dimanche, 18 novembre 2012
Assassin's Creed - Le Dernier Vol de L'Aigle
L’Officier Donato Di Milano fit silence autour de lui d’un geste impérieux de la main. Ses douze hommes se turent et éclairée par quelques flambeaux, la cave prit soudain des allures d’église.
- Mes fidèles. L’heure est venue pour nous de rejoindre d’autres sympathisants, d’autres soldats, qui comme nous, ont cessé de croire à la politique de Cesare Borgia. Giuseppe…
L’intéressé – un grand sec au visage balafré – se fendit d’un sourire à l’écoute de son nom.
-… a appris de source sûre qu’un Capitaine Borgia du nom de Francesco Avvoltoio désirait rejoindre nos rangs. Son statut serait un atout majeur dans nos futures opérations. Nous devons le rencontrer cette nuit au Colisée. Il viendra avec plusieurs de ses hommes. Nous mériterons bientôt le nom d’esercito !
Cette annonce reçut un accueil des plus enthousiastes. Mais l’heure n’était pas encore à la célébration. Ils le savaient. La lutte ne faisait que commencer.
La lune était pleine et comme désireuse de suivre les évènements de près, éclairait la petite armée progressant vers l’imposant amphithéâtre.
Parvenue au centre même de l’arène, la troupe se figea.
Donato caressa sa barbe.
- C’est une belle nuit pour conspirer.
Une silhouette se dressa sur le sommet de l’attique.
- Officier Donato Di Milano ?
Le susnommé émit un rire jovial.
- Francesco Avvoltoio ?
Le visiteur attendu se fendit d’une élégante révérence.
- En personne et pour vous servir.
- Vous êtes venu seul ?
- Rassurez-vous. Mes hommes ne sont pas loin.
Donato observa les siens. Leur nervosité était manifeste. Il espérait que la sienne l’était moins.
- Venez nous rejoindre que l’on puisse converser convenablement. Nous avons beaucoup de choses à nous dire.
- Je ne suis pas venu pour converser.
Son ton glacial trancha net l’atmosphère.
- Archibugio ! hurla l’un des hommes de Donato.
Une dizaine d’arquebusiers apparurent comme par magie dans l’ouverture des arcades supérieures, les encerclant complètement.
Donato tira sa lame, le regard aussi noir que sa barbe :
- Qui a trahi ?
Ses yeux tombèrent sur Giuseppe.
- Bastardo ! Cela ne peut être que toi ! Tu nous as vendus aux Borgia ! Pour combien de Florins ?
- Pas du tout, reprit Francesco de son ton empathique. Il n’a fait qu’assurer sa promotion.
Il marchait nonchalamment sur le rempart. Sa silhouette se découpa sur le visage blafard de la lune.
- Car cette nuit, un Officier va mourir. Et un autre va naître.
Donato se rua sur Giuseppe, l’éclair de son épée levée au-dessus de sa tête.
Alors les arquebuses firent entendre leur chant funeste.
Des pigeons s’envolèrent non loin de là et leurs plumes vinrent s’échouer sur un tapis de sang.
1 mois plus tard
Le soldat fixa l’avis de recherche sur la porte en bois au moyen d’une flèche.
On pouvait y lire :
Ezio Auditore 50 000 f
L’inscription était surmontée du portrait d’un homme encapuchonné dont le visage demeurait caché dans l’ombre. Ses actes, eux, l’étaient beaucoup moins.
Depuis plusieurs années il malmenait les projets des Borgia et ce faisant, ridiculisait la garde de Rome. Le peuple le soutenait autant que possible et il avait rallié progressivement à sa cause toute une communauté d’ardents partisans mêlant courtisanes, voleurs et mercenaires. Récemment, sa lutte contre la tyrannie en place avait franchi un nouvel échelon. Désormais, il ne se contentait plus de simples complices. Il formait des assassins parmi les civils et les criminels qui à leur tour initiaient d’autres rebelles à l’art du meurtre furtif, soufflant sur les braises de la révolte.
Défait par Ezio Auditore en personne, Rodrigo Borgia avait cédé les rênes du pouvoir à son fils Cesare. Et ce dernier avait tôt fait de faire d’Ezio Auditore une priorité dans son programme pour le moins chargé.
Nul doute qu’en assiégeant Monterigioni, il n’avait fait qu’accélérer l’ascension des Assassins dans la capitale.
Rome faisait figure d’échiquier aux mains des deux hommes. Si Ezio avait déjà avancé de nombreux pions de manière menaçante, Cesare, loin d’être en reste, avait lui-même déployé des pièces maîtresses afin de contrer la stratégie de son adversaire.
Le secret et la surprise étaient pour eux des armes vitales. Et ils étaient tous deux prêts à tout pour s’assurer de l’un comme de l’autre.
Le garde qui affichait depuis une heure les avis de recherche était loin de se douter de tous les enjeux de la lutte à laquelle il participait tant bien que mal à son niveau.
Il grimpa à une échelle et fixa un nouveau document sur le mur. Du coin de l’œil, il surprit un mouvement suspect dans la rue. Se retournant, il vit que l’avis placardé sur la porte venait de disparaître. Ce n’était donc pas un accident tout à l’heure ! Quelqu’un s’amusait délibérément à les enlever dès qu’il avait le dos tourné.
La rage au ventre, il se laissa tomber au bas de l’échelle et tirant son épée, commença à inspecter les lieux en interrogeant les passants de son ton le plus autoritaire. Voyant qu’il n’obtenait aucun résultat, un jeune garçon s’avança avec hardiesse. Il avait l’air d’un mendiant. Sans doute un orphelin comme il y en avait tant dans les rues.
