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lundi, 20 juin 2016

Et le Ciel t'aidera [Nouvelles/Fantastique]

Et le Ciel t'aidera.jpg

 

Mon nom importe peu. J'ai 35 ans. J'ai un cancer.

Si j'avais eu une autre vie, j'aurais pu m'en plaindre, maudire mon sort. Mais le fait est que je prends ça plutôt bien. Je dirais même que je suis impatient que la maladie m'emporte.

Ceci est mon premier journal et vu les circonstances ce sera assurément le dernier. Je ne sais pas trop pourquoi je me mets à écrire. Un réflexe de survie, peut-être. La satisfaction que quelque chose restera de moi. Parce qu'à part ça, on ne peut pas dire que je vais laisser grand-chose. Et même si c'était le cas, le laisser à qui ? Ma famille s'est dissoute depuis longtemps, mes rares amis ont fait leur vie aux quatre coins du pays et ma femme...et bien je n'en ai pas et des enfants encore moins. Vous comprenez mieux pourquoi je suis si enthousisate à l'idée de m'en aller.

Les médecins pensent qu'il ne me reste que quelques mois. J'espère qu'ils se trompent et qu'il ne me reste que quelques semaines. Ce sera bien assez comme ça. J'ai déjà perdu tous mes cheveux et je me sens de plus en plus faible. Je passe ma journée devant la télé. Ca me convient très bien. En observant la médiocrité des programmes et le reflet de notre société, je prends un malin plaisir à savoir que je n'aurai aucun regret à quitter ce monde. Mais ça, je le savais déjà depuis longtemps. La réalité n'a jamais pu rivaliser avec mes rêves, ni même me permettre de les réaliser. Elle ne me manquera pas et réciproquement.

Etrange. Très étrange. Comment ne pas y voir un signe ? Je débute ce journal cette nuit, et voilà que ce midi, il m'arrive une chose extraordinaire. Comme si mon journal l'avait réclamée afin de légitimer son existence. Une météorite s'est écrasée sur ma maison. Elle a traversé le toit et écrasé ma télé par la même occasion. Je crois que le deuil ne sera pas difficile. Surtout que je ne perds pas au change.

La pierre a la taille d'un ballon de volley. Elle est très chaude. Sa couleur est marron avec des parties grises et blanches. Je ne peux pas encore la toucher, mais j'ai hâte de pouvoir le faire. Ce truc vient de l'espace ! Moi qui ai toujours rêvé d'un contact de cette nature. Dommage que ce ne soit qu'un caillou, mais je mesure quand même ma chance. J'espère pouvoir en profiter suffisamment. Je n'irais pas jusqu'à dire que ça donne un sens à ma vie. Disons plutôt que cela me permettra de la terminer en beauté. Ce qui, en soi, n'est déjà pas si mal.

Je n'ai pas dormi de la nuit. Comment aurais-je pu ? J'ai attendu que la pierre refroidisse. Tôt ce matin, j'ai enfin pu la toucher. Rien de spécial. C'est une texture rocheuse. Il y a peut-être des particularités, mais je suis loin d'être un spécialiste en la matière. J'ai regardé sur internet pour voir si elle était répertoriée. Je n'ai rien trouvé de comparable, ce qui me procure un grand plaisir. Si je la montrais à un spécialiste, il me dirait sans doute que c'est un spécimen connu, mais comme je n'en ai pas l'intention, je vais pouvoir continuer à imaginer ce que je veux. La réalité m'a trop souvent déçu. Je vais bientôt mourir, je n'ai plus aucune raison de me fier à elle. Vive le mystère et l'imagination !

Encore une nuit agitée. J'ai entendu des petits bruits. J'ai crû que cela venait de la pierre. Difficile de ne pas fantasmer sur ce qu'elle pourrait recéler. Je crois que je deviens peut-être parano. Je l'ai enfermée dans ma cachette secrète. Après tout, quelqu'un d'autre l'a peut-être vue s'écraser sur ma maison. Je suis assez isolé, mais on ne l'est jamais assez du reste de l'humanité surtout lorsqu'on a quelque chose susceptible de l'intéresser. Hors de question que je laisse le gouvernement, l'armée ou la science me la prendre. C'est ma trouvaille, mon trésor ! Je n'ai jamais rien eu dans cette chienne de vie, alors je compte bien garder cette pierre avec moi le temps qu'il me reste à vivre.

Les bruits ont recommencé. Mais plus de doutes, cette fois, ce n'est pas mon imagination, ça vient bien de la pierre. C'est sûrement dû au fait qu'elle refroidit, comme un moteur de voiture. Cette image me plait beaucoup. Cette pierre, en un sens, est devenue mon moteur à moi. Avec elle, j'ai l'impression de redémarrer ma vie. Elle sera peut-être courte, mais elle sera intense. Et elle me comblera. Enfin.

