soupirai.
- Nous allons pouvoir sortir tous les deux.
Elle arrêta de pleurer. Ma déclaration avait fait son effet.
- Quoi ? Mais tu ne peux pas sortir. Ils ne laissent sortir aucun malade.
Je m'assis à côté d'elle.
- C'est vrai.
Quand je lui caressai les cheveux, elle comprit.
Mon cœur cognait à nouveau dans ma poitrine, libéré de l'entrave de la maladie. Il s'exprimait comme il ne l'avait pas fait depuis longtemps. Ou plutôt comme il ne l'avait jamais fait.
Je tremblai. Une bouffée de son parfum me transporta sur une autre planète. Une mèche dans son cou me fit connaître la plus douce des ivresses.
- Tu ne peux pas être malade, Clara. Tu ne le pourras jamais.
Le rideau fut tiré. Mc Cabb se tenait derrière la vitre. Il avait son masque, mais je savais que c'était lui. Je pensai à ses filles, je pensai à ma femme, à ma voisine au-dessus de ses poubelles. Cet amour que je ressentais était différent de tous ceux que j'avais pu connaître. Il les dépassait. Et je savais qu'il n'en était qu'à ses balbutiements.
Mc Cabb tenait ses appareils d'analyse à la main, prêt à scanner notre sang pour voir l'évolution de notre état. Il n'allait pas être déçu.
Je serrai Clara contre moi.
- Tu es le remède.
En même temps que je lui disais ces mots je remarquai pour la première fois une inscription gravée sur le mur, laissée par le détenu qui nous avait précédé dans cette geôle :


Un jour, quand nous aurons maîtrisé les vents, les vagues, les marées et la pesanteur, nous exploiterons l'énergie de l'amour. Alors pour la seconde fois dans l'histoire du monde, l'homme aura découvert le feu.
Pierre Teilhard de Chardin (1881-1955) - Paléontologiste et philosophe français

 

La Chaise [Nouvelles/Fantastique]

 

- Comment vas-tu ? demanda James.

Il tenait Rachel dans ses bras et lui chuchotait à l’oreille comme il avait pris l’habitude de le faire. Il pouvait sentir la douceur de ses longs cheveux flamboyant sous le soleil ainsi que le parfum naturel de sa peau. Il en avait à chaque fois les larmes aux yeux.

- Bien. Mais pourquoi parles-tu toujours si bas? On dirait que tu as peur que quelqu’un t’entende ou nous surprenne. Il n’y a personne dans ce parc, à part nous. Et quand bien même…

James s’essuya discrètement les yeux et sa voix rauque, un peu cassée, se fit à nouveau entendre :

- Excuse-moi, c’est instinctif. Chez moi, je suis un peu à l’étroit. Pas beaucoup d’intimité. Des amis et des voisins peu recommandables et envahissants. C’est un peu l’enfer. Je t’en ai déjà parlé, non ?

Ils étaient assis à même l’herbe. Le jour était encore jeune. Ils pouvaient sentir la rosée sous leurs pieds nus.  Elle se tourna vers lui et caressa les cheveux gris de ses tempes.

- Oui, un peu. Mais j’ai du mal à m'y faire. Pourquoi tu ne déménages pas ?

Il eut un rictus équivoque.

- J’aimerais tellement, si tu savais. Mais j’ai une sorte de… dette vis-à-vis de ces gens-là, une dette qui m’oblige à rester. L’avantage c’est que quand je suis là, avec toi, j’ai un peu l’impression de déménager.

Rachel sourit à son tour. James mesura la chance qu’il avait de pouvoir être en sa compagnie aux heures les plus sombres de sa vie. Mais il ne pouvait se faire à l’idée d’être séparé à nouveau d’elle. Il voulait croire jusqu’au bout à sa rédemption et à ce qu’elle pouvait lui apporter.

Il leva la tête et laissa le soleil baigner son visage creusé par les affres de l’existence.

 

- Tu es encore en retard. Qu’est-ce qui se passe ?

Rachel était déjà assise dans le parc, à leur place habituelle.

James s’installa auprès d’elle. Après quelques secondes d’hésitation, il la serra très fort contre lui.

