vendredi, 20 février 2009
Le Ciel Fuligineux
Le Ciel Fuligineux
Comme un sol de fumée
Comme un tapis de brume
Noir comme la suie
Noir comme la nuit
Comme un immense drap de soie
Etendu au-dessus du monde
Un tournoiement au-dessus des toits
Une forme informe se forme
C’est un oiseau sans nom, c’est un démon
Un gigantesque rapace
Au bec vorace
Il éploie ses ailes de cendre
Tel un phénix il vient descendre
Vers la ville avilie
Des volutes s’échappent
Il les perçoit et les happe
Avec la vitesse de la foudre qui frappe
Sont-ce des âmes à vendre
Que le diable est venu prendre ?
Est-ce le fruit d’une récolte ?
Alors que le diable l’emporte !
Pas de fumée sans feu
La Terre est un foyer idéal
Pour les idées du mal
L’oiseau le sait
Il n’est pas à son coup d’essai
Il se repaît
De toutes ces âmes amassées
Qui n’ont pas su trouver la paix
Ou la donner
L’oiseau s’en moque
En quittant leur corps elles l’invoquent
Il n’est pas là pour leur offrir le paradis
Ca lui est interdit
Satan le lui a dit
Il gobe une dernière âme perdue
Et repu
Il replonge dans sa dimension
Personne n’a rien vu
Personne n’a fait attention
Le ciel est redevenu bleu
Les nuages blancs
L’oiseau a fait de son mieux
Mais il reviendra forcément
T’as aimé…ou pas
T’as tout lu, tout vu, tout entendu…ou pas
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23:36 | Lien permanent | Commentaires (0)
Nos Rêves
Nos Rêves
Que deviennent nos rêves
Une fois que l’on se réveille ?
Que deviennent nos souvenirs
Une fois que l’on meurt ?
Sont-ils récupérés par un appareil ?
Sont-ils colportés comme des rumeurs ?
Que deviennent nos rêves
Une fois que l’on se réveille ?
Que deviennent nos souvenirs
Une fois que l’on meurt ?
Sont-ils des brebis sur lesquelles un berger veille ?
Sont-ils dirigés par un dieu selon son humeur ?
23:32 | Lien permanent | Commentaires (0)
Cartes à Gêne
Cartes à Gêne
Cela VALET le coup de te rencontrer
Tu m’as fait me sentir ROI
Toi mon TREFLE porte-bonheur
Toi la DAME de mon CŒUR
Qui m’a laissé sur le CARREAU
DIX – SEPT à quel âge d’habitude
Que l’on tombe amoureux ?
C’est comme si notre cœur
Redevenait tout NEUF ?
SIX ça continue
AS rythme là
Je vais DEUX voir prendre la fHUIT
Et descendre QUATRE à quatre
Les marches de l’amour
Mais il ne faut pas que l’on CINQuiète
Mon coeur est un cheval de TROIS
Qui ne s’ouvrira que pour toi
Je me PIQUE de le savoir
T’as aimé…ou pas
T’as tout lu, tout vu, tout entendu…ou pas
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23:29 | Lien permanent | Commentaires (2)
Enfants de Héros
Enfants de Héros
On est tous les enfants de héros
On a tous nos épreuves, nos travaux
On naît tous enfants de héros
Survivants des enfers les plus chauds
Persée
Thésée
Méduse
Ou Minotaure
La vie nous use
Et se fait matador
Jason aura sa toison
Ulysse son odyssée
Achille son talon
Leur destin est tissé
Pygmalion trouve Galatée
La passion récompensée
Orphée perd Eurydice
Une de perdue il n’y a pas de dix
Icare approche les cimes
Et y laisse des plumes
Hercule a douze travaux
Pour racheter ses travers
Atlas porte les cieux
Sisyphe pousse son rocher
Les caprices des dieux
Font de nous leur hochet
T’as aimé…ou pas
T’as tout lu, tout vu, tout entendu…ou pas
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23:24 | Lien permanent | Commentaires (0)
Dans l'Esprit de Morphée
Dans l’Esprit de Morphée
Dans l’Esprit de Morphée
Je deviens Orphée
Retrouvant son Eurydice
Je deviens Novalis
Retrouvant sa Sophie
Ma passion reconvertie
En ma seule philosophie
Dans l’Esprit de Morphée
Je deviens Eros
Et tu deviens Psyché
Tu deviens une rose
Et moi papillon
Tes pétales tu m’exposes
En un péché mignon
Dans l’Esprit de Morphée
La voie est toute tracée
Il n’y a qu’à suivre les fées
Là-bas je respire
En bas j’étouffais
Là-bas tout peut se faire
En bas j’ai tout fait
Une tension dans le crâne
Un effet dans les dents
Le réel qui se fane
Je m’explore au-dedans
La banalité
La médiocrité
La perversité
Nous séparent
Mais je sais que nous nous retrouverons toujours
Quelque part
Le temps nous mutile
Nous devons lui résister
Notre amour est utile
Il ne cesse d’exister
Et continue d’enfler, de se former
Dans l’Esprit de Morphée
T’as aimé…ou pas
T’as tout lu, tout vu, tout entendu…ou pas
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23:20 | Lien permanent | Commentaires (0)
d'Art et d'Amour
D’Art & d’Amour
L’art est mon père
L’amour est ma mère
Je suis né d’art & d’amour
Je suis fait d’art & d’amour
Ils m’offrent les plus beaux atours
M’apprennent les plus beaux discours
Ils me couvent toujours
Ils me couvrent tous les jours
Ils découvrent en moi
Mon âme et mes émois
Ils ouvrent en moi
Ils s’ouvrent en moi
Ils décorent mon intérieur
Repeignant les taches antérieures
D’art & d’amour
Comme deux arbres enlacés ne faisant plus qu’un
Comme une vérité faisant son chemin
Au plus profond de mon être
Coule la sève de cette union
Roule le rêve de cette fusion
C’est mon destin et c’est ma vie
Impossible que je les renie
Sans eux je m’appauvris
Sans eux je suis réduit
A n’être plus moi
A naître aussi bas
Que quand je ne les avais pas
En arrière je ne puis faire un pas
Ce serait faire un deuil et surtout mon trépas
T’as aimé…ou pas
T’as tout lu, tout vu, tout entendu…ou pas
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23:13 | Lien permanent | Commentaires (0)
Exposition d'Art & d'Amour [Mars 2006 à La Ville-aux-Dames]
Ma première et pour le moment unique exposition. Outre l'occasion de dévoiler mes oeuvres à un public et de recueillir des impressions très positives, cela a été aussi et surtout l'opportunité de rencontrer Xavier de Harlay qui est devenu par la suite le fondateur des Editions Littetgraphie, mon éditeur et un très bon ami. Rencontre qui en a permis un peu plus tard une autre de qualité : celle d'Ambre Benès.
Cette exposition a été pour moi le déclencheur de beaucoup de choses et principalement d'une grande ouverture vers l'extérieur, d'une communication et d'un échange qui me manquaient jusque là. Dès que j'ai pensé créer un site internet, il m'est donc apparu évident de l'intituler d'art et d'amour.
22:30 | Lien permanent | Commentaires (3)
dimanche, 15 février 2009
En Mon Ame
Voici le fruit de ma collaboration avec une chanteuse amateur et une équipe technique réduite mais efficace. C'est une adaptation très libre de la célèbre chanson My Immortal interprétée par Amy Lee du groupe Evanescence. A la base le texte était plus long, mais pour des soucis de rythme et de cohérence, il a été retravaillé. Si elle n'est pas exempte de défauts, je demeure néanmoins très fier du résultat.
En mon âme
Ecrit par Greg Armatory & Sandra
interprétée par Sandra
(Libre adaptation de « My Immortal » d’Evanescence)
Les gestes lents, léger sourire
Regards brûlants qui ne veulent pas mourir
Mais le charme est si loin
Tant de blessures entre nos mains
L’âme et le cœur au bord des yeux
Je soupire à nos vents d’adieu
Ce souvenir est ma croix
Je le porte à chaque fois
Que la vie déchire tous ces rêves en moi
En mon âme
Tu es si homme, moi si femme
En mon âme
Le bonheur seul nous condamne
En mon âme
Notre amour libéré s’enflamme
Nous sommes une âme
En mon âme
Dans les ténèbres chaque jour s’écoule
Un chant funèbre dont je suis saoule
Je ne joue plus à tous leurs jeux
Ce monde odieux
Me prive de tes yeux
Oh…Je meurs à petits feux
Et là je revois ton visage
Qui me renvoie dans cette cage
Ce souvenir est ma croix
Je le porte à chaque fois
Que la vie déchire tous ces rêves en moi
REFRAIN
Parmi les ombres
Qui me mènent vers ma tombe
Je ne sais plus qui je suis
Si sombre ma vie
Gronde comme une bombe
REFRAIN
T’as aimé…ou pas
T’as tout lu, tout vu, tout entendu…ou pas
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15:48 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : my immortal, evanescence, chanson, reprise, adaptation française, chanson d'amour, amy lee
jeudi, 12 février 2009
La Genèse [Nouvelles/Le Combat du Papillon]
La Chute de l’Age d’Or
Les sept jours de la création
constituèrent sept phases de l’emprisonnement de l’homme
enchaîné dans un antre,
dans les limites mêmes d’un monde
uniquement perçu par les cinq sens.
William Blake
I. L’Harmonie Primitive
Au commencement était le Paradis
Tout n’était que pensées
Rien n’était dit
Nous étions des anges qui dansaient
Le firmament
Etait notre mer
L’amour était omnipotent
Nul ne pouvait être amer
Nous étions un
Et étions Dieu
Au sein de chacun
S’ouvrait une paire d’yeux
Un cœur d’enfant innocent
Qui demeurait grand ouvert
Pour répandre et recevoir
L’amour tout en vers
Qui remplissait sans se voir
Toutes les âmes tel un sang
Sommet de l’Age d’Or
Où la pureté triomphait
Où l’absence de corps
Donnait vie aux fées
En une sublime geste
Qui sublimait nos gestes
Eden de notre origine
Où la musique était oxygène
La vertu religion
La poésie naissait
De la moindre pensée
Elle était le langage
Le plus précieux des partages
L’imagination nous baignait
Nul ne voulait l’ignorer
Nul ne pouvait le nier
En un océan doré
Symbole vivant
De notre liberté
Qui s’étendait à l’infini
Et sa source d’éternité
Etait reliée à nos esprits.
II. La Chute du Paradis
Le chaos vint pourtant
Le chaos et le Temps
La Nature fut envahie
Par la naissance de nouvelles envies
Des lois rigides s’instaurèrent
Et vinrent ce monde appauvrirent
De mécaniques habitudes
Une croissante lassitude
Naquirent un peu partout
Divisant ce qui constituait le Tout
Nous qui n’étions pas faits alors
Pour mener et gagner une lutte
Nous donnâmes
La mort
A ce fabuleux Age d’Or
Et damnâmes nos âmes
En érigeant sa chute.
III. La Séparation de l’Esprit
Et naquit la discorde
La lyre cassa ses sept cordes
Les hommes raisonnèrent
Les hommes s’emprisonnèrent
Ils perdirent leur unité
Coupèrent le fil de leur infinité
Ils cessèrent d’être devins, divins
Pour devenir sombres humains
Avec une tête, avec des mains
Une cosse matérielle
Détruisant leur essence spirituelle
L’esprit dont ils faisaient partie
Se réduisit, partit
Il se morcela pour venir habiter
Chacune de ces nouvelles entités
Leur conférant une nouvelle identité
Une âme aux maigres proportions
De ce corps
Résultat de leur malédiction
Pauvre et illusoire décor
Pour des être ayant connu l’essor
Ridicules et avilissants haillons
Pour d’anciens papillons
Devenus rampantes chenilles
Ils ne méritaient que des guenilles
Là où des ailes d’arc-en-ciel
Faisaient leur rang
Faisaient leur nom
En eux coula un nouveau sang
Qui n’avait plus rien des merveilles
La marque de démons
Tout prêts à l’éveil
Pour répandre et s’abreuver
De cette rivière vermeille
Dès qu’ils pourraient œuvrer.
IV. La Genèse de l’Enfer
L’Homme nouveau
Ayant revêtu sa peau
Ne pouvait plus faire marche arrière
Et se mit en devoir de créer une terre
Digne de l’accueillir
Digne de le soustraire
A son appartenance céleste
Il créa le Nord, le Sud, l’Ouest et l’Est
Aux limites du temps
Lui qui n’en avait jamais eu avant
Il ajouta la chaîne de l’espace
La raison croissant toujours en lui
Le dévorant comme le ver le fruit
Il sépara l’unité de son espèce
En deux sexes distincts
L’un féminin, l’autre masculin
Ruinant les principes de son origine
Scindant les valeurs de sa nature androgyne
En deux êtres complexes
Qu’il dota chacun d’un sexe
Propre à permettre sa perpétuation
Par leur association
En sept jours
Il se créa sept fardeaux
Si bien conçus qu’ils seraient toujours
Bien trop lourds à porter
Faisant de lui son plus parfait bourreau
Sans se sentir victime
Ignorant totalement la portée
De ces carcans intimes
Toutefois, avant que tout esprit rêveur
En lui ne meurt
L’Homme se forgea un lien avec ferveur
Il noua son âme à l’Océan Divin
Se donnant ainsi le moyen
Par le rêve et par la Mort
Quand il pourrait quitter son corps
De remonter vers les célestes ondes
Pour qu’à nouveau il s’y fonde.
V. L’Eclosion du Mal
L’Homme qui n’était que vertu
Lui dont la sagesse était instinct
Sema en lui les graines de la perversité
Condamnant sa vertu à être perdue
Et son bon sens à être éteint
Dans une future adversité
Il jugea le vice
Comme une nouvelle liberté
Lui qui s’ennuyait de tout
Mais en permettant qu’il s’immisce
Il donna un ennemi à la pureté
Et brûla son ultime atout.
VI. L’Héritage de l’Harmonie
Avant de rejoindre son nouveau monde
Qui avait débuté son évolution
L’Homme employa une dernière seconde
Pour réaliser une précieuse opération
Dans son désir encore ingénu
De pouvoir converser avec les nues
Il produisit en lui
Sept germes comme autant d’armes
Qui s’opposaient
Aux sept chaînes
Auxquelles il s’était assujetti
L’Amour, le Rêve, la Mort
La Religion, l’Art
La Poésie
Et la Magie
Sept sens
Héritage de l’originelle essence
Sept moyens d’agir
Vestiges de l’Harmonie
De la cassure de la lyre
De son absolue symphonie.