J'ai bien regardé avec la loupe. Il y a une nette fêlure. Je suis certain qu'elle n'y était pas avant. J'ai vraiment des raisons d'espérer que dans les jours qui viennent il se passera quelque chose de surprenant. Ou alors je me fais encore un film. On verra bien. En tout cas, l'attente est insupportable... et en même temps délicieuse. J'ai dû mal à manger et à faire autre chose que l'observer. Je ne veux rien manquer. Je serai peut-être l'unique témoin d'un évènement tout aussi unique. Et puis, s'il ne se passe rien, ce n'est pas le ridicule qui me tuera !

Je me suis assoupi en fin d'après-midi bien que je ne le voulais pas. Et bien sûr, ce que j'espérais est arrivé pendant que je dormais. Je n'ai même pas pensé à la filmer. Je me déteste. La pierre s'est fendue en deux. Net. Rien à l'intérieur. En tout cas, rien de vivant. Il y a une sorte de toile collante, mais c'est tout. L'intérieur était très chaud. Comme s'il y avait eu une activité. C'est peut-être une pierre volcanique. Oui, si ça se trouve, ce n'est qu'une déjection de volcan, de volcan terrestre. Je préfère ne pas trop y penser, c'est plutôt douloureux de se faire à cette idée. Je croyais tellement à un miracle.

Nuit vraiment bizarre. J'ai beaucoup rêvé, comme ça ne m'était jamais arrivé. Je me suis réveillé, épuisé, comme si j'avais couru toute la nuit. Couru dans ma tête. Mais en même temps je me sentais bien. Comme si j'avais ma dose d'adrénaline. Très curieux. Sûrement dû à l'ouverture de la pierre. J'ai sans doute besoin de soigner ma frustration et mon esprit s'en charge naturellement. Comme il l'a toujours fait.

Je ne sais pas comment dire ça. Les mots ne sont pas suffisants. La pierre n'était pas vide. J'en ai eu la preuve ce matin en me regardant dans la glace. Je n'avais pas fait ça depuis longtemps et sur le moment quand je l'ai vue sur ma tête, j'ai poussé un cri. J'ai cru que c'était un effet secondaire de la maladie. J'ignore comment j'ai fait pour ne pas la sentir, encore moins depuis combien de temps elle est là. J'ose à peine la toucher. On dirait une excroissance. Sa couleur est plus foncée que ma peau, mais quand il n'y a pas beaucoup de lumière, on jurerait qu'elle fait partie de moi, comme une arète crânienne. Elle fait a peu près la taille de ma main. Elle a quatre pattes, deux à l'avant et deux à l'arrière. Sa tête est plate. On dirait un croisement entre une araignée et une tortue. Elle semble bien accrochée. C'est terrifiant, mais au moins, ce n'est pas douloureux. Elle est peut-être en train de se nourrir de mon cerveau. Je préfère en rire. Elle ne bouge pas, comme si elle dormait ou qu'elle était morte. C'est terrifiant, mais je ne peux pas m'empêcher d'éprouver une certaine joie. Après tout, c'est ce que j'espérais. Pas sous cette forme, certes, mais c'est bel et bien un contact avec une espèce venue d'une autre planète. Je dois dire que j'ai vite abandonné l'histoire du volcan.

Tout à l'heure j'ai bien regardé son corps dans la glace. Si elle tient si bien sur mon crâne c'est parce qu'elle a de chaque côté une dizaine de petites pinces. J'ai bien l'impression qu'elles sont toutes plantées dans ma tête. C'est un peu rouge autour, comme si ça avait saigné. Rien que d'y penser, j'en frissonne. Un peu vicieux quand même. Et puis j'ai commencé à imaginer une perspective moins drôle. Si au lieu de me manger la cervelle elle était plutôt en train de pondre ses oeufs dedans. Peut-être que la pierre n'était pas un simple oeuf, mais une sorte de cocon spécifique à la femelle afin de la préparer à la période de ponte. Oui, c'est assez délirant, mais quand on sait que cette chose vient d'une autre planète, comment vraiment savoir où commence la réalité et où elle s'arrête ?

J'ai passé une nuit affreuse. J'ai rêvé que des larves me sortaient par tous les orifices de la tête : les oreilles, les narines, la bouche ! J'ai failli vomir en me réveillant. Après ça, j'étais résolu à m'en débarrasser. Tant pis pour la rencontre du 3ème type ! Ca me dérange pas de mourir, du moment que je conserve un minimum de dignité. De servir d'incubateur vivant, je dois avouer que ce n'est pas ce que j'apelle une mort digne, même pour une larve comme moi !

