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mardi, 13 juillet 2010

La Naissance de Sphinx [Nouvelles/Le Combat du Papillon]

 

 

 

« Mon amour est devenu une flamme qui consume petit à petit

tout ce qui est terrestre en moi. »

 

                                                          Novalis

 

 

 

 

Dès qu’elle franchit la grille d’entrée, il l’aima.

Lorsqu’elle passa près de lui, il crut qu’on lui envoyait un ange.

Ses blonds cheveux.

Ses yeux bleus.

L’ovale pur de son visage.

Sa peau crémeuse.

Sans parler de son regard.

Une véritable flèche d’amour décochée en plein cœur.

Elle arriva à bon port.

Il se sentit submergé par une vague de douceur.

Elle le remarqua à ce moment là. Et à son tour, elle fut la proie d’une émotion nouvelle et implacable.

Elle disparut au bout de l’allée sans omettre de jeter un dernier coup d’œil à son intention.

Il quitta le banc, tout disposé à la suivre jusqu’au bout du monde. Mais ses parents étaient avec elle. Il sut intuitivement qu’il la reverrait en ces lieux et que l’attente jouerait en leur faveur.

Si c’était bel et bien de l’amour, alors ce n’était que le commencement.

 

Il rêva d’elle et elle rêva de lui, si bien que lorsqu’ils se revirent, ils crurent qu’ils ne s’étaient jamais quittés. Et qu’ils rêvaient encore.

Elle était toujours accompagnée de ses parents.

Il est vrai qu’elle avait l’air d’être jeune, innocente aussi.

Elle était beaucoup plus jeune que lui. Dix ans les séparaient, peut-être quinze.

Il la dévisagea intensément. Peu importait.

Les parents notèrent son intérêt singulier pour leur fille. Ce qui ne fut pas de leur goût à en juger par leur expression.

Il n’aurait sans doute pas dû, mais il les défia du regard, eux et la bonne morale qu’ils semblaient vouloir incarner à tout prix, même au détriment du plus précieux des sentiments.

Ils s’éloignèrent rapidement, emportant avec eux la grâce et la beauté qu’ils avaient su mettre au monde.

Il sut dès lors que ce ne serait pas simple.

Mais il se jura que ce serait possible.

 

Le jour suivant, elle ne vint pas dans le parc.

Il comprit rapidement pourquoi.

Sa réaction les avait condamnés tous les deux.

Mais il était confiant.

Il la retrouverait.

Son cœur le lui affirmait.

 

Il ne la revit pendant plusieurs jours.

Ni dans le parc, ni ailleurs.

Le temps passé à espérer une nouvelle rencontre ne fit qu’attiser sa passion.

Son visage d’ange dansait dans son esprit.

Il décida de le graver comme il le pouvait.

Son art du dessin allié à ses sentiments fit des merveilles.

Il avait saisi l’essence de la jeune fille, immortalisant son âme d’une manière purement intuitive propre aux poètes les plus épris.

Ainsi, même dans l’incapacité de la voir, il lui suffisait de contempler son œuvre pour avoir l’impression d’être près d’elle.

 

Par hasard, à compter que le hasard eut sa place, il la revit à proximité de chez elle, de sorte qu’il eut la chance de voir où elle vivait précisément.

Toujours escortée des auteurs de ses jours, elle le vit du coin de l’œil et lui glissa un regard complice à la dérobée.

Il l’attendit sagement, à l’ombre d’un arbre, le cœur battant à tout rompre.

Lorsqu’il la vit sortir de la maison pour venir discrètement à sa rencontre, il crut que son cœur allait exploser dans sa poitrine.

Elle se planta devant lui avec une hardiesse propre à l’adolescence, ce qui l’intimida davantage. Ils commencèrent par se toucher des yeux, pudiquement, puis conscients qu’ils avaient peu de temps devant eux et que cette rencontre tenait du miracle, ils s’effleurèrent du bout des doigts. Lorsque leurs mains s’épousèrent, le courant passa parfaitement, cette électricité, cette foudre capable d’unir deux êtres que tout semble vouloir séparer.

Ils se réfugièrent chacun dans cet état de grâce providentiel, inattendu autant qu’espéré.

Lorsqu’il put parler, il lui demanda :

-Tu as quelqu’un ?

La question pouvait paraître absurde, mais sur l’instant elle lui paraissait des plus légitimes. En tous les cas, il avait besoin de la poser et d’avoir une réponse.

Elle sourit avec une candeur désarmante.

- Non, je suis encore jeune. Et toi ?

Il rougit.

- Oui.

Il la vit tressaillir, alors il ajouta rapidement :

- Toi.

Il lui tendit une feuille de papier roulée en cylindre.

- Ca te fera un souvenir de moi lorsque nous ne pourrons pas nous voir.

Elle prit l’objet qu’elle se contenta de caresser nerveusement.

Il sut qu’elle attendrait de retrouver son intimité pour l’ouvrir.

Il demanda :

- Tu as quelque chose à me laisser.

A son tour, elle rougit. Elle contempla ses mains vides, vierges de tout trésor.

Il les regarda avec adoration avant de les prendre à nouveau dans les siennes.

- Alors je vais devoir te ramener toute entière avec moi.

Elle parut réfléchir, hésiter. Puis finalement, elle lui dit :

- J’ai trouvé quelque chose que tu peux garder.

Elle se dressa sur la pointe des pieds et l’embrassa sur la commissure des lèvres.

Il en resta tout penaud.

Ils entendirent sa mère l’appeler au loin, depuis le jardin.

- Je dois y aller.

Sa voix tremblait suite à son geste.

- Comment tu t’appelles ? s’enquit-elle en faisant quelques pas en arrière.

Il lui répondit.

Elle répéta son prénom à voix basse comme pour mieux en savourer la sonorité.

- Et toi ?

Elle lui souffla son prénom à l’oreille avant de disparaître.

Il regarda sa silhouette s’éloigner en imprimant dans son esprit le moindre de ses gestes.

En rentrant chez lui, il répéta son prénom avec religion jusqu’à s’en imprégner totalement, jusqu’à en oublier le sien.

 

 

Ils furent dans l’incapacité de se voir pendant plusieurs jours.

Tels des cerbères, ses parents la tenaient sous bonne garde.

 

Un soir, il rentra chez lui, particulièrement aigri par la situation et son impuissance.

Il regarda sur la table l’alignement de bouteilles et de seringues comme autant de femmes lubriques prêtes à le faire plonger dans les délices pervers de l’anéantissement.

Il tendit une main tremblante vers elles, comme répondant à leur appel. Une soif qui semblait insatiable lui brûlait les entrailles. Il avala une rasade, puis deux, puis davantage. C’était de l’eau de vie, bien mauvais nom pour une telle boisson.

Alors qu’il portait de nouveau le goulot à ses lèvres, un visage angélique désormais familier revint danser dans son esprit comme une lueur au milieu des ténèbres.

Un visage sur lequel il pouvait désormais mettre un nom.

Il le prononça à voix haute comme un sorcier scanderait une formule magique seule capable de le délivrer d’un mauvais sort. L’incantation fonctionna. Il se sentit libéré.

L’innocence qu’elle représentait à ses yeux anéantit sa faim vicieuse et viscérale.

D’un geste violent il chahuta bouteilles et aiguilles qui se fracassèrent sur le sol et contre les murs de la pièce.

Il se laissa tomber sur un sofa miteux.

- J’ai plus besoin de ça, maintenant.

Et tout en s’abandonnant au sommeil, recroquevillé comme un enfant, le visage humide, il se promit d’aller dès le lendemain se mesurer aux cerbères retenant sa princesse en otage, loin de lui.

En Enfer.

 

Il sonna à la porte d’entrée.

Une femme d’environ quarante ans lui ouvrit.

Pour l’occasion, il s’était relativement bien habillé, sachant que son apparence naturelle jouerait déjà certainement contre lui selon les critères en vigueur chez la famille d’Ornella.

- Bonjour madame. Je connais votre fille.

Il se frottait les mains comme pour faciliter la sortie de chaque mot.

- Je suis tombé amoureux d’elle.

Elle le détailla du regard comme s’il venait de prononcer une grossièreté.

Il ne s’attendait pas à être accueilli à bras ouverts, mais de là à faire l’objet d’un tel mépris…

Elle regarda ses bras nus. Il les dissimula bien vite dans son dos, scandalisé par sa propre négligence.

- Je vous reconnais, dit-elle avec une froideur totalement démaquillée. Vous étiez dans le parc. Je n’ai pas l’honneur de vous connaître et je ne vois pas ce que vous voulez.

Il serra les poings.

- Je voudrais voir votre fille.

Il s’était fait violence pour prononcer le mot voir.

- Elle n’est pas ici.

Il se garda bien de lui dire qu’elle mentait très mal, mais sans doute était-elle déjà au courant. Il comprit alors que c’était un combat et qu’il devait gagner sur son terrain à elle.

- Je suis certain qu’elle souhaiterait me voir aussi. Elle m’aime.

La femme produisit un rictus de mauvais augure.

- Ne dites pas n’importe quoi. Aimer…à son âge ? Et puis, vous, vous vous êtes regardé ? Vous êtes beaucoup trop vieux. Et comment pourrait-elle aimer un…

Elle le toisa avec un dédain décuplé.

- Vous croyez que je n’ai pas vu les marques sur vos bras. Même vos yeux en disent long sur votre mode de vie dépravé.

Il se sentit faiblir sous ses assauts. Mais il ne devait pas craquer, pas ici, pas maintenant. Et surtout pas devant elle.

- J’ai arrêté tout cela, rétorqua-t-il avec plus de véhémence qu’il ne l’eut souhaité. Grâce à votre fille. Elle n’a rien eu à faire. Mon amour pour elle est pur et me guérit de tout.

La femme manifesta clairement son doute à ce sujet.

- Ecoutez, dit-elle avec l’évidente intention d’en finir, rentrez chez vous avant que j’appelle mon mari ou la police. Je ne sais pas ce que vous vous êtes imaginé un soir de beuverie, mais il est hors de question que vous remettiez les pieds ici. Ma fille ne vous connaît pas, ne vous aime pas et ne souhaite pas vous voir. Et il en est de même pour moi. Si vous persistez, je prendrais des dispositions, croyez-moi sur parole.

Elle le défia du regard.

- Je n’ai pas peur de vous, cru-t-elle bon d’ajouter.

Elle commença à fermer la porte.

- Il y a d’autres filles.

La porte se ferma complètement. Il se retrouva seul au monde, comme échoué au milieu de nulle part alors que sa princesse n’était peut-être qu’à quelques mètres de lui.

- Pas pour moi, répondit-il tardivement.

Il rentra chez lui, plus seul qu’il ne l’avait jamais été. Il se sentait anéanti. Rien ne pourrait le consoler. Personne ne serait en mesure de le réconforter, pas même une autre fille.

Rien ? Peut-être pas.

Il prit sa guitare et joua un air pour elle.

La musique n’avait pas de frontières. Cette pensée lui réchauffa le coeur.

Cela ne pouvait finir ainsi. Cela venait juste de commencer.

Ils avaient tant à se donner.

Il y avait forcément un moyen, un chemin. Il devait simplement le trouver.

 

A la tombée de la nuit, il sortit et marcha jusqu’à chez elle, sans espoir précis. Peut-être pourrait-il sentir sa présence derrière les murs qui la retenaient.

Il vit une fenêtre ouverte.

Il s’approcha à pas de loups.

Un réverbère à proximité éclairait la façade. Il reconnut le pâle ovale d’un visage et la cascade de cheveux blonds qui l’encadraient.

Son cœur s’emballa comme un cheval fou.

Il l’appela une fois, deux fois.

Elle baissa la tête et le vit.

La joie illumina sa figure d’un éclat presque surnaturel.

Elle l’appela à son tour comme pour se convaincre qu’il n’était pas un mirage né de son désir le plus assoiffé.

Sa voix était étranglée par l’émotion.

Il commença à grimper en s’appuyant sur la gouttière.

- Tu vas tomber ! s’exclama-t-elle.

- Non, je ne vais pas te faire ce plaisir. Et puis ton amour me donne des ailes.

Lorsqu’il parvint à la fenêtre, ils tombèrent dans les bras l’un de l’autre. Une fois relevé, il jeta un rapide regard autour de lui. Il était dans sa chambre et c’était réel.

- C’est mignon, tu…

Elle posa un doigt sur ses lèvres. Il faillit rougir de plaisir.

- Si mes parents savent que tu es ici…

- Je sais ce qu’ils feraient, dit-il en retrouvant une certaine gravité. Tu leur as parlé ?

Elle inclina la tête.

- Après que tu sois venu. C’est eux qui ont commencé à me parler, alors je leur ai tout expliqué à notre sujet.

- Que leur as-tu dit ?

Elle haussa les épaules.

- La vérité.

Il la prit délicatement par les bras.

- Alors ils n’ont pas du apprécier.

Il soupira.

- On va trouver une solution. On va trouver. C’est trop important.

La porte de la chambre s’ouvrit à la volée.

C’était les parents, le père en tête.

- Lâche ma fille immédiatement et écarte toi d’elle !

L’amoureux obéit à regret.

- Je savais bien que j’avais entendu du bruit. Sale ordure, il a fallu que tu reviennes en douce ! De la graine de camé qui veut rien comprendre !

- Je vous avais prévenu, renchérit la mère par-dessus l’épaule de son époux.

Le père était en robe de chambre, une main glissée dans une poche.

- Tu vas sortir d’ici immédiatement en t’estimant heureux que nous en restions là. Il n’y aura pas de troisième fois, tu m’entends !

L’intéressé serra les poings.

- Pourquoi vous n’essayez pas de comprendre ce qui nous arrive ? Si vous ne voulez pas le faire pour moi, faites-le au moins pour votre fille. Vous avez été jeunes, vous aussi…

La jeune fille répliqua à son tour :

- Il ne fait rien de mal, il n’est pas dangereux !

Le père grimaça comme si elle avait dit une sottise.

- Je me méfie des gens qui ne sont pas dangereux.

- Pourquoi ?

- Parce qu’ils peuvent le devenir.

Sur ces mots, le père se fit plus menaçant.

- Je n’ai pas l’intention de négocier quoi que ce soit. Vous ne vous reverrez pas, un point c’est tout. C’est un ordre et vous allez vous y conformer que ça vous plaise ou non.

Il fixa avec haine celui qu’il considérait comme un criminel :

- Sors d’ici ou je te fais arrêter pour violation de domicile !

- Et pour détournement de mineure, s’empressa d’ajouter la mère.

Comme l’intéressé ne semblait pas vouloir obtempérer, le père ajouta :

- J’ai une arme.

Le visage du jeune homme se crispa.

- Moi aussi.

Il glissa une main sous sa veste.

Le père n’hésita pas. Il sortit son revolver et fit feu.

Avec une précision qu’il devait regretter toute sa vie.

La balle atteignit l’amoureux à la tête. Il tomba violemment au sol, sa chute annonçant sa mort plus que l’impact lui-même.

Ornella se jeta sur son corps inerte en poussant un cri déchirant.

- Il n’avait pas d’arme ! Il voulait parlait de son cœur.

Puis elle pleura sans discontinuer.

La mère prit le revolver des mains de son époux. Ils se dévisagèrent, conscients du drame qui venait de se jouer. Cette balle venait de briser leur destin à tous.

Paralysé par son acte, le père regarda sa fille se jeter sur lui et le frapper de ses poings menus jusqu’à être certaine de lui faire mal.

 

Plusieurs jours passèrent.

Elle resta cloîtrée dans sa chambre, les yeux fixés sur le portrait qu’il avait fait d’elle, tout du moins quand ses larmes le lui permettaient. Des larmes qui n’avaient guère le temps de sécher.

Le monde avait dévoilé sa vraie nature : une abominable supercherie, un monstrueux piège dans lequel elle ne voulait plus mettre un pied.

Elle avait tout perdu, l’impression de mourir avant d’avoir vécu et de sentir son amour périr prématurément comme un infortuné nouveau-né.

Elle en avait mal au ventre.

 

Un soir, sa mère frappa à la porte. Elle entra après avoir attendu vainement une réponse qu’elle savait d’avance ne pas obtenir.

Elle posa le plateau-repas sur la commode et observa la forme recroquevillée dans le lit.

Elle se sentait si impuissante. Mais elle essayait malgré tout de se convaincre que cela ne durerait pas.

Peut-être un sentiment de culpabilité motivait-il cette pensée.

Elle s’éclaircit discrètement la gorge.

- Je sais que tu ne vas pas bien, que tu as mal. Je ne prétends pas savoir à quel point. Je l’ignore. J’aimerais tellement que tu me parles.

Elle marqua une pause. Comme rien ne bougeait dans le lit, elle reprit :

- Si tu savais combien ton père regrette ce qu’il a fait. Il ne voulait pas aller jusque-là. Il voulait vraiment te protéger. C’est ce que nous voulions tous les deux. Il a eu peur. Mon dieu, tout s’est passé si vite !

Elle commença à sangloter.

- Il est vraiment en difficulté. Te voir lui ferait tant de bien.

Seul un silence entêtant lui fit écho.

Un silence étudié.

La jeune fille ne dormait pas et sa mère ne le savait que trop bien.

Elle quitta la chambre sans un bruit.

 

Au milieu de la nuit, elle ne dormait toujours pas. Si bien qu’elle entendit clairement la voix l’appeler par son prénom. Une voix qu’elle reconnut immédiatement.

Elle se dressa dans son lit et alluma sa lampe de chevet.

La fenêtre était fermée, la porte aussi.

Ce n’était pas possible. Elle avait dû rêver.

Mais lorsqu’elle vit un rosier fleurir autour du portrait qu’il avait fait pour elle, elle n’eut plus de doute. Elle bondit du lit.

Une silhouette humaine se tenait debout devant elle, son identité protégée par les ombres.
Le cœur de la jeune fille suffit à percer les ténèbres. Elle sauta dans les bras de son amoureux.

- C’est impossible, c’est un rêve !

Dans son étreinte, elle se sentit ressusciter. Et il devait en être de même pour lui. Il émanait de lui une telle douceur, comme si son cœur l’enveloppait et diffusait directement son amour autour de lui. Plus tard, elle comprendrait que c’était précisément ce qui se passait.

- Je ne comprends pas, dit-elle, des larmes plein les yeux, comment peux-tu être ici ? J’étais à l’enterrement. Que t’est-il arrivé ? Dis-moi que je ne suis pas folle et que tout cela est réel !

Il sourit tendrement et s’écarta légèrement. Il avait bien toujours le même visage, mais il était nu, sans sexe apparent, tel un ange. Son corps projetait une lumière opaline. On aurait dit une statue vivante.

- C’est réel, dit-il en cueillant l’une de ses larmes du bout du doigt. La seconde d’après elle se changea en rose qu’il glissa dans l’or de ses cheveux.

- La poésie est le réel absolu.

Elle le regardait, fascinée et hébétée, comme désireuse de croire à cette magie à tout prix tout en redoutant un nouveau coup du sort.

- Mon corps est mort et l’illusion qu’il représentait est morte avec lui. Tu me vois maintenant dans toute ma vérité. Si seulement tes parents avaient pu me voir ainsi. En voyant l’expression d’Ornella changer, il craignit d’avoir ravivé le drame. Il lui prit la main.

- Tu te souviens, mon amour, tu m’as donné des ailes. Des ailes à mon âme.

A ces mots, il baissa la tête et deux ailes géantes de papillon se déployèrent dans son dos comme deux vivants arcs-en-ciel, déversant dans la pièce un somptueux ballet de couleurs et de lumières. Ornella pleurait, mais cette fois la douleur était exempte. Elle pleurait de joie et d’émerveillement.

Il recula alors encore un peu, estompant volontairement la magie qu’il avait fait naître.

- Je dois partir, Ornella.

La nouvelle estomaqua la jeune fille.

- Non, reste. Ne me laisse pas ici, toute seule.

Elle s’efforçait de ne pas crier de peur d’alerter sa mère, sans doute aussi éveillée qu’elle.

- Je n’ai pas le choix, répondit-il avec gravité. Je suis d’ailleurs. Je ne peux plus vivre ici. Cela m’a énormément coûté de venir te voir. Plus que tu ne peux l’imaginer. Mais je te le devais. A présent que c’est fait, je dois m’en retourner.

- Mais où vas-tu ? Emmène-moi avec toi. Je t’en supplie ! Moi non plus je ne peux plus vivre ici !

Il la dévisagea intensément.

- Tu as déjà rêvé de moi ?

- Bien sûr !

- Alors tu sauras me retrouver. Ton âme saura. Je t’aime.

Il prononça une dernière fois son prénom et l’embrassa à la commissure des lèvres.

Quelque chose qui ressemblait à un œil s’ouvrit au milieu de son front et la seconde d’après il n’était plus là.

Terrifiée à l’idée de ne plus jamais le revoir, Ornella ouvrit instinctivement la fenêtre. Elle ne vit rien, bien sûr, mais soudain, une chaleur réconfortante l’envahit. Elle cueillit la fleur dans ses cheveux et contempla le dessin à demi recouvert par les roses.

Oui, elle trouverait.

 

Elle le retrouva bel et bien.

Rien ne semblait être en mesure de les séparer.

En étant à nouveau si proche de lui, elle ne put retenir un chapelet de larmes qui eurent l’étrange idée de s’envoler.

Elle manifesta sa stupeur et lui son amusement.

- Ici tout est léger et appartient au ciel.

Il la serra dans ses bras et déploya ses ailes pour l’en couvrir comme d’un manteau.

- Bienvenue dans le pays où l’amour est roi. Tu es ici chez toi.

 

Il lui fit visiter les lieux, des lieux qui avaient l’étrange propriété de se métamorphoser pour peu qu’on y regardât à deux fois.

Ils survolèrent des forêts qui se changèrent en montagnes vertigineuses qui à leur tour se changèrent en vallées verdoyantes. Le cycle était infini.

Tout était sans cesse renouvelé, sans cesse en mouvement, comme si un peintre invisible à l’humeur insatiable retouchait indéfiniment le paysage.

- C’est merveilleux ! dit Ornella, au comble de la joie. Mais qui fait tout ça ?

Son amoureux la tenait près de lui. Ses ailes les maintenaient tous deux en l’air. Ornella pouvait voler, elle aussi, mais elle l’ignorait encore. Il sourit.

- C’est nous.

Elle écarquilla les yeux d’étonnement et ce faisant, elle vit plusieurs nuages éclater dans une pluie de flocons de neige.

- Mais comment… ?

- En ces lieux tout est lié et s’influence constamment. Nos émotions, nos états d’âme génèrent des transformations dans notre environnement qui lui-même génère en nous de nouvelles émotions. Et ainsi de suite. C’est un éternel ballet de couleurs, formes et de sensations. Tout participe à l’harmonie générale.

Tout en expliquant, il désigna un volcan en éveil crachant un nuage de fumée affectant la forme d’un cœur.

Ornella serra plus fort la main de son amoureux.

- C’est magnifique ! Comment s’appelle cet endroit ?

- Le poète William Blake l’appelait La Terre de Beulah. Mais j’imagine qu’elle a bien d’autres noms.

- Je ne veux jamais partir d’ici, reprit Ornella, métamorphosée par son expérience. J’ai l’impression d’être au Paradis. C’est le plus beau rêve que j’aie jamais fait.

Son amoureux la dévisagea avec une étrange solennité :

- Ce n’est pas un rêve, Ornella. C’est ce que nous sommes en train de vivre, toi et moi.

Le visage de la jeune fille se rembrunit, assombrissant du même coup l’horizon.

- Mais si je me réveille, tout ce que nous aurons vécu ensemble en ces lieux ne se résumera pour moi qu’à un rêve, même le plus beau.

Il se crispa comme s’il comprenait la dureté de la réalité. Sa réalité à elle.

- Je peux te jurer qu’il aura la valeur d’un souvenir.

 

Il l’invita à un ballet aérien improvisé, l’éloignant et la rapprochant alternativement de lui. Elle se prit vite au jeu et fit preuve d’une grâce et d’une imagination qui le comblèrent.

Après avoir longtemps virevolté dans la plus parfaite osmose, ils se posèrent aux abords d’une cascade vertigineuse, les yeux embués de bonheur.

« Faites que je ne me réveille pas ! » se répétait Ornella.

« Faites qu’elle ne se réveille pas ! » se répétait son amoureux tout en étant convaincu qu’il était de son devoir et en son pouvoir d’exaucer ce vœu.

- On pourrait nager un peu pour changer, proposa-t-elle, toute guillerette.

- Bonne idée !

- L’eau est bonne ?

Il sourit.

- Seulement si tu le désires.

La jeune fille demeura bouche bée avant d’éclater de rire.

- Je veux une eau au goût de fraise !

La seconde d’après elle plongea sans retenue du haut de la falaise. Il ne trouva rien de mieux à faire que l’accompagner en hurlant :

- Je suis allergique aux fraises !

 

Encore une fois, ils jouèrent et s’occupèrent en toute liberté pendant un temps qu’ils furent bien incapables d’évaluer. Et c’était évidemment le moindre de leur souci.

Enfin rassasiés de leurs distractions aquatiques, ils s’enlacèrent et observèrent un couple de dauphins au corps irisé se lancer dans un concours de pirouettes.

Ornella regarda son amoureux. Il avait l’air songeur.

- A quoi penses-tu ?

- Je me disais que tout le monde devrait pouvoir venir ici, au moins de temps en temps. Sur Terre, certaines personnes n’ont aucun refuge. Si l’imagination est un luxe, nous sommes des milliardaires.

- Tu ne devrais pas être triste. Je pense que tout le monde peut venir ici. J’en suis convaincue. Il suffit d’en avoir besoin, non ?

Il secoua la tête et déposa un baiser sur son front.

- Tu ne trouves pas que l’eau a un goût bizarre.

Ornella faisait la grimace.

Il goûta l’eau à son tour et tout son être fut retourné lorsqu’il en reconnut la saveur.

- Non, pas ça !

C’était de l’eau de vie. Et il sut que ça ne pouvait venir d’Ornella. Il avait laissé ses pensées s’égarer vers de lointains souvenirs, l’emporter à nouveau vers ses angoisses existentielles. L’espace d’un instant, il était redevenu le junkie qu’il pensait avoir tué pour toujours. Il comprit que ses démons l’avaient poursuivi jusqu’ici et que rien n’était encore fini. Il avait un dernier combat à mener pour être enfin libre. Il s’alarma.

- Sors de l’eau, Ornella ! Vite !

Elle le regarda, apeurée, avant de lui obéir.

L’eau était devenue sombre. Le ciel aussi. Un orage couvait.

Il regarda la jeune fille s’éloigner et la suivit tout en essayant de contrôler ses pensées. Mais il avait l’impression de ne plus rien contrôler. Ses démons l’envahissaient inexorablement. Il pouvait presque ressentir à nouveau cette faim vicieuse et viscérale qu’il avait dû tant de fois combattre, qui l’avait tant de fois vaincu.

Lorsqu’il entendit Ornella pousser un cri en arrivant sur la berge, il sut que ses démons avaient de nouveau pris corps dans leur Paradis. En un éclair, il fut à ses côtés. Il la souleva dans ses bras en découvrant avec horreur le sol jonché de tessons de verre et de seringues usagées.

- Mais qu’est-ce qui est en train de se passer ? s’enquit la jeune fille. C’est toi qui fais ça ?

Il allait répondre lorsqu’une douleur indicible lui fouetta les entrailles.

Il lâcha brusquement Ornella qui manqua s’empaler sur les bris de verre maintenant aussi hauts que des arbustes. Impuissante, elle regarda son amoureux tomber à genoux en se tenant le ventre.

- Tu as mal ? Qu’est-ce qui t’arrive ?

Il dressa brusquement la tête. Il n’était plus le même. L’iris et la pupille de ses yeux étaient devenues intégralement noires. Ses oreilles se terminaient en pointe, quant à sa voix…Elle ne la reconnut pas quand il s’adressa à elle :

- Va-t-en, cours ! Ne reste pas près de moi ! Je t’en supplie, Ornella, si tu m’aimes, fais ce que je te dis !

La jeune fille se recula, moins pour lui obéir que pour obéir à sa peur.

- Mais dis-moi ce que tu as ! Je peux sûrement t’aider !

Son corps se mit à tressauter comme si quelque chose d’énorme ou de puissant le possédait et manifestait l’envie de sortir.

- Non, il faut que tu partes. Réveille-toi, s’il le faut, mais ne reste pas ici ! Elle m’envahit. Je ne… contrôle… plus rien.

Il poussa un cri déchirant et tandis qu’il ouvrait démesurément la bouche, une masse sombre, poisseuse et informe jaillit et coula sur le sol en un immonde ruisseau.

Tout en se dressant de façon menaçante, l’entité commença à prendre forme.

- Je ne peux pas t’abandonner ! hurla Ornella. Pas avec cette chose !

Bien que très affaibli, il trouva la force de se redresser un peu et alors il hurla à son tour :

- Tu ne comprends donc pas ! Elle va te tuer, elle n’existe que pour cela ! Elle dévore tout ce qui est innocent pour devenir plus forte encore ! Je ne veux pas te perdre Ornella !

Les mots parurent faire leur effet sur la jeune fille. Elle ferma les yeux et se retournant, courut droit devant elle. Mais il était déjà trop tard.

La Bête avait fini de prendre forme, ce qui dans son cas, ne voulait pas dire grand-chose. L’on ne pouvait lui donner de nom, ni même la décrire tant son aspect repoussait les limites connues de la terreur. A elle seule, elle représentait un nouveau canon dans le domaine de l’horreur.

Sphinx remarqua plus particulièrement les aiguillons recouvrant son épiderme, évidente analogie à l’une de ses dépendances terrestres. Et comme pour rajouter à l’infâme tableau qu’elle constituait à elle seule, l’air était empuanti par son odeur, un mélange insoutenable de remugle et de miasmes alcoolisés.

Cette chose qu’il avait crachée hors de lui était sa part de ténèbres, la somme de toutes ses malédictions, l’addition de ses tourments et de ses vices.

Il devait l’affronter et il devait la vaincre. Pour le salut de son âme et celui de son amour.

L’orage éclata comme pour annoncer le début des hostilités et une pluie diluvienne se mit à tomber. La pluie aussi avait un goût : celui de l’amertume.

La Bête faisait bien trois mètres de haut. Elle paraissait aveugle, du moins elle ne possédait pas d’organes apparents. Elle renifla plusieurs fois avant de se mouvoir en direction d’Ornella, en rampant rapidement tel un serpent affamé.

Cette vision menaçante eut le don de revigorer complètement Sphinx. Il déploya ses ailes et disparut pour réapparaître près de la jeune fille que la Bête poursuivait en écumant de joie. Des gueules s’ouvraient et se refermaient sporadiquement dans son poitrail velu. Les langues boursouflées qu’elle dépliait outrageusement semblaient elles-mêmes animées d’une vie propre. Sphinx se plaça devant Ornella dans une attitude protectrice avant de riposter. De ses deux mains il ouvrit sa poitrine, libérant une aveuglante sphère de lumière qui consuma les ignobles appendices s’aventurant un peu trop près.

- Qu’est-ce que c’est ? hurla Ornella en proie à une frayeur sans nom.

Sphinx scrutait l’entité maléfique comme le reflet impie de lui-même.

- Mes démons, l’incarnation de mes démons.

Ornella était terrorisée. Le rêve avait tourné court. Encore une fois, la réalité reprenait ses droits, même ici. Et pas de la plus belle manière.

- Tu peux la vaincre ?

L’intéressé dévisagea brièvement la jeune fille, mais avec une extrême intensité.

- Avec toi à mes côtés, je peux tout vaincre. Et je suis invincible.

La Bête le savait aussi, naturellement, et c’est justement pourquoi elle chercha à tout prix à les séparer.

Une immonde forêt de tentacules et d’autres appendices innommables s’extraya de son corps pour arracher Ornella de ses bras. Il repoussa tant bien que mal les assauts en générant des sphères de lumière et d’autres symboles de sa pureté. Son amour était un moteur puissant, mais la Bête avait plus d’expérience.

Ses tentacules se rétractèrent subitement et les dards hérissant ce qui lui tenait lieu de dos se projetèrent sur le couple. Sphinx improvisa un bouclier de fleurs qu’il espéra assez puissant, puis tout à coup inspiré, il fit résonner, par-dessus les borborygmes incessants de l’entité, la mélodie qu’il avait créée pour Ornella sur sa guitare, un soir plus triste que les autres, dans son ancienne vie. Il sourit en voyant sa Némésis se tordre de manière significative. La symbolique était sa meilleure arme ici et il compter bien en abuser.

- Tu ne m’auras pas et elle non plus ! Je te détruirai, je le jure !

Mais une vois dans sa tête, sa propre voix, lui promit exactement le contraire.

La fureur de la Bête était sa meilleure arme à elle. Elle y puisait toute sa force. A l’idée d’échouer si près du but, elle sembla grossir davantage. Un aiguillon déchira le bouclier et transperça le front de Sphinx. Il lâcha Ornella malgré lui et après avoir extirpé l’arme, il dût lutter sauvagement contre les effets de la blessure. Une blessure qui menaçait de corrompre ce qu’il y avait de plus beau en lui. Un appendice enleva Ornella sous ses yeux. En dépit de sa volonté de la secourir, Sphinx se sentit impuissant, comme si une partie de la Bête s’était insinuée en lui.

- Ornella !

En voyant la jeune fille terrifiée se rapprocher de l’une des gueules voraces, il retrouva un regain d’énergie. Il se concentra. Les motifs de ses ailes flamboyèrent, dardant sur le monstre un chapelet de rayons purificateurs. Des flammes léchèrent le ventre grouillant d’une vie impie et le tentacule retenant la jeune fille se décomposa. Elle retomba sur un tapis de fleurs imaginé par son protecteur qui s’envola pour la mettre hors de portée de la Bête, dans un endroit que lui seul connaîtrait. Mais ce faisant, il oublia qu’il partageait le même esprit que son ennemi.

Sphinx s’acharna à détourner son attention, la frappant de ses projectiles assassins, l’insultant, la mutilant. La Bête devint furieuse, mais ne changea en rien ses intentions. Sans crier gare, elle laissa tomber toute sa répugnante masse sur lui, l’écrasant et l’immobilisant. Il tenta bien de se téléporter, mais au contact rapproché de la Bête, sa blessure se réveilla et anéantit son effort. Alors elle en profita pour se métamorphoser. Son dos se craquela et deux paires d’ailes noires et huileuses se déplièrent, emportant une partie de l’entité dans les airs à la poursuite d’Ornella, tandis que l’autre se chargeait d’assimiler totalement Sphinx, la partie qui lui manquait pour être entière.

La pensée de perdre son âme-sœur fut l’étincelle qui permit à Sphinx de conserver son identité et son énergie propres. Il banda son cœur et en même temps qu’il poussait un cri terrible, il décocha une véritable bombe qui souleva son bourreau et le pulvérisa.

Sphinx se dressa, victorieux, sous une pluie de cendres. Un hurlement strident d’Ornella le paralysa, lui annonçant une horrible tragédie.

Il déploya ses ailes et se transporta aussitôt auprès de sa bien-aimée.

Du moins à l’endroit précis où elle aurait dû se trouver.

Lorsqu’il découvrit des fleurs éparses jonchant le sol ainsi que des ronces noires et huileuses lovées autour d’elles, il comprit qu’il arrivait trop tard. Le mal était déjà fait. La chevelure d’or finissait de disparaître dans les entrailles putrescentes de la Bête lorsqu’il posa son regard sur elle.

- Ornella !

En poussant son cri de guerre, il s’élança sur le démon qui fit de même. Le choc fut terrible. La terre se fissura et le ciel se brisa comme un miroir, déversant à nouveau des trombes d’eau. Une explosion de lumière absorba le paysage entier avant de le régurgiter dans le plus grand chaos. Une ombre retomba au sol. C’était Sphinx.

Il avait réussi, mais à quel prix. Il avait gagné sa liberté, mais il avait perdu Ornella.

Son cœur était orphelin, son âme mutilée. Et il sut dès lors que rien ne pourrait changer cela.

La blessure sur son front s’anima fugitivement. Ses yeux s’assombrirent un bref instant avant de reprendre un aspect innocent.

La plaie cicatrisa en un instant et demeura sur sa peau tel un insolite tatouage, une marque indélébile, la signature de la Bête siégeant toujours en lui, à son insu. Affaiblie, mais dans l’attente fébrile de pouvoir faire à nouveau surface.

Sphinx posa une main sur sa poitrine.

- Tu es avec moi, Ornella. Nous serons toujours ensemble. Où que tu sois, où que j’aille.

La jeune fille avait exaucé leur voeu commun : elle ne se réveillerait plus jamais.

A cette pensée, il se mit à pleuvoir.

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lundi, 14 juin 2010

La Peau de l'Ours [Red Dead Redemption FanFic]

 

 Il fixait l’antre de la bête depuis bientôt une heure. Malgré ses vêtements fourrés et sa toque de trappeur, il commençait à sentir le froid lui transpercer les os. Il passa une main sur son œil droit pour chasser un flocon de neige égaré et raffermit ensuite la prise sur sa winchester à canon long.

L’animal qu’il convoitait était une légende vivante. Il avait existé quelques autres spécimens comme lui, du temps où son père lui apprenait les rudiments de la chasse, mais Gwarl était de loin le grizzly le plus dangereux qui ait été répertorié dans la contrée de Tall Trees. Son tableau de chasse était connu jusqu’à Armadillo et il ne comprenait pas que des mouflons : chasseurs, voyageurs égarés, bandits, chasseurs de primes, un paquet de gars téméraires avaient laissé leur peau sous ses griffes meurtrières.

Le trappeur qui observait pour l’heure sa tanière, songeait qu’en le tuant, il allait faire bien plus que remplir sa bourse et gonfler sa réputation : il allait débarrasser le pays d’un monstre assoiffé de chair et de sang. Il secoua la tête pour chasser cette pensée lorsqu’il repéra un mouvement dans la pénombre de la grotte.  Quelque chose de massif était en train de s’en extraire. Le tireur s’était embusqué sur une hauteur, dominant de ce fait sa cible d’une bonne trentaine de mètres. Il s’était recouvert de neige afin de se fondre davantage dans le décor. Des bêtes comme Gwarl avaient un flair et un bon, il était donc pure folie de penser que l’on pouvait, sans précautions, se soustraire facilement à ses sens aiguisés.

La silhouette repérée émergea enfin de l’ombre. Le chasseur aux aguets faillit faire feu, mais se ravisa juste à temps en poussant un soupir. Ce n’était pas sa proie. L’animal était plus petit et sa fourrure plus claire comparée aux descriptions et illustrations qui circulaient à Blackwater.

Sa déception fut grande, mais il ne perdit pas espoir pour autant. Gwarl avait sans doute une progéniture dont personne jusqu’alors n’avait soupçonné l’existence. L’homme caressa la gâchette de sa carabine en songeant qu’il était peut-être sage d’empêcher une autre génération de carnassier tueur de prospérer.

Un halètement rauque caractéristique mit brutalement fin à cette perspective. Le temps de se retourner, le trappeur vit sa proie se dresser au-dessus de lui dans une attitude qui ne laisser planer aucun doute sur ses intentions. Gwarl se tenait face à lui, dans toute sa magnificence. La beauté du diable, aurait-on presque pu dire à son sujet. Sa fourrure noire miroitait sous le soleil de midi, ses narines palpitaient de rage et ses yeux jetaient des feux qui auraient alimenté la chaudière d’une locomotive lancée à plein régime.  Quant à ses griffes et ses crocs, ils avaient de quoi rendre jaloux n’importe quel autre prédateur digne de ce nom. Une impression de puissance et de sauvagerie indescriptible émanait de son corps en furie, tendu et prêt à faire un nouveau carnage. « Le salaud, il m’a senti ! »

L’homme brandit son fusil en avant pour abattre l’animal à bout portant, mais d’un coup de patte ce dernier fit voler l’armer au loin. L’homme, lui-même, faillit bien l’imiter. Il roula sur le côté pour éviter une autre attaque qui lui entailla légèrement le flanc. Puis se retrouvant sur le postérieur, il recula tant bien que mal, les griffes du Grizzly creusant entre ses jambes d’inquiétantes tranchées. Il réalisa bientôt que le sol descendait. Il exécuta une roulade arrière, perdit sa toque dans la manœuvre que l’ours s’empressa de déchiqueter comme pour calmer sa faim. L’homme se retrouva le dos contre un arbre. Il n’eut que le temps de baisser la tête pour éviter de la perdre. Les griffes de son adversaire sabrèrent le tronc dont il ne resta qu’une maigre souche.

Le chasseur devenu proie se sentant à nouveau maître de lui, se nourrit de l’adrénaline du combat pour en tirer sa plus grande force. Il dégaina son couteau de chasse et se jeta contre le poitrail de la bête. Cela lui fit l’effet de percuter un mur d’enceinte. Mais lorsque la lame s’enfonça, Gwarl produisit un hurlement prodigieux qui en disait long sur sa colère et sa douleur. L’instant d’après, il projeta le trappeur d’un ample coup de patte. L’homme dévala la pente, souillant la neige par endroits du sang d’une nouvelle blessure. Il arrêta sa course au bord d’un torrent dont l’eau glacée eut le don de le ranimer rapidement. Il se redressa en gémissant. L’ours lui avait ouvert la poitrine, manquant peu son cœur. Visiblement, lui aussi avait manqué le sien. Même de sa position, il pouvait entendre aisément l’animal furieux pousser des grondements à la mesure de son courroux. Le trappeur sursauta en entendant un cri aigu juste à côté de lui. Il faillit éclater de rire en voyant un castor trottinait de son allure pataude en direction du cours d’eau.

- Salut, toi !

Il grimaça en sentant sa plaie ouverte.

- Désolé, mais je vais pas pouvoir rester faire la conversation. Ca aurait été avec grand plaisir, mais je ne peux pas laisser le couteau de mon père dans la panse d’un ours qui respire encore.

Il essaya de se relever complètement, mais se tordit sous la douleur. On aurait dit que quelqu’un lui cajolait la peau avec un tisonnier. C’est précisément à ce moment là qu’il remarqua une embarcation laissée à l’abandon à quelques mètres de lui. Et surtout la rame qui reposait à l’intérieur. Il la cassa en deux sur son genou et commença à remonter la pente en appuyant ses pieds bottés sur les troncs d’arbres jalonnant le chemin jusqu’à sa cible.

Gwarl faisait fonctionner son odorat à plein régime. Il sentait le sang, celui de l’homme, mais aussi le sien, chose qui lui était beaucoup moins familière. La lame enfoncée jusqu’à la garde dans son cuir le brûlait comme un morceau de charbon chauffé à blanc, mais elle avait aussi le don de décupler ses réflexes de chasseur. Il retomba sur ses membres antérieurs et commença à descendre en direction du torrent, là où il avait cru voir sa proie tomber. Un mouvement inattendu lui fit lever les yeux.  Instinctivement, il se dressa à nouveau. Il eut le temps de reconnaître l’homme responsable de ses maux, bondissant dans les airs tel un cabri, avant de sentir la pointes de deux lances improvisées s’enfoncer dans sa gorge. Le grizzly s’abattit sur le sol poudreux avec une violence inouïe, soulevant dans sa chute des paquets de neige comme pour conférer à sa mort une allure presque divine.

Le trappeur était retombé sur son flanc blessé, ce qui l’empêcha d’apprécier immédiatement sa victoire. Mais lorsqu’il fut en mesure de rejoindre la carcasse inerte de Gwarl, il esquissa un sourire et récupéra son couteau poisseux des entrailles de la bête.  Jack Marston nettoya la lame, puis l’embrassa en souriant franchement :

- Tu m’en aurais voulu, P’pa, n’est-ce pas ?

 
 
 

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Le Glas sonne toujours Trois fois [Red Dead Redemption FanFic]

Le soleil effleurait le sommet déchiré des falaises rouges de ses doigts de lumière comme un amant attentionné caresserait lascivement le corps d’une femme assoupie à ses côtés, une femme depuis longtemps convoitée.

La chaleur faisait miroiter le sol et l’air tout autour des deux hommes, debouts face à face. Comme dans un duel. Et justement, c’en était un.

Les jambes légèrement écartées, la moustache luisante et le pardessus  fringant, Gordon Blackmore défiait son adversaire du regard en caressant nerveusement la crosse nacrée de son six coups, gagné au poker deux jours plus tôt.

L’autre se tenait droit comme un I, comme pour le provoquer davantage, et mâchonnait un brin d’herbe en lorgnant le levant.

Ou ce type était fou à lier ou c’était un tireur émérite.

Gordon s’en moquait bien, il avait déjà réduit au silence plusieurs représentants des deux catégories. Sa réputation à Armadillo n’était plus à faire.

Les témoins se gardaient bien de prévenir le Marshall officiant dans la ville. Un duel était moins un crime qu’une attraction par ici et moins encore un simple règlement de compte.

Un duel au soleil était de loin la plus belle façon de mourir à cette époque où la sauvagerie des loups n’avait rien à envier à celle des hommes.

Le brin d’herbe fut brusquement éjecté d’entre les lèvres de l’étranger. C’était le signal. Il y en avait toujours un, peu importait sa forme.

Les témoins retinrent leur souffle. Certains, plus téméraires, osèrent se rapprocher de quelques pas, comme pour mieux voir à quoi ressemblait la mort.

Un hardi garçonnet avait même pris congé de ses parents à leur insu pour assister au spectacle. Planqué derrière l’auge des chevaux, il scrutait de ses beaux yeux bleus innocents les deux pistoleros en leur inventant à chacun un passé héroïque.

Sûrement plus reluisant que le véritable.

Le coup partit si vite que les regards les plus vifs furent pris de vitesse. Dans le silence qui s’était fait maître de la rue, la détonation fit l’effet d’une explosion.

Les deux hommes avaient dégainé et ne semblaient pas être blessés. Certains observèrent les canons pour connaître celui qui avait tiré. Le garçonnet vit une mince volute de fumée s’échapper du colt noir et argent de l’étranger. Gordon lâcha son arme et éructa. Sa bouche cracha une giclée de sang et il bascula en avant dans un grand envol de poussière et de tissu.

Alors c’était à ça que ressemblait la mort ?

Les plus désappointés reprirent rapidement leur activité interrompue en se demandant ce qui avait bien pu leur faire espérer autre chose.