- Moi je l’ai vu celui qui a fait ça !
Le garde le jaugea avec méfiance avant de s’enquérir :
- Tiens donc ! Et où est-il passé ?
- Je vous le dis pour cinq florins.
Le garde grimaça.
- Dis-le moi et tu conserveras ta langue.
Le garçon opina, une main plaquée sur sa bouche. Il s’élança au milieu de la foule et le garde eut tout le mal du monde à ne pas le perdre de vue. Ils arrivèrent dans une ruelle. Au bout de celle-ci, les eaux bleues du Tibre miroitaient sous le soleil à son zénith.
Le garçon pointa un doigt en direction du fleuve.
- Il a plongé, exactement là !
Tout à sa tâche de repérer le criminel, le garde ne vit pas son jeune informateur passer dans son dos. Un bon coup de pied dans le postérieur suffit et le garde se retrouva dans l’eau à gesticuler comme un forcené.
- Bastardo !
Le garçon riait tant qu’il pouvait. Il brandit ostensiblement un avis de recherche avant de le ranger dans sa besace.
- Je le mets avec les autres, vous en faites pas !
Il rit de plus belle et tout en détaillant le contenu de la bourse de l’infortuné, il s’en retourna vers la rue bondée. Il n’avait pas encore quitté la ruelle qu’un officier le soulevait de terre et le collait violemment contre le mur.
- Alors, c’est toi le détrousseur qui sévit depuis des semaines. Je t’imaginais plus vieux.
- C’est parce que vous n’avez pas beaucoup d’imagination !
L’officier leva la main pour frapper, mais une voix jaillie de nulle part l’interrompit.
- Lâche immédiatement ce gamin !
Le garçon et l’officier tournèrent la tête et aperçurent un homme élégant avancer dans leur direction. Une capuche blanche masquait ses traits. Son identité ne faisait aucun doute. C’était l’homme le plus recherché de Rome, celui qui précisément habillait les avis de recherche.
- Ezio Auditore ! firent-ils en chœur.
- Pour vous servir.
L’officier déglutit, mais ne lâcha pas sa prise pour autant.
- Si tu fais un pas de plus, je…
La lame d’un couteau lui transperça l’épaule. Il se recula et le garçon tomba au sol.
L’officier agrippa la poignée de son épée, mais la main d’Ezio se referma sur le manche du couteau.
- J’ai quelques notions d’anatomie et il me semble que la carotide n’est pas loin. Ce ne serait pas beau à voir.
Le garçon bondit sur ses pieds.
- Vas-y, Ezio, fais-lui une bonne saignée !
Sa joie manifeste fit sourire l’assassin.
- Mais ce ne serait pas un spectacle pour un bambino.
Le garçon perdit soudainement sa gaieté.
- Je suis pas un bambino !
Ezio enfonça un peu plus le couteau dans l’épaule de l’officier qui étouffa un cri.
- La prochaine fois, il n’y aura ni témoin, ni avertissement, ni échappatoire !
Il récupéra sa lame et envoya l’officier disparaître dans la cohue d’un coup d’épaule.
Il s’intéressa alors au garçon.
- C’est donc toi qui t’amuses à noyer les gardes de Cesare.
- J’y peux rien s’ils se noient. Leur armure est tellement lourde qu’ils plongent droit vers le fond.
- Ce n’est pas vraiment un jeu pour un bambino.
- Je suis pas un bambino.
Il redressa fièrement la tête.
- Je suis un assassino ! Et je sais tout de toi !
Ezio s’esclaffa.
- Tiens donc !
Il s’empara de sa besace et l’ouvrit.
- Parce que tu collectionnes mes avis de recherche. Intéressant, mais insuffisant.
Le garçon le défia du regard.
- Je sais que tu as perdu ton père et tes deux frères et aussi ton oncle Mario à Monteriggioni. Je sais que tu formes des assassins à devenir comme toi. Moi aussi je veux devenir un aquila, un assassino !
Ezio ne put cacher sa surprise.
- Et bien ! C’est vrai que tu en sais des choses. Mais de là à devenir un aquila comme tu dis ! D’abord comment t’appelles-tu et où se trouvent tes parents ?
- Je m’appelle Raphaëlo Di Milano. Je suis tout seul. Ma mère est morte en me mettant au monde et mon père a été tué par les hommes de Cesare.
Son visage d’adolescent fut tout à coup déformé par un violent sentiment.
Ezio lui-même ne fut pas insensible.
- Di Milano ? Donato Di Milano était ton père, c’est ça ?
Raphaëlo opina avec tristesse.
Ezio s’adoucit et observa le garçon avec un tout autre regard.
- J’ai entendu parler de ton père et de ses projets. Bien trop tard, il est vrai. Il s’est montré très courageux. Je pense que nous aurions pu travailler ensemble s’il n’avait pas manqué de chance. En tous cas, je comprends mieux tes motivations. Tu as des raisons de te venger, il est vrai.
Ezio posa ses mains sur les frêles épaules de Raphaëlo. Ce dernier ravala ses larmes pour mieux s’exprimer :
- Mon père n’a pas manqué de chance, il a été trahi par l’un de ses hommes qui voulait prendre sa place. Je sais comment il s’appelle et je connais aussi le nom de celui qui a tué mon père !
Il avait le plus grand mal à contenir sa colère. Mais si quelqu’un pouvait se mettre à sa place, c’était bien Ezio. Il devait avoir le même âge que lui quand il avait assisté à la pendaison de son père et de ses frères. Ils avaient eu tous deux un père brave et juste qui avait payé de sa vie son combat contre l’oppression. Pour autant, il avait d’autres préoccupations.