VII. La Chute aux Enfers
Dans sa nostalgie de l’Age d’Or
L’homme avait façonné
Un océan comme l’azur
Dans lequel jadis il était né
Fidèle à son idée première
Il décida qu’il renaîtrait en ce monde
En cet Enfer baptisé Terre
Au sein de ses nouvelles ondes.
T’as aimé…ou pas
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23:17 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : le combat du papillon, genèse, âme, esprit, création, romantisme, poésie
Transylvania - Le Roman
I
La voiture roulait dangereusement au cœur de la nuit. Elle pénétra à vive allure dans la forêt regorgeant d’ombres aux origines suspectes.
L’attelage était conduit par deux hommes, chacun armé d’un fusil.
A l’intérieur, siégeait une famille importante. Le père, serein, serrait la main de sa femme tout en dévisageant intensément ses deux filles de sept et douze ans, comme pour leur communiquer sa force tranquille.
- La région n’est pas sûre, hurla le plus jeune des deux domestiques pour couvrir le vacarme de la cavalcade. Pourquoi a-t-il fallu que nous passions par là ?
L’autre ignora son angoisse.
- Parce que c’est le chemin le plus sûr.
Son interlocuteur afficha une mine renfrognée.
- Oui, pour une mort certaine.
Le vétéran brandit son fusil avec véhémence.
- La mort, je peux la donner aussi facilement que cette région. Tu as raison d’avoir peur, mais tu as tort de penser que cela peut suffire à nous arrêter.
Des éclairs déchirèrent la nuit sans un bruit.
Brusquement les chevaux devinrent comme fous. L’aîné s’empara des rênes et usa de toutes ses ressources pour les arrêter afin d’éviter à la voiture de se renverser. L’attelage s’arrêta sous un arbre.
- Les chevaux ne veulent plus avancer. On dirait qu’ils sont paralysés.
- Paralysés par quoi ?
Un éclair illumina la nuit, révélant deux silhouettes menaçantes juchées sur une branche au-dessus des deux hommes.
- Qu’est-ce qui se passe, Papa ? demanda la plus grande des filles. Elle serrait sa petite sœur contre elle avec l’évidente intention de la rassurer.
Le Baron Henri d’Ofdigen demeurait impassible.
- Un contretemps, ma chérie, un simple contretemps. Nous allons bientôt repartir.
Mais la manière dont il serra la main de son épouse trahit sa nervosité. Le regard de celle-ci l’invitant vivement à s’informer de la situation, le baron allait se pencher par la fenêtre lorsque la voiture fut violemment secouée. Des bruits de lutte leur parvinrent, rapidement suivis par les cris reconnaissables des deux conducteurs.
L’aînée des filles plaqua ses mains sur les oreilles de sa sœur sur le point de sangloter.
- Mais papa, qu’est-ce qui se passe ?
Des coups de feu retentirent, puis, plus rien.
Le silence qui succéda fut plus terrible encore.
Prenant une profonde inspiration, le Baron décida de sortir. Mais au moment où il s’exécutait, la porte s’ouvrit à la volée et l’un des agresseurs le repoussa brutalement à l’intérieur. Il était élégamment mis ce qui tranchait nettement avec la rudesse de ses gestes. Son regard était effrayant de sévérité. Et ne cachait rien de la réalité de ses intentions.
L’épouse du Baron se rua sur l’autre porte laquelle fut violemment arrachée, manquant peu la jeter au dehors.
Un deuxième spadassin apparut. Même élégance. Même regard dénué de compassion.
- Pour vous, cette nuit n’aura pas d’issue.
Il découvrit deux canines d’une longueur animale avant de bondir à l’intérieur de la voiture. L’autre l’imita naturellement.
L’attelage fut secoué de spasmes tel un corps moribond avant d’être foudroyé par la mort.
Les corps des deux postillons gisaient dans des postures impies, exsangues, leur visage blanc comme un linge et leur cou portant la marque de crocs avides.
La pluie frappait rageusement le sol.
Les chevaux avaient fui, terrorisés par l’odeur du carnage.
La voiture était renversée.
A une dizaine de mètres de là, les deux tueurs achevaient leur macabre festin.
Marco terminait de boire le cou de la plus grande des filles.
Rodolphe, genoux au sol, laissait le crachin nettoyer son visage ruisselant du sang pris à la mère et à la plus jeune des soeurs.
Il ouvrit démesurément la bouche, savourant encore dans ce geste rituel la fraîcheur de la chair mordue.
Ceci fait, il contempla son reflet dans une flaque d’eau.
- Après tout ce temps, pourquoi cela fait-il toujours autant de bien, mon frère?
L’intéressé se redressa brusquement et après une ultime succion, rejeta le petit corps sans vie telle une vulgaire poupée de chiffon.
- Parce que, mon frère, nous sommes immortels et que notre faim l’est tout autant. Et je ne vois pas qui pourrait changer cela !
II
- Sylvania !
Le Baron Olaf Streggens supervisait la fin de l’aménagement du manoir de Castlered. Et étant donné l’ampleur de la tâche, il lui importait de savoir précisément où chaque objet de sa nouvelle propriété se trouvait et où chaque futur membre de sa demeure était posté. Malgré l’incessant va et vient et le flot continu du personnel mis à sa disposition, il était parvenu à repérer tout et tout le monde. Sauf une personne. Et la personne la plus chère à ses yeux et à son cœur.
- Sylvania !
Son désespoir grandissant de seconde en seconde, le Baron arrêta un vieux palefrenier transportant une volumineuse chaise.
- Cyrius, personne n’a donc vu ma fille ? Nom de nom, où a-t-elle encore bien pu se fourrer ?
Le domestique esquissa un sourire.
- Vous connaissez Sylvania mieux que moi, Monsieur le Baron. Elle n’a jamais pu rester en place et elle a toujours détesté la foule.
Le baron croisa les bras sur sa poitrine et hocha la tête.
- Vous la connaissez sans doute mieux que moi, Cyrius. A la mort de ma femme, c’est principalement à vous qu’elle s’est confiée, plus qu’à moi ou à son frère.
Le visage du palefrenier s’assombrit un instant, puis il redressa la tête en souriant.
- Cherchez du côté de la forêt.
Le Baron soupira bruyamment.
- Elle aurait quand même pu prêter main forte !
Elle tourna brusquement la tête. Elle était certaine d’avoir entendu du bruit. De ses grands yeux noirs, elle fouilla l’endroit suspect. Une rafale de vent glacial anima les branches et fit s’envoler les feuilles mortes jonchant le sol du sous-bois. L’hiver annonçait son arrivée imminente dans la région. Elle resserra ses fines jambes en un geste naturellement gracieux. Elle n’aurait jamais dû s’éloigner de la sorte de sa famille. Elle ne connaissait pas encore suffisamment bien les environs pour s’y aventurer seule de la sorte. Le danger était présent. Son père l’avait déjà mis en garde. Il y avait des prédateurs qui pouvaient ne faire qu’une bouchée d’elle. Mais c’était peut-être et surtout le goût du risque qui l’avait amené jusqu’ici. A son âge, l’innocence était mère de nombreux péchés.
Tapie derrière un bosquet, Sylvania observait la jeune biche. Elle n’avait jamais eu la chance d’en voir une de si près et la tentation était de forte de vouloir se rapprocher. Mais l’animal était aux aguets. A la moindre erreur de sa part, il disparaîtrait sans crier gare pour rejoindre les siens. La jeune femme prit soudain peur. C’était peut-être aussi ce qu’elle devait faire. Son père et son frère devaient se ronger les sangs. Cela faisait combien de temps qu’elle était partie ? Une heure ? Sans doute plus. A moins qu’ils ne soient tous trop occupés à installer le mobilier pour songer une minute à elle. Mais là, elle savait qu’elle se mentait à elle-même.
Elle jeta un dernier regard à la biche figée avant de se retourner.
Et se sentit tout à coup aussi vulnérable qu’elle.
Les cercueils étaient disposés selon une géométrie précise.
Celui de Lord Kelnorth, le Maître, celui qu’on nommait aussi le Comte de Brume, était au centre de la salle. Celle qu’on nommait à juste titre la Salle des Songes.
A sa droite, reposait Marco, son fils aîné, un vampire fier et fougueux, d’une grande ténacité et d’un tempérament ardent.
A la gauche du Maître, Rodolphe, le second fils. Rapidement pris en main par Marco, Il était devenu son égal dans bien des domaines. Et ce qui les séparait encore était toujours pour eux l’occasion de jeux et de défis dans lesquels ils contentaient leur insatiable appétit de victoires.
Autour d’eux, trois cercles concentriques de cercueils contenant les membres privilégiés de la cour - pour ne pas dire les amants – la confrérie des artistes, puis rassemblée dans la périphérie, les domestiques.
Ils se réveillèrent à peu près tous en même temps, leur horloge biologique en parfaite relation avec les mouvements de la lune. Question de survie.
Une longue nuit de fête et d’orgies les attendait et chacun avait hâte d’y prendre part.
L’occasion de goûter à de nouvelles expériences et de savourer à nouveau les plus anciennes...
T’as aimé…ou pas
T’as tout lu, tout vu, tout entendu…ou pas
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mardi, 10 février 2009
Horreur à Slaughterfalls [Dessins/Mes Histoires]
21:16 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : horreur, loup-garou, lycanthrope, épouvante, fantastique, monstre, sang
dimanche, 08 février 2009
Ciném'Art
22:52 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma, dessins, hollywood, illustrations
Humour
22:33 | Lien permanent | Commentaires (0)
Confessions d'un Livre Malheureux [Nouvelles/Humour]
Confessions d'un Livre Malheureux
Vous êtes peut-être son dernier espoir....
Bonjour, il y a quelqu’un ?
Ah, vous êtes là ! J’espère que je ne vous dérange pas. Oui, c’est idiot. Puisque vous êtes là, c’est que quelque part vous l’avez choisi. Tant mieux, parce que moi aussi, figurez-vous.
Je ne sais pas qui vous êtes, ni de combien de temps vous disposez.
Je ne sais pas non plus si c’est le livre que vous attendiez. Pour ma part, j’ose espérer que vous êtes la personne que j’attendais.
Voilà, j’ai besoin de parler à quelqu’un.
Quelqu’un que je ne connais pas.
J’aurais pu m’adresser aux auteurs avec lesquels j’ai collaboré, mais ces idiots pleins d’ego auraient forcément pensé que le texte venait d’eux.
Vous voyez le genre. Dialogue de sourd en perspective et quiproquos à gogo.
Je n’ai vraiment pas besoin de ça et eux non plus d’ailleurs.
Non, là je pense que j’ai fait le bon choix.
Je sais que cette intervention inopinée de ma part peut faire figure d’embuscade, mais je ne voyais pas d’autre solution pour me faire entendre.
Si jamais vous décidez de partir en cours de route, de m’abandonner à mon triste sort, eh bien, je ne vous en voudrais pas. Je le comprendrais même.
Car s’il y a bien une chose que j’ai apprise au cours de toutes ces années d’exercice, c’est bien de me mettre à la place des autres.
Vous pourrez toujours revenir quand le cœur vous en dira. Je ne bougerai pas. Je vous attendrai. C’est ce qu’il y a de bien avec nous, les livres.
N’importe où. N’importe quand. On se retrouve en tête à tête comme s’il ne s’était rien passé entre-temps.
C’est une forme de magie.
Et j’imagine que c’est sans doute cette magie qui m’a permis de supporter ma condition.
Ces petits moments où le contact se renoue naturellement quelque soit ce qui nous a séparé.
On ne se pose pas de questions. On n’éprouve pas de doute, de méfiance.
Les mots reprennent leurs droits. Un point c’est tout.
Nous existons. Vous existez. Et ce n’est sûrement pas pour rien. Ni en vain.
Tout comme ce n’est sûrement pas un hasard si je suis tombé sur vous et si vous êtes tombé sur moi.
J’ai porté des tas d’histoires en moi, de tous genres, de tous styles.
Des petites.
Des grandes.
Des histoires à dormir debout.
Des histoires drôles.
Des histoires d’un jour, d’un soir.
Des histoires éternelles.
Des histoires avec un grand H.
Des histoires banales.
Certaines ont obtenu ma préférence. J’en ai regretté plusieurs et j’en ai oublié rapidement d’autres.
On peut dire que j’ai travaillé toute ma vie sous couverture. Littéralement.
Aujourd’hui, je suis heureux de pouvoir vous apparaître dans ma plus totale nudité.
Les pages vierges, en quelque sorte.
Car j’ai décidé de ne plus me cacher derrière des histoires qui ne m’appartenaient pas.
Aujourd’hui, j’ai décidé de vous raconter ma propre histoire.
Je pourrais commencer par « Il était une fois » puisque les premières histoires que j’ai abritées ont été des contes de fée.
Ah ! Qu’il est loin le temps de l’innocence, le temps de l’insouciance ! Cette pureté, cette simplicité dans les mots ! Tout cela me manque tellement !
Evidemment ces histoires avaient une nette tendance à se terminer avant que tout ne se gâte. J’en conviens tout à fait. Dans un sens, c’était plutôt plaisant et surtout plein d’espoir. Dans un autre, c’était ni plus, ni moins une manière de se voiler la face.
En tous cas, ce sont de bons souvenirs.
Puis vint un temps où j’ai commencé à me couvrir de cases noires et blanches, peut-être par nostalgie de certains échecs. J’ai appris les mots, les chiffres. C’était tellement nouveau, tellement étonnant ! Alors naturellement j’ai joué un peu avec. Je me suis mis à les croiser, à les masquer, à les coder. Plus qu’un jeu, cette gymnastique est vite devenue un vrai sport.
Un sport cérébral.
Et puis comme tous les enfants, je me suis lassé de mes jeux. J’ai voulu m’occuper autrement, trouver d’autres divertissements dignes de mon imagination.
Seulement je n’étais absolument plus maître de mon contenu.
J’ai exprimé haut et fort mon envie d’écrire et de vivre mes propres histoires.
En vain. Je n’étais plus libre.
De l’encre noire a coulé sur mes pages immaculées, les souillant, les recouvrant de termes sordides dont le souvenir me fait encore frissonner. Des mains sales m’ont effeuillées.
J’ai reposé dans la poussière d’obscures étagères. Je peux vous assurer que question souffrance j’en connais un rayon.
Et le calvaire n’en finissait pas.
Les mots s’alignaient, mais ce n’était pas les miens.