Les autres, éblouis par la chute d’un géant, restèrent sur place, le regard accroché sur le cadavre et l’étranger qui rangea son arme fumante dans son étui.

Sa dégaine était celle d’un baroudeur solitaire, mais son assurance et l’expression franche de son visage bronzé dénotait un instinct social des plus aiguisés.

Il ne portait pas de chapeau. Ses cheveux blonds étaient singulièrement longs et ses vêtements aux couleurs passées lui conféraient l’allure d’un vagabond.

Le genre de type dont on ne se méfiait pas. Pas assez.

Gordon Blackmore venait de faire les frais de cette erreur. Il aurait pourtant dû savoir depuis le temps qu’une bonne main au poker pouvait être synonyme d’aller simple en Enfer pour qui contestait un peu trop la fortune des autres.

Le goudron et les plumes, c’était dépassé. Dommage pour Gordon. Il apprendrait à voler autrement, désormais.

L’étranger venait de s’agenouiller auprès du corps inerte du joueur invétéré. Ses mains expertes fouillèrent ses habits poussiéreux. Il en extirpa quelque chose qu’il dissimula bien vite dans sa besace avant de poser son regard perçant sur le garçonnet ébahi.

- Tu devrais rentrer chez toi, petit. Tu es un peu trop jeune pour voir de telles choses. Si j’avais su, j’aurais attendu que tu partes. De si beaux yeux ne devraient pas être souillés par cette parodie de justice.

L’étranger avait une voix plutôt douce qu’il s’efforçait visiblement de durcir pour paraître plus effrayant.

Il se leva, jeta un dernier regard à l’enfant fasciné, avant de pousser les portes battantes du saloon.

 

L’étranger s’installa nonchalamment au comptoir en ignorant l’attention dont il faisait l’objet.

- Un whisky !

- Offert par la maison ! lança le barman, jovial. Ce Blackmore m’a toujours fait l’effet d’une sale crapule, sans cesse dans l'attente d’un mauvais coup. Il rançonnait d’honnêtes gens depuis trop longtemps avec ses jeux et ses paris stupides. Je suis content que quelqu’un ait fini par lui clouer le bec une bonne fois pour toutes.

Sa mine s’assombrit lorsque deux hommes entrèrent dans la salle.

Ils portaient des chapeaux ronds et affichaient une élégance relative. Leur costume avait connu des jours meilleurs et sans doute qu’eux aussi à en juger par leur rictus commun. L’un d’eux sortit son arme et pulvérisa le verre que l’étranger s’apprêtait à vider.

- Gordon Blackmore était peut-être une grande gueule et un flambeur, mais ce qui est sûr c’est qu’il ne méritait pas de finir troué par un traîne-savate dans ton genre.

- Pourtant, c’est bien lui que le croque-mort est en train d’embaumer.

L’étranger lécha l’alcool qui avait aspergé son visage avec une lenteur provocatrice.

- Dans quelques minutes, ce sera ton tour, blondinet de mes deux !

Une seconde plus tard, les deux comparses de Blackmore ressortirent du saloon, avec chacun une balle dans le cœur.

- J’avais très soif, déclara l’étranger comme pour justifier sa justice expéditive aux clients attablés. Et quand j’ai très soif, je suis très susceptible.

Le barman lui servit un autre verre tout en fixant les portes battantes qui grinçaient encore.

- Tu as un nom, l’étranger.

L’intéressé vida son verre d’un trait avant de se coller un nouveau brin d’herbe entre les dents.

- Ouais.

- Lequel ? fit le commerçant, éberlué.

- Way, c'est mon nom. Je m’appelle William Way. Et j’ai encore pas mal de chemin à faire. Alors, ne m’en veuillez pas si je ne reste pas plus longtemps dans votre charmante bourgade.

Sur ces mots, il quitta l’établissement et il ne fut bientôt plus qu’une silhouette indistincte à l’horizon, un mirage comme on peut en voir tant d’autres du côté de Cholla Springs.

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dimanche, 07 février 2010

La Naissance de Morpho [Nouvelles/Le Combat du Papillon]

 

 

« Dieu fit la liberté, l'homme fit l'esclavage. »

 

                                                          M.J.Chenier, Fénelon

 

 « Et quand tes fils sont condamnés aux fers et plongés dans l'obscurité du cachot humide,

ils sauvent la patrie par leur martyre et la gloire de la liberté ouvre l'aile à tous les vents. »

 

                                            Lord Byron, Le prisonnier de Chillon

 

 

« Ce que la lumière est aux yeux

        ce que l'air est aux poumons

             ce que l'amour est au cœur

                 la liberté est à l'âme humaine. »

 

                                    R.G. INGERSOLL, Progrès

 

 

 

   J'étais noir.

   J'étais esclave.

   Et à l'époque, c'est tout ce que j'étais.

Du moins aux yeux de ceux qui nous opprimaient, moi et mes compagnons.

Nous travaillions dans les plantations, sur les voies de chemin fer, dans les carrières, partout où la vigueur de nos bras pouvait accomplir son œuvre.

Lorsque nous n'étions pas assez vigoureux ou assez rapides, ils avaient recours aux menaces. Et si cela ne suffisait pas, il y avait toujours le fouet.

Je connais bien sa morsure. Elle m'a longtemps accompagné.

J'étais parmi les plus assidus au travail, mais cela ne les empêchait pas de me flageller régulièrement. C'était un moyen efficace pour encourager les plus lents à redoubler d'efforts.

Je n'en voulais à personne, en aucun cas à mes compagnons. Je ne gardais aucune rancœur.

C'était une condition et je l'acceptais, résigné. J'espérais, toujours en secret, qu'un jour ou l'autre ma docilité serait récompensée.

D'une manière ou d'une autre.

Mais mon obéissance aveugle finit par se retourner contre moi.

 

Mes compagnons finirent par voir d'un mauvais œil ce qu'il prenait à tort pour du zèle. Ils ne me faisaient aucun reproche de vive voix, mais leurs regards parlaient pour eux.

Non seulement, je n'étais pas libre, mais très vite, je me sentis plus seul que jamais.

Seul au monde.

C'est à partir de ce moment que naturellement, comme un réflexe de survie, j'ai tourné mon regard vers l'intérieur. Et là, j'ai eu accès à un monde nouveau qui avait toujours été là, mais dont j'avais ignoré l'existence.

Ou plutôt que j'avais oublié.

J'ai commencé à faire des rêves étranges.

Je découvrais des paysages magnifiques, des forêts, des montagnes, des océans.

Je les survolais.

Mon âme était libre et rien ne lui était impossible.

Je goûtais à toutes les joies de la délivrance, des joies que sur terre je n'aurais même pas pu imaginer.

Le réveil était violent. Comme une déchirure.

Je me retrouvais enchaîné, entouré de gens qui me méprisaient.

La douleur était atroce.

Je maudissais le jour et je bénissais la nuit.

 

Tandis que j'abattais ma part de travail, je songeais aux splendeurs que j'allais pouvoir retrouver dès l'instant où je pourrais fermer les yeux et m'abandonner au sommeil.

Plus d'une fois, j'endurai le mépris de mes frères et le fouet de nos tortionnaires en m'imaginant dans ces contrées, délivré de toute entrave.

La vie me permettait de rêver et le rêve me permettait de vivre.

Mon sort devint dès lors plus supportable. D'autant que je me découvris un don nouveau.

Je pouvais parler aux animaux.

Passant nos journées en pleine nature, il était courant de faire des rencontres avec la faune locale. Je m'aperçus que les petits animaux n'étaient pas effarouchés par ma présence et que la proximité des plus grands ne m'effrayait pas. Bien au contraire.

C'est parmi les bêtes que je me fis mes meilleurs amis. Car contrairement aux hommes, les bêtes, elles, ne vous jugent pas. Elles vous acceptent ou vous rejettent, mais elles ne vous condamnent jamais.

Les liens privilégiés que je nouai avec un certain nombre de rongeurs, de chats et de chiens sauvages et même d'oiseaux commença à attirer l'attention.

Evidemment, je me serais bien passer de me faire remarquer davantage.

On commença à murmurer dans mon dos. Me prenait-on pour une sorte de sorcier ?

Les oppresseurs, nos maîtres, exprimèrent cruellement leur antipathie vis-à-vis de mon empathie.

 

Un jour, ils exécutèrent froidement et sous mes yeux plusieurs animaux auxquels je m'étais attaché. Ils n'admettaient pas que je puisse trouver une distraction, un exutoire.

Ils voulaient que je souffre et ils voulaient me voir souffrir.

Malgré moi, je leur donnai satisfaction.

Cela parut soulager tout le monde.

Tout redevint comme avant.

Les hommes se remirent à chanter.

Et le fouet à siffler.

Et le sommeil venait me délivrer de mon martyre.

 

Un autre jour, alors que nous établissions un campement en pleine forêt, un de nos maîtres surprit une ourse en maraude. Je sus intuitivement que c'était une femelle. Craignant pour la vie de ses petits, elle voyait d'un mauvais œil la présence d'hommes - qui plus est armés - à proximité de sa tanière. J'étais, hélas, fait pour la comprendre.

Bien entendu, le maître en question n'avait aucune chance face à la furie de l'animal. Je me réjouissais presque de voir le malheureux mis en pièces, moi qui n'ai pourtant jamais eu aucun goût pour la violence.

Lorsque je vis les fusils se lever pour abattre l'ourse, je réagis sans même y penser.

Je m'approchai de la bête furieuse et sans un mot, lui communiquai mon désir de la voir calmée. Je parvins à la rassurer et comprenant que sa vie et celle de ses petits n'étaient pas menacées, elle retomba sur ses puissantes pattes et fit demi-tour.

Cet exploit aurait dû faire de moi un héros.

Tout du moins, un homme de valeur.

Las. Je devins la bête noire.

On pensa même que c'était moi qui avais attiré l'ourse dans l'intention de semer la panique et permettre ma fuite. Je ne trouvai aucun avocat parmi mes compagnons.

Me mépriser leur faisait du bien car cela ne leur coûtait rien. Aucun coup de fouet à redouter. Alors c'était une raison suffisante pour eux de se comporter ainsi avec moi.

Je devins un homme maudit, banni de son propre clan.

Il ne me restait plus rien pour soulager ma peine. Sans soutien d'aucune sorte, je faiblissais et ne tardai pas à rejoindre les plus lents.

Le sort s'acharnait contre moi.

 

L'espoir me revint ce fameux jour où l'un de nos plus vieux frères tomba de fatigue.

Les maîtres ne voulurent rien savoir. Nous avions déjà pris du retard sur les travaux à cause de la chaleur.

Le fouet claqua une fois, puis deux.

Il n'y eut pas de troisième fois.

Voyant là l'occasion idéale de reconquérir l'estime de mes compagnons et de sauver la vie de l'un des plus estimés, je méprisai les conséquences d'une telle entreprise et me jetai de tout mon poids sur le tortionnaire.

Il me fit regretter mon geste. Des coups de bâton se mirent à pleuvoir sur moi.

N'eut été l'outil que je représentais à leurs yeux, nul doute qu'ils m'eurent frappé à mort, sans l'once d'un regret.

Je perdis connaissance.

 

Lorsque j'ouvris les yeux, je demeurai curieusement dans le noir.

A l'écoute des sons environnants, nul doute pourtant que le jour se fut levé.

Je reconnaissais la brûlure familière du soleil sur ma peau.

Mais je ne voyais rien.

Manifestement, ma tête n'était pas encore remise des effets de ma récente bastonnade.

L'obscurité se prolongeant tout autour de moi de manière inquiétante, je songeai avec terreur que mon cerveau avait pu être atteint trop fortement.

J'appelai à l'aide, paniqué par cette éventualité.

Un maître vint.

- Je suis aveugle, dis-je. Je ne vois rien.

J'entendis le maître sourire.

- Je sais. C'est moi qui tenais le charbon ardent.

Cette déclaration me coupa la respiration. Je tombai à genoux.

J'avais perdu la vue. Définitivement. Ils me l'avaient volée.

C'était ma punition. Ma bravoure m'avait coûté le dernier bien qui me restait.

Je crus mourir.

 

On peut penser que dans mon état, la besogne qui faisait mon quotidien me serait épargnée.

Aucunement.

La réalité se faisait plus terrible encore.

Alors naturellement, mes rêves se faisaient plus beaux.

Et mes réveils plus douloureux.

Et ainsi de suite.

 

Je ne voyais qu'une solution, qu'une seule issue pour quitter cet enfer.

J'attendis sagement que l'occasion se présente.

Et elle se présenta.

 

On nous chargea de réparer un pont.

Beaucoup de mes compagnons avaient le vertige.

Pour moi, le problème ne se posait même pas.

Je fus conduit sur la construction.

Je n'avais pas besoin de voir pour accomplir ma tâche. Mes mains étaient mes yeux et elles oeuvrèrent avec habileté.

Tous mes autres sens en alerte, je m'efforçai de repérer le bon moment pour agir.

Un incident survint. Il y eut un craquement. Des voix.

Une planche avait cédé sous le poids d'un homme.

Une aubaine inespérée.

On répara la planche. Mais par bonheur, je trouvai sa sœur jumelle.

Je tus ma découverte, priant pour que mon secret demeure intact.

 

Le lendemain, je retrouvai l'endroit précis.

Le maître responsable de ma cécité vint me railler sur mon handicap. C'était devenu son nouveau jeu et il y prenait beaucoup de plaisir.

Je me souviens avoir souri avant de lui dire :

- Vous avez peut-être pris mes yeux, mais vous n'aurez jamais mon âme.

Puis j'ai sauté de tout mon poids sur la planche pourrie.

Nous sommes tombés tous les deux.

Une chute mortelle.

Mais je n'ai rien senti.

A l'instant où mon corps a touché le sol, mon âme s'est envolée.

J'ai déserté mon corps, recouvrant la vue et la liberté.

Mes rêves sont devenus mon quotidien.

Plus besoin d'attendre la nuit et le sommeil pour les rejoindre.

J'ai retrouvé mes amis les animaux. J'ai pu de nouveau parler avec eux.

Je me suis aussi découvert un don nouveau.

Je pouvais devenir l'animal que je voulais être.

Cette capacité à me métamorphoser a décidé de mon nom, j'imagine.

A moins que cela ne vint des magnifiques ailes de papillon dont je devins l'heureux acquéreur.

 

A l'instant où mon corps a touché le sol, mon âme s'est envolée.

Et elle vole toujours.

 

   J'étais noir.

   J'étais esclave.

Mais aujourd'hui, cela ne signifie plus rien pour moi.

Car mon âme est libre.

Et l'âme n'a pas de couleur.


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vendredi, 05 février 2010

La Naissance de Monarque [Nouvelles/Le Combat du Papillon]

 

« J'ai souvent regretté qu'il n'existât pas des dryades ; c'eut infailliblement été avec elles que j'aurais fixé mon attachement. »

 

                   Jean-Jacques Rousseau (Les Confessions)

 

 

J'étais un libertin.

Un noceur.

Avec tout ce que cela sous-entend de débordements, d'inconséquences.
Et de dépravations.

Mais j'étais heureux.

Du moins en étais-je convaincu.

Je goûtais à tous les plaisirs.
Sans crainte, sans doute et sans regret.
Je ne connaissais aucun tabou, aucun interdit.

J'obtenais ce que je désirais et je désirais ce que j'obtenais.
Rien ne me freinait.

Et si ma conduite indisposait quelqu'un, cela était rapidement et proprement réglé.

Au pistolet, s'il s'agissait d'un homme.

Au lit, s'il s'agissait d'une femme.
Dans les deux cas, je remportais toujours le duel.

J'étais fin tireur.

Ma réputation se répandit comme une traînée de poudre.
Ma compagnie devint un bien très convoité.

J'avais une certaine fortune et un charme certain.

Ce qui ne gâchait absolument rien.

Les hommes m'enviaient ma table.

Les femmes, mes murs.

Les uns comme les autres ma capacité à les séduire par ma seule présence.

Je n'étais pas roi.

Mais je possédais une cour que le monarque lui-même devait me jalouser.

Plus tard, je lui ravirai même ce titre.

 

Une nuit, pourtant, toute cette existence bascula.

Je fis un rêve qui devait changer ma vie à jamais.

Ma vie et surtout mon âme.

 

Dans ce rêve, j'atteignais un endroit d'une beauté sans pareille.
Des arbres immenses et majestueux montaient jusqu'au ciel. Les rivières étaient peuplées d'étoiles, cascadant des nuages et les pétales colorés des fleurs étaient de somptueux papillons qui s'envolaient à mon approche.

C'était comme de marcher dans un vivant poème.

Quelque chose m'avait attiré en ces lieux.

Quelque chose d'important, de vital.

D'inévitable.

L'air était empli de senteurs enivrantes.

Un orchestre invisible jouait une symphonie aux accents enchanteurs accordés à la beauté du paysage dans lequel je m'enfonçais.

A un moment donné, je me suis arrêté au bord d'une rivière, moins pour me désaltérer que pour goûter l'eau dont je devinais la saveur.

Je ne me trompai pas.

Elle était en effet d'une fraîcheur exquise, revigorante. Meilleure en tous points que tous les alcools dont j'avais le loisir d'abuser.

Lorsque je relevai la tête, elle était là, de l'autre côté de la rivière, m'épiant de ses grands yeux dorés. Ses longs cheveux, ainsi que son corps entier, semblaient parfaitement se fondre dans le sous-bois environnant. Seuls ses beaux yeux de biche ressortaient clairement de la nature dans laquelle elle savait si bien se dissimuler.

C'était une nymphe. Une dryade.

Je le sus intuitivement.

Alors mon cœur se mit à battre très fort.
J'eus le sentiment de redevenir un enfant.
Pur, innocent.

Je ne pouvais détacher mon regard de ces yeux, de ce visage.

Ce fut comme une révélation pour moi.

Mon émotion fut si forte qu'elle m'éveilla.

 

Je me retrouvai dans un lit. Des corps de femmes nues étaient couchés près de moi, figés dans des poses obscènes qui me rappelèrent une longue soirée d'orgies.

Je me levai et quittai cette couche impie, en proie à une panique sans nom.

A cet instant précis, j'eus l'horrible sentiment de retomber en enfer, moi qui avais connu le paradis.

Le choc fut terrible.

Je découvris qui j'étais, quelle vie j'avais menée jusqu'alors.

Une vie sans scrupule, sans morale.

Et cette vérité me terrassa littéralement.

Je connaissais mon âme. Je l'avais rencontrée dans ce rêve. J'avais vu sa beauté. Je ne pouvais plus l'ignorer. Mais j'avais un corps qui la retenait prisonnière et faisait de moi un véritable monstre de perversité.

Pendant des années, je m'étais comporté avec la plus parfaite insouciance, prônant le vice, l'érigeant en éducation.

Je m'étais fait geôlier, puis bourreau de mon âme.

Ma nature profonde enfin révélée, il m'était désormais impossible de me conduire comme avant.

Tout du moins, c'est ce que je crus.

Les habitudes revinrent vite.

Si j'avais pu être seul un certain temps, j'aurais pu sans doute m'absorber dans quelque réflexion salutaire. Mais je ne l'étais jamais. Je n'avais jamais ressenti le besoin de l'être auparavant. Des hommes et des femmes étaient sans cesse à mes côtés.

Pour ne pas dire plus près.

Pris dans le tourbillon de ma vie de débauche, j'oubliai mon âme.

Jusqu'à ce que je m'endorme.

Alors elle reprenait tous ses droits et profitant de l'inertie de mon corps épuisé de ses excès, me conduisait naturellement où était ma place et où m'attendait mon destin.

Car bien heureusement, je la revis. La nymphe.

Elle se baignait dans une rivière, son beau corps nu aux couleurs de la forêt dont elle était gardienne, sa chevelure verte et épaisse comme un doux lit de mousse se déversant dans l'onde pure.

Lorsqu'elle sentit qu'elle n'était plus seule, les pétales vivants des fleurs environnantes s'envolèrent et vinrent la couvrir de leur parure multicolore.

Lorsqu'elle se retourna, seul son visage était visible.

Son visage et ses yeux dont le regard me transperçait le cœur avec la vélocité et la précision d'une flèche.
Et son carquois était rempli.

Mais mon regard n'avait rien à envier au sien, comme je devais l'apprendre plus tard.

Mon cœur battant comme un soufflet de forge, je la vis s'avancer vers moi avec une grâce surnaturelle.

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  Elle était si belle.

Le vêtement qu'elle portait, vivant et animé, chatoyait par instant lorsque les papillons le composant faisaient battre leurs ailes.

La magie était palpable.

Je fus convaincu de vivre le plus beau moment de ma vie.

Elle était si près de moi lorsqu'elle s'arrêta. J'étais paralysé, enraciné au sol.

Comme un chêne.

Je me demande encore comment j'ai pu trouver la force de parler dans de telles circonstances.
Sans doute craignais-je de ne plus jamais en avoir l'occasion.

- Je voudrais devenir comme toi.

Elle m'étudia longuement, moi ainsi que la déclaration que je venais de lui faire.

- C'est impossible.

Ses lèvres avaient à peine bougé. Sa voix avait la douceur d'une caresse.

Sa réplique, elle, me glaça.

- Pourquoi ?

A mon tour, je l'observai intensément, espérant peut-être influencer sa réponse.

Elle parut horrifiée.

- Parce que, moi, je n'ai jamais été comme toi.

A cette annonce, mon cœur se fendit et je sentis des larmes sourdre de mes yeux. A mon grand étonnement, elles ne coulèrent pas, mais remontèrent vers le ciel.

Elle sembla s'amuser de ma réaction. En ces lieux, ce phénomène était naturel.

Je fermai les poings. J'étais décidé à ne pas renoncer au paradis qui s'offrait à moi.

Dans cette forêt, je me sentais chez moi.

En paix.

- Je veux rester ici, implorai-je comme un enfant. Avec toi. Je ne veux pas retourner d'où je viens. Je préfère mourir plutôt que d'y retourner.

Ces grands yeux d'ambre me dévisagèrent alors gravement.

- C'est ce qu'il te faudra faire si tu souhaites rester ici, avec moi. Il te faudra mourir. Car tant que ton âme sera liée à ton corps, elle sera soumise à la réalité dans laquelle il demeure.

Je soupirai.

- Comment ? Si mon destin est de mourir vieux, je ne pourrais supporter de quitter sans cesse ce royaume pour retomber dans l'autre monde. Je ne pourrais le supporter.

Sa main effleura la mienne.

Mon cœur se mit à chanter malgré la peine qui m'accablait.

- Tu viens de te répondre. Ta souffrance te fera trouver le moyen.

Je serrai sa main comme on se raccroche à la vie.

- J'ai pourtant si peur de ne pas y parvenir. J'ai si peur de perdre mon âme et le chemin qui mène jusqu'à toi.

A son tour, elle me serra la main.

- Alors je vais t'aider à ne pas les oublier.

Elle pencha ma tête vers la sienne et déposa ses lèvres sur les miennes.

L'émotion de ce baiser me traversa de toutes parts.

 

Lorsque j'ouvris les yeux, elle avait disparu. La forêt aussi.

Je me retrouvai à nouveau dans un lit encombré de corps nus d'amantes lascives.

Un vertige me prit. Et une envie de vomir.

Je trouvai un coin où me blottir et là, repensant à ma nymphe, à notre conversation et à la chaleur de son baiser, je versai toutes les larmes de mon corps.

Et celles-là ne remontèrent pas vers le ciel.

 

Je perdis rapidement la notion du temps ainsi que le goût de toutes ces bassesses qui jusqu'alors avaient constitué ma vie.

Je redevenais moi, l'essence de moi.

Ce qui ne se faisait pas sans douleur.

Une lutte terrible avait lieu en moi. Celle de mon âme revenue à elle-même et ce corps, cette enveloppe physique sordide, alimentée par le péché, souillée par la perversion, attentive à toute tentation, de l'emprise de laquelle je ne pouvais me défaire qu'en plongeant dans les bras de Morphée, jusque dans son esprit, seul endroit où je savais trouver la paix, la liberté.

Et l'Amour.

 

Bien souvent, je prétextai une fatigue imaginaire ou un mal qui n'était que chimère pour m'étendre seul et profiter de ces siestes afin de rejoindre mon paradis intérieur.

Las.

Pour mon plus grand malheur, par mes soins passés, j'avais rendu ma cour bien trop fidèle à ma présence pour espérer me voir privé d'elle au-delà de quelques instants.

Mes rêves étaient interrompus, toujours prématurément.

Au réveil, la douleur de la séparation cédait rapidement la place à la plus vive des colères. Bien évidemment, mes sujets ne comprenaient pas mon attitude.

Et ils en auraient été bien incapables.

Cela ne faisait qu'attiser mon ire.

Et dans ces moments de fureur indomptable, seuls les plaisirs les plus vils étaient capables de me rasséréner. Mais c'était une consolation provisoire et néfaste, car une fois contenté, je revenais à moi, épris de remords, la conscience torturée et je maudissais ma faiblesse.

Victime d'un cercle en tous points vicieux, je me sentais proche de la mort sans pourtant jamais l'atteindre.

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 J'ignore combien de temps il s'écoula.

Il n'existait plus qu'un seul temps pour moi. Celui où je pouvais la voir, la retrouver, même de brefs instants. Le reste n'était qu'une attente douloureuse et impie.

Mais la chance finit par poindre à l'horizon, sous une forme des plus improbables.

Un jeune homme se présenta à moi. Un artisan.

J'avais abusé de son épouse. Il demandait réparation. Par les armes.

Il n'avait pas froid aux yeux car il connaissait ma réputation.

Auparavant, je l'aurais à peine regardé et aurais ordonné à l'un de mes valets de se charger de la formalité. Mais j'entrevis en cet homme en apparence simple, le plus grand espoir, une opportunité que je n'attendais plus.

Sans le savoir, il pouvait me permettre de réaliser mon vœu le plus cher.

Oui, l'occasion était trop bonne pour ne pas la saisir.

La haine que j'inspirais à l'offensé était manifeste. Un sentiment de vengeance évident l'animait. Au moins étais-je en mesure de le comprendre. Si elle me fit trembler au premier abord, sa détermination eut ensuite le don de me conforter dans ma décision.

Je pensai faire d'une pierre deux coups.

J'avais changé. Je n'étais plus le même homme. Ce que j'avais fait subir à cet artisan et à sa femme m'épouvantait au plus haut point. Je le regrettai sincèrement et profondément tant que l'idée me vint naturellement de présenter mes excuses.

Mais en fin de compte, j'allais faire bien mieux que cela.

 

Le jour convenu du duel, mes fidèles écuyers tentèrent de me dissuader de m'engager pour si peu. Leur rappelant ma légendaire habileté et leur précisant que je voyais en cette rencontre un divertissement digne de moi, ils ne trouvèrent plus aucune raison d'insister.

Ils finirent même par se dire que cela allait m'aider à redevenir le joyeux luron dont je n'étais plus que l'ombre.

 

A l'heure convenue du duel, nous nous présentâmes, chacun accompagné de nos témoins, à l'orée d'une forêt.

Une forêt. Cela me fit sourire.

Je pensai instinctivement à ma nymphe qui m'attendait dans la sienne.

Bientôt, me dis-je. Bientôt.

Etant l'offensé, l'artisan eut la primeur du premier coup de feu.

Il me manqua.

J'ignorais s'il était exercé. Je l'espérai profondément.

Sa volonté de me châtier jouait assurément en sa faveur.

Je tirai à mon tour. A la surprise de tous, je manquai ma cible.

D'un sourire, je rassurai mes témoins. Ils interprétèrent alors ma maladresse comme une volonté de ma part de prolonger le jeu et ainsi donner de faux espoirs de victoire à mon adversaire.

Nous nous rapprochâmes.

La distance entre nous était encore conséquente, mais je pouvais lire aisément l'expression peinte sur le visage de l'artisan bafoué.

Il voulait ma mort. Ni plus, ni moins.

Il l'ignorait, mais il détenait le pouvoir de se venger autant que celui de me libérer. Il était mon Charon personnel, mon passeur, non pour les enfers - puisqu'il allait me permettre de les quitter - mais bien pour le paradis.

J'entendis le coup de feu. Puis plus rien.

L'artisan avait disparu ainsi que nos témoins respectifs.

Seule la forêt demeurait. Mais elle était métamorphosée. D'une beauté céleste étrangement familière.

Le pistolet n'était plus dans ma main.

Je compris que mon passeur avait fait son office. Nul doute que la joie devait le submerger. Une joie qui ne pouvait avoir d'égale que celle qui me remplissait à l'instant où je me précipitai pour retrouver ma nymphe, ma dryade, ma fée.

Elle m'attendait, rayonnante, comme si elle avait deviné ce qui s'était passé.

Elle me savait libéré.

Nous tombâmes dans les bras l'un de l'autre. La forêt toute entière sembla faire écho à notre bonheur.

Alors ma poitrine s'ouvrit et mon cœur inonda ma nymphe d'une lumière opaline. Lorsqu'elle s'estompa, j'avais devant moi une femme d'une grande beauté aux longs cheveux noirs moirés de vert. Je remarquai aussi que ses paupières étaient fardées et ses lèvres peintes de la même teinte.

C'était bien ma nymphe, mais mon amour pour elle l'avait transfigurée. Elle était devenue un peu moi.

- Comment t'appelles-tu ?

Elle examina son nouveau corps avant de répondre :

- Je m'appelle Vanesse. Reine du Cœur.

Alors sa poitrine s'ouvrit et son cœur m'inonda d'une lumière opaline d'où j'émergeai, transfiguré.

Je me baissai pour examiner mon nouveau corps. J'étais nu, d'une blancheur virginale et dépourvu de sexe. Et tandis que j'admirai mon apparente pureté, tels les pétales d'une fleur, deux ailes de papillon à mes dimensions s'ouvrirent majestueusement dans mon dos.

J'étais devenu un peu elle.

Je m'aperçus, qu'à mon instar, elle arborait elle aussi des ailes de papillon aux couleurs chatoyantes.

Peut-être parce que je la considérais comme ma fée.

Cette vision me fit pleurer et je souris avec elle en voyant mes larmes s'orienter vers la cime des arbres.

- Je m'appelle...Monarque.

Le sourire de Vanesse d'élargit.

- Roi des larmes !

 

Nous étions désormais fée l'un pour l'autre.

 

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lundi, 01 février 2010

1. Johnny Behemoth contre Dr Nuke

 

Chapitre 1 : Rien que pour vos capsules

 

Un soleil de plomb. Une fournaise.  Un sol craquelé, habillé de chétifs arbustes menaçant de s'embraser à tout moment. Et pourtant l'homme marchait, seul, nullement incommodé par l'atmosphère suffocante de cette contrée qu'il semblait connaître sur le bout des doigts, dont il semblait être devenu le parfait habitant.

Il s'arrêta un instant au-dessus d'un cadavre pour lui arracher le maigre trésor que ses lambeaux retenaient encore captif et qui avait échappé par miracle à l'avidité des  raiders et des récupérateurs.

- T'en auras plus besoin, mon gars, observa-t-il d'une voix éraillée.

Puis il se remit en marche, ignorant qu'il faisait depuis peu l'objet de toutes les convoitises.

Johnny jeta un œil dans la lunette de son magnum 44 amélioré.

C'était un mercenaire de la vieille école préférant les armes démodées qui faisaient encore leurs preuves aux dernières technologies, excepté un certain attrait pour une gatling laser baptisée Emma qui rouillait présentement dans un sous-sol en attendant de pouvoir être réparée. Les pièces manquantes étaient rares, cette arme ne figurant généralement que dans l'équipement de l'Enclave ou celui de la Confrérie de l'Acier.

Il respectait trop la confrérie pour aller la dépouiller. Il ne portait pas l'Enclave dans son cœur, mais ses troupes étaient solidement armées et organisées en conséquence. Les déposséder de leur armement restait une tâche risquée, même pour un aventurier de sa trempe. En attendant une opportunité digne de ses attentes, il se faisait la main sur des bandes isolées de maraudeurs. Un passe-temps comme un autre pour un homme qui avait eu l'infortune de naître après l'holocauste.

Rocky aboya. Johnny poussa d'une pichenette la boîte de haricots et le chien fourra son museau à l'intérieur. Reprenant son observation, il décela plusieurs silhouettes accroupies derrière des carcasses de voitures.

- Ce pauvre type se dirige droit vers une embuscade.

Il avait dit cela d'un ton détaché, comme faisant un simple constat, tout en regardant Rocky faire un sort aux haricots froids.

- Avec un peu de chance, je vais peut-être récupérer quelques munitions pour mon fusil.

Sous l'excitation, son corps se tendit un peu, faisant crisser son armure de cuir.

Un fusil d'assaut chinois barrait son dos et son omoplate droite s'ornait d'un fusil à canon scié dans son holster.

Johnny caressa son visage mal rasé, puis ses rares cheveux teintés par des années passés à arpenter les Terres Désolées sous l'implacable canicule.

Il cracha une giclée de sauce entre ses dents.

- Rocky ! A toi de jouer. Tu connais la méthode.

A l'écoute de son nom, le chien délaissa la boîte de conserve, saisit entre ses mâchoires la boîte à sandwiches que lui tendit son maître, puis commença à dévaler la pente poussiéreuse.

- Regarde, Carl, y a un clebard qui s'amène.

Le raider indiqua du doigt le chien qui était en train de les rejoindre. L'intéressé plissa son seul œil valide. Ses trois compagnons se regroupèrent autour de lui.

Ils portaient tous une armure hétéroclite faite de bouts de métal et de cuir qui leur donnait une allure barbare délibérée. Leur casque et leur coiffure ne faisaient que rajouter à cette impression.

L'un d'eux pointa son fusil de sniper sur l'animal.

- Il a quelque chose dans la gueule. On dirait une boîte.

Le chef des pillards arbora un sourire qui avait dû être séduisant dans une autre vie.

- Il a dû dénicher un truc intéressant sur un cadavre. Il va sûrement aller l'enterrer. Je crois que c'est vraiment notre jour de chance les gars.

L'un de ses hommes s'énerva.

- On a qu'à lui prendre tout de suite !

Carl se contenta d'un regard pour le remettre à sa place.

- On attend sagement.

- Chef, je l'ai dans ma ligne de mire, fit le sniper.

- Si tu tirais aussi bien que tu bois, il y a longtemps que je t'aurais ordonné de l'abattre, Freddy !

Le chien s'arrêta à mi chemin entre les raiders et le vagabond solitaire. Il commença à gratter le sol, soulevant un nuage de poussière.

Johnny sourit.

- Bien, Rocky. T'as tout compris !

Le sniper déplaça son canon.

- Merde ! Je crois que le type vient de voir le chien. Il court droit vers nous.

Carl ricana.

- Ce con va essayer de nous piquer notre trésor. C'est parfait. On fera deux prises en un coup.

- Merde ! lâcha Johnny entre ses dents. Ca c'était pas prévu au programme.

L'étranger siffla pour appeler le chien. Rocky l'ignora superbement. Une fois la boîte ensevelie, il courut rejoindre son maître.

- Qu'est-ce qu'on fait, Carl ?

- Tue-le ! ordonna froidement le leader des raiders.

Freddy pointa son fusil de sniper en direction du vagabond. Il but une rapide gorgée de nuka cola quantum au goulot et fit feu.

Le vagabond poussa un cri et s'écroula en se tenant une jambe.

Le sniper sentit le poids du regard de Carl sur lui au point que ses épaules s'affaissèrent.

- Crétin ! Allez l'achever et récupérez-moi cette boîte !

Les trois raiders eurent tôt fait de s'exécuter. La colère de Carl était aussi redoutable qu'un écorcheur.

Freddy s'agenouilla et commença à déterrer l'objet. Les deux autres firent mine de se diriger vers le vagabond gémissant.

- Attendez ! Y a un truc bizarre.

Ses compagnons se figèrent.

- Hein ?

Les yeux de Freddy n'en finissaient pas de rouler dans leur orbite tandis qu'il détaillait le contenu de la boîte à sandwich.

- Je peux me tromper, les gars, mais on dirait une grenade. Et on dirait que la goupille est reliée à un fil.

Johnny sourit. A travers la lunette de son magnum, il observait aisément l'étonnement des raiders.

- Bye, bye, les cons !

Il tira sur le fil.

L'explosion souleva une gerbe de terre et des puzzles de corps. Non loin de là, le vagabond commença à ramper pour se mettre à l'abri de la menace qu'il ne pouvait encore identifier.

- L'enfoiré !

Carl empoigna son bâton hérissé de pointes et courut vers l'homme au sol. Pour lui, cela ne faisait aucun doute. Il leur avait tendu un piège à l'aide de ce chien. L'arroseur arrosé en quelque sorte. Et cela, il ne le supportait pas. Il arriva rapidement près du vagabond qu'il retourna d'un coup de pied. Ses yeux s'agrandirent lorsqu'il le dévisagea. Il leva son bâton au-dessus de sa tête :

- Tu vas pas faire de vieux os, face de...

Le canon scié d'un fusil dans sa bouche l'empêcha de rentrer dans les détails.

Johnny fixa Carl avec tout le dédain qu'il réservait aux raiders.

- Tu te demandes certainement qui je suis, hein ?

Rocky s'assit aux côtés de son maître et observa Carl à son tour. Le raider comprit alors qu'il s'était fourvoyé depuis le début. Ça sentait la retraite anticipée pour lui. Et surtout le sapin.

- Je suis le dentiste des Terres Désolées, annonça Johnny.

Il arma son fusil.

- Et je fais pas d'anesthésie !

La balle arracha la tête de Carl et son corps bascula en arrière.

Rocky salua cette victoire d'un aboiement.

Johnny lui tapota la tête.

- Oui, quatre de plus à notre palmarès.

Rocky aboya trois fois.

- Comment ça, trois pour toi ? C'est moi qui ai tiré le fil !

Rocky montra les dents.

- OK, t'énerve pas. Trois pour toi ! Mais la prochaine fois...

- HUM !

Le vagabond venait de se racler la gorge comme pour rappeler son existence.

- Excusez-moi, mais vous avez l'intention de me tuer moi aussi ?

Son visage était comme bouffé par l'acide. Les muscles et les tendons mis à nu. De quoi gerber.

Johnny soupira. Il aida le vagabond à se relever.

- J'ai rien contre les goules.

- Tant mieux, j'ai rien contre les peaux lisses qui me sauvent la vie. Vous avez dit que vous étiez dentiste. Vous seriez pas médecin aussi ?

Johnny jeta un coup d'œil à sa jambe.

- La balle  a traversé. Rien de grave. Comment tu t'appelles ?

- Murphy.

- Moi c'est Johnny. Johnny Behemoth.

La goule ouvrit la bouche.

- Ca alors ! Le célèbre Johnny Behemoth !

Johnny haussa un sourcil.

- Célèbre ?

- Bah, oui. Vous écoutez jamais Galaxy News Radio, Three Dog, la voix des Terres Désolées ?

- Non, j'ai franchement mieux à faire.

Johnny confectionna un garrot qu'il fixa à la jambe blessée de Murphy.

- C'est vrai qu'on vous appelle comme ça parce que quand vous étiez petit vous avez tué un Behemoth, seul et sans arme ?

Johnny serra le garrot et Murphy poussa un cri.

- Non. C'est moi qui ai lancé cette rumeur. J'aurais jamais cru que ça ferait le tour si vite. Les télés ne fonctionnent plus, mais le bouche à oreille fait toujours son effet, on dirait.

Murphy se mit à sourire ce qui accentua davantage son expression de mort-vivant.

Johnny grimaça.

- Je sens que je vais gerber les haricots, dit-il en l'aidant à se relever.

- Pardon ? fit la goule.

- Rien, je me demandais juste ce que vous pouviez foutre tout seul dans un endroit pareil.

Johnny laissa Murphy s'accoutumer à sa blessure et commença à fouiller les cadavres des raiders.

- Je fais un peu de récup'. Comme tout le monde ici, non ?

- Y a des endroits moins risqués, observa le mercenaire.

- Vous croyez ?

- Vous étiez complètement à découvert. Avouez que vous l'avez un peu cherché.

Johnny se remplit les poches et embrassa les cartouches récoltées comme de vieilles amies.

- En fait, je sors rarement. Et pour tout vous avouer, c'est un type comme vous que je cherchais. J'ai pris un risque, mais j'estime que ça en valait la peine.

- Ok, je vois. Vous avez un sale boulot à me refiler. C'est bien payé, j'imagine.

Johnny détourna le regard à temps pour ne pas voir la goule sourire à nouveau.

- Vous jugerez.

Johnny l'interrogea du regard.

- Je dois vous conduire où je vis. Ce n'est pas très loin, rassurez-vous. Je ne fais jamais de grandes promenades.

Rocky émit une plainte.

Comme s'il avait compris, Johnny scruta Murphy avec sévérité.

- Si tu comptes nous emmener à Underworld, tu peux faire une croix sur notre partenariat. J'y ai mis les pieds qu'une seule fois et je me suis...enfin on s'est juré de ne plus jamais y retourner.

- Toutes les goules civilisées ne vivent pas à Underworld. J'habite un petit local dans une station de métro. Northwest-Seneca. Vous connaissez ?

Johnny fit un geste de la main qui pouvait signifier tout et son contraire.

- Ces mercenaires, grommela Murphy.

- Quoi ?

- Rien. Je me demandais juste si on risquait de rencontrer encore du monde sur la route ?

Johnny rechargea son fusil à canon scié.

- J'espère bien, pas vous ?

- Je suis pas armé.

Johnny sourit de toutes ses dents jaunies.

- Maintenant vous l'êtes !

 

 Chapitre 2 : Pour quelques rads de plus

 

 Effectivement la station n'était pas loin. L'hétéroclite trio ne fit pas d'autre rencontre au grand dam de Johnny et de Rocky dont l'appétit d'aventures était insatiable. Murphy, quant à lui, en fut soulagé. Ce genre d'incursion était déjà assez déplaisant comme ça à ses yeux.

Ils passèrent devant une sorte d'épicerie - que Johnny nota mentalement - puis pénétrèrent dans la station en empruntant un couloir enténébré où s'entassaient des vieilleries métalliques.

Ils passèrent un portique et sur leur droite se dessina bientôt une ouverture.

Une goule armée d'un fusil d'assaut et à l'air taciturne se tenait dans l'embrasure.

- Et bien c'est pas trop tôt ! fit-elle de la même voix éraillée que Murphy.

Elle détailla rapidement Johnny et son chien.

- Qui c'est ?

Murphy fit un geste étudié de la main pour le calmer.

- Tout doux, Garrett. Ils m'ont sauvé des griffes des raiders.

- Je t'avais dit de ne pas sortir seul. A quoi je sers, tu peux me dire ?

Murphy fit entrer ses invités dans son atelier, une petite pièce comportant un comptoir et des étagères surchargées.

- Je ne peux pas laisser la boutique sans surveillance. Tu devrais le comprendre depuis le temps.

Le dénommé Barrett grogna et se contenta ensuite d'examiner les nouveaux venus en caressant nerveusement la crosse de son arme.

Tandis que Murphy commençait à fouiller dans son bazar, Johnny jaugea Barrett avec un dédain manifeste. Ce qui déplut forcément au garde du corps :

- On est allergique aux goules ?

Johnny grimaça un sourire.

- Juste à la connerie. Et comme moi, on dirait qu'elle se fout bien des radiations.

Contrairement à Johnny, Barrett n'avait pas l'esprit très affûté. Se sentant insulté, il brandit son arme. Sa tête heurta le comptoir et il s'écroula sur le dos.

Murphy se redressa.

- Hein ?

Johnny pointa son pouce en direction du corps inanimé.

- Je crois qu'il aurait besoin de prendre l'air.

Puis il planta ses yeux dans ceux de la goule, malgré la répugnance que cela lui inspirait.

- Assez perdu de temps. C'est quoi le contrat ?

Son calibre 12 vint souligner la gravité de la question autant que la mâchoire de son probable employeur.

Murphy se recroquevilla avant de le conduire dans un local attenant. Il déploya une bâche et découvrit ce qui ressemblait à une carcasse de moto comme on pouvait en trouver des tas dans les ruines des Terres Désolées. Sauf que celle-ci avait une particularité. Une espèce de siège était soudée au flanc droit du deux roues.

- Ca s'appelle un side-car, annonça triomphalement Murphy.

- Ca me fait une belle jambe.

- Ca peut emmener jusqu'à trois personnes, renchérit le bricoleur.

Johnny croisa ses bras sur sa poitrine.

- Dans tes rêves, sûrement. Perso, depuis le temps que je sillonne ce trou du cul qui nous sert de monde, j'ai pas encore vu un seul bidon de carburant.

Murphy sourit, ravi à l'idée de surprendre un baroudeur de la trempe de JohnnyBehemoth.

- Cet engin ne fonctionne pas avec du carburant ordinaire. Je l'ai trafiqué. Il consomme des cellules à énergie. Normalement on s'en sert pour certaines armes. Mais j'ai découvert qu'en nombre suffisant et avec un peu de modifs, elles peuvent parfaitement faire office de carburant.

Johnny avait le plus grand mal à se décrisper. Les miracles, il y avait belle lurette qu'il n'y croyait plus.

- Tu l'as testé, ton...

- Side-car ! Et bien, en fait pas vraiment. Il me manque juste deux pièces.

Johnny se frappa le front.

- Bah, oui, évidemment.

- Mais, reprit rapidement le savant, ce sont des pièces très répandues. Il me manque simplement un frein et un réservoir de moto.

- Pourquoi un réservoir ? Ya pas d'essence.

Les yeux de Murphy brillèrent derrière ses lunettes.

- C'est pour l'esthétique, voyons !

Les yeux du mercenaire sortirent de leur orbite.

- C'est ça mon boulot ? Tu veux que j'aille chercher deux pièces de moto dont tout le monde se fout royalement !

- Ecoutez, ça n'en sera que plus facile pour vous !

Johnny tourna les talons.

- Allez, viens, Rocky. Y a des raiders qui nous attendent.

Le chien accueillit la nouvelle avec un aboiement enthousiaste.

Alors qu'ils quittaient l'atelier, la voix de Murphy leur parvint :

- Si vous me les rapporter, le side-car est à vous !

Johnny se figea. Il fronça les sourcils, étudia le regard de Rocky avant de revenir se planter devant la goule :

- C'était inutile de le préciser. Cela va de soi !

Murphy tendit une main décharnée.

Johnny surmonta son dégoût et la lui serra brièvement.