- Ecoute, Raphaëlo. Ce que tu fais est déjà d’une grande aide pour moi et pour le peuple de Rome. Ton père serait fier de toi.
- Mais tu ne comprends pas ! J’ai toujours rêvé de te rencontrer. Je veux faire plus que cela. Je veux devenir un assassin ! C’est toi qui m’as inspiré !
Ezio sentait que s’il restait en présence du garçon, il allait céder. Et dans l’état actuel des choses, il ne pouvait se le permettre.
- Je suis désolé. Tu es trop jeune pour devenir un assassin. Et la vengeance n’est pas une motivation suffisante. Je ne nie pas que cela a été pour moi un point de départ, mais j’ai dépassé ce stade depuis longtemps. J’ai d’autres raisons, maintenant, des raisons plus importantes qui ne concernent pas que moi. Tu dois grandir encore un peu. Tu dois vivre et avoir plus d’expérience.
Les yeux de Raphaëlo brillèrent d’une douleur contenue et son visage s’empourpra.
Il voulut dire quelque chose pour sa défense, mais il s’étrangla. Sa déception était immense. Il préféra s’enfuir plutôt que de perdre toute sa dignité. Ezio poussa un soupir en le regardant partir. Il avait le sentiment d’avoir commis une erreur, d’avoir trahi, pas seulement quelqu’un qui avait confiance en lui, mais aussi une partie de lui-même.
Et c’était sans doute cela le plus dur.
Lorsqu’il pénétra dans son repaire de l’île du Tibre, Machiavelli l’attendait déjà.
- Tu es en retard, fit ce dernier d’un ton sentencieux.
Ezio préféra s’en amuser.
- Je savais bien que tu allais finir par te prendre pour mon père.
Bartolomeo était présent lui aussi. Il alla droit au but.
- Mes hommes ont mis la main sur un document pour le moins précieux. Regarde.
Les trois hommes se penchèrent au-dessus de la table.
- On dirait un plan de Rome.
- C’est ce que nous avons cru aussi, révéla l’ancien condottiere.
Ezio prit la carte et la plaça devant la flamme d’une bougie.
- Il y a un tracé précis, comme un itinéraire. Mais à quoi peut-il correspondre ?
- Nous n’en sommes pas encore sûrs, dit Machiavelli, mais en discutant avec certains officiers j’ai appris qu’un convoi spécial allait traverser la ville dans quelques jours. Ils ignoraient sa nature exacte. Très peu de personnes doivent être au courant des détails de cette opération clandestine.
- Un chargement secret, murmura Ezio. Ca peut être de l’argent, des armes…
- Ou peut-être veut-on nous le faire croire, observa Machiavelli.
Bartolomeo secoua la tête.
- Les mercenaires ont dit que le document était en possession d’un courrier de Borgia ivre. Ils n’ont même pas eu à se battre pour l’obtenir. Plutôt curieux, non ?
- Ambigu, fit Ezio. Soit on nous incite à croire que ce convoi a peu d’importance, soit on essaie de nous tendre un piège. Dans les deux cas, il y a supercherie, ce qui est tout à fait digne de l’esprit tordu de ce cher Cesare.
- Que fait-on ? interrogea Bartolomeo.
- Dis à tes hommes de ramener le courrier. Nous allons l’interroger. Ce n’est qu’un pion, mais il en sait peut-être plus qu’il ne le croit lui-même. Surtout s’il est ivre. Continuez d’examiner cette carte, elle a peut-être d’autres informations d’importance à révéler.
Machiavelli toisa l’assassin :
- Et toi, que vas-tu faire ?
- Je vais trouver La Volpe. Il sait peut-être quelque chose à ce sujet. Il a une fâcheuse tendance à laisser traîner ses mains et ses oreilles là où c’est nécessaire.
En quittant le repaire, Ezio eut la surprise de tomber nez à nez avec Raphaëlo.
- Mais…que fais-tu ici ?
- Je t’ai suivi.
Le garçon avait visiblement retrouvé toute sa gouaille. Il avait sans doute préparé son argumentaire.
- Si tu m’as suivi, alors tu es doué. Je n’ai rien remarqué.
- Tu vois, je ferai un excellent assassino !
Ezio sourit, ému par la ténacité de l’adolescent.
- Têtu comme tu es, tu as tout pour être une mula, pas un aquila !
- Je serai une mule volante, pourquoi pas ? Ca peut servir aussi !
La volonté dont faisait preuve le garçon était désarmante, mais Ezio n’avait pas le temps de se prêter au jeu. Cesare préparait quelque chose et il devait agir au plus vite.
- Tu n’as pas quelques affiches à décrocher ?
Raphaëlo haussa les épaules.
- J’ai brûlé ma besace. Ce n’est plus à moi de faire ça. J’ai de plus grandes ambitions.
- Oui, fit Ezio avec un sourire. Je suis au courant, je crois. Assassino !
Le mot suffisait à faire étinceler les yeux du garçon comme des diamants.
Ezio ignora cette image. Elle lui faisait peur.
- J’ai du travail. Les gens qui ont besoin d’aide, ce n’est pas ça qui manque à Rome. Tu devrais te rendre utile auprès d’eux.
Ezio allait prendre congé, mais le garçon le retint par un bras.
- S’il te plaît, Ezio ! Laisse-moi ma chance ! Je suis sûr que je ferai un excellent assassin ! Laisse-moi faire mes preuves !
Voilà qu’il le suppliait, maintenant.
