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mercredi, 20 juillet 2016

Anticorps : la Défense Ultime [Nouvelles/Anticipations]

 

 Bagdad. Dans un futur pas très lointain.

 

 

- Je vois le témoin.

- Il a ses gardes du corps ?

- Non, il est seul.

- Bien, tu arrives au bon moment, alors.

La voix dans son oreillette était celle de Jürgen Slot, chef de l’organisation anti-terroriste ANTICORPS.

- Le tueur engagé par Sergeï Vladinov doit déjà être sur les lieux. Regarde autour de toi.

Kurt Stetson, dit « Le Muscle », observa la foule du marché. C’était un jour faste à Bagdad.

Il y avait beaucoup de bruit, de mouvements et de couleurs, ce qui ne facilitait pas le repérage.

La chaleur suffocante n’arrangeait rien. Kurt transpirait sous les vêtements civils qui camouflaient sa tenue d’espion dernier cri.     

- Pas si vite ! intervint Dan Douglas dit  « l’œil ». La Flèche est peut-être l’un des satellites les plus rapides au monde, mais quand même. Laisse-moi le temps de scanner tous ces types.

A des kilomètres de là, dans la salle d’opérations d’ANTICORPS, Dan Douglas contrôlait une mosaïque d’écrans et de claviers. Au centre de la salle, Jürgen Slot dit « Le Cerveau » supervisait l’opération en cours, légèrement appuyé sur sa canne, toujours impeccablement vêtu.

Kurt jura.

- J’ai pas besoin de ton foutu satellite pour repérer un gus. Je connais mon boulot, l’intello !

Dan se tourna vers Jürgen, dans l’espoir d’obtenir un soutien quelconque. Il l’obtint rapidement.

- Kurt, te rappelles-tu à quel point la synergie est importante dans une entreprise comme la nôtre?

- Comment je pourrais l’oublier ? Vous me le rabâchez tous les jours.

- Cela ne semble pas inutile étant donné ta facilité à la négliger. Dan est tout aussi compétent que toi dans sa fonction. Laisse-le donc œuvrer comme il l’entend. Il ne t’a jamais mis de bâtons dans les roues, il me semble, c’est même plutôt le contraire. Pourquoi continuer à rejeter le soutien qu’il peut t’apporter sur le terrain ?

Dan sourit, ravi de l’intervention de son supérieur en sa faveur.

Kurt sourit. Mais c’était plus une grimace qu’autre chose.

- Sur le terrain ? Sur le terrain, je suis seul et je l’ai toujours été. Et ça me va très bien comme ça. De savoir que ce machin est greffé à mes faits et gestes presque 24 h sur 24, ça me file la gerbe. J’ai l’impression d’avoir une épée de la Dame aux Clefs au-dessus de ma tête.

- Damoclès, rectifia Slot.

- Quoi ?

- Une épée de Damoclès au-dessus de la tête.

- Ouais, c’est ce que j’ai dit.

- Ca y est ! s’écria Dan. J’ai repéré un type qui correspond à la photo.

- C’est lequel ?

A deux heures, près du stand de fruits. Le grand type chauve.

- Y a trop de monde devant. Je vois rien.

- Attends, je te le surligne.

La silhouette du tueur se découpa brièvement à travers la foule.

Kurt entendit le rire familier de Jürgen Slot dans son oreillette.

- Tu as des yeux qui valent de l’or, mon cher Muscle !

- Puisqu’on parle de ça, je me souviens pas avoir signé pour cette opération. J’ai d’autres organes reliés à ce foutu satellite ?

Un silence s’ensuivit.

 - Quoi ? Vous pouvez quand même pas me faire pisser quand vous voulez ?

- Non, répondit hâtivement Dan, bien sûr que non !

Il échangea un regard paniqué avec son supérieur, visiblement amusé de la situation.

- Tu rigoles, reprit Dan de son ton le plus rassurant. On en est quand même pas là !

- Y a intérêt. Si j’apprends que vous pouvez faire joujou avec moi sans que je le sache, je vous jure que ça va chier.

- Le témoin bouge, annonça Dan, ravi de pouvoir détourner la conversation.

- Surveille-le, moi je file le tueur.

- Non, Kurt ! Tu te charges du témoin. Et rappelle-toi qu’il nous faut ce tueur vivant, insista Slot. Lui seul peut nous conduire à Sergeï.

- C’est marrant ! Pourquoi il faut que vous m’appeliez par mon prénom seulement quand vous êtes en rogne contre moi ?