- Dites-moi, pendant que j'y pense, vous n'auriez pas récupéré des bombes sucrées durant vos déambulations ? Je mets au point un truc très sympa pour booster les capacités. Mon fournisseur habituel est quelqu'un de très occupé et ça fait un moment que je ne l'ai pas vu. On parle beaucoup de lui aussi sur Galaxy News radio.

Johnny secoua la tête.

- Rien trouvé qui mérite ce nom. Et votre fournisseur, il en a un de nom ?

- On l'appelle l'habitant de l'abri 101. Ne vous inquiétez pas. Ses exploits ne vous font pas encore de l'ombre.

- Tant mieux, grogna le mercenaire. Manquerait plus que je croise un nerveux de la gâchette comme moi !

Johnny sembla méditer, ce qui en règle général signifiait qu'il cherchait où se trouvait son intérêt.

- Ce truc très sympa, c'est quoi exactement ? T'as un peu de stock ? Parce que, si je dois me balader pour ton compte autant que tu me fournisses l'équipement adéquat.

Murphy parut à son tour réfléchir. Il finit par émettre un épouvantable bruit de gorge.

- Je crois qu'on se comprend tous les deux. J'ai justement besoin de tester le dernier stade de mon produit. De l'ultra jet que ça s'appelle.

Le mercenaire grimaça un sourire.

- Et ça fait quoi exactement ?

La goule exhiba ce qui lui tenait lieu de dents :

- Vous allez adorer !

 

Chapitre 3 : Nuka Cola Quantum of Solace

 

Les deux compagnons quittèrent le métro sans trop savoir ce qui les attendait.

Johnny glissa une cigarette qui avait connu de meilleurs jours entre ses lèvres desséchées. Il n'avait pas de briquet, rien pour l'allumer. Alors il fit comme si elle l'était.

- Tu vois, Rocky, j'ai l'impression qu'on est comme ma cigarette. Tellement usés qu'on est prêt à faire n'importe quoi du moment qu'on a l'impression d'exister.

Le chien lui dédia un regard empli de compassion.

- Ouais, je sais, fit son maître. Je débloque un max. C'est cette chaleur. Si seulement, il pouvait pleuvoir une fois de temps en temps. Ca me rafraîchirait les idées.

Il s'arrêta un instant de marcher. Il prit quelque chose dans sa poche. C'était une photo. Il la regarda quelques instants. Pas trop, juste ce qu'il faut pour ne pas perdre son sang-froid. Puis il la rangea, le cœur battant et la gorge nouée.

Le temps était compté pour elle et les autres prisonniers. Ce fumier de négrier de Dr Nuke allait payer pour sa trahison. Livrer sa petite amie et d'autres esclaves à des super mutants pour obtenir une dose de tranquillité serait sa dernière mauvaise idée.

Johnny allait tout faire pour s'en assurer.

Mais pour l'heure, il devait rejoindre le convoi avant qu'il n'atteigne l'abri 87.

Il imagina un super mutant avec de longs cheveux blonds le poursuivant pour lui faire un câlin. Très peu pour lui. La situation était dramatique, mais il s'interdisait d'avoir peur, de douter.

- Avec cette moto, dit Johnny, je pourrai sans problème leur couper la route. Il reste encore le problème de l'armement.

Rocky se mit à aboyer très fort.

Johnny leva les yeux à temps pour voir la silhouette d'un vertiptère de l'Enclave se profiler dans le ciel.

- Cachons-nous ! Ils nous ont peut-être pas repérés !

Les deux compagnons se jetèrent derrière une ligne de rochers au moment où l'appareil se posait. Trois hommes en armure ainsi qu'un officier en uniforme en descendirent ainsi que du matériel en conséquence.

Au moyen du viseur de son magnum, Johnny les observa édifier une petite base.

Il mâchonna nerveusement sa cigarette éteinte. Ses yeux s'illuminèrent lorsqu'il s'aperçut que l'une des sentinelles était armée d'une gatling laser.

- Putain, c'est la chance de ma vie. La chance de pouvoir enfin réparer Emma et de la sortir de l'ombre !

Il essuya ses mains soudain devenues moites. Il prit une boite de conserve dans son sac ainsi qu'une grenade.

- Tu connais la manœuvre, hein Rocky ?

Le chien ne fit pas un bruit, mais son expression hilare parlait pour lui.

Equipés de leur pesante armure métallique, les trois soldats de l'enclave paraissaient invincibles. Comme l'avait remarqué Johnny, l'un d'eux était armé d'une gatling laser qu'il tenait contre sa hanche, prêt à l'employer à tout moment. C'était le vétéran. Les deux autres portaient un fusil laser. Ils marchaient tous nerveusement autour du camp. L'officier, quant à lui, était occupé à rentrer des données dans un terminal.

- Regardez, fit le vétéran.

Ils regardèrent tous dans la direction indiquée et aperçurent un chien gratter le sol. Dans la gueule, il tenait une boite de conserve.

- Laissez-le, fit l'officier. Ne commencez pas à être distraits.

Le vétéran se râcla la gorge.

- On a pas mangé grand-chose aujourd'hui. Et nos vivres sont presque épuisées. Si ça se trouve, cette boite contient de la nourriture.

Sans détacher son attention de son écran, l'officier répondit :

- Si ça se trouve, c'est un piège des raiders.

Des rires fusèrent.

- Raison de plus pour s'en occuper, non ? fit l'un des deux soldats.

L'officier garda le silence. Ils prirent ça pour un consentement.

Les deux soldats s'approchèrent du chien, suivi de près par le vétéran et son arme impressionnante qui avait coupé la chique à plus d'un écorcheur.

Le canidé venait de finir d'ensevelir la boite et il commençait à repartir.

Le vétéran pointa sa gatling vers lui.

- Du ragoût de chien, ça vous dit les gars ?

- Si j'étais toi je ne ferai pas ça !

Les trois soldats se retournèrent comme un seul homme. Leur casque empêcha de voir leur expression, mais leur silence fut le parfait écho de leur stupéfaction.

Johnny tenait son magnum 44 appuyé contre la nuque de l'officier toujours installé devant son terminal, les mains suspendues au-dessus du clavier.

- J'organise un concours du plus beau trio de connards des Terres désolées. Et vous venez de remporter le prix. Haut la main.

Le vétéran appuya son doigt sur la gâchette de son arme. Mais ce qu'ils ignoraient tous, c'est que Johnny venait d'utiliser le super jet offert par Murphy. Ses capacités de réaction décuplées, il fut en mesure d'anticiper royalement les gestes de ses adversaires. Il commença par tirer là-même où Rocky avait enterré la boite avant de faire feu sur les têtes casquées des soldats. Le temps, comme ralenti pour Johnny, s'accéléra brutalement dès qu'il eut achevé ses actions. Une explosion jeta les hommes de l'Enclave à terre, leurs jambes tronçonnées par la grenade et leur casque criblé de calibre 44.

Johnny émit un sifflement :

- Tu parles que j'aime ça ! Merci, Murphy !

L'officier profita de la confusion pour appuyer rapidement sur une série de touches. D'un aboiement sec, Rocky alerta son maître d'une menace imminente.

- Qui êtes-vous ? s'enquit l'officier tandis que la porte d'un container s'ouvrait dans un grincement lugubre.

Johnny entendit des pas pesants et une respiration animale qu'il redoutait plus que tout au monde.

- Je suis le douanier des Terres Désolées. Et t'as plus rien à déclarer.

Il tira dans la nuque de l'officier, détruisant du même coup son précieux terminal.

La créature sortit lentement du container. Elle marchait sur de puissants membres. Son corps musclé, athlétique, était ocre, comme la poussière que charriait continuellement le vent. Ses longs bras étaient terminés par des griffes qui avaient grandement contribué à son appellation. Sa tête rappelait vaguement celle d'un reptile. En moins hospitalier. Ses petits yeux étaient habités par une lueur démoniaque. Oui, un démon, voilà à quoi elle ressemblait.

Sur son crâne était fixé un étrange appareillage métallique. Johnny comprit qu'il s'agissait d'un écorcheur modifié, un spécimen capturé par l'Enclave en vue d'expériences pour le moins mystérieuses.

S'employait-elle à les dresser, à les contrôler ?

Le mercenaire n'eut pas le loisir de poursuivre ses interrogations.

La créature venait de le repérer.

Le mercenaire pointa son flingue et pressa la détente. Silence. Le 44 était vide.

Johnny poussa un juron. Il vit Rocky se rapprocher et montrer les dents pour menacer l'écorcheur qui avançait avec une lenteur machiavélique. Johnny savait que c'était une prudence feinte. Il se préparait à bondir. Et ce bond serait assurément meurtrier.

- Dégage, Rocky ! On a pas affaire à un rataupe ou à un raider défoncé ! Tu fais pas le poids, là !

L'avertissement sembla énerver l'écorcheur. Il bondit sur Rocky, toutes griffes dehors.

- Non !

Johnny brandit son canon scié, sachant que cela n'arrêterait pas la bête dans son élan.

Une masse verdâtre jaillit du container pour venir s'aplatir sur l'écorcheur juste avant qu'il n'atteigne le chien. Un combat dantesque s'ensuivit. Dans cette mêlée sauvage, Johnny écarquilla les yeux de stupeur en identifiant le nouveau venu : un super mutant !

Qu'est-ce qu'il pouvait bien foutre ici ?

L'écorcheur était couché sur le dos, le mutant par-dessus lui. Ce dernier empoigna les bras de son adversaire pour l'empêcher de le décapiter et lui distribua une série de coups de tête, manquant peu à chaque fois de se faire croquer la figure. La gueule écumante de sang, l'écorcheur le repoussa d'une violente ruade. Le mutant réintégra malgré lui l'intérieur du container. D'un bond, l'écorcheur le rejoignit. Sous le regard effaré de Johnny et Rocky, le container se mit à tressauter comme s'il était animé d'une vie propre. Des cris rauques s'en échappèrent indiquant combien la bataille faisait rage. Et puis d'un seul coup, plus rien. Rien qu'un silence de mort.

Johnny ramassa la gatling laser et s'approcha précautionneusement de l'ouverture, escorté par Rocky, le poil hérissé comme un chat. L'écorcheur dressa sa solide carcasse avant de basculer. Le mutant se leva et sortit du container. Il avait une vilaine meurtrisse au flanc et à l'épaule gauche. Mais il était vivant. Ce qui n'était pas rien. Combien pouvait se vanter d'un tel exploit ?

Johnny le scruta, hébété, avant de faire feu sans la moindre sommation. La gatling laser cracha une salve qui mit en pièces l'écorcheur blessé bondissant sur le super mutant.

Ce dernier n'eut soudain d'yeux que pour l'arme que tenait Johnny.

Il fit alors entendre sa grosse voix :

- Dis, tu la donnes à Fawkes ?

- Ok, mais à une condition. Tu viens avec moi.

Johnny regretta sa décision lorsque le dénommé Fawkes le serra dans sas bras pour le remercier.

 

Un peu plus tard, lorsque tout le monde eut repris ses esprits, Johnny put interroger Fawkes tout en fouillant le matériel de l'Enclave.

Le super mutant s'était fait repérer par une patrouille volante. Ce qui n'était pas très étonnant vu son gabarit et sa gouaille. Au lieu de le tuer, les soldats lui avaient injecté à bonne distance un puissant anesthésiant. Apparemment, ils n'avaient pas mis la bonne dose. Heureusement pour Johnny, il s'était réveillé plus tôt que prévu.

- Je savais pas que l'Enclave s'intéressait d'aussi près aux super mutants. T'es modifié ? J'aurais jamais cru devoir un jour la vie à l'un d'entre vous. Le monde part vraiment en couille.

Fawkes jouait avec Rocky. Il sirotait un nuka cola quantum - apparemment c'était sa boisson préférée - tout en balançant la tête d'un soldat de l'Enclave en guise de balle.

Ce qui convenait très bien au chien du mercenaire.

- Ces gars-là sont bizarres. Mais ils valent pas mieux que les écorcheurs. Fawkes les écrase tous autant qu'ils sont. Oui, tous autant qu'ils sont !

- Ca,  je te crois, fit Johnny. Ils avaient quand même pas dans l'idée de t'accoupler avec cet écorcheur ?

Fawkes s'arrêta brusquement de jouer et de boire. En voyant son expression, Johnny faillit pisser de rire.

- C'était juste une hypothèse. De toutes façons, t'es asexué. Mais peut-être quand mélangeant votre ADN... J'ai détruit leur terminal. Y avait sûrement des infos sur ta captivité. Tant pis. Qu'est-ce que tu faisais dans le coin ? Un mutant solitaire et amical ça court pas les Terres désolées !

- Fawkes pas comme les autres. Fawkes plus intelligent. Fawkes cherchait à aider les autres et à punir les abrutis. Mutants ou pas mutants.

- Très intéressant, murmura Johnny, particulièrement songeur. J'ai un programme bien précis et il se trouve que tu cadres parfaitement avec. Des mutants abrutis, on va en rencontrer très bientôt.

Fawkes lui dédicaça son plus beau sourire.

- Quand est-ce qu'on part ?

- Dès que j'aurais résolu un problème.

Johnny fixa son nouvel allié avec un intérêt encore plus grand.

- Dis-moi, t'aurais pas vu un réservoir et un frein de moto, par hasard ?

 

Chapitre 4 : Les Amants sont Eternels

 

La nuit tomba trop tôt au goût de Johnny. Mais il s'en réjouit néanmoins. Personne ne les verrait entrer dans sa planque secrète.

Grâce à Fawkes et sa connaissance des environs, il ne leur avait fallu que quelques heures pour mettre la main sur les deux objets demandés par Murphy.

Un récupérateur leur avait fait un échange avantageux. Johnny avait troqué son fusil d'assaut chinois rouillé et les quelques capsules en sa possession.

Il se sentait vraiment en veine.

Le trio descendit dans le souterrain.

- Ca pue le radcafard ! gogna Fawkes.

Johnny sourit.

- Ah, bon ? Je croyais que c'était ton parfum.

Il composa un mot de passe sur un terminal et une porte blindée s'ouvrit.

Ils entrèrent dans une pièce comportant des casiers, un matelas poussiéreux en guise de lit ainsi qu'un bureau et une table. Sur la table, un objet mystérieux était recouvert d'une bâche. Lorsque Johnny la souleva avec un geste excessivement cérémonial, il découvrit une gatling laser semblable à celle que tenait amoureusement Fawkes.

- Passons aux choses sérieuses !

Les trois compagnons se firent un festin des vivres volées à l'Enclave avant de se lancer dans la réparation d'Emma, accompagné dans cette passionnante entreprise par les ronflements de Rocky.

Le mercenaire se félicita d'avoir rencontré le super mutant. Malgré sa rudesse, il était visiblement doué pour tout ce qui touchait à la mécanique. Il savait que tous les super mutants actuels étaient nés dans l'abri 87, seul endroit au monde où cette espèce pouvait trouver les moyens de se reproduire. Tout comme ses congénères, Fawkes avait été un être humain dans une autre vie. Et il en gardait assurément des réflexes. Johnny ressentit de la pitié pour lui. Et cela l'encouragea plus que jamais à remplir la mission qu'il s'était fixé.

- Tu l'appelles vraiment Emma ? demanda Fawkes.

- Hein ? croassa Johnny en revenant à la réalité.

- La sulfateuse, là, tu l'appelles vraiment Emma ? C'est pas un prénom de fille, ça ?

Les yeux de Johnny s'embuèrent sans qu'il s'en rende compte.

- C'est le prénom d'une fille très importante pour moi. J'imagine que j'ai eu cette idée pour ne pas l'oublier. Tu vas m'aider à la délivrer.

- Fini ! s'écria Fawkes en contemplant le fruit de leur travail.

Il s'empara de la gatling laser, comme prêt à combattre une armée à lui tout seul.

Ce qui amusa beaucoup le mercenaire.

- Vous êtes faits l'un pour l'autre !

- C'est quoi le programme, chef ?

- Direction la station de métro Northwest-Seneca. Je te présenterai un autre ami.

- Ouais ! beugla le super mutant.

- Mais avant, on va dormir un peu. Enfin, si on y arrive, ajouta Johnny en écoutant les ronflements de son chien.

 

Chapitre 5 : Highway To Hell

 

Barrett restait silencieux dans un coin de la pièce, ses petits yeux méchants observant les trois visiteurs avec un égal mépris. Mais sa mâchoire encore endolorie venait lui rappeler qu'il n'avait pas trop son mot à dire.

Fawkes essayait de se faire tout petit, mais les dimensions de l'atelier de Murphy ne l'y aidaient pas vraiment. Rocky rongeait un fémur d'écorcheur en regardant distraitement le trio penché sur le prototype de side-car.

- Ca peut vraiment rouler, l'ami, déclara le super mutant en faisant mine d'étaler sa science.

- Je veux, dit Murphy avec autant de fierté.

- Ouais, en gros, il y a que moi qui ai un doute, remarqua tristement Johnny. C'est con, parce que c'est quand même moi qui est censé piloter cet engin.

Fawkes lui donna une tape amicale dans le dos qui faillit lui faire sauter les vertèbres.

- T'as de la chance. T'as trouvé les deux meilleurs mécanos des Terres Désolées !

Johnny serra les dents.

- Ou les deux plus cinglés ! Enfin, j'ai pas trop le choix. A vous de jouer, les gars.

Au bout de plusieurs heures, le temps pour Murphy de faire les derniers ajustements et de peindre la moto, le trio poussa le véhicule jusqu'à l'extérieur de la station.

Le soleil à son zénith aveugla un instant Johnny. Lorsqu'il put enfin contempler le side-car, il en eut le souffle coupé. L'engin brillait de mille feux. On l'aurait dit tout droit sorti d'une usine. Sur le réservoir, il eut la surprise de lire son nom et son prénom en lettres de feu.

- Ca c'est moi qu'ai eu l'idée, apprit Fawkes. Ca te plaît ?

Johnny fut tout sourire.

- Si en plus ça roule, je vais vraiment me sentir au paradis !

- Y a qu'une seule façon de le savoir, dit Murphy en essuyant ses mains avec un chiffon plus sale encore.

Il indiqua le siège du pilote.

- En route, monsieur le dentiste des Terres Désolées !

Le mercenaire prit un plaisir fou à s'asseoir sur l'engin. Lorsqu'il le démarra, il entendit une série de cliquetis qui ne présageaient rien de bon.

Et si tout explosait au premier coup d'accélérateur ?

Mais il était trop tard pour être pessimiste. Comme pour lui assurer son soutien, Rocky vint s'installer dans le cockpit réservé au passager.

- Ok, mon chien, accroche-toi !

Johnny mit les gaz. Il y eut un bruit de décharge électrique et le side-car partit comme une flèche. Un sourire vissé sur les lèvres, Johnny goûtait pleinement à un sentiment de liberté qu'il n'avait jamais ressenti de toute son existence.

Il eut tout le mal du monde à revenir vers la station. Il avait presque oublié l'existence de ses compagnons et en plus de cela, le side-car avait le plus grand mal à tourner.

- C'est rien, rassura Murphy. Quelques réglages supplémentaires devraient suffire. Mais pour un premier essai, c'est plutôt concluant, non ?

Johnny serrait les poignées avec un plaisir communicatif :

- Tu peux déposer le brevet, Murphy et commencer la distribution. Car je peux t'assurer que bientôt tout le monde en voudra une !

- Dis-donc, grogna Fawkes, j'ai pas l'intention de te suivre à pieds ! Y a pas une petite place pour moi ?

 

Cloisonné dans le « panier », Fawkes riait à gorge déployée, tenant sur ses genoux un Rocky apparemment aux anges. Murphy leur avait fourni des casques et des lunettes de moto à tous les trois ce qui donnait un aspect burlesque au trio déjà détenteur d'un fort potentiel comique.

Sur les conseils du super mutant - avec qui il s'était très bien entendu - Murphy avait également ajouté un pied sur l'avant du panier pour y monter la laser gatling. Ainsi, même en roulant, il lui serait permis de faire joujou, le cas échéant.

Ils avaient remercié le savant avant de prendre définitivement la route.

Johnny ne se serait jamais imaginé aussi reconnaissant envers une goule. Décidément, sa vie lui réservait bien des surprises.

Il avait promis à Murphy de ne revenir le voir qu'en possession d'un important stock de bombes sucrées. Il lui avait touché deux mots quant à l'efficacité de l'ultra-jet.

Puis il lui avait demandé :

- Pourquoi ne pas garder cette prodigieuse machine pour toi. Tu devais me la donner, c'est vrai, c'était le deal. Mais je peux pas m'empêcher d'avoir l'impression de te la voler. C'est quand même le fruit de plusieurs années de recherche.

- Qu'est-ce que tu veux ? avait répondu Murphy. Je suis un scientifique, et toi un aventurier. Nous n'avons pas les mêmes motivations, ni les mêmes ambitions. Je suis très fier de mon travail. J'ai réussi. C'est tout ce qui compte pour moi. A toi maintenant de lui donner un autre sens.

Et Johnny comptait bien satisfaire cette condition.

 

La moto laissait dans son sillage un nuage de poussière, ce qui inquiétait un peu Johnny. Un vertiptère en reconnaissance risquait de les repérer plus facilement. En compensation, le moteur à énergie conçu par Murphy faisait très peu de bruit.

La route menant à l'abri 87 était dégagée. Pas d'édifices importants à proximité, ils devraient à priori ne pas être trop embêtés.  Il avait un super mutant comme escorte, il avait réparé Emma et il fonçait droit vers son objectif en étant assuré de l'atteindre à temps. C'était plus qu'il n'en fallait pour être rassuré sur ses chances de succès.

Sans oublier cette moto dernier cri ! Johnny se relaxa complètement et en profita pour détailler le petit tableau de bord qu'il avait sous les yeux. Sous les cadrans indiquant la vitesse et le niveau d'énergie, il y avait quelques boutons dont il ignorait complètement la fonction. Ils ne servaient peut-être à rien. Sans doute Murphy les avait-il placé là sans autre but que de combler son souci d'esthétisme. Il décida quand même d'en essayer un. Fawkes se mit soudain à beugler.

- Eh, la machine se détraque !

Johnny vit avec étonnement le panier et ses deux occupants effectuer une rotation et se retrouver dans l'autre sens.

Désormais, Fawkes et Rocky regardaient en arrière et il ne leur fallut pas longtemps pour être couvert de la poussière et des débris que soulevait le side-car en avançant.

- Eh, remets-nous à l'endroit, c'est pas drôle, Johnny !

- Désolé, fit l'intéressé en riant.

Il allait s'exécuter lorsqu'un autre cri du mutant l'interrompit dans son geste.

- Attends, il y a quelque chose qui arrive droit sur nous !

Johnny jeta un coup d'œil dans son rétro en essayant de distinguer un éventuel poursuivant au-delà du nuage de poussière. Il ne vit rien. Il comprit qu'il fallait qu'il lève les yeux. Il se raidit instantanément en reconnaissant la silhouette familière de deux vertiptères.

- Merde, c'est l'Enclave ! Fallait s'en douter !

Johnny accéléra, mais se rendit rapidement compte qu'il ne parviendrait pas à distancer les deux appareils. Une boule de feu germa sur sa gauche manquant peu les changer en grillades. Le trio comprit que l'Enclave n'était pas venue faire des prisonniers.

Johnny se tourna brièvement vers Fawkes :

- Qu'est-ce que tu attends ? Dézingue-moi ces connards !

Le mutant éclata d'un grand rire avant d'empoigner la gatling laser.

- Venez, mes mignons, c'est tonton Fawkes qui régale !

Dans la seconde qui suivit, le vertiptère de tête subit des tirs nourris qui l'obligèrent à virevolter. Ce faisant il heurta le flanc de l'autre appareil qui éjecta accidentellement l'un de ses passagers en armure dans un grand fracas métallique.

L'un des tireurs fit alors parler son incinérateur lourd. Le canon vomit une nouvelle boule de feu.

Fawkes et Rocky la virent arriver sur eux avec horreur.

- Projectile en approche ! hurla le mutant accompagné d'aboiements véhéments du chien.

Johnny effectua une manœuvre qui faillit renverser la moto, mais leur permit néanmoins d'esquiver l'ardent missile qui ne trouva rien de mieux à faire que carboniser une malheureuse brahmine somnolente.

Fawkes en fut tout retourné.

- Zut, un stock de steaks qui part en fumée !

Il poussa un grognement et se remit à tirer comme un forcené sur les appareils beaucoup trop proches. L'un des tireurs pointa un fusil d'étrange facture en direction du véhicule. Quand il pressa la détente de son arme, un filin terminé par un grappin en jaillit. Johnny sentit une terrible secousse. La moto échappa brutalement à son contrôle et menaça de quitter le sol.

- Putain, qu'est-ce que...

- Je crois qu'ils veulent la moto ! fit Fawkes en voyant le grappin fiché dans l'arrière du side-car.

Johnny se retourna, menaçant. Enfin, moins que le canon de son calibre 12.

- Ils peuvent toujours rêver !

Il fit feu. Le câble fut sectionné et le side-car retomba sur ses roues après quelques inquiétants soubresauts.

Profitant de la consternation de leurs ennemis, Fawkes lança une nouvelle offensive et une salve de laser désintégra le vertiptère de tête dans un grand flamboiement de débris métalliques.

- Et de un ! annonça-t-il triomphalement.

- C'est pas trop tôt, répliqua Johnny avec aigreur.

Mais l'Enclave n'avait pas dit son dernier mot.

Une série de boules de feu se mit à pleuvoir tout autour d'eux transformant ce qui était au départ une agréable ballade en chemin de croix, en véritable autoroute pour l'enfer !

- Les fumiers ! rugit le mercenaire.

Un autre grappin fusa dans leur direction. Johnny louvoyait pour leur éviter une incinération gratuite et ce faisant, le grappin manqua sa cible et transperça l'épaule droite du super mutant.

- Ah, non ! C'est pas du jeu !

Fawkes s'empara du câble qu'il tira violemment vers lui. Le soldat fut éjecté du vertiptère et tomba au sol, rapidement remorqué par la moto comme un poids mort.

Fawkes continua de tirer le filin, ramenant le soldat inanimé vers le side-car. Le soldat reprit ses esprits au moment même où le mutant braquait sur lui le canon de sa gatling laser :

- Fais risette !

Johnny fulminait.

- Doit bien y avoir d'autres gadgets sur cet engin!

Il pressa un bouton. Sitôt après, le panier pivota pour retrouver sa position d'origine.

- Non ! beugla Fawkes. Pas maintenant, Johnny !

- Merde !

Le soldat s'agrippa d'une main au side-car et de l'autre empoigna un fusil laser avec l'évidente intention de l'utiliser contre le pilote. Des crocs de chien dans son bras lui firent abandonner son projet. Cramponné au soldat, Rocky se mit en devoir de lui faire lâcher prise. Fawkes fulminait :

- Johnny, fais-moi tourner ! Rocky est en danger !

Le mercenaire était au bord de la crise de nerfs. Cette course-poursuite n'en finissait plus. L'image d'une jeune femme blonde suffit pourtant à lui procurer la concentration requise. Il appuya sur le premier bouton, inversant le panier et autorisant Fawkes à suivre la lutte entre Rocky et son adversaire. Le soldat avait lâché son arme, mais sa main libre était resserrée autour de la gorge du chien.

- Lâche-le, bouffon en scaphandre ! vociféra le mutant.

A ces mots, il orienta sa gatling vers le soldat et tira une courte rafale. Le méchant perdit  sa prise sur la moto et sur Rocky et tout espoir de voler le side-car, à peu près dans cet ordre. Fawkes récupéra Rocky au vol et regarda le soldat rouler derrière eux. Lorsqu'il s'arrêta de rouler, il secoua sa tête endolorie. Il pesta contre sa mauvaise fortune, mais apprécia bien vit le fait d'être encore en vie. En voyant la moto s'éloigner, il porta une main à sa grenade à plasma.

- Si nous ne pouvons l'avoir, alors elle ne sera à personne !

Fawkes  offrait un déluge de caresses à Rocky, mais il s'arrêta net en voyant un petit objet métallique dépasser de sa gueule.

- Bah, qu'est-ce que tu manges ?

Cela ressemblait assez à une goupille de grenade. L'explosion qui pulvérisa le soldat de l'Enclave derrière eux le confirma.

- Sacré toutou ! fit Fawkes en lui ébouriffant la tête ! C'est toi le meilleur !

- Et moi, je fais la sieste, peut-être !

La patience de Johnny commençait à se faire aussi rare qu'un sourire sur un fangeux.

- Allez, Murphy, tu as forcément pensé à mettre une arme secrète à utiliser en cas d'urgence !

Il appuya sur les boutons restants, priant pour déclencher un phénomène positif.

Venue de nulle part, une voix d'homme se fit soudainement entendre :

- Ici, Three Dog, Yeeehou ! La voix libre des Terres Désolées, pour vous. Et maintenant, un peu de musique...

Johnny comprit que Murphy lui avait installé la fameuse Galaxy News Radio. Charmante intention qui pour l'heure ajoutait à sa fureur.

Le vertiptère les bombardait sans relâche et creusait sensiblement l'écart au son de «  a Wonderful Guy ».

- Ca devient super urgent ! souligna Fawkes.

Johnny actionna le dernier bouton.

Le flanc gauche de la moto s'escamota, libérant un missile dans un grand panache de fumée. La lueur de l'explosion éclaira le visage hilare du super mutant !

- Touché ! Et de deux !

L'appareil de l'Enclave perdit rapidement de l'altitude pour finir par s'écraser mollement sur la terre ferme.

Johnny n'en fut pas rasséréné pour autant. Il effectua un demi-tour avec difficulté et s'arrêta à la hauteur de la carcasse fumante du vertiptère. Il descendit de la moto et s'approcha du cockpit. Quelques coups de feu résonnèrent.

- C'est bon, Fawkes. Ils sont tous morts !

- Ouais, continuons, alors !

Johnny allait retourner sur le side-car lorsqu'une idée complètement folle traversa son esprit en ébullition.

- Dis-donc, il a l'air de pouvoir encore voler. Ca vous dirait un baptême de l'air ?

 

Chapitre 6 : La Liberté en Prime

 

A bord du vertiptère volé à l'Enclave, le trio survolait les Terres Désolées avec un sentiment de supériorité bien compréhensible. Fawkes se tenait dans la soute, regardant avec fascination le sol aride défiler sous eux. Il tenait la gatling laser contre lui en vérifiant de temps à autre que le side-car restait en place.

Johnny, quant à lui, pilotait son nouveau joujou sous le regard complice de Rocky assis à ses côtés, visiblement ravi de la promenade.

- Quel pied !

Les trois amis eurent tôt fait de distinguer une étrange cohorte.

- Ce sont eux ! annonça Johnny comme s'il avait vu une oasis.

- Ils ont l'air nombreux, dit Fawkes. Même pour nous.

Johnny lui jeta un regard inquiet.

- Je rigole, ajouta le super mutant.

Il leva sa gatling.

- On va se les faire !

- Ouais, bah, oublie pas que y a pas que des monstres en bas. Y aussi des innocents et parmi eux ma fiancée.

Johnny osa enfin s'angoisser un peu.

- Ouais, va falloir la jouer pas trop bourrin, cette fois.

- Tu comprends ce que ça veut dire « pas trop bourrin », Fawkes ?

- Moi je veux bien, mais avec Emma, j'ai dû mal à tirer au coup par coup !

Johnny faillit s'étrangler en détectant le sous-entendu grivois, mais accidentel, du super mutant.

Il ralentit un peu et amorça sa descente.

Il devait y avoir une trentaine de mutants et moitié moins de prisonniers. Il y avait des maîtres et des brutes solidement armés.

Le mercenaire comptait bien sur l'effet de surprise.

Il essaya de repérer sa dulcinée. Il distingua une frêle silhouette avec des cheveux blonds. Il se persuada que c'était Emma.

- Eh, hurla Fawkes à l'adresse de ses congénères. Vous avez dix secondes pour relâcher les otages sinon on ouvre le feu !

- Qu'est-ce qui te prend ? le morigéna Johnny.

- Excuse-moi, mais j'ai toujours rêvé de dire ça !

La file indienne s'arrêta et tous levèrent les yeux vers l'appareil qui les dominait.

Les prisonniers faisaient peine à voir, mais en voyant le vertiptère, une lueur d'espoir sembla illuminer leur regard. Les mutants, quant à eux, ne trouvèrent rien de mieux à faire que de s'esclaffer bruyamment.

- Je crois qu'ils nous prennent pas au sérieux, observa Fawkes avec une remarquable lucidité.

- On va les faire changer d'avis.

Johnny s'empara de l'incinérateur lourd et tira une salve.

L'un des mutants riait encore lorsque la boule de feu le changea en grillade.

Un silence terrible succéda à l'attaque. Puis un maître mutant épaula son lance-missiles :

- Abattez-moi ce traître !

- Traître ? s'indigna Fawkes. Mais j'ai jamais été de votre côté !

Johnny évita de justesse la roquette, mais les balles se mirent à ricocher contre la carlingue de l'appareil.

- Merde, on a tout fait foirer !

C'est ce moment que choisit un groupe de paladins de la Confrérie de l'Acier pour se mêler à la bataille. Ils jaillirent de derrière une formation rocheuse et se jetèrent sur les super mutants, les affrontant si nécessaire au corps à corps armés de leur éventreur.

- On a vraiment du cul, Fawkes ! Apparemment, on était pas les seuls à s'intéresser à eux !

Johnny posa tant bien que mal le vertiptère.

- Rocky, tu restes là. Trop dangereux pour toi.

Il ignora les jérémiades du chien et Fawkes et lui descendirent pour affronter le bataillon de mutants en pleine débâcle.

- Fawkes, il faut qu'on s'occupe des prisonniers. Il faut les isoler de la bataille.

- Je suis avec vous ! hurla son compagnon tandis qu'il était la cible des paladins.

Johnny sourit.

- Tu devrais te trouver un déguisement !

L'instant d'après, il enflammait deux mutants.

Les balles sifflaient autour du mercenaire qui s'attendait à tout moment à en prendre une. Il fit bien car l'une d'elle lui entailla le bras gauche. Il se mordit les lèvres et continua d'avancer jusqu'à un groupe de prisonniers qui hésitaient à fuir. L'un d'eux semblait les exhorter à profiter de la confusion pour filer en douce. C'était une femme. Johnny s'avança plus près. C'était Emma ! Son Emma !

Il la prit dans ses bras, interrompant brutalement son discours. Il ne la relâcha qu'à contrecœur. Elle avait le visage fatigué et semblait faible. Mais de pouvoir à nouveau la toucher et plonger ses yeux dans les siens suffit à le rendre heureux. Elle le regarda, totalement hébétée, ne réalisant pas qu'il avait pu venir la sauver.

- Viens avec moi ! Venez tous avec moi !

Johnny entraîna la jeune femme vers la formation rocheuse d'où avait jailli la Confrérie de l'Acier.

- Fawkes, tu nous couvres !

- Avec plaisir, chef !

Le bruit caractéristique de la gatling laser ponctua sa déclaration.

Ils n'avaient pas fait dix mètres que trois mutants leur tombaient dessus, armés de bâtons cloutés.

- C'est pas gentil de nous fausser compagnie, firent-ils de leur grosse voix.

Johnny embrasa le plus proche, mais vida du même coup le réservoir de son incinérateur lourd.

- Merde ! Je crois qu' on est cuit, nous aussi !

Un bruit de tronçonneuse se fit entendre. La tête d'un des mutants s'envola de ses épaules et le dernier reçut la lame d'un éventreur en plein cœur.

Tandis que les corps sans vie s'abattaient sur le sol, un paladin apparut, couvert de sang et de viscères.

- Je suis le paladin Cross ! fit une voix déterminée de femme. Elle était revêtue d'une armure assistée et d'un casque assorti, comme tous ses frères d'armes.

- Je vais vous escorter en lieu sûr. On fera les présentations plus tard.

- Bonne idée, fit Johnny avant de la suivre, le contact rassurant de la main d'Emma dans la sienne.

Fawkes n'avait pas perdu son temps. Rapidement, il avait prouvé qu'il était bien du côté des membres de la Confrérie qui avait cessé devant ses exploits de l'importuner comme un vulgaire super mutant. Hélas Emma - l'autre Emma - avait rendu l'âme et il se battait désormais à l'aide d'armes plus ou moins improvisées.

Fawkes repéra un de ses congénères particulièrement dangereux. Il mitraillait à tout va avec son mini-gun, sans se soucier s'il tirait sur des humains ou non. Il avait déjà tué quatre paladins, trois mutants et trois esclaves dans sa folie meurtrière. Fawkes attendit qu'il recharge pour se charger de son cas. Tandis qu'il s'élançait avec pour seule arme ses poings nus, un paladin attentionné lui lança une super masse qu'il attrapa au vol.

- Merci l'ami !

D'un bond puissant, il se jeta de tout son poids sur son adversaire, une brute de la pire espèce. Il lui assena trois coups consécutifs. L'autre ne broncha pas et lui porta un coup terrible avec son mini-gun. Fawkes tomba au sol, groggy, avant de balancer son arme vers la brute. Celle-ci la reçut en pleine face et tomba à genoux sous le choc.

- C'est l'heure de payer la facture, mon gars !

Fawkes lui empoigna le crâne et le dévissa avec tout le savoir-faire d'un mécano hors pair.

La bataille touchait à sa fin. La confrérie avait pris nettement le dessus, même si elle avait sacrifié beaucoup de soldats dans cette lutte sans merci.

Fawkes coupa court aux félicitations des paladins pour rejoindre son ami.

 

Johnny laissa Cross et les autres paladins s'occuper des esclaves pour passer un peu de temps avec Emma. Elle était encore sous le choc de ce qu'elle venait de vivre. Elle n'arrivait plus à parler. Elle pleurait de temps en temps, se serrant contre le mercenaire en murmurant son prénom. Il lui caressait les cheveux.

- C'est fini, Emma. C'est terminé. Tu n'as plus rien à craindre.

Elle poussa un hurlement qui démentit son affirmation.

Johnny se retourna. Un Behemoth leur faisait face, un bâton orné d'une bouche d'égoût en guise d'arme. Il était énorme. Il représentait le stade ultime de l'évolution des super mutants. Heureusement, il en existait peu dans les Terres Désolées.

Johnny mesura combien il avait de la chance avec un sourire amer.

Il n'avait pas vu de Behemoth depuis... depuis ce fameux jour où enfant, il était tombé nez à nez avec l'un d'entre eux. Il avait massacré ses parents et avait voulu l'ajouter à son tableau de chasse. Il s'en souvenait comme si c'était hier. Le colosse le dominait, debout sur une montagne de carcasses de voitures. Sans se rendre compte de ce qu'il faisait, Johnny avait ramassé une grenade sur le corps de son père et l'avait balancé devant lui. Au moment où le Behemoth s'était jeté sur lui, l'explosion avait enflammé les véhicules, produisant une boule de feu cataclysmique qui envoya le monstre en plein ciel. Johnny ne le vit jamais redescendre. Seul son bras droit retomba devant lui. Un bras qu'il avait conservé longtemps, comme pour se rappeler de ce jour néfaste teinté d'un soupçon de miracle.

Oui, il avait bel et bien menti à Murphy. Il avait réellement vaincu un Béhémoth à lui seul quand il n'était qu'un enfant. Ce Béhémoth à qui il devait de s'appeler ainsi.

Il observa le colosse qui à présent les menaçait tous. Johnny senti un frisson glacial parcourir sa colonne vertébrale lorsqu'il vit que le Behemoth n'avait qu'un seul bras.

- On dirait que le destin a décidé que je devais finir le travail.

Plusieurs paladins, dont Cross, voulurent s'interposer. Le monstre les balaya tous de sa massue improvisée. Puis il baissa la tête pour dévisager Johnny qui n'en menait pas large.

Comme s'il l'avait reconnu, ses yeux s'agrandirent et il poussa un hurlement à décorner un troupeau de brahmines.

Johnny serra les poings.

- Je t'ai massacré quand j'avais dix ans, c'est pas maintenant que je vais me défiler. Deuxième round !

Le mercenaire repoussa Emma qui le retenait et força le monstrueux mutant à lui courir après. C'était son combat, son duel. Personne d'autre ne devait s'en mêler.

Mais Fawkes en décida autrement. Il avait grimpé à bord du vertiptère et heurta de plein fouet le Behemoth. Sous le choc, l'appareil menaça de s'écraser. Le Behemoth tomba un genou au sol, à peine ébranlé. Johnny en profita pour ramasser quelque chose au sol. Il grimpa sur la jambe du colosse qui poussa un nouveau hurlement de rage. Johnny jeta dans sa gueule écumante ce qu'il avait ramassé. Il s'apprêtait à s'enfuir, mais son adversaire l'emprisonna dans sa main valide. Le mercenaire sentit une pression terrible sur ses os. Il se voyait déjà réduit en poussières lorsque la tête du Behemoth implosa dans un immonde geyser.

Son corps s'écroula dans un bruit de tonnerre. Les paladins vinrent aider Johnny à se libérer. Ceci fait, il cracha plusieurs goupilles et se laissa tomber dans les bras d'Emma, totalement épuisé.

 

Chapitre 7 : Bons Baisers des Terres Désolées

 

Quand il récupéra un peu, Le paladin Cross expliqua à Johnny que la Confrérie avait repéré ce groupe de mutants quelques temps auparavant. Elle le soupçonnait de se rendre à l'abri 87 pour y  produire de nouveaux spécimens de leur espèce. On peut dire qu'ils avaient vu juste.

- Cet abri 87, il faudrait le détruire une bonne fois pour toutes ! s'emporta le mercenaire en observant Fawkes.

Ce dernier afficha une triste moue.

- On pourrait peut-être en parler à Murphy, avant. Il a l'air doué, ce petit gars. Il pourrait trouver un moyen d'inverser le processus, non ?

Johnny ne put s'empêcher de sourire.

- Pourquoi ? Tu ne te plais plus en mutant ?

Fawkes eut l'air gêné.

- Bah, en fait...

Johnny s'aperçut qu'Emma acceptait mal la présence de Fawkes après ce qu'elle venait de vivre. Elle acceptait encore moins son évidente complicité avec son fiancé.

- Je comprends, dit Johnny. Je comprends. Ce n'est pas comme si tu avais toujours été mutant, crut-il bon de rappeler.

- Je veux qu'on parte d'ici, le supplia Emma.

- Oui, dit Johnny en lui caressant la joue. On va y aller. Mais j'ai encore un petit travail à terminer.

Il scruta l'horizon.

- Tout le monde n'a pas encore payé la facture.

- Vous voulez parler du Dr Nuke ? interrogea Cross comme si elle avait lu dans ses pensées.

Elle avait retiré son casque. C'était une belle femme à la peau noire et aux cheveux courts, étonnamment blancs.

- Qu'est-ce que vous savez à son sujet ?

- Il n'est plus de ce monde. On a trouvé son cadavre non loin d'ici. Voilà ce que c'est que de traiter avec les super mutants.

Johnny poussa un soupir en dévisageant Emma.

- Dommage. J'aurais bien voulu m'en occuper moi-même.

- Si ça peut vous rassurer, ajouta Cross. Des pourritures comme lui, c'est pas ce qui manque dans les Terres Désolées.

Puis elle remit son casque.

- Nous allons escorter ces gens en lieu sûr. Vous voulez nous accompagner ?

- Non, merci, répondit le mercenaire.

- Vous savez que vous feriez un très bon paladin. Votre ami Fawkes, aussi, d'ailleurs !

En entendant son nom, le mutant devint tout guilleret.

- Chef, c'est une bonne idée, non ?

Johnny afficha un air las.

- Rejoins-les si tu veux, Fawkes. Tu es libre.

Le mutant devint tout penaud.

- Mais...

Johnny lui serra la main.

- Je suis vraiment heureux de t'avoir rencontré, Fawkes. On te doit beaucoup.

Le mutant lui serra la main, attristé.

- Je viendrai te voir de temps en temps à la Citadelle.

Ce qui réussit à faire sourire l'intéressé.

- T'as intérêt, sinon...

Le couple regarda les rescapés de la bataille monter à bord du vertiptère piloté par Fawkes et disparaître dans le couchant.

- Je crois qu'il est temps de partir, annonça Johnny.

 

Quelques instants plus tard, le side-car roulait à tombeaux ouverts. Emma était assise derrière Johnny, enlaçant sa poitrine de ses bras et Rocky était dans le panier, regrettant l'absence de l'imposant mutant.

Le mercenaire avait allumé la radio.

« Salut les Terres Désolées, ici, Three Dog. Yahouuu ! Pour votre plus grand plaisir. Encore une nouvelle journée de passée en Post-Apocalyptia. Et si je vous disais, les amis, que notre célèbre héros vient encore de faire parler de lui. Non, non, non. Je ne vous parle pas de notre valeureux habitant de l'abri 101, ni même du légendaire Johnny Behemoth. Je vous parle d'un super mutant qui a carrément viré sa cutie pour aider la Confrérie de l'acier à éradiquer les membres de son espèce. C'est pas un truc dingue, ça ? Si vous avez du mal à digérer une nouvelle pareille, je vous rassure, c'est tout à fait normal. Alors pour vous faire passer la pilule plus facilement, je ne vois qu'un seul remède : un peu de musique...

- Ca alors, fit Johnny, on aura tout vu !

La chanson « Way Back Home » se fit alors entendre dans la nuit, accompagnant le trio de ses sonorités délicieusement rétros, sous un ciel paré d'étoiles scintillantes.

- Merde, ils connaissent pas le rock'n roll à GNR !

 Au loin une soucoupe volante se crasha.

Une journée tout à fait normale en somme dans les Terres Désolées de la Capitale.

En attendant la prochaine...

 

 

 

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samedi, 30 janvier 2010

2. Johnny Behemoth Contre l'Armée des Démons

 

Chapitre 1 : Un Assaut Capital

 

Le Maître super mutant donnait ses instructions d'une voix sèche aux neuf mutants sous ses ordres :

- Ramassez-moi ces armes, abrutis !

Ils s'étaient établis dans les ruines de DC depuis peu et l'aménagement ne se faisait pas sans peine. Les mutants regrettaient d'avoir quitté les Terres Désolées proprement dites et la manière dont ils traînaient les pieds en disait long sur leur motivation.

- Vous mangerez pas tant que ce sera pas rangé, tas de...

Le maître s'interrompit en voyant un de ses soldats faire semblant de remplir un sac à gore. Il se rapprocha de lui, furieux, et lui broya l'épaule :

- Et toi ! T'es bon pour nourrir les radcafards !