Raphaëlo était sans nul doute un gamin intelligent. Il finirait par comprendre de lui-même qu’il n’était pas de taille.
Ezio soupira.
- Très bien ! Rendez-vous sur le toit de l’Eglise de Santi Apostoli dans deux heures. Nous verrons si tes jambes sont aussi souples que ta langue !
Le garçon ne put contenir sa joie. Il poussa un grand cri et partit comme une flèche vers le lieu du rendez-vous. Difficile de trouver un élève plus zélé, songea Ezio.
Ezio ne trouva pas La Volpe. Un groupe de voleurs lui apprit qu’il avait quitté Rome pour quelques jours afin d’étudier une alliance avec une guilde siégeant à Milan.
Malgré ce triste constat, Ezio se sentait d’humeur enjouée. L’enthousiasme du jeune Raphaëlo devait être contagieuse. L’assassin se mit en marche vers l’église, le cœur étonnamment léger. Son devoir pouvait attendre un peu. Il avait besoin de se divertir et ce gamin lui offrait une occasion inespérée de le faire. Et surtout, il avait l’occasion de se racheter auprès de lui, ce qui valait son pesant d’or.
Raphaëlo l’attendait sagement depuis des heures sur le toit de l’église. Il bondit sur ses pieds lorsque Ezio atterrit souplement près de lui.
- Tu ne t’es pas fait remarqué au moins !
- Je sais semer les gardes mieux que personne, fit le garçon avec arrogance.
- Très bien, alors voyons si tu sais semer un véritable aquila !
Sur ces mots, Ezio s’élança dans le vide. Il boula sur un toit, bondit à nouveau et se raccrocha à une corniche. Il remonta et jeta un coup d’œil derrière lui pour voir où en était son protégé. Il ne le vit pas. Il eut soudain la terrible pensée qu’il l’avait surestimé et que le jeu était allé trop loin. Il regarda en contrebas en espérant ne pas voir son jeune corps écrasé sur les pavés Un grand bruit le fit se retourner. Raphaëlo se tenait debout devant lui.
- Mais à quoi tu joues, idiota ? Tu cherches à m’impressionner ?
Le garçon afficha un visage guilleret et Ezio comprit qu’il avait vu juste.
Ils passèrent le restant de la journée à escalader les toits de Rome avec un plaisir égal. Malgré son expérience, Ezio n’en finissait pas d’admirer les prouesses de Raphaëlo. Il était bien plus doué que lui au même âge. Et cette évidence lui donnait un pincement au cœur. S’il lui disait la vérité, le garçon ne le lâcherait plus d’une semelle au risque de compromettre sa mission actuelle. Et s’il niait son potentiel, il gâcherait ses espoirs et ses rêves les plus fous.
La nuit tombait déjà lorsque Ezio réalisa qu’il devait retourner au repaire.
- Il faut que je te laisse. J’ai affaire.
- Des trucs d’assassin, c’est ça ?
Ezio opina.
- Alors je suis toujours une mula ou je suis un aquila ?
L’assassin sourit.
- Tu es bien une mule volante !
- Alors quand est-ce que tu m’apprends à me battre ?
Le visage d’Ezio se rembrunit.
- Il n’a jamais été question de cela, Raphaëlo !
- Mais comment veux-tu que je devienne un assassin si je ne sais pas me battre ?
Ezio n’avait pas envie de se lancer dans un nouveau débat avec l’adolescent. Il coupa court en plongeant dans le Tibre. Le garçon ne savait pas nager. Il regarda son mentor disparaître, ombre parmi les ombres, écoeuré de la tournure des évènements.
Ezio trouva Machiavelli faisant les cents pas dans la salle principale.
- Où est Bartolomeo ?
- Il n’a pas eu ma patience. Et il avait surtout autre chose à faire qu’à t’attendre. Alors que t’a dit La Volpe ?
- Rien. Il n’est pas à Rome.
- D’autres contacts ?
- Non, aucun.
Machiavelli arbora un air contrarié.
- Je peux savoir ce que tu as fait de ta journée ?
- Tu te prends vraiment pour mon père.
Ezio s’assit et commença à se restaurer.
Son ami l’observa avec attention.
- Si je te connaissais pas, je dirais que tu as été voir une jolie signora en détresse et que les seules confidences que tu as récoltées ont été celles qu’elle t’a faites sur l’oreiller.
Ezio s’esclaffa.
- Machiavelli, pour une fois, tu fais fausse route. Je me suis bien dépensé, je le reconnais, mais ce n’était pas en compagnie d’une jeune signora. J’étais avec un gamin.
- Mon dieu, serais-tu tombé si bas ?
- Mais non, idiota ! Il veut devenir un assassin. Seulement, il est trop jeune et il ne veut pas l’admettre. J’ai toutes les peines du monde à lui faire entendre raison.
Machiavelli sourit.
- Quel heureux hasard. Cela me rappelle assez notre propre relation. D’ailleurs je crois devoir te rappeler que nous avons une affaire à traiter et que le délai est des plus courts.
- Je sais. Le courrier a-t-il parlé ?
Machiavelli haussa les épaules.
- Tout ce qu’on sait c’est qu’il ne le fera plus. Son corps a été retrouvé dans le Tibre.
Ezio bondit de son siège.
- Quoi ? Il a été assassiné ?
- Si seulement. Non, à en croire les témoins, il s’est contenté de faire un faux pas. Il faut dire qu’il n’avait pas dessaoulé.
Ezio secoua la tête.
- Maledizione !
Puis il vida son verre de vin.
- Et la carte ?
- Rien de nouveau, j’en ai bien peur.
Machiavelli la tendit à l’assassin qui la détailla à nouveau.