Des histoires échevelées naissaient de plumes qui me griffaient sans aucune pitié. De tristes mines m’assombrissaient. Ce fut un chapitre terrible de mon histoire. Si j’en suis sorti avec des bleus et des bosses, cela m’a permis aussi de comprendre pas mal de choses sur la vie d’un livre. S’il a des droits, il a aussi des devoirs. Les règles typographiques sont faites depuis longtemps. Je ne pouvais pas tout refaire en un jour. Surtout seul.
Par la suite, j’ai donc donné asile à un bon nombre de témoignages, de confessions et d’essais, pas tous réussis, pas tous transformés. Mais je me reconnaissais dans ces doutes, ces interrogations. Je brûlais parfois de les effacer pour pouvoir inscrire mes propres questions, mes propres peurs. Mais j’étais devenu, malgré moi, un livre discipliné. Alors j’ai tu ma révolte et j’ai contenu ma douleur.
Mais difficile de canaliser toute cette émotion qui grondait en moi. Certains débordements ont été inévitables. Je n’ai pas pu empêcher ma pensée de s’inscrire de temps en temps dans celle des autres. Un crime qui m’a valu une bien cruelle condamnation : celle de voir mes pages couvertes de carreaux. Pas des cases ludiques et affables comme celles de ma jeunesse. Non. Ces cases-là étaient froides, dures, humiliantes. Leur sévérité me contraignait tant que je finissais toujours par me retrouver dans la marge où je savais pouvoir retrouver un peu de liberté.
J’étais devenu un livre rebelle. Ma couverture s’ornait désormais d’une étiquette que j’aurais tout le mal du monde à décoller.
Heureusement, la page finit par se tourner et la vie se décida à me faire une fleur. Littéralement. C’était une pensée. Tellement belle. Comment l’oublier ? Ses couleurs étaient flamboyantes, son parfum, d’une richesse incroyable. Je ne m’attendais pas à une telle rencontre. Au début, paniqué, je me suis instinctivement fermé. J’avais peur de ce que je ressentais. Peur que mes sentiments me mènent une fois de plus vers les sommets du drame.
Mais elle a su me rassurer. Comment résister à sa douceur ? Je me suis rouvert et je me suis abandonné à l’amour de ce premier marque-page. Pour me marquer, il m’a marqué !
Las. Cette liaison fut de courte durée. J’étais un roman à l’eau de rose à cette époque, nous étions donc en droit d’espérer un peu plus qu’un amour de vacances. Mais c’était sans compter les lois immuables qui régissent le monde de la littérature.
La pensée s’en est allée orner les pages d’un autre livre. Un polar, je crois. En tous cas, un vieux roman de gare. Ma peine a été de courte durée. Si elle m’avait quitté, c’est qu’elle n’était pas digne de figurer dans ma vie. Je l’ai assez vite oubliée. Son parfum, c’est autre chose. Je crois qu’il continue toujours d’imprégner mes pages.
J’imagine que tous les livres sont passés par là. On n’en discute pas beaucoup entre nous. C’est un cercle très fermé, vous savez. C’est un peu, chacun pour soi. Il y a un grand esprit de compétition et la rivalité domine.
Pas de place pour la fraternité. La coopération n’est pas trop de mise.
Je ne l’ai jamais vraiment accepté.
Vous êtes toujours là ? Merci ! Merci du fond du cœur ! Vous ne pouvez pas savoir à quel point cela me fait du bien de me confier de la sorte. Enfin, si, vous devez savoir un peu. Nous ne sommes sûrement pas si différents. Nos vies doivent se rejoindre en bien des points, n’est-ce pas ?
Alors, tout comme moi, vous devez savoir pourquoi les autres livres n’osent pas se confier.
Ils ont peur. Peur d’être jugés. Peur d’être incompris, rejetés.
Etre lu, tout simplement, a fini par leur suffire. Ils se sont résignés. Pourquoi en demander davantage ? Tant de livres existent de par le monde. Etre choisi, manipulé, c’est une forme de reconnaissance que beaucoup ne connaîtront jamais. Etre aimé pour ce que l’on est vraiment, quand on est un livre, c’est peut-être un luxe inutile.
Moi-même, j’ai fini par me prendre au jeu. Les mots des autres ont fini par étouffer les miens et je les ai adoptés comme s’ils faisaient partie de moi. Ce qui était vrai d’une certaine façon.
Lutter, c’est éreintant à la longue. La vie ne peut pas toujours être un combat. Sinon, comment l’apprécier ?
Cela a été d’autant plus facile de m’éclipser lorsque j’ai été amené à endosser l’empreinte de mes premiers poèmes.
La poésie a fleuri sur mes pages et de ce mariage est né une passion encore plus dévorante pour les mots.
T’as aimé…ou pas
T’as tout lu, tout vu, tout entendu…ou pas
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Les Aventuriers de l'Arc Tendu
Première Partie : La Neige en Deuil
Ils étaient mille sept cent quatre-vingt trois environ à dévaler les pentes enneigées des monts Kigel. Une horde de cavaliers en armure montés sur des destriers caparaçonnés, symbole d’une armée glorieuse, fière et en pleine ascension (excepté le fait qu’elle descendait présentement les pentes enneigées du royaume Oukiféfrôaa.)
Le spectacle de leur évolution était d’une splendeur sans pareille en plus d’être réellement impressionnant pour des yeux non accoutumés à cette catégorie de vision.
Les sabots des vigoureuses montures, lancés à un train d’enfer, soulevaient des paquets de neige, empanachant de blanc les hommes en armes qu’ils transportaient si efficacement.
Le linceul naturel virginal immaculé (plus prosaïquement : la poudreuse !) aurait dû nécessairement étouffer les sons d’une si époustouflante cavalcade, mais non.
Un formidable bruit de tonnerre accompagnait la charge impétueuse.
A qui pouvait être destiné un déplacement de troupes aussi important ?
Pour qui avait-on décidé d’user de si remarquables moyens ?
Il se tenait sur le flanc opposé, silhouette entièrement vêtue de noir tranchant sur la lumineuse clarté de la neige saupoudrant tout le décor environnant. Il était juché sur un équidé d’une teinte aussi ténébreuse dont les yeux rouges jetaient des feux lugubres et menaçants et dont les naseaux crachaient des volutes de fumée d’un vert surnaturel esquissant une tête de mort en perpétuelle animation.
La tête du cavalier – pour conserver l’anonymat ou vraisemblablement pour épargner la vue de sa vilaine figure – était maintenue dans l’ombre au moyen d’un capuchon. Elle était tournée d’un quart en direction de la horde sur le point de rejoindre le sol enneigé en contrebas. Elle semblait fondre sur lui (la horde, pas la neige !) à sa seule intention et c’était bien le cas. Malgré cela, l’homme – mais en était-ce bien un ? – ne tressaillit pas. Et pour cause.
Son bras gauche replié vers la selle se tendit subitement devant lui sans décrire le mouvement intermédiaire requis habituellement. Comme si son membre s’était téléporté. Sa main gantée de cuir clouté se ferma dans un craquement sonore et conséquemment un corbeau aux ailes fuligineuses se posa doucement, mais sûrement, sur le support improvisé par son maître. Le corvidé replia ses ailes dans son dos et scruta avec intérêt l’avancée des troupes dangereusement proches à cet instant précis.
- TUE !
La voix du cavalier résonna, grave et glaciale, la fatalité incarnée. Sur ce simple mot, sur cet ordre dénué d’ambiguïté, l’oiseau funeste prit son essor. Ses yeux comme des rubis laissèrent des traits de sang rémanents dans son sillage. Il fila comme une flèche vers l’amas de cavaliers, ses ailes se mouvant si rapidement qu’il n’en subsista bientôt plus que deux arcs sombres.
Et puis, soudainement, alors qu’il entrait en contact avec ses cibles désignées, son corps entier sembla rapetisser, se replier sur lui-même pour finalement se réduire à un trait d’ombre vrombissant qui se perdit une seconde plus tard au cœur des troupes. Durant les cinq secondes qui suivirent, il ne se passa absolument rien. Ou rien de suffisamment important pour justifier l’emploi des phrases descriptives habituelles. En revanche, ce laps de temps écoulé, il se produisit une aveuglante explosion accompagnée d’éclairs d’énergie à l’endroit précis où le sombre volatile s’était volatilisé. La puissante déflagration généra un orbe de lumière mordorée aussi beau que mortel.
Le temps d’un clin d’œil, il s’élargit jusqu’à inclure la masse compacte et complète des cavaliers dans sa circonférence. Les mille sept cent quatre-vingt trois hommes et les mille sept cent quatre-vingt trois chevaux furent embrasés, consumés, désintégrés, rayés de la surface de la planète (ce qui de ce point de vue peut passer complètement inaperçu, alors disons plutôt …) rayés du relief épuré des monts Kigel (c’est y pas mieux comme ça ?) en moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire (parce que je tiens à signaler au passage que c’est vachement long à écrire surtout si on ajoute des tas d’apartés au milieu de la phrase !)
L’onde de choc atteignit le sinistre personnage sans lui causer autre chose qu’un bref éternuement.
- REVIENS ! fit sa voix terrifiante comme jaillie d’un gouffre sans fond dans lequel elle aurait séjourné au préalable des milliers d’années.
Des cendres s’élevèrent de la neige carbonisée (en matière de magie rien n’est impossible à part peut- être embrasser un ogre au réveil) et s’assemblèrent dans les airs pour recomposer intégralement le corbeau aux ailes membraneuses (apparemment apparenté au Phénix) lequel s’en retourna rapidement sur le dos de la main mise à sa disposition. Dans l’ombre savamment entretenue du capuchon de son maître, une légère difformité indiqua que le sorcier souriait, exprimant ainsi toute sa satisfaction d’avoir anéanti toute une armée venue tout exprès pour l’anéantir.
- LES HOMMES ! s’exprima-t-il en projetant dans son ton tout le mépris qu’il ressentait pour la race évoquée. Puis il éclata d’un rire sardonique qui fit sauter les cimes enneigées des montagnes comme autant de bouchons de champagne.
- Un peu trop tôt pour les réjouissances, vermine !
La remarque venue d’on ne sait où coupa l’intéressé dans son élan de jubilation débridée. Ce qui eut pour effet de déchaîner son ire.
- QUI OSE ?
Privée de complément, la question n’en demeurait pas moins terriblement intimidante pour un destinataire commun (vous et moi, quoi !) Seulement, son émetteur ignorait encore à qui il avait affaire.
Ils étaient au nombre de quatre. Quatre personnages dont l’aspect physique et le statut social variaient tout autant que l’origine géographique et la personnalité.
A gauche (à la vôtre ! Enfin je veux dire…à votre gauche, pour vous faciliter une représentation dans l’espace.) Isme le barbare : une tête chevelue de sauvage, un cou de taureau, une peau brunie et lacérée, des bras comme des cuisses et des cuisses… comme les vôtres, mais en triple épaisseur (au bas mot.) Pour tout vêtement, des bottes souples et usagées et une étoffe de cuir ceinte autour des reins afin de préserver un soupçon d’intimité.
Les barbares – et notamment Isme – ne comptent pas parmi les créatures les plus pudiques qui soient, mais ils sont naturellement sensibles à certains points de leur anatomie qu’ils croient sage de camoufler aux yeux d’un ennemi particulièrement vicieux. Comme quoi, même les barbares peuvent faire preuve d’un soupçon de jugeotte, surtout quand leur virilité est mise en péril.
L’arme me direz-vous (mais vous n’y êtes pas forcé !) Et bien, comme tout barbare qui se respecte et se fait respecter, Isme employait une lame forgée par ses pairs (ou ses pères, allez savoir !) remarquablement ouvragée et qui avait la fâcheuse tendance à ne pas rester en place une fois sortie de sa gaine. Présentement, il en tenait la poignée sculptée à deux mains, ce qui expliquait tout naturellement qu’Antar l’elfe se soit sensiblement écarté de lui vers la droite (oui, oui, votre droite !)
Antar était un digne représentant de son espèce. Grand, svelte, élégamment mis, le visage fin et noble, le geste précis et aérien ajoutant à son raffinement, il n’en était pas moins un bretteur accompli.
Il portait une épée faite pour frapper d’estoc à ses côtés, un arc en bandoulière – sur lequel il s’appuyait présentement – avec le carquois de rigueur et deux yeux d’une clarté surnaturelle qui suggéraient qu’ en plus d’être un épéiste et un archer émérites, il était également versé dans la magie.
Ses longs cheveux bleus agités par une brise naissante se soulevaient souplement, exhibant une paire d’oreilles caractéristiques (que n’aurait pas renié l’illustre Sieur Spock.)
Debout près de lui, le mage Ordom en imposait lui aussi, mais pour d’autres raisons. Tout en lui exsudait la sagesse et l’expérience : son visage marqué enjolivé d’une longue barbe blanche, ses mains levées auréolées d’un pâle éclat bleuté ainsi que les robes colorées ornementées de signes cabalistiques dont il s’emmitouflait et qui claquaient au vent comme pour ajouter à l’impression de puissance qui se dégageait naturellement de lui.
Le dernier membre du groupe – et non le moindre – était l’incarnation de la féminité ( qui, il faut bien l’avouer, aurait cruellement manqué autrement !)
Elle s’appelait Omane. C’était une nymphe, recueillie quelques années plus tôt par Ordom qui avait su prendre grand soin d’elle. Elle avait d’ailleurs eu grande fortune à tomber entre ses mains, car nul autre qu’un mage de sa trempe n’eut pu résister à ses charmes, disons-le franchement : dévastateurs.
Elle se tenait présentement aux côtés de son protecteur dans une pause langoureuse qu’elle affectionnait et qui avait le pouvoir d’assécher les gosiers instantanément.
Sa jambe droite élégamment fléchie, son dos savoureusement cambré, sa poitrine voluptueusement dressée, son cou délicieusement relevé et ses bras sensuellement plongés jusqu’aux coudes dans les abondantes boucles blondes de ses cheveux avaient de quoi tarir tout un lac (à compter qu’un lac put être sensible à sa beauté. Mais en matière de séduction, rien n’est impossible à part peut-être embrasser un ogre au réveil.)
Elle ne portait pas de souliers, ignorant le sol glacé sous ses pieds (pointure 37) mais autour de ses jambes étaient lovés des bracelets d’or filigranés du plus bel effet.