L'intéressé se retourna avec un grand sourire :

- Après toi, gros tas !

Fawkes posa le canon d'un pistolet laser sur sa tempe avant de s'adresser aux autres :

- Lâchez vos joujous ou je fais un carton !

Il se mit à glousser.

- J'ai toujours rêvé de dire ça !

Les huit mutants se regroupèrent quelques instants pour palabrer avant de braquer leurs fusils d'assaut et de faire feu. Le corps du Maître fut criblé de balles et Fawkes perdit son arme. Il fut alors bien avisé de se servir du cadavre comme bouclier. Lorsqu'il comprit qu'il était temps pour lui de réagir, il balança le corps exsangue sur les tireurs :

- Vous êtes virés, les gars !

Trois paladins de la Confrérie de l'Acier profitèrent de la confusion pour prendre les super mutants à revers. Trois des monstres s'élancèrent sur Fawkes, visiblement ravi de la confrontation :

- Venez voir tonton Fawkes !

Il récupéra l'arme qu'il avait dissimulée dans un sac à gore. Elle prenait l'apparence d'un souffleur à feuilles couplé à un aspirateur. Bien inoffensive à première vue. Sauf qu'elle avait pour nom Lance-Briquettes et qu'elle avait la capacité d'envoyer à peu près n'importe quoi avec une grande célérité, faisant d'un objet anodin une arme redoutable.

Fawkes pressa la détente et ses adversaires furent assaillis d'ustensiles de toutes sortes : réservoir de moto, casserole, fer à repasser, appareil photo, nain de jardin,...

L'un d'eux eut la tête tranchée par une simple assiette, un autre fut pulvérisé par un assortiment de grille-pain, de balles de baseball et d'ours en peluche.

Malheureusement, Fawkes se retrouva à court de munitions alors que son dernier adversaire reprenait ses esprits. Le gentil mutant récupéra alors les membres épars de ses congénères sans vie et les engouffra dans le chargeur de son arme unique :

- Fawkes soigne le mal par le mal !

La seconde d'après, il projetait sur le super mutant une série de bras, de jambes et de têtes qui causèrent son décès dans les plus brefs délais.

De leur côté les paladins n'avaient pas perdu leur temps. L'un d'eux, prénommé Kodiak à juste titre, jouait au base-ball avec sa masse et les crânes des mutants à sa portée faisaient d'excellentes balles.

- Bandes de dégénérés ! Vous avez pas encore compris que vous êtes pas chez vous ?!!

Et autant dire qu'il explosa son score et ses adversaires.

Ses compagnons, le Chevalier Artemis et le Paladin Bael s'occupèrent des derniers résistants avec quelques projectiles bien placés.

La présence de Fawkes parmi la Confrérie de l'Acier était encore loin de faire l'unanimité, notamment auprès de Gunny, le responsable de la formation des initiés, qui acceptait déjà très mal des humains comme volontaires.

C'est le Paladin Stellaire Cross qui avait appuyé la candidature du Super Mutant auprès de l'Aîné Owyn Lyons après avoir assisté à ses exploits aux côtés de Johnny Behemoth (cf Johnny Behemoth conte Dr Nuke).

Un mutant au sein des ennemis jurés des mutants, évidemment ça pouvait facilement passer pour une absurdité, voire une trahison.

Mais comme à son habitude, Fawkes avait rapidement prouvé sa valeur. Comme espion et saboteur au sein de l'ennemi, on pouvait difficilement faire mieux.

La tactique était maintenant parfaitement rodée.

Fawkes s'incrustait, se fondait dans le décor et au moment opportun, il passait à l'action. Le parfait éclaireur. Ses détracteurs se faisaient du coup moins nombreux.

L'irascible Kodiak grinçait encore des dents, mais il avait trop de respect pour l'Aînée Lyons pour remettre en cause sa décision.

- Encore un beau massacre ! claironna Fawkes.

Kodiak grimaça.

- Bon, inutile de traîner ici. On ramasse les armes et...

- Regardez, dit Artemis en consultant un terminal que les mutants avaient semble-t-il dérobé à l'Enclave sans pouvoir y accéder. Il y a là des choses très intéressantes. On dirait que l'Enclave est sur un gros coup. Des expériences pas très catholiques qui concernent des super mutants et des écorcheurs.

Fawkes s'approcha.

- Ca me dit quelque chose, fit-il en posant un gros doigt sur son menton.

Kodiak dévisagea ses hommes avec un air complice :

- Quand tu t'en souviendras, on aura déjà nourri les radcafards !

Les yeux de Fawkes s'illuminèrent :

- Ca y est, je me rappelle ! C'est au moment où j'ai rencontré Johnny. Ils m'avaient enfermé avec un écorcheur. Et on se demandait ce qu'ils pouvaient bien mijoter.

- Ils voulaient peut-être vous accoupler ? plaisanta Kodiak.

Fawkes se força à sourire. Il y avait déjà eu droit à celle-là !

- Ca rendrait les super mutants sûrement plus charmants, s'esclaffa le paladin rapidement imité par ses compagnons.

Fawkes n'était pas dupe. Il était conscient de servir régulièrement de bouc émissaire. Mais il avait appris à vivre avec. A sa façon.

Il dévisagea franchement Kodiak :

- Si j'en crois vos têtes, l'accouplement a déjà donné de jolis fruits.

Kodiak sentit la moutarde lui monter au nez. Il brandit sa massue de manière menaçante avant d'être interrompu pas Artémis :

- Il faut immédiatement qu'on ramène ses données à la Citadelle. Apparemment le projet de l'Enclave est déjà bien avancé.

Ils prirent tout l'équipement qui pouvait les intéresser et se mirent en route.

- Dis-moi, fit Kodiak de son ton bourru, quand est-ce que tu nous le présentes ton fameux Johnny ? C'est vrai, tu nous en parles tellement...

La question sembla attrister le mutant. Johnny avait promis de venir le voir à la Citadelle. Il avait l'impression que ça faisait une éternité de cela. L'avait-il oublié ? Avait-il trouvé un acolyte plus digne de lui ?

Fawkes ferma les poings et leva dignement la tête.

- Il viendra bientôt. Il me l'a promis.

 

Chapitre 2 : De Joyeuses Retrouvailles

 

Murphy ignora les gouttes de sueur qui coulaient sur les verres de se lunettes. Il était sur le point de terminer une expérience délicate.

- On a de la visite.

Le savant jeta un regard noir à Barrett, son garde du corps. Il le supportait de moins en moins. Que n'aurait-il pas fait pour l'échanger contre...

- Johnny Behemoth, pour vous servir !

Le célèbre mercenaire apparut dans l'encadrement de la porte de l'atelier, vêtu de son armure de cuir comme d'une seconde peau, son magnum 44 à sa hanche et son fidèle canon scié dépassant de son épaule comme une extension de chair.

Il offrit son plus large sourire et tendit une main :

- Non, s'il vous plaît, pas de photos, aujourd'hui !

Murphy oublia soudainement ses travaux auparavant vitaux et vint serrer la main du visiteur :

- Content de vous voir, Johnny ! Le side-car marche toujours ?

- Ca roule plutôt bien, je ne m'en lasse pas. Je viens justement recharger les batteries.

La goule le dévisagea avec un sourire malicieux :

- Vous avez de quoi de payer ?

Un grincement se fit entendre et Rocky arriva, tirant à l'aide d'une corde un caddy de supermarché rempli de boites rectangulaires en tous points identiques.

Il devait y en avoir une bonne cinquantaine.

Les yeux de Murphy devinrent des feux de joie :

- C'est ce que je crois ?

Johnny opina.

- Des bombes sucrées de la première fraîcheur. Enfin, façon de parler, évidemment !

Murphy ne put cacher son excitation :

- Ah, je savais que je pouvais compter sur vous ! Vous tenez toujours vos promesses !

- Oui, d'ailleurs j'en ai une autre à respecter. Et je vais y aller de ce pas.

- Ok, fit Murphy. Je vais recharger le side-car. Pendant que j'y suis, j'en profiterai pour apporter de nouvelles modifs.

Johnny leva un sourcil, plein d'espoir :

- Tu veux dire que tu vas enfin m'enlever cette satanée radio ?

- GNR ? Certainement pas, c'est...

- La voix libre des Terres Désolée, récita le mercenaire d'un air las. Je sais, je suis pas près de l'oublier. Ca coûtait rien de demander.

 

Chapitre 3 : L'Homme qui Tombe à Pic

 

Suite à la découverte majeure faite par le chevalier Artemis, l'Aînée Lyons avait réuni un conseil d'urgence dans le Grand Hall, nanti d'un bureau circulaire pouvant figurer la légendaire table ronde des chevaliers d'autrefois.

On aurait dit une réunion d'état-major. Ce qui était plus ou moins le cas.

Les paladins les plus éminents étaient naturellement présents (Cross, Kodiak en tête) ainsi que des scribes qui avaient pour vocation d'archiver toutes les connaissances acquises par la Confrérie de l'Acier.

Fawkes, comme à son habitude, se tenait dans un coin en essayant vainement de se faire tout petit. Mais il se sentait privilégié de pouvoir assister à une audience aussi importante.

Le vieil homme n'eut pas besoin de réclamer l'attention. Lorsqu'il commença à parler, tout le monde n'eut d'yeux que pour lui :

- Mes frères, l'heure est décidément grave. Les super mutants nous causaient déjà assez de soucis, mais visiblement l'Enclave représente désormais une trop grande menace pour qu'elle ne devienne pas notre nouvelle priorité.

Les documents en notre possession nous apprennent qu'elle a édifié une nouvelle base. Tout près d'ici.

Son ton se fit plus grave.

- A DC.

Des clameurs s'élevèrent.

- Ils veulent nous renverser une bonne fois pour toute, c'est ça !

C'était Cross qui venait de parler ainsi, se faisant l'écho de tous.

Lyons reprit :

- C'est malheureusement ce qui est à craindre. Nous représentons les deux forces les plus puissantes et les mieux organisées des Terres Désolées. Et on ne peut pas dire que nos ambitions se rejoignent. C'était inévitable, je présume. Et ce n'est pas le projet sur lequel ils travaillent actuellement qui peut nous rassurer.

Il agita des imprimés comme pour donner plus de poids à ses futures déclarations :

- Ils sont en train de mener des expériences qui représentent un danger absolu, non seulement pour nous, mais aussi pour l'ensemble des Terres Désolées.

Il fit distribuer une copie à chacun des documents qu'il tenait.

- Car s'ils nous balayent, nous, la Confrérie de l'Acier, qui sera le rempart contre la folie et le désespoir de ce monde ? Qui pourra empêcher une politique de terreur de s'installer un peu partout, détruisant irrémédiablement nos chances de reconstruire une humanité digne de ce nom ?

- Vous avez pensé à moi ?

Les visages consternés de la Confrérie se tournèrent vers celui qui venait de parler.

Fawkes bondit de son coin en bousculant les paladins alentours.

- Johnny !

Le mercenaire dut subir une étreinte particulièrement chaleureuse de Fawkes qui le fit regretter de l'avoir fait languir autant.

- C'est Johnny, aboya le mutant, Johnny Behemoth !

Kodiak détailla le héros avec un rictus.

- Ils font vraiment la paire, ces deux-là !

- Excusez-moi, fit le mercenaire, je ne voulais pas vous interrompre. Mais à en juger par votre admirable discours, vous vous apprêtez à partir en guerre, avec les gros moyens. De mon côté, sachez que j'ai appris certaines choses sur ce projet et cette base. Et ma conclusion est qu'un détachement trop important nuirait à coup sûr à la réussite de cette mission.

D'un geste impérieux, Lyons fit cesser les contestations de tous genres qui fusaient de toute part. Il se planta devant le mercenaire avec un aplomb que peu d'hommes de son âge pouvaient se vanter de posséder :

- Bien que j'ai beaucoup entendu parler de vous, il adressa un regard à Fawkes, je n'ai pas l'honneur de vous connaître Monsieur Behemoth.

- Je vous en prie, fit l'intéressé avec son sourire charmeur, appelez-moi Johnny.

- Le Paladin Stellaire Cross a également tenu des propos très élogieux à votre égard et m'a rendu compte en détails de l'aide précieuse que vous avez fourni à elle et ses hommes dans des conditions extrêmement hostiles.

Johnny fit une révérence à l'intention de la guerrière ce qui ne fut pas du tout du goût de Kodiak dont le rictus s'agrandit.

Lyons poursuivit :

- Elle a d'ailleurs beaucoup contribué à l'intégration de votre ami Fawkes au sein de la Confrérie. Ce qui, de par sa nature très spécifique, n'était pas chose aisée, vous en conviendrez.

Johnny adressa cette fois un clin d'œil appuyé à la jeune femme. Voyant cela, Kodiak émit un véritable grondement d'ours.

- Mais il a su se montrer brave et faire oublier ce qui pouvait constituer un élément rédhibitoire à sa condition de Paladin. Ce qui n'est pas le moindre de ses exploits.

Johnny décocha un regard complice au mutant, ravi de son sort.

- Tout ça pour dire, que vous avez sans nul doute gagné vos entrées, ici, Monsieur Behemoth. Pour autant, votre intervention me paraît un tantinet dépasser ces droits fraîchement acquis.

- J'en suis le premier désolé, avoua Johnny qui savait reconnaître la valeur d'un homme à ses mots. Je désirais simplement apporter mon soutien dans une expédition de premier ordre. Je suis loin d'égaler un membre de votre Confrérie dans son investissement pour un monde meilleur, je vous l'accorde volontiers. A vrai dire, je n'ai jamais vraiment cru que les choses pouvaient s'arranger. Mais ce que je sais, c'est que tant qu'il y aura des pourritures qui continueront de sévir en ce bas monde, moi, Johnny Behemoth premier et seul du nom, je serai là pour leur piétiner la gueule et leur rappeler que s'il n'y a plus de justice y aura toujours mon 44 pour remettre un peu d'ordre dans tout ce bordel qui nous entoure.

Il tapota la crosse de son magnum comme pour donner plus de poids à sa harangue.

Fawkes se mit à applaudir sans retenue, bientôt imité par Cross. Finalement tous les paladins et scribes présents dans la salle saluèrent l'oraison du mercenaire qui en fut le premier étonné.  Même Kodiak se surprit à sourire.

L'Aînée Lyons le toisa avec amusement :

- Et bien, on peut dire que vous savez soigner votre entrée, Johnny Behemoth. Je pourrais certainement vous trouver un rôle à jouer d'ici peu.

Le mercenaire savoura la nouvelle.

- Ce sera avec grand plaisir.

Et Fawkes de l'enlacer à nouveau.

- Arrête, ils vont finir par croire qu'on est marié !

- A propos, fit le mutant profitant d'un nouveau discours de Lyons à l'adresse de ses hommes, où est Emma ? Elle va bien ?

- Oui. Elle est à Big Town pour quelques jours. Elle a retrouvé de la famille là-bas. Je me suis dit que c'était l'occasion idéale de venir voir un vieil ami. On dirait que je tombe à pic !

- Oui, exulta Fawkes, c'est reparti pour un tour !

 

Chapitre 4 : La Croisière s'amuse

 

La confrérie avait assez de connaissances pour lancer l'Opération Coup de Poing.

L'Aînée Lyons souhaita bonne chance à ses troupes, vêtu de sa fidèle robe de scribe bleue et les regarda quitter l'enceinte de la Citadelle, conscient des enjeux.

L'escouade était dirigée par le Paladin Stellaire Cross et composée de l'inénarrable duo Johnny/Fawkes, du Paladin Kodiak, du Chevalier Artemis, du Chevalier Capitaine Dusk (sniper expert) et de quatre recrues qui avaient déjà démontré leur potentiel dans de précédentes missions.

Ils partaient rejoindre DC. Ils pensaient prendre le métro, mais Johnny leur avait proposé une solution plus rapide et moins risquée. Il connaissait une femme qui possédait un bateau et qui pourrait leur faire traverser le fleuve en moins de deux. Le temps était trop précieux pour se permettre des pérégrinations inutiles.

La femme en question s'appelait Nadine. C'était une rousse au tempérament volcanique qui affichait une apparence de mercenaire avec ses vêtements usés et son canon scié à la ceinture. Nul doute qu'elle avait dû vivre de drôles d'aventures, elle aussi. Les paladins comprirent rapidement comment il avait été facile pour Johnny d'obtenir son assistance. Ils étaient faits du même bois.

L'après-midi touchait à sa fin lorsqu'ils montèrent à bord. Nadine les accueillit froidement, mais personne ne s'en plaignit.

Le départ fut rapidement donné et le bateau se dirigea vers l'autre rive, vers DC.

- Alors, fit Nadine, tandis que Johnny la rejoignait dans la cabine de pilotage, quoi de neuf dans les Terres désolées ?

Johnny croisa les bras sur sa poitrine et observa distraitement le fleuve.

- Bah, la routine. Des méchants pas beaux à dérouiller.

Puis son visage s'éclaira.

- Ah, si. J'ai gagné une moto très sympa. Tu adorerais. Faudra que je t'emmène faire une ballade, un de ces quatre.

Nadine renifla comme si quelque chose l'incommodait. Elle aussi faisait mine de s'intéresser au fleuve.

- Et Emma ?

- Elle va bien. Elle est à Big Town pour quelques jours. Elle a retrou...

- Ca ne lui fait rien ?

- De quoi ?

Nadine regarda Johnny avec une franchise qui le désarçonna.

- De te savoir avec moi.

Johnny se racla la gorge.

- Et bien, à dire vrai, elle ne sait pas réellement ce que je fais. J'étais venu voir mon ami Fawkes et...

- Le mutant ? fit-elle en riant.

Johnny afficha une gêne plutôt rare chez lui.

- Oui, le mutant.

Nadine reporta son regard vers l'avant.

- Je pensais que tu finirais un jour par trouver un partenaire digne de toi. Je pensais juste que ce serait quelqu'un d'autre.

Johnny s'approcha d'elle.

- Je sais ce que tu penses. Mais c'est pas aussi simple. Je suis avec Emma, maintenant.

Nadine le dévisagea. Son regard troubla le mercenaire. Et autant dire qu'il en fallait beaucoup pour le troubler.

- C'est sûr que les tentations sont moindres avec un mutant.

Johnny supporta son regard, non sans effort.

- Exactement.

Puis comme s'il ne s'était rien passé, elle prit un ton jovial et donna un coup de gouvernail pour éviter un récif :

- Si tu me dois une ballade, alors moi aussi. Je connais un coin que tu rêverais d'explorer. C'est un peu humide, mais ça change vraiment des Terres Désolées. J'y ai vécu de sales moments, mais j'avoue que ça m'a aidé à me forger un caractère en acier.

- Et comment il s'appelle ce paradis ? fit Johnny plus qu'intéressé.

- Ca s'appelle Point Lockout. Les indigènes sont tout à fait ton genre : laids, dangereux et ils pullulent comme des goules dans un métro.

- J'avoue que c'est tentant. Je suis en manque de nouvelles têtes, ces temps-ci...

Fawkes apparut à l'entrée de la cabine.

- Dites, chef, j'ai un truc à te dire.

Nadine adressa un clin d'œil narquois au mercenaire.

- Vous voulez que je vous laisse la cabine.

Johnny secoua la tête en souriant.

- Qu'est-ce qui se passe ?

- On a repéré du mouvement dans l'eau.

- Des fangeux, tu crois ?

Fawkes haussa les épaules.

- Possible.

Nadine vérifia son canon scié.

- Ces saloperies me fichent la paix d' habitude, mais quelques fois...

Il y eut un choc terrible et les trois héros faillirent se retrouver les quatre fers en l'air.

En bas, les paladins étaient sur le qui vive.

- En voilà un,  annonça Dusk en mettant un fangeux en joue.

La créature était en train de remonter à la surface à une vingtaine de mètres. Elle arborait comme tous ses semblables une solide carapace et une tête presque invisible. Elle brassait l'eau de ses membres inhumains. On aurait dit une espèce de crabe géant. En beaucoup moins savoureux. Il nageait parfaitement et ses membres postérieurs lui permettaient de surcroît de se déplacer facilement sur la terre ferme où il osait parfois s'aventurer. Un curieux mélange dû encore une fois aux radiations post-nucléaires.

Dusk fit feu avec une précision chirurgicale. La balle perfora le visage du fangeux qui demeura aussi inerte qu'une bouée.

- Joli tir ! dit Johnny qui venait de redescendre. Il se félicita d'avoir un soldat tel que lui à ses côtés. Etant donné ce qu'ils allaient bientôt affronter, ce n'était pas du luxe.

Dusk continua de fouiller le fleuve avec la lunette de son fusil, bientôt imité par Johnny et son 44 amélioré. Le bateau reprit sa route. Il avait dû heurter une épave.

Le fond du fleuve était rempli de débris.

- De ce côté, attention !

Une recrue venait de déceler un roi fangeux. D'apparence beaucoup plus humaine, il détenait une arme terrible : un rayon sonique qu'il projetait en hurlant.

Le jeune soldat réagit trop tard et il reçut un rayon en pleine tête. Il s'écroula aussitôt.

Cross l'examina rapidement.

- Il a perdu connaissance.

Elle fit parler son fusil laser et toucha la créature ainsi qu'une autre qui émergeait à proximité.

- Il en vient de tous les côtés ! cria-t-elle.

Les rois fangeux harcelaient les paladins de leurs attaques, les distrayant et permettant aux fangeux de se rapprocher plus facilement du bateau. L'un d'eux parvint à monter à bord. Il reçut un chapelet de plomb, mais heurta un soldat avant de mourir sur le pont. La malheureuse recrue tomba à l'eau et avant que ses camarades aient pu intervenir, trois fangeux réglèrent son sort.

- Fumiers ! rugit Kodiak. Je vais tous vous bouffer, sales crabes de merde !

Johnny arracha quelques grenades de l'équipement d'un des paladins et les lança dans l'eau. Un magnifique geyser souleva trois cadavres de fangeux.

- On dirait qu'on aura de la soupe pour ce soir !

Dusk abattit un roi d'une balle en pleine tête et observa avec satisfaction sa cervelle en apesanteur.

Fawkes se précipita à la poupe. Plusieurs fangeux étaient en train de grimper par-dessus le bastingage.

- C'est l'heure du bain de sang !

Il brandit sa gatling laser et fit de la compote de fangeux. Des pinces restèrent accrochés au parapet comme d'improbables ornements.

- On dirait qu'ils se calment, dit Artémis après avoir vidé un chargeur sur un groupe de créatures.

- Je vais voir Nadine, déclara Johnny.

Tandis qu'il montait l'escalier, un roi fangeux grimpa à bord et lui balança un rayon. Le mercenaire poussa un cri et tomba dans les marches.

- Johnny !

Fawkes fit volte-face. Il vit la créature grimper dangereusement vers la cabine.

Le roi fangeux tomba nez à nez avec une jeune femme rousse au tempérament volcanique. Détail d'importance elle braquait contre son faciès hideux le canon d'un calibre 12.

- Désolé, je prends pas les clandestins !

La seconde d'après, elle explosait littéralement le crâne de l'imprudent.

Les fangeux comprirent la leçon et cessèrent leurs attaques. On put alors s'occuper des blessés.

Johnny et l'une des recrues étaient allongés chacun sur une banquette et se remettaient doucement. Fawkes veillait consciencieusement sur le mercenaire.

- Je vais bien, le rassura Johnny. Je suis juste un peu sonné.

- Nous avons déjà perdu un homme, constata Kodiak. Cette mission sent pas bon.

- Allons, fit Cross, nous savons bien que dans ce genre d'entreprise, le voyage en lui -même fait partie des risques.

- Et si c'était un piège ? s'inquiéta une recrue. Et si l'Enclave avait laissé ses informations à dessein, afin de nous tendre une embuscade ?

- Dis-toi que nous y avons pensé, répondit Artémis et que c'est pour ça que nous avons choisi d'emmener des bleus tels que toi !

L'autre ne trouva plus rien à dire.

La tension était palpable. Chacun était pressé de mettre pied à terre et de tomber dans la gueule du loup si tel était leur destin. Le doute était plus irritant encore.

 

Chapitre 5 : Dans la Gueule du Loup

 

L'escouade fut soulagée une fois le bateau amarré de l'autre côté du fleuve.

Les paladins remercièrent Nadine qui leur offrit quelques provisions pour la route.

- Je vous ai même fait du pâté de fangeux, dit-elle en riant.

Johnny lui fit un signe de la main depuis la berge.

- A bientôt sale rouquine !

- Dégage, beau blond !

Puis il rejoignit les autres en ignorant le malaise qu'il ressentait.

Leur progression à travers les ruines de la capitale se fit dans un silence presque royal. Les membres de la confrérie n'étaient pas très loquaces et Johnny lui-même se perdait régulièrement dans ses pensées. Fawkes n'osait le divertir de peur de déclencher son courroux.

Le mutant se mit à siroter un nuka cola quantum.

La bouteille explosa dans sa main.

Les paladins se mirent immédiatement à couvert.

- Vous voyez quelque chose ? s'enquit Cross.

Dusk et Johnny fouillèrent la place et les immeubles dévastés à l'aide de leur lunette respective.

- Y en a deux derrière l'abribus, annonça le second.

- Et un dans l'immeuble à droite, renchérit le premier.

Cross médita un instant avant d'ordonner :

- Fawkes fait parler ta gatling sur l'abribus. Dusk, tu décolles pas ton viseur de l'immeuble. Dès que tu peux, tu tires !

Le mutant se dressa et arrosa la cible désignée d'une bonne rafale de laser.

Les deux hommes planqués changèrent de position et se découvrirent un peu. Suffisamment pour être identifiés. C'était des soldats de l'Enclave. Ils avaient dû établir un avant-poste en vue de dissuader d'éventuels visiteurs de s'approcher de leur base secrète.

Tous les paladins se mirent à ouvrir le feu sur les deux soldats qui répliquèrent avec leur fusil à plasma. Touché, Artemis se renversa en arrière.

Dans l'immeuble, quelque chose bougea. Dusk mit rapidement la menace dans sa ligne de mire. Une balle siffla à un pouce de son casque. La sienne trouve le front du tireur embusqué qui chuta du haut de son perchoir avant de s'écraser sur une carcasse de voiture.

- Cessez le feu ! hurla Cross.

Les trois ennemis étaient morts. Kodiak et sa massue allèrent s'en assurer de plus près. Artemis se faisait soigner par les recrues.

- Venez voir ! cria Kodiak .

L'escouade le rejoignit près du corps du sniper de l'enclave. Il avait perdu son casque.

- C'est Bones ! s'exclama Cross. C'est un des nôtres. Il a disparu il y a une semaine. On a cru que les mutants en avaient fait l'un des leurs.

Johnny caressa une marque étrange sur une de ses tempes.

- Je crois que l'Enclave commence à se spécialiser dans les expériences d'un goût douteux.

Ce terrible constat ne fit que renforcer la détermination du groupe.

Kodiak serra les dents de plus belle. Ils offrirent une sépulture décente au paladin Bones et se remirent en route.

 

La route était monotone. Les ruines de DC offraient peu d'intérêt. Mais le groupe était aux aguets, s'attendant à tout moment à subir un autre assaut de l'Enclave.

Ils parvinrent à une autre place. Il n'y avait pas d'autre chemin possible, il leur fallait la traverser.

- Un instant, dit Dusk.

L'œil rivé à sa lunette, il inspectait le sol.

- Ma main à couper que c'est un champ de mines.

- Qu'est-ce qui te fait dire ça ? s'enquit Cross.

Le sniper tira et la seconde d'après une explosion creusa un cratère fumant aux dimensions inquiétantes.

- Ca !

- Des mines à plasma, grogna Kodiak. Ca va être coton !

Fawkes bomba le torse.

- Laissez-moi y aller, dit-il. Je vais vous frayer un chemin. Je suis le plus costaud.

- Non, fit Johnny en l'arrêtant. T'es juste le plus cinglé. Y a sûrement une meilleure solution.

L'une des recrues du nom de Texas s'avança.

- Avec votre permission, je me porte volontaire. Dusk sera mon guide, il me dira où aller. Je baliserai le chemin avec ces fumigènes au fur et à mesure de ma progression. Vous n'aurez alors plus qu'à les suivre. J'ai eu la meilleure note aux tests d'aptitude physique. Je suis l'homme de la situation.

Devant tant d'ardeur, Cross ne put qu'approuver.

- Bonne chance, soldat !

- On est avec toi, l'encouragea Johnny.

Le volontaire jeta un dernier regard au peloton avant de commencer son périple. Dusk sentait une pression monstre sur ses épaules. Mais il avait de l'expérience et une totale confiance en ses capacités. Ce genre de responsabilité le grisait plus qu'une bouteille de whisky.

- Vas-y, Texas, tout droit !

- Tout droit ! répétèrent les autres à l'unisson.

L'intéressé sourit.

- Bien reçu.

Cross le regarda évoluer avec angoisse sur ce qui était ni plu ni moins un tapis de bombes. Elle décida de détendre tout le monde, à commencer par elle :

- Fais attention ! Ce serait dommage de trouer ce joli petit cul !

- Un poil sur ta gauche ! annonça Dusk. Oui, comme ça !

Johnny se mordait la lèvre. Il se sentait impuissant. Et il détestait ça.

- Pour un peu, dit Dusk, il n'aurait presque pas besoin de moi. Il se débrouille comme un chef. J'ai l'impression qu'il voit les mines avant moi. Regardez-le, il est déjà presque de l'autre côté.

Texas venait de poser un nouveau fumigène sur ses pas lorsqu'une explosion retentit.

Tout le monde sursauta.

Dusk fit pivoter sa lunette.

- C'est rien, c'était juste une saloperie de radcafard.

- Texas, continue !

L'œil du sniper s'écarquilla brusquement.

- Attention, sur ta droite !

Texas interpréta l'ordre donné de travers à moins que ce ne fut Dusk qui commit une maladresse. Il crut qu'il devait aller à droite alors que c'était précisément là que résidait le danger. L'explosion fit voler le corps du jeune soldat à plusieurs mètres de hauteur. Les autres virent avec horreur une jambe se détacher dans un flot de sang.

- Putain, c'est pas vrai ! s'emporta Dusk, empli d'incompréhension.

Les larmes aux yeux, il tira sur une mine permettant au corps de Texas de retomber sans danger de l'autre côté de la place. Il avait réussi à leur tracer la route. Mais à quel prix. Dusk fut le premier à passer derrière lui, ce qui était compréhensible.

Lorsque tous les autres l'eurent rejoint, Texas ne respirait plus. Et pourtant son visage rayonnait. Comme s'il mesurait pleinement ce qu'il avait accompli.

Dusk prit son holoplaque.

- Je te jure qu'on se souviendra de toi ! Je te le promets.

 

 La mort de Texas laissa planer un silence de mort sur le groupe déjà peu enclin à converser. Seul Fawkes s'autorisait à chantonner de temps en temps, ce que tout le monde appréciait finalement sans l'avouer :

 

«C'est qui qui tourne pas rond ?

C'est l'Enclave !

 C'est qui qui va manger du plomb ?

C'est l'Enclave !

C'est qui qui va lui refaire le portrait ?

C'est nous, la Confrérie de l'Acier !

 

Dusk secouait régulièrement la tête, caressant l'holoplaque du défunt. Johnny l'observait. Il avait de la peine pour lui.

Il serra les poings. L'Enclave allait payer au centuple les pertes subies. Il pouvait le lire sur chaque visage.

- D'après le plan, dit Artemis, on ne devrait plus être loin.

Il n'avait pas plus tôt dit cela que Dusk repérait deux soldats de l'Enclave encadrant l'entrée d'une simple tente.

L'escouade se mit rapidement à couvert pour aviser de sa future stratégie.

- Le mieux serait de ne pas déclencher l'alerte, commença Cross. On ignore combien ils sont là-dedans !

- Dans une tente, y a pas beaucoup de place ! observa Fawkes.

- Cette tente est une vitrine pour ne pas attirer l'attention, expliqua Artemis. Le véritable accès est souterrain.

Fawkes se tordit le cou pour semble-t-il examiner le bas de son dos.

- Laisse tomber, dit Johnny en s'amusant du quiproquo.

Kodiak poussa un grognement pour annoncer qu'il allait parler :

- Je propose qu'on les contourne. Moi et...tiens, Johnny !

Les deux hommes s'apprêtaient à quitter leur poste quand Fawkes jeta quelque chose sur le sol. C'était une armure de l'Enclave.

- C'est celle de Bones ! Elle pourrait permettre à l'un de vous d'entrer incognito, non ?

Johnny le gratifia de son sourire charmeur :

- Alors, toi, tu m'étonneras toujours !

Puis il se passa une main sur le menton en dévisageant le super mutant :

- En y réfléchissant bien, on pourrait même y entrer à deux !

 

Quelques instants plus tard, un soldat de l'Enclave accompagné d'un super mutant s'approchait de l'entrée de la tente.

Les gardes ne parurent pas trop étonnés de cette visite. Mais ils manifestèrent une certaine nervosité en voyant que le mutant était assez vivace.

- Ne vous inquiétez pas, fit le soldat, je lui ai injecté un tranquillisant. Il ne fera aucune vague.

- Tu n'es pas au courant ? On ne prend plus de spécimens. Apparemment, il y a un souci au niveau du comportement des hybrides. On a reçu l'ordre de contrôler d'abord ceux-là avant de refaire des expériences de mutation.

Johnny allait répondre quelque chose lorsque l'autre garde lui demanda :

- Je reconnais pas ta voix. Tu serais pas...

- Bones, termina le mercenaire. Je suis Bones. Mes deux partenaires se sont faits liquidés à l'avant-poste. J'en ai réchappé de justesse. Heureusement, je reviens pas les mains vides.

- C'est con, dit le premier garde, mais Bones a eu la langue arrachée pendant son interrogatoire. Il y a une semaine.

Johnny caressa le 44 planqué dans son dos. Il se mit à rire.

- C'est vrai que c'est très con !

Les deux gardes pointèrent leur fusil à plasma, mais avant d'avoir pu faire feu, ils recevaient chacun deux balles dans le crâne.

- Merci Dusk, fit Johnny sans se retourner.

 

Quelques minutes plus tard, ils étaient tous les sept à l'intérieur de la tente. Artemis avait dit vrai. Une porte métallique permettait d'accéder à un souterrain. Seulement elle ne s'ouvrait que par un terminal. Qui réclamait un code bien spécifique.

- Merde ! gronda Kodiak. Ca commence à bien faire ces conneries !

Il s'empara de la gatling laser de Fawkes.

- Je vais vous faire une serrure, moi !

Cross l'arrêta à temps.

- T'es malade, Kodiak ! Si tu fais ça, on peut dire adieu à la discrétion.

Kodiak la défia du regard :

- On est pas venu faire de la dentelle, que je sache !

- Moins on se fera repérer, mieux ce sera. A partir de maintenant, nous n'avons plus aucun indice sur ce qui nous attend. A part que les scientifiques de l'Enclave ont donné naissance à une espèce contre-nature qu'ils maîtrisent plus ou moins bien. C'est pas le moment de perdre les pédales. Ok ?

Kodiak souffla un grand coup et rendit son arme à Fawkes.

- Désolé, Cross.

- Bon sang !

Artemis en avait profité pour s'installer devant le terminal. Et visiblement, les choses ne se présentaient pas très bien.

- Il ne me reste plus qu'une seule chance, après ça l'ordinateur se verrouille définitivement. J'ai le choix entre trois mots.

- Lesquels ? demanda une recrue du nom de Manfred.

- Adversité, horizon ou déficience.

Tout le monde se mit à réfléchir sur le choix le plus logique.

- Adversité, dit Johnny. Ca symbolise leur lutte contre vous, contre la Confrérie.

- Je dirais plutôt horizon, dit Cross. L'horizon c'est le futur et c'est justement ce qu'ils pensent fabriquer en ce moment.

- Choisis déficience, déclara l'autre recrue prénommée Salt avec une surprenante assurance.

- Pourquoi, interrogea Artemis. Les autres ont de bons arguments. Quel est le tien ?

- J'ai obtenu la note maximale aux tests de logique et de psychologie.

Artemis sourit.

- C'est un très bon argument.

Il attendit une approbation de Cross avant d'appuyer sur une touche du clavier.

- Va pour déficience !

Un chuintement métallique les figea tous sur place. Artemis se recula de peur que le terminal ne soit piégé. La porte coulissa et ils distinguèrent une volée de marches.

Tandis qu'ils descendaient dans les profondeurs, Salt se rapprocha d'artemis :

- Je t'ai menti. Je suis passé de justesse aux tests. Le vrai argument c'est que j'ai toujours eu du bol aux devinettes. Mais avoue que ça ne t'aurait pas convaincu !

 

Chapitre 6 : L'Arme Parfaite

 

Ca y était. Ils venaient de plonger dans la gueule du loup, dans l'antre de la folie.

Ils cheminèrent dans un réseau de galeries, suivant les conduits principaux.

- Ils nous mèneront à coup sûr aux laboratoires, expliqua Artemis.

Toujours revêtu de l'armure de l'Enclave, qu'il trouvait très inconfortable, Johnny Behemoth ouvrait la marche, Fawkes était en queue de peloton. La lumière éclairait le tunnel par intermittence, comme si le réseau électrique avait subi un disfonctionnement.

- On dirait que l'Enclave a pas payé sa facture, plaisanta le mercenaire.

Ils passèrent devant plusieurs portes verrouillées dont l'accès leur était interdit. Même pas de terminal à proximité. La base ne leur livrerait pas tous ses mystères.

En même temps,  ils n'étaient pas venus faire un état des lieux.

- Ca s'élargit, annonça Johnny.

Aussitôt les mains se resserrèrent sur les armes.

- Merde !

Johnny venait de se baisser. Il avait buté dans un objet mou.

Manfred, qui était derrière lui, s'alarma :

 - Qu'est-ce qu...

Une rafale couvrit le reste de sa phrase et la recrue tomba sur ses équipiers, le casque perforé. Son visage n'était plus qu'une infâme bouillie.

- Non !

Dusk se baissa et pointa son fusil. En deux coups, il détruisit la tourelle Mark VI vissée au plafond et qu'aucun d'eux n'avait su repérer dans la pénombre.

- Il est mort, dit Artemis.

Salt se sentit soudain très seul :

- Si c'est un bizutage, il est vraiment de très mauvais goût !

Evidemment, personne ne rit. Les pertes se montaient à trois. Trois bleus. Trois initiés. Mais il fallait poursuivre, coûte que coûte.

- Regardez, dit Johnny. J'ai marché sur un corps.

Ils se baissèrent pour l'examiner.

- C'est un soldat de l'Enclave.

- Qu'est-ce qui s'est passé ?

Kodiak caressa l'armure qui présentait des griffures et un trou béant au niveau de la poitrine.

- On dirait qu'il est tombé sur un écorcheur. Mais regardez la taille des blessures. Un spécimen comme ça, ça n'existe pas. Le bougre s'est fait littéralement décapsulé.

Les soldats se dévisagèrent.

- Je crois qu'on a une petite idée de la tournure des évènements, dit Cross. Un mélange d'écorcheur et de super mutant, ça ne pouvait pas donner un rataupe. On a affaire à une super espèce comme on n'en a jamais vu. Une arme parfaite.

- Et en totale liberté, ajouta froidement Kodiak.

- Ce n'est peut-être qu'un accident isolé, espéra Salt, peu enclin à se mesurer à un super écorcheur.

Johnny se redressa, le magnum au poing :

- Quelque chose me dit qu'on va rapidement le savoir.

Un chuintement métallique résonna dans leur dos et ils assistèrent impuissants à la fermeture du tunnel par une porte blindée. Sitôt après, une voix de femme enregistrée annonça avec le plus grand calme :

- Danger sécurité niveau 4 ! Fermeture des accès principaux ! Tout le personnel est invité à quitter la base en empruntant les sorties d'urgence. Je répète : danger sécurité niveau 4...

- Y a combien de niveaux ? s'inquiéta Salt.

- En principe, y en a cinq, répondit Cross.

- Et qu'est-ce qui se passe à ce moment-là ?

Kodiak regarda l'initié avec un sourire de prédateur :

- Boum !

- De mieux en mieux ! ajouta l'initié. Dire que j'étais content de venir.

- Ouais, mais si on s'en sort, bonjour les honneurs, déclara Johnny.

Dusk ne partageait pas son point de vue :

- Raconte ça à Texas !

Cross sentit que c'était le bon moment pour ressouder l'équipe :

- Allez les gars, c'est pas l'heure de chômer ! On a pas encore nettoyé l'endroit. On doit s'assurer qu'ils ne pourront pas poursuivre leurs travaux ! Qui sont déjà bien trop avancés, fit-elle remarquer.

La galerie s'était suffisamment élargie pour qu'ils avancent sous forme de  trois binômes : Johnny/Dusk, Cross/Kodiak et Artemis/Salt. Fawkes fermait toujours la marche, sa gatling prête à œuvrer.

Ils avaient l'impression de marcher depuis des jours. Ils trouvèrent d'autres cadavres : soldats, officiers, scientifiques, parfois dans des postures qui laissaient deviner une fin violente et particulièrement soudaine. L'un des officiers était assis à une table. Il tenait encore un verre à la main, à la hauteur de ses lèvres, la moitié supérieure de sa tête reposant sur ses genoux.

- L'arroseur arrosé, observa Johnny.

De la fumée commença à s'engouffrer dans le tunnel au moment où ils descendirent une autre volée de marches.

- J'ai l'impression de m'enfoncer dans les entrailles de l'Enfer, avoua Salt.

- Alors préparons-nous au comité d'accueil ! renchérit Johnny.

La fumée s'épaissit, leur masquant à leur plus grand soulagement d'autres carnages qui avaient laissé sur les parois des éclaboussures peu ragoûtantes. Ils entrèrent dans une salle faisant office de vestiaire pour les scientifiques. Des corps mutilés jonchaient le sol. Les murs avaient été perforés par endroits, preuve qu'un combat terrible avait fait rage.

Kodiak n'en pouvait plus d'attendre une inévitable confrontation :

- Mais bon sang, qu'elles s'amènent ces pourritures sans nom !

Un grondement épouvantable répondit à son appel. Johnny sentit une présence avant qu'une force terrible ne le soulève dans les airs !

- Où est-il ? Je ne le vois pas ! cria Fawkes.

Johnny retomba violemment au sol, se félicitant d'avoir conservé l'armure de l'Enclave. Sans cela, il aura déjà rejoint le paradis des mercenaires.

Un cri retentit. Artemis tomba à son tour.

Kodiak se mit à faire de grands moulinets avec sa masse.

- Mais montre-toi, bordel de merde !

Puis ce fut Fawkes qui fit les frais d'une nouvelle attaque du prédateur qui pour l'heure demeurait toujours invisible.

- Je le tiens, hurla-t-il. Abattez-le !

Le mutant pissait le sang. Il avait lâché sa gatling laser.

Cross et Dusk firent feu de concert. Et c'est alors qu'ils virent les contours de leur ennemi se dessiner fugitivement. Il portait un camouflage optique. Tel un caméléon.

- Qu'est-ce que c'est que ce délire ?

Le monstre délaissa Fawkes et fit mine de s'intéresser aux autres. Salt évita de justesse une décapitation. Dusk tira une balle en espérant atteindre le crâne de la bête. Kodiak n'attendit pas le résultat et sa masse décrivit un magnifique arc de cercle. Le choc expédia le prédateur contre les casiers du vestiaire qu'il écrasa sous son poids formidable. Terrifiés, ils l'entendirent se relever d'un coup qui aurait assommé un behemoth. Furieux, Kodiak s'élança. La bête le repoussa d'un coup de griffe avant de prendre une balle de 44 entre les yeux.

Le monstre s'écroula face contre terre et apparut enfin aux yeux de tous. Son allure générale évoquait bien celle d'un écorcheur, à la différence qu'il était plus grand que n'importe lequel d'entre eux, plus massif et que ses griffes et ses cornes étaient encore plus démesurées. Et il était aussi vert que Fawkes.

Cross ne pouvait détacher ses yeux du cadavre qu'elle s'attendait à voir bondir à tout instant :

- Mon dieu, mais qu'est-ce qui leur a pris de donner naissance à un truc pareil !

- Une déficience mentale ! supposa Salt. Je comprends mieux le code d'entrée, maintenant.

On s'assura que la bête était belle et bien morte, puis on s'occupa des blessés.

Artemis était assez mal en point tout comme Fawkes. Ils nécessitaient tous deux des soins importants. Johnny s'en sortait mieux. Mais son bras droit le faisait souffrir plus qu'il ne l'eut souhaité.

- Et combien y a-t-il de ces charmantes créatures ? s'enquit Fawkes en grimaçant tandis que Cross appliquait un pansement sur sa poitrine déchirée.

Salt ramassa un imprimé taché de sang. En le déchiffrant, son visage devint blanc comme un linge :

- Une trentaine !

Kodiak s'assit sur un banc en secouant la tête :

- Je savais que cette mission sentait pas bon !

La voix précédente annonça :

- Alerte niveau 5. Danger maximum. Toutes les issues vont être verrouillées dans quelques instants. La phase d'auto-destruction sera enclenchée dans vingt minutes.

Personne n'osa faire de commentaire. Mais l'espoir commençait à se faire aussi rare qu'un sourire sur un fangeux.

Ils allaient se remettre en route quand une voix étouffée se fit entendre :

- Sortez-moi de là, je vous en supplie !

Les membres de l'escouade se retournèrent comme un seul homme. L'un des casiers sur lesquels le monstre s'était écrasé venait de parler. Couvert par ses équipiers, Fawkes s'en approcha et toqua à la porte :

- Y a quelqu'un dans la boite ?

Il souleva le casier et d'une simple secousse il ouvrit la porte et libéra son contenu. Un scientifique de l'enclave en combinaison dégringola de sa cachette improvisée. En tombant nez à nez avec le cadavre du super écorcheur il poussa un hurlement.

- Il est mort, l'informa placidement Kodiak en le soulevant d'une main. Son regard n'eut alors rien à envier à la gatling laser de Fawkes :

- Et tu vas bientôt l'imiter, salopard !

Cross s'avança, la mâchoire serrée :

- Ca vous a pas suffi de trafiquer les mutants et les écorcheurs, il a fallu aussi que vous fassiez joujou avec les cerveaux de nos gars !

Le survivant s'affola :

- Pitié, je vous dirai tout ce que je sais !

- Combien vous avez de prisonniers, poursuivit Cross, combien de nos hommes croupissent dans cette base ?