- Excuse-moi. J’ai beaucoup de mal à trouver le sommeil ces temps-ci et j’ai perdu du temps en chemin. Je suis désolé.

Il l’était manifestement, tant et si bien que Rachel en fut profondément émue.

- Ce n’est pas grave. Tu es là, c’est tout ce qui compte.

Il la dévisagea. Ses yeux étaient embués comme s’il avait retenu des larmes.

- Oui, Rachel. C’est tout ce qui compte.

 

- Pourquoi on ne dormirait pas ensemble ? lui dit-elle un jour.

James observa un autre couple marcher au loin. Il fit glisser ses orteils nus dans l’herbe fraîche et encore humide comme pour se persuader qu’elle était réelle. Les doigts de ses mains faisaient de même sur la peau de Rachel.

- Cela se fera. Un jour. Pour l’instant, c’est impossible.

- Viens habiter chez moi, si tu veux.

- J’aurai encore plus de mal à trouver le sommeil, tu ne crois pas ?

Elle s’amusa de sa réflexion.

- Au moins, nous serions deux à arriver en retard.

Il se racla la gorge pour adoucir une voix qu’il avait toujours jugée trop inhumaine.

- Je t’ai déjà raconté une histoire à propos d’une chaise.

Rachel secoua la tête.

- Non. J’adore les histoires, tu sais.

James se permit de rire.

- Oh, oui. Justement, celle-là va beaucoup te plaire.

Elle se coula davantage contre lui, lui signifiant qu’elle était toute ouïe.

- On raconte que dans le monde des rêves, il existe un objet capable de réunir pour toujours les êtres qui s’aiment d’un amour pur et sincère.

- Le début est très prometteur. Mais c’est quoi cet objet ?

- Une chaise.

- Une chaise ? C’est pas très romantique.

- C’est vrai. Mais c’est une chaise vraiment spéciale.

Il rapprocha ses lèvres de son oreille.

- Elle est magique.

- C’est vrai ? Elle doit être magnifique alors.

Le visage de James produisit un rictus.

- Non, elle est même plutôt hideuse. Mais c’est ce qui fait qu’elle est spéciale. Derrière sa monstrueuse apparence, personne ne peut soupçonner sa véritable nature.

James se dit qu’il en était probablement de même pour lui.

- Excepté les êtres qui s’aiment d’un amour pur et sincère, compléta Rachel avec un enthousiasme évident.

James caressa ses mains.

- Exactement.

Rachel se mit à applaudir.

- Oh, oui, j’adore cette histoire ! Tu avais raison. Vite, vite, la suite !

- La suite, ma douce, c’est à nous de l’écrire.

Elle le dévisagea, perplexe.

- Quoi ?

- Nous devons trouver cette chaise. Ainsi et seulement ainsi, plus rien ne pourra nous séparer.

Elle le scruta comme jamais elle ne l’avait fait. Il fut ravi au plus profond de lui de faire l’objet de tant d’attention.

- Tu es sérieux ? S’enquit-elle.

Il acquiesça.

- Ce n’est pas qu’une histoire. C’est la vérité. Cette chaise existe.

Il vit bien combien Rachel peinait à le croire, malgré la gravité qu’il affichait.

- Mais…où peut-on trouver une telle chaise ? Dans les rêves, tu as dit ?

A nouveau, il acquiesça.

- La bonne nouvelle, c’est que je sais où elle est.

A cette annonce, les yeux de Rachel s’agrandirent comme ceux d’un enfant.

- Où est-elle ?

James appuya un index contre sa tempe.

- Là.

- Qu’est-ce que tu veux dire ?

- Moi seul peux m’y asseoir. Mais cela devrait suffire à lancer le charme et rompre le sortilège qui me tient loin de toi toutes ces heures. Et enfin effacer cette maudite dette qui m’enracine à cet enfer.

- Pourquoi je ne peux pas m’y asseoir ?

Il sourit. Elle avait l’air presque vexé. Au moins, croyait-elle à son histoire. Et c’était tout ce qui lui importait.

- Tu as le cœur trop pur, l’âme trop propre.