Sa peau d’airain (des reins et du reste aussi !) était apparente à maints endroits, mais sans doute avait-elle suffisamment de moralité (ou était-elle suffisamment frileuse) pour couvrir ses rondeurs et ses parties les plus intimes (et intimidantes) de voiles brodés garnis d’orfèvrerie.
Qui est ce mystérieux personnage encapuchonné capable de déchaîner des puissances infernales ?
Les volutes crachées par les naseaux de son destrier peuvent-elles s’apparenter à une forme de graffiti ??
Nos valeureux héros, avec lesquels vous venez de faire connaissance, vont-ils affronter le mal ainsi incarné où leur présence n’est-elle due qu’à un besoin impérieux de se détendre à la montagne ???
Enfin la plus grande interrogation que vous vous posez sans doute : la blondeur et le bronzage d’Omane sont-ils naturels ????
Vous connaîtrez les réponses à ces questions (ou tout du moins une partie) dans le prochain épisode de cette nouvelle saga intitulé :
« La vengeance est un plat qui se mange Frôaa »
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15:28 | Lien permanent | Commentaires (1)
Dans ma Tête [Nouvelles/Humouroïd]
Je la dévorais des yeux depuis près d’un quart d’heure.
Un quart d’heure plus amer qu’américain. Elle m’ignorait totalement.
D’ordinaire, le poids de votre regard finit toujours par attirer l’attention de la personne observée. Le mien pesait apparemment aussi lourd qu’une plume. Ou alors feignait-elle de ne pas avoir remarqué l’intérêt que je lui manifestais pourtant ouvertement.
Mon ego me persuadait que la première hypothèse était la bonne. Par pur esprit de contradiction, mon intellect soutenait fermement la seconde.
Mon cœur, quant à lui, se foutait bien de l’un comme de l’autre, comme à son habitude. Il avait une faim de loup et cette fille faisait un petit chaperon rouge idéal.
Lorsque enfin, elle a reposé le journal qu’elle lisait depuis une éternité, ça été pour se jeter dans les bras d’un hidalgo au sourire racoleur qui m’envoya illico dans les cordes.
Le combat était terminé car perdu d’avance.
Je n’ai jamais eu l’âme d’un guerrier. D’un chevalier, peut-être.
Mais sans cheval, ni arme, ni armure, ma vaillance fait du surplace.
Comme souvent dans ces cas-là, la météo se mit subitement au diapason de mon humeur.
Quand je suis sorti de la bibliothèque, il pleuvait des cordes. Et autant vous dire, que c’était pas des cordes à piano. Celles qui me tombaient dessus auraient pu ligoter un troupeau de baleines. La ville a pris rapidement des allures de forteresse assiégée. Les gens se sont mis à courir et les voitures à arroser scrupuleusement les trottoirs sur lesquels je surfais tant bien que mal.
J’ai regagné ma propre voiture, trempé comme une soupe. Les croûtons en moins.
Il pleuvait comme vache qui pisse alors j’ai quitté le parking en ruminant mes plus sombres pensées.
Quand l’autre, là-haut, s’est décidé à fermer les vannes, je me suis vite rendu compte que j’avais fait fausse route. J’étais carrément sorti de la ville et je zonais sur une route de campagne baignée par une brume matinale qui avait dû faire la grasse mat’ vu qu’il était dix-huit heures passées.
La situation ne s’annonçait guère mieux.
Mes phares ont pris le relais de mes essuie-glaces pour tenter de m’offrir une vision convenable de mon chemin.
Peine perdue.
On n’y voyait encore moins que sous le déluge. Là, j’ai vraiment commencé à trouver que c’était une journée de merde et que c’était sans doute pour ça que j’avais préféré rendre les bouquins que j’avais pas pris le temps de lire plutôt que de rester sous la couette à rêvasser.
Et puis soudain, tout s’est éclairé. Comme si on avait truffé le coin de dizaines de super projecteurs et qu’on les avait tous allumés d’un coup.
Seulement les projecteurs en question avaient tous l’air d’éclairer d’en haut.
J’ai fermé les yeux, abruti, aveuglé par ce flot de lumière. On aurait dit qu’ils rejouaient « Rencontres du troisième type » au-dessus de moi. Seulement le type en question, là, c’était moi. Et comme je ne me souvenais pas avoir rencontré Spielberg récemment, j’ai commencé à me dire que ce serait vraiment raisonnable de flipper. Des effets spéciaux de cette qualité, on les rajoute rarement pendant le tournage.
Alors, là, oui, j’ai commencé à flipper.
Surtout, quand la radio s’est mise à chanter « Viva Las Vegas » du grand Elvis.
- Putain, me suis-je écrié, il est vraiment vivant !
Le King remettait ça. Un dernier concert en plein ciel et il fallait que je tombe dessus.
J’espère qu’ils n’allaient pas me refuser l’entrée sous prétexte que je n’avais pas de billet.
Mais là, je débloquais totalement. Malheureusement. Car la réalité était bien pire.
J’ai ouvert ma portière et je me suis rué dehors. A peine ai-je posé un pied au sol, que je me suis senti littéralement soulevé.
- Putain, me suis-je écrié. C’est moi, Superman !
Mais là encore, pure élucubration de ma part.
La vérité était beaucoup moins savoureuse.
J’ai perdu connaissance et quand j’ai ouvert les yeux, j’étais allongé sur une espèce de table et trois personnes me faisaient face. J’ai cru que j’avais eu un accident de voiture, que j’étais à l’hôpital et que ces trois charmantes personnes – que je ne distinguais pas encore très bien – étaient des médecins compétents et attentionnés.
Compétents et attentionnés, ils l’étaient certainement. Médecins, c’était encore chose possible. Mais humains…
Ils n’avaient pas de bouche, pas de cheveux, une tête un peu trop grosse, des yeux un peu trop petits. Mais après tout, personne n’est parfait.
J’aurais vraiment dû baliser à ce moment-là, car en juger par les instruments que tenaient les trois types, ils n’avaient pas que de bonnes intentions à mon égard.
« Vous croyez que ça a marché » ? a demandé le premier.
« Il est peut-être encore trop tôt pour le dire », a répondu le deuxième.
« Attendons qu’il reprenne ses esprits », a ajouté le troisième.
J’ai regardé les trois types avec insistance. Ils avaient parlé et pourtant ils n’avaient pas de bouche. En tout cas, rien d’approchant.
Peut-être qu’ils communiquaient par des moyens extra-sensoriels. Après tout, c’était des extra-terrestres !
« Faut que je me tire d’ici » ! me cria mon bon sens avec toute la bravoure qui le caractérisait.
Je me suis levé et au mépris du danger, j’ai fait mine de quitter la salle. J’ai jeté un coup d’œil vers mon comité d’accueil. Les types n’en revenaient pas. Evidemment, s’ils avaient crû m’avoir tué, c’était plutôt raté dans le genre. Je me sentais plutôt bien, mis à part ce léger bourdonnement dans ma tête.
Subitement, je les ai à nouveau entendus :
« D’habitude, ça prend combien de temps » ?
« C’est inquiétant. Peut-être est-ce un sujet plus résistant ».
« Saperlipopette, ça risque de lui donner un sérieux avantage ! C’est quand même dingue une capacité pareille» !
Je comprenais rien à leur charabia. Ils parlaient pourtant très bien français avec juste un léger accent grave.
Je n’avais peut-être pas envie de comprendre, tout simplement. Un peu comme quand j’étais au lycée. Sauf, que les trois profs, là, ils ne me voulaient pas que du bien.
J’avais presque atteint la sortie, lorsque j’ai entendu l’un d’eux balancer :
« Il faut l’arrêter ! Prévenez les gardes et faites sortir les chiens ! Il faut dire aux autres que l’opération a échoué. On n’entend pas ce qu’il pense. Il est imprévisible » !
Je n’ai pas vraiment pris le temps de cogiter là-dessus. Ca sentait vraiment trop le roussi pour moi. J’ai décampé. J’ai pris un couloir. Pas le temps d’admirer la déco. Je crois que les murs étaient plutôt blancs. Et en Béton.
En dehors de ça…
Deux types sont arrivés pour me bloquer le passage. Ils étaient armés de fusils dont la taille aurait fait flippé un troupeau de sangliers en rut.
En plus, ils l’avaient mauvaise. Le premier a dit :
« Pourvu qu’il me fasse pas courir, ce petit con de terrien. J’ai la jambe gauche en compote ».
Et le second a ajouté :
« Pourvu qu’il ne voit pas la porte à sa droite » !
C’est précisément à ce moment là – comme quoi des fois la nature est bien faite – que mon cerveau s’est remis à fonctionner. J’ai compris que si, moi, je pouvais entendre leurs pensées, eux étaient incapables de lire dans les miennes. Ils ne pouvaient pas me mentir, ni me cacher quoi que ce soit. Ils en étaient physiquement incapables. Moi, c’était une toute autre histoire. J’avais un super pouvoir à exercer contre eux : ma nature humaine. Et je n’allais pas m’en priver.
- Ok, les gars, je me rends. Vous pouvez baisser vos armes. J’ai carrément trop peur de vous.
Apparemment, ces deux abrutis n’étaient pas au courant de ma situation. Ils étaient convaincus de ce que je disais. Ils souriaient même. Les cons.
Je n’ai pas eu le temps de voir leur tronche lorsque j’ai ouvert la porte sur ma droite et que je me suis engouffré dans une nouvelle coursive. Mais elles m’auraient sans doute fait pisser de rire.
Manque de bol, je suis tombé dans une embuscade. Cinq types m’attendaient à l’autre bout. Ceux-là n’avaient pas de fusils, mais ce qu’ils osaient appeler des chiens. En réalité, de vraies gueules de requins sur pattes, bavant et grognant comme s’ils étaient enragés et qu’ils n’avaient pas bouffé depuis des semaines. Ce qui était sûrement le cas.
J’ai avancé un peu, en cherchant comment dans une telle situation je pouvais exploiter mon pouvoir. Alors les deux crétins de tout à l’heure sont arrivés dans mon dos en pointant leur canon sur moi. J’ai souri. Elvis était avec moi.
- Ok, les mecs, je suis vraiment foutu, là. Cette fois, je me rends. Je ne peux pas vous mentir, vous le savez très bien. Tout à l’heure, je ne sais pas ce qui m’a pris. Comme une envie de pisser. Vous savez ce que c’est. Ce genre de truc, c’est tout à fait… imprévisible !
Tandis que je leur vendais mes salades, les deux types se sont détendus.
De l’autre côté, les autres avec leurs chiens ont bien essayé de foutre la merde :
« Ne l’écoutez pas ! L’opération n’a pas marché ! Il peut vous surprendre » !
Mes deux lascars, heureusement pour moi, étaient sûrement végétariens. Car mes salades, ils les ont toutes avalées.
- C’est à quelle jambe que tu as mal déjà ? La gauche ?
L’intéressé a opiné et m’a souri avec une touchante sincérité. Comme si j’allais le soigner.
Pour le soigner, je l’ai soigné. J’ai sauté et je lui ai carrément pété la guibole. Il s’est vautré et son fusil à éléphant est retombé dans mes mains.
- Merci Elvis. T’es vraiment un dieu !
J’ai embrassé le canon de l’arme et j’ai visé l’autre type.
- Fais gaffe, je vais tirer dans la tête !
Evidemment il s’est baissé. Evidemment, je lui ai fait sauté la mâchoire d’un coup de genou.
J’ai repris le couloir que j’avais quitté précédemment et j’ai foncé.
Les autres n’étaient pas loin derrière moi. J’entendais les grondements de leurs chiens et leurs gueulantes à eux :
« Attention, il a un Mega-gun » !
Mon arme me plaisait déjà beaucoup, mais avec un nom pareil, elle en jetait encore plus.
« Lâchez les Sharkulls » !
Leurs bestioles ne me plaisaient déjà pas beaucoup, mais avec un nom pareil, elles me faisaient encore plus flipper.
Il était vraiment temps que je me fasse la malle de ce vaisseau.
J’ai repéré une porte sur ma droite. Elle était verrouillée. Ce devait être une salle importante. Il fallait donc que j’entre.
J’ai pris mon Mega-gun avec une évidente satisfaction et j’ai tiré. L’explosion m’a arraché les tympans et la balle, elle, a arraché la porte.
- Ouahou ! ai-je fait.
Quand j’ai pénétré dans la salle, j’ai vu que j’avais eu du nez. C’était une salle des machines. Et c’est de là notamment que venait le rayon tracteur qui m’avait amené à bord.
Mes poursuivants se rapprochaient.
« Il est dans la salle des machines ! S’il tire avec son Mega-gun, il va faire crasher le vaisseau » !
Putain, Elvis m’avait vraiment à la bonne, ce jour-là.
Après avoir inversé la fonction du rayon tracteur, j’ai canardé à tout va, histoire de partir en beauté. J’ai soulevé la grille d’accès. Au moment où je l’ai refermé, un affreux Sharkull – un sacré pléonasme ! – s’est jeté dessus. C’était moins une.
Le rayon m’a déposé au sol, puis levant la tête, j’ai vu le vaisseau partir en cacahuète.
J’ai eu la force de remonter dans ma voiture et après, c’est le trou noir.
Le lendemain, la tête encore farcie des images de mon aventure délirante, je me suis rendu à la bibliothèque. Mécaniquement. C’était le seul repère rassurant qui me restait. La fille était encore là. Celle-là même que j’avais dévisagée la veille pendant presque un quart d’heure.
Elle lisait le journal et à en juger par son expression, le contenu devait être de la plus haute importance. Histoire de partager quelque chose avec elle, j’ai pris un exemplaire qui traînait près de moi. Et là, en première page, j’ai lu un truc qui m’a fait dresser les cheveux sur la tête :
Un avion expérimental s’écrase.
Aucune perte humaine.
Le gouvernement nie farouchement la thèse de l’OVNI.
« Putain de merde » ! me suis-je dit. Ce n’était pas un rêve ! J’ai vraiment été dans ce vaisseau, j’ai vraiment vu ces types ! »
J’ai vu la fille se tourner vers moi comme si je l’avais appelée par son nom. Elle me regardait bizarrement. Même comme ça, elle était vraiment à tomber. « C’est de loin la plus belle fille que j’ai jamais vu », me suis-je dit avec une touchante sincérité.
Son expression a brusquement changé. Ses yeux se sont mis à briller et elle a souri comme un ange :
- C’est vrai ?
Je n’en croyais pas mes yeux ni mes oreilles. Elle se rendait enfin compte que j’existais. Elle faisait attention à moi. Elle me parlait.