Kodiak secoua le scientifique qui peinait à trouver ses mots :

- Réponds, enfoiré ! Combien ?

- Un, un seul ! Je vous jure que c'est vrai. Mais il n'est pas ici en ce moment. Il est...

- Mort, acheva Dusk. Il s'appelait Bones. Et c'est moi qui l'ai tué.

Il colla le canon de son fusil sur le front ruisselant de sueur du chercheur :

- T'as voulu jouer à Dieu. Mais c'est l'Enfer que tu vas connaître.

- Ca suffit ! intima Cross. Nous ne le tuerons pas. Les infos qu'il détient sur l'Enclave valent plus que son cadavre. C'est l'intérêt de la Confrérie qui prime sur toute autre considération. L'Aînée Lyons en personne voudra l'interroger. Ne le privez pas de ce plaisir.

Cross était un soldat aguerri doublé d'une femme intelligente. Elle connaissait suffisamment ses hommes et en particulier Kodiak pour savoir qu'en mentionnant le nom de leur leader, elle parviendrait sans peine à restaurer le calme et la raison dans les esprits.

Tandis que Kodiak libérait leur prisonnier, Cross le fusilla du regard :

- Ne te crois pas sauvé pour autant. Tu regretteras bientôt la compagnie des supers écorcheurs lorsque nous t'exposerons dans la Citadelle à la vue de tous.

L'intéressé déglutit lentement, puis il dit :

- Si vous m'emmenez avec vous, je dois récupérer des archives dans mon bureau. C'est par ici.

- Il recula vers l'issue qu'ils avaient emprunté pour venir. Son bas-ventre explosa, aspergeant les soldats les plus proches de morceaux d'intestins. Quelque chose remonta en un éclair jusqu'au sommet de son crâne, sectionnant son buste sur toute sa hauteur. Le super écorcheur quitta son camouflage intégral. Il lécha sa main toute poisseuse de sang et enjamba sa victime avec un mouvement presque félin. Ses petits yeux jaunes jetaient des lueurs diaboliques.

Johnny lui fit sauter la main d'un tir bien ajusté et les autres se chargèrent de lui amputer les jambes avant qu'il puisse bondir sur eux. Lorsque son corps s'abattit sur le sol, il respirait encore. Kodiak appuya alors une botte sur sa nuque et laissa tomber sa massue sur son crâne hybride :

- Avec nous, ton espèce ne fera pas de vieux os !

 

Ils reprirent leur progression, attentifs au moindre bruit suspect, à la limite de la paranoïa.

Cross était en tête du cortège, suivait Dusk, Salt soutenant Artemis, Johnny épaulant Fawkes et Kodiak fermant la marche, armé de la gatling laser du mutant.

Artemis déchiffrait le reste du document trouvé par l'initié :

- Ils mentionnent plusieurs fois le stealth boy que nous savons tous être un gadget très pratique pour bénéficier d'une furtivité limitée. Il semble que ses composants entrent dans la structure cellulaire du super écorcheur. Pour notre plus grand malheur.

- Une arme vraiment parfaite, nota Cross. Y a-t-il d'autres surprises au menu ?

Artemis poursuivit sa lecture avant de secouer la tête :

- S'il y en a, elles ne sont pas indiquées ici.

Ils entendirent une autre porte se fermer derrière eux. L'avenir devenait de plus en plus incertain pour l'Opération Coup de Poing.

Ils finirent par atteindre le labo principal où les attendait un spectacle des plus macabres.

D'autres scientifiques gisaient ça et là, dans d'écoeurants tas d'entrailles. Un nombre important de soldats avaient aussi trouvé la mort emportant avec eux quelques prédateurs. Mais en faisant les comptes, il restait assurément des créatures en nombre suffisant pour inquiéter les membres de la Confrérie de l'acier.

- Faut buter les saloperies qui restent et trouver un moyen de se casser d'ici rapidement !

Cross jaugea Kodiak avec un sourire.

- Je n'aurais pas mieux dit !

Ils examinèrent les installations.

Les gigantesques containers en verre brisés par leurs occupants témoignaient de la sortie prématurée des créatures hybrides. Et de l'échec du projet. Enfin, d'un certain point de vue. Car le moins que l'on pouvait dire, c'était que les créatures étaient parfaitement viables.

Des corps de super mutants et d'écorcheurs maintenus dans une sorte d'état végétatif attendaient sagement de servir de cobayes pour de futures expériences.

La gatling laser détruisit ce destin programmé par l'Enclave.

Artemis, accompagné de Salt, compulsait toutes les données auxquels il pouvait avoir accès via les terminaux et les formulaires abandonnés. Il désigna un cercle sur le sol au centre de la salle et un autre visible sur la voûte éloignée.

- Apparemment, ça doit s'ouvrir des deux côtés.

- Auto-destruction dans dix minutes ! annonça la voix enregistrée.

Salt et Artemis s'associèrent joyeusement pour trouver le code d'accès.

- Les voilà !

Pas moins de sept supers écorcheurs jaillirent dans le labo. Ils se tenaient légèrement voûtés comme de simples écorcheurs, mais leur teint verdâtre et leur gabarit rappelait inévitablement l'autre espèce à laquelle ils étaient affiliés.

- Feu à volonté ! ordonna Cross pour la plus grande satisfaction de tous.

Salt et Artemis redoublèrent d'efforts pour déloquer la commande du sas d'urgence.

Kodiak pulvérisa deux créatures. Dusk en abattit deux aussi. Affaibli, Fawkes regardait alentours afin de détecter une menace moins évidente. Johnny, quant à lui, faisait parler avec une égale efficacité son calibre 12 et son magnum 44.

Finalement, c'était les super écorcheurs qui allaient payer la facture de leurs créateurs. Il ne resta bientôt plus que des cadavres troués comme des passoires.

Kodiak cracha au sol :

- La génétique, je la nique !

Quelque chose lui tomba dessus sans crier gare. Il chuta sur le ventre et impuissant, sentit des griffes meurtrières creuser un tunnel dans son armure !

- Merde ! Débarrassez-moi de lui !

Son agresseur était camouflé. Ses équipiers tirèrent au jugé.

- Il y en a d'autres ! hurla Fawkes en empoignant la massue de Kodiak d'une main ferme.

Johnny se tint près de lui et fit feu avec son canon scié, terrassant un prédateur à bout portant.

Dusk repéra des empreintes faites dans une flaque de sang. Il vida un chargeur sur la créature qui pensait être totalement invisible.

- Où en sont les comptes ? interrogea Kodiak. Combien nous en reste-t-il à zigouiller ?

- S'il y en a bien une trentaine, répondit Cross, il doit nous en rester une dizaine.

Ils profitèrent de l'accalmie pour recharger. Cross rejoignit Salt et Artemis.

- Qu'est-ce que ça donne de votre côté ?

En guise de réponse, une ouverture se dessina dans le sol et un vertiptère en émergea.

- Ca se présente mieux ! dit Johnny.

Fawkes lui dédia un sourire complice.

- Ca me rappelle des souvenirs !

- Tu m'étonnes, fit le mercenaire qui comprenait parfaitement l'allusion.

(cf Johnny Behemoth contre Dr Nuke)

- Par contre mauvaise nouvelle, annonça Artemis. On a verrouillé l'ouverture automatique du plafond. Et la commande manuelle est défectueuse. Quelqu'un va devoir rester en bas pour l'activer manuellement et la laisser ouverte.

Implicitement, cela signifiait qu'il fallait faire un sacrifice.

- Je m'en charge, dit Fawkes dont le pansement était imbibé de sang. Montez dans l'appareil.

- Qu'est-ce que tu racontes ? s'exlama Johnny. Tu es le seul à savoir piloter l'un de ces engins !

Fawkes sourit :

- Tu sais très bien que ce n'est pas vrai, Johnny.

- Auto-destruction dans cinq minutes !

- Bon décidez-vous ! grogna Kodiak tandis que Salt et Artemis grimpaient déjà à bord de l'appareil. Tout va péter dans cinq minutes, y compris les saloperies qui sont encore à l'intérieur cette base ! On a plus qu'à mettre les voiles, maintenant !

Il fit parler la gatling.

- Grouillez, hurla-t-il. Voilà les derniers qui pointent leur museau !

Dusk et lui reculèrent en direction du vertiptère tout en couvrant leur retraite. Cinq autres super écorcheurs venaient de pénétrer dans la salle par différents accès.

Cross entraîna Johnny avec elle.

- Fawkes sait ce qu'il fait !

Le mercenaire prit la place du pilote non sans ressentir un profond dégoût.

- Je peux pas le laisser comme ça !

Dusk et Kodiak montèrent à leur tour dans l'appareil qui commença à s'élever.

Il restait deux écorcheurs encore assez vifs pour menacer Fawkes. Le mutant actionna l'ouverture de la voûte. Le ciel étoilé de la nuit apparut. Il leva son pouce en direction de Johnny et lui adressa un dernier sourire qui en disait long.

Puis il leva la massue de Kodiak au-dessus de sa tête :

- Venez, mes mignons, c'est tonton Fawkes qui régale !

Les deux super écorcheurs se ruèrent sur lui.

Johnny ne vit pas la suite des évènements. Et ce fut sûrement mieux ainsi.

Le vertiptère s'éloigna de la base et ils étaient hors de portée lorsque la destruction s'enclencha. Dans un sourd grondement ils aperçurent une boule de feu s'épanouir dans le ciel tel un soleil impromptu.

Johnny sentit son cœur s'alourdir d'un poids terrible.

- Adieu Fawkes !

La main de Cross se posa sur son épaule :

- Il aura sa place dans les archives de la Confrérie. Je vous le garantis.

Evidemment, c'était un piètre réconfort pour le mercenaire. Il venait de perdre un précieux allié et un ami de valeur, des denrées plutôt rares en ces temps si sombres, en ces Terres si Désolées.

 

 

 

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samedi, 01 août 2009

CRIMinalité INtensive [Nouvelles/Anticipations]

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 Prologue

 

Jimmy prit le temps de s'interroger une dernière fois sur l'utilité de son geste.

C'était vraiment tentant, un peu comme donner un bon coup de pied dans la fourmilière et regarder les dégâts se propager. Et puis, il avait pris ses précautions. Personne ne saurait que c'était lui. Il n'en était pas à son coup d'essai. Mais cette fois, ça risquait de foutre une belle pagaille. Tant mieux. Il avait toujours été un peu rancunier, alors forcément de se voir interdire l'accès au forum pour propos injurieux, il n'avait pas pu le digérer. Après tout, il n'avait fait que dire tout haut ce que beaucoup pensaient tout bas.

Il appuya sur la touche, scellant le destin de beaucoup de personnes.

Un sourire s'étira sur son visage d'ado boutonneux.

- A vous de jouer, les gars !

 

CHAPITRE 1

  

John Carson ouvrit les yeux et regretta aussitôt son geste. Il se rappela qu'il vivait dans un monde à bout de souffle. Il jeta un regard au cadran du réveil. Il afficha 6:66 pendant quelques secondes avant d'annoncer plus sérieusement 6:00.

John poussa un soupir. Même les machines devenaient folles.

En se tournant vers la gauche, il oublia momentanément ses idées noires à la vue d'une épaule et d'une jambe gracieuse émergeant de sous le drap. Sa bouche couvrit la première et sa main épousa la seconde. La lumière qui filtrait à travers les persiennes miroitait sur les parties du corps ainsi exposées comme pour l'inviter davantage à s'y attarder.

- Il est un peu tôt, non ? fit la voix enrouée de Linda.

John sourit. Il connaissait ce ton là par cœur. C'était facile de lire entre les lignes après sept ans de vie commune. Tout en continuant à la caresser du bout des doigts, il plongea son visage dans ses boucles blondes:

- Je ralentis ou j'accélère ?

Il l'entendit sourire à son tour.

- Je te laisse deviner.

Elle se tourna vers lui. En scrutant son visage, même maquillé par la pénombre, il se félicita d'avoir ouvert les yeux  de si bonne heure. Il l'embrassa, sa main continuant de masser paresseusement sa cuisse. Elle commença à gémir. L'explosion fut si violente qu'elle ébranla l'appartement.

John bondit du lit :

- Putain, qu'est-ce que c'était ?

Linda s'alarma.

- J'espère que ce n'est pas la bibliothèque. J'ai vu une bande tourner autour ces derniers jours.

John enfila son pantalon de pyjama, prit quelque chose dans sa table de chevet avant de se diriger vers l'entrée. Linda le rejoignit rapidement dans une chemise de nuit vaporeuse.

John ouvrit la porte. N'eut été le vacarme précédent, il aurait pu penser que le brouillard avait recouvert le quartier. Mais il sut qu'il s'agissait en fait d'un monstrueux nuage de fumée. Il était si épais qu'il distingua à peine le vieil homme qui s'époumonait en traversant la rue à vélo :

- C'est la bibliothèque ! Ils ont détruit la bibliothèque, ces petits fumiers !

John s'avança aussi loin que le lui permit la main ferme de Linda.

- Je crois que c'est Henry Swift.

John plaça ses mains en porte-voix, exhibant sans le vouloir le pistolet qu'il tenait dans sa main droite :

- Henry ? C'est John et Linda. On est là !

Ils entendirent les vieilles roues métalliques grincer indiquant que le vieil homme avait entendu leur appel et ralentissait.

- Vous avez vu ce foutoir ?

N'eut été la catastrophe,  John se serait laissé gagner par la joie de revoir leur voisin préféré.

Un moteur de deux roues pétaradant couvrit sa réplique.

John s'avança un peu plus. La fumée semblait se dissiper légèrement grâce à la brise matinale.

Henry était bien là, sur son vieux machin rouillé qu'il appelait affectueusement « son poney ».

Il portait son affreuse chemise à carreaux qui semblait ne jamais le quitter, qu'il vente ou qu'il neige.

John lui sourit. Henry ouvrit la bouche, mais ses mots furent engloutis par le bruit du moteur qui se rapprochait rapidement. John vit Henry se tourner en direction des arrivants. Des voix de pré-pubères crièrent par-dessus le vacarme de l'engin :

- Eh papy, t'as oublié de prendre tes suppos !

Le staccato d'une arme automatique résonna affreusement. Il  ne s'était pas interrompu que Henry Swift gisait déjà au sol, son vélo couché sur la route et sa fidèle chemise à carreaux poissée de sang. A la vue de son corps sans vie, les yeux de John s'agrandirent et son visage se tordit.

Il pointa son arme vers la moto, mais la main prompte de Linda fit avorter son geste.

Le bruit du moteur s'éloigna et la moto disparut dans un concert d'éclats de  rire.

John se tourna vers Linda. Les yeux bleus de la jeune femme jetaient des éclairs.

- Tu veux leur ressembler ? Tu veux devenir comme eux, à distribuer la mort comme on distribue des journaux ?

- On ne peut pas les laisser continuer à foutre cette ville en l'air, merde ! Henry vient d'y passer sous nos yeux. Après, ce sera le tour de qui ? Toi, moi ?

- On n'a qu'à partir ! Qu'est-ce qui nous en empêche ? Il y a bien un endroit en sécurité !

- En sécurité? Tu lis les journaux comme moi. C'est partout pareil. Tout le monde est devenu fou et ceux qui ont encore leur tête finissent comme Henry.

Sur ces mots, John alla s'agenouiller auprès du vieil homme dont il ne put que constater le décès.

Linda s'approcha avec peine.

- John, ne reste pas là. Ils pourraient revenir !

- Qu'ils reviennent, ces petits salauds. Je les attends !

 

Heureusement ils ne revinrent pas. Une ambulance miraculeusement épargnée emporta le cadavre de Henry Swift. La police ne vint pas recueillir leur déposition. Il y a longtemps que la police ne venait plus pour ce genre de choses. Dehors c'était la guerre et les flics étaient depuis longtemps en première ligne.

 

John et Linda s'étaient consolés du drame du mieux qu'ils avaient pu. Ils avaient beaucoup discuté. Ils avaient chacun élevé la voix. Mais ils avaient fini par tomber d'accord. Ce meurtre gratuit avait été la goutte d'eau pour eux. Ils partiraient vers une île perdue dès le lendemain. Le temps de régler quelques affaires courantes, de faire leurs bagages et ils monteraient dans un petit avion loué à un ami qui habitait en dehors de la ville.

- Tu as raison, avait dit John. Si je reste ici encore quelques jours, je finirai par ne plus pouvoir répondre de mes actes.

 

Le soir, Linda était allée faire des courses pendant que John terminait de remplir sa voiture. Tandis qu'il vérifiait le contenu du coffre, la lumière du jour déclina brusquement et levant la tête, il vit la lune monter brusquement dans le ciel comme tirée par un fil invisible. Il secoua la tête. Il était vraiment fatigué. Il était temps que cette journée se termine.

 

Linda abandonna sa voiture sur le parking du supermarché. Elle avait vu peu de gens. Elle n'avait pas osé leur annoncer son départ. De peur sans doute qu'on lui rétorque que sa tentative était vaine.

Elle essaya de chasser ses sombres pensées. Le soir était étrangement calme et l'air vivifiant. Elle trouvait que c'était une bonne idée de rentrer à pieds pour goûter une dernière fois l'atmosphère de cette ville dans laquelle ils avaient séjourné depuis tant de temps.

Elle regarda les sacs qu'elle portait. Elle avait presque envie de se convaincre que c'était un soir comme ceux d'avant, du temps où rien ne perturbait le quotidien, où rien ne menaçait le bonheur cousu au fil des ans avec l'homme de sa vie. Les sacs étaient lourds. John la sermonnerait sûrement d'avoir laissé sa voiture. Mais cela la fit sourire. Un nouveau départ les attendait quelque part. Incertain. Mais ils étaient ensemble. Le reste importait peu en regard de cela.  Elle n'était plus très loin. Elle pouvait même apercevoir la silhouette de John arc-bouté sur la voiture éclairée par le réverbère. La lune était pleine et brillait au-dessus  de la rue.

Elle songeait à l'avertir de son arrivée lorsqu'elle perçut une présence à ses côtés.

 

Le cri déchira le silence comme un éclair peut déchirer la nuit. John se redressa violemment. Il ne pouvait se méprendre sur le son de la voix.

- Linda !

Il courut dans la rue comme un fou. La vision de Henry Swift sans vie revint le hanter. Il la chassa rapidement. Il n'eut pas à courir longtemps. Il trouva le corps allongé sur la route au milieu des aliments et des objets épars. La tête reposait à même le trottoir. Le poignard avait frappé à plusieurs endroits avec la même effroyable indifférence. Un autre tueur fou était en liberté et Linda venait d'en payer le prix. Ses paroles du matin résonnaient maintenant de manière prophétique à son esprit pourtant assoiffé de rationalisme. Ses poings frappèrent le bitume sans qu'il en prenne conscience, y laissant deux inquiétantes cavités.

John ancra son regard sur le visage blafard de la femme de sa vie. Il évita d'attarder son attention sur les blessures profondes à l'image d'un équilibriste qui se désintéresse du vide pour mieux accomplir sa progression.

- Pourquoi tu n'as pas pris ta voiture, pourquoi ?

Une larme coula sur la joue de Linda.

- Il faisait si bon, John. Il faisait si bon.

John saisit son portable - qu'il ne se rappelait pourtant pas avoir emmené - et composa le numéro des urgences.

- Comment il était ? Dis-moi comment il était ce fils de pute !

- Il était jeune. Si jeune. Un enfant avec des yeux bleus. Magnifiques. Tu sais, j'ai cru qu'il voulait m'aider à porter mes courses. Comment je peux être encore aussi naïve après...

John plaça un index sur ses lèvres.

- Ne parle plus, chérie. Economise tes forces. L'ambulance va arriver.

John entendit la voix d'un opérateur. Il essaya de parler calmement.

- Ma femme a été agressée. Elle est grièvement blessée. Elle s'appelle Linda Carson. Oui, je suis avec elle. Très bien. Nous sommes à ...

John ne sentait plus le pouls de Linda. Ses yeux étaient toujours ouverts, mais ils le fixaient sans ciller en un regard désespéré qui lui figea le sang.

- Elle est partie, murmura-t-il sans y croire.

L'opérateur le bombardait de questions, mais John lâcha le téléphone, incapable d'écouter autre chose que le silence de mort qui venait de recouvrir sa femme comme un linceul.

- Linda.

Il la prit dans ses bras et ce fut pire encore. John enfouit son visage dans ses boucles blondes. Pour la dernière fois.

Le bruit d'une moto l'arracha à son cérémonial. Le deux-roues venait dans sa direction. C'était celui de ce matin, il en était persuadé. Sa vengeance n'aurait pas le temps de refroidir. Il ramassa instinctivement l'objet le plus proche de sa main sans regarder si cela pouvait faire office d'arme et le jeta sur le pilote de toutes ses forces :

- De la part d'Henry !

Le pilote se baissa et le passager reçut le projectile en pleine figure. Sous l'impact, ses dents se brisèrent et son nez implosa comme une bombonne. Celui-là allait regretter de ne pas avoir mis de casque. Il tomba inanimé sur la route et tandis que le pilote s'emparait d'un Uzi et faisait feu sur lui, John observa avec fascination l'orange qu'il avait projeté roulait sur elle-même dans une flaque de sang. On aurait dit un astre effectuant sa rotation en une danse macabre. Belle métaphore, se dit-il avant de s'apercevoir qu'il aurait dû être mort. La moto disparut à l'autre bout de la rue. John adressa un dernier regard à Linda. Il l'embrassa et se releva, le regard aussi noir que celui d'un serpent. Il écrasa une pomme sous son talon et s'élança à la poursuite du deux-roues.

 

Il le retrouva facilement sous un porche pourtant mal éclairé. John avait le sentiment d'être dans la peau de quelqu'un d'autre. Comme s'il était entré dans une parenthèse de sa vie. Il avait une mission, un but qui excluait toute idée de pardon, de compassion. John n'avait guère eut le temps de dévisager les criminels, mais il sut qu'ils ne devaient pas avoir trente ans à eux deux.

Ils connaissaient sûrement l'assassin de Linda. Ils se connaissaient tous. Il en était convaincu.

John s'approcha à tâtons. Le jeune fouillait dans un buisson. Et il jurait tant qu'il pouvait.

- Fais chier, il est où ce fusil ? Je l'avais laissé là, bordel ! Ils font chier ces cons à piquer les flingues des autres !

- Tu devrais pas être au lit à cette heure là ?

Le jeune se retourna. Il portait une cagoule, un débardeur blanc, un treillis et des bottes cloutées. Mais John n'avait d'yeux que pour les siens. Ils brillaient comme des saphirs. Des yeux  bleus. Magnifiques.

- Qu'est-ce que tu fous là, toi ? Je t'ai buté !

John s'avança. Il n'avait pas peur. Mais l'autre non plus. Comme si tout ceci n'était vraiment qu'un jeu pour lui. John lui sourit. Un sourire de requin.

- Tu devrais changer de job, alors. Parce que tu t'es loupé en beauté.

Le jeune pointa son Uzi.

- Dégage où je te massacre, enfoiré !

- Pour ça, il faudrait que tu aies des balles. Tu n'en as plus et c'est sans doute pour ça que tu cherches ton fusil.

Les yeux bleus s'agrandirent de stupéfaction.

- Comment tu... c'est toi qui me l'a piqué, enfoiré ! Putain, mais tu te prends pour qui ? Tu pouvais pas rester chez toi ? Je vais te massacrer !

Il lança le pistolet-mitrailleur en espérant sans doute atteindre John au visage. Mais John rattrapa l'arme aussi adroitement que possible. Son index caressa la détente avec un plaisir sadique :

- Dis-moi pourquoi tu as fait ça ? Je ne prétends pas t'épargner, mais cela satisfera ma curiosité.

Le jeune produisit un couteau de chasse presque aussi long que son bras.

- T'es con ou tu le fais exprès. Tu l'as dit toi-même : le chargeur est vide !

Le regard de John se vissa sur la lame. Elle brillait, elle était propre. Ce fumier avait eut le temps de la nettoyer, dieu sait comment. Le visage de Linda traversa son esprit. Comme en réponse, son doigt pressa la détente. Le bruit de l'arme ne le surprit même pas. Elle s'accordait à sa volonté. Le jeune tomba, l'épaule gauche trouée de 9 mm.

John se rapprocha de lui. Le garçon ne semblait pas souffrir de sa blessure. Mais plutôt du fait que le chargeur aurait dû être vide. John voulut lui retirer sa cagoule, mais il craignit que de voir son visage l'empêchât d'accomplir sa besogne.

Le garçon dut comprendre son intention, car il l'implora malgré tout :

- Putain, faites pas ça ! Vous voyez bien que je suis qu'un gosse. J'ai que quinze ans. Faites pas ça, je vous dis. Je suis qu'un gamin !

John hésita. Il voulait venger la mort de Linda. Tout en lui réclamait cette finalité. Mais les paroles mêmes de sa femme s'opposaient à cet acte. Ces paroles qui le désigneraient comme un criminel au même titre que celui qu'il avait sous les yeux. En tirant, n'allait-il pas devenir ce qu'il condamnait ? Le regard sans vie de Linda lui apparut, abrutissant sa lucidité. Elle était partie. Pour toujours. Il n'avait donc rien à espérer. Rien à faire. Rien d'autre qu'honorer sa mémoire. Et cela exigeait un sacrifice.

John mit le garçon en joue. Ses yeux de serpent jetèrent des éclairs.

- Non, tu n'es pas qu'un gamin. Tu es l'assassin de ma femme.

Le bruit de l'arme ponctua sa funeste sentence.

 

- Putain, c'est quoi ce bordel !

Eric gesticulait sur sa chaise comme si elle était électrique.

Son frère Jérôme l'entendit depuis les toilettes. Il tira la chasse d'eau et le rejoignit :

- Qu'est-ce qui t'arrive ? T'as encore perdu ?

- Ouais, y a un connard qui m'a shooté avec mon Uzi. Il avait l'air balèze alors j'ai pris l'option reddition et il m'a quand même buté !

-  Qu'est-ce que tu veux. Y a des joueurs qui respectent rien.

- C'était pas un joueur, c'était l'IA du jeu ! J'ai buté une femme avec mon couteau et apparemment c'était la sienne. C'est un truc de malade !

Jérôme sourit. Il n'avait pas la même passion que son frère, mais cela l'amusait toujours de l'entendre râler à ce sujet.

- Ca prouve que c'est bien fait. Il y a une vraie cohérence. C'est pour ça que le jeu marche aussi bien, non ?

- Ouais, mais j'arrive plus à me connecter avec mon avatar.

- T'as qu'à en changer ?

- T'es ouf, toi ! J'avais débloqué trop de trucs avec Tunk15.

Les magnifiques yeux bleus d'Eric brillaient. Il était au bord des larmes.

- Je suis dégoûté. En plus j'avais réussi à refaire mon visage. J'ai passé des heures sur ce perso !

Eric quittait son rôle de gangster pour redevenir un simple adolescent. Emotif. Vulnérable.

Il se leva de son siège, balança son micro-casque et quitta la chambre, non sans renverser quelques étagères au passage.

Jérôme le regarda s'éloigner avec un sourire. Il savait qu'il allait noyer son chagrin dans un pot de crème au chocolat ou en regardant un épisode de Vyvychibi, son manga préféré. Il prit sa place devant l'ordinateur et détailla les menus de l'écran avec le sentiment d'ouvrir la boîte de Pandore.

Il regarda la jaquette du jeu posé sur le bureau. L'affiche représentait un fusil-mitrailleur sur lequel venait se greffer les mots Criminalité Intensive.

En dehors de cela, le rendu graphique était d'une étonnante sobriété, loin du réalisme et de l'image spectaculaire véhiculés par le jeu. Mais en bas de l'affiche, comme pour les rappeler, s'étalait le slogan connu dans le monde entier : « Maintenant on ne joue plus ! »

 

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2. Succès Déverrouillé : Premières Armes 

                     

Pour John Carson, plus rien ne pouvait avoir de sens.

Il venait de perdre Linda, l'être le plus cher à ses yeux. Et en donnant la mort, il venait aussi de perdre son bien le plus précieux : sa vertu. Sa vengeance assouvie, du moins l'espérait-il, sa conscience faisait de nouveau son boulot. Et elle venait de le mettre sur le banc des accusés.

Il jeta le pistolet-mitrailleur et se recroquevilla comme un enfant. Ce faisant, il ne vit pas le corps du jeune garçon disparaître subitement sans laisser de trace.

John attendit que la police vienne l'arrêter. Car sur l'instant, c'était bien son seul souhait. Il avait commis la chose la plus monstrueuse à ses yeux et aussi à ceux de Linda. Il avait alimenté la violence qui ravageait la société et contre laquelle il s'était indigné.

Et il l'avait fait de la pire des façons.

Il ne sait pas combien de temps il attendit. La nuit était sans doute bien avancée lorsque la pluie s'abattit sur la ville sans crier gare. Peut-être une manière de nettoyer le sang qui avait coulé et de le laver de ses crimes. Mais là, il savait qu'il en faudrait beaucoup plus.

Il se leva et se dirigea vers la moto du gamin. Il fallait qu'il bouge. Il ne savait pas exactement pourquoi, mais il ne devait pas rester là. Les flics n'étaient pas venus, alors son destin n'était pas encore scellé. Et puis, il repensa au corps de Linda allongé dans la rue. Comment avait-il fait pour ne pas y penser plus tôt ? Etait-il réellement devenu un monstre, lui aussi ? Peut-être que lorsqu'on avait tué quelqu'un, les pulsions éveillées empêchaient-elles de revenir vers une nature plus humaine.

John enfourcha la bécane. C'était un engin fait pour les sauts et les acrobaties sur des terrains accidentés, du motocross ou du trial, il ne s'y connaissait guère. Tout en la faisant démarrer sans la moindre anicroche, il se demanda si le jeune qui la pilotait naguère avait l'âge requis pour monter dessus. Il repensa à l'Uzi entre ses doigts frêles et il se mit à rire. L'instant d'après, il s'élançait vers sa maison dans un bruit de moteur pétaradant.

 

Il ne retrouva pas le corps de Linda à l'endroit où il l'avait laissé. Ni même à un autre. Il ratissa tout le quartier. Rien. Pas une trace de sang, pas un indice. Le jeune qui avait reçu l'orange en plaine figure s'était volatilisé lui aussi. Il eut la sensation d'être victime d'un complot avant de comprendre qu'il venait simplement de grossir la liste des victimes de la barbarie qui gangrenait la planète depuis quelques mois. Sa colère explosa.

- Bande de salauds ! Pourquoi vous faites ça ? Pourquoi ?

Comme pour lui répondre, une explosion abîma la nuit au loin dans une fulgurance de jaune et de rouge. Un autre bâtiment important sans nul doute.

John s'écroula au beau milieu de la route et se recroquevilla comme un fœtus. La mort de Linda creusa en lui un sillon de douleur indicible.

Lorsqu'il put retrouver quelque force, les premières lueurs du jour éclairaient la ville, peignant les toits des maisons de couleurs chaudes propres à le réconforter un peu. Tout n'était pas complètement mort. Indifférente au sort des hommes, à leur folie, la nature continuait de produire ses chefs-d'œuvre.

John retourna près de sa voiture. Elle était pleine à craquer. Prête à partir. Il regarda la maison. Et détourna rapidement la tête. Y entrer n'était pas envisageable. Il se sentait bien trop fragile. Sa conscience lui certifiait que la meilleure chose à faire dans l'état actuel des choses était de quitter la ville comme prévu et de se rendre en avion sur une île épargnée par cette montée de violence. Mais une autre voix, une voix qu'il commençait tout juste à apprivoiser, lui assurait que la seule chose désormais qui pouvait donner un sens à sa vie était de devenir la parfaite némésis de ce mal incurable et ravageur. Il savait que cela allait le plonger davantage dans l'obscurité. Mais il ne pouvait se défaire de l'idée que c'était la seule chose véritablement sensée à faire. A quoi lui servirait de fuir ? Il se retrouverait seul, irrémédiablement. Pire que seul. Il ne serait plus avec Linda. Et cette souffrance là, il ne voulait pas la vivre. Rien ne pouvait l'obliger à le faire. S'il devait souffrir, alors il choisirait une autre façon. Et il comptait bien ne pas être le seul à souffrir. Il allait s'en assurer.

Il voulut récupérer son pistolet dans sa table de chevet, mais cela impliquait de retourner dans la maison. Une épreuve qu'il refusait en bloc. Il se prit la tête à deux mains et ce faisant, réalisa qu'il avait le pistolet dans sa main droite. Il l'observa, incapable d'expliquer sa présence. Depuis qu'il avait tué ce gamin, la réalité ne semblait plus tout à fait la même. En fait depuis qu'il avait perdu Linda, l'univers entier semblait lui montrer un autre visage. Comment aurait-il pu en être autrement puisqu'elle incarnait pour lui la vie au sens le plus noble ?

A moins qu'il fut lui-même la source de tous ces changements. L'idée d'être dans un rêve lui traversa l'esprit et il se dit que si tel était le cas, alors il se ferait un devoir d'en faire un cauchemar pour certains. En fait, la réponse lui importait peu, pour le moment.

S'il bénéficiait de ressources supplémentaires pour mener à bien sa mission, alors il n'y avait plus de doute à avoir, plus d'hésitation possible. Sa voie était toute tracée.

Il regarda sa main gauche et la seconde d'après, elle tenait un pistolet identique à celui qu'il possédait déjà. Maintenant que Linda n'était plus là pour agir sur lui comme inhibiteur, il allait pouvoir s'abandonner à ses pulsions les plus refoulées.

Il sourit.

La chasse pouvait commencer.

 

CHAPITRE 3 : L'Avènement de CRIM'IN

 

Dave Matheson était programmeur.

Il avait rejoint l'équipe de Blue Pill trois ans auparavant. Les projets sur lesquels il avait travaillé (souvent au détriment de sa vie privée) ne lui avaient valu que peu de considération et des émoluments pour le moins aléatoires.

Ils n'étaient qu'une dizaine dans l'équipe et les projets - bien que novateurs et attendus - étaient constamment remis en question par la direction, si bien qu'ils avaient l'impression de travailler pour rien. Jusqu'au jour où le studio fut racheté par la société DIEU [Divertissements Informatiques Educatifs Universels] qui après avoir inondé le marché de logiciels révolutionnaires sur la forme, décida d'exploiter l'univers du jeu vidéo et plus particulièrement du jeu en réseau.

Le directeur de DIEU, Donald Buff, était devenu rapidement l'idole de tous. Les adolescents l'adulaient. Les adultes l'adoraient. Lorsqu'il créa TotaLink TM  - un réseau qui rendit possible l'accès à toute une gamme de jeux depuis un PC ou une console - le nom même de sa société lui fut attribué. Il avait réussi, en quelque sorte, à enterrer la hache de guerre, réunissant deux supports jusque-là profondément antagonistes. Un véritable tour de force technologique qui lui avait valu de nombreuses récompenses lors des salons de jeux et des critiques dithyrambiques de la plupart des grandes revues spécialisées comme ZéroOne ou Screenshot.

Ce véritable pont avait alors fait naître dans l'esprit des concepteurs des idées nouvelles.

Car il faut dire qu'à cette époque, cela remontait à presque cinq ans, si les jeux en réseau pullulaient sur le net, il n'en était pas moins vrai qu'un seul d'entre eux monopolisait l'attention et entretenait l'attente des joueurs, tous profils confondus : le monde fantastique de Wind Of Reign (WOR pour les intimes et rebaptisé rapidement WHORE par ses détracteurs et il y en avait).

Rarement un jeu avait développé un tel esprit communautaire. Mais parallèlement à cet engouement massif, il divisait aussi beaucoup. On lui reprochait la médiocrité de ses graphismes, son univers hermétique, sa terminologie et ses règles d'évolution complexes. Quant au système de magie, il était régulièrement décrié à cause de la fâcheuse tendance qu'avaient les sorts à ne pas toujours produire les mêmes effets. La goutte d'eau avait été l'annulation de Devils & Devouts, une extension espérée par tous les joueurs et la médiocre adaptation ciné qui avait suivi.

Des erreurs, des défauts qui avaient fini par en dégoûter beaucoup, par en lasser d'autres.

Au fur et à mesure, la brèche s'agrandit, permettant à une nouvelle attente des joueurs de naître. Instinctivement, tous les regards convergèrent vers Donald Buff, le dieu de DIEU.

Et Donald Buff ne déçut personne.

Le lancement de CRIMinalité INtensive (qui allait rapidement devenir CRIM'IN dans la bouche et le cœur de millions de fans) fit l'effet d'une bombe.

La campagne de marketing envahit les médias. Tel un conquérant, Buff se rendit maître de tous les espaces publicitaires possibles et imaginables. Et ceux qui n'existaient pas, il les créa de toutes pièces. En seulement deux semaines, trois mois avant sa sortie officielle, CRIM'IN fut sur toutes les lèvres et devint la poule aux œufs d'or faisant de DIEU le nouvel El Dorado des Jeux Vidéos. Relayé par un formidable bouche à oreille, la promotion du futur hit n'épargna rien, ni personne. Et progressivement les éléments le constituant furent portés à la connaissance du public, gonflant un peu plus une popularité déjà phénoménale : un monde hyperréaliste, contemporain (à l'opposé de celui de WOR en quelque sorte), une surface de jeu immense sous la forme de plusieurs états imitant les Etats-Unis, une personnalisation extrêmement poussée de l'avatar, un sentiment de liberté total, des possibilités d'action innombrables, un gameplay intuitif, un nombre de caméras jamais vu...Bref, tout concourait à en faire le Saint-Graal des divertissements, l'idéal vidéoludique fantasmé par des générations de joueurs dans le monde entier.

Ceux qui s'étaient détournés des loisirs électroniques se surprirent à contempler les affiches et les couvertures des magazines avec une avidité presque coupable.

Le débat était lancé : Crim'In allait-il être le chef-d'œuvre annoncé, le digne successeur de WOR - désormais à bout de souffle - et satisfaire un public en mal de sensations fortes?

Ou bien Donald Buff n'avait-il fait qu'attiser l'intérêt général pour redorer un blason qui n'en avait guère besoin ? On le soupçonnait bien un peu d'être mégalomane, milliardaire et donc un peu mythomane. Mais quand même. Ses réussites passées jouaient indéniablement en sa faveur.

Lorsque Crim'In débarqua en grandes pompes dans le commerce - un 14 juillet ensoleillé à souhait - la question n'eut plus lieu d'être. Les magasins explosèrent leur chiffre, les serveurs furent saturés. En l'espace d'une semaine, DIEU remboursa le coût de sa campagne promotionnelle. En à peine un mois, les frais liés au développement même du jeu furent eux aussi remboursés et la société toucha des bénéfices substantiels, aidé en cela par un redoutable merchandising.

Non seulement, Crim'In trouva immédiatement son public, mais l'euphorie qu'il suscita fit passer l'intérêt de WOR pour une simple lubie.

La machine commerciale s'emballa. Tout se passa très vite. Trop vite au dire de certains.

Avant même que l'on devine toutes les implications liées à la vente de ce produit, Crim'In était devenu LA référence dans tous les domaines. Sa Bande Originale se vendait comme des petits pains. Les hommages des joueurs fleurissaient un peu partout sur le net sous forme de vidéos amateurs, de fics. Le jeu avait même son émission télé présentée par une star du journalisme. Chaque jour, elle interviewait une vedette américaine chez elle, en train de jouer et qui vendait Crim'In avec autant de conviction que s'il s'agissait d'un candidat à la Maison Blanche.

Celui qui ne connaissait pas Crim'In était traité d'ermite. Celui qui n'y avait jamais joué était considéré comme un autiste.

En raison de sa violence et de son langage cru - le système TotaLinkTM autorisait les joueurs à transmettre intégralement leurs paroles à leur avatar - le jeu était interdit aux moins de 18 ans. Mais sa popularité avait eu rapidement raison de la législation et les parents, dépassés par l'ampleur des évènements, avaient bien du mal à s'assurer que leurs enfants n'étaient pas trop exposés.

Il y eut bien une levée de boucliers de certains syndicats, d'associations familiales et de personnalités qui jugeaient Crim'In comme un catalyseur de perversion pour une jeunesse déjà en manque de repères.

Donald Buff garda longtemps le silence avant de s'exprimer sur cette polémique face aux caméras lors d'une soirée de bienfaisance. Ses mots furent choisis avec le soin dont il était coutumier et devaient rester longtemps en mémoire. Il annonça des chiffres bientôt repris par les médias du monde entier. Pas les chiffres de vente du soft, ni le nombre de connexions par jour. Il annonça que depuis la sortie de Crim'In, le taux de criminalité avait baissé de 30 % dans les grandes villes.  Nouvelle bombe !

L'enquête fut approfondie et l'on fut rapidement en mesure d'affirmer que ce pourcentage était en deçà de la réalité. La vente d'armes avait aussi baissé de manière sensible, et dans le même temps on nota une réduction des guérillas urbaines et de la violence dans les écoles qui avait justement atteint un stade critique.  Même les conflits domestiques se raréfièrent.

La nature propre de l'homme semblait sur le point de connaître un changement et pas des moindres.

Au début, on ne put clairement certifier que cette évolution des mœurs était directement liée au succès de Crim'In ni même si elle avait fait partie des ambitions de Donald « DIEU » Buff.

Mais le temps finit par dissiper toute hésitation à ce sujet. Les ventes continuaient de grimper et la seule chose qui explosait désormais était le chiffre d'audience des émissions qui avaient pour thème le jeu aux mille records.

On en profita pour montrer du doigt ceux qui avaient crié au scandale.

La même année, lorsqu'on voulut décerner une récompense importante à Donald Buff, celui-ci la refusa poliment en se contentant de dire :

« Je suis président des Divertissements Informatiques Educatifs Universels. Et j'aime mon métier ».

 

4. Succès déverrouillé : Grand Theft Auto



John repéra une Dodge Viper accidentée qui avait dû servir de rempart lors d’une fusillade à en juger par les innombrables impacts de balle qui grêlaient sa carrosserie. John ne renonça pas à l’utiliser pour autant. Il avisa plusieurs autres voitures dans le même état et sentit une violente décharge électrique le parcourir des pieds à la tête. Ses yeux s’illuminèrent d’un feu surnaturel et brandissant ses mains, il commença à les faire danser devant lui tel un marionnettiste. Les épaves qui jonchaient la route se désassemblèrent violemment et il comprit qu’il était en mesure de manipuler les débris résultant de cette opération. Il créa avec un plaisir manifeste un ballet surréaliste de portières, de calandres, de capots et de pare-chocs avant d’orienter les pièces détachées sur la Viper. Sous l’emprise d’un nouveau et stupéfiant pouvoir, il les positionna et les souda habilement, confectionnant en un temps record un blindage du plus bel effet. Encore sous le choc de sa réussite, il monta dans la voiture qui avait maintenant des airs de forteresse. Il ne trouva pas les clés et s’en moqua bien. Le simple fait de poser ses mains sur le volant fit vrombir le moteur. Le bruit eut le don d’agrandir encore son sourire.
Il jeta un coup d’œil dans le rétroviseur intérieur et grimaça en voyant ses cheveux châtains et bouclés qui ne lui avaient jamais vraiment plu. Son regard s’intensifia et sitôt après il vit avec ravissement sa chevelure noircir et retomber sur ses épaules avec un léger éclat bleuté. Il en profita aussi pour transformer un peu son visage qu’il affina et dota d’une cicatrice esthétique sous l’œil droit. Mû par une vive inspiration, il saisit le lobe de son oreille droite entre deux doigts afin d’y incruster un piercing scintillant. Ses vêtements anodins avaient eux aussi besoin d’une petite retouche. Il inspira à fond et lorsqu’il expira, son corps se muscla avant de se couvrir de cuir noir comme une deuxième peau. Maintenant que son apparence physique s’accordait parfaitement à sa psychologie, il était prêt à œuvrer en toute quiétude.
Des vestiges du visage et de la voix de Linda menacèrent un instant de briser sa nouvelle personnalité, mais c’était sans compter sa volonté farouche de refuser l’état de martyre.
Et à ce jeu là, il était en train de passer maître.
Il démarra en trombe. Comme un signal adressé à son intention, l’horizon vomit une nouvelle explosion.

 

CHAPITRE 5 : Chasse à l’homme



Lorsque Eric revint prendre place devant son PC, son frère Jérôme n’était plus là. Mais il trouva un mot de sa part scotché sur l’écran :

Une petite surprise t’attend dans ton jeu préféré.

Intrigué, Eric accéda à l’interface de Crim’In. Il ouvrit démesurément ses beaux yeux bleus en découvrant qu’il avait un nouvel avatar. Il répondait au nom de Dielsel45 et était un sosie plutôt fidèle de son acteur préféré : Vin Diesel. Il poussa un cri de joie. Eric lui avait fait un énorme cadeau qu’il n’était pas prêt d’oublier, d’autant plus qu’il le savait plutôt réfractaire à ce genre de jeu. Désireux au plus vite de tester son personnage, il se connecta, un sourire fendant son visage d’ange heureux. Il fit le tour des différentes maps fréquentées. Avant d’en sélectionner une, il prit le soin de déposer dans chaque état de nombreux avis de recherche ainsi libellés :

IA RECHERCHé : JOHN CARSON
TRES DANGEREU-REDITION IMPOSSIBLE-NEUTRALIZE AVATAR
CONTACTé DIELSEL45



En dessous du message figurait le portrait d’un homme aux cheveux châtains bouclés et aux yeux marron.