Dan décida que c’était le bon moment de rendre l’ascenseur à son supérieur.

- Le témoin a l’air paniqué. Je crois qu’il vient de se rendre compte qu’il a perdu ses gorilles.

Kurt le rejoignit discrètement.

- Suivez-moi sans dire un mot, je viens vous sortir de ce merdier.

Le témoin avait tout du touriste.

- Quoi ? Mais qui me dit que vous n’êtes pas un tueur à la solde de Vladinov ?

Mais il avait oublié d'être idiot.

Kurt se racla la gorge.

- Parce que le tueur est derrière moi. Le grand type chauve près du stand de fruits.

- Je…je ne vois rien. Il y a beaucoup trop de monde.

- Dommage que je ne puisse pas vous prêter mes yeux.

- Pardon ?

- Rien. Suivez-moi, c’est tout.

- Mais, non, je n’ai aucune…

- Ecoute, ducon, si j’avais voulu te tuer…

- Kurt, t’es repéré ! le prévint Dan. Dégage, mais fais en sorte que le tueur vous suive !

Kurt empoigna le témoin et fonça vers une destination connue de lui seule, bousculant les passants et certains étals. Une balle de silencieux siffla au-dessus de son épaule.

- Fais chier !

- Prends à droite dans la ruelle ! dit Dan, les yeux rivés sur un écran.

Kurt s’engagea dans l’étroit passage, entraînant le témoin dans son sillage. Il en profita quand même pour se débarrasser promptement de ses habits civils, révélant une combinaison ajustée faite de sangles, d’étuis et d’accessoires plus ou moins identifiables.

Le témoin s’alarma.

- Vous êtes un espion ?

- Tout juste, Auguste !

- Comment vous connaissez mon nom ?

- Coup de bol !

Le tueur apparut à l’entrée de la ruelle.

- Baissez-vous ! hurla Dan.

Kurt s’exécuta, ce qui permit aux deux hommes d’éviter un chapelet de balles.

- J’ai quand même le droit de riposter, non ?

Il n’attendit pas l’approbation et fit feu.

La balle ricocha contre un mur près du tueur. De la poussière et des fragments de pierre l’aveuglèrent. Kurt en profita pour creuser l’écart.

Il remonta la rue perpendiculaire en direction de la sortie de la ville.

Arrivé à la hauteur d’une jeep militaire, il envoya le dénommé Auguste sur le siège du passager et s’installa au volant. Il se baissa pour trafiquer les fils. Le pare-brise explosa. Auguste poussa un cri.

- J’ai pas signé pour ça !

Kurt le toisa avec un grand sourire.

- Moi, si !

La jeep démarra sur les chapeaux de roue.

- Il nous suit ?

Auguste se retourna.

- Je…je ne sais pas, moi !

- Je ne vous parle pas. Vous, restez couché et fermez-là !

- Il est dans un break blanc immatriculé…

- C’est bon, Dan, pas la peine de me sortir tout le topo. Je le vois.

Recroquevillé sur son siège, Auguste écarquilla les yeux.

- Dan ? Mais à qui vous parlez ?

Kurt sourit.

- A mon ami imaginaire.

Dan Grimaça.

- Sympa pour moi !

- Je déconne. Tu sais que je t’adore, Dan !

- Tu me flatteras plus tard. Je te signale que le tueur vous rattrape !

Comme pour confirmer l’information, de nouvelles balles ricochèrent dans l’habitacle.

- Vous pouvez pas le semer ? interrogea Auguste.

Kurt évita juste à temps une bande de gamins débraillés.

- Il faut que je t’assomme Auguste pour avoir la paix ?

La seconde d’après, la jeep percutait un camion venu de nulle part.

Jürgen Slot assista à la scène sur un écran géant. Sa déception fut manifeste.

- Et bien, Dan ?

- Désolé, Monsieur, je ne l’ai pas vu arriver. Kurt ? Tout va bien ? Kurt, tu m’entends ?

La voix d’Auguste se fit entendre.

- Excusez-moi de m’en mêler, mais je crois que votre ami a perdu connaissance.

Jürgen frappa le sol de la pointe de sa canne.

- Bon sang, manquait plus que ça ! Réveille-le !

- A vos ordres !

Dan pressa quelques touches et activa une commande.

Le corps inerte de Kurt fut secoué de spasmes sous l’œil terrifié d’Auguste qui voyait dans le même temps le tueur descendre de son véhicule et s’approcher de lui, son arme à la main.