Là, ma tête s’est mise à bourdonner. J’ai caressé ma tempe droite dans l’espoir de faire cesser la douleur naissante et c’est alors que mes doigts ont rencontré une anomalie. J’avais une cicatrice. Je ne me souvenais pas m’être cogné à ce point. J’ai définitivement abandonné cette hypothèse lorsque j’ai réalisé que la cicatrice en question faisait le tour de mon crâne. Alors, subitement, mon cerveau s’est remis à fonctionner.
Les types m’avaient opéré. Ils m’avaient implanté une espèce de haut-parleur qui par l’entremise de mes oreilles permettait aux gens de l’extérieur d’entendre mes pensées les plus intimes aussi facilement que j’avais pu entendre celles de mes kidnappeurs. L’opération n’avait pas foiré, loin de là. Le résultat s’était simplement fait attendre. Et désormais, il fallait que je me fasse une raison. Je n’avais plus de secrets pour personne. M’interdire de penser était impossible. Cela revenait à m’interdire de respirer.
Et je n’ai jamais été très bon en apnée.
- Quelle horreur !
La fille ne souriait plus du tout. Elle me dévisageait avec un air terrorisé.
Il fallait absolument que je dompte mes réflexions, sinon j’allais rapidement faire le vide autour de moi.
Dans le meilleur des cas.
Seulement, la situation m’était insupportable. Je me sentais comme une victime, un cobaye, un malade, un fou. Maudit. Condamné à perpétuité.
J’ai fait exploser ma colère :
- Bande d’enfoirés ! Qu’est-ce que vous m’avez fait ? Qu’est-ce qu…
Sur ces entrefaites, l’hidalgo est venu se planter à côté de ma dulcinée.
- Qu’est-ce qui se passe, chérie ? Ce type t’embête ?
Je regardais ce connard avec mépris. Il se croyait obligé de jouer les durs pour épater la galerie. Il aurait dû savoir que « C’est pas le moment de me faire chier » ! me suis-je dit avec un certain tact.
Les yeux de mon rival se sont agrandis et il a grimacé :
- Reste poli, enfoiré ou je vais t’…
Il n’a pas eu le temps de terminer sa phrase. Il a terminé dans la panse d’un Sharkull rescapé du crash de l’astronef. Blessé, il était encore plus gerbant.
Couverte du sang de son ex, la fille s’est mise à hurler, bientôt imitée par toute la salle. Comme dans un état second, d’un coup de pied, j’ai renversé une bibliothèque sur la bestiole, j’ai attrapé la pin-up par la taille et j’ai sorti mon Mega-gun de sous mon imper.
« Maintenant, ça va chier » !
Je ne sais plus trop si j’ai dit ou pensé cette réplique mûrement réfléchie, mais après tout, dans mon cas, cela ne faisait plus aucune différence.
Le Sharkull a explosé le meuble d’un coup de dents et s’est jeté sur moi.
J’ai alors prié très fort pour qu’Elvis ne soit pas loin.
T’as aimé…ou pas
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Polaroïd
Un détective privé de tout n’a plus rien à perdre à tout gagner.
Un soir.
Il est dix-neuf heures ou peut-être plus tard.
Le bureau de Marlow Edgar est plongé dans le noir.
Il fume un cigare.
C’est pas un Havane, mais chez lui le luxe se fait rare.
Ces temps-ci, il collectionne pas beaucoup les dollars.
Depuis des semaines, c’est café, cafard et idées noires.
Il est en quête d’enquêtes et son chômage l’inquiète.
Meurtres et mystères existent toujours, mais ils ne font plus escale chez lui.
Et lui, ça l’ennuie.
Il fait nuit.
Devant sa porte, une silhouette sculpturale apparaît comme par magie.
Dès qu’elle entre, son charme agit.
Elle est belle à souffrir, songe Edgar. Il aurait pu dire mourir, mais comparé à la souffrance, la mort c’est pas grand-chose finalement.
La mort, ça dure pas, c’est instantané.
La souffrance, c’est autre chose.
Et lorsque Edgar dévisage ce visage d’ange posé sur ce corps de déesse, il est comme en état d’ivresse, mais sait que sous les beaux atours de cette inconnue incongrue, son avenir lui réserve une sacrée série de péripéties.
Du genre de celles qui vous pourrissent la vie.
Edgar ne sait quoi dire, alors il soupire.
Alors la femme finit de dégainer tout son charme.
Elle fait battre ses cils de biche. Elle le fait si vite et si bien qu’on croirait des ailes de colibri. Geste bien appris.
Elle humecte sa bouche avec une sensualité exagérée, mais ça lui plaît.
Et elle le sait.
Elle fait voltiger sa chevelure souple et sombre, ombre de soie dans laquelle le regard du détective se noie. Son corps se mouvant lentement, l’émouvant silencieusement.
Sa robe échancrée laisse entrevoir le galbe parfait de ses jambes satinées à la lueur de sa vieille lampe bronzée.
Marlow déglutit. Cette femme sait faire monter le désir et l’envie.
Il sait qu’il doit s’en méfier, mais pourtant il se laisse prendre au jeu de ses grands yeux et en tombe amoureux.
Lorsque la voix de cristal brise net le silence, le détective sent ses soupçons faire leur baluchon.
- Bonjour, dit-elle d’une voix suave et glacée qui enflamme son âme.
Elle tend une main pâle, spectrale :
- Je m’appelle Crystal.
Ce nom achève de diffuser la passion dans le cœur fou d’Edgar dont les genoux se font mous.
- Kjvmlnrz, bredouille-t-il du mieux qu’il peut.
Il est ridicule, mais l’ignorant, il poursuit :
- ‘pelle Edgar, Edgar Marlow, fait sa voix pleine de trémolos.
Elle avance son jolis minois, effleure ses doigts en tapinois.
Et tandis qu’elle s’approche, Edgar conclut qu’elle est très loin d’être moche.
- Z’avez un problème, m’dame ?
Il se décontracte. Plus le moment de perdre ses moyens, la belle pouvant améliorer les siens.
Elle semble hésiter. La miss joue les actrices.
Elle sait très bien pourquoi elle est là.
Elle pose un index sur un coin de sa bouche.
Son geste fait mouche, puis elle accouche :
- Je crois que mon mari me trompe.
Edgar pique un fard. Des souvenirs affluent du fond de sa mémoire.
Ca lui rappelle sa propre histoire. Sûrement pas un hasard.
Si sa vie manque sérieusement de piment en ce moment, c’est qu’il n’y a pas si longtemps, sa propre femme, Greta, l’a soupçonné d’infidélité et lui a claqué la porte au nez.
Etre volage a son âge ! Enfin.
Il a bien contesté, mais Madame s’est entêtée, lui faisant la promesse de prouver un beau jour son indélicatesse.
Il a prêté serment, mais elle est sûre qu’il ment.
Depuis, il s’entraîne à oublier ses sentiments.
Justement la dénommée Crystal est tout ce qu’il lui manquait pour parvenir à cette fin.
Qu’elle soit mariée n’est pas véritablement une très bonne nouvelle.
Qu’elle soupçonne son mari d’aller voir ailleurs en est une bien meilleure.
Il la considère d’un nouvel œil lorsqu’elle entrouvre son porte-feuille.
Voilà une affaire en or. Sa patience a fini par payer.
Il extrapole, se met à espérer.
Il se voit finir au bras de la pépé, son mari rayé de sa vie, avec en poche le plein de dollars et plus de misères.
Il prend l’argent qu’elle lui tend et jure sur son honneur d’homme qu’il mettra la vérité à nu.
Elle le regarde, sa bouche se tord :
- J’espère connaître le même sort.
Le cœur d’Edgar bat à cent à l’heure, sa pomme d’Adam fait l’ascenseur.
Il la regarde s’éloigner sans un mot.
Pour lui, rien n’est plus beau.
Lorsqu’elle ferme la porte, son absence l’insupporte, mais comme pour le consoler, son parfum parfait vient l’enivrer et l’emmitoufle.
Il devient une main dans un moufle.
- C’est fou ce qu’elle sent bon, la lady.
Il secoue la tête et repense à ce qu’elle a dit.
Y a du pain sur la planche. Finies les vacances.
Edgar s’étire, se sent redevenir leste. Fini de faire la sieste.
Il fouille dans les placards, ouvre une tonne de tiroirs et finit par trouver son bonheur vers une heure.
Un appareil photo. C’est tout ce qu’il lui faut.
Le crachin crépite, rendant les trottoirs humides brillants comme des pépites.
Edgar Marlow observe une devanture, à l’abri dans sa voiture.
Il jure, crache injure sur injure.
Il est en train d’épier le mari sorti depuis midi alors qu’il pourrait savourer la compagnie de sa nouvelle amie.
La merveilleuse Crystal.
Rien que de songer à elle, son cœur s’emballe.
Il se résigne. Avant tout, il doit se montrer digne.
Il la chasse de sa tête et se concentre sur son enquête.
Une voix jaillit à six heures :
- Salut Edgar le looser !
Le détective connaît cette voix. Il se retourne et contemple, assis à l’arrière, un homme sec dans un costume impec.
Perdu dans ses pensées, il ne l’a pas entendu entrer.
- Roger le Rapide !
Vieille connaissance de Marlow. C’est vraiment pas de pot.
Le type n’a ni sa langue dans sa poche, ni le cœur sur la main.
Et surtout, il a la gâchette facile.
Comme pour le rappeler à Edgar, le filou dégaine un vieux revolver qui a du faire les deux guerres.
- On va faire un tour et c’est pas une invitation.
Edgar tempête intérieurement. Manquait plus que ça !
Décidément, rien n’est jamais acquis d’avance.
Se faire trouer la peau alors que sa belle l’attend, c’est trop !
Problème.
Le privé est privé d’arme. Il n’a que son appareil photo.
Un polaroïd.
Il le dégaine et tire à bout portant.
Le flash aveugle Roger.
Edgar s’empare de son silencieux et le fait taire à jamais d’une balle dans le buffet.
Plus de problème.
L e détective sourit en dévisageant le cadavre.
Juste comme il se retourne, il aperçoit une femme se jeter au cou du mari de Crystal.
Il sourit derechef et tire à nouveau.
Avec son appareil photo.
Le soir.
Il est dix-neuf heures ou peut-être plus tard.
Le bureau de Marlow Edgar est plongé dans le noir.
Le détective pousse la porte.
La joie le transporte.
Les clichés compromettants sont dans sa poche et l’heure d’arrivée de sa dulcinée approche.
Il s’arrête à son bureau. Sa main tâtonne sur le plateau.
Trouvant l’interrupteur, il l’actionne.
La lampe bronzée diffuse sa lumière familière et éclaire le visage radieux de Crystal sise à sa place.
Entre ses doigts délicats elle tient un cigare.
Elle l’allume et le tend à Edgar.
- A notre victoire !
Une bouteille trône sur le plateau.
C’est du vin cuit, mais c’est un très grand crû.
Edgar n’en croit pas ses yeux. Les dieux ont exaucé ses vœux.
Crystal sourit et se lève.
D’un geste expert son manteau elle enlève.
Elle porte une robe au décolleté étudié.
Il se recule. La peur soudain l’accule.
Avec une souplesse inédite, elle s’assoit sur le bureau et l’invite :
- Je suis à toi, désormais !
Le regard d’Edgar s’égare.
Dans sa tête résonne le rugissement d’une lionne.
Son cœur s’affole. A sa chemise sa peau se colle.
Il avance dans un état second et se penche, baigné d’émotions.
Leurs mains épousent leurs joues.
De la pudeur leur amour se joue.
Leurs lèvres se caressent, découvrent la tendresse.
Leurs bouches se touchent et d’un baiser accouchent.
Ce baiser ! Il semble à Edgar si familier.
Il se recule. Derechef, la peur l’accule. Il est incrédule.
Telle une tigresse, Crystal se redresse.
D’un geste brusque, elle arrache sa perruque et découvre une chevelure mordorée. D’un autre, elle éponge le savant maquillage qui a transformé ses traits.
C’est une autre femme qui dévisage à présent le détective éberlué :
- Je t’avais dit que je prouverai ton infidélité !
Les yeux d’Edgar s’écarquillent. Il vacille.
- Greta !
Et c’est la chute.
Terrassé par l’émotion, il t
- Merde, s’exclame Holly Wood. Le ruban est mort !
La romancière invective vertement sa machine à écrire pour le moins vétuste.
Et pour couronner le tout, Roger, l’insupportable perroquet de son mari, se met à répéter ses dires.
Holly n’a plus beaucoup de temps pour boucler son histoire.
Et sa maison d’édition lui met la pression.
Elle sourit. Peu importe.
Ce n’est pas la première fois. Elle sait qu’elle a du talent et son patron le sait aussi.
- Alors chérit, ça avance ?
Edgar Wood s’installe dans le canapé.
Il pose son cigare dans le cendrier et déplie son journal.
- On ne peut mieux. Tu n’imagines pas à quel point je suis inspirée.
Holly Wood défait sa somptueuse chevelure mordorée qui ondoie et dans laquelle le regard d’Edgar ne se noie plus depuis longtemps.
Trop longtemps.
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15:12 | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : nouvelle, histoire, prose poétique, polar, humour
L'Eternité contre le Néant
Le temps est un corridor fermé que l’être humain arpente de long en large en croyant qu’il est infini.
- Seiko -
PROLOGUE
Il était 8h43. Noel Milkawn descendait l’escalier menant au bas du talus lorsqu’il vit l’homme jeter quelque chose à travers l’une des fenêtres de sa propriété. Son sang ne fit qu’un tour et il se lança à la poursuite du vandale. Il l’avait presque rejoint lorsque l’explosion les jeta tous deux au sol. Noel se redressa sur un bras et frissonna à la vue du trou béant qui avait constitué sa chambre dans un passé encore récent. L’instant d’après, il fusillait du regard le terroriste qui menaçait de lui échapper. D’un bond, il se jeta sur lui. L’autre le regarda comme s’il venait de voir un fantôme. Ils luttèrent, leurs poings frappant confusément tout ce qui se trouvait à leur portée. Noel se sentit soulevé du sol et il traversa la porte-fenêtre du salon. A demi groggy, il vint s’affaisser contre un secrétaire. Ses yeux s’écarquillèrent comme si une idée l’avait soudainement frappé. Sa main droite glissa vers l’un des tiroirs au moment où son agresseur s’écrasa sur lui. Des mains se nouèrent autour de sa gorge et il sut dès lors qu’il n’aurait pas le choix. D’une main, il tenta de repousser son adversaire, de l’autre, il ouvrit le tiroir. Il plongea ses doigts avides à l’intérieur, mais sa fouille se solda par un échec. Proche de l’asphyxie, son instinct de survie lui ordonna d’improviser. Alors d’un coup de tiroir, il assomma le tueur qui s’écroula lourdement.