 

6. Succès déverrouillé : Œil de Lynx



Les trois policiers en uniforme attendaient d’hypothétiques renforts avec un espoir qui forçait l’admiration. Le déluge de feu qui s’abattait sur eux depuis dix minutes ne semblait en rien entamer leur moral au contraire de la voiture de patrouille qui leur servait de gilet pare-balles et qui prenait de sérieuses allures de passoire.
De l’autre côté de la rue, derrière une barricade faite d’un conglomérat de débris, deux gangsters rivalisaient d’acharnement. Le premier était un sosie de Al Pacino. Il portait une chemise hawaïenne et vidait son fusil-mitrailleur sur les flics avec exultation.
Le second portait une combinaison noire et un masque de paint-ball. Son expression était invisible mais les deux Uzis qu’il pointait devant lui étaient un excellent reflet de la hargne qui le possédait. Tandis que son complice harcelait les agents, lui s’amusait à tirer près d’un quatrième policier au sol que ses collègues hésitaient à secourir.
Le tireur masqué cessa brusquement de faire feu. Les policiers comprirent qu’il venait de vider ses chargeurs. Encouragé par ses partenaires qui se mirent à le couvrir du mieux qu’ils purent, l’un d’eux s’élança vers le blessé. Il l’empoigna par un bras et commença à le traîner vers la voiture qui menaçait pourtant d’exploser à tout moment. La casquette du flic inconscient tomba, dévoilant un chignon noir. Le secouriste serra les dents, sachant combien le temps lui était compté. La balle d’un sniper lui traversa le crâne et il tomba à son tour.
- Putain je lai eu ! s’écria Eric. Trop fort !
Jérôme revint sur ces entrefaites.
- Ca y est, tu es reparti pour une nuit blanche !
- Merci pour Vin, t’as trop assuré, franchement ! Je te revaudrais ça !
Jérôme sourit à l’idée de ce qu’il allait lui demander.
- Et si en échange, tu me promettais de te coucher avant qu’il fasse jour.
- Tu me crées un super perso et tu veux que je m’arrêtes ?
Le sourire de Jérôme pâlit.
- Effectivement, c’est un peu dur, mais ça me plairait de savoir que tu as dormi. Les parents rentrent pas avant demain soir. Je dois m’assurer que tu fasses pas que jouer. Tiens j’ai apporté une pizza. Faut que tu manges aussi.
Mais Eric l’avait à peine entendu.
- Regarde bien. Je vais m’en faire un autre ! Y vont rien voir, ces cons ! Regarde !
Les deux policiers jetaient des regards affolés vers les deux victimes. Ils essayèrent de repérer la position du sniper dans l’immeuble dévasté en face d’eux et tirèrent au jugé.
- Merde, lâcha Eric. Ils vont m’avoir !
A l’idée qu’ils pourraient perdre définitivement cet avatar comme le précédent, il décida de s’adresser aux deux fous furieux en bas de l’immeuble qui canardaient à tout va. Le gamertag des joueurs qui les manoeuvraient apparaissait clairement au-dessus de leur tête.
- Scarefaith et Jazz-on, couvrez-moi, je suis au-dessus de vous, les mecs. Je vais les allumer !
Les deux intéressés levèrent le nez et éclatèrent de rire en voyant un colosse chauve leur faire signe.
- Eh, Diesel45, la prochaine fois, télécharge un mod vocal. Parce que Vin Diesel avec une voix de fillette, franchement ça le fait pas !

Eric comprit qu’il n’était pas forcément le bienvenu et que ça allait être du chacun pour soi. Il s’en fichait. Il allait montrer à ces crétins ce dont il était capable.
Il enclencha le zoom de son fusil et explorant la voiture des flics, repéra le symbole de tête de mort qui indiquait des chances de destruction maximales. Avec un peu de chances, les deux autres guignols en prendraient plein les yeux. Littéralement. Il pressa la détente : l’explosion qui en résulta le fit frissonner de plaisir. Il déchanta subitement lorsqu’il vit la boule de feu se figer sans avoir pu causer le moindre dommage aux flics.
- Non, putain de bug de merde !
Scarefaith et Jazz-on se désintéressèrent de leurs cibles lorsqu’ils remarquèrent un personnage aux cheveux longs, entièrement vêtu de cuir noir s’avancer dans leur direction. Il était descendu d’une voiture de sport déguisée en char d’assaut, ce qui était la moindre des raisons de s’intéresser à lui.
Max et Shane se dévisagèrent. Ils jouaient côte à côte, le premier sur un PC dernier cri, l’autre sur une console next-gen. Ils étaient potes, dans la vie comme dans le virtuel.
- Si c’est pas un joueur, il est mort ! dit Shane. De le tuer, ça doit débloquer quelque chose, à tous les coups.
- Si c’est un joueur, dit Max on lui demande comment il a eu le code pour faire ça !
Ils rapprochèrent la caméra de l’arrivant pour repérer s’il avait un gamertag. Mais tandis qu’il avançait d’une démarche souple, rien n’était visible au-dessus de sa tête. La fumée rémanente n’aidait en rien l’observation. Alors que l’homme entrait dans la zone de la fusillade, quelque chose se matérialisa au-dessus de sa tête. Ce n’était pas un gamertag. Juste trois mots.
VOUS ETES MORTS !
Jazz-on reçut une flopée de balles dans la tête et dans la poitrine. Son masque de paint-ball ne lui fut d’aucun secours. Les flics en avaient profité pour reprendre leurs esprits et maintenant ils jouaient les cow-boys. Le tueur tomba avant de disparaître.
- Merde ! s’écria Shane. Les enfoirés !
Max ne quittait pas son écran des yeux.
- Vite, reconnecte-toi ! On va tous se les faire à deux, comme d’hab.
Ils échangèrent rapidement une poignée de main secrète et hurlèrent leur cri de guerre :
- Crim’In, pas de panique ! Crim’In, on vous nique !
Shane était entré dans les menus de l’interface, et progressivement son visage trahit un sentiment de panique.
- Je le crois pas !
- Dépêche-toi, les flics me font chier, là !
Le visage de Shane était livide.
- Je peux plus me connecter ! Mon profil est corrompu. J’ai tout perdu, putain !
- Bâtards !
Scarefaith ne prit même pas la peine de viser. Il actionna le lance-grenades dont était muni son fusil-mitrailleur. L’explosion aurait dû tuer les deux flics. Mais une fois encore, l’image de la déflagration fut stoppée dans son animation et dans ses effets.
Scarefaith bondit par-dessus la barricade et fit face à John Carson.
- C’est toi qu’es mort !
Il tira.
John esquiva la grenade d’une simple torsion du coup. Le projectile rebondit au sol avant de s’immobiliser sous la Viper. L’explosion souleva le véhicule dans les airs comme un jouet. La voiture effectua une magnifique série de soleils avant de faire mine de s’abattre sur John. Ne sentant visiblement pas la menace approcher, il dégaina l’un de ses pistolets.
- Pauvre naze, dit Max, tu sais pas à qui t’as affaire.
- Il va falloir qu’ils améliorent encore l’IA, souligna Shane.
Mais les choses ne se passèrent pas comme prévu. John pointa son arme vers le ciel et la calandre de la Viper se vissa dessus comme sur un aimant.
C’est à peine si sous le poids son coude plia.
Eric suivait la scène, abasourdi.
- C’est quoi ce mec encore!
- Tire dans le réservoir ! s’exclama Shane. Explose-le !
Scarefaith allait s’exécuter, mais rapide comme l’éclair, John dégaina son deuxième pistolet et lui explosa la tête.
- A moi de jouer, fit Eric.
Il effectua un zoom sur la Viper et remarqua le symbole caractéristique en forme de crâne. Il allait tirer, mais se ravisa. Cela ne servait à rien. Le gars était capable d’arrêter les explosions. Il baissa alors le canon de son fusil et ajusta la tête de John. Ce dernier baissa son bras. Son pistolet et la Viper accompagnèrent le mouvement comme une extension de lui.
C’est alors que Eric aperçut quelque chose se matérialiser au-dessus de la tête de sa cible. Pas un gamertag. Juste deux mots.
ENCAISSE CA !
La détonation retentit et la Viper fila à la vitesse d’une balle, s’encastrant violemment dans le bâtiment où le sniper s’était retranché. L’édifice – qui était déjà mal en point – s’écroula complètement dans un volumineux nuage de poussière.
John rejoint les deux policiers qui tentaient de réanimer leur partenaire.
- Merci, dit l’un d’eux. Sans vous…
- Mais comment vous avez fait ce truc avec la voiture ?
John afficha un sourire las.
- Faites comme moi. Ne cherchez pas à comprendre.
Les flics essayèrent le massage cardiaque, le bouche à bouche, sans succès.
John s’agenouilla auprès de la jeune femme inconscience. Il se surprit à la trouver jolie.
Il lui suffit de placer une main au-dessus de son visage pour qu’elle ouvre les yeux.
Les flics observèrent la scène bouche bée.
- Comment vous…commença l’un d’eux avant de se rappeler le conseil de John.
- Elle va bien, mais elle est encore très fragile. Je vais l’emmener vers un lieu sûr.
- Un lieu sûr ? Mais il n’y plus aucun lieu sûr depuis longtemps. Ici, à Slaughterfalls, comme partout ailleurs, c'est le chaos total, l'anarchie !
John se releva, la femme dans ses bras.
- Alors elle restera à mes côtés. Je ne connais pas d’endroit plus sûr.
Il émit un bref sifflement. Dans un grand envol de gravats, la Viper jaillit des décombres de l’immeuble et retomba sur ses roues. John installa la femme sur le siège du passager.
Les deux flics dévisagèrent John, comme attendant qu’il s’occupe aussi d’eux.
Et c’est ce qu’il fit.
Il tendit une main vers la voiture de patrouille et elle fut comme neuve. Il s’approcha ensuite des deux flics et posa une main sur une de leurs épaules.
- Ainsi SWAT-ils !
Le temps d’un clin d’œil, il se retrouva assis au volant de la Viper et démarra en trombe.
Les deux flics assistèrent à son départ, muets comme des carpes, avant de réaliser qu’ils portaient des uniformes d’élite et des armes de gros calibre.
- Ce mec est un dieu ! déclara l’un d’eux.
Ils montèrent dans leur voiture et quittèrent les lieux à leur tour.

La jeune femme remua sur son siège et jeta des regards affolés autour d’elle.
- Qu’est-ce qui s’est passé ? Qui êtes-vous ?
John sourit. Il était ravi d’avoir un peu de compagnie.
- Vous avez été attaquée par des voyous. Vous êtes en sécurité, maintenant. Je m’appelle…
Il hésita. Il voulait s’éloigner encore un peu plus de l’homme qu’il avait incarné jadis. Il avait changé d’état d’esprit, d’apparence. Il était capable de faire des choses hors du commun sans même y penser. Il avait en quelque sorte enfanté une autre version de lui. Une version infiniment supérieure. Il ignorait comment, il ignorait pourquoi. Pour l’instant, il se contentait de l’accepter et ça lui réussissait plutôt bien.
Il était donc tout naturel qu’il change aussi de nom.
- Appelez-moi John...son.
La femme sourit avec chaleur.
- Merci d’être venu à mon secours, Johnson. Moi je m’appelle…
- Rachel Evans, dit Johnson avec une extraordinaire assurance.
La femme ouvrit de grands yeux, ne pouvant cacher sa consternation.
- Mais comment…
Johnson se mordit la lèvre inférieure. Ses pouvoirs commençaient à le mettre dans l’embarras.
- C’est écrit au-dessus de votre tête.
- Quoi ?
Puis elle éclata de rire.
- Vous avez failli me faire marcher, vous savez.
Elle posa alors une main près de l’insigne cousu sur son uniforme où était écrit :
Rachel Evans – Pour vous Protéger et vous Servir

Une silhouette massive jaillit des vestiges de l’immeuble, les vêtements déchirés, le corps ensanglanté. Diesel45 s’avança en traînant les pieds jusqu’à l’endroit où les deux explosions étaient encore inertes. Son crâne glabre était maculé de sang et de poussière. Mais ses yeux jetaient des éclairs.
- J’ai pas dit mon dernier mot, fit la voix juvénile de Eric.

Rachel allait ajouter un mot, mais Johnson leva un index.
- Un instant. J’ai quelque chose à terminer.
Il fit claquer ses doigts.
Les deux explosions achevèrent bruyamment leur œuvre, catapultant Dielsel45 plus de dix mètres au-dessus du sol et l’envoyant heurter un panneau d’affichage arborant la célèbre jaquette de Crim’In et son non moins illustre slogan : On ne joue plus !

 

CHAPITRE 7. Lettre à D.I.E.U.

 

Les yeux rougis pas les larmes, Eric tentait vainement de calmer sa rage en envoyant à travers sa chambre tout ce qui pouvait lui tomber sous la main. Il venait de reperdre un avatar qu’il chérissait, que son frère avait pris la peine et le temps de lui créer. Et voilà qu’à nouveau ce bug qui l’empêchait de se reconnecter. Pour la bonne raison que Dielsel45 était introuvable.
Il s’apprêtait à lancer le clavier à travers l’écran de son PC lorsque Jérôme arriva, les cheveux en bataille, portant simplement un caleçon. Il attrapa le clavier à temps et adressa un regard de grand frère responsable et contrarié à Eric, tremblant comme un épileptique :
- Calme-toi, Eric. Assis-toi et calme-toi !
Eric obtempéra, non sans jurer entre ses dents. Jérôme s’assit sur le lit, à côté de lui :
- Tu es fatigué, vas dormir. Tu joueras mieux demain.
Jérôme tendit une main pour éteindre l’ordinateur, mais Eric l’arrêta :
- Pas encore, geignit-il.
Jérôme lui jeta un regard noir. Eric s’empressa alors d’ajouter :
- Je jouerai pas, je te jure. Je veux juste envoyer un mail à Buff. C’est pas normal que l’IA débloque comme ça. Je suis dégoûté, je viens de perdre Diesel45. Tu venais juste de le faire.
Jerôme sourit. Il n’arrivait pas lui en vouloir. Il ne supportait pas ses gamineries, mais Eric était un frère plutôt sympa en dehors de ça.
- C’est pas grave. Je t’en referai un encore mieux. Jason Statham, tu l’aimes bien aussi, je crois ?
Eric opina avec un grand sourire.
- Ok, on verra ça demain. Envoie ton mail si tu veux, mais après dodo, d’accord ?
Eric acquiesça de nouveau.

 

CHAPITRE 8 : Dans les coulisses



Tout comme Donald Buff, Dave Matheson aimait lui aussi son travail. Et il l’aimait chaque jour un peu plus depuis qu’il oeuvrait sur les fondations mêmes de Crim’In.
Assis devant son PC dernière – et même prochaine – génération, il s’appliquait présentement à résoudre les bugs de toutes sortes détectés par les programmes, les autres techniciens ou encore les joueurs eux-mêmes via quelques mails parfois virulents. Mais la plupart des messages que le studio Dead Zone recevait était plutôt sympathique.
Les joueurs remerciaient régulièrement les concepteurs d’avoir « crée un jeu aussi génial » et ils s’imaginaient souvent grâce à quelques compliments bien appuyés pouvoir accéder aux coulisses de fabrication du soft. Mais un tel privilège n’était pas encore à l’ordre du jour. Le studio Dead Zone – filiale de D.I.E.U. – était devenu l’un des endroits les mieux gardés des Etats-Unis. Et forcément aussi, l’un des plus recherchés.
On l’avait localisé à une centaine d’endroits d’après des sources sûres.
Bien entendu, tous s’étaient avérés faux.
La carte de Crim’In était découpée en 13 états de taille et de forme variables. Sous sa forme quadrillée, elle représentait 26 carrés de large – notés de A à Z – et 30 carrés de haut – évidemment notés de 1 à 30. En tout, 180 carrés comme autant de zones à surveiller, chacune d’elles étant placée sous la responsabilité d’un programmeur attitré. Selon le planning, les responsabilités pouvaient permuter. Et le planning était plutôt souple.
En ce jour, Dave Matheson avait la charge de la zone L-17 autrement dit la bourgade de Slaughterfalls. Et il apparaissait que cette contrée - d’ordinaire si dépourvue d’anomalies techniques – était devenue depuis peu un formidable aimant à bugs. Les joueurs depuis plusieurs heures inondaient la boite mail d’infos à ce sujet et bien souvent dans un langage peu châtié. Dave avait conscience que les concepteurs comme lui étaient des stars aux yeux des gamers, mais dès lors que les problèmes survenaient, ils devenaient rapidement la lie de l’humanité.
Dave inspecta toutes les données compilées. Il arrivait régulièrement que des bugs apparaissent en quantité dès que le nombre de membres connectés atteignait un certain niveau. Mais en consultant les archives, il s’aperçut qu’aux heures où les anomalies avaient été signalées, le nombre de connexions était relativement faible. C’était donc un souci lié au moteur graphique du jeu. Un moteur révolutionnaire baptisé Golgotha dont Dead Zone était l’inventeur et l’unique détenteur. Encore expérimental, il pouvait néanmoins afficher un nombre record d’éléments sans aucun ralentissement. Les mises à jour étaient fréquentes, mais il était encore largement perfectible. D’autant que les extensions – produites plus ou moins à la hâte pour satisfaire les attentes – repoussaient à chaque fois un peu plus les limites de ses capacités.


Dave était une sorte de nettoyeur et c’est d’ailleurs ainsi que les joueurs surnommaient affectueusement les techniciens comme lui. Ce n’était pas une tache ingrate. Bien au contraire. Dave avait connu bien pire du temps de Blue Pill et puis, maintenant, il avait la reconnaissance. A commencer par celle de son supérieur direct.

Lorsque Harvey Wizard entrait dans les bureaux de Dead Zone – qui ne méritait pas leur nom vu le nombre d’employés et l’agitation qu’ils généraient – il avait l’impression d’être un responsable de la NASA. En observant les programmeurs, les designers et tous les artistes concentrés sur leurs travaux respectifs, il voyait moins en eux les bâtisseurs du loisir le plus coté au monde que des techniciens chargés de maintenir une navette dans les airs le plus longtemps possible. Une navette avec beaucoup de gens dedans. Oui, la navette Crim’In. C’est ainsi qu’ils avaient tous baptisé le jeu qui avait ni plus ni moins sauvé la face du monde.
Ils soignaient le mal par le mal. Un mal réel par un mal virtuel. Mais plus qu’un mal nécessaire, Crim’In était devenu le super antidote, une boule anti-stress manipulée par des millions de personnes. Qu’importait si ce remède consistait à massacrer des ersatz d’humains. Dans les rues, les cités, le calme avait repris ses droits. On réglait les conflits manette en main. Le clavier et la souris avaient remplacé le fusil et la grenade. Le son des balles déchirant les chairs en THX avait fini par être plus séduisant que le bruit des vraies détonations. La mort était devenue trop esthétique sur les écrans HD. On pouvait régler la couleur du sang, tuner ses armes comme des voitures de course, enregistrer ses faits d’armes, les revoir sous des angles cinématographiques avec des ralentissements à rendre jaloux John Woo en personne.
Ce jour-là, lorsque Harvey Wizard entra dans les locaux de Dead Zone, il eut ce frisson qu’il ressentait à chaque fois. Il pensait aux innombrables joueurs connectés qui prenaient un immense plaisir à arpenter le monde de Crim’in, improvisant des alliances, des compétitions, des défis et des objectifs. Il s’imaginait à la place des vétérans, fins stratèges ou bulldozers, éliminant leurs rivaux avec une efficacité admirable, maîtrisant à la perfection les combinaisons de touches et connaissant la map sur le bout des doigts, faisant exploser les records tous les quarts d’heure. Il s’imaginait à la place des novices dont la première partie à Crim’In faisait figure de dépucelage, avec comme récompenses, une montée sensationnelle d’adrénaline et une jouissance à la même mesure qu’elle soit synonyme de victoire ou d’échec.
Il sourit en pensant à eux avant de s’adresser à ses troupes :
- Salut tout le monde. Comment va Crim’In, aujourd’hui ?


C’était une simple formule d’usage, car tout en disant cela, Harvey contempla le tableau holographique affichant la map entière de Crim’In, les zones et le nom du programmeur associé à chacune d’elle ainsi que le nombre de connexions et les gamertags des joueurs en activité. Il effleura une icône et consulta les derniers mails reçus. L’un d’eux retint particulièrement son intention. Il était adressé à Donald Buff, mais Harvey avait l’habitude de cette maladresse et il avait appris à l’accepter. Cela le faisait même sourire.
Maintenant que D.I.E.U. rentrait largement dans ses frais, que le studio se portait bien et que la mécanique était bien huilée, Buff chapeautait toujours le projet, mais de manière de plus en plus distante et ponctuelle. Il appelait régulièrement Harry et ils déjeunaient ensemble de temps en temps dans sa villa en se congratulant des résultats, mais leurs rapports devenaient purement anecdotiques. Harvey soupçonnait même Buff de travailler sur un nouveau projet. Ce qui aurait été tout à fait digne de lui.
Le mail avait été envoyé par un garçon de 15 ans originaire d’Orléans en France. Il était rédigé ainsi :

Monsieur Donald Buff,

Je m’apelle Eric, j’ai 15 ans et je vous écri car j’adore CRIMIN et que je j’y joue tout les jours. Mais en ce moment ya des petit problème qui m’énerve un peut. Il ya des pnj qui sont trop cheatés et qui ont tué mes deus derniés avatars et je peux plus jouer avec. C’est pas normal. Je vous envoi les images car j’ai acheté le mod DIRECTOR que je trouve super pour enregistré les actions et les envoyé aux potes. J’espère que ça vous aidera a réparé ce qui va pas. Merci pour tout ce que vous faisez sur le jeu. J’espère que la prochaine extension va biento sortir.

Avec tout le respé que je vous doit,

Eric



Harvey se dit que cela valait peut-être la peine de jeter un coup d’œil à l’enregistrement en question. Il arrivait souvent que les joueurs envoient les vidéos de leurs exploits afin d’épater les développeurs et peut-être Buff lui-même pour obtenir une hypothétique rencontre avec le directeur de D.I.E.U. en personne. Certains avaient même poussé le vice en créant un avatar à l’image de Buff. Ce qui, évidemment, n’était pas forcément de très bon goût. Mais Harvey savait que les mails étaient en général filtrés au préalable par des opérateurs bien attentionnés avant qu’il prenne la peine d’y accéder. Une sorte d’accord tacite.
Lorsqu’il visionna les images, il ne regretta pas sa décision et contacta sitôt après Dave Matheson avec qui, par ailleurs il entretenait d’excellents rapports. Il se réjouissait presque de devoir résoudre ce problème avec lui. Il pressa son lobe gauche :
- Salut Dave, tu vas bien ? Bon, écoute, je viens de consulter les mails et l’un d’eux s’est avéré fort pertinent. Tu es sur la zone sensible, c’est pour ça que je m’adresse à toi.
- Je m’attendais à votre appel. J’ai regardé la vidéo. Effectivement, un gros problème d’IA défaillante. J’avais encore jamais vu ça. Je suis en train d’essayer de localiser le sujet.
- Comment il s’appelle ?
- Le premier qu’on voit c’est John Carson. Le second, je ne sais pas. Il n’apparaît pas dans la mémoire et ce n’est pas un avatar de joueur. Très étrange.
- Ok, je te laisse chercher, je viens te voir dans un quart d’heure.
Ce qui implicitement voulait dire « tu as un quart d’heure pour démêler ce nœud avant que je ne vienne t’aider en faisant les gros yeux ».
Harvey allait couper la communication, mais il crut bon d’ajouter :
- Pendant que tu y es, recherche le nom du programmeur qui a crée ce gars-là. Avec un peu de chance, avant midi, tout sera rentré dans l’ordre.
Evidemment, Harvey Wizard ne pouvait pas savoir qu’avant midi, la face du monde allait de nouveau être bouleversée.

 

9. Succès déverrouillé : Corps d’Acier



Johnson ne savait pas trop pourquoi, mais de se retrouver aux côtés d’une femme, même très différente de Linda, lui ôtait toute envie de se confronter à nouveau à la violence et encore moins de la nourrir.
En fait, il eut subitement envie de reprendre le cours de son ancienne vie. Il voulait quitter la ville, fuir les combats, prendre cet avion et aller sur cette île dans le fol espoir de trouver la paix, la sérénité et un nouveau sens à sa vie.
Rachel s’alarma en voyant un panneau annoncer une prochaine sortie.
- Où nous emmenez-vous ?
- Loin de tout ça, loin de slaughterfalls. Je connais quelqu’un qui possède un petit avion. Je sais piloter.
- Mais je ne peux partir comme ça…avec vous, se sentit-elle obligée de rajouter pour le convaincre de son ineptie. J’ai une vie, ici, un travail !
De son côté, Johnson se sentit plus qu’obligé de rétorquer :
- Une vie ? Un travail ? Vous voulez rire ! Vous faites simplement comme tout le monde. Vous essayez seulement de survivre.
La remarque était cinglante, mais Rachel ne comptait pas s’en contenter.
- On ne se connaît pas. Je ne sais pas qui vous êtes.
- Moi non plus je ne sais plus qui je suis.
Johnson poussa un soupir qui en disait long, mais pas assez à son goût. Alors il comprit qu’il était légitime de se confier un peu à Rachel :
- J’ai perdu ma femme cette nuit. Un gosse l’a poignardée.
Il préféra ignorer l’expression d’épouvante de la jeune femme et poursuivit du même ton :
- Je l’ai retrouvé et je l’ai abattu à mon tour. De sang-froid. Et puis à partir de là, tout s’est accéléré. Je me suis mis à faire des choses, à voir des choses.
Il s’interrompit pour regarder ses mains posées sur le volant.
- jusqu’à maintenant, j’ai préféré tout ignoré et me laissé emporter par cette formidable force qui m’a envahi et qui grandit en moi un peu plus à chaque seconde. Ce n’est pas juste la colère et la vengeance qui m’habitent. C’est autre chose. C’est plus compliqué. Car il n’y a pas que ça.
Il se tourna vers Rachel, le temps pour lui de s’assurer qu’il avait toute son attention. Et il ne fut pas déçu.
- Il se passe des choses autour de moi, autour de nous dont nous ne sommes absolument pas responsables. Des choses inexplicables. Et je ne parle pas de la violence et des gangs. Les corps des morts disparaissent. Des mots apparaissent au-dessus des gens. Comme des noms de code. Vous voyez quelque chose au-dessus de ma tête ?
Rachel hésita avant de secouer la tête. Elle le scrutait comme si elle avait affaire à un fou.
Johnson s’en rendait bien compte.
- Et maintenant ?
Trois mots lumineux s’inscrivirent devant son visage.
FAITES-MOI CONFIANCE !
Rachel hoqueta de surprise.
- Comment vous faites ça ?
- Vous le faites aussi. C’est comme ça que j’ai su comment vous vous appeliez. En fait, tout le monde le fait, mais apparemment, je suis le seul pour le moment à le comprendre et à le contrôler.
A son tour, Rachel poussa un soupir lourd de sous-entendus.
- A mon niveau, j’ai entendu pas mal de choses inquiétantes. C’est peut-être une méthode de surveillance créée par le gouvernement.
- Tiens, parlons de lui. Où est-il ? Que fait-il ? Les autorités sont aux abonnés absents depuis un moment maintenant. Ils nous laissent dans notre merde. Ils se foutent bien de ce qui peut nous arriver. Et vous savez pourquoi ?
- Ils sont complices.
- Exact. Et ce chaos n’est ni plus ni moins devenu une sorte de contrôle pour eux. Pendant que nous essayons désespérément de nous protéger, les politiques peuvent s’adonner à leurs plus basses besognes en toute impunité. Dans ces conditions, pourquoi interviendraient-ils ?
Rachel se recroquevilla un peu sur son siège.
- Ca fait peur. C’est donc la fin ?
- Je ne sais pas. Il faut que je sache pourquoi je suis ce que je suis. Et il faut que je sache si je suis le seul.

Johnson freina sans crier gare et s’arrêta sur le trottoir. Il tendit un bras et décolla une affiche sur le mur couvert de graffitis provocateurs. Le message qu’il put lire était ainsi libellé :


IA RECHERCHé : JOHN CARSON
TRES DANGEREU-REDITION INéFICASSE-NEUTRALIZE AVATAR
CONTACTé DIELSEL45



En dessous du texte figurait le portrait d’un homme aux cheveux châtains bouclés et aux yeux marron.
- Vous le connaissez ? interrogea Rachel.
Johnson ressentit à nouveau cette sensation étouffante d’être la victime d’un complot à grande échelle. Il répondit sans vraiment y penser :
- Oui, c’était moi.
- Quoi ?
La détonation n’avait pas fini de retentir que la Viper traversait violemment le mur dans une explosion de briques et de débris métalliques.
De l’autre côté de la route, un char d’assaut pointa son canon entra deux maisons - qu’il démolit allègrement sur son passage – avant de s’arrêter près d’une borne à incendie.
La trappe d’accès s’ouvrit et un ado de dix-neuf ans apparut. Il était torse nu. Il portait un bermuda version camouflage et un casque de GI sur lequel était inscrit son gamertag : BORNKILLER. Une cigarette était rivée au coin de sa bouche. Il exhiba un fusil à canon scié recouvert de logos et tira dans la borne à incendie, libérant un puissant geyser d’eau. Il appuya son dos contre la trappe, allongea ses jambes et laissa l’averse le rafraîchir.
La voix du pilote – qui répondait au nom de DWAYNE et qui avait tout d’un catcheur – se fit entendre :
- T’es sûr que c’était la bonne caisse ?
L’autre observait le soleil à son zénith sans même cligner des yeux :
- Absolument. La description sur le forum était très détaillée. Le joueur a dit qu’il l’avait vue d’assez près.
- Pourquoi il vient pas nous rejoindre ?
- Il a dit qu’il avait des problèmes de connexion et qu’il devait se refaire un avatar. Et d’après lui c’est à cause du mec qu’on vient d’exploser.
- Jamais entendu parler d’un truc pareil. Comme si l’IA pouvait interférer avec le réseau. N’importe quoi !
- En tout cas, reprit BORNKILLER, on va attendre un peu ici. Je lui envoie notre position. Il nous rejoindra dès que possible.
- Tu crois que c’était un boss caché ?
- Non. On aurait remporté des points bonus et là c’est pas le cas.
- Tu crois qu’on l’a eu ?
BORNKILLER tapota la surface du char comme s’il se fut agi d’un animal de compagnie :
- Tu parles qu’on l’a eu. Rien ne peut résister à Texas.
Il avait baptisé le char ainsi en hommage à son labrador, mort quelques jours auparavant.
Il n’avait pas plus tôt dit cela que quelque chose s’élevait des ruines encore fumantes devant eux. BORNKILLER n’en crut pas ses yeux lorsqu’il vit une silhouette humaine se découper sur le disque jaune du soleil. Il se redressa.
- Merde, c’est lui là-haut ! On va lui envoyer un Baby Jaw !
Johnson tenait Rachel dans ses bras. Et il flottait dans le ciel sans le moindre effort à faire. Mais c’était là la dernière de ses préoccupations. Il contempla le visage de la jeune femme en essayant vainement de ne pas penser à celui de Linda juste avant qu’elle ne meure dans ses bras. Les lèvres de Rachel remuèrent. Elle eut comme un sursaut, mais tout ce qui sortit de sa bouche fut une giclée de sang. Johnson sut qu’elle venait de le quitter. Et comme pour chasser le doute à ce sujet, son corps disparut. Comme tous les autres. La surprise de Johnson fut de courte durée. Sa fureur beaucoup moins.
- T’es sûr que c’est lui ? s’enquit DWAYNE. Il a l’air différent de la description.
Johnson était maintenant un colosse chauve au torse nu exhibant une pléthore de cicatrices et de tatouages tribaux qui à eux seuls auraient pu faire fuir une armée. Une cape noire déchirée se soulevait dans son dos de manière surnaturelle, s’agitant nerveusement comme la queue d’un félin contrarié.
- Feu !
Le canon du char cracha un obus titanesque doté d’un aileron sur lequel était dessiné un bébé à la mâchoire de requin. Johnson gonfla son biceps et lança son poing droit devant lui. Le choc de la collision brouilla l’image sur l’écran HD. L’étudiant et l’ouvrier assis au comptoir du Mike’s Bar échangèrent un bref regard avant de river de nouveau leur attention sur la télé, imités par une trentaine de clients, spectateurs assidus du jeu. C’est Mike, le patron, qui avait eu l’idée d’organiser ces séances publiques. Cela amenait pas mal de monde, les strip-teaseuses ne faisant plus vraiment recette.
Lorsque le nuage de poussière se dissipa, les deux joueurs et l'assistance derrière eux eurent une vision qui les laissa momentanément sans voix.
Johnson s’était fait un gantelet de l’obus destiné à l’anéantir.

Au-dessus de sa tête des lettres lumineuses apparurent, formant rapidement quelques mots à l’attention des assassins de Rachel :
J’IGNORE SI DIEU EXISTE MAIS VOUS VENEZ DE CREER LE DIABLE !
- Qu’est-ce que c’est que ce délire ? fit Mike les yeux rivés sur l’écran, essuyant distraitement un verre.
- T’es sûr que c’est pas un boss ? demanda l’ouvrier à son partenaire.
Mais au lieu de lui répondre l’étudiant hurla :
- Feu !
Johnson venait de projeter le Baby Jaw en direction du char, usant de son bras armé comme d’un lance-missiles.
DWAYNE s’exécuta aussi rapidement que possible et le canon cracha un nouvel obus.
Les deux projectiles se heurtèrent avec une violence inouïe. Un éclair envahit l’écran et aveugla momentanément toutes les personnes présentes dans le bar. L’écran s’éteignit une seconde avant de se rallumer, occasionnant une indicible frayeur chez les spectateurs.
Johnson poussa un râle en voyant qu’il avait échoué. Mais le regain de rage qu’il ressentit juste après lui fit oublier sa déveine. Il se recula un peu comme pour se préparer à fondre sur le char. Un missile l’atteignit de plein fouet. Il fut projeté à plusieurs mètres. Sa colère connut un nouvel essor. Il lança un regard lourd d’un funeste présage en direction de la menace. Car ce n’est pas le char qui venait de tirer. Un hélicoptère de type gazelle venait de se profiler. A l’intérieur un clone de l’acteur Jason Statham vêtu d’un smoking. Au-dessus des pales en mouvement apparaissait le gamertag du joueur : HITMAN.
- Salut les mecs ! fit Eric. On dirait que j’arrive à temps !

Jerôme entra dans la cuisine. Il était presque 11h00. Il se gratta la tête. Il avait fait un drôle de rêve. Dans son rêve, Eric était prisonnier du jeu Crim’In. Il frappait contre l’écran pour esssyer d’en sortir et surtout pour l’avertir. Mais lui, ne comprenant rien, continuait de lui tirer dessus avec son avatar. Plus tard leurs parents rentraient et se mettaient à jouer eux aussi avec un enthousiasme malsain.
Eric finissait criblé de balles, massacré par sa propre famille.
Jérôme secoua la tête. Il fallait qu’il oublie cette horrible vision sinon il allait passer une très mauvaise journée. Les parents rentraient le soir. Cela le réconfortait un peu. S’occuper d’Eric ne lui avait jamais posé de problèmes. Bien au contraire. Mais en ce moment, il avait ses propres soucis. Des problèmes de cœur (au sens métaphorique) et une certaine incertitude quand à son devenir professionnel.
- Eric, tu as mangé ?
Il devait être sur son PC. Mais au moins avait-il dormi un peu. Aujourd’hui ils iraient faire un peu de skate. Jérôme regarda par la fenêtre de la cuisine. Le quartier était calme, comme d’habitude. Il faisait beau.
Ca pouvait être une bonne journée, en fait.

BORNKILLER regarda l’hélicoptère qui filait en direction du colosse tout en l’arrosant copieusement de projectiles assassins. Il tira en l’air avec son fusil à canon scié comme pour l’encourager puis s’adressant à son comparse :
- Balance un autre Baby Jaw !
- J’en ai plus, fit DWAYNE de sa grosse voix.
- Fais le code que je t’ai donné.
La peau de Johnson se couvrit progressivement d’éclats métalliques tels des implants, lui conférant une image encore plus menaçante. Ses yeux jetaient littéralement des éclairs.
Eric jubilait de voir son ennemi ainsi harcelé. Mais il déchanta lorsqu’il s’aperçut qu’il n’avait plus de munitions.
L’ouvrier se tourna vers l’étudiant :
- C’est quoi le code déjà ?
La cape noire de Johnson prit soudain vie et le recouvrit. La seconde d’après, il réapparaissait, les muscles bandés à l’extrême. Les fragments de missiles dont son corps était criblé s’abattirent sur l’hélicoptère et Eric eut tout le mal du monde à le maîtriser. Il était touché, désarmé. Il ne voyait plus qu’une option.
- Le code ? Je te l’ai donné tout à l’heure. Je sais plus, moi. C’était pourtant facile à retenir !
Eric déséquilibra l’appareil, orientant les pales vers le bas.
- Eric, tu viens manger ?
- S’il est si facile ce code, pourquoi tu peux pas me le redonner ?

Eric était maintenant suffisamment près. Il allait découper son ennemi comme un vulgaire morceau de viande. Le regard acéré de Johnson plongea à travers le pare-brise. Mais ce n’est pas Jason Statham qu’il vit assis à l’intérieur du cockpit. NON. Il vit un gamin de quinze ans à l’air innocent et aux magnifiques yeux bleus. Le visage de Johnson se tordit :
- TOI !
Son bras se détendit à la vitesse de l’éclair et sa main se referma sur une des pâles destinées à le déchiqueter. Instantanément elles cessèrent de tourner et l’appareil se figea.
- C’était à toi de le retenir ! C’est toi le tireur !
- Eric ! Lâche le jeu, ça va refroidir ! J’ai fait du pain grillé comme t’aimes !

Le corps de Johnson commença à produire des éclairs tout autour de lui comme s’il se prenait tout à coup pour une centrale électrique. Il rapprocha l’appareil de lui et colla son visage haineux contre la vitre :
- Tu m’as crée. Tu as fait de moi ce que je suis. Je te dois la vie. Mais je te dois aussi la mort.
La mort de Linda, ma femme. Et la mort de John Carson, celui que j’étais.
Johnson ne se rendit pas compte qu’il pleurait. Eric le regardait, terrifié. Ce n’était pas une simple Intelligence Artificielle. Ce regard, cette expression de douleur et de colère mêlées.
Ce n’était pas possible.
D’un simple mouvement, Johnson balança l’hélicoptère vers le sol. A la vitesse d’un missile, l’appareil s’écrasa sur le char prénommé Texas. L’explosion qui s’ensuivit eut un certain nombre de conséquences. Elle rasa les habitations alentours. L’écran HD de Mike explosa, répandant des débris sur les joueurs et les spectateurs. Harvey Wizard venait de rejoindre Dave Matheson lorsque les écrans et les lumières du studio Dead Zone s’éteignirent quelques secondes avant de se rallumer.
Jérôme entra dans la chambre d’Eric. Ce dernier était bien assis devant son PC, immobile, hypnotisé par l’action dont il était l’acteur et le témoin privilégiés.
- Tu devrais jouer sans le casque de temps en temps. Tu vas finir par te bousiller les tympans.
Jérôme retira les écouteurs. Du sang coula des oreilles d’Eric. Il regarda son visage. Ses magnifiques yeux bleus étaient désespérément grand ouverts.
Lorsqu’il lui prit le pouls, il réalisa que son coeur ne battait plus.

 

CHAPITRE 10 : Naissance d’un remède



12h29 France Orléans

Eric était entre la vie et la mort. Jérôme essayait de ne pas se sentir trop coupable, mais quand ses parents le rejoignirent en catastrophe à l’hôpital – écourtant un important séminaire – ce fut peine perdue.
- On t’avait pourtant dit de ne pas le laisser toute la journée devant son écran !
- Ces jeux sont dangereux ! C’est une vraie drogue et ton frère vient de faire une overdose !

Quand ils rentrèrent à la maison - après avoir eu la garantie des médecins qu’ils feraient tout ce qui était en leur pouvoir pour tirer Eric de son coma – les parents de Jérôme continuèrent à le sermonner. Mais face à son silence désespéré, ils ne trouvèrent rien de mieux à faire que s’invectiver l’un l’autre :
- Je t’avais dit que nous n’avions pas besoin d’être deux là-bas !
- Ca c’est certain ! Tu as passé ton temps à te maquiller !
Jérôme soupira avant de trouver refuge dans la chambre d’Eric.

Johnson filait dans le ciel à la vitesse du son. Il atteignit l’île en moins d’une minute. A peine posé sur la plage de sable fin, il tomba à genoux. Son corps de guerrier invincible se flétrit et il redevint provisoirement John Carson, un simple être humain, rongé par la perte de la femme aimée, de sa moitié.
Il n’avait pas pu retrouver son corps, mais il lui devait toujours une sépulture digne de ce nom. Le visage de Linda revint danser dans son esprit. Et avec lui, tout un cortège de souvenirs à l’ineffable beauté. Il se rappela leurs dernières vacances. Un voyage exceptionnel au Tibet grâce à des années d’économie. Un voyage et une seconde Lune de Miel.
Il contempla ses mains à travers le rideau de ses larmes. Ses pouvoirs allaient peut-être enfin lui servir à autre chose qu’à tuer et à détruire. Ses mâchoires se crispèrent et il plongea ses bras jusqu’aux coudes dans le sable. Des éclairs jaillirent à nouveau de son corps. Il redressa la tête et regarda la montagne s’élever devant lui.

Jérôme regarda autour de lui. Chaque objet de la pièce avait une histoire qu’il connaissait. Il se rappela chacune d’elle avec une émotion plus vive qu’il ne l’eut souhaité.
Ici, un poster glané à un concert de rock. Là, une planche de skateboard offerte à son anniversaire : le fruit de plusieurs années d’économie. C’était un modèle unique. Il avait fait gravé le nom de son frère et celui de son idole dans cette discipline.
Des idoles, Eric en avait des tas. Mais Jérôme avait toujours tout fait pour être en haut de la liste.
Il prit place devant le PC et se mit à pleurer doucement, sans un bruit. Et puis son regard tomba sur la jaquette de Crim’In dédicacée par Donald Buff en personne :

Pour Eric, un joueur plein d’avenir.

D.B
.


Ses larmes séchèrent instantanément. Il pianota sur le clavier pour s’inscrire sur le forum officiel du jeu.


03h32 Los Angeles - Studio Dead Zone

- Il est au Tibet.
- Quoi ?
- John Blossom, le créateur de John Carson. Il est en vacances au Tibet. Et il en a encore pour une semaine. Je crois qu’on peut faire une croix sur lui.
Harvey eut un regard de dieu courroucé.
- Foutu alpiniste !
Puis il fixa Dave avec toute la sympathie dont il était capable dans sa situation.
- Donne-moi une bonne nouvelle. Tu as localisé cet emmerdeur ?
- J’ai consulté les vidéos et les témoignages les plus récents des joueurs. Il a été vu pour la dernière fois à la sortie de Slaughterfalls. Là même où habitait John Carson. Il apparaît de plus en plus probable que ce bug est apparu au moment même où ce John Carson a disparu des effectifs de l’IA.
Harvey ne fit aucun effort pour cacher son inquiétude.
- Tu es en train de parler d’évolution ?
Dave se contenta d’un simple haussement d’épaules. Harvey renonça à s’emporter. La panique était la dernière des options.
- A moins de trois mois de la sortie de la prochaine extension, on ne peut pas se permettre ce genre d’anicroche. Les joueurs parlent entre eux. Les forums sont faits pour ça. S’il y a un élément qui fait obstacle à leur plaisir de joueur, la réputation de Crim’In est menacée.
- On peut mettre tout le monde sur le coup. On peut en faire notre nouvelle priorité.
Harvey caressa son menton rasé de près.
- Non. Il est hors de question de changer nos plans. Et puis Donald ne doit rien savoir. Il y a sûrement un moyen de préserver notre intégrité et nos enjeux premiers.
Après quelques secondes le visage de Dave s’illumina.
- Tournons la situation à notre avantage.
Les sourcils d’Harvey lui intimèrent de s’expliquer.
- Faisons croire que ce bug est sous notre contrôle, qu’il est un choix délibéré de notre part. Ici, nous avons quasiment les mains liées. Mais pas certains joueurs. Organisons un concours. Celui qui parviendra à éliminer John Carson – ou plutôt ce qu’il est devenu – se verra offrir un séjour tous frais payés dans les locaux de Dead Zone avec en prime le privilège d’assister au développement de la prochaine extension. Imaginez la réaction. Le rêve pour des millions de fans. Une telle offre, une telle récompense ! Qui voudrait passer à côté ?

Sur les forums et dans les conversations en général, la tension commençait sérieusement à monter et la liste des doléances des joueurs grossissait de minute en minute. L’existence d’un mystérieux personnage capable de neutraliser les joueurs les plus aguerris était maintenant connue de tous. Il avait eu droit à bien des surnoms depuis ses premiers exploits, mais tout le monde s’était finalement accordé pour l’appeler Big Bug. Un nom plutôt justifié à défaut d’être réellement inspiré. En quelques heures Big Bug avait considérablement éclairci le nombre de joueurs connectés sur le réseau. Et c’était une raison suffisante pour faire de lui le scoop le plus important du moment au même titre que la sortie de Fire From Ashes, la prochaine extension de Crim’In. Quand il fut avéré que les deux étaient intimement liés par un défi lancé aux joueurs du monde entier par Dead Zone, ceux qui se trouvaient dans l’incapacité d’y participer virent leur frustration monter d’un cran. Les autres discutaient déjà stratégie et graissaient virtuellement leurs armes. Crim’In n’en finissait pas de monopoliser l’attention. Question d’habitude. Mais cette fois la situation exigeait des joueurs un investissement tout a fait inédit.
Des affiches improvisées fleurirent dans les différents états du jeu. On pouvait y voir les différents visages connus de l’ennemi virtuel numéro un, accompagnés du message suivant : "Avez-vous vu ce type ?" et d'une adresse internet.

Mais cette chasse à l’homme - aussi séduisante était-elle – ne faisait malgré tout pas l’unanimité parmi les joueurs. Si la plupart voyaient en Big Bug une poule aux œufs d’or, d’autres l’avaient élevé au rang d’icône intouchable et de ce fait voyaient d’un très mauvais œil cette campagne destinée à l’anéantir sans autre forme de procès. Pour eux, ce n’était ni une anomalie, ni une carotte pour amadouer les geeks. Mais bien l’avènement d’une ère nouvelle ou l’IA avait enfin son mot à dire. Cette croyance devint très vite une croisade et ses sympathisants eurent tôt fait de se trouver un leader à la mesure de la tâche. C’était une jeune femme de 21 ans prénommée Iko, originaire du Japon. Elle baptisa son groupe les Protecteurs et déclara rapidement la guerre aux Chasseurs qui trouvèrent également un chef digne d’eux.