- Ca ne fonctionne pas, Monsieur ! Qu’est-ce qu’on fait ?

Jürgen Slot médita quelques seconde avant de déclarer :

- A vous de jouer, Dan !

Il lança un regard appuyé à l’ingénieur qui s’affaira aussitôt sur ses instruments.

- Prions seulement pour qu’il ne le sache jamais !

Toujours inconscient, Kurt trouva tout de même le moyen de redémarrer la jeep, ses mains et ses pieds oeuvrant sous une mystérieuse impulsion.

La voiture recula brusquement, défonçant la calandre du break. Auguste jeta un coup d’œil en arrière. Le tueur était invisible. L’attaque avait dû le surprendre totalement.

- Vous l’avez eu ! s’écria-t-il. Avant de réaliser que l’espion était toujours dans le coma.

Cela ne l’empêcha pas de passer les vitesses et d’accélérer. La jeep fumait à l’avant, mais les dégâts dus à la collision  ne semblaient pas plus graves que cela.

- Mais qui conduit, bordel ?

Auguste trépignait sur son siège, en proie à une terreur bien compréhensible. Sa vitre explosa.

Lorsque la main ensanglantée du tueur se ferma autour de sa gorge, cela ne fit évidemment qu’empirer son malaise.

Dans la salle d’opérations de l’agence ANTICORPS, la tension était tout autant palpable. Les deux hommes présents dans la salle bardée d’électronique suivaient les évènements sans mot dire. Dan pilotait le corps de Kurt du mieux possible. L’expérience était encore nouvelle. Heureusement, Dan s’adaptait très vite, c’est d’ailleurs sûrement l’une des raisons pour lesquelles il avait été engagé dans cette élite.

Le tueur se tenait sur le toit de la jeep. Il avait perdu son arme, mais pas sa vocation. Auguste commençait à manquer de souffle. Kurt garda une main sur le volant et de l’autre il dégaina une bombe lacrymo. Au moment où le visage du tueur apparut à découvert, Dan fit entendre sa voix dans l’habitacle via un haut-parleur inséré dans la tenue de l’espion groggy :

- Auguste, fermez les yeux !

En entendant cette voix jaillie de nulle part, l’intéressé crut qu’il s’agissait de son propre ange-gardien. Il obéit aveuglément. Kurt tendit le bras et aspergea le visage du tueur. Ce dernier poussa un cri et tomba de la jeep. Kurt freina brutalement ou tout du moins le pied qui lui appartenait.

Ils avaient atteint un quartier plutôt désert. Sentant le danger rôder, quelques passants s’empressèrent de pousser la porte la plus proche.

Auguste se jeta sur le corps désespérément inerte de l’espion.

- Réveillez-vous, bon sang ! Réveillez-vous !

La seconde d’après, le canon d’un pistolet se collait contre sa tempe.

- Lâche-moi immédiatement, Auguste, ou le seul qui recueillera ton témoignage s’appellera Saint-Pierre !

Auguste desserra lentement son étreinte et s’écarta.

Kurt baissa son arme et secoua la tête.

- Comment on est arrivé là ? Je crois que j’ai perdu connaissance.

- Et bien, il s’est passé de drôles de choses. Vous avez commencé par…

La voix de Dan retentit dans l’oreillette de Kurt, couvrant celle d’Auguste.

- J’ai pris le contrôle de la jeep. Un jeu d’enfant.

Kurt émit un sifflement.

- Tu peux faire ça, L’oeil ?

- Bien sûr !

Jürgen Slot félicita l’ingénieur de sa trouvaille d’un signe du pouce.

- Le tueur est neutralisé, mais il vaut mieux vérifier. Il est au sol, derrière toi.

- Ok, merci d’avoir pris le relais.

Kurt respira un grand coup avant de se tourner vers son passager.

- Toi, tu ne bouges pas.

Il descendit de la voiture s’éloigna de quelques pas avant de revenir en courant :

- Rien de cassé ?

Auguste avait le visage cramoisi. Il se massait la gorge en fulminant.

- C’est maintenant que vous demandez ?

Rassuré, Kurt se posta près du corps inanimé du tueur. Il inspecta les environs.

- Aucune menace, nota Dan.

Kurt essuya le sang qui coulait d’une légère blessure au crâne.

- Tes pronostics tu te les gardes, L’œil !

Il retourna le corps. Le tueur avait le visage brûlé. Pourtant il souriait tant qu’il pouvait. C’était sans doute dû à la présence du détonateur dans sa main droite.