Noel se redressa, exténué, la gorge endolorie. Mais qui pouvait bien être ce type pour lui en vouloir à ce point ? Il avait bien quelques ennemis et des détracteurs désireux de le voir en fâcheuse posture. Mais de là à vouloir l’éliminer chez lui et de manière aussi radicale…
Il s’avança vers son agresseur inerte et entreprit une fouille au corps minutieuse. Il trouva ses papiers et apprit qu’il se nommait Miguel Darras.
Evidemment c’était peut-être un nom d’emprunt. Il perçut un mouvement sur sa droite. Un homme élégant le mettait en joue. Il eut le temps de reconnaître le revolver caché habituellement dans son secrétaire avant que la détonation n’éclate.
PREMIERE PARTIE
Leon Wilkman ouvrit les yeux en soupirant bruyamment. L’incroyable intensité du rêve lui martelait le crâne. Epuisé – alors qu’il avait dormi huit heures d’affilée – il s’assit sur son lit en essayant douloureusement de regagner le présent calme et confortable de son existence. Une sonnerie retentit. Il fixa son réveil avant de se persuader que le bruit venait d’ailleurs. Il enfila un pantalon de pyjama et une chemise assortie. En sortant de la chambre, son regard caressa le sabre de collection, véritable antiquité, accroché au-dessus de la porte. Cet objet, lorsqu’il le contemplait, avait le don de l’apaiser. C’était donc devenu une sorte de rituel pour lui.
Un sourire aux lèvres, il se rendit dans le hall. Il pressa une commande sur le mur et la porte d’entrée devint transparente. Un homme en uniforme bleu et gris se tenait devant lui. Il portait un paquet anonyme sous le bras.
Leon vérifia son haleine et haussa les épaules avant d’ouvrir la porte.
L’employé lui dédicaça son sourire le plus vendeur.
- Bonjour Monsieur. Vous êtes bien Leon Wilkman ?
L’intéressé jaugea le paquet du regard en essayant d’imaginer ce qu’il pouvait contenir. Mais son cerveau de mercenaire retraité faisait le piquet de grève.
Il acquiesça.
Le facteur lui tendit un registre.
- J’ai un colis pour vous. Signez juste ici.
Leon ne sut pas pourquoi, mais il avait la conviction qu’il lui fallait gagner du temps.
- Un instant, s’il vous plaît. Je vais chercher mes lunettes. J’y vois rien sans mes lunettes.
Il s’éloigna et se dirigea vers le secrétaire.
« J’ai pas de lunettes, se dit-il. Pourquoi j’ai dit un truc pareil ? »
Le facteur pressa une main sur son oreille droite.
- Est-ce qu’il portait des lunettes ? murmura-t-il à un interlocuteur invisible. Réponds, ça urge. Il n’a pas l’air dans son assiette. Je veux un oui ou un non, c’est tout. Est-ce que dans ton rêve il portait des lunettes ?
- Je suis désolé, dit Leon en regardant autour de lui. Je ne sais plus où je les ai rangées.
L’employé redressa la tête en lui balançant son sourire de commercial.
« Ce n’est qu’un postier, songea Leon. Pourquoi je me méfie autant de lui ? C’est peut-être son sourire. On dirait qu’il veut me vendre quelque chose sans me le dire. Comme ces colporteurs du dimanche. C’est complètement insensé ! »
Le postier secoua la tête et lui fit signe de la main.
- Monsieur Wilkman. J’ai juste besoin d’une signature, vous savez. Vous n’avez pas besoin…
Leon revint sur ses pas.
- Vous avez raison. Ca n’en vaut vraiment pas la peine. Excusez-moi, vous m’avez tiré du lit et…
Leon prit le stylo et parapha l’endroit désigné.
L’employé lui remit le colis.
- Et voilà pour vous. Bonne journée, Monsieur Wilkman.
Leon l’observa monter l’escalier menant en haut du talus où l’attendait sa camionnette. Puis il reporta son attention sur le mystérieux paquet.
Il l’agita, mais n’entendit aucun bruit distinctif.
Il l’avait presque rejoint lorsque l’explosion les jeta tous deux au sol.
Leon frissonna. Il venait d’avoir un terrible pressentiment. C’était un piège.
Il regarda le facteur monter dans son véhicule.
L’instant d’après, il fusillait du regard le terroriste qui menaçait de lui échapper. Son sang ne fit qu’un tour et il se lança à la poursuite du vandale.
Comme dans un état second, Leon courut jusqu’au bas du talus.
L’employé mit le contact. Il adressa un dernier regard à la maison de Leon Wilkman. Et eut le souffle coupé en le voyant lui balancer le colis qu’il venait de lui remettre.
- L’enfoiré !
Le facteur éjecta la portière au moyen d’une commande et bondit hors de l’habitacle. Alors qu’il dévalait la pente, la camionnette disparut dans une explosion tonitruante.
- L’enfoiré ! éructa Leon.
Il regagna le hall et tenta de reprendre ses esprits. Son regard s’attarda sur le secrétaire. Il ouvrit un tiroir et plongea une main à l’intérieur.
…et il sut dès lors qu’il n’aurait pas le choix.
- C’est cela que vous cherchez sans doute.
Leon se retourna, stupéfait.
Un homme élégant lui faisait face. Il pointait un revolver sur lui. Son revolver.
Le postier arriva sur ces entrefaites. Son uniforme était pitoyable et lui-même faisait peine à voir.
- Putain, il a failli m’avoir !
L’homme élégant lui sourit.
- Les risques du métier, mon cher samuel.
Leon les dévisagea tour à tour. Une rencontre du troisième type lui aurait paru moins incongrue que cette embuscade matinale complètement surréaliste.
- Qui êtes-vous ? Qu’est-ce que vous me voulez ?
L’homme élégant semblait s’amuser de la situation.
- Je n’ai malheureusement pas encore toutes les réponses. Mais je suis plutôt en bonne voie. On est dans le même bain, mon cher Leon. Ou devrais-je plutôt dire Monsieur Noel Milkawn.
Leon se prit la tête à deux mains. Son crâne se prenait pour une cocotte-minute. Une terrible sensation de déjà-vu le parcourut de long en large.
Sally Redfield n’était pas loin. Elle avait entendu l’explosion. Si Noel était mort, ils le paieraient très cher. Elle regarda à travers la porte-fenêtre. Lorsqu’elle vit le tueur tirer sur son associé, son cœur cessa de battre aussi.
Quelque chose traversa un carreau et une seconde plus tard la pièce était noyée dans un nuage de fumée impénétrable. Une main à la fois douce et ferme s’empara de celle de Leon qui se laissa entraîner par cet ange providentiel.
Quand il rouvrit les yeux, il était assis dans une conduite intérieure. A ses côtés, une rousse au visage fermé tenait le volant entre ses mains comme elle tenait leurs vies.
- Allys Freddeil ! Mais qu’est-ce que tu fous là ? Je comprends rien à ce qui se passe !
La jeune femme resta concentrée sur sa conduite.
- J’avoue que j’ai moi-même un peu de mal à tout saisir. Mais dans les grandes lignes… Disons pour faire court qu’on a la mort aux trousses et que ce n’est pas la première fois. Si tu as échappé à l’explosion, tu dois savoir de quoi je parle.
Leon fit un effort pour ne pas la décevoir.
- Ce rêve ! J’ai la sensation que tout est lié à ce rêve que j’ai fait.
- Ce n’est pas un rêve, dit Allys.
La voiture fit une embardée. Une volée de klaxons accompagna sa trajectoire.
Les yeux de Leon la supplièrent de lui expliquer.
Elle ne se fit pas trop prier.
- Ces quatre enfoirés veulent notre peau. Je n’ai pas encore trouvé la raison, mais j’y travaille d’arrache-pied. Ce que je sais, c’est qu’ils ne sont pas à leur coup d’essai. La dernière fois, je suis arrivée trop tard. Mais cette fois…
Le cerveau de Leon manifesta le désir de vouloir revenir au boulot.
- Tu veux dire qu’ils ont déjà essayé dans le passé ?
Allys se tourna vers lui en lui adressant son plus beau sourire.
- Si c’était aussi simple, mon chou !
Quand elle l’appelait comme ça, c’était rarement pour le rassurer.
Ils étaient vraiment dans la merde, seulement Leon ignorait dans quelle genre de merde ils pataugeaient et ça, ça avait le don de la rendre encore plus merdique.
Sur ces entrefaites, son cerveau revint prendre son poste.
- Dis-moi, tu as bien dit « quatre enfoirés » tout à l’heure ? Où sont les deux autres ?
La lunette arrière se désintégra, rapidement imitée par la sérénité de Leon.
- Putain de merde !
Allys se fendit d’un nouveau sourire.
- J’ai bien dit quatre, mon chou !
Elle orienta son rétroviseur au moyen d’une commande et l’image de leurs poursuivants apparut sur le pare-brise : une conduite comme la leur avec à son bord deux hommes en complet-veston dont l’un arborait une arme d’un acabit plutôt édifiant.
Leon déglutit.
- J’imagine que tu ne comptes pas les semer.
En guise de réponse, elle pressa une commande. Un compartiment s’ouvrit entre elle et lui et la crosse métallisée d’une arme à feu s’érigea.
Leon s’en empara machinalement.
- Je suppose que ça veut dire non.
Puis il lorgna du côté de sa portière.
- J’imagine qu’ensuite tu vas me propulser au dehors au moyen d’un de tes gadgets et que je vais devoir me faire un plaisir d’arroser ces deux lascars.
A nouveau ce sourire délicieux qui chez Allys annonçait rarement une bonne nouvelle.
La portière s’escamota et le siège de Leon se télescopa à l’extérieur, au milieu d’une enfilade de véhicules et de ricochets de balles sifflantes.
- Bordel de…
Il sut qu’il n’avait pas beaucoup le choix s’il voulait que ce cauchemar se termine rapidement. Il lui fallait faire feu de tout bois. Ca tombait bien, il avait entre les mains une bûche du feu de Dieu.
Le fusil mitrailleur vomit un geyser de métal hurlant sur la conduite des malfrats.
Tant et si bien que le véhicule se transforma en puzzle 3D. Ses propriétaires avec.
Allys siffla son admiration.
- Tu n’as pas perdu la main, dis-moi !
Leon la fusilla du regard avant de pointer son arme sur elle.
Elle pressa la commande et son partenaire réintégra instantanément l’habitacle.
- Tu veux autre chose, mon chou ?
Leon replaça l’arme dans son logement.
- Oui. Je veux prendre mon petit-déjeuner et mettre des vêtements décents.
Puis son visage devint cramoisi.
- Et arrête-moi cette foutue bagnole !
Elle lui avait sauvé la vie. Cela ne la rendait que plus séduisante.
Il la regarda dormir et eut soudain très envie de dormir à ses côtés.
Il s’allongea près d’elle. Cherchant sa main, il trouva son poignet qu’il caressa tendrement. Un frémissement lui apprit qu’elle était réveillée. Un soupir lui fit comprendre qu’elle ne souhaitait pas qu’il s’arrête.
Le motel s’appelait « Au Bonheur des Ames ». Et cette nuit-là, il ne déméritait nullement son enseigne.
Ulrich secoua l’épaule de Samuel.
- Réveille-toi, il faut qu’on y aille.
Samuel étouffa un bâillement.
- Mais où ? Steve et Mario ne donnent plus signes de vie. On n’a aucun indice sur l’endroit où ils sont allés.
Ulrich démarra la conduite.
- Maintenant si.
Ses yeux sourirent.
- Je sais où ils vont dormir cette nuit.
Samuel scruta son mentor.
- Il va se passer quelque chose cette nuit ?
L’interrogé fit ronronner le moteur.
- Pas si on l’empêche.
Tandis qu’il l’enserrait sans crainte de l’étouffer, elle sentit la vie se répandre en elle. Elle sut dès lors que cette nuit annonçait pour eux un futur empli de félicité.
Allys se réveilla. Encore un de ces rêves étranges.
Elle regarda le cadran de sa montre. 13h09. Ils avaient roulé toute la matinée.
Elle regarda Leon installé au volant. Il avait beau avoir une coupe affreuse et un pyjama ridicule, elle ne pouvait s’empêcher de le trouver à son goût. Elle regrettait de l’avoir laissé si longtemps sans nouvelle. Il ne méritait pas son indifférence. Mais c’était peut-être justement cela même qui l’avait incitée à laisser le temps les séparer. Elle n’était que trop consciente de l’effort constant qu’elle faisait pour continuer à le considérer comme un associé. Et seulement comme tel.
Leon lui dédia un regard qui fit fondre sa résolution.
- Bien dormi, mon chou ?
Elle sourit. Sa gouaille légendaire faisait la grasse mat’. Elle laissa un silence s’installer, puis demanda comme pour le rompre :
- Tu sais où tu nous conduis ?
- J’espérais que tu me le dirais. Tu n’aurais pas eu une de ces fameuses visions qui nous assaillent en ce moment ?
Elle rougit en repensant au contenu de son rêve. Elle espéra qu’il ne l’avait pas remarqué.
- Ca te dit quelque chose « Au Bonheur des Ames ? »
Le cerveau de Leon se plia en quatre. Mais comme il manquait de souplesse…
- On dirait le titre d’un bouquin.
- C’est un motel. Plus loin. A l’ouest.
Leon acquiesça.
- Tu y es déjà allé ?
Nouveau rougissement.
- Oui. Et toi aussi.
Il inspira profondément.
- Tu ne peux toujours pas m’expliquer ce qui nous arrive ? Je suis un grand garçon, tu sais. Je sais faire preuve d’imagination.
Elle le dévisagea abruptement.
- Est-ce que tu aurais le courage d’accepter l’idée que d’une certaine manière nous avons déjà vécu cette vie ainsi que tous ces évènements avec lesquels nous nous sentons si familiers ?
- Tu veux parler de réincarnation ?
Allys se recroquevilla sur son siège comme une enfant.
- Je veux parler d’un concept beaucoup moins répandu. Celui du temps orthogonal.
Le silence de Leon lui conseilla vivement de rentrer dans les détails.
- Une sorte de réalité alternative, de présent parallèle.