- Et toi, non ?

Cette fois, il secoua la tête.

- J’ai fait beaucoup de mal. Je t’ai fait beaucoup de mal, même si tu ne t’en souviens plus, aujourd’hui. J’ai même donné la mort. Et je le paye aujourd’hui.

- Je crois que tout le monde a droit à une seconde chance.

Il l’embrassa.

- Je l’espère, ma douce. Je l’espère de tout mon cœur.

Elle prit son visage entre ses mains.

- Alors, dépêche-toi de trouver cette chaise.

- C’est mon vœu le plus cher. Et il se réalisera. Rien ne peut l’empêcher, désormais.

Il l’embrassa à nouveau, des larmes plein les yeux.

Un claquement métallique le sortit violemment de sa torpeur. Il comprit qu’il était revenu en enfer. Une voix se fit entendre, comme jaillie d’outre-tombe :

- James Stingray. C’est l’heure.

La porte s’ouvrit. Il se leva. Il avait les mains moites. Le corps entier, en fait. Comme s’il s’était roulé nu dans la rosée. L’image le fit sourire avant de lui faire mal.

Il retrouva rapidement une contenance. Il ne devait rien montrer. Il ne leur ferait pas ce plaisir. Il en avait assez bavé comme ça devant leurs yeux. Ils s’étaient repus tant de fois de sa douleur. Il était grand temps de dire adieu à tout cela. Une autre vie l’attendait.

Il quitta la pièce et emprunta l’interminable couloir, escorté par une armée de gardiens. En route vers la chaise. La chaise magique.

 

 

T’as aimé…ou pas

T’as tout lu, tout vu, tout entendu…ou pas

Peu importe, post un com et like la page pour dire que tu existes car ton avis est important pour moi, mais aussi pour le futur de ce blog, un gros merci d’avance !

Et le Ciel t'aidera [Nouvelles/Fantastique]

Et le Ciel t'aidera.jpg

 

Mon nom importe peu. J'ai 35 ans. J'ai un cancer.

Si j'avais eu une autre vie, j'aurais pu m'en plaindre, maudire mon sort. Mais le fait est que je prends ça plutôt bien. Je dirais même que je suis impatient que la maladie m'emporte.

Ceci est mon premier journal et vu les circonstances ce sera assurément le dernier. Je ne sais pas trop pourquoi je me mets à écrire. Un réflexe de survie, peut-être. La satisfaction que quelque chose restera de moi. Parce qu'à part ça, on ne peut pas dire que je vais laisser grand-chose. Et même si c'était le cas, le laisser à qui ? Ma famille s'est dissoute depuis longtemps, mes rares amis ont fait leur vie aux quatre coins du pays et ma femme...et bien je n'en ai pas et des enfants encore moins. Vous comprenez mieux pourquoi je suis si enthousisate à l'idée de m'en aller.

Les médecins pensent qu'il ne me reste que quelques mois. J'espère qu'ils se trompent et qu'il ne me reste que quelques semaines. Ce sera bien assez comme ça. J'ai déjà perdu tous mes cheveux et je me sens de plus en plus faible. Je passe ma journée devant la télé. Ca me convient très bien. En observant la médiocrité des programmes et le reflet de notre société, je prends un malin plaisir à savoir que je n'aurai aucun regret à quitter ce monde. Mais ça, je le savais déjà depuis longtemps. La réalité n'a jamais pu rivaliser avec mes rêves, ni même me permettre de les réaliser. Elle ne me manquera pas et réciproquement.

Etrange. Très étrange. Comment ne pas y voir un signe ? Je débute ce journal cette nuit, et voilà que ce midi, il m'arrive une chose extraordinaire. Comme si mon journal l'avait réclamée afin de légitimer son existence. Une météorite s'est écrasée sur ma maison. Elle a traversé le toit et écrasé ma télé par la même occasion. Je crois que le deuil ne sera pas difficile. Surtout que je ne perds pas au change.