- Putain de merde !

Kurt bondit sur le côté. Mais à la stupeur de tous, ce n’est pas le corps du tueur qui explosa. La jeep se désintégra dans une boule de feu. Son occupant avec elle.

Kurt se redressa, le visage crispé.

- Fils de pute !

Le tueur semblait chercher une nouvelle arme dans ses vêtements. Kurt ne lui laissa pas le temps de prolonger ses investigations. Il lui colla une balle entre les yeux.

- Tu l’as tué ? s’écria Slot. Mais il nous le fallait vivant ! Sans lui, comment allons-nous pénétrer dans le repaire de Sergeï ?

- Parce que tu crois que j’ai eu le choix ! C’était lui ou moi, je te signale ! Et bizarrement, j’ai préféré que ce soit lui.

- Ecoute, je ne dis pas le contraire, c’est juste que…Ca va être beaucoup moins simple, maintenant. Et ça ne l’était déjà pas beaucoup avant. Il était le seul à pouvoir te faire entrer discrètement. Sergeï a toute confiance en lui.

- Tant pis, j’aviserai sur place. On abandonne pas.

- Ce n’est pas toi qui décide !

- Je croyais que tu voulais ce gars ?

- Précisément. C’est pour ça que je refuse que tu y ailles en l’état.

- Super, la confiance règne ! De mieux en mieux ! Je me demande vraiment à quoi je sers. Le Muscle, tu parles ! Je te signale que Le Muscle a aussi un cerveau et qu’il est pas au régime !

Un silence ponctua cette dernière réplique.

- J’ai peut-être une solution, déclara Dan, espérant du même coup détendre l’atmosphère. Mais tu vas pas aimer.

- Dis toujours, répondit Kurt tout en fouillant les décombres calcinés de la jeep.

- Tu prends son identité.

- Quoi ? Je te signale que je suis pas comédien !

- Pas besoin. J’ai reçu un nouveau logiciel. Camouflage optique 3D temps réel.

- Ca en jette, mais est-ce que ça marche ?

- C’est encore à l’essai.

- Ca veut dire que ça peut foirer ?

- A tout moment.

- Heureusement que vous voulez pas que j’improvise. Bon, je suppose que c’est notre seule option.

- A dire vrai, j’en avais une autre qui consistait à modifier directement ton visage, mais au stade où en est la technologie, c’est encore trop douloureux.

- Tu me ménages ? C’est nouveau, ça ! Bon, comment on procède ?

- Lève-lui la tête, les yeux vers le ciel. Il faut que je scanne son visage.

- Il a un peu morflé.

- Ca ne fait rien. J’ai récupéré des vidéos qui vont nous servir. Je vais modifier ton apparence. Et aussi ta voix.

- Tu vas pas me trafiquer les cordes vocales ?

- Non. Je vais utiliser un champ de résonance.

- Je vais ressentir quelque chose.

- Si tout se passe bien, non. Je vais créer une image tridimensionnelle du tueur autour de toi qui fera illusion.

- Combien de temps ?

- Pas longtemps. Ca va pomper pas mal d’énergie. Faudra que tu fasses vite pour limiter les risques de défaillance du camouflage.

- Ok. Au fait, désolé pour Auguste. Ca avait l’air d’être un brave type.

- C’était une pourriture, rectifia Slot en improvisant une élégante chorégraphie avec sa canne ouvragée. Il a été reconditionné pour servir d’appât à notre tueur. Il n’y a jamais eu de témoin des méfaits de Sergeï Vladinov.  Et je compte bien qu’il n’y en ait jamais, car je compte bien faire cesser les activités de ce terroriste !

 

Le repaire de Sergeï Vladinov était une anonyme masure d’un blanc immaculé qui tranchait évidemment avec la noirceur de ses actes renommés.

Les pays européens autant que les Etats-Unis avaient beaucoup souffert ces dernières années de son penchant pour la libre expression à grand renfort de détonations. On le disait affilié de près ou de loin au légendaire terroriste Karl Arms qui ne donnait plus signe de vie après un mémorable baroud d’honneur qui avait laissé bon nombre de capitales occidentales à feu et à sang.

Les rumeurs allaient bon train depuis la disparition de Arms et sa mort présumée dans une embuscade. On cherchait à tout prix son héritier afin de prévenir la prochaine vague de terreur. Il semblait que Vladinov était tout désigné pour perpétrer le même type de chaos que Arms. En tout cas du point de vue de Jürgen Slot.