- On est dans une impasse. Je me demande si Leonardo ne pourrait pas nous filer un coup de main. S’il y a un code inscrit sur cette carte, il le trouvera.
- Soit, mais sans vouloir être ton père, évite les enfantillages cette fois. Cesare Borgia mérite toute notre attention. Tu le sais mieux que quiconque.
Ezio sourit.
- Machiavelli, la voix de la raison !
L’intéressé minauda.
- A laquelle tu prends plaisir à rester sourd.
Ezio lui tendit un verre de vin.
- Trinque à notre futur succès au lieu de dire des sottises !
Ezio partit de bonne heure le lendemain en direction de l’atelier de son ami Leonardo. Il essayait de ne pas penser à Raphaëlo. En vain. Le gamin lui rappelait trop sa jeunesse. Pour un peu il se serait senti père lui aussi à donner des leçons d’éducation comme il l’avait fait la veille. Il secoua la tête pour chasser ses pensées. Mais elles eurent tôt fait de se matérialiser à quelques mètres de lui. Il ne pouvait visiblement pas leur échapper à Rome.
Raphaëlo se tenait près d’un médecin au masque d’oiseau vantant les mérites d’un nouveau remède contre les furoncles et autres problèmes de peau disgracieux.
Ezio se dit qu’il avait peut-être finalement trouvé d’autres ambitions et un nouveau mentor pour les atteindre. Mais il faisait fausse route. Le garçon fit mine ne pas avoir vu l’assassin. Raphaëlo n’était pas seulement un agile coureur, c’était aussi un bon comédien à en croire son attitude. Ezio feignit aussi de ne pas l’avoir vu et continua à marcher, sa fidèle capuche facilitant son anonymat. Quelque chose le frappa dans le dos. Il se retourna. Le gamin lui faisait face, les larmes aux yeux, le visage haineux :
- Puisque c’est comme ça, je deviendrai un assassin tout seul !
Ezio le regarda s’éclipser derrière l’échoppe d’un forgeron. Il décida que l’histoire était close et qu’il n’avait plus à s’en soucier.
Au prix d’un effort, il parvint à se concentrer sur sa mission.
Arrivé devant la porte de l’atelier, il frappa plusieurs coups de sorte à composer un code établi entre lui et l’artiste.
- Tu es Ezio Auditore ?
Un homme aux allures de prêtre sortit d’une encoignure.
L’assassin le toisa avec méfiance.
- C’est exact.
- Leonardo n’est pas là. Une affaire urgente à traiter.
Ezio soupira.
- Décidément, tout le monde me fuit !
- Il a laissé ce paquet pour toi.
Le prêtre lui tendit un colis et se mêla à la foule sans plus de cérémonie.
Ezio choisit un coin discret et défit l’emballage.
Il trouva deux lames ainsi qu’un mot de l’artiste :
Ezio,
Voici deux nouvelles lames d’assassin conçues spécialement pour toi. En tant que peintre et inventeur, je sais que sans de bons outils, un artiste n’est jamais que la moitié de lui-même. J’espère qu’avec ceux-là, tu deviendras le meilleur de toi. Si ce n’est pas déjà le cas.
Ton ami Leonardo.
Ezio détailla les lames. A leur éclat, il comprit que le métal avait été renforcé et les côtés de chaque lame étaient nantis de petites dents sur toute leur longueur. De quoi faire du petit bois avec les armes des Brutes !
Ezio sourit.
- Tu es un maestro, Leonardo !
Il rangea les lames dentelées dans sa ceinture et c’est alors qu’il remarqua qu’il lui manquait plusieurs couteaux de lancer. Il était pourtant certain d’avoir complété son inventaire avant de partir de l’île du Tibre. En se remémorant ses actions passées pour expliquer cette absence, il se rappela sa rapide altercation avec Raphaëlo et c’est là qu’il comprit. Rempli de rancœur, le garçon lui avait dérobé ses lames.
- Idiota !
Ezio se dit que ça n’était pas bien méchant, un caprice d’adolescent. Il espérait juste qu’il ne ferait pas de bêtises plus grosses que lui avec ses nouveaux jouets.
Tout en cheminant au milieu de la rue déjà bondée à cette heure, il examina de nouveau la carte. Il étudia attentivement le tracé et réalisa que par un heureux hasard, il le suivait précisément. Je n’ai qu’à vérifier si cet itinéraire présente de lui-même des particularités, se dit l’assassin. Avec un peu de chance, la clé du document est peut-être là, tout près.
Il regarda les échoppes et les maisons bordant chaque côté de la rue. Il ne trouva rien qui méritât qu’on s’y attarde. Tant pis, songea-t-il. Peut-être que Machiavelli aura du nouveau de son côté. Le cri d’un aigle dans le ciel lui fit lever les yeux.
- Aquila !
Il était en train de repenser au garçon lorsqu’un détail le frappa brusquement. Le rapace était perché sur le sommet d’une grue. Les yeux d’Ezio s’agrandirent tandis qu’il suivait le tracé de la carte et découvrait à intervalles réguliers d’autres grues se profiler sur les toits.
La vérité le frappa alors d’un seul coup.
Il y aurait bien un convoi, mais convoité par Cesare lui-même. Ces grues constituaient assurément des postes d’observation idéals pour une embuscade. Il en savait quelque chose.
Cesare prévoyait une attaque savamment coordonnée. Le convoi – quelque fut sa nature – devait représenter aux yeux des Borgia une mine d’or ou bien une menace à leur soif de contrôle absolu.