 

11. Succès déverrouillé : Wargames



Iko pilotait sa fidèle Manta verte et rose estampillée 52, le tout dernier modèle de moto de course de Kawasaki. Il n’était même pas encore sorti chez les concessionnaires. Crim’In était devenu la parfaite vitrine virtuelle pour toutes les grandes entreprises. C’est aussi grâce à ce stratagème que Donald Buff avait engrangé un maximum d’argent. Suite au succès fulgurant du jeu, les fabricants de tous horizons avaient fait la queue devant D.I.E.U. pour signer un contrat exclusif de partenariat. Crim’In générait plus de publicité qu’un bouquet de chaînes satellites.
Iko progressait sur le toit des immeubles, bondissant comme un fauve. En contrebas, un convoi mêlant jeeps, camionnettes et 4x4 remontait l’avenue. A sa tête, une rutilante Ferrari noire qui abritait sans nul doute le chef des Chasseurs.
Iko jeta un bref coup d’œil au convoi avant de s’adresser à ses troupes encore invisibles :
- Ils ont localisé Big Bug un peu plus loin, à MicroSouth. L’info vient d’être confirmée. Ils ne soupçonnent pas que nous le savons.
Sur un autre toit, un Protecteur mettait le défilé en joue avec son fusil de sniper.
- Qui est la taupe ?
- Peu importe, répondit sèchement Iko. A vous de jouer !
Ces mots à peine achevés, des explosions tonitruantes vinrent décimer la petite armée. Deux motos jaillirent de nulle part et se rabattirent sur les flancs de la Ferrari qui accéléra de plus belle. Le passager d’un des pilotes braqua un lance-roquettes sur le bolide. Et jubila.
- Tu vas t’envoler, T-Hawk !
Au moment où son doigt allait presser la détente, le toit de la voiture s’éjecta. Les quatre Protecteurs furent stupéfaits en voyant qu’il n’y avait ni pilote, ni passager.
- C’est un piège ! Foutons le camp !
La Ferrari devait être truffée de C4, car l’explosion qui s’ensuivit rasa pratiquement tout le quartier.
La Manta s’arrêta au bord d’un toit. Iko ôta son casque et ce faisant, son gamertag se modifia et devint T-Hawk. Quant à son visage, ce n’était pas celui d’une jeune japonaise. C’était celui d’un jeune français aux traits durcis, au regard de braise. Il s’appelait Jérôme.
Lui qui n’avait connu le jeu que par les exploits de son frère s’était métamorphosé en machine de guerre virtuelle en un temps record. Les astuces, les codes, les mods, tout ce qui permettait à un joueur de supplanter les autres et de dominer le jeu, Jérôme les avait traqués. Il n’avait pas l’expérience, ni le temps et la patience de l’obtenir. Alors il avait utilisé d’autres moyens.
Détruire Big Bug ne lui garantirait aucunement la survie d’Eric. Mais il était convaincu que cela pencherait dans la balance. Et à partir de là, tout ce qui se ferait obstacle à sa quête serait une menace pour son frère. Et un ennemi pour lui.
Des tirs de gros calibre l’arrachèrent à ses réflexions. Un avion de chasse venait de le prendre pour cible. Le Harrier Miller41 était encore au stade de prototype dans les usines réelles, mais qu’importait, dans le ciel de Crim’In il évoluait déjà avec une aisance stupéfiante pour un appareil de son envergure. Avant que la poursuite ne s’engage, Jérôme eut le temps de voir une inscription sur le fuselage :
IKO Guide des Protecteurs de BIG BUG
Contrairement à lui, elle ne se cachait pas.
Aux commandes, la belle asiatique affichait autant de détermination que son ennemi. Et les rafales de mitrailleuse qu’elle lui adressa constituaient déjà de sérieux avertissements.
Jérôme avait triché avec son image, retournant la situation à son avantage. Cette manipulation faisait de lui un génie pour certains. Pour Iko, cela ne faisait qu’accroître la haine qu’il lui inspirait.
La Manta franchit le vide la séparant de la route et tandis qu’elle s’éjectait du toit, l’immeuble derrière elle disparut dans une explosion dantesque. Le lance-missiles du Miller41 n’était pas encore breveté qu’il faisait déjà des prouesses.
La moto bondit par-dessus les décombres. Sur elle planait l’ombre du Harrier, tel un oiseau de proie futuriste. Iko renversa son appareil à la verticale, le nez pointé vers le sol. Grâce à ses tuyères orientables, le Harrier pouvait s’affranchir un maximum de la gravité. Iko ouvrit le toit du cockpit et après avoir évalué les risques, elle enclencha l’éjection et se retrouva derrière Jérôme.

Dans le cybercafé le plus populaire d’Hiroshima, les cris des spectateurs saluèrent son exploit. Tous les joueurs sans exception s’étaient détournés de leur propre partie en réseau pour venir assister au spectacle. Dans la rue, c’était la cohue et des journalistes avaient même fait le déplacement pour couvrir l’évènement. Le quotidien de Crim’In devenait facilement une exclu alors quand les chefs des deux factions les plus importantes s’affrontaient, les chaînes se déchaînaient pour avoir la primeur de l’évènement. Les paris étaient lancés. L’affaire était forcément juteuse.


Chez Dead Zone, on se frottait les mains. L’agitation atteignait aussi son paroxysme. Harvey Wizard crut sage d’user de son autorité afin de restaurer le calme et un professionnalisme plus que salutaire.
- Que les joueurs ne se contrôlent pas, c’est dans l’ordre des choses. C’est ce qui fait vivre Crim’In. Que vous les imitiez, non.
Lorsque l’équipe technique reprit son activité, Dave leva le nez de son écran pour s’adresser à son supérieur :
- Devons-nous intervenir ?
- Pourquoi le devrions-nous ?
- A votre avis qu’en pense Donald ?
Harvey repensa à l’image de la navette Crim’In. Fallait-il songer au crash ? Non. Harvey s’interdisait de le penser.
- Je l’appellerais quand je le jugerais nécessaire.
Dave tressaillit en regardant son écran. Harvey l’imita.
- Que se passe-t-il encore ?
- Un pic d’activité sur l’île sans nom, au large du continent.
- Activité des joueurs ?
- Non.
- Activité de L’IA ?
- Je ne sais pas. La signature est inconnue.
- Alors c’est sûrement lui. Que fait-il ?
- Il est en train de modifier le relief. On dirait qu’il … Il est en train de façonner une montagne.
Harvey quitta l’écran des yeux et s’abîma dans ses réflexions. Il ne savait pas pourquoi Donald Buff n’était pas encore au courant de la situation. Avec les médias, qui pouvait l’ignorer. Peut-être l’ignorait-il délibérément. Peut-être était-ce une forme de test. Et si ce bug était ni plus moins la dernière œuvre de Buff afin d’asseoir sa réputation ? Il était assez fondu pour ça. Mais encore une fois, Harvey refusa d’aller où son imagination l’entraînait.
C’était juste un problème. Et il fallait le résoudre.
- Transmettez sa position aux joueurs.
- Un joueur est à l’hôpital. Des incidents ont été signalés un peu partout. A commencer par ici. Vous le savez. Si on fait ça, il y aura peut-être des morts, Harvey ! Nous naviguons en terre inconnue, désormais.
Dave dévisagea son supérieur avec une gravité inaccoutumée. Harvey soutint son regard avec une assurance qui en disait long sur son propre jugement.
- Dois-je t’en tenir responsable ?
Dave se recroquevilla sur sa chaise. Harvey croisa ses bras sur sa poitrine.
- Lâchons les chiens. Que la curée commence.

Iko dégaina le sabre ornant son dos pour décapiter Jérôme. Ce dernier la prit de vitesse. Il s’appuya sur les poignée de la moto et se soulevant, lança une furieuse ruade. Frappée de plein fouet, Iko fut catapultée en arrière pour réintégrer malgré elle le cockpit du Harrier qui l’avait sagement suivi. Elle lança une bordée d’injures dans sa langue natale. Reprenant le manche, elle redressa le nez de l’appareil tandis que la Manta filait plein gaz vers l’entrée d’un immeuble vitré d’une vingtaine d’étages.

- Jérôme, tu viens manger ?
Il n’était pas loin de 14h. Jérôme savait qu’il était contre-nature de faire ce qu’il faisait alors que la vie de son frère ne tenait qu’à un fil. Il devrait être en train de prier, de se recueillir avec ses parents, d’éplucher les albums de photos, n’importe quoi qui puisse témoigner de l’amour qu’il lui avait toujours porté. Mais il savait aussi que ce qu’il était en train de faire était paradoxalement la meilleure preuve d’amour qu’il puisse lui témoigner. Il reprenait son flambeau, il marchait sur ses traces. Il devenait le personnage que son frère avait toujours voulu incarner. Si Eric s’éveillait et apprenait son ascension dans Crim’In, il serait fier de lui comme jamais. Fier d’être son frère. Et cette perspective valait à elle seule l’entreprise désespérée dans laquelle il s’était embarqué si précipitamment.
- Ne m’attendez pas. Je n’ai pas faim.
Aussi il avait faim. Faim de victoire, de succès. Faim de suprématie. Lui qui était en quête de son avenir venait enfin d’en trouver un qui le comblait.

L’avion mitrailla la façade du bâtiment alors que la moto plongeait à l’intérieur.
Iko enclencha le détecteur de chaleur. Le signal était perturbé par des émissions diverses provenant des canalisations et des appareils électriques.
Le jeu était parfois si réaliste que cela faisait froid dans le dos.
Elle stabilisa l’appareil. Au 21ème étage, le détecteur repéra une source de chaleur extrêmement véloce. Elle allait presser la commande du lance-missiles, puis se ravisa. C’était un peu trop facile. Elle attendit. Lancée à plein régime la Manta traversa une fenêtre et s’élança vers l’avion inerte. Iko écarquilla les yeux de stupeur. Le pilote n’était pas sur la moto. Elle le repéra du coin de l’œil, suspendu à la façade au moyen d’un grappin. Dans son autre main, il tenait un détonateur. Et il jubilait.
- Envole-toi, Iko !
Iko enclencha derechef l’éjection. La moto transformée en bombe percuta le Harrier, le réduisant à un amas de métal carbonisé. Jérôme produisit une grenade qu’il lança avec adresse. L’explosion déchira le parachute de son adversaire. Iko regarda le sol se rapprocher. Elle était beaucoup trop haute. La chute allait la tuer. Si son avatar mourrait, elle n’était pas certaine de pouvoir se reconnecter. BIG BUG semblait avoir bloqué toutes les entrées depuis peu.
Il lui fallait des ailes dans le dos.

Un joueur qui se trouvait tout près d’elle lui murmura quelque chose à l’oreille. Elle le dévisagea un instant avant de l’embrasser sur la bouche, provoquant une mini émeute dans le cybercafé.

Elle entra le code et sitôt après son avatar fut nanti d’un jet pack qui le propulsa vers son adversaire abasourdi.
Jérôme reprit rapidement ses esprits. D’un mouvement souple, il se balança à l’intérieur du bâtiment. A peine atterri, Iko le projeta violemment au sol. Jérôme lança sa jambe en avant, mais se retournant habilement, Iko se servit de son propulseur comme d’un bouclier efficace. Jérôme se jeta sur elle. Ils improvisèrent une danse avant de basculer à travers une vitre. Iko enclencha son jet-pack, leur épargnant une chute mortelle, et d’un coup de tête se dégagea de l’étreinte de Jérôme. Ce dernier perdit la seule prise qu’il avait et tomba vers le sol.

Iko poussa un soupir repris par ses admirateurs.

Jérôme en profita pour lui mettre littéralement le grappin dessus. Ecoeurée, l’asiatique contempla son ennemi relié à elle et qui s’efforçait visiblement de l’entraîner vers le bas. Elle dégaina alors son sabre. D’un coup de lame, elle trancha comme un fruit mûr la grenade que venait de lui lancer Jérôme avant de couper le câble du grappin qui lui mordait la cuisse.
Jérôme regarda son avatar se rapprocher dangereusement du sol. Sans trop s’inquiéter. Et pour cause. Lorsqu’il heurta le bitume crevassé de la route, son corps ricocha comme une balle. Iko ne put rien faire pour l’arrêter. Il la percuta avec une brutalité qui fit frémir les fans de la joueuse experte. Il y eut une sorte d’éclair et la seconde d’après, Iko était précipitée vers le sol. Epouvantée, elle regarda son ennemi ajuster le jet-pack sur son dos. Elle comprit qu’il avait toutes les cartes en main. Elle comprit qu’il avait tous les atouts. Tous ? Non, il lui en restait un : le sabre explosif ! Elle tâtonna dans son dos à la recherche de son arme avant de l’apercevoir dans la main de Jérôme. Et il jubilait.
- C’est sûrement ça que tu cherches !
La seconde d’après, il balançait le sabre vers elle. Lorsque la lame transperça la poitrine de la belle asiatique, l’explosion qui résultat de l’impact mit fin aux espoirs d’un très grand nombre.
Un homme creva péniblement la foule de curieux avant de pouvoir approcher une Iko en piteux état. Il s’inclina respectueusement avant de déclarer :
- Je sais où est BIG BUG !
Iko le toisa avec sévérité.
- C’est de source sûre ?
- Oui. Une fuite du studio.
Cette annonce ne fit qu’attiser la douleur de la jeune femme. Elle remercia l’informateur avant d’essayer de se reconnecter. Bien entendu, elle n’y parvint pas. Pas plus que les autres joueurs présents dans l’établissement. Elle renifla pour s’empêcher de pleurer. L’homme qu’elle rêvait de rencontrer, qu’elle avait tout fait pour protéger l’empêchait involontairement de l’aider.
Elle se tourna vers l’informateur :
- Les chasseurs sont au courant ?

- C’est de source sûre ? demanda Jérôme à son informateur. Celui-ci n’était autre qu'un joueur connu sous le pseudo de AZERTY.
- Oui. C’est une annonce non officielle. Une fuite de Dead Zone.
Suspendu entre ciel et terre au moyen du jet-pack, Jérôme semblait consulter l’horizon comme pour y trouver la solution à un épineux problème.
- S’il est là-bas, je le trouverai et je le détruirai. Fais passer le mot aux autres.
Jérôme allait couper la communication, mais il ajouta :
- Tu m’as bien aidé depuis le début. Je te donnerai le prix du concours quand je l’aurai gagné.
AZERTY sourit tellement que cela s’entendit presque.
- Mais si Dead Zone fait des histoires ?
- Ils n’en feront pas. Ils n’en font jamais. Les histoires c’est les joueurs qui les font.
- J’espère vraiment que ton frère va s’en sortir.
- Je l’espère aussi. Sinon c’est Donald Buff qui va en subir les frais. Et ce sera pas virtuel, cette fois.


- Ils ont tous mordu à l’appât, fit Dave en réfrénant maladroitement sa fierté.
Harvey posa une main sur son épaule. Ce qui était évidemment plus qu’un simple geste de reconnaissance.
- Bien joué le coup de la fuite, Dave. Au terme de cette mésaventure, tu pourrais devenir un bon chef de projet. Chez Blue Pill, apparemment, il leur manque un mec inspiré et réactif. Tu ferais parfaitement l’affaire. En plus, tu as déjà travaillé chez eux.
Dave allait rétorquer qu’il se trouvait très bien à Dead Zone et que la perspective de retourner chez son ancien employeur ne l’enchantait pas particulièrement, mais quelque chose lui dit que ce n’était pas la réponse qu’attendait Harvey. Peut-être était-ce dû à la pression sensible de sa main sur son épaule.
- Ce serait un honneur, Harvey.
- Bien, bien. D’autres bonnes idées ?
Harvey avait raison. Dave se sentait vraiment inspiré.
- On pourrait reprogrammer l’IA pour donner des alliés aux Chasseurs.
Le regard et la main de Harvey se firent moins tendres.
- Allons, Dave. Tu viens à peine de gagner des points que tu en perds déjà. Si c’est l’IA qui supprime BIG BUG, à qui je remettrai le prix ?

La montagne était achevée. Sa cime se perdait dans les nuages. A son sommet, il avait édifié un temple semblable à celui qu’ils avaient visité durant leur séjour au Tibet. Et dans la montagne même, creusant la roche de ses mains nues, il avait sculpté le visage de Linda à la manière des figures des présidents américains taillés sur le mont Rushmore.
Cette nouvelle merveille du monde ne manquerait pas d’attirer l’attention sur lui. Il s’en moquait. Rien n’était trop beau pour Linda. Cette montagne était comme une pyramide, le tombeau d’une reine. Suspendu entre ciel et terre par des moyens dont il ignorait toujours la provenance, John semblait consulter l’horizon comme s’il y était inscrit la solution à un épineux problème. C’est comme ça qu’il vit les hélicoptères de combat et les avions de chasse approcher. Ils venaient pour lui. Il le savait. Tout comme il savait qu’ils ne feraient pas le poids face à lui. Il contempla une dernière fois son œuvre avant de fermer les poings et de s’élancer vers l’armée venue l’anéantir.

Bien qu’étant incapable d’œuvrer directement dans le jeu, Iko n’en était pas impotente pour autant. Via une web-cam, elle organisa un briefing avec ses troupes. Elle savait que les Chasseurs allaient choisir la voie aérienne pour se rendre sur l’île. Alors elle ordonna aux Protecteurs de prendre la mer.

- Harvey, on vient de recevoir un message du frère du jeune joueur français qui est à l’hôpital.
Harvey grimaça.
- On s’est excusé, non ?
- Il veut plus.
La grimace de Harvey aurait fait rire Dave dans d’autres circonstances.
- Non, pas d’argent, le rassura Dave. Il veut juste des codes.
- Des codes ?
- Oui. Il dit qu’il en a récupéré pas mal, mais que les meilleurs sont sans doute encore chez nous. Il veut qu’on les lui donne. Il n’y a qu’à cette condition qu’il pourra être certain de vaincre BIG BUG. Inutile de vous rappeler que ça arrangerait tout le monde qu’il réussisse.
- S’il réussit, il gagnera le concours et nous devrons l’accueillir ici à bras ouverts. Et à dire vrai, cela ne m’enchante pas. Il nous tient en grande partie responsable de ce qui est arrivé à son frère, même s’il est resté plutôt discret sur le sujet. Je sais lire entre les lignes. Sitôt qu’il aura fait sa fête à Superman, je me dis qu’il aurait bien l’intention de venir foutre la merde ici.
- S’il avait dû le faire, vous ne croyez pas qu’il l’aurait fait depuis longtemps.
Harvey expira bruyamment.
- Qui sait ce qui peut passer par la tête d’un français ?
Il mit ses mains derrière le dos et commença à arpenter nerveusement la pièce. L’image de la navette Crim’In revint alors le hanter.
- Donne lui les codes. Même ceux de la prochaine extension.
Dave ne put s’empêcher de sourire. La bataille qui s’annonçait resterait à coup sûr dans les mémoires.

 

12. Succès déverrouillé : God of War



L’océan fourmillait de navires en tout genre. Pour leur baroud d’honneur, les Protecteurs avaient mis le paquet.
Certains Protecteurs étaient des joueurs parmi les plus expérimentés aussi la flotte entière bénéficiait-elle de leur savoir-faire. Les porte-avions et torpilleurs progressaient de concert avec des catamarans, des yachts et des scooters de mer, tous armés et transformés en conséquence. Sous la surface plusieurs sous-marins. Dans l’un d’eux – le Normandie – un joueur connu sous le nom de Freeman dirigeait cette opération de grande envergure. Il tenait ses ordres de Iko. Durant les derniers mois, ils avaient régulièrement joué en COOPération. Ils avaient donc partagé un certain nombre de victoires. Maintenant qu’il était seul, il comptait bien ne pas la décevoir.
Quand Jérôme arriva en vue de l’hétéroclite armada, il se dit que ce serait l’occasion idéale de tester ses tous nouveaux pouvoirs avant d’en découdre avec BIG BUG.
Il ôta le jet-pack de ses épaules et le regarda tomber vers l’océan s’étendant sous lui. Il sourit jusqu’aux oreilles en voyant qu’il demeurait en totale apesanteur. Les codes que lui avait fourni Dead Zone fonctionnaient à merveille. Il avait désormais le pouvoir de voler et il n’allait pas s’en priver.
- On vient de repérer BIG BUG. Il est juste au-dessus de nous !
Freeman scanna le ciel à l’aide des drones caméras survolant la flotte et obtint une image de la cible.
- Non, ce n’est pas BIG BUG. Mais c’est quand même un ennemi. C’est T-Hawk, le chef des Chasseurs. C’est lui qui nous a privé d’ Iko. Ne lui faisons aucun cadeau.
Dans les secondes qui suivirent, le ciel se moucheta de noir. Jérôme se retrouva pris dans un concert de tirs et de déflagrations. Il vit la barre d’énergie de son avatar diminuer sensiblement malgré les codes d’immunité fournis par le studio. Il prit conscience que tout comme lui les Protecteurs devaient bénéficier d’un certain nombre de ressources exclusives acquises grâce à leur expérience commune du jeu. Mais c’était loin d’être suffisant pour le ralentir.
Il tomba en piqué vers l’océan. Les projectiles – d’où qu’ils venaient – ricochèrent sur lui en produisant de vives étincelles. Le porte-avions qui accueillit sa chute se brisa littéralement en deux, précipitant dans l’eau les appareils qu’il transportait. Jérôme poursuivit sa trajectoire sous l’océan. Il sourit en apercevant la silhouette furtive d’un sous-marin. Son sourire s’élargit lorsqu’il repéra l’avatar se tenant à l’intérieur.
A bord du Normandie, Freeman s’inquiétait de ne plus voir leur adversaire. Et puis il s’aperçut que le submersible se rapprochait inexplicablement de la surface. Sans qu’il en ait donné l’ordre.
- Qui est-ce qui…
Le sous-marin creva la surface de l’océan dans un puissant geyser d’eau et monta dans le ciel, au-dessus de la flotte, tel un dirigeable. Jérôme le soulevait à bout de bras. Il souriait. Il était comme un enfant s'amusant avec ses jouets dans son bain.
- Torpille droit devant !
Il balança le sous-marin vers les bâtiments de guerre les plus redoutables. La collision fut inévitable.

Tandis qu’il privait un chasseur de ses ailes, Johnson aperçut l’explosion. Apparemment il n’y avait pas qu’un champ de bataille. Il ignorait ce que cela impliquait, mais cela ne le tracassait pas. Il le saurait bien assez tôt. Et puis, il avait d’autres chats à fouetter. Ou plutôt d’autres oiseaux.
Le pilote d’un hélicoptère lourdement armé le verrouilla. Le joueur qui était aux commandes ne put se retenir de le faire savoir.
- Je l’ai dans ma ligne de mire !
Seulement Johnson l’entendit. Une seconde plus tard, l’hélicoptère coupé en deux se crashait dans l’océan.
Une escouade de chasseurs lança une vague de missiles à tête chercheuse sur la cible. Mais les projectiles sitôt arrivés à proximité de Johnson se détournèrent de lui et retournèrent à l’envoyeur. Avec infiniment plus de résultat.
- Utilisez vos boucliers ! hurla un joueur.
La situation n’était pas réjouissante. Johnson avait déjà réduit l’escadrille de moitié en quelques mouvements. Mais le plus inquiétant restait à venir.
Johnson s’enferma dans une sphère translucide imperméable aux tirs adverses. Son diamètre augmenta rapidement, tant et si bien qu’elle engloutit bientôt la totalité des Chasseurs, les attirant à elle comme un aimant. Une fois à l’intérieur, les avatars des joueurs étaient incontrôlables.
Johnson ferma les yeux.
- Rendez-moi Linda. Rendez-moi ma femme.
Sa voix claire et tonnante fut entendue par tous les joueurs.
- Rendez-la moi ou vous mourrez tous.
La menace n’était pas à prendre à la légère. Grâce à de nombreux témoignages – dont celui de Jérôme - tout le monde le savait. Mais aucun des joueurs n’était en mesure de répondre favorablement à sa requête.
- Pourquoi vous l’avez tué ? Pourquoi vous voulez ma peau ? Qu’est-ce que je représente pour vous ? Dites-moi qui je suis ?
Ses yeux s’étaient rouverts. Ses pupilles étaient devenues des feux follets.
Après un silence interminable, un joueur osa prendre la parole :
- Demande à D.I.E.U.
Johnson secoua la tête comme pour refuser la réponse.
- Dieu ?
Ou une idée plus terrible encore.
- Alors qu’il me pardonne.
L’instant d’après, la sphère éblouissait l’écran de chaque joueur susceptible de la voir.
Et pour un certain nombre, ce fut la dernière chose qu’ils virent.

 

Chapitre 13 : Criminalité Intensive



- C’est une catastrophe !
Harvey Wizard, Dave Matheson ainsi que tout l’équipe du studio regardaient les images des journaux télévisés. Partout les mêmes scènes de violence surréaliste. Des affrontements qu’on n’avait pas vu depuis des années. Depuis l’avènement de Crim’In, en fait.
Les Chasseurs et les Protecteurs poursuivaient leur guerre dans la réalité. Mais les conséquences n’étaient plus les mêmes. Et quand ils ne se battaient pas, c’était le studio Dead Zone qu’ils pointaient du doigt. Des joueurs avaient été grièvement blessés suite à la dernière attaque de BIG BUG. D’autres avaient eu moins de chance. Les avocats du studio étaient déjà en pleine plaidoirie. Ca sentait vraiment le roussi. Le vandalisme était revenu lui aussi au goût du jour. Les affiches du jeu en avaient fait les frais. On pouvait lire :

CRIM’INels !!!



Ou encore :

DEAD ZONE IS DEAD



Mais d’autres messages étaient moins aimables.
Harvey et Dave se dévisagèrent. Ils avaient le sentiment de partager la responsabilité de ce chaos. Et ce n’était pas qu’un sentiment.
La voix d’un employé se fit entendre dans l’oreillette du responsable.
- Oui, Ed. Ok, passe-le moi !
Dave dévisagea son supérieur. La crainte le disputait à l’espoir.
Après avoir coupé l’appel, Harvey s’assit. Il paraissait avoir le souffle coupé.
- C’était un dénommé Jimmy Bottleweek. Il prétend être la cause de toute cette pagaille.
Dave l’invita à poursuivre.
- Il a été banni du forum du jeu pour avoir tenu des propos diffamatoires sur D.I.E.U. et Buff. Pour se venger, il a crée un virus dont il ignorait les effets exacts. Il est convaincu que c’est ce qui a donné naissance à BIG BUG. Il ne voulait pas que ça aille aussi loin. Il assume complètement ses actes, mais avant de payer son crime, il tient à réparer les dégâts. C’est pour ça qu’il a appelé.
Dave prit quelques instants pour digérer l’information.
- Il a donné une solution ?
Harvey soupira.
- J’ai envoyé quelqu’un le chercher. Il sera bientôt là. On a de la chance, il habite l’état.
Dave reporta son attention sur son écran.
- Il ne reste plus qu’un joueur pour affronter BIG BUG. C’est le frère d’Eric.
Harvey secoua la tête.
- Envoie-lui l’info. En espérant que cela suffise à le faire renoncer.
Mais aucun des deux hommes n’en était convaincu.

 

14. Succès déverrouillé : Duel



Il ne restait donc que Jérôme et BIG BUG. Chacun de son côté avait œuvré pour en arriver là.
Chacun avait décimé une armée en usant de pouvoirs propres à le faire passer pour un dieu.
La nouvelle de leur affrontement imminent eut tôt fait d’être colporté sur Internet, de forums en forums et de sites en sites. Rapidement des écrans géants furent installés un peu partout, principalement dans les grandes villes et les capitales. Los Angeles, New York, Washington, Miami, Paris, Tours, Orléans, Marseille, Madrid, Londres, Berlin, Rome, Moscou, Athènes, Sydney, Tokyo et Hiroshima furent bientôt les témoins du duel de pixels le plus mémorable de toute l’histoire vidéoludique. Ce qui pour eut effet d’éteindre momentanément le brasier de haine qui avait soufflé sur le monde. Les émeutiers déposèrent les armes et les yeux rivés sur l’écran le plus proche, ils découvrirent la scène suivante :

Johnson se posa près de sa maison. Sa voiture était toujours là, remplie de leurs affaires, prête au départ. Cette vision lui causa un véritable choc. Il se rappela cette sensation d’entrer dans une sorte de parenthèse de sa vie juste avant qu’il ne devienne à son tour un assassin. Elle n’était toujours pas fermée, il en était toujours prisonnier. Tant qu’il ne reverrait pas Linda, il ne pourrait en être autrement.
Il poussa la porte de la maison et se rendit dans la chambre sans s’arrêter. Il ouvrit sa commode et fouilla les tiroirs. Il crut pendant un moment que Linda avait fini par le jeter à son insu. Elle l’avait toujours détesté. Et puis il le trouva enfin. Il déplia le T-Shirt. Il y avait une série de logos dessus et les mots suivants :

D.I.E.U. et Dead Zone sont fiers de vous présenter :

CRIMINALITE INTENSIVE

Maintenant, on ne joue plus !


Ce message l’avait toujours intrigué sans qu’il ait pu véritablement savoir pourquoi. Aujourd’hui, ce simple vêtement imprimé lui apparaissait sous un nouveau jour, comme détenteur d’une vérité suprême.
« Demande à Dieu. » avait dit l’un des pilotes.
Oui. A présent, cela était évident. Seul Dieu pouvait avoir les réponses à ses questions.
Mike avait fermé son bar, mais ses fidèles clients l’avaient accompagné jusqu’à la place où étaient diffusées les images du jeu. A côté de lui, l’ouvrier et l’étudiant s’interrogeaient sur le devenir de BIG BUG. Etait-il en train de comprendre qui il était ? En était-il capable ? Les programmeurs avaient vraiment de l’imagination. Le scénario était du jamais vu dans l’histoire des jeux vidéos. Un oscar a la clé pour Dead Zone ?
Iko était littéralement hypnotisée par les images de son idole. Elle priait comme elle n’avait jamais prié. Elle aurait tellement voulu être là pour le réconforter. Elle voyait moins en lui un dieu courroucé qu’un enfant perdu et incompris. Elle aurait tellement voulu le réconforter. Au lieu de cela, sa tête était mise à prix. Comme un vulgaire criminel. Ses yeux se posèrent sur une affiche du concours accrochée à la hâte sur un mur. Elle la fusilla des yeux avant de cracher dessus.
John entendit un bruit venant du dehors. Il reposa le T-Shirt et sortit de la maison.
Un jeune homme était dans la rue. Il était revêtu d’une combinaison de moto. Il le dévisageait intensément. Son regard en disait long sur ses intentions. Au-dessus de sa tête flottait son nom : T-Hawk. Il serra les poings. Le nom disparut.
- A cause de toi, mon frère va peut-être mourir !
John le scruta à son tour.
- J’ai tué beaucoup de gens. Je ne l’ai pas voulu. Celui qui a tué ma femme a tout déclenché. C’est lui le véritable meurtrier.
Voyant que cela ne calmait pas le visiteur, John demanda :
- Comment était ton frère ?
Jérôme avait les larmes aux yeux. Il repensa à la dernière fois qu’il avait vu Eric, à la dernière fois qu’il lui avait parlé.
- Tu n’as pas pu l’oublier. Il n’avait que quinze ans. Et il avait les yeux bleus.
- Des yeux magnifiques, compléta Johnson.
Les deux adversaires se jaugèrent.
Tout discours ou débat était désormais superflu. Seuls leurs pouvoirs pourraient parler en leur nom.
- Pas ici, décréta Johnson.
Puis il disparut. Il réapparut sur un parking. Jérôme était là lui aussi. Il plongea le bras à travers le pare-brise d’une limousine et empoignant le volant, souleva la voiture dans les airs. Johnson enfonça son bras droit dans la calandre d’un semi-remorque et brandit le véhicule avec un air de défi. Jérôme afficha sa contrariété. Il reposa la limousine. Il regarda autour de lui et son visage s’éclaira à la vue d’un bus scolaire. A son tour, il enfonça son bras droit dans la calandre et souleva le véhicule dans les airs. D’un mouvement défiant le regard, il porta un coup dévastateur devant lui. Le camion s’écrasa au sol dans une pluie de débris métalliques. Aucune trace de son adversaire.
Jérôme poussa un cri de rage mêlée de contentement. En portant son attention vers son arme improvisée, il frémit à la vue de son ennemi courant sur le flanc du bus. Johnson disparut subitement et la seconde d’après son pied droit percutait la mâchoire de Jérôme. Le garçon fut projeté dans les airs et son arme lui échappa. Il passa à travers un immeuble, percuta la route et son corps s’immobilisa contre une devanture de magasin qu’il fractura. Sur l’une des vitres figurait le portrait de Johnson, l'adresse d'un site internet et entre les deux, le message suivant :


Avez-vous vu ce type ?
 
 

Johnson effectua un bond démesuré pour le rejoindre, mais ce faisant, il vit la nuit tomber en un clin d’oeil. Il comprit que son adversaire avait le pouvoir de plier la réalité comme lui. Il n’était donc pas seul. Ils étaient pareils. Alors pourquoi se battaient-ils ?
Johnson atterrit sur le capot d’un coupé sport qu’il enfonça sans difficulté. Ses yeux fouillèrent la nuit à la recherche d’un signe de vie. Il en profita pour renouer un dialogue qui ne lui paraissait pas si vain que cela :
- Toi et moi, nous avons le même pouvoir. Pourquoi nous entretuer ? Nous sommes des jouets, manipulés par des forces qui nous dépassent. Faisons un meilleur choix que celui que l’on veut nous imposer.
Johnson s’écarta à temps pour éviter de se faire broyer sous un bulldozer. Il se concentra un instant et son corps exsuda une aura aveuglante qui illumina le quartier. Ses yeux désormais dépourvus de pupille furent en mesure de voir à travers les bâtiments et les différents obstacles présents autour de lui et susceptibles de dissimuler sa cible. Il inspecta minutieusement l’environnement. Il cru discerner un mouvement près d’un arrêt de bus, puis s’aperçut que ce n’était que le vent qui faisait voler un journal abandonné. Néanmoins cela lui donna une idée. Il se concentra à nouveau et le vent se mit à souffler plus fort. Les débris les plus légers commencèrent à voler à travers la rue, puis la cime des arbres se coucha. Les vitres tremblèrent, les antennes télé ployèrent. Johnson poussa un hurlement comme pour donner plus de force encore au phénomène. Et l’effet fut immédiat. Les poteaux électriques furent pliés par le souffle dévastateur, les voitures s’envolèrent comme des feuilles mortes. Tout cela dans un silence absolu qui donnait à la scène une allure surréaliste de fin du monde.
Les bâtiments s’effondrèrent un par un, répandant des monceaux de pierre, de verre et de métal sur le sol fendu. Un cri résonna à peu de distance suivit de la chute d’un corps.
Une silhouette auparavant intégralement camouflée dans le paysage urbain se matérialisa.
Jérôme était couché, le dos appuyé contre un monticule de gravats anciennement magasin d’alimentation. Le cataclysme cessa instantanément. Le jeune garçon toisa son ennemi d’un regard plus noir encore que la nuit qu’il avait fait s’abattre sur la ville.
- Je ne sais pas qui tu es. Certains te prennent pour un dieu, d’autres pour une simple erreur technique qui a dégénéré. Ceux qui t’on crée affirment de leur côté que tu n’es que l’homme à abattre pour accéder au prix d’un concours qu’ils ont organisé. Le gros lot d’une fête foraine virtuelle. Personnellement je me fous de tout ça. Tout ce que je vois devant moi, c’est le meurtrier de mon frère. J’ai les moyens de t’empêcher de nuire et je ne vais pas m’en priver.
Les épaules de Johnson s’affaissèrent, indiquant sa consternation. Il ne comprenait rien. A l’entendre ils ne faisaient pas partie du même monde. Comme si une frontière invisible les séparait. Il s’approcha de Jérôme.
- Mais d’où viens-tu ?
Jérôme durcit davantage son regard.
- De la réalité, mon vieux. Tu crois être vivant, peut-être ?
A ces mots, Jérôme produisit un fusil à pompe. Il tira plusieurs fois. Alors que son adversaire reculait à peine, un fusil-mitrailleur apparut dans ses mains. Il vida plusieurs chargeurs et sans attendre épaula un lance-roquettes.
Johnson secoua la tête.
- Si je ne suis pas vivant, comment pourrais-je mourir ?
La roquette fusa, mais à mi-parcours elle fut stoppée net dans sa course par un éclair. Johnson contempla le projectile auquel il venait de se relier.
- Suis-je réel ? Si je ne le suis pas, qu’est-ce qu’il l’est ?
La roquette se mit à tournoyer comme une toupie.
Jérôme restait allongé. Malgré la surpuissance de BIG BUG, il ne se sentait pas menacé. Peut-être justement parce que contrairement à lui, BIG BUG n’avait pas la possibilité de se réfugier dans une autre réalité que la sienne. Evidemment, en pensant cela, il oubliait ce qui était arrivé à Eric.
Johnson semblait avoir perdu toute hargne. Il regardait la roquette effectuait un véritable ballet aérien à sa seule demande.
- Mais peut-être suis-je déjà mort ? Prisonnier d’un rêve éternel, luttant dans un cauchemar sans fin, affrontant mes peurs les plus intimes. Enfer.
- Il philosophe. Il est capable de philosopher.
Iko ne se rendit pas compte qu’elle pleurait.
Elle posa une main sur l’écran, sur le visage de Johnson.
- Il ne faut pas que tu meures.
Le visage de Johnson s’assombrit. Un rictus déforma ses traits. Il regarda Jérôme.
- Je tuerai mille hommes pour la revoir ne serait-ce qu’une seconde. Si Dieu ne comprend pas ça, comment lui expliquer autrement ?
La roquette arrêta de tournoyer et se figea brutalement, cerclée d’électricité.
L’explosion qui s’ensuivit éblouit tous les spectateurs.
Dans la ville d’Orléans, pratiquement au même moment, les parents de Jérôme trouvèrent son corps inanimé dans la chambre de son frère, Eric, assis devant les restes calcinés d’un ordinateur. Et pratiquement au même moment, dans une chambre d’hôpital, Eric ouvrit ses magnifiques yeux bleus.

Harvey Wizard se tenait la tête à deux mains. Plusieurs ordinateurs du studio venaient de rendre l’âme suite au coup de grâce donné par BIG BUG à son ultime adversaire.
Mais évidemment, ce n’était pas ça qui le mettait dans tous ses états. Il regarda l’écran géant sur lequel lui et l’ensemble de l’équipe avaient suivi toute l’action. Ils avaient tout enregistré. En sachant désormais que ces images joueraient un rôle posthume pour le jeune Jérôme.
Dave Matheson se leva. Les mots lui manquaient. Le standard était saturé d’appels, la boîte mail débordait de messages : des menaces de mort autant que d’éloges. En tous les cas, personne n’était indifférent à la situation. Les chaînes avaient relayé l’info et diffusaient déjà en boucle le combat homérique. Dans les villes, les rues étaient encombrées de véhicules. Les conducteurs au même titre que les passants avaient assisté au duel sur l’écran le plus proche, ce qui avait occasionné des embouteillages monstrueux un peu partout.
Tout le monde allait reprendre le cours de sa vie lorsque Johnson apparut de nouveau à l’image. Il était désormais seul au monde et aucun de ces pouvoirs ne pourraient changer cela. Son visage exprima suffisamment bien cet état de fait pour que la plupart des spectateurs soient émus par son sort.
- Vous allez pas chialer, fit un homme à ses voisins. C’est même pas un film !
Si Crim’In n’était effectivement pas un film, ces derniers temps il en avait pourtant restituer toute la saveur, toute l’émotion. Personne ou presque ne s’y était trompé. Un chef d’œuvre. Un chef d’œuvre qui avait coûté des millions et hélas plusieurs vies.
Les parents de Jérôme et d’Eric pleuraient leur fils disparu autant que celui qui venait de revenir. Et Eric aurait tout le loisir de maudire son retour à la vie lorsqu’il apprendrait la mort de son frère. Cruelle ironie du sort.
Tout cela, évidemment, John Carson était loin de le deviner. Mais comment aurait-il pu ?
Il n’ y avait qu’une seule personne capable d’arrêter ce tourment. Une seule. En quatre lettres.
- Rends-la moi, hurla Johnson s’adressant à la lune, au ciel, aux étoiles.
- Réponds-moi ou je te jure que je trouverai le moyen de te rejoindre et tu devras répondre de tes propres crimes !
John tomba à genoux. Il n’était plus le titan invincible. Il était l’homme désespéré. Pourtant son pouvoir ne le quittait pas. Bien au contraire. Les écrans se brouillaient par intermittence et une tension presque palpable régnait dans le studio comme dans les avenues surchargées des mégalopoles.
C’était comme un compte à rebours avant l’explosion finale. Invisible, mais terriblement perceptible.
- Vous le sentez comme moi, fit Dave. Il peut tous nous tuer, maintenant. Sans même s’en rendre compte. Nous n’avons plus besoin d’être connectées pour constituer des cibles de choix. Oui, il peut tous nous tuer, en un éclair. Il en est capable.
Harvey soupira. Il n’était plus le chef de projet intuitif et optimiste. Il était l’homme désespéré. Et son pouvoir l’avait complètement quitté.
- Qu’est-ce que nous pouvons faire ?
Dave produisit un sourire mi-figue mi-raisin.
- Je crois que c’est le bon moment pour l’appeler.



15. Succès déverrouillé : Origines



Donald Buff se redressa dans son lit. Sa femme dormait toujours à poings fermés quelque soit le bruit. Lui devait toujours mettre des boules quiès de peur de s’éveiller au moindre grincement. Il devait tenir ça de son père. Il les ôta. Il n’avait pourtant rien entendu grâce à elles, mais ce cauchemar lui avait paru si réel que son cerveau avait préféré prendre la tangente. Les dernières bribes de souvenir de son rêve fuyaient déjà. Lorsque le téléphone sonna, il l’oublia totalement. Le jour se levait à peine. Qui pouvait bien l’appeler à cette heure-là ? Il décrocha sans grand entrain.
- Oui ?
- Donald, c’est Harvey. Désolé de vous dérangé si tôt, mais on a actuellement un sacré bug sur Crim’In.
- Allons, Harvey, des bugs, il y en a toujours eu.
- Pas des comme ça, je vous assure.
Donald posa le combiné sur ses genoux, jeta un coup d’œil à sa femme avant de demander :
- De quel genre de bug s’agit-il ?
Il y eut un silence qui ne présageait rien de bon. Puis Harvey finit par répondre :
- Le bug veut vous parler.
 

Lorsque Donald pénétra dans le studio, Harvey et Dave n’eurent pas besoin de le briefer. Sur le trajet, le président de D.I.E.U. avait eu toutes les informations nécessaires en écoutant la radio et en visionnant les principaux enregistrements. Il n’avait pas encore tout assimilé, mais son esprit était encore vif et il avait retenu l’essentiel. Le temps était compté.
Les trois hommes se postèrent devant l’écran géant et étudièrent les images comme s’il s’agissait d’un documentaire.
John Carson était agenouillé devant la montagne et le temple qu’il avait crée à la mémoire de Linda. On aurait dit qu’il méditait.
- On dirait qu’il essaye de la faire revenir, commenta Dave.
- Apparemment, il en est incapable, observa Donald en nettoyant ses lunettes.
Il donnait l’image d’un homme totalement détaché des évènements. Mais c’était sa manière d’y faire face. Et cela lui avait plutôt bien réussi jusqu’à maintenant.
- D’après ce que j’ai pu voir, c’est d’ailleurs la seule chose qu’il lui soit interdite.
Harvey essayait de se faire tout petit. Rien de tel pour se faire remarquer.
Donald le toisa sans animosité.
- Ce jeune qui a avoué être l’auteur du bug…
- Jimmy Bottleweek ! Il arrive d’une minute à l’autre.
- Vous ne trouvez pas ça extraordinaire, fit Dave en observant le héros de Crim’In. Il pleure sa femme. Si seulement John Blossom pouvait voi…
Il s’interrompit lorsque son regard croisa celui de Donald.
- Dave, dois-je vous rappeler que plusieurs morts sont à déplorer. Certains joueurs sont encore dans un état critique. C’est loin d’être la politique de la maison. Mon avatar est prêt ?
Dave opina du chef avant d’inviter les deux hommes à rejoindre son poste. Il désigna alors son écran.
- Voilà. J’ai fait comme vous m’avez dit. Il vous ressemble beaucoup. Pour la tenue, j’ai choisi quelque chose de simple. Je me suis dit que c’était important.
D’une simple moue, Donald lui signifia qu’il avait eu raison.
- Bon, déclara-t-il, on ne va pas tergiverser. Il représente une menace. Il l’a suffisamment prouvé. Dans d’autres circonstances, j’aurais loué ce qu’il représente, d’autant plus qu’il n’est pas de notre fabrication. Mais bon, Dieu en a décidé autrement.
- Dieu, c’est vous désormais, nota Dave.
Il tourna son regard vers l’écran géant.
- En tout cas pour lui.
- Comment va-t-on vous faire entrer ? s’enquit Harvey qui essayait de justifier sa présence comme il pouvait. Il a bloqué tous les accès au réseau TotaLink. On ne peut même plus ajouté d’IA. Il s’est construit une véritable tour d’ivoire.
- Il me laissera entrer, dit Donald avec un calme olympien. Il réclame une entrevue. Il l’a clairement exprimé. Il a besoin de parler, de se confier. Il ne veut plus se battre. Il va localiser le signal que nous lui enverrons et il l’interprètera comme la venue de celui qu’il attend. Je crois qu’il commence à comprendre que son monde n’est pas réel. Le problème c’est que tout comme lui, son amour a dépassé très largement le cadre d’un simple programme.
Il se mit à sourire.
- J’ai fait un cauchemar cette nuit. Mais je crois que je n’en ai pas fini avec lui.