 

- Putain, j’ai vraiment une sale gueule !

Kurt Stetson observait son nouveau visage dans la vitre d’une voiture.

- C’est pas le moment de t’admirer, le tança Dan. T’as du pain sur la planche.

- Lâche-moi, je suis arrivé !

L’espion grimaça.

- Oh et puis cette voix !

- Justement, pour la voix je suis pas sûr de moi. C’est un échantillonnage approximatif. J’avais peu de références en la matière. Ce tueur n’était pas connu pour…

- Ca veut dire quoi ?

- Ca veut dire qu’il faudra que tu parles le moins possible.

Kurt réfléchit un instant avant de paraître satisfait.

- Ca me va.

- Tu as trouvé quelque chose d’intéressant sur son corps ? s’enquit Slot.

- Rien qui puisse me servir à atteindre Vladinov plus facilement.

- Attention, prévint Dan, deux hommes s’approchent de toi.

- Ils parlent russe, précisa Slot.

- Je m’en occupe, rassura Dan en activant un programme connu de lui seul.

Slot s’appuya sur le pommeau de sa canne comme il avait coutume de le faire au moment de faire une grande déclaration :

- Il faudra que nous trouvions un quatrième membre pour ANTICORPS, un nouvel organe et de préférence un organe qui puisse vous seconder efficacement afin que vous déléguiez un maximum le travail de piratage et d’archivage des données. Ainsi serez-vous à même de concentrer tous vos efforts sur les possibilités offertes par notre satellite d’exception.

Dan acquiesça.

- Une femme ?

Slot s’esclaffa.

Dan d’ajouter :

- C'est-à-dire que depuis que je suis entré à votre service, je ne suis pas beaucoup sorti d’ici. Un peu de compagnie ne serait pas du luxe, si vous voyez ce que je veux dire.

- C’est entendu, Dan. Nous recruterons en priorité un agent féminin. Le Muscle sera certainement jaloux, mais je saurai lui accorder à lui aussi une faveur digne de ce nom.

 

Un voyant s’alluma. Les pensées de Kurt étaient en train de leur parvenir. C’était un autre programme crée par Dan. Une sonde à l’intérieur du cerveau de l’espion renvoyait son activité neuronale et un logiciel spécifique décryptait les signaux enregistrés. Avec parfois quelques approximations, mais dans l’ensemble le procédé fonctionnait. Au grand dam de Stetson qui voyait là une nouvelle occasion pour son comparse d’avoir la main mise sur sa personne. Alors parfois, il ne se privait pas de donner libre cours à ses sentiments. Histoire de donner le change.

Dan alluma le haut-parleur pour que son supérieur puisse l’entendre aussi :

« … à pas me faire dire n’importe quoi. Sinon je te jure que je vais faire un suppositoire de ton satellite à la con et te le mettre bien profond ! »

Les deux hommes s’empêchèrent de rire. Sitôt après, Dan reprit son sérieux.

- Ils veulent te serrer la main. Qu’est-ce que tu attends ?

« Ca va traverser le camouflage, non ? Je suis foutu s’ils voient la combine ! »

Dan soupira comme s’il avait affaire à un enfant.

- Tu regardes souvent la main des gens, toi, dans ces moments-là ?

Kurt tendit le bras en retenant sa respiration. Les deux russes le dévisagèrent avec une once de méfiance avant de lui indiquer de les suivre. Kurt obtempéra.

« Bon, on dirait que ça se présente pas trop mal. Mais vivement que je mette la main sur notre homme. Ce genre de jeu, c’est pas trop mon truc ! »

Mais Dan ne l’écoutait que d’une oreille. Il était davantage concentré sur les mots qu’échangeaient les deux russes dans leur langue. Il opéra un mouvement de caméra pour les avoir de face sur son écran principal. Ils étaient en train de sortir leur pistolet de sous leur ceinture. Ca sentait le roussi.

Les mains de Jürgen Slot se crispèrent sur sa canne.

- Dan, diversion. Maintenant !

- Ok, obturation !

Un disque d’un noir luisant recouvrit chaque oreille de Kurt.

Dan propagea une onde ultra-sonore. Les vitres alentours explosèrent. Les trois gardes se bouchèrent les oreilles. Kurt les exécuta en un éclair.

- Merde, qu’est-ce qui s’est passé ? On a pourtant assuré, non ?

- Je comprends pas, dit Dan. Ton camouflage a pourtant fonctionné à cent pour cent.