Je n'ai pas pu. J'avais la chaussure dans ma main. J'étais sur le point de l'écraser et quelque chose m'a retenu. Je ne pourrais pas dire quoi exactement. Peut-être la certitude de me tromper sur ses intentions. C'est vrai que je n'ai aucune preuve de quoi que ce soit. En fait, pas exactement. Car depuis qu'elle a fait son nid sur mon crâne, je me suis rendu compte que j'allais mieux. Je ressens moins la fatigue. Je suis fatigué par le manque de sommeil, mais la fatigue dûe à la maladie, que je sais clairement dissocier, elle, a diminué de manière assez significative. Suffisamment en fait, pour que je sois tenté d'associer cette amélioration à la présence de Vénus. Oui, je l'ai baptisée ainsi. Pour plusieurs raisons. Primo, parce qu'elle vient de l'espace. Secundo, parce qu'elle guide mes pensées et mes actes depuis quelques jours comme l'étoile oriente le marin en perdition. J'aime beaucoup cette métaphore en passant. Et pour finir, l'appeler Vénus alors qu'elle est si laide c'est un peu ironique, ça m'amuse beaucoup. Remarquez, il n'y a rien de plus subjectif que l'apparence. D'où elle vient, c'est peut-être Miss Monde, une vraie reine de beauté ! J'espère qu'elle ne lit pas dans mes pensées, parce que sinon elle va avoir de quoi me détester !

Je suis catégorique : la présence de Vénus sur ma tête est en train de me métamorphoser. Pas physiquement, mais mentalement, comme si elle agissait directement sur mon cerveau. Ce qu'elle fait sans aucun doute. J'ai l'intime conviction que d'une ceraine manière, nous vivons une parfaite relation symbiotique, chacun permettant à l'autre de subvenir à ses besoins avec un naturel exemplaire. Elle se nourrit de mon activité cerébrale et mon cerveau se nourrit de cette interaction. Et comme son interaction intensifie mon activité cérébrale, elle me nourrit davantage. C'est exponentiel, c'est sans limite. c'est parfait. Voilà précisément le genre de rapport que j'ai toujours rêvé d'avoir avec mes semblables, sans jamais pouvoir l'obtenir. Que je l'obtienne enfin grâce à une autre espèce ne change rien. Enfin si. C'est nettement plus valorisant à mes yeux. Je vais vraiment pouvoir mourir heureux comme
on dit. J'en suis presque à regretter ma disparition prochaine et à ne pas pouvoir partager ma situation privilégiée. Tout le monde m'envierait cette symbiose. Elle représente un véritable aboutissement à plus d'un titre.
Enfin, non, ce ne serait certainement pas la chose à faire. On préférerait sans doute m'examiner, me disséquer pour savoir comment ça se passe à l'intérieur.
Au mieux, on m'exhiberait dans des émissions télé débiles et des tas de gens se feraient de l'argent sur mon dos. Ce n'est pas de la paranoïa. J'ai simplement eu le temps de connaître le monde dans lequel je vis. Argent, pouvoir, sexe et violence. Les quatre mamelles de l'Humanité. Moi je n'en ai plus qu'une seule désormais : la paix.

Je me suis remis à lire. Je ne fais que ça depuis plusieurs jours. Une véritable boulimie. Je prends un plaisir fou, quel que soit la nature du livre : roman, biographie, essai, magazine et même bande-dessinée, tout y passe. Je crois que Vénus adore la littérature et que cette soif dévorante qui m'anime est un écho de sa passion à elle. On est sur la même longueur d'onde. Ce que fait l'un enrichit l'autre, le bonifie. Nous ne faisons qu'un, à tous points de vue.
C'est jouissif, orgasmique. Non, le mot n'est pas trop fort. Au contraire, je crois qu'il ne pourrait être mieux employé. Cela dépasse tous mes rêves, mes fantasmes les plus fous. Je me sens vivant et libre comme jamais. Je me sens plus qu'humain. Je ne sais pas ce que Vénus éprouve, mais j'imagine qu'à son niveau aussi elle ressent un formidable sentiment de plénitude. Et de savoir que c'est réciproque est encore plus exaltant. Je touche l'expérience divine ultime. Moi qui n'ai jamais été très spirituel, je peux dire qu'en quelques jours j'ai rattrapé mon retard. Et puis question d'esprit, Vénus aussi est servie : elle se goinfre le mien ! J'arrive même à être drôle. Que cela ne s'arrête pas, que cela ne s'arrête jamais. Que c'est beau, que c'est bon !

