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lundi, 04 février 2013

Queen Save The God [Nouvelles/Humouroïd]

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Bonjour, je m’appelle Sébastien et je vous présente mon père, Freddy Mercury. Nous viv… Quoi ? Je sais bien que c’est le célèbre chanteur du groupe Queen, vous ne m’apprenez rien. Mais il se trouve que c’est aussi mon père. Le fait est que je ne m’en suis pas aperçu tout de suite. Ca a mis un peu de temps.

Au début j’étais comme vous. J’avais un père tout à fait ordinaire. J’avais juste remarqué qu’il ressemblait beaucoup à Freddy Mercury. Même moustache, même énergie, mêmes dents en avant. Mon père m’a expliqué que cette particularité était due au fait qu’il avait longtemps sucé son pouce, bien après l’âge limite. Attention, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Je n’ai jamais dit que Freddy Mercury avait longtemps sucé son pouce après l’âge limite.
Tout comme Freddy, mon père passait beaucoup de temps torse nu, peut-être parce qu’il était fier de sa pilosité, je n’ai jamais vraiment su. Ce qui est certain, en revanche, c’est que comparé à Freddy, mon père avait le nombril un peu plus loin des hanches, si vous voyez ce que je veux dire.
Bref la ressemblance n’était peut-être pas très frappante pour le reste du monde, à commencer par ma mère, mais pour moi c’était une évidence qui devenait de plus en plus…évidente !

Dans ma grande naïveté, ignorant encore la véritable identité de mon géniteur, je m’étais contenté jusqu’alors de piètres explications concernant les évènements majeurs de notre vie familiale.
Le divorce, par exemple.
Pendant un certain temps, j’ai accepté l’idée que mes parents s’étaient séparés parce que mon père était devenu très égoïste. En période de vache maigre, dévorer le seul steack de la maison en entier et devant son fils, vous appelez ça, comment ?

Et puis il y avait pas que ça.

Il s’était fait progressivement une belle petite cagnotte qu’il plaçait dans une boite d’une grande sobriété, elle-même rangée dans un placard et dont on ne voyait, évidemment, jamais la couleur. La couleur de l’argent, pas celle de la boite. La boite, elle, elle était bleue et ronde, je m’en souviens très bien. Il la sortait et la remettait en place sans le moindre effort pour se cacher, comme pour dire : « Vous voyez, moi, j’ai réussi. Moi je ne galère pas. Moi, la crise ? Connais pas !» Ce qui constituera par la suite son leitmotiv préféré pour nous rabaisser, ma mère et moi.

Mais tout cela a changé le jour où j’ai compris qui était vraiment mon père. Et c’est alors que j’ai compris que la véritable raison du divorce était en fait que ma mère ne supportait plus que mon père chante sans arrêt même pendant les heures de repas et à l’occasion aussi pour stimuler sa sexualité. Je m'en souviens comme si c'était hier. La vie de couple l'avait semble-t-il usé, blasé. Il rêvait très certainement depuis longtemps de changement, de liberté, car à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit, il nous servait invariablement le même refrain :


Vous imaginez le choc ? Je devais avoir douze ans à l’époque et réaliser que j’avais vécu tout ce temps sous le même toit qu’une super star mondiale de la musique sans jamais m’en apercevoir a de quoi vous chambouler quelque peu le cerveau, vous en conviendrez. Mais le pire, c’est que j’ai compris tout cela seulement après mon choix. Oui, divorce oblige et ayant l’âge requis pour choisir avec qui vivre, j’ai choisi ma mère, ignorant bien sûr ma monumentale erreur.