- Faut croire que leur détecteur de coup foireux aussi ! observa Kurt. Qu’est-ce que je fais, maintenant ?

Slot s’approcha de l’écran de contrôle de Dan.

- Tu continues. On garde la même approche. Tu rentres dans la planque de Sergeï et tu le neutralises. J’insiste sur le mot neutralises. Sa capture est vitale. C’est entendu ?

- Oui, grommela Kurt. A vos ordres. Mais si jamais y a encore des gus qui reniflent un piège ?

- Compte sur moi, dit Dan. Est-ce que je t’ai déjà abandonné ?

- Non et c’est bien dommage !

Kurt frappa à la porte de la masure.

- Un instant, dit Dan, il y a quelque chose qui cloche. Je crois que je suis en train de perdre ton signal, Kurt. Il doit y avoir un bouclier. Kurt ! Ne rentre pas ! Kurt ?

Mais Kurt Stetson avait déjà pénétré dans la masure. Pour le meilleur et pour le pire.

Dan leva les yeux et dévisagea gravement Slot debout à ses côtés.

- J’ai plus rien, plus d’émission. On est coupé.

Slot caressa nerveusement le pommeau de sa canne.

- Sergeï n’est pas un débutant. Il connaît la technologie. Il a appris à attaquer, mais aussi à se protéger. Pour une fois, Kurt est livré à lui-même. Mais c’est dans ses moments là qu’il peut démontrer tout son savoir-faire. Je ne m’inquiète pas pour lui.

Dan n’était pas rassuré pour autant. Cette fois, il abandonnait Kurt, malgré lui. Et cela ne lui plaisait vraiment pas. Pour lui, ils fonctionnaient en binôme depuis bien trop de temps pour que la situation soit aussi évidente qu’elle semblait l’être pour Slot.

Il se crispa sur son fauteuil. C’était la première fois qu’il se sentait aussi impotent. Soudain, il tressaillit.

- Le camouflage, il a dû disparaître au moment où Kurt est entré !

A ce moment, Dan récupéra le signal. Et du même coup la mauvaise humeur de Kurt Stetson. Mais cette fois, ce ne fut pas pour lui déplaire.

- …m’entendez ! Je sais pas ce qui s’est passé, putain ! C’était l’enfer, là-dedans ! Ils se sont mis à me canarder. J’en ai allumé un paquet, mais j’en ai encore plusieurs au cul !

Les écrans se rallumèrent et Dan put à nouveau avoir une vue d’ensemble de la situation, aussi bien par les yeux de Kurt que par les différents yeux du satellite.

- Je te vois ! braya l’ingénieur, qui avait bien du mal à ne pas cacher sa joie. Désolé, Vladinov a installé un bouclier. On a perdu ton signal quand tu es entré.

Kurt venait de jaillir de la masure comme un diable sorti de sa boite. La caméra tressautait au rythme de la course effrénée de l’espion.

Il se mit rapidement à couvert derrière une camionnette. Les hommes de Vladinov étaient au nombre de sept et ils eurent tôt fait de transformer son rempart en passoire.

- L’oeil, fais quelque chose ! Je suis cerné et presque à sec !

L’intéressé prit une profonde inspiration. Il étudia un écran de contrôle lui indiquant le trafique aérien aux environs de Bagdad. Un sourire se dessina sur ses lèvres.

- J’ai ce qu’il te faut. Tiens encore quelques minutes.

Kurt hurla pour couvrir le bruit des rafales.

- J’ai pas quelques minutes !

- Inutile de hurler, dit Dan, tu sais bien que je peux lire dans tes pensées.

« Va te faire foutre » pensa Kurt.

- C’est pas gentil, le tança gentiment l’ingénieur. Heureusement pour toi, je ne suis pas rancunier. Tourne la tête.

Kurt s’exécuta, ne sachant trop à quoi s’attendre, mais espérant profondément pour qu’il s’agisse d’un miracle. Il ne fut pas trop déçu de ce côté-là lorsqu’il vit le cargo militaire An-70 atterrir sur la place, au mépris de l’espace disponible, sacrifiant quelques bâtiments et véhicules au passage avant de s’immobiliser comme le plus improbable taxi. La soute de l’avion s’ouvrit. Les deux pilotes très mécontents de s’être faits détournés de la sorte le furent encore plus en voyant les hommes de Vladinov leur tirer dessus sans crier gare. Profitant de leur consternation, Kurt les abattit avant de plonger à l’intérieur de l’appareil.