La pierre a la taille d'un ballon de volley. Elle est très chaude. Sa couleur est marron avec des parties grises et blanches. Je ne peux pas encore la toucher, mais j'ai hâte de pouvoir le faire. Ce truc vient de l'espace ! Moi qui ai toujours rêvé d'un contact de cette nature. Dommage que ce ne soit qu'un caillou, mais je mesure quand même ma chance. J'espère pouvoir en profiter suffisamment. Je n'irais pas jusqu'à dire que ça donne un sens à ma vie. Disons plutôt que cela me permettra de la terminer en beauté. Ce qui, en soi, n'est déjà pas si mal.

Je n'ai pas dormi de la nuit. Comment aurais-je pu ? J'ai attendu que la pierre refroidisse. Tôt ce matin, j'ai enfin pu la toucher. Rien de spécial. C'est une texture rocheuse. Il y a peut-être des particularités, mais je suis loin d'être un spécialiste en la matière. J'ai regardé sur internet pour voir si elle était répertoriée. Je n'ai rien trouvé de comparable, ce qui me procure un grand plaisir. Si je la montrais à un spécialiste, il me dirait sans doute que c'est un spécimen connu, mais comme je n'en ai pas l'intention, je vais pouvoir continuer à imaginer ce que je veux. La réalité m'a trop souvent déçu. Je vais bientôt mourir, je n'ai plus aucune raison de me fier à elle. Vive le mystère et l'imagination !

Encore une nuit agitée. J'ai entendu des petits bruits. J'ai crû que cela venait de la pierre. Difficile de ne pas fantasmer sur ce qu'elle pourrait recéler. Je crois que je deviens peut-être parano. Je l'ai enfermée dans ma cachette secrète. Après tout, quelqu'un d'autre l'a peut-être vue s'écraser sur ma maison. Je suis assez isolé, mais on ne l'est jamais assez du reste de l'humanité surtout lorsqu'on a quelque chose susceptible de l'intéresser. Hors de question que je laisse le gouvernement, l'armée ou la science me la prendre. C'est ma trouvaille, mon trésor ! Je n'ai jamais rien eu dans cette chienne de vie, alors je compte bien garder cette pierre avec moi le temps qu'il me reste à vivre.

Les bruits ont recommencé. Mais plus de doutes, cette fois, ce n'est pas mon imagination, ça vient bien de la pierre. C'est sûrement dû au fait qu'elle refroidit, comme un moteur de voiture. Cette image me plait beaucoup. Cette pierre, en un sens, est devenue mon moteur à moi. Avec elle, j'ai l'impression de redémarrer ma vie. Elle sera peut-être courte, mais elle sera intense. Et elle me comblera. Enfin.

J'ai bien regardé avec la loupe. Il y a une nette fêlure. Je suis certain qu'elle n'y était pas avant. J'ai vraiment des raisons d'espérer que dans les jours qui viennent il se passera quelque chose de surprenant. Ou alors je me fais encore un film. On verra bien. En tout cas, l'attente est insupportable... et en même temps délicieuse. J'ai dû mal à manger et à faire autre chose que l'observer. Je ne veux rien manquer. Je serai peut-être l'unique témoin d'un évènement tout aussi unique. Et puis, s'il ne se passe rien, ce n'est pas le ridicule qui me tuera !

Je me suis assoupi en fin d'après-midi bien que je ne le voulais pas. Et bien sûr, ce que j'espérais est arrivé pendant que je dormais. Je n'ai même pas pensé à la filmer. Je me déteste. La pierre s'est fendue en deux. Net. Rien à l'intérieur. En tout cas, rien de vivant. Il y a une sorte de toile collante, mais c'est tout. L'intérieur était très chaud. Comme s'il y avait eu une activité. C'est peut-être une pierre volcanique. Oui, si ça se trouve, ce n'est qu'une déjection de volcan, de volcan terrestre. Je préfère ne pas trop y penser, c'est plutôt douloureux de se faire à cette idée. Je croyais tellement à un miracle.

Nuit vraiment bizarre. J'ai beaucoup rêvé, comme ça ne m'était jamais arrivé. Je me suis réveillé, épuisé, comme si j'avais couru toute la nuit. Couru dans ma tête. Mais en même temps je me sentais bien. Comme si j'avais ma dose d'adrénaline. Très curieux. Sûrement dû à l'ouverture de la pierre. J'ai sans doute besoin de soigner ma frustration et mon esprit s'en charge naturellement. Comme il l'a toujours fait.