Cela dit, les premiers temps, je n’ai pas été malheureux avec elle. Bien au contraire. On a déménagé dans une petite ville très agréable et loué une belle maison avec un grand jardin. Ma mère avait l’air vraiment heureuse et libérée. Ca me faisait plaisir de la voir ainsi. Mais au bout d’un moment, quand j’ai deviné que mon père n’était autre que Freddy Mercury, j’ai arrêté de la regarder et j’ai commencé à être vraiment triste. Le bonheur des uns…

Je me suis alors beaucoup réjoui lorsque le premier week-end de visite de mon père est arrivé. Ce qui n’a pas manqué de consterner ma mère.
- Tu n’es pas rancunier, toi ! Après tout ce qu’il nous a fait subir, même à toi ! Il en a de la chance, d’avoir un fils comme toi !
Ce que ma mère semblait ignorer, c’est que j’avais moi-même beaucoup de chance d’avoir un père tel que lui.
Lorsqu’il vint à la maison, ce fameux week-end, l’atmosphère fut pour le moins tendue, mais rien d’étonnant à cela. Peu de mots furent échangés. Moi, je cachai difficilement mon enthousiasme. J’avais tellement de temps à rattraper.
Je claquais un bisou sur la joue de ma mère et m’engouffrai dans la rutilante Plymouth Fury 1958 rouge sang de mon père.
- Putain, mais c'est Christine, la vedette du film de John Carpenter ! Où tu l'as dégotée ?
Mon père fit un geste aérien de la main :
- Oh, juste un petit gage de mon voyage au bout de l'Enfer !
Je pensais évidemment qu'il utilisait une métaphore pour évoquer les douleurs de son ancienne vie conjugale. Mais j'apprendrai - et vous aussi - que c'était loin d'être une simple image.
Pour ce qui est de la voiture, je comprends tout à fait votre étonnement. Mais il faut que vous sachiez que Freddy était quelqu’un de très discret en dehors de ses représentations publiques. Une fois qu’il redevenait mon père, il redevenait du même coup un homme simple, humble, presque anonyme. Un type comme les autres, quoi !

- Ca te dirait qu’on aille faire de la plongée sous-marine au milieu des requins et des méduses ?
Bon, il avait toujours ses petites manies de milliardaire, hein, on se refait pas ! Et puis, moi, personnellement, ce genre de caprice, quand on se trouve être son fils, bizarrement, ça dérange pas plus que ça. Allez savoir pourquoi.

En cours de route, on a pourtant changé nos projets. Je soupçonne mon père d’avoir sorti cette histoire de plongée pour noyer le poisson devant ma mère. Moi j’aurais bien été incapable de la mener en bateau, mais mon père avait fait ça toute sa vie, c’était une seconde nature pour lui.
- Qu’est-ce que tu sais des démons ? me lança-t-il très sérieusement tout en filant vers une destination connue de lui seul.
Question paranormal, j’étais plutôt incollable à cette époque. Alors je me suis fait un plaisir de sortir ma science, histoire de lui en boucher un coin :
- Juste qu’ils sont les incarnations de nos péchés les plus inavouables et qu’ils viennent nous rendre visite dès que le mal fait son œuvre plus que de raison en ce bas monde qui est le nôtre.
Oui, j’étais aussi un peu poète. La fibre artistique, j’en avais un peu hérité, semblait-il.
Freddy siffla. Il était sur le cul. Oui, normal, il conduisait. Ce que je veux dire c’est que j’ai bien senti qu’il ne s’attendait pas à ce que j’en sache autant sur le sujet.
- Moi aussi j’aime bien Scooby-Doo, mais à part ça, qu’est-ce que tu sais vraiment sur eux ?
Ouais, j’avoue, sur ce coup-là, il a eu la dent dure avec moi. Mais je peux pas trop lui en vouloir. J’avais beau en savoir long sur les démons, j’avais jamais eu l’occasion de mettre tout ce savoir en pratique.
Comme s’il avait lu dans mes pensées, il a ajouté :
- Je crois que c’est le moment où jamais de te faire dépuceler.
J’avalai de travers.
- De quoi ?
C’est alors que j’ai réalisé qu’on roulait depuis un moment dans un paysage plutôt sombre et triste. Non, triste, n’est pas le mot. Inquiétant, plutôt. Non, pas encore ça. Super flippant serait plus juste. Une atmosphère tellement bizarre que le jour et la nuit semblaient eux-mêmes avoir perdu leurs repères.
- On va où, là ?
A peine avais-je formulé ma question, que la voiture arrivait à la hauteur d’une pancarte. Le temps se mit à ralentir comme pour me faciliter la lecture.
- C’est quoi la Tombée de l’Enfer ? Je connais pas cette ville.
J’entendis mon père sourire. Un son très inquiétant.
- C’est pas une ville, fiston, c’est une saison.
- Une saison ? Quelle saison ?
- Celle du Diable !
Il éclata de rire. Un son très très très inquiétant.
Des éclairs se mirent à zébrer le ciel d’un noir d’encre et les nuages se mirent à vomir des boules de feu à l’horizon. J’étais tellement paniqué que j’ai juste réussi à dire :
- T’as un parapluie, j’espère !
Au moment où j’ai dit ça, la pancarte s’est embrasée et Christine, qui avait pas pipé un mot depuis le départ, s'est mise à  faire la causette, comme à son habitude, via l'auto-radio :