John poussait son esprit dans ses derniers retranchements. Il ne savait s’il priait ou s’il invoquait des forces en lui encore insoupçonnées. Il capta le signal émis par Dead Zone. Il se persuada que c’était la réponse qu’il l’attendait. Pourquoi pas Linda ? Il déverrouilla mentalement l’accès au monde déserté de Crim’In comme on laisserait une idée s’épanouir dans notre tête. Il avait les yeux fermés. Il les ouvrit lorsqu’il entendit une voix près de lui.
- Je suis là.
Il se redressa et fit face à Donald Buff. Le président de D.I.E.U. – Dieu tout court pour l’occasion – portait un pantalon de toile blanche et une chemise hawaïenne. Ses cheveux presque blancs et ses lunettes lui conféraient l’image d’un savant déluré. Mais pour John Carson, il représentait les réponses à toutes ses questions et peut-être le terme de son agonie.
Son regard alla successivement de son visiteur à l’océan s’étendant à perte de vue tout près d’eux.
- Où sommes-nous exactement ?
Donald entendit la voix d’Harvey.
- Vous ne devriez pas lui dire la vérité. S’il pète les plombs, notre compte est bon !
Donald leva une main et Harvey comprit qu’il n’avait pas intérêt à jouer les entremetteurs.
- Cet endroit est le monde qui t’a vu naître, ni plus, ni moins. Que tu en sois devenu le maître, n’y change rien.
John l’étudia longuement.
- Le maître de ce monde, c’est plutôt vous, n’est-ce pas ? Pourquoi n’êtres-vous pas venu plus tôt ? Pourquoi avoir laissé ce chaos s’installer ? Pourquoi avoir permis tant d’injustice ?
A ces mots, John ne put s’empêcher de tourner son regard vers la montagne arborant le visage adoré de Linda. Ses poings se fermèrent sans qu’il en prenne conscience. Des éclairs commencèrent à zébrer l’espace des deux côtés de l’écran.
Harvey arrêta de respirer. Dave resta suspendu aux lèvres de Donald. Il le connaissait beaucoup moins qu’Harvey, mais il avait une totale confiance en lui. Après tout, c’était lui, le véritable architecte de Crim’In.
Donald essuya ses lunettes.
- Si pour toi, il n’existe qu’une seule réalité, pour moi c’est une toute autre affaire. Pour te donner une image plus parlante, ton monde n’est peut-être pour moi qu’un rêve dans lequel éclosent des éléments de mon inconscient que je contrôle donc plus ou moins bien. Ces éléments viennent naturellement à se transformer et certains le font de manière si radicale qu’ils ont vite fait de changer le rêve en cauchemar.
- Il est dingue, chuchota Harvey à l’oreille de Dave. Il se prend vraiment pour Dieu !
Dave sourit.
- Qui ne le ferait pas à sa place. Il n’est pas dingue. Il est inspiré comme jamais. Je crois qu’il est en train de pondre son nouveau chef-d’œuvre.
 

John observa le mouvement des vagues. Elles se déplaçaient constamment, se fondant les unes dans les autres, reproduisant un même phénomène à l’infini. Etait-ce cela qu’on essayait de lui dire ? Le monde était un océan et lui une simple vague. Plus grande, plus puissante, mais une vague quand même, avec un rôle précis, inscrit dans un schéma à plus grande échelle, au-delà de sa perception. Une vague avait-elle conscience d’être une vague ? Et quand bien même, pouvait-elle savoir que malgré ses efforts et ses intentions, elle ne faisait que participer à un rythme séculaire sans autre finalité que le prolonger encore et encore.
John se perdait dans ses pensées. Il ne devait pas perdre le fil.
- Ces gens qui sont morts, ces gens que j’ai tué, ne sont-ils alors que des créations de votre esprit tourmenté ? Suis-je aussi l’une de vos créations ?
Les yeux de Harvey menaçaient de sortir de leur orbite.
- Terrain glissant !
La porte de la salle s’ouvrit. Deux hommes en costume entrèrent dans la pièce. Ils encadraient un garçon qui aurait pu être séduisant si son visage n’avait pas été la proie de l’acnée.
- C’est Jimmy Bottleweek ! annonça l’un des employés.
Les deux représentants de Dead Zone s’animèrent brusquement.
- On peut dire que tu arrives à temps, fit remarquer Harvey avec soulagement.
Ils l’installèrent devant l’écran de Dave ce qui ne manqua pas de le stupéfier.
- Ouhaou ! Si j’avais su que j’atterrirai ici ! Ca valait presque le coup de le balancer, ce virus.
Deux paires d’yeux hostiles le firent sérieusement réfléchir à ce qu’il venait de dire.
- Au fait, si je détruis BIG BUG, je gagne le concours, non ? L’avantage c’est que je suis déjà sur place pour la visite !
Dave ne put s’empêcher de sourire.
- Et bien on peut dire que tu perds pas le nord, toi !
Harvey était beaucoup moins sensible à l’humour de l’ado.
- Dis-donc, le geek, fais ton boulot, après on en reparlera, tu veux ! Tu sais comment faire, au moins ?
Jimmy fit craquer ses doigts.
- Oui, y a juste un souci, c’est que…
Il détailla pour la première fois l’homme debout devant l’écran géant.
- Eh, mais c’est Donald Buff !
Harvey posa un doigt sur ses lèvres pour lui intimer le silence.
- Tu n’as pas besoin de ta bouche pour travailler ! Mais si c’est trop dur pour toi, on peut te donner un coup de main!
Jimmy comprit très bien l’allusion.
- Ok, ok !
- Alors exécution !
Tout en raccordant un appareil au PC de Dave – sous l’œil soupçonneux de Harvey – Jimmy murmura :
- Vous savez tous ces trucs que j’ai balancés sur Buff et sa société. En fait je les pensais pas. Je suis super fan de Crim’In. Je voulais juste faire chier certains mecs du forum.
Dave le dévisagea avec un peu moins de tendresse.
- Et ce virus, c’était aussi pour faire chier certains mecs du forum ?
Harvey vint en renfort :
- La prochaine fois que t’es contrarié, fais une partie de jeu vidéo pour te calmer les nerfs au lieu d’essayer d’en bousiller un !
Jimmy savait qu’il n’allait pas être accueilli à bras ouverts, mais il espérait malgré tout un peu d’indulgence.
- Je vous jure que je voulais pas que ça aille aussi loin. C’est vrai, je regrette vraiment tout ce qui s’est passé et…
- Bon, coupa sèchement Harvey, tu disais qu’il y avait juste un souci.
Jimmy termina ses branchements et commença à entrer dans l’interface du jeu sous le regard vigilant de Dave.
- Oui. En fait, la solution va consister à implanter un nouveau virus dans le jeu. Un virus localisé. Le premier que j’ai balancé s’est placé un peu au hasard. Il aurait pu causer d’autres dégâts s’il avait pas ciblé ce John Carson. Mais bon, Dieu en a décidé autrement. Ce coup-ci je vais cibler délibérément John Carson. Mais étant donné sa puissance, non seulement, il risque de le repérer, mais en plus il peut être assez fort pour le neutraliser voire de s’en servir comme une source de pouvoir supplémentaire.
Harvey le toisa avec un air de pit-bull enragé :
- T’avais dit que t’avais la solution.
Jimmy sourit nerveusement.
- Oui. Il me faut juste un véhicule pour mon virus. De préférence au-dessus de tout soupçon.
 

Donald parlait peu et lentement. La dernière question de John restait toujours en suspens. Donald savait que John était devenu un être très évolué. Il pensait énormément. Et de ce fait, il élaborait les propres réponses à ses questions à partir d’éléments succincts. Oui, en d’autres circonstances, il aurait vraiment apprécié son existence et tout ce quelle impliquait.
Le regard de John changea. Son visage s’éclaira. Donald comprit qu’il venait de comprendre quelque chose d’essentiel.
- Si nous sommes tous issus de votre imaginaire, vous avez pouvoir de vie et de mort sur chacun d’entre nous. Vous pouvez nous détruire, mais vous pouvez nous créer.
A nouveau, son regard se tourna vers la montagne.
- Et même nous faire renaître !
Il dévisagea Donald réellement comme un démiurge, capable des plus grands miracles.
- Je ne peux pas la faire revenir, mais vous, vous le pouvez, n’est-ce pas ? Vous l’avez dit, ce monde est votre rêve. Tout est donc possible. Il n’y a pas de limite !
Donald le gratifia d’un sourire.
- Pour ça, je dois m’en aller, John.
Il tendit sa main droite.
- Je suis content de t’avoir rencontré.
John hésita un instant, puis il lui sembla inconcevable de ne pas saisir cette chance qui s’offrait à lui. Il lui serra la main et le vit disparaître dans un éclair.
Il regarda la montagne et le visage de Linda. Son cœur ne pourrait pas attendre longtemps. Il fallait qu’elle revienne très vite. Pour transformer ce cauchemar en rêve, cet enfer en paradis. Elle en avait le pouvoir.
Quelque chose troubla son esprit. Quelqu’un venait à sa rencontre. Il était bien trop en confiance pour lui refuser l’accès. Même si ce n’était qu’à nouveau son divin visiteur, il s’en ferait une joie. Leur conversation l’avait éclairé comme jamais sur la nature des choses. Il se sentait privilégié d’un tel savoir. Le partager avec quelqu’un d’autre serait un bonheur incommensurable. Seul c’était un terrible fardeau.
Il porta son attention sur l’océan, sur les vagues. Une silhouette avançait sur la surface de l’eau, se découpant en ombre chinoise sur l’éclat du soleil couchant. Il plissa les yeux en oubliant qu’il avait le pouvoir de voir même à travers la pierre. Il était John Carson et il ne voulait être personne d’autre. Lorsqu’il reconnut la silhouette s’approchant de lui, il fut plus que jamais John Carson. Car ce n’était autre que Linda qui le rejoignait ainsi, défiant elle aussi les lois les plus élémentaires. Elle rayonnait littéralement. Les boucles blondes de ses cheveux étincelaient comme de l’or. Ses yeux bleus semblaient extraits des eaux mêmes qu’elle dominait de son allure altière. Elle portait la chemise de nuit qu’il affectionnait. Son visage souriait. Ses pieds nus, délicats, se posèrent sur le sable. On aurait dit un ange.
John était bouleversé par cette apparition. Il avait l’impression qu’il ne s’arrêterait jamais de pleurer.
- Merci, murmura-t-il. Merci, mon Dieu !
Lorsqu’ils s’enlacèrent, son cœur lui offrit une symphonie.
 
Les spectateurs n’étaient pas en reste et avaient bien du mal à ne pas se laisser submerger par l’émotion des retrouvailles. Iko, elle, ne refusa aucune larme. Ce moment était trop précieux pour être vécu à demi.
Le couple à nouveau réuni retrouva en un instant le confort de sa chambre à coucher. Le lit conjugal accueillit bientôt leurs étreintes effrénées.
John plongea son visage dans les boucles blondes de Linda :
- Je ralentis ou j’accélère ?
Il l’entendit sourire à son tour.
- Je te laisse deviner.
John oublia tout : le gamin aux yeux bleus magnifiques, son frère, les gens qu’il avait tué, les gens qu’il avait vu mourir. Il ne se rendit sensible qu’à cet intense moment d’extase partagé.

- On devrait peut-être afficher une interdiction aux mineurs, proposa Harvey.
- Vous savez, dit Jimmy, j’ai déjà vu pire que ça sur Internet !
Donald essuya ses lunettes.
- Ca va marcher ?
Jimmy tentait de suivre la progression des ébats malgré la silhouette imposante de Harvey.
- Ca me paraît en bonne voie.


16. Succès déverrouillé : Le Repos du Guerrier


La nouvelle fit le tour du monde. On en oublia presque le sort des victimes de la colère de BIG BUG. En début d’après-midi, certains américains purent à nouveau se connecter au réseau TotaLink et sillonner à nouveau le monde de Crim’In avec un avatar flambant neuf.
Dead Zone avait visiblement trouvé le remède adéquat. Le volcan s’était rendormi et avec lui la crainte d’être foudroyé.

John Carson ouvrit les yeux et regretta aussitôt son geste. Il se rappela qu’il vivait dans un monde à bout de souffle. Il jeta un regard au cadran du réveil. Il afficha 6:66 pendant quelques secondes avant d’annoncer plus sérieusement 6:00.
John poussa un soupir. Même les machines devenaient folles.
En se tournant vers la gauche, il oublia momentanément ses idées noires à la vue d’une épaule et d’une jambe gracieuse émergeant de sous le drap. Sa bouche couvrit la première et sa main épousa la seconde. La lumière qui filtrait à travers les persiennes miroitait sur les parties du corps ainsi exposées comme pour l’inviter davantage à s’y attarder.
- Il est un peu tôt, non ? fit la voix enrouée de Linda.
John sourit. Il connaissait ce ton là par cœur. C’était facile de lire entre les lignes après sept ans de vie commune. Tout en continuant à la caresser du bout des doigts, il plongea son visage dans ses boucles blondes:
- Je ralentis ou j’accélère ?
Il l’entendit sourire à son tour.
- Je te laisse deviner.
Elle se tourna vers lui. En scrutant son visage, même maquillé par la pénombre, il se félicita d’avoir ouvert les yeux de si bonne heure. Il l’embrassa, sa main continuant de masser paresseusement sa cuisse. Elle commença à gémir. L’explosion fut si violente qu’elle ébranla l’appartement.
John bondit du lit :
- Putain, qu’est-ce que c’était ?
Linda s’alarma.
- J’espère que ce n’est pas la bibliothèque. J’ai vu une bande tourner autour ces derniers jours.
John enfila son pantalon de pyjama, prit quelque chose dans sa table de chevet avant de se diriger vers l’entrée. Linda le rejoignit rapidement dans une chemise de nuit vaporeuse.
John ouvrit la porte. N’eut été le vacarme précédent, il aurait pu penser que le brouillard avait recouvert le quartier. Mais il sut qu’il s’agissait en fait d’un monstrueux nuage de fumée. Il était si épais qu’il distingua à peine le garçon sur les marches du perron.
Il ne devait pas avoir plus de quinze ans. Et il avait les yeux bleus.
Des yeux bleus magnifiques.
- De la part de Jérôme !
Il produisit un fusil à pompe SPAS 12 et tira deux coups consécutifs.
John et Linda s’écroulèrent violemment dans l’entrée, le visage éclaboussé par leur propre sang. Eric regarda leurs corps avec intensité comme dans l’attente d’un miracle. Et le miracle se produisit bel et bien. Les deux corps disparurent.
Il leva alors les bras en signe de victoire et hurla comme un fou.
Derrière lui, un groupe de Chasseurs l’imita.
 
Sur l’île sans nom, les Protecteurs oeuvrèrent aussi. A leur manière. Dans la montagne créée par John Carson ils ajoutèrent son visage aux côtés de celui de sa bien-aimée, réunis pour toujours. En tous cas dans la mémoire des joueurs. Leur travail consistait désormais à préserver cette œuvre des attaques de joueurs mal intentionnés qui ne souhaitaient qu’une chose : la détruire entièrement. Et parmi ces vandales, les Chasseurs figuraient bien entendu en bonne place.
Il ne se passa d’ailleurs guère de temps avant que certains ne parviennent à s’infiltrer sur l’île à la barbe des Protecteurs dont l’attention était parfois savamment détournée par leurs ennemis jurés.
Eric contempla le monument accompagné de quatre camarades : Scarefaith, Jazz-on, Dwayne et Bornkiller. Il avait été facile de les rallier à sa cause.
- Placez les explosifs sur la montagne, je m’occupe du temple.
Eric déploya son jet-pack et s’éleva dans le ciel. Arrivé à la hauteur des deux visages, il cracha sur celui de John :
- Personne se souviendra de toi. Personne !
En disant cela, Eric occultait volontairement que depuis sa disparition, John Carson, alias BIG BUG, faisait l’objet d’un véritable culte. Des objets et des figurines à son effigie inondaient le marché. Ce qui faisait fureur depuis peu, c’était les vêtements arborant ses répliques cultes. Des phrases d’anthologie telles que :
 
VOUS ETES MORTS !
 
ENCAISSE CA !
 
Et la plus cotée :
 
J’IGNORE SI DIEU EXISTE,
MAIS VOUS VENEZ DE CREER LE DIABLE !
 
Eric continua son ascension. Il atteignit le sommet de la montagne. Mais une surprise de taille l’attendait en haut. Un sabre lui transperça la poitrine avant qu’il ait pu flairer la menace.
Sur la plage, un groupe de Protecteurs jaillit du sable et fondit sur les Chasseurs.
Freeman était à leur tête. Le combat était inégal.
Iko regarda Eric droit dans les yeux. Il y eut comme un éclair et le jet-pack se retrouva dans le dos de la belle asiatique qui enfourchait présentement sa fidèle Manta vert et rose.
- John Carson vivra. Et tu ne pourras rien n’y changer.
Eric tomba comme une pierre avant d’exploser en pleine chute. Ses alliés connurent un sort similaire. Iko enclencha le propulseur et sa moto prit les airs.
En contrebas, les Protecteurs saluèrent leur leader victorieux.

- C’est fini, déclara Harvey.
Il termina son café et s’en resservit un aussitôt.
- Maintenant leur petite guéguerre c’est du pipi de chat à côté. On a plus à s’en soucier.
Jimmy s’était endormi dans un coin.
Dave donnait des directives à des collègues et Donald songeait qu’il était grand temps de finir sa nuit.
- Je vais vous laisser, messieurs. Je n’ai plus votre âge et ma femme m’attend.
Il salua ceux qui étaient en mesure de le voir partir.
- Harvey, on se téléphone plus tard, hein ?
L’interpellé renversa sa tasse.
- Mais, euh…Que fait-on du gamin, Donald ?
Donald jeta un coup d’œil à la silhouette fluette recroquevillée sur un fauteuil.
- Vous n’avez qu’à l’engager, Harvey.
Puis il franchit la porte.
Harvey se tourna alors vers Dave. Ce denier paraissait soucieux. Il avait du boulot, certes, mais Harvey sentait qu’il était profondément affecté par la tournure des choses.
- Qu’est-ce qu’il y a, Dave ? dit-il en en lui tapotant amicalement le dos. On dirait que tu es déçu qu’il soit mort !
Dave observa pensivement une affiche du concours BIG BUG et plus particulièrement les différents visages connus de John Carson.
- Ce n’est pas ça. C’est juste que…C’était une première dans l’histoire. Il y a eu des conséquences très lourdes. Mais il reste que cela été une aventure unique et exceptionnelle. Nous en avons été les témoins privilégiés. Oui, c’était vraiment une première.
Harvey n’avait bien évidemment pas tout à fait la même vision des choses.
- Ouais, bah, espérons que ce soit aussi la dernière.
Il dévisagea Dave avec une expression hilare inédite :
- On va dire que c’est juste le bug du millénaire qui est arrivé avec un peu de retard.
Il attendit une réaction de Dave qui ne vint jamais et s’autorisa enfin à exploser de rire.

Donald Buff sortit des studios. C’était une belle journée, ensoleillée à souhait. Il grimpa dans sa décapotable. Il y avait encore beaucoup à faire pour rétablir une certaine sérénité surtout depuis que BIG BUG avait grossi la rubrique nécrologique et donnait raison aux détracteurs de Crim’In. Malgré tout il se sentait en confiance. Le meilleur avocat du jeu finalement c’était le jeu lui-même. Tout système était perfectible. Il fallait simplement le reconnaître. Quelques heures de perturbation ne pouvaient rivaliser avec l’incroyable équilibre social qu’avait engendré la mise en place de Crim’In dans les foyers.
Donald démarra sur les chapeaux de roue et s’élança sur la route de campagne baignée d’une lumière printanière.
 
 
Epilogue 2ème version
 
 
Le joueur répondant au nom de Full-Gore venait de récupérer la M-60 de Sylvester Stallone dans Rambo II et il comptait bien faire un carton histoire de rentabiliser son achat.
Il avisa la vitrine d'un supermarché. Son avatar afficha un sourire avant de commencer à tirer. Les clients et les caissières poussèrent des cris et tombèrent les uns après les autres. Mais cela ne suffit pas. Full-Gore entra dans le magasin et continua à faire feu sans répit, réduisant les corps en charpie et le mobilier et les articles en miettes sans distinction.
Après plusieurs minutes de fusillade ininterrompue, il se figea brusquement en embrassant du regard la VHS extrêmement rare d'un film fantastique qu'il recherchait depuis des années.
Il pouvait l'avoir à condition d'allonger la monnaie, encore une fois avec de vrais dollars. Mais contrairement au flingue de Rambo, la VHS lui serait livrée dans la réalité. Et ça, ça valait bien de flinguer son compte épargne.
Il en était encore à baver sur le monstre de la jaquette lorsqu'il entendit du verre crisser sous des pieds. Il se retourna vivement et sa mâchoire inférieure faillit tomber à la vue des clients et des caissières qui se tenaient devant lui, armés jusqu'aux dents.
La dernière chose qu'entendit Ernest Cunningham, 42 ans, père de 2 enfants avant de mourir fut cette phrase déclamée comme d'une seule voix par tous les PNJ :
- De la part de John Carson !
 
 
 
Epilogue 1ère version


John Blossom venait d’atteindre le sommet de la montagne. Seul, sans aide, sans sherpa. A la seule force des poignets et des chevilles. Un exploit digne des meilleurs alpinistes, lui qui n’était qu’un amateur chevronné. Il fut rempli d’un sentiment de fierté et de plénitude qui l’enivra totalement. Loin de l’agitation du monde moderne, loin de son boulot, de Dead Zone et du phénomène Crim’In, il s’éveillait à d’autres envies, à d’autres besoins qu’il estimait tellement plus essentiels.
Il fallait absolument qu’il prenne des photos. Linda n’avait pas pu l’accompagner cette fois, mais il comptait bien partager cette expérience avec elle. Car tout comme lui, elle aimait particulièrement cette région du Tibet. Le panorama était fantastique. C’était comme d’être dans un autre monde, sur une autre planète. La sérénité et la majesté que dégageaient ces pics enneigés étaient surnaturelles. Et puis c’était un pays mythique pour plus d’une raison.
John avait le souffle court. L’ascension lui avait pratiquement ôté toutes ses forces. Il commençait à en prendre conscience. Il but une longue gorgée d’eau et fouilla dans son sac à dos à la recherche de son appareil numérique. C’est ainsi qu’il observa un phénomène étrange. Pour une raison qui lui échappait totalement, son ombre semblait clignoter sur le sol enneigé. Il se rappela les effets néfastes du manque d’oxygène en hauteur et comprit qu’il avait sans soute une hallucination. Lorsqu’il se retourna pour prendre une photo, il faillit lâcher l’appareil. Pendant un instant, il aurait juré que le soleil avait disparu avant de réapparaître aussitôt. Il n’ y avait pourtant aucun nuage.
John secoua la tête et prit une série de clichés.



 

Ce blog c'est pas juste un passe-temps
j'y bosse dur tous les jours
Je ne te demande pas d'argent
mais juste en retour
un petit commentaire
Ce sera mon salaire
C'est plus précieux que ça en a l'air

Wolverine Wars [FanFic]

 
1944 France - Logan est séparé de son frère lors d'une embuscade. Il en profite alors pour se détacher de l'ombre de Victor qui n'hésite pas à massacrer des innocents. Il espère ainsi secourir comme il l'entend les habitants démunis, victimes de la barbarie nazie.


Ils étaient tous attachés et alignés contre le grand mur de la place du village. Les hommes et les femmes avaient été bâillonnés. Pas les enfants, afin que leurs cris et leurs pleurs résonnent dans le soir comme un funeste prélude à la mort qui allait bientôt s'abattre sur eux tous.
Des écharpes de brume dansaient autour des neuf soldats allemands comme des esprits tourmentés cherchant le salut auprès de leurs tortionnaires.
L'air sentait l'humidité. L'humidité et la peur.
Un soldat équipé d'un lance-flammes s'avança vers la douzaine de prisonniers. Il appuyait régulièrement sur la gâchette, produisant une flamme sporadique dont le souffle était propre à terroriser n'importe qui.
- T'as du feu pour moi ?
Une silhouette massive sortit de l'ombre, un cigare rivé au coin des lèvres. Cela faisait peut-être dix minutes qu'il était là, attendant le bon moment pour se manifester. Dix minutes ou bien des heures. C'est cette incertitude qui troubla profondément les neufs soldats pourtant armés jusqu'aux dents. Pouvait-il exister quelqu'un de plus sadique qu'eux ? Ils n'osaient l'imaginer.
Ensuite ils remarquèrent son allure. Il n'avait pas tout à fait l'air d'un soldat malgré l'uniforme américain. De quoi exactement, ils l'ignoraient. Mais ils le sauraient bien assez tôt. Pour leur plus grand malheur. Car son regard ne trahissait rien de ses intentions. Logan était partisan de la loi du plus fort. Jusqu'à un certain point. Ces pourritures avaient dépassé la limite. Et il comptait bien le leur faire comprendre. A sa manière.

En le voyant apparaître dans l'éclairage diffus d'un réverbère, les enfants cessèrent instantanément de pleurer et les yeux de tous les prisonniers s'agrandirent. Ils virent en Logan un sauveur, improbable mais sauveur quand même.
Le mutant vit l'espoir qu'il suscita en eux. Il crut bon de leur préciser :
- Je vous conseille de fermer les yeux. Ca va pas être joli à voir.
Logan s'élança en poussant un cri animal.
Le gradé donna des ordres. L'homme au lance-flammes s'avança et pressa la gâchette de son arme. Le canon cracha un geyser de feu. Logan s'élança dedans comme s'il s'agissait d'un simple nuage de moustiques. Les piqûres, il les sentit. Et pas qu'un peu. Aux yeux de ses adversaires et des civils, il fit l'effet d'un démon vomi des enfers. Lorsque ses griffes jaillirent de ses mains, cette vision acheva de les convaincre. Logan planta ses griffes sous la bordure du casque. Il entendit le staccato des armes automatiques autour de lui et il sentit le picotement caractéristique des balles lui trouant la peau. Il s'empara de l'arme du soldat mort et visa les soldats les plus proches.
- C'est vous qui allez cramer, bande de chiens !
En réponse il reçut un chapelet de balles dans la tête. Ce qui acheva de le mettre hors de lui. Il attendit qu'ils s'approchent et saisissant le pistolet de l'allemand tira dans le réservoir d'essence sur son dos. La déflagration tua trois soldats et projeta le corps carbonisé de Logan contre le mur d'une maison.
L'officier envoya deux de ses hommes vérifier l'état du kamikaze. L'un d'eux se pencha et secoua la tête. L'officier poussa un râle victorieux avant de se tourner vers les prisonniers.
- Personne sauvera vous !
Pour son plus grand contentement, les regards des français exprimèrent la peur qui revenait les saisir. Avant de se diriger vers un point précis derrière lui. Intrigué, le gradé se retourna. Son sang se glaça lorsqu'il remarqua Logan debout, son uniforme en lambeaux et son corps musclé couvert de brûlures aussi bénignes pour lui que des tatouages. Autre détail d'importance, ses griffes étaient plantées dans la gorge des deux soldats qui avaient fait l'erreur de le croire mort.
Logan cracha.
- Tu me dois un cigare, mec !
Ses griffes se rétractèrent et les nazis tombèrent au sol.

L'officier recula instinctivement de quelques pas. D'un geste nerveux de sa main gantée il fit signe aux deux soldats restants de s'occuper de la créature. Les deux hommes s'approchèrent en ayant le sentiment d'être pris entre deux feux. Ils brandirent leur fusil-mitrailleur moins comme une arme que comme un bouclier. Logan s'avança, la tête rentrée entre les épaules, tel un prédateur en chasse. Il n'avait d'yeux que pour l'officier.

- Tu vas connaître quelque chose de plus atroce que la mort et la souffrance. Tu vas connaître ma  colère et mes griffes.

- Utilisez vos couteaux ! hurla l'officier en allemand. Coupez-lui ses griffes !

Les deux hommes mirent leur arme de côté et dégainèrent chacun une sorte de coutelas. En voyant la longueur de la lame, Logan ne put empêcher un rictus d'étirer ses lèvres :

- D'accord !

Les prisonniers retenaient leur souffle. Cet homme - mais pouvait-on encore le nommer ainsi - était leur seul rempart contre la mort qui les attendait. Les plus croyants ne savaient pas trop s'ils devaient remercier le ciel de sa venue. Mais peut-être que parfois, Dieu lui-même faisait appel aux démons pour rétablir l'équilibre.

Lorsqu'il s'estima suffisamment proche, l'un des soldats se fendit. Sa lame trouva le vide, mais les griffes de Logan trouvèrent le poing qui la tenait. Le soldat hurla. Son équipier porta un coup violent. Logan manipula le poing du nazi et son coutelas para l'autre lame avec une vive étincelle. Le mutant profita de ce répit pour plonger ses trois autres griffes dans le cœur du premier soldat qui s'écroula à ses pieds. L'autre boula au sol avec souplesse et en se redressant, arbora un coutelas dans chaque main. Il avait bien l'intention de venger la mort de son partenaire. Les deux hommes se firent face quelques secondes, puis s'élancèrent avec une hargne égale. Le nazi esquiva et feinta avec une adresse admirable. Plus d'une fois il faillit parvenir à ses fins. Mais Logan sortait et rétractait ses griffes avec une stratégie payante, empêchant son adversaire de le désarmer d'un coup de lame. Tout à sa tâche, c'est à peine si le mutant remarqua les deux lames plantées dans sa poitrine. Il eut un hoquet de surprise en les voyant avant de considérer son adversaire triomphant :

- Je crois pas que tu aies mesuré dans quelle merde tu t'es mis !

Le soldat se recula, terrifié par le sourire de Logan. Ce dernier empoigna les manches des coutelas et commença à les extirper très lentement de son corps qui en vérité en avait vu d'autres.

Le soldat rejoignit son supérieur en courant, mais d'un bond Logan fut sur lui et lui brisa le cou. Il allait s'occuper de son dernier adversaire, mais il se figea lorsqu'il vit l'officier pointer son pistolet contre le front d'une jeune prisonnière. Logan montra les dents. Son poing droit était collé contre la tempe de l'allemand.

L'officier le jaugea avec mépris, mais surtout avec un manque d'assurance évident.

- Je suis comme le Führer, dit-il en allemand. J'adore les expériences. Voyons si tes griffes sont plus rapides qu'une balle.

Les prisonniers observaient leur sauveur avec un mélange d'effroi et de fascination. Il était assurément de leur côté, mais était-il disposé à sacrifier l'un d'entre eux pour remporter une victoire définitive ?

Un coup de feu claqua. Les yeux de Logan s'écarquillèrent. La jeune femme ferma les yeux.

L'officier s'abattit à ses pieds. Sous l'émotion, la prisonnière éclata en sanglots.

Quatre français en civil rejoignirent le mutant. C'est l'un d'eux qui venait de tirer, épargnant à Logan une douloureuse décision.

Tandis qu'ils libéraient les prisonniers, celui qui paraissait être leur chef s'adressa à Logan :

- Je m'appelle Charles Girard. On est de la résistance. Vous avez fait du bon boulot, merci. Vous êtes en piteux état. Vous avez perdu votre section ?

Logan observa les cadavres épars jonchant le sol.

- Je suis tombé au bon endroit. Au bon moment.

- On va vous soigner.

- Non. Occupez-vous plutôt d'eux, ils en ont besoin.

Le chef secoua la tête :

- Vous avez raison. On peut vous donner des armes et des munitions. On a pas beaucoup de moyens, mais on vous doit bien ça !

Logan fixa ses phalanges en souriant.

- J'ai tout ce qu'il me faut.

 

Plus tard, alors que les résistants s'assuraient de l'état des villageois, l'un d'eux s'approcha discrètement de Logan qui finissait d'enfiler des vêtements civils.

- Merci monsieur. Personne ici n'oubliera ce que vous avez fait pour nous. On ne sait pas trop comment vous remercier. Sachez que vous serez toujours le bienvenu. Quel est votre nom ?

Logan le détailla comme s'il soupçonnait un piège.

- Pourquoi ? Vous voulez me recommander pour une médaille ?

Sa réaction surprit l'homme, mais il essaya de rester aussi chaleureux.

- Vous la mériteriez en tout cas.

- J'en ai rencontré plus d'un qui la mériterait plus que moi. Pourquoi pas vous ?

- Moi ? Mais...

- Croyez-moi, j'ai rien d'un héros.

Logan regarda de nouveau ses mains.

L'homme l'imita avant de reprendre :

- C'est à ce propos aussi que je venais vous parler.

Il tourna rapidement la tête pour s'assurer qu'ils n'étaient pas observés, puis ajouta :

- Avant que vous arriviez, des soldats ont emmené un enfant. Il s'appelle Simon.

- Il est juif ? s'enquit Logan sans trop paraître s'émouvoir.

L'homme se frotta nerveusement les mains.

- Non. C'est difficile à dire. Disons qu'il est un peu différent de nous.

Logan fit jaillir ses griffes encore ensanglantées.

- Différent comme ça ?

L'homme secoua la tête.

- Il avait aussi un pouvoir. Il pouvait réparer ou détruire les choses. Sans les toucher. Je pense que c'est pour ça qu'ils l'ont emmené.

- Vous savez où ?

- Je comprends un peu l'allemand. Je les ai écoutés et apparemment ils ont un camp pas très loin d'ici, à l'est.

Il indiqua un chemin de terre qui s'enfonçait dans la campagne.

- En prenant cette route, vous devriez le trouver. Mais êtes-vous certain de vouloir y aller ?

Logan lui décocha un regard qui en disait long sur ses motivations.

- C'est un boulot pour moi.

Il allait prendre congé, puis se tourna subitement vers le villageois :

- Finalement, vous pouvez peut-être faire quelque chose pour moi.

A cette annonce, le visage de l'homme s'éclaira.

Logan sourit de toutes ses dents.

- Z'auriez pas un cigare ?

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Un grand merci à l'auteur du blog Les Contes de Hell's Kitchen pour le gros coup de pub !

 

 

T’as aimé…ou pas

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mercredi, 25 février 2009

Space Squad [Romans/SF]

Chapitre I - BAD DAYZ 4 BAD BOYZ - Mauvaises Journées pour Mauvais Garçons

Part 1 : HIGHWAY TO HELL - Autoroute pour l'Enfer

 

L'homme écrasa sa cigarette sous le talon de sa botte et releva le col de son imperméable aussi gris que le ciel surplombant New York. Sans doute dans l'espoir de dissimuler une figure aussi menaçante que la ville elle-même. Il vérifia le contenu de sa poche droite en la palpant d'une main, puis se remit en marche.

Il poussa la porte du drugstore en apparence déserté par les clients, puis se dirigea vers le comptoir d'un pas résolu. Le gérant ne l'aurait sans doute pas remarqué - tant il était occupé à détailler une forme postée à la limite de son champs de vision - si le visiteur n'avait brusquement exhibé un pistolet d'un calibre inquiétant.

Le gérant avait dû assister à des centaines d'attaques à mains armées à la télé et il en avait vraisemblablement subi une dizaine, c'est sans doute pourquoi il s'exécuta sans broncher.  de toutes façons, les yeux du braqueur parlaient pour lui et son regard savamment étudié remplissait presque entièrement le rôle qu'on réseve d'ordinaire à une arme à feu.

Comme le commerçant finissait de réunir le contenu de la caisse dans un sac en papier et que son destinataire se voyait déjà très loin en possession de sa petite fortune, un déclic caractéristique se fit entendre, brisant le silence et le cheminement de pensées des deux hommes.

Le gangster lorgna du côté d'un présentatoir de magazines à sa droite et eut la surprise de constater qu'ils n'avaient jamais été seuls.

Elle était toute vêtue de noir, des mitaines de cuir aux botillons, en passant par le pantalon très ajusté et le blouson d'aviateur.

Et détail non négligeable : elle pointait vers le criminel le canon d'un pistolet-mitrailleur Punisher dernier modèle. Sa silhouette retenait aussi bien l'attention tant elle était fournie en matière de courbes sensuelles. Avant l'incident, le gérant n'avait d'ailleurs pas manqué s'y intéresser.

Sa chevelure présentait un somptueux dégradé de rouge et lorsqu'elle leva la tête de la revue féminine qu'elle tenait d'une main, elle arbora une paire de lunettes noires métallisées et une paire de lèvres dont elle réduisait à peine la sensualité en mâchant un chewing-gum.

Le criminel ne put cacher longtemps le trouble qu'une telle apparition avait fait naître en lui. Un trouble beaucoup trop grand à son goût. Le gérant, quant à lui, était aux anges, bien qu'il préféra dissimuler cet état de fait. Non seulement il la trouvait terriblement belle, mais en plus de cela, il savait qu'elle venait le sortir de ce mauvais pas. Si jamais ils s'en sortaient vivants, sûr qu'il allait la demander en mariage sans craindre d'essuyer son refus.

 L'homme armé se mordillait nerveusement les lèvres et commençait à sentir la sueur perler à son front. Il était en train de perdre un calme qui d'ordinaire faisait sa fierté. Un calme qui lui avait toujours permis de réussir ses coups facilement, en lui épargant les complications. Mais là, c'était différent. Au contraire de lui, la belle restait de marbre.

 

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dimanche, 08 février 2009

Polaroïd

  Un détective privé de tout n’a plus rien à perdre à tout gagner.

 

 

 Un soir.

Il est dix-neuf heures ou peut-être plus tard.

Le bureau de Marlow Edgar est plongé dans le noir.

Il fume un cigare.

C’est pas un Havane, mais chez lui le luxe se fait rare.

Ces temps-ci, il collectionne pas beaucoup les dollars.

Depuis des semaines, c’est café, cafard et idées noires.

Il est en quête d’enquêtes et son chômage l’inquiète.

Meurtres et mystères existent toujours, mais ils ne font plus escale chez lui.

Et lui, ça l’ennuie.

 

Il fait nuit.

Devant sa porte, une silhouette sculpturale apparaît comme par magie.

Dès qu’elle entre, son charme agit.

Elle est belle à souffrir, songe Edgar. Il aurait pu dire mourir, mais comparé à la souffrance, la mort c’est pas grand-chose finalement.

La mort, ça dure pas, c’est instantané.

La souffrance, c’est autre chose.

Et lorsque Edgar dévisage ce visage d’ange posé sur ce corps de déesse, il est comme en état d’ivresse, mais sait que sous les beaux atours de cette inconnue incongrue, son avenir lui réserve une sacrée série de péripéties.

Du genre de celles qui vous pourrissent la vie.

Edgar ne sait quoi dire, alors il soupire.

Alors la femme finit de dégainer tout son charme.

Elle fait battre ses cils de biche. Elle le fait si vite et si bien qu’on croirait des ailes de colibri. Geste bien appris.

Elle humecte sa bouche avec une sensualité exagérée, mais ça lui plaît.

Et elle le sait.

Elle fait voltiger sa chevelure souple et sombre, ombre de soie dans laquelle le regard du détective se noie. Son corps se mouvant lentement, l’émouvant silencieusement.

Sa robe échancrée laisse entrevoir le galbe parfait de ses jambes satinées à la lueur de sa vieille lampe bronzée.

Marlow déglutit. Cette femme sait faire monter le désir et l’envie.

Il sait qu’il doit s’en méfier, mais pourtant il se laisse prendre au jeu de ses grands yeux et en tombe amoureux.

Lorsque la voix de cristal brise net le silence, le détective sent ses soupçons faire leur baluchon.

- Bonjour, dit-elle d’une voix suave et glacée qui enflamme son âme.

Elle tend une main pâle, spectrale :

- Je m’appelle Crystal.

Ce nom achève de diffuser la passion dans le cœur fou d’Edgar dont les genoux se font mous.

- Kjvmlnrz, bredouille-t-il du mieux qu’il peut.

Il est ridicule, mais l’ignorant, il poursuit :

- ‘pelle Edgar, Edgar Marlow, fait sa voix pleine de trémolos.

Elle avance son jolis minois, effleure ses doigts en tapinois.

Et tandis qu’elle s’approche, Edgar conclut qu’elle est très loin d’être moche.

- Z’avez un problème, m’dame ?

Il se décontracte. Plus le moment de perdre ses moyens, la belle pouvant améliorer les siens.

Elle semble hésiter. La miss joue les actrices.

Elle sait très bien pourquoi elle est là.

Elle pose un index sur un coin de sa bouche.

Son geste fait mouche, puis elle accouche :

- Je crois que mon mari me trompe.

Edgar pique un fard. Des souvenirs affluent du fond de sa mémoire.

Ca lui rappelle sa propre histoire. Sûrement pas un hasard.

Si sa vie manque sérieusement de piment en ce moment, c’est qu’il n’y a pas si longtemps, sa propre femme, Greta, l’a soupçonné d’infidélité et lui a claqué la porte au nez.

Etre volage a son âge !  Enfin.

Il a bien contesté, mais Madame s’est entêtée, lui faisant la promesse de prouver un beau jour son indélicatesse.

Il a prêté serment, mais elle est sûre qu’il ment.

Depuis, il s’entraîne à oublier ses sentiments.

Justement la dénommée Crystal est tout ce qu’il lui manquait pour parvenir à cette fin.

Qu’elle soit mariée n’est pas véritablement une très bonne nouvelle.

Qu’elle soupçonne son mari d’aller voir ailleurs en est une bien meilleure.

Il la considère d’un nouvel œil lorsqu’elle entrouvre son porte-feuille.

Voilà une affaire en or. Sa patience a fini par payer.

Il extrapole, se met à espérer.

Il se voit finir au bras de la pépé, son mari rayé de sa vie, avec en poche le plein de dollars et plus de misères.

Il prend l’argent qu’elle lui tend et jure sur son honneur d’homme qu’il mettra la vérité à nu.

Elle le regarde, sa bouche se tord :

- J’espère connaître le même sort.

Le cœur d’Edgar bat à cent à l’heure, sa pomme d’Adam fait l’ascenseur.

Il la regarde s’éloigner sans un mot.

Pour lui, rien n’est plus beau.

Lorsqu’elle ferme la porte, son absence l’insupporte, mais comme pour le consoler, son parfum parfait vient l’enivrer et l’emmitoufle.

Il devient une main dans un moufle.

- C’est fou ce qu’elle sent bon, la lady.

Il secoue la tête et repense à ce qu’elle a dit.

Y a du pain sur la planche. Finies les vacances.

Edgar s’étire, se sent redevenir leste. Fini de faire la sieste.

Il fouille dans les placards, ouvre une tonne de tiroirs et finit par trouver son bonheur vers une heure.

Un appareil photo. C’est tout ce qu’il lui faut.

 

 

Le crachin crépite, rendant les trottoirs humides brillants comme des pépites.

Edgar Marlow observe une devanture, à l’abri dans sa voiture.

Il jure, crache injure sur injure.

Il est en train d’épier le mari sorti depuis midi  alors qu’il pourrait savourer la compagnie de sa nouvelle amie.

La merveilleuse Crystal.

Rien que de songer à elle, son cœur s’emballe.

Il se résigne. Avant tout, il doit se montrer digne.

Il la chasse de sa tête et se concentre sur son enquête.

Une voix jaillit à six heures :

- Salut Edgar le looser !

Le détective connaît cette voix. Il se retourne et contemple, assis à l’arrière, un homme sec dans un costume impec.

Perdu dans ses pensées, il ne l’a pas entendu entrer.

- Roger le Rapide !

Vieille connaissance de Marlow. C’est vraiment pas de pot.

Le type n’a ni sa langue dans sa poche, ni le cœur sur la main.

Et surtout, il a la gâchette facile.

Comme pour le rappeler à Edgar, le filou dégaine un vieux revolver qui a du faire les deux guerres.

- On va faire un tour et c’est pas une invitation.

Edgar tempête intérieurement. Manquait plus que ça !

Décidément, rien n’est jamais acquis d’avance.

Se faire trouer la peau alors que sa belle l’attend, c’est trop !

Problème.

Le privé est privé d’arme. Il n’a que son appareil photo.

Un polaroïd.

Il le dégaine et tire à bout portant.

Le flash aveugle Roger.

Edgar s’empare de son silencieux et le fait taire à jamais d’une balle dans le buffet.

Plus de problème.

L e détective sourit en dévisageant le cadavre.

Juste comme il se retourne, il aperçoit une femme se jeter au cou du mari de Crystal.

Il sourit derechef et tire à nouveau.

Avec son appareil photo.

 

Le soir.

Il est dix-neuf heures ou peut-être plus tard.

Le bureau de Marlow Edgar est plongé dans le noir.

Le détective pousse la porte.

La joie le transporte.

Les clichés compromettants sont dans sa poche et l’heure d’arrivée de sa dulcinée approche.

Il s’arrête à son bureau. Sa main tâtonne sur le plateau.

Trouvant l’interrupteur, il l’actionne.

La lampe bronzée diffuse sa lumière familière et éclaire le visage radieux de Crystal sise à sa place.

Entre ses doigts délicats elle tient un cigare.

Elle l’allume et le tend à Edgar.

- A notre victoire !

Une bouteille trône sur le plateau.

C’est du vin cuit, mais c’est un très grand crû.

Edgar n’en croit pas ses yeux. Les dieux ont exaucé ses vœux.

Crystal sourit et se lève.

D’un geste expert son manteau elle enlève.

Elle porte une robe au décolleté étudié.

Il se recule. La peur soudain l’accule.

Avec une souplesse inédite, elle s’assoit sur le bureau et l’invite :

- Je suis à toi, désormais !

Le regard d’Edgar s’égare.

Dans sa tête résonne le rugissement d’une lionne.

Son cœur s’affole. A sa chemise sa peau se colle.

Il avance dans un état second et se penche, baigné d’émotions.

Leurs mains épousent leurs joues.

De la pudeur leur amour se joue.

Leurs lèvres se caressent, découvrent la tendresse.

Leurs bouches se touchent et d’un baiser accouchent.

Ce baiser ! Il semble à Edgar si familier.

Il se recule. Derechef, la peur l’accule. Il est incrédule.

Telle une tigresse, Crystal se redresse.

D’un geste brusque, elle arrache sa perruque et découvre une chevelure mordorée. D’un autre, elle éponge le savant maquillage qui a transformé ses traits.

C’est une autre femme qui dévisage à présent le détective éberlué :

- Je t’avais dit que je prouverai ton infidélité !

Les yeux d’Edgar s’écarquillent. Il vacille.

- Greta !

Et c’est la chute.

Terrassé par l’émotion, il t

 

- Merde, s’exclame Holly Wood. Le ruban est mort !

La romancière invective vertement sa machine à écrire pour le moins vétuste.

Et pour couronner le tout, Roger, l’insupportable perroquet de son mari, se met à répéter ses dires.

Holly n’a plus beaucoup de temps pour boucler son histoire.

Et sa maison d’édition lui met la pression.

Elle sourit. Peu importe.

Ce n’est pas la première fois. Elle sait qu’elle a du talent  et son patron le sait aussi.

- Alors chérit, ça avance ?

Edgar Wood s’installe dans le canapé.

Il pose son cigare dans le cendrier et déplie son journal.

- On ne peut mieux. Tu n’imagines pas à quel point je suis inspirée.

Holly Wood défait sa somptueuse chevelure mordorée qui ondoie et dans laquelle le regard d’Edgar ne se noie plus depuis longtemps.

Trop longtemps.




 

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