Je ne sais pas comment dire ça. Les mots ne sont pas suffisants. La pierre n'était pas vide. J'en ai eu la preuve ce matin en me regardant dans la glace. Je n'avais pas fait ça depuis longtemps et sur le moment quand je l'ai vue sur ma tête, j'ai poussé un cri. J'ai cru que c'était un effet secondaire de la maladie. J'ignore comment j'ai fait pour ne pas la sentir, encore moins depuis combien de temps elle est là. J'ose à peine la toucher. On dirait une excroissance. Sa couleur est plus foncée que ma peau, mais quand il n'y a pas beaucoup de lumière, on jurerait qu'elle fait partie de moi, comme une arète crânienne. Elle fait a peu près la taille de ma main. Elle a quatre pattes, deux à l'avant et deux à l'arrière. Sa tête est plate. On dirait un croisement entre une araignée et une tortue. Elle semble bien accrochée. C'est terrifiant, mais au moins, ce n'est pas douloureux. Elle est peut-être en train de se nourrir de mon cerveau. Je préfère en rire. Elle ne bouge pas, comme si elle dormait ou qu'elle était morte. C'est terrifiant, mais je ne peux pas m'empêcher d'éprouver une certaine joie. Après tout, c'est ce que j'espérais. Pas sous cette forme, certes, mais c'est bel et bien un contact avec une espèce venue d'une autre planète. Je dois dire que j'ai vite abandonné l'histoire du volcan.

Tout à l'heure j'ai bien regardé son corps dans la glace. Si elle tient si bien sur mon crâne c'est parce qu'elle a de chaque côté une dizaine de petites pinces. J'ai bien l'impression qu'elles sont toutes plantées dans ma tête. C'est un peu rouge autour, comme si ça avait saigné. Rien que d'y penser, j'en frissonne. Un peu vicieux quand même. Et puis j'ai commencé à imaginer une perspective moins drôle. Si au lieu de me manger la cervelle elle était plutôt en train de pondre ses oeufs dedans. Peut-être que la pierre n'était pas un simple oeuf, mais une sorte de cocon spécifique à la femelle afin de la préparer à la période de ponte. Oui, c'est assez délirant, mais quand on sait que cette chose vient d'une autre planète, comment vraiment savoir où commence la réalité et où elle s'arrête ?

J'ai passé une nuit affreuse. J'ai rêvé que des larves me sortaient par tous les orifices de la tête : les oreilles, les narines, la bouche ! J'ai failli vomir en me réveillant. Après ça, j'étais résolu à m'en débarrasser. Tant pis pour la rencontre du 3ème type ! Ca me dérange pas de mourir, du moment que je conserve un minimum de dignité. De servir d'incubateur vivant, je dois avouer que ce n'est pas ce que j'apelle une mort digne, même pour une larve comme moi !

Je n'ai pas pu. J'avais la chaussure dans ma main. J'étais sur le point de l'écraser et quelque chose m'a retenu. Je ne pourrais pas dire quoi exactement. Peut-être la certitude de me tromper sur ses intentions. C'est vrai que je n'ai aucune preuve de quoi que ce soit. En fait, pas exactement. Car depuis qu'elle a fait son nid sur mon crâne, je me suis rendu compte que j'allais mieux. Je ressens moins la fatigue. Je suis fatigué par le manque de sommeil, mais la fatigue dûe à la maladie, que je sais clairement dissocier, elle, a diminué de manière assez significative. Suffisamment en fait, pour que je sois tenté d'associer cette amélioration à la présence de Vénus. Oui, je l'ai baptisée ainsi. Pour plusieurs raisons. Primo, parce qu'elle vient de l'espace. Secundo, parce qu'elle guide mes pensées et mes actes depuis quelques jours comme l'étoile oriente le marin en perdition. J'aime beaucoup cette métaphore en passant. Et pour finir, l'appeler Vénus alors qu'elle est si laide c'est un peu ironique, ça m'amuse beaucoup. Remarquez, il n'y a rien de plus subjectif que l'apparence. D'où elle vient, c'est peut-être Miss Monde, une vraie reine de beauté ! J'espère qu'elle ne lit pas dans mes pensées, parce que sinon elle va avoir de quoi me détester !