Il existait bel et bien une ville et nous nous y arrêtâmes avec soulagement, la météo devenant franchement infernale. En fait de ville, c’était plutôt une modeste bourgade tout droit sortie de l’époque du Far-West, avec ces maisons typiques, très espacées et même le saloon en plein centre. Celui-ci était à l’enseigne de La Dernière Lampée, tout un programme.
- Viens, dit mon père en relevant le col de son imper en cuir noir, on va s’en jeter un.

On poussa les portes battantes et on entra dans le bar,  particulièrement bondé à cette heure. Faut dire que l’orage qui s’annonçait devait y être pour beaucoup.
Lorsque mon père s’avança, la pénombre de la salle sembla reculer d’un seul coup comme si elle savait à qui elle avait affaire. J’ai cherché les projecteurs et les techniciens sans jamais en trouver un seul. Plus tard, je comprendrai que ça faisait partie de la magie de Freddy. On s’installa à une table et mon père s’adressa à la propriétaire des lieux, une vieille matrone aussi bougonne que ridée et qui empestait le whisky à des kilomètres.
- Deux verres, Simone !
L’intéressée cracha sur le comptoir.
- Je sers pas les tafioles !
Mon père sourit.
- Elle plaisante.
J’avais du mal à m’en convaincre, mais nous fumes finalement servis et rapidement de surcroît.
- Qu’est-ce que c’est ? demandai-je en observant le contenu de mon verre sous tous les angles. La couleur était aussi incertaine que la nature du liquide.
- Du sang de succube. C’est pas très bon, mais ça protège des démons.
Sur ces mots, il vida son verre cul sec.
Je déglutis.
- Du sang de succube ? Tu me fais marcher, là ?
Mon père m’adressa un regard que je connaissais assez pour ne pas remettre plus longtemps ses dires en question. Il essaya de dédramatiser.
- C’est pas la mer à boire, fiston.
C’est alors que je m’aperçus que tout le monde dans le bar me fixait, comme si j’étais en train de passer un test décisif. Simone avait même cru bon, pour m’encourager, de me menacer avec un tromblon.
Je fermai les yeux et avalai la liqueur sans sourciller.
- J’en serai quitte pour une petite brûlure d’estomac.
Je n’avais pas plus tôt dit ça que des flammes me sortaient de la bouche. Mon père se baissa à temps et c’est le client derrière lui qui fit les frais de mon inexpérience en matière de breuvages ésotériques.
Dire que je ne me sentais pas à l’aise était un euphémisme. Je me retrouvai enfin seul avec mon père que je savais être l’un des plus grands chanteurs de la planète et j’avais la désagréable impression que cela ne sautait aux yeux de personne que je pouvais avoir besoin d’un minimum d’intimité pour partager un tas de choses avec lui.
Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, j’osai une requête :
- Dis, 'pa, tu voudrais pas me chanter quelque chose ? Je sais que c’est ton métier et que tu fais ça tous les jours, mais là on est tous les deux et ça me ferait vachement plaisir.
Mon père grimaça un peu avant de sourire et de hocher doucement la tête :
- Ok, fils.
Il me donna une pièce.
- Tiens, mets-la dans le juke-box.
Je comprenais pas trop sa réaction, mais je décidai de m’exécuter, pensant que cela faisait partie d’une mise en scène très étudiée. J’allais me rendre à la machine quand j’ai soudain été frappé par une vive inspiration. J’ai regardé mon père et je lui ai adressé un clin d’œil complice.
- Tous des tafioles ! gronda Simone avant de cracher dans un verre qu’elle essuyait.
Je pris une grande inspiration, conscient encore une fois que tous les regards étaient braqués sur moi. Je ne pouvais pas me louper. Ma réputation était en jeu et celle de mon père aussi, par la même occasion. Il était connu et respecté en ces lieux, cela ne faisait aucun doute. Il fallait donc que je gagne moi aussi mes galons de star.
J’ai relevé mon pouce et la pièce s’est envolée au ralenti. Chacun put l’observer à loisir tournoyer à travers la salle. Elle brilla de mille feux comme un diamant avant de retomber dans le crachoir placé à côté du juke-box.
Ma dignité se fit toute petite et moi avec. On m’épargna un concert de rires moqueurs, sans doute pour ne pas offenser mon père qui, l’air de rien, veillait au grain. Je haussai les épaules et allai bravement récupérer la pièce dans le crachoir, qui évidemment, n’était pas là pour rien, même si le sol tout autour démontrait que question précision, je n’étais pas le seul à avoir des progrès à faire.
Je glissai le jeton dans la fente...