Quelqu’un voulait faire sortir quelque chose de Rome dans le plus grand secret, à la barbe des Borgia. Ezio allait tout faire pour que le plan prévu fonctionne. Mais il aurait donné cher pour savoir ce qui motivait une telle organisation. Nul doute qu’il le découvrirait bien assez tôt. Ragaillardi par cette découverte, il s’élança sur le mur le plus proche et bondit de toit en toit en direction de son repaire.
L’officier Giuseppe Falsario finissait de donner ses instructions à ses hommes dans le quartier sud-est de Centro. Ezio Auditore avait encore fait parler de lui et la surveillance était désormais renforcée dans le quartier du Tibre.
Giuseppe attendait la visite du Capitaine Borgia Francesco Avvoltoio avec qui il entretenait d’excellents rapports depuis sa promotion. Mais il sentait bien que les méfaits perpétrés par le fils de feu Donato Di Milano – puisqu’on l’avait identifié - ternissait un peu l’image qu’il offrait à son supérieur. Il comptait donc bien effacer cette imperfection du tableau.
Il caressa sa cicatrice. Sa main se crispa. Quand on parlait du loup. Le rejeton de Di Milano venait d’apparaître devant lui, bondissant depuis une grue. Il le défia du regard. Son visage n’était qu’un masque de haine. Du haut de ses seize ans, rien ne semblait pouvoir l’intimider.
L’officier sourit, ce qui ne constituait pas un spectacle des plus attrayants.
- Bastardo, te voilà enfin !
Raphaëlo ne lui rendit pas son sourire. Il se contenta de lui balancer l’un des couteaux dérobés à Ezio. Giuseppe dégaina sa lame et dans le même mouvement renvoya le couteau vers son propriétaire. Le garçon l’esquiva de justesse et il trouva le cœur d’un innocent barde qui perdit la voix et la vie, à peu près dans cet ordre.
Les passants s’écartèrent. Des femmes crièrent.
Un brute imposant en armure se fraya un chemin dans la foule d’une seule épaule et arriva sur les lieux du combat. Alarmé par les cris, un traqueur armé d’une lance vint également en renfort.
Giuseppe sourit à nouveau.
- Je crois que tu as mal choisi ton jour pour régler tes affaires de famille, mon petit !
Cette fois Raphaëlo sourit.
- Tu diras ça à mon père, bastardo !
Le traqueur se tourna vers l’officier en écarquillant les yeux de stupeur.
- Vous…vous saignez.
Giuseppe baissa la tête. Une lame de couteau était plantée jusqu’à la garde dans son abdomen.
Le gamin avait été plus malin et plus rapide que lui. Ses jambes se dérobèrent sous lui et il s’affaissa contre une porte.
- Tuez ce sale petit enfant de puttana!
Le traqueur jaugea l’adolescent avec sadisme.
- Avec plaisir.
Il brandit sa lance à l’horizontale. Raphaëlo l’esquiva d’une élégante pirouette avant de disparaître dans un chariot de foin.
- Idiota !
Le traqueur balança son arme dans la cachette. Le garçon bondit dans un grand envol de paille et se réceptionna sur le traqueur en lui piétinant la figure au passage. Au moment d’atterrir, il sentit la pointe d’une botte lui écraser les côtes. Le brute ne méritait pas son nom pour rien. Sa force n’avait d’égale que sa volonté de la prouver. Raphaëlo tenta de s’éloigner pour reprendre son souffle, mais la pique du traqueur lui troua l’épaule droite et le souleva de terre. Embroché comme un vulgaire insecte, il hurla et gesticula en tentant vainement de se libérer. La douleur était atroce. Il entendit les deux soldats s’esclaffer. Le traqueur le cloua contre une façade et commença à appuyer sur son arme sous les contestations de la foule.
- Vous n’avez pas honte, ce n’est qu’un enfant !
- Bourreaux, soyez maudits !
Certains badauds plus hardis jetèrent des pierres aux soldats et le brute se chargea de les rappeler à l’ordre avec force moulinets de sa hache. Raphaëlo profita de cette distraction inespérée pour saisir son dernier couteau. Il positionna la lame au-dessus de la lance et se servant d’elle comme d’un support à sa trajectoire, il balança le couteau. La lame descendit en tournoyant au-dessus de la hampe avant de trouver la gorge du traqueur. Il lâcha son arme et s’écroula sur les pavés en émettant d’affreux râles. La foule émit une salve de hourras avant d’être dispersée par de nouveaux renforts dont un cavalier à la voix impérieuse.
Raphaëlo retomba au sol avec fracas. Il rampa vers un escalier, dans l’espoir fou de trouver un salut. Ce faisant, il eut la satisfaction de voir que Giuseppe n’avait pas survécu assez longtemps pour se réjouir de sa propre déveine. Il tendit une main vers l’épée du mort, mais le sabot d’un cheval lui brisa la main en même temps que sa dernière chance d’échapper à son destin. Le cavalier se pencha vers lui. La vue de Raphaëlo se brouillait, mais il eut le temps de reconnaître Francesco Avvoltoio en personne. Ce dernier arbora un rictus de mauvais augure au-dessus de sa barbiche.
- Qu’on en finisse avec la famille Di Milano !
Le brute s’avança vers le garçon moribond, sa hache à deux mains.
Francesco effectua un geste élégant :
- Ne partez pas, aimables citoyens. Soyez témoins d’une exécution comme seule Rome peut vous en proposer !
Raphaëlo réunit le peu de forces qui lui restaient pour cracher vers le Capitaine Borgia.
- Va en enfer, toi et les Borgia !
Francesco lui dédia son plus infâme sourire.
- Après toi, bambino !
