lundi, 20 juin 2016
Le Mot de la Fin [Nouvelles/Fantastique]
L’homme était enchaîné, pieds et poing liés. Sa condition de prisonnier à elle seule reflétait une nature rebelle et menaçante au-delà de ce qu’il est possible d’imaginer.
Les gardes n’avaient pas pris la peine de le bâillonner pour la bonne raison qu’il était inconscient. Et ce, pour un moment. Ils avaient fait ce qu’il fallait pour ça.
Ils le jetèrent violemment dans la cellule et poussèrent la grille qui se ferma dans un cliquetis sonore.
Quand les sentinelles furent suffisamment loin, le prisonnier se redressa, faisant mentir leur réputation. Ses yeux clairs à l’éclat surnaturel jaillir de l’ombre de son visage comme des joyaux. Il était seul dans la pièce et pourtant il déclara solennellement :
« T’es mon dernier espoir alors je te demande de prendre très au sérieux ce que je vais te dire.»
L’Autorité finissait de rédiger une note quand le chef de la garde fut introduit dans son bureau.
- Il est neutralisé ? demanda-t-elle avec un empressement qui trahit sa nervosité.
- Oui, il ne posera plus de problèmes.
- Bien. C’est qu’il commençait sérieusement à mettre la pagaille, celui-là.
- Je vous ai toujours obéi sans poser la moindre question, mais je dois avouer que je n’ai jamais compris en quoi ce qu’il faisait était un crime.
- Je ne vous en veux pas. Je ne vous paye pas pour penser. Mais maintenant que les choses sont réglées et bien réglées, il me semble intéressant de vous donner quelque explication sur la nature des évènements que vous avez contribué à rendre aussi…sereine.
« Je ne suis pas ce que tu crois et toi-même tu n’es pas ce que tu penses être. Tu as beaucoup plus d’importance que tu ne l’imagines. Tu n’es pas simplement un lecteur de cette histoire. Tu n’en es pas que le témoin. Tu peux influencer son cours et surtout sa finalité. Ecoute-moi attentivement. Car je vais t’expliquer comment. De ton choix va dépendre le sort de beaucoup de personnes. De tout un monde, sans vouloir te mettre la pression. »
- La première fois que j’ai entendu parler de lui, il criait sur les toits que le monde vivait dans l’ignorance. Que le monde était différent de ce qu’il semblait être.
- Oui, je me souviens. Il disait qu’il était plat.
- C’est cela.
L’Autorité exhiba sa note avec un geste sophistiqué.
- Aussi plat que cette feuille.
- A compter même que cela soit vrai, comment pourrait-il le savoir ?
- C’est ce que je lui ai demandé lors de notre entretien. Et vous savez ce qu’il m’a répondu ?
« Je suis un voyageur. Je voyage d’histoire en histoire. Je ne sais pas pourquoi j’en suis capable et il y a bien longtemps que j’ai cessé de me poser la question. J’accomplis mon destin, je réponds à un besoin et la nature de ce besoin suffit à m’encourager à poursuivre mon but, quel qu’en soit le prix. Mais je ne peux y arriver seul. Toi et moi faisons partie de cette histoire, là, à ce moment précis où tu lis ces mots. Chacun d’un côté de la page. Et chacun à notre façon. Mon rôle est de t’informer que tout ce que tu lis prend vie et que tout ce que tu ne lis pas, même si c’est écrit, n’existe pas. Tu peux faire de cette histoire dramatique, une belle histoire, une histoire qui se termine bien. Il ne tient qu’à toi de t’arrêter de lire au bon moment. Et le bon moment moi seul le connais. C’est pour ça que j’ai besoin de toute ton attention, de toute ta confiance. »
- Il voulait peut-être simplement devenir célèbre, déclara le chef de la garde pour qui une telle ambition n’avait par ailleurs pas grand intérêt.
- C’est ce que j’ai pensé au début. Braver l’Autorité, ça a toujours son charme aux yeux de la populace. Mais quelque chose me troublait chez cet homme. Rien de visible, de palpable. Une impression tenace, suffisante pour me faire croire qu’il disait la vérité. J’ai alors convoqué le Chaman.
- Le Chaman ?
- Oui, c’est ce que je viens de dire.
- Il a lu en lui ?
- Il a vu des choses, effectivement. Et rien de rassurant. Car l’homme que vous avez enfermé dans la Salle au Trésor est la plus grande menace que nous ayons jamais connue. Le Chaman n’a pas su me révéler son identité. Tout ce qu’il sait à son sujet c’est qu’il peut communiquer avec une entité extérieure à notre dimension. Une entité très puissante, invisible, avec le soutien de laquelle il lui est permis de changer la nature même de ce monde. C’est pour cette raison qu’il ne doit en aucun cas rester seul dans l’obscurité. Car la solitude et l’obscurité lui confèrent le pouvoir de communiquer avec l’entité.
- Hum…Très intéressant. Et c’est quoi cette entité ?
- Il a employé le mot…
« Observateur, tu l’as toujours été, mais il temps pour toi de devenir Acteur. Dès que je te le dirais tu ôteras tes yeux de cette page, tu cesseras de lire. »
- Très intéressant. Mais il y a juste un détail que je tiens à rectifier, Monsieur.
- Ah, oui et lequel ?
- Le prisonnier n’a pas été enfermé dans la Salle au Trésor.