Je suis catégorique : la présence de Vénus sur ma tête est en train de me métamorphoser. Pas physiquement, mais mentalement, comme si elle agissait directement sur mon cerveau. Ce qu'elle fait sans aucun doute. J'ai l'intime conviction que d'une ceraine manière, nous vivons une parfaite relation symbiotique, chacun permettant à l'autre de subvenir à ses besoins avec un naturel exemplaire. Elle se nourrit de mon activité cerébrale et mon cerveau se nourrit de cette interaction. Et comme son interaction intensifie mon activité cérébrale, elle me nourrit davantage. C'est exponentiel, c'est sans limite. c'est parfait. Voilà précisément le genre de rapport que j'ai toujours rêvé d'avoir avec mes semblables, sans jamais pouvoir l'obtenir. Que je l'obtienne enfin grâce à une autre espèce ne change rien. Enfin si. C'est nettement plus valorisant à mes yeux. Je vais vraiment pouvoir mourir heureux comme
on dit. J'en suis presque à regretter ma disparition prochaine et à ne pas pouvoir partager ma situation privilégiée. Tout le monde m'envierait cette symbiose. Elle représente un véritable aboutissement à plus d'un titre.
Enfin, non, ce ne serait certainement pas la chose à faire. On préférerait sans doute m'examiner, me disséquer pour savoir comment ça se passe à l'intérieur.
Au mieux, on m'exhiberait dans des émissions télé débiles et des tas de gens se feraient de l'argent sur mon dos. Ce n'est pas de la paranoïa. J'ai simplement eu le temps de connaître le monde dans lequel je vis. Argent, pouvoir, sexe et violence. Les quatre mamelles de l'Humanité. Moi je n'en ai plus qu'une seule désormais : la paix.

Je me suis remis à lire. Je ne fais que ça depuis plusieurs jours. Une véritable boulimie. Je prends un plaisir fou, quel que soit la nature du livre : roman, biographie, essai, magazine et même bande-dessinée, tout y passe. Je crois que Vénus adore la littérature et que cette soif dévorante qui m'anime est un écho de sa passion à elle. On est sur la même longueur d'onde. Ce que fait l'un enrichit l'autre, le bonifie. Nous ne faisons qu'un, à tous points de vue.
C'est jouissif, orgasmique. Non, le mot n'est pas trop fort. Au contraire, je crois qu'il ne pourrait être mieux employé. Cela dépasse tous mes rêves, mes fantasmes les plus fous. Je me sens vivant et libre comme jamais. Je me sens plus qu'humain. Je ne sais pas ce que Vénus éprouve, mais j'imagine qu'à son niveau aussi elle ressent un formidable sentiment de plénitude. Et de savoir que c'est réciproque est encore plus exaltant. Je touche l'expérience divine ultime. Moi qui n'ai jamais été très spirituel, je peux dire qu'en quelques jours j'ai rattrapé mon retard. Et puis question d'esprit, Vénus aussi est servie : elle se goinfre le mien ! J'arrive même à être drôle. Que cela ne s'arrête pas, que cela ne s'arrête jamais. Que c'est beau, que c'est bon !