Oui, c'était sans doute trop beau pour durer. Je l'ai senti tôt ce matin, la rupture, la séparation. Je ne sais quel terme employer. Je n'en trouve pas d'assez fort. Vénus a disparu de ma tête, purement et simplement. Impossible de la retrouver. J'ai retourné toute la maison, sans succès. J'en suis malade.
Je m'étais trop habitué à elle, à ce qu'elle me procurait. Oui, comme une drogue. Mais contrairement à une drogue, tous les aspects de cette dépendance se révélaient positifs, pour le drogué comme pour le dealer. Et nous endossions chacun les deux rôles.
Je n'arrive pas à trouver d'explication. On avait tous les deux trop à y perdre pour que cela s'arrête ainsi, du jour au lendemain. C'est cruel. Je n'arrive pas à l'accepter. J'essaie de me persuader que sa mission accomplie, elle est peut-être repartie chez elle par un autre moyen. Peut-être Vénus était-elle une sorte d'agent humanitaire de l'espace et qu'elle a trouvé en moi un nécessiteux à la hauteur de son investissement. Mais dans ce cas, pourquoi serait-elle partie sans s'assurer de mon bien-être futur ? Car me laisser ainsi, de nouveau seul et sans joie, c'est un châtiment plus qu'un secours. Je ne comprends vraiment pas ce qui a pu se passer. C'était pourtant parfait. Ca aurait dû continuer. Je suis abattu. Ce constat me fait plus mal que toutes les maladies possibles. Oui, maintenant je me sens à nouveau malade, plus que jamais. Et de savoir que je vais partir ainsi est terrifiant. Comme si rien ne s'était passé, comme si j'avais tout imaginé. C'est terrfiant.

 

Je ne sais comment poursuivre le récit de mon frère. Je vais alors tâcher d'être simple et direct. Mon frère, paix à son âme, a trouvé la mort chez lui il y a trois jours. J'ai trouvé ce journal près de lui, ce qui a permis d'expliquer en grande partie certaines choses qui, sinon, seraient restées des mystères.
Mon frère avait bel et bien un cancer. La réalité s'arrête ici. Tout le reste de son récit n'est que le fruit de son imagination, fertile, j'en conviens.
Mais mon frère a toujours cultivé un esprit inventif, il était connu pour cela. La proximité de la mort a sans doute décuplé ce penchant naturel.
Dans un accès de colère, il a vraisemblablement détruit sa télévision et détérioré son plafond juste au-dessus. Son imagination a fait le reste. Je crois qu'il avait besoin de vivre quelque chose de très fort avant de quitter ce monde en lequel il ne croyait plus depuis longtemps. Son attirance vers tout ce qui a trait au cosmos a conditionné la nature de son illusion. C'est aussi bien comme ça. Il est mort comme il l'a voulu. J'ose espérer que son esprit est apaisé à présent. Nous n'avons jamais été très proches, mais pour autant je souhaite qu'il trouve le repos. Il le mérite.

Je travaille moi-même à l'aérospatiale, notre seul intérêt commun avec mon frère, même si nous ne l'avons guère partagé de son vivant.
Je confie donc en toute logique ses cendres et son journal à l'espace. C'est le moins que je puisse faire pour honorer sa mémoire. Peut-être trouveront-ils parmi les étoiles un esprit suffisamment adapté pour tirer d'eux la substantifique moelle. Si Vénus a existé, comme en était convaincu mon frère, alors elle sera sans doute ravie de tomber sur ces pages. Mon frère aurait aimé cette perspective, en tout cas, et c'est pour cela uniquement que j'entreprends une telle démarche.

Je n'ai pas trouvé la fameuse météorite dont il parle, bien entendu, pas plus que la cachette secrète qu'il mentionne. Mais rien de surprenant à cela puisque ni l'une ni l'aute n'existent. Désolé de décevoir le lecteur, mais même si cette pierre avait existé, elle n'aurait sans doute rien eu d'extraordianire. Au mieux, j'aurais trouvé une substance un peu colllante à l'intérieur que je n'aurais même pas pris la peine d'analyser.
Pour quoi faire ? Me rendre compte que mon frère avait fait lui même un mélange de son invention afin de concrétiser son fantasme ? Je l'aurais jetée, tout simplement.

Ce que j'ai réellement fait en revanche c'est vendre ses biens aux bénéfices d'une association humanitaire. C'est ce qu'il aurait souhaité, paradoxalement. Mon frère n'était pas égoïste. Il était simplement malade, malade d'être humain. Après tout, tout le monde n'est peut-être pas fait pour l'être. Ce n'est sûrement pas la morale que vous attendiez, auquel cas j'en suis navré. Mais en l'absence de mon frère, ce journal n'en connaîtra malheureusement pas de meilleure.




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