L’Autorité sembla grandir sous l’effet de la colère :
- Mais pourquoi donc ? Je vous l’avais ordonné !
- Sauf votre respect, il n’y avait plus de place. J’en profite pour vous féliciter sur l’état de vos finances.
- Mais où l’avez-vous mis alors ? rugit l’Autorité.
- Là où il y avait de la place. En isolement.
- Il est donc seul ?
- Absolument.
- Vous l’avez bâillonné au moins ?
Le prisonnier se tenait pieds nus sur un amoncellement de chaînes comme autant de serpents désarticulés désormais inoffensifs. La manière dont il s'en était défait resterait un mystère. Il crocheta la serrure avec une esquille d’os de son propre bras. Ses innombrables voyages lui avaient appris à ignorer la douleur, sous bien des formes. Deux gardes étaient postés tout près de là.
« Tu peux fermer les yeux et reprendre quelques lignes plus bas. Ca va pas être beau à lire. »
Le premier garde sentit une main lui traverser la poitrine dans un jaillissement de viscères. La main s’empara de la lame du second et lui ouvrit la gorge. Le garde porta ses mains à la blessure béante et la lame en profita pour lui agrandir l’entrejambe.
« Je t’avais prévenu. J’ai rien d’un saint. »
- N’ayez crainte. Il n’est pas là-bas depuis très longtemps. Je vais immédiatement le transférer en lieu sûr.
- Crétin ! Une seule minute lui aura suffi à commettre l'irréparable. Il est sûrement déjà trop tard !
- Je confirme !
Le prisonnier bondit dans la pièce depuis une trappe.
- Ce souterrain aurait dû être condamné depuis longtemps, Votre Autorité Suprême ! Comment je le sais ? L’avantage d’avoir lu cette histoire avant d’y avoir mis les pieds. C’est un autre de mes pouvoirs. Je ne vous l’avais pas dit ?
L’Autorité eut un mouvement de recul, terrifié de se sentir si vulnérable. Cela ne lui était jamais arrivé.
Le chef des gardes dressa son épée.
Le prisonnier se rua sur elle. Il n’eut qu’à tordre le poignet de son propriétaire pour la récupérer et lui arracher la tête des épaules dans un geyser de sang. Se retournant il avisa son ultime adversaire.
- Votre Autorité, laissez-moi vous décharger vous aussi d’un lourd fardeau.
L’épée effectua une courbe mortelle et l’Autorité à son tour fut décapitée sans autre forme de procès. D’un coup de pied, le prisonnier ouvrit une fenêtre et balança les deux têtes au milieu de la foule qui s’était assemblée dans les rues pour empêcher son exécution.
- Maintenant vous êtes libres !
Alors que la nouvelle se répandait comme une traînée de poudre, le prisonnier regagna le souterrain secret.
« Merci de ta confiance et de ton soutien. Mais il est temps pour nous de nous séparer. J’ai d’autres histoires à libérer et toi d’autres récits à lire. Alors bonne lecture et peut-être à une prochaine. Tu dois arrêter de lire. Maintenant ! »
L’Autorité n’était pas aussi vulnérable. Elle avait prévu un système de sécurité. Le prisonnier n’avait pas fait dix mètres dans le souterrain que des flammes le dévoraient et le réduisaient en cendres en quelques instants.
L’Autorité entra dans son bureau, accompagné du Chaman.
- Tu es décidément un allié de valeur. Cette idée de me faire remplacer par un sosie crée par tes soins et mieux encore cette idée de lui faire croire à son succès…Ma-gni-fique !
Le Chaman demeura imperturbable.
- Mais le peuple se soulève.
- Alors que le peuple souffre !
- Très bien Votre Autorité. Il sera fait selon vos désirs.
Et de ce côté-là, l’Autorité savait qu’elle ne serait pas déçue.
FIN
Cette nouvelle a été écrite dans le cadre d'un concours sur un forum sur le thème "L'Observateur". Concours que je suis très heureux d'avoir gagné.
Ce blog c'est pas juste un passe-temps
j'y bosse dur tous les jours
Je ne te demande pas d'argent
mais juste en retour
un petit commentaire
Ce sera mon salaire
C'est plus précieux que ça en a l'air
12:46 | Lien permanent | Commentaires (3)
Commentaires
je suis transporter par ce récit ! j'ai même cru un instant que je pouvais changer l'histoire...le fait d'être acteur tout aussi bien que lecteur donne une dimension d'investissement cérébral et émotionnel surnaturel ! merci greg
Écrit par : lemoine | dimanche, 25 août 2013
Félicitation pour avoir gagné le concours ! J'ai lu quelques extrait et effet tu écris bien, et nul doute que ton imagination fasse le reste. Juste un petite truc qui m'a chiffonné dans cet extrait (que j'ai seulement survolé et donc peut être que ma remarque n'a pas de sens), je trouve curieux qu'un personnage puisse, sans hésiter, cité le discours d'un autre. Voilà, c'était pour la remarque barbante... ;) Bonne continuité !
Écrit par : Shiva | mardi, 27 août 2013
en fait c'est un effet de style que j'ai voulu faire l'Autorité révèle qu'elle a eu un entretien avec le rebelle et donc l'explication - tout du moins le début - relie les deux personnages et sert de transition
Écrit par : Greg Armatory | mardi, 27 août 2013
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