Le brute leva sa hache.
Ezio venait de révéler sa découverte à Machiavelli ainsi qu’aux assassins présents au repaire.
Machiavelli n’avait pas perdu son temps, lui non plus. Grâce à son propre réseau d’informateurs, il avait appris que le convoi passerait finalement dès la tombée de la nuit. Sa nature, en revanche, demeurait toujours aussi mystérieuse.
Les membres de la confrérie étaient tous réunis autour de la table ainsi que de la carte prise au courrier. Ezio était en train d’établir leur plan d’attaque.
- Nous allons nous répartir sur tous ces points stratégiques.
Il avait indiqué sur la carte de Rome la position des différentes grues.
- Nous allons prendre Cesare à son propre jeu. Nous neutraliserons ces hommes et arrêterons le convoi. De sa nature dépendra ensuite notre ligne de conduite.
Malgré leur position de force, Machiavelli semblait toujours soucieux.
- Tu ne penses plus que c’est un piège déguisé ?
- Non. Je crois que Cesa…
La porte d’entrée s’ouvrit et un tumulte de voix se fit entendre derrière eux. Les assassins s’écartèrent et Bartolomeo apparut encadré par plusieurs courtisanes. Le capitaine tenait un jeune garçon dans ses bras. Ezio reconnut immédiatement Raphaëlo.
- Les courtisanes sont arrivées au moment où Francesco Avvoltoio s’apprêtait à l’exécuter en public. Pendant que mes hommes ont distrait les gardes, elles l’ont conduit en lieu sûr et ont essayé de le soigner.
Le visage de l’ancien condottiere se durcit :
- Il a tué Giuseppe falsario.
- Il avait déjà perdu beaucoup de sang, Ezio, ajouta Esmeralda, une courtisane dont l’assassin s’était entichée autrefois. Il répétait ton nom sans arrêt. On s’est dit que tu le connaissais sûrement.
Ezio prit le garçon dans ses bras. Il ne bougeait pas, ses yeux étaient fermés. On aurait dit qu’il dormait. Mais Ezio savait qu’il n’en était rien. Malgré les pansements, il vit bien l’étendue de ses blessures. Les gardes n’y avaient pas été de main morte avec lui.
L’assassin restait sans voix. De voir cet être auparavant si vif, si animé désormais réduit à l’état de statue était insupportable. La colère commença à monter en lui. Une colère qu’il ne connaissait que trop bien. D’une main il balaya les objets encombrant la table et déposa le corps frêle de l’adolescent sur cette couche improvisée. Il dut déglutir plusieurs fois avant de pouvoir parler à nouveau :
- Vous allez appliquer le plan à la lettre, dit-il aux assassins sans même les regarder. Et vous me rendrez compte dès que ce sera fait.
- Que vas-tu faire ? s’enquit Machiavelli tout en connaissant la réponse.
Ezio continuait de fixer le visage de l’adolescent comme d’en l’espoir fou de le voir sortir de son inertie. Mais sa pâleur tuait irrémédiablement cette possibilité.
- Ne songe même pas à m’en empêcher.
Il se rendit dans l’armurerie et remplaça ses lames habituelles par les nouvelles, conçues de main de maître par Leonardo.
- Ce soir, j’ai un concert à donner. Et de nouveaux instruments à tester.
Il ajusta sa capuche sur sa tête et prit le chemin de la sortie. Il entendit la voix de Machiavelli.
- Ce n’est pas ta vengeance, Ezio !
L’assassin continua sa route.
- Maintenant si.
Bartolomeo l’arrêta d’un geste.
- Le petit a ajouté quelque chose avant de…avant de s’envoler.
Ezio leva la tête. Ses yeux trahirent son émotion.
- Qu’est-ce qu’il a dit ?
- Il a dit que tu avais raison. Il a dit qu’il n’était encore qu’un bambino.
Ezio ouvrit la porte menant sur les toits.
- Je peux t’envoyer quelques mercenaires pour te faciliter la tâche, ajouta Bartolomeo.
- Je n’ai pas envie que ce soit facile.
Sur ces mots, l’assassin ferma la porte.
La nuit avait recouvert Rome d’un drap de soie et la pluie venait de s’abattre sur la capitale. Trempés jusqu’aux os, deux arbalétriers juchés sur un toit s’entretenaient des affaires récentes pour mieux supporter leur condition.
- Quelque chose se prépare en ce moment, dit l’un des soldats. J’ai entendu dire que des hommes avaient été réquisitionnés pour une opération spéciale directement orchestrée par Cesare lui-même.
- Quel genre d’opération ? s’enquit son compagnon.
L’autre décocha un carreau sur un pigeon en plein vol avant de répondre :
- Un détournement. Un convoi doit sortir de Rome. Il transporte des rebelles dont la tête est mise à prix. L’un des cochers est un de mes amis. C’est grâce à lui que Cesare a eu cette information. Sûr qu’après ça, il aura droit à une belle promotion.
Un éclair déchira la nuit, révélant la silhouette d’Ezio Auditore debout derrière les deux hommes. Deux secondes plus tard, ils gisaient aux pieds de l’assassin. Ce dernier contempla ses lames avec satisfaction.
- Comme dans du beurre.
Puis il ramassa les armes des deux gardes.
- Merci pour l’information.
Ezio se glissa sous l’arche et tendit ses bras de part et d’autre. Les deux gardes en faction reçurent un carreau en pleine tête. Le bruit du tonnerre masqua celui de leur chute.
Un temps idéal pour agir librement.