- Tu me surprendras toujours, s’exclama Kurt en découvrant la nature de la cargaison.

Dan jubilait.

- Le plaisir est partagé. Maintenant à toi de jouer !

Les hommes de Vladinov en avaient profité pour se rapprocher et échanger des propos virulents. Ils rechargeaient leurs armes lorsque leur cible refit son apparition.

Kurt épaula les deux lance-roquettes en sa possession et fit feu.

Les deux explosions firent pleuvoir de la terre, du sable et aussi beaucoup de sang.

L’espion bomba le torse en voyant qu’il n’y avait plus aucun garde en vie.

- Y a pas à chier. C’est dans ces moments là que je me sens vivant !

- Chapeau, Stetson !

C’était Slot.

- Désolé pour cette boutade, mais elle m’amuse toujours autant. Tu as de bonnes nouvelles à me donner concernant Sergeï Vladinov.

- Il est en vie. Je vais le chercher, annonça Kurt en retournant vers la masure.

- Non ! aboya Dan. Si tu fais ça, on va encore perdre ton signal.

- Mais c’est qu’il aurait presque peur pour moi !

- Il y a encore un risque.

- Aucun, certifia Kurt. J’ai fait le ménage. Et à ma manière. Préparez le tapis rouge, je suis là dans quelques heures.

 

- Mais qui êtes-vous ? grogna Sergeï Vladinov.

Le terroriste était solidement attaché à une chaise dans un bureau décoré avec goût.

Jürgen Slot lui faisait face. Et il exprimait assez bien sa satisfaction. L’opération mise en place depuis des mois avait été un franc succès. Et ANTICORPS allait très bientôt pouvoir en bénéficier. Directement.

- Vous êtes un baron du crime organisé. Et bien, disons que je suis un baron de la lutte organisée contre le crime organisé.

Notre organisation fonctionne comme une entité vivante. Chaque membre représente une partie active, un organe aussi vital et précieux que ceux qui constituent le corps d’un être humain.

Slot faisait danser sa canne devant lui avec une sophistication exagérée.

Vladinov restait calme. Il en avait vu d’autres.

- Pourquoi vous me dites tout ça ? Vous allez me tuer, n’est-ce pas ? Alors faites-le, qu’on en finisse. Je suis prêt, depuis longtemps.

Mais Jürgen Slot semblait vouloir prendre son temps avec son hôte.

Il désigna la vitre du pommeau de sa canne.

- Vous voyez ces deux hommes ? Ils ne s’en souviennent plus maintenant, mais chacun d’eux a été en son temps un modèle de terreur, de monstruosité, mais aussi un exemple de ténacité et de force. Et si j’ai appris une chose au cours de mon existence, c’est qu’il y a mieux à faire que combattre directement le crime organisé. C’est le retourner contre lui-même. C’est la base même de cette organisation, le sens de son existence. Et quand je dis sa base, ce n’est pas qu’une métaphore. Vous connaissiez certainement Karl Arms dit « Le Spectre ».

A l’évocation de ce nom, les yeux de Vladinov s’écarquillèrent.

- Bien sûr, on s’est même rencontré plusieurs fois. Je l’admirais beaucoup. J’ai beaucoup appris de lui. Et je ne suis pas le seul. Il a disparu brusquement. Les autorités n’ont jamais pu mettre la main sur lui. Il reste le maître incontesté dans son domaine.

- Et si je vous disais que vous l’avez retrouvé, que vous êtes même en train de lui parler, en ce moment.

Vladinov dévisagea Slot, quêtant un trait d’ironie. Pour son plus grand malheur, il n’en décela aucun.

- Quoi ? Vous délirez !

Le visage de Slot devint un masque de cire.

- Alors comment je saurais que tu n’as que trois orteils à ton pied gauche et que tu dois cette infirmité à l’explosion prématurée de l’une de tes propres bombes ?

Vladinov sembla se recroqueviller. Ce qui constituait évidemment un exploit.