Oui, c'était sans doute trop beau pour durer. Je l'ai senti tôt ce matin, la rupture, la séparation. Je ne sais quel terme employer. Je n'en trouve pas d'assez fort. Vénus a disparu de ma tête, purement et simplement. Impossible de la retrouver. J'ai retourné toute la maison, sans succès. J'en suis malade.
Je m'étais trop habitué à elle, à ce qu'elle me procurait. Oui, comme une drogue. Mais contrairement à une drogue, tous les aspects de cette dépendance se révélaient positifs, pour le drogué comme pour le dealer. Et nous endossions chacun les deux rôles.
Je n'arrive pas à trouver d'explication. On avait tous les deux trop à y perdre pour que cela s'arrête ainsi, du jour au lendemain. C'est cruel. Je n'arrive pas à l'accepter. J'essaie de me persuader que sa mission accomplie, elle est peut-être repartie chez elle par un autre moyen. Peut-être Vénus était-elle une sorte d'agent humanitaire de l'espace et qu'elle a trouvé en moi un nécessiteux à la hauteur de son investissement. Mais dans ce cas, pourquoi serait-elle partie sans s'assurer de mon bien-être futur ? Car me laisser ainsi, de nouveau seul et sans joie, c'est un châtiment plus qu'un secours. Je ne comprends vraiment pas ce qui a pu se passer. C'était pourtant parfait. Ca aurait dû continuer. Je suis abattu. Ce constat me fait plus mal que toutes les maladies possibles. Oui, maintenant je me sens à nouveau malade, plus que jamais. Et de savoir que je vais partir ainsi est terrifiant. Comme si rien ne s'était passé, comme si j'avais tout imaginé. C'est terrfiant.

 

Je ne sais comment poursuivre le récit de mon frère. Je vais alors tâcher d'être simple et direct. Mon frère, paix à son âme, a trouvé la mort chez lui il y a trois jours. J'ai trouvé ce journal près de lui, ce qui a permis d'expliquer en grande partie certaines choses qui, sinon, seraient restées des mystères.
Mon frère avait bel et bien un cancer. La réalité s'arrête ici. Tout le reste de son récit n'est que le fruit de son imagination, fertile, j'en conviens.
Mais mon frère a toujours cultivé un esprit inventif, il était connu pour cela. La proximité de la mort a sans doute décuplé ce penchant naturel.
Dans un accès de colère, il a vraisemblablement détruit sa télévision et détérioré son plafond juste au-dessus. Son imagination a fait le reste. Je crois qu'il avait besoin de vivre quelque chose de très fort avant de quitter ce monde en lequel il ne croyait plus depuis longtemps. Son attirance vers tout ce qui a trait au cosmos a conditionné la nature de son illusion. C'est aussi bien comme ça. Il est mort comme il l'a voulu. J'ose espérer que son esprit est apaisé à présent. Nous n'avons jamais été très proches, mais pour autant je souhaite qu'il trouve le repos. Il le mérite.

Je travaille moi-même à l'aérospatiale, notre seul intérêt commun avec mon frère, même si nous ne l'avons guère partagé de son vivant.
Je confie donc en toute logique ses cendres et son journal à l'espace. C'est le moins que je puisse faire pour honorer sa mémoire. Peut-être trouveront-ils parmi les étoiles un esprit suffisamment adapté pour tirer d'eux la substantifique moelle. Si Vénus a existé, comme en était convaincu mon frère, alors elle sera sans doute ravie de tomber sur ces pages. Mon frère aurait aimé cette perspective, en tout cas, et c'est pour cela uniquement que j'entreprends une telle démarche.

Je n'ai pas trouvé la fameuse météorite dont il parle, bien entendu, pas plus que la cachette secrète qu'il mentionne. Mais rien de surprenant à cela puisque ni l'une ni l'aute n'existent. Désolé de décevoir le lecteur, mais même si cette pierre avait existé, elle n'aurait sans doute rien eu d'extraordianire. Au mieux, j'aurais trouvé une substance un peu colllante à l'intérieur que je n'aurais même pas pris la peine d'analyser.
Pour quoi faire ? Me rendre compte que mon frère avait fait lui même un mélange de son invention afin de concrétiser son fantasme ? Je l'aurais jetée, tout simplement.

Ce que j'ai réellement fait en revanche c'est vendre ses biens aux bénéfices d'une association humanitaire. C'est ce qu'il aurait souhaité, paradoxalement. Mon frère n'était pas égoïste. Il était simplement malade, malade d'être humain. Après tout, tout le monde n'est peut-être pas fait pour l'être. Ce n'est sûrement pas la morale que vous attendiez, auquel cas j'en suis navré. Mais en l'absence de mon frère, ce journal n'en connaîtra malheureusement pas de meilleure.




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