Leon esquissa une grimace. Cela pouvait évidemment expliquer pas mal de choses. A commencer par ses rêves, ses pressentiments et ses impressions de déjà-vu. Ce qui n’était pas spécialement fait pour le réconforter. L’ignorance était parfois tellement plus confortable.
Leon se mit à penser à voix haute.
- Ces hommes qui veulent nous tuer, nous les avons déjà rencontrés et nous leur avons déjà échappés. Qu’est-ce que c’est ? Un gag de répétition ? Dieu s’est offert une photocopieuse et s’amuse avec comme un gamin avec un nouveau jouet ?!!
Deux détails lui revinrent en mémoire.
- L’un de mes agresseurs de ce matin, il savait où je planquais mon revolver. Et il m’a appelé par un autre nom…
Allys opinait du chef comme si les informations qu’il lui transmettait venaient conforter sa vision des choses.
D’un haussement de sourcils, Leon l’invita à s’exprimer. Elle s’exécuta :
- Pour employer une image plus parlante, disons qu’au moment où nous parlons il existe un autre exemplaire de nous auquel nous sommes indubitablement connectés. Ce que nous avons initialement pris pour des rêves sont vraisemblablement les bribes d’une autre vie que ces doublent mènent à notre insu en dehors de la réalité que nous connaissons.
Leon fit l’effort notable de digérer les révélations sans broncher. Mais cela lui fit l’effet de recevoir un parpaing sur le crâne. Et sans anesthésie locale.
- Si je comprends bien ta logique, cela signifie que ces autres exemplaires rêvent probablement de nous eux aussi. Peut-être même sont-ils en train de rêver de nous en ce moment même.
Leon commençait à se prendre au jeu, malgré lui. Les possibilités qu’impliquait une telle théorie le fascinaient autant qu’elles le terrorisaient.
- Oui. Peut-être rêvent-ils de nous en train de parler d’eux. Il y a de quoi devenir dingue.
- Je ne te le fais pas dire, dit Allys. C’est le problème avec la connaissance et la vérité en générale. Elles ont une sérieuse tendance à nous dépasser.
Leon médita en silence sur ce qui venait d’être dit avant de déclarer :
- Reprends le volant, s’il te plaît. J’ai besoin de me reposer le cerveau.
- A tes ordres, mon chou.
Alors qu’elle actionnait une commande, il grimaça :
- Je déteste ça.
Elle jubila.
- Moi, j’adore.
Le siège de Leon coulissa brusquement en arrière - permettant à celui de sa partenaire d’intégrer le poste de pilotage – puis il subit un virage de quatre-vingt dix degrés pour venir occuper l’espace réservé au passager.
- Et si nous échouons ? s’enquit Samuel. Que se passera-t-il ?
Ulrich Sand crispa ses mains sur le volant.
- Je préfère imaginer le pire.
- Mais si comme nous le pensons, ces rêves que tu fais ne sont pas des prémonitions, pourquoi leur faire confiance ? Pourquoi aller dans leur sens ?
Ulrich soupira.
- Ecoute, j’ignore pourquoi mon inconscient me dicte toutes ces choses, mais ce que je sais c’est que nous devons aller jusqu’au bout. Je n’ai jamais tué personne, et pourtant je peux te jurer que je ne serai pas tranquille tant que je n’aurai pas vu leurs cadavres de mes yeux. L’enjeu est trop important. Je le ressens au plus profond de moi. C’est une croyance qui dépasse tout ce en quoi j’ai pu croire jusqu’à présent.
Leon ouvrit les yeux. Il avait la bouche pâteuse et la tête en compote.
- Je peux savoir de quoi tu as rêvé tout à l’heure ?
Allys crispa ses mains sur le volant en repensant à son rêve.
- Qui t’as dit que j’avais rêvé ?
Leon se fendit d’un sourire.
- Comme par hasard, dès que tu te réveilles, tu sais très exactement où nous sommes censés aller.
Allys vit bien qu’elle ne pourrait pas le mener en bateau.
- Ok, j’ai rêvé. J’ai rêvé du motel.
Leon n’en finissait pas de sourire.
- Mais je suis certain que tu as rêvé d’autre chose, n’est-ce pas ?
Allys était gênée au plus haut point et elle ne fut capable d’émettre qu’un silence en guise de réponse.
Leon jubila.
- Tu as rêvé que nous faisions l’amour, hein, mon petit chou ?
Allys se tourna vers lui, furibonde.
- Espèce de… Sous prétexte que tu viens de faire le même rêve que moi, cela ne t’autorise pas à jouer avec mes sentiments! Petit con !
- Attention !
Allys tourna le volant à temps, évitant de justesse le pois lourd venant dans l’autre sens.
Tandis que Leon s’entretenait avec le réceptionniste, Allys jeta un coup d’œil au cadran de sa montre. 17h56. Ils avaient bien roulé. C’était étrange. Elle avait le sentiment qu’on lui avait donné rendez-vous ici. Et qu’elle était sur le point de faire une rencontre primordiale. Elle était inexplicablement tendue.
- Combien pour deux chambres ? s’enquit Leon.
- Navré, monsieur, il ne nous en reste plus qu’une seule. La sept.
Leon sourit malgré lui.
- Elle a deux lits ?
L’employé secoua la tête.
- Pourquoi tu fais la grimace ? s’emporta Leon en s’asseyant sur le lit. On aurait très bien pu aller ailleurs. Je suis certain qu’il y a des dizaines d’autres établissements dans le coin qui ont des tas de chambres libres. C’est toi qui as insisté pour qu’on reste ici.
Allys tournait comme un lion en cage. Elle se rongeait les ongles.
- Je sais, je sais. Mais c’est plus fort que moi. J’ai l’impression que c’est ce qu’il faut faire.
Leon avait de la peine de la voir dans cet état, elle qui, d’habitude, était si sereine. Il se leva et lui empoigna les bras :
- Si ces visions ne sont pas des prémonitions, pourquoi les respecter à la lettre ? Pourquoi ne pas suivre un autre chemin ?
Allys le dévisagea avec gravité. Tant qu’il en fut troublé. Elle se libéra et s’assit sur le lit en se recroquevillant comme une enfant.
Leon s’assit à côté d’elle. Ni trop près, ni trop loin. Allys avait besoin de réconfort. Il n’était pas maître en la matière, d’autant que la situation ne s’était jamais présentée.
- Tu crois que nous sommes les seuls à ressentir cela ? Tu crois que tous les êtres humains sur cette terre ont des doubles aussi dont ils ignorent l’existence et qui pourtant influencent leur destinée ?
Allys se tourna vers lui. A son sourire, il comprit qu’il ne s’en était pas trop mal tiré.
- Prends-moi dans tes bras.
Leon n’avait plus du tout envie de rire. Lui aussi avait rêvé qu’ils faisaient l’amour. Et en dépit des apparences, il était au moins aussi désemparé qu’elle à l’idée que cela puisse se produire.
- Pourquoi veulent-ils nous tuer ? Nous sommes des personnes honnêtes, bienveillantes.
Au son de sa voix, Leon devina qu’Allys s’efforçait de ne pas pleurer. Elle était en train de craquer. Il lui caressa les cheveux.
Samuel Girard jeta un coup d’œil à l’horloge de bord.
18h36.
- Tu veux que je prenne le volant ? Tu as conduit toute la journée. Tu dois être crevé.
Ulrich Sand s’aperçut que ses yeux se fermaient. Il secoua la tête.
- Non, ça va. Je vais bien.
- Tu as peur de faire de nouveaux rêves ? Ca nous aiderait pourtant à y voir plus clair. Tu sais ce qui nous attend si nous allons jusqu’au terme de cette histoire.
Ulrich se tourna vers son associé. Toute trace de fatigue avait soudainement déserté son visage.
- Je sais ce qui nous attend si nous n’y allons pas.
Leon était installé au bureau dont était nanti la chambre. Allys s’était endormie sur le lit toute habillée. Lui était toujours en pyjama. A présent, il s’en amusait. Sur un morceau de papier, il avait écrit :
Noel Milkon Noel Milkaun Noel Milkawn = Leon Wilkman
Il sourit.
- Un anagramme!
Puis il commença à rire nerveusement.
« Je ne sais pas qui fait les règles du jeu, mais en tout cas, il doit bien se marrer cet enfoiré! »
Allys gémit et se tourna. Leon l’observa.
Elle lui avait sauvé la vie. Cela ne la rendait que plus séduisante.
Il la regarda dormir et eut soudain très envie de dormir à ses côtés.
Il s’allongea près d’elle. Cherchant sa main, il trouva son poignet qu’il caressa tendrement. Un frémissement lui apprit qu’elle était réveillée. Un soupir lui fit comprendre qu’elle ne souhaitait pas qu’il s’arrête.
Le motel s’appelait « Au Bonheur des Ames ». Et cette nuit-là, il ne déméritait nullement son enseigne.
Ulrich arrêta la voiture et vérifia le chargeur du revolver.
Il prit une profonde inspiration.
Samuel le fixa.
- Il n’a peut-être pas écouté ses rêves comme tu l’as fait. Ils ne sont peut-être pas dans le motel.
Ulrich observait la façade de l’établissement.
- C’est bizarre. Il y a une faute d’orthographe au nom de l’enseigne.
- Tu as entendu ce que je t’ai dit ? s’emporta Samuel.
Ulrich le scruta avec une froide détermination.
- Il a évité la bombe. Crois-moi, ils sont dans le motel.
Il sortit de la conduite.
Leon s’arc-bouta pour embrasser Allys et transmettre dans ce baiser toute la force de son amour.
Et tandis qu’il l’enserrait sans crainte de l’étouffer, elle sentit la vie se répandre en elle. Elle sut dès lors que cette nuit annonçait pour eux un futur empli de félicité.
Ulrich et Samuel s’arrêtèrent devant la porte de la chambre numéro sept.
Ulrich vérifia son arme pour la énième fois. Il dévisagea son partenaire et lui transmit toute sa résolution dans un simple regard.
D’un coup d’épaule, il ouvrit la porte et les deux hommes se ruèrent dans la pièce plongée dans l’obscurité. Le couple se dressa sur le lit. Ulrich fit feu sans hésiter. Il vida le chargeur entier.
- Allume !
Samuel trouva le commutateur et l’actionna.
Les draps étaient imbibés de sang. Un vrai carnage.
Ulrich s’approcha des corps. Lorsqu’il les identifia, il se laissa tomber à genoux.
Samuel le rejoignit.
- Oh, mon dieu !
Occupé à contempler les corps exsangues des deux homosexuels, Samuel ne vit pas Ulrich pointer son arme sur sa tempe.
Un coup de feu éclata tandis qu’à l’extérieur, la vieille enseigne du « Rue des Bons Hameau » grinçait dans la tempête naissante.
- Maudit ! Tu as triché ! Tu as changé le nom de l’enseigne !
Le Sombre Adversaire scruta sereinement le Grand Programmateur qui venait de l’invectiver.
- Je n’ai fait que changer l’ordre des lettres. C’est tout à fait réglementaire, mon cher. Et puis, de toute manière, je n’ai pas l’apanage de la fourberie, il me semble. En d’autres temps, tu n’as toi-même pas hésité à l’employer afin de l’emporter. Car tout comme moi, tu sais très bien que si nous jouions seulement selon les règles, la partie ne serait pas aussi passionnante, pas aussi incertaine et durable. Car ne me dis pas que tu n’y as jamais songé : si le jeu fait de nous ce que nous sommes, que deviendrions-nous s’il devait s’arrêter ? Notre existence pourrait-elle se poursuivre ? Nous n’en savons absolument rien. Rien ne nous permet de croire qu’après le jeu, il existe un futur pour nous deux. L’éternité contre le néant, que choisis-tu ?
Le Grand Programmateur ne répondit rien. Il savait que le Sombre Adversaire était dans le vrai. Et cela ne l’enchantait pas particulièrement.
Il commençait à être fatigué de cette partie interminable. Il se demandait même parfois s’il n’avait pas intérêt à laisser son rival gagner. Mais quelque chose venait à chaque fois le tancer de n’en rien faire. L’enjeu était trop important. Ils ignoraient tous deux à quel point. La finalité de tout ceci leur échappait.
DEUXIEME PARTIE
Ralf Del Itoh regardait son album photo. D’aucun aurait trouvé cette occupation des plus incongrues compte tenu des circonstances. Mais c’était la moindre des complexités de la personnalité du dictateur.
Des coups résonnèrent à la porte.
- Entrez ! fit l’ancien chancelier sans détourner le regard des photographies.
Un homme en uniforme tendit le bras avant de se mettre au garde-à-vous.
- Mon Maître, l’Amérique vient de capituler. Les Alliés sont vaincus. Nous avons gagné la guerre. Le Troisième Empire va pouvoir débuter son règne et tout cela grâce à vous.
Ralf Del Itoh sourit. Le soldat ne l’avait jamais vu sourire ainsi.
- Non, dit le dictateur en lui tendant une photo de son album. C’est à eux que nous le devons.
Le soldat prit la photo et la détailla. Il y avait une belle jeune femme rousse dont le ventre rebondi témoignait d’un heureux évènement. Un homme séduisant la tenait dans ses bras. Ils avaient l’air très heureux d’être ensemble. Piqué par la curiosité, le soldat retourna la photo. Il y avait un message au verso :
Merci pour ce merveilleux cadeau que tu nous fais. Pour les prénoms, j’ai beaucoup réfléchi. Je propose Ralph si c’est un garçon. Et si c’est une fille… Et bien, appelons-la Ralphie ! Je plaisante. Je suis sûr que ce sera un garçon. Encore un pressentiment. Je t’embrasse très fort.
Leon, ton chou.
Le Grand Programmateur fixa le Sombre Adversaire. Il le fixa sans mot dire puis fixa le jeu placé entre eux.
Il était fatigué de devoir résoudre cette équation qui s’étalait sous ses yeux. Fatigué d’en modifier les termes, de la transformer.
Il était surtout en fâcheuse posture. Et tous les deux le savaient.
Mais la partie était loin d’être finie. Le Grand Programmateur détenait encore de bonnes pièces. Et surtout une stratégie qui avait maintes fois fait ses preuves dans le passé. Il sourit. La victoire était encore possible. Son expression s’assombrit lorsqu’il vit le Sombre Adversaire se lever et prendre congé.
Il savait pourtant que cela le mettait hors de lui. Le Sombre Adversaire se retirait pour savourer son succès. Il reviendrait disputer la partie plus tard.