...et au son des premières notes, j’oubliai instantanément mes déboires. Je me mis à glousser comme une poule.
- Génial ! On se croirait dans Higlander II !
Mon père me fixa et hurla :
- Ne perds pas la tête !
Je me mis à rire, mais lorsqu’il me cloua sur la table d’une poigne de fer, je compris qu’il ne plaisantait pas. J’entendis un sifflement au dessus de moi qui m’apprit que je venais sans doute d’éviter une navrante décapitation. Je me retournai pour découvrir un bien étrange duo : un clone de Jean Reno armé d’un fouet lumineux ainsi qu’un sosie de Takeshi Kaneshiro en armure de samouraï, le sabre en main.

- C’est qui le chinois ? m’enquis-je pour faire bonne figure alors que mon caleçon baignait dans mon urine.
- Il est pas chinois, il est japonais. Il s’appelle Samanosuke. Et on se sépare jamais. D’autres questions ?
Jean s’assit à notre table, imité comme son ombre par le…japonais, donc.
Mon père redevint hilare.
- Fiston, je te présente Jacques Blanc et Samanosuke, deux vieux potes qui me prêtent main forte dans la lutte que je mène depuis des années contre les démons qui menacent notre monde.
Encore une fois, je démontrai ma très grande capacité à accepter les coups du sort.
- Ca veut dire qu’on ira pas faire de la plongée ?
Mon père vida son verre qui s’était rempli comme par magie.
- Si, mais les requins à côté de ce qui nous attend c’est du pipi de poisson-chat !
A ces mots, il délogea quelques lattes du parquet - et quelques blattes grosses comme ma main par la même occasion - plongea lentement sa main dans la cavité, avant d'en ressortir subitement...


...une boite cylindrique bleue en plastique, étrangement familière. Il observa ma crispation sans mot dire lorsqu'il ôta le couvercle. Il posa plusieurs balles rutilantes d'un calibre inquiétant sur la table.
- C'était donc pas de l'argent que tu cachais à l'intérieur ! m'écriai-je, soulagé jusqu'aux larmes.
Il me sourit.
- Si. C'est bien de l'argent. Des balles en argent. Indispensables pour détruire certains démons.
Son sourire s'élargit et il m'ouvrit ses bras.
J'ignorai sa dernière phrase pour venir promptement l'enlacer, trop heureux de pouvoir enfin lui pardonner et surtout me pardonner d'avoir douté de lui pendant toutes ses années. A l'extérieur du bar, touchée par la scène, Christine ne put s'empêcher d'accompagner nos émois... à sa façon :

 

 

A suivre...

 

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