- Oui, ça fait un choc ! poursuivit Slot avec entrain. Je ne te cache pas que j’ai beaucoup abusé de la chirurgie esthétique. Karl Arms n’a pas disparu. Enfin, pas au sens où l’on entend. C’est moi qui l’ai mis hors d’état de nuire il y a trois ans. Pour le bien de tous. Comment ? Pourquoi ? Tu as dû entendre parler de cette embuscade que m’ont tendue des agents américains. Elle a bien failli réussir. Deux de mes fidèles m’ont sauvé in extremis, mais je suis resté tout de même dans le coma pendant plusieurs mois. Quand j’en suis revenu, j’étais complètement changé. Un autre homme. J’ai découvert ce que j’avais fait, mes actes et ma nature passée. Cela m’a terrassé au début. J’ai fait ce qu’on appelle communément une dépression. Et puis, progressivement, j’ai compris deux choses. Que si je m’en étais sorti, c’est que j’avais encore des choses à faire en ce monde. Et surtout que si j’avais changé, je pouvais alors remédier à tout le mal que j’avais semé sur cette terre pendant des années. Le moyen était tout trouvé. J’avais subi une complète reconversion par l’entremise de mon coma. Un conditionnement naturel. C’est là que l’idée d’ANTICORPS m’est venue.

Brusquement, il s’esclaffa.

- Mais le coup du bouclier, à Bagdad, j’avoue que j’ai été bluffé. Visiblement tu es un élève studieux. Mes discours ne sont pas tombés dans l’oreille d’un sourd. Mais je n’ai pas perdu mon temps, moi non plus.

Le calme de Vladinov commençait à être menacé.

- Tu as construit La Flèche, le satellite, celui que tu évoquais à chaque fois et qui nous faisait tous fantasmer ?

Slot fut tout sourire.

- Comment crois-tu que mon agent soit entré si facilement dans ton repaire ? Mais c’est là la moindre des révélations que j’ai à te faire. Crois-moi.

Mes fidèles associés ont tous deux bénéficié de la chirurgie eux aussi et d’un total reconditionnement afin de servir mes nouveaux desseins. A leur insu, bien entendu. D’anciens terroristes luttant contre de nouveaux terroristes. Oui, c’est ironique, mais tellement efficace. Chaque jour, je loue l’inspiration qui m’a été donnée. Car si je t’ai révélé tous mes secrets, ce n’est pas parce que je vais te tuer. Tu n’es pas ici pour être torturé, ni même interrogé. Nous ne t’avons pas poursuivi dans un esprit de justice ou de vengeance. Non, c’est beaucoup mieux que cela. Tu es ici pour être des nôtres, à ton tour, converti comme l’ont été tous les membres de cette organisation.

Le visage de Sergeï Vladinov s’empourpra. Son calme vola en éclats. Il fit basculer sa chaise contre la vitre et pressa son visage contre le verre en hurlant :

- Il vous a manipulé ! Vous êtes tous des terroristes comme moi ! Il veut me laver le cerveau comme il vous l’a fait ! Sortez-moi de là ! Réveillez-vous !

Bien entendu la pièce était insonorisée.

- Je sais pas ce que lui dit le patron, mais ça n’a pas l’air de le rendre heureux, observa Dan Douglas, pour le moins amusé.

Il servit une coupe de champagne à son équipier.

- Tu crois qu’il nous demande de l’aide ?

Kurt Stetson se fendit d’un sourire.

- Non, je crois qu’il a juste très envie de pisser !

Ils s’esclaffèrent en faisant tinter le cristal.

En les voyant s’amuser de la sorte, Sergeï Vladinov sut que c’était peine perdue. Il était fait comme un rat.

Jürgen Slot dit « Le Cerveau » regarda ses hommes avec fierté. Il leur adressa un large sourire. Ils avaient vraiment tous fait du bon boulot. Il reporta son attention sur le terroriste en proie à la plus intense panique.

- Si ça peut te rassurer, Sergeï, bientôt tu auras tout oublier, toi aussi. Et tu me souriras, comme eux en ce moment. Bienvenue dans la crème de l’action anti-terroriste, bienvenue à ANTICORPS. Tes capacités vont nous être très utiles. Tu répondras désormais au nom de « La Main ».

Deux hommes entrèrent dans le bureau. L’un d’eux était armé d’une seringue.

Slot haussa les épaules.

- J’avais promis à Dan une jolie partenaire. Il va être très déçu.

Slot souleva le couvercle du pommeau de sa canne.

- Enfin, pas vraiment.

Il pressa le bouton jusque-là dissimulé et observa Dan Douglas et Kurt Stetson perdre connaissance simultanément. D’autres agents vinrent s’occuper d’eux. Il était temps de les reconfigurer eux aussi. Pour le bien-être de l’organisation. Pour le bien-être du monde libre.

 

Anticorps : Molécules de défense de l'organisme, protéines (immunoglobulines) fabriquées par les lymphocytes (globules blancs du sang), en réponse à la présence d'un corps étranger, l'antigène.

 

 

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