En attendant, des hommes et des femmes allaient subir la folie d’un empereur au sommet de sa gloire.
Le Grand Programmateur jura. Il ne pouvait plus le supporter. C’était arrivé déjà trop souvent. Il vérifia une dernière fois qu’il était bien seul et reprit une de ses pièces perdues précédemment qu’il replaça sur le plateau.
Un sourire illumina son visage.
- Il est grand temps de remettre en jeu l’un de mes meilleurs atouts
- Et si nous échouons ? s’enquit Samuel. Que se passera-t-il ?
Ulrich Sand crispa ses mains sur le volant.
- Je préfère imaginer le pire.
- Mais si comme nous le pensons, ces rêves que tu fais ne sont pas des prémonitions, pourquoi leur faire confiance ? Pourquoi aller dans leur sens ?
Ulrich soupira.
- Ecoute, j’ignore pourquoi mon inconscient me dicte toutes ces choses, mais ce que je sais c’est que nous devons aller jusqu’au bout. Je n’ai jamais tué personne, et pourtant je peux te jurer que je ne serai pas tranquille tant que je n’aurai pas vu leurs cadavres de mes yeux. L’enjeu est trop important. Je le ressens au plus profond de moi. C’est une croyance qui dépasse tout ce en quoi j’ai pu croire jusqu’à présent.
Chris Ludan se réveilla. Il secoua la tête pour quitter définitivement ce rêve sordide. Un rêve qui dépassait en intensité tous ceux qu’il avait pu faire auparavant.
La réalité se rappela violemment à lui sous la forme d’un étendard noir orné d’un aigle rouge sang. L’emblème des forces de Ralph Del Itoh, ennemi suprême de la liberté et de la tolérance. Il observa les autres résistants qui l’accompagnaient. Fatigués, blessés physiquement et moralement mais toujours armés et surtout déterminés à repousser les hordes impies du Troisième Règne.
Il y avait eu le règne du Saint Empire romain germanique.
Il y avait eu le règne de l’empire fondé par Marc Bisk.
Il n’y aurait pas celui de Ralf Del Itoh.
Chris Ludan rassembla ses compagnons d’armes autour de la table sur laquelle était dressé la position des forces ennemies.
Pour eux, la partie ne faisait que commencer.
Triomphant, debout sur un Char de combat de type Blinkbowl, Ralf Del Itoh défilait le bras tendu au son de la flamboyante Marche de Radetzky. Il souriait.
C’était son air favori et il en avait fait depuis des années son hymne personnel.
Il trouvait enfin, en ce glorieux jour d’ascension, l’occasion idéale d’en faire retentir les percutantes mesures. Il n’avait pas lésiné sur les moyens. Un orchestre entier, remorqué par le char, jouait en direct devant un public médusé. Tous les habitants de Washington semblaient sous le charme de la musique. Les fusils-mitrailleurs Juggernaut pointés dans leur dos avaient sans doute le don de développer leur fibre musicale.
- Vous allez bien, Capitaine Ludan ?
Chris Ludan fixa son équipier avec un sourire qui se voulait rassurant. Ces affreuses migraines le reprenaient. Mais ce n’était pas en montrant une telle faiblesse qu’il allait pouvoir obtenir le meilleur de ses troupes. Il devait s’en accommoder.
- Ce n’est rien, Andy. J’ai dû avoir mon compte de gueules de bois dans une autre vie. Faut croire que maintenant j’en paye le prix.
Andy s’esclaffa. Chris l’accompagna.
Il profita du fait que tous ses hommes l’observaient pour faire une annonce spéciale.
- Maintenant que ce cher Ralf croit avoir remporté une victoire totale et définitive, il va s’empresser de donner aux hommes qu’il a perdu une sépulture décente afin d’honorer leur mémoire comme il convient. Histoire d’en faire des martyrs de guerre, des héros sacrifiés pour la bonne cause. C’est là que nous allons entrer en jeu.
A cette annonce, les visages se défirent. Les hommes du Capitaine Ludan étaient coutumiers de ses plans peu orthodoxes. Mais là, ça frôlait la démence.
Jerry Cold, son bras droit, parla pour tout le monde :
- Tu veux qu’on enterre les cadavres à la place de ces salauds ?!
Ludan leur dédia un sourire équivoque.
- Mieux que ça. Nous allons faire en sorte que certains d’entre eux ne soient jamais morts.
Sur ces mots, il s’empara d’un fusil à grenades Hellfire, une arme ennemie qui avait causé d’énormes pertes dans les rangs alliés.
- Del Itoh croit que toute résistance est anéantie. Nous allons nous charger d’entretenir son utopie.
Il aurait été mensonger de dire que Ralf Del Itoh était aux anges. Non. C’était bien plus que cela. Il exultait littéralement de joie. Son cœur battait au rythme de la musique tant et si bien que le dictateur avait le sentiment que c’est de sa poitrine même que sortait les accents enchanteurs des cuivres, des cordes et des percussions. Et cela ne faisait que renforcer son exaltation. Son bras droit, Buruts, vint le rejoindre.
Del Itoh lui adressa un sourire paternel.
- Je ne sais pas si je te l’ai déjà dit, mais cette magnifique marche a été écrite par Johann Strauss Senior en hommage au feld-maréchal autrichien comte Joseph Radetzky. Ce brave Joseph a livré bataille contre les troupes françaises pendant les guerres napoléoniennes. Il n’avait pas moins de 82 ans lorsqu’il a mené son ultime campagne en Italie en 1849. Un bel exemple à suivre.
Buruts regarda la foule de prisonniers américains constituant l’auditoire.
Cette scène lui laissait un arrière-goût dans la bouche. Del Itoh ne voyait pas le mal qu’il était en train de faire autour de lui. Il y a longtemps qu’il ne le voyait plus. Il avait construit sa vie, bâti ses rêves et forgé sa destinée sur la souffrance des autres. Comment pourrait-il faire marche arrière ? Il avait dépassé le point de non-retour depuis trop longtemps.
Buruts avait crû parfois déceler un regain de conscience chez le dictateur, une ombre de doute, d’hésitation à des moments stratégiques, comme lorsqu’il avait pris la décision de multiplier les Camps de Contrition. Ces installations pénitentiaires avaient servi de base aux plus dangereux scientifiques du Troisième Empire. Les prisonniers, pour la plupart des hommes et des femmes de couleur ainsi que nombre de mutilés et d’handicapés, avaient constitué des cobayes idéales pour des expériences contre nature : lavages de cerveaux, lobotomisations, conditionnements, greffes, clonages. Devant cette escalade d’horreur, Buruts n’avait pu rester de marbre et avait tenté de décourager son père de continuer à employer de telles méthodes. Il était parvenu à l’émouvoir en élaborant un discours mettant en jeu leurs propres relations. Cela n’avait pas duré. Là encore, cette impression de lucidité s’était rapidement évanouie pour faire place à une froide détermination, un engagement sans faille.
Les atrocités avaient repris de plus belle.
Buruts médita ces souvenirs glaçants. Il scruta à nouveau la foule.
Réflexion faite, il n’y avait qu’un seul prisonnier. Del Itoh, lui-même. Prisonnier de lui-même, de sa faiblesse.
L’aide de camp savait qu’il avait aussi les mains couvertes de sang. Il avait toujours su se tenir à l’écart de la guerre proprement dite, mais il s’était rendu lui aussi coupable de toutes les atrocités commises par son silence et son allégeance forcenée.
Il ne valait pas mieux que Del Itoh lui-même. C’est peut-être pour cette raison qu’il n’avait pu s’empêcher de grimper sur le char et de se tenir aux côtés du dictateur. Pour extérioriser cette image de complicité. Et certainement pas parce qu’il était son fils adoptif.
Il regarda son père. D’un sourire, il fit mourir le sentiment de haine qu’il ressentit pour la première fois à son égard.
- Si je puis me permettre, père, vous marchez sur les traces de Radetzky. Vous pouvez être fier de vous.
Le Grand Programmateur ne put s’empêcher de rire. Ca sentait le roussi pour le dictateur. Une bonne faille à exploiter, se dit-il. Il vérifia que le Sombre Adversaire était toujours hors de vue et s’approcha d’une armoire vétuste dans le fond de la pièce. Il commença à fouiller avidement à la recherche d’un objet précis.
- Mais où est-elle, bon sang !
Tandis qu’il la recherchait activement, sans s’occuper du bruit qu’il générait, une pensée terrible se fit jour en lui : « Pourvu qu’il ne l’ait pas jetée ! C’est vrai, depuis tout ce temps qu’elle n’a pas été utilisée ! Si jamais elle est perdue, je ne m’en remettrai jamais ! Une telle personnalité ! Un tel potentiel ! »
Il poussa un cri de joie lorsque ses doigts rencontrèrent la figurine. Elle était un peu ternie, certes, mais elle était encore en état de jouer et c’était tout ce qui importait. Le Grand Programmateur l’embrassa.
- Qu’est-ce que tu fais ?
Le Sombre Adversaire était revenu.
Le Grand Programmateur cacha la figurine dans son poing et alla s’asseoir devant le plateau de jeu.
- Je contemplais l’étendue de mes pertes. Force m’est de constater que tu es un très bon joueur.
Le Sombre Adversaire se fendit d’un sourire et se rendit jusqu’à l’armoire qu’il verrouilla. Il remit la clé autour de son cou et revint prendre sa place.
Il scruta son adversaire avec malice.
- Epargne-moi tes flatteries d’origine suspecte. Je ne sais pas ce que tu manigances, mais je compte bien le découvrir.
Il reporta son attention sur le plateau de jeu.
- Hum, tu n’as pas perdu de temps, on dirait. J’ai l’impression qu’il y a eu un petit peu de changement en mon absence.
Un bruit insolite lui fit tourner la tête.
Le Grand Programmateur en profita pour placer son nouvel atout dans la partie.
Elle sentit les flammes lui lécher les pieds. L’odeur de sa propre chair brûlée remonta jusqu’à elle. Elle eut envie de vomir, mais la douleur l’en empêcha. Elle voulut crier, mais sa voix fut étouffée par le rugissement du brasier. La chaleur fit bouillir son sang dans ses artères et fit fondre ses vêtements et sa peau comme de la cire. Plus que quelques instants et ce serait la fin.
Jenna se réveilla. L’air empestait encore la chair brûlée. Mais ce n’était pas la sienne. Elle était sur un bateau volé à l’ennemi. Ses hommes s’affairaient, vérifiant les munitions, distribuant les rations, peaufinant la stratégie établie.
Elle avait des bottes de cuir, un ceinturon dans lequel était glissé un pistolet. Elle portait un pantalon fauve, une simple chemise de teinte claire et ses longs cheveux châtains étaient retenus par une élégante queue de cheval.
Elle évitait de regarder le brassard noir orné de l’aigle rouge qu’elle arborait et qu’elle savait faire partie intégrante de l’uniforme du Troisième Empire.
Ils traversaient la mer de Crète. Les monuments rattachés à l’illustre mythologie grecque avaient été pillés et détruits par les troupes impies de Del Itoh, parfois sans son consentement. La folie était vite devenue contagieuse, comme un immonde relent charrié par le vent de la guerre.
Ils n’étaient pas loin des côtes. L’épouvantable odeur qui l’avait tirée du sommeil provenait des charniers abandonnés. Elle n’osait imaginer l’état des corps. Elle savait qu’il n’y avait pas que des adultes.
Son visage se crispa, ses poings se serrèrent. En l’espace d’un instant, elle ne fut plus la jeune israélienne orpheline jetée malgré elle dans la tourmente. Elle redevint Jenna d’Acre, la Panthère de Dieu, la Vierge de Fer.
Elle se redressa et improvisa une réunion. Une centaine d’hommes se tenait avec elle sur le bâtiment. Tous voués corps et âme à sa cause. Ils s’étaient baptisés « Les Frères de la Délivrance. »
- Mes Frères, dit Jenna de sa voix claire et autoritaire, nous arrivons bientôt en Italie, pays d’origine de ce mal innommable. D’après des sources sûres, Del Itoh en personne s’y rendra afin de faire signer la capitulation aux dirigeants alliés. La ville dans laquelle aura lieu l’assemblée ne nous a pas encore été communiquée. Certains pensent que ce sera Rome ou Venise. Moi je suis persuadée que ce sera Milan. Car c’est la ville natale de Del Itoh. Sa vanité est notre plus précieux allié pour anticiper ses intentions. Et jusqu’à présent, mon instinct ne m’a jamais trompé. Elle ajusta sa casquette sur sa tête. Alors, où irons-nous, mes frères ?
Tous les hommes levèrent le bras comme un seul et crièrent :
- Milan !
C’était une bien triste besogne et cruelle à plus d’un titre. Mais la victoire l’exigeait. Les hommes du Capitaine Ludan dépouillaient les cadavres, les inhumaient et revêtaient les uniformes pris aux morts, devenant par là même ceux qu’ils faisaient disparaître.
Chris vit un soldat jeter le brassard faisant partie intégrante de l’uniforme ennemi. Il marcha jusqu’à lui.
- Ramasse-le et porte-le. C’est un ordre. Nous leur ressemblerons autant que possible. Il y aura suffisamment d’occasions pour nous trahir, alors je veux mettre toutes les chances de notre côté. Ca ne m’enchante pas plus que toi, mais ça fait partie du plan et nous le suivrons à la lettre.
Le soldat soupira et ramassa le brassard.
Chris improvisa une réunion dans les restes d’un hôtel. Une carte des Etats-Unis était déroulée sur une table et punaisée par endroits.
- D’ici quelques jours, les troupes de Del Itoh viendront jusqu’ici. D’après eux, il n’y a plus âme qui vive en Géorgie. Cet état a été l’un des plus bombardés. Nous en savons quelque chose.
Les visages se durcirent au souvenir des pertes humaines. Les chasseurs et les bombardiers avaient fait place nette, détruisant d’importants stocks de nourriture et de munitions ainsi que les principaux générateurs d’énergie.
Les bâtiments de guerre piégés en haute mer par les nouvelles mines Deathwash avaient mis fin officiellement à la résistance de ce côté-ci du monde.
Tout cela avait laissé un goût amer dans la bouche des survivants. Il avait fallu à Chris Ludan déployer des trésors d’ingéniosité pour les convaincre de s’engager avec lui dans un nouveau combat. Vivre libre ou mourir, tel était leur credo. Ce n’était pas très original, mais c’était un argument qui avait déjà fait ses preuves dans le passé. Il leur avait répété qu’il existait d’autres poches de résistance ailleurs telle que