L’assassin se coula derrière une caisse. Il repéra Francesco Avvoltoio dans une alcôve, près de la tour Borgia qui lui était assignée. Une tour qui n’avait pas encore été brûlée par ses soins. L’occasion pour lui de faire d’une pierre deux coups. Il repéra également deux soldats, un brute armé d’une hache aux côtés du capitaine ainsi qu’un officier dont le visage lui était familier. Et pour cause, c’était lui qui admonestait Raphaëlo le jour où il l’avait rencontré. Il n’aurait pas de seconde chance.
La colère d’Ezio remonta brusquement. Il se revit en train de courir sur les toits en compagnie du garçon et il sut enfin pourquoi il avait tant aimé partager de choses avec lui. Cela lui avait rappelé la complicité avec son grand frère Frederico.
Quelque chose coula sur sa joue. Il préféra se convaincre que c’était la pluie.
Il sortit de sa cachette et s’avança à découvert. Francesco le vit immédiatement. Les gardes se mirent aussitôt en alerte.
- Tiens, mais c’est décidément un jour faste ! Voilà un autre criminel d’envergure qui vient à nous sans que nous ayons besoin de le traquer.
Ezio continua d’avancer. Les mots n’avaient plus cours. Le sang seul parlerait.
Les deux soldats se ruèrent sur lui, l’épée au poing. Ezio plongea sous la rapière du premier. Il transperça son pied d’une de ses lames. Le garde se plia en deux dans un hurlement avant de sentir la deuxième lame d’assassin lui perforer la mâchoire. Le second commença à faire de grands moulinets avec son cimeterre. Ezio poussa un soupir avant de lui loger une balle en pleine tête. Sur un ordre muet du capitaine, l’officier s’avança. Il pointa une lance en direction d’Ezio.
Ce dernier s’élança et ses deux lames exécutèrent un ballet fantastique devant lui, réduisant la lance en morceaux.
- Pas de témoin !
Avant que son adversaire ait pu réagir il lui transperça le corps une dizaine de fois.
- Pas d’avertissement !
L’officier tomba à genoux et une lame s’enfonça entre ses yeux.
- Pas d’échappatoire !
Le soldat s’écroula face contre terre dans une mare de sang bien vite diluée par la pluie torrentielle.
Le brute émit un grognement avant de balancer sa hache. L’arme tournoya avant de fracasser la caisse derrière laquelle Ezio s’était embusqué un peu plus tôt. L’assassin pointa son pistolet mais le brute souleva le corps sans vie de l’officier et s’en servit comme d’un bouclier. Les balles trouèrent le cadavre que le garde jeta sur Ezio. Celui-ci se plaqua au sol. Le brute avait prévu sa réaction et il se laissa tomber sur lui de tout son poids avant de lui assener une rafale de coups. Ezio chercha une faille, mais les poings de son adversaire le harcelaient sans répit.
La pluie vint finalement à son secours. Le brute glissa sur les pavés détrempés et s’affala. Il n’en fallut pas plus pour l’assassin. Il se jeta sur le garde aussi impotent qu’un poisson hors de l’eau et lui logea ses deux lames sous le menton. Puis ramassant la hache, il décrivit un moulinet avant de la laisser tomber sur le cou de son adversaire.
Francesco en avait profité pour grimper sur sa monture. Il émit un bref sifflement et aussitôt une dizaine d’arquebusiers apparurent sur les toits formant un cercle dont Ezio était le centre.
- La fête est finie, assassino !
Il avait à peine achevé sa phrase que les arquebusiers étaient submergés par une horde d’assassins jaillis de nulle part.
- En effet, dit Ezio.
Le capitaine Borgia masqua sa frustration. Il tira son épée et s’élança au galop. Ezio resserra ses doigts sur le manche de la hache. Il attendit patiemment que son adversaire se rapproche avant de lancer son arme. Le corps décapité du cavalier tomba à bas de la monture et la tête de Francesco Avvoltoio roula sur les pavés avant de s’arrêter aux pieds de l’assassin.
Quelques instants après, les assassins se réunirent autour de leur meneur et lui racontèrent ce qui s’était passé. Mais ils ne firent que confirmer ce qu’Ezio savait déjà, grâce à la conversation surprise un peu plus tôt sur les toits. Les hommes mis en place par Cesare avaient été neutralisés et les rebelles avaient pu quitter la ville sans encombres.
Mais Ezio n’en demeurait pas moins soucieux.
- L’un des cochers est un traître infiltré. Il faudra le retrouver, c’est une priorité.
L’un des assassins posa une main sur l’épaule d’Ezio.
- Il s’est démasqué tout seul. Il a cru que nous venions pour lui et il a tenté de s’échapper. La seule issue qu’il a trouvée l’a conduit en Enfer.
Ezio afficha son plus large sourire.
- Bene. Vous avez tous fait de l’excellent travail. Je suis fier de vous.
- On peut encore faire quelque chose pour toi ? s’enquit un disciple.
Ezio leva les yeux.
- Oui, vous allez m’aider. J’ai encore quelque chose à accomplir.
Les assassins hissèrent le corps de Raphaëlo jusqu’au sommet de la Tour Borgia où Ezio attendait. L’assassin s’agenouilla près du garçon.
- C’est toi qui avais raison. Tu es un vrai assassino. Et tu l’as largement prouvé aujourd’hui.
Il ôta un flambeau de son logement. Il prit une profonde inspiration avant de le jeter à terre.
- Repose en paix, aquila !
Tandis que les flammes commençaient à lécher l’intérieur du bâtiment, Ezio s’élança du haut de la tour et effectua un magistral saut de la foi. Un aigle plana un instant dans le ciel comme pour accompagner l’envolée de l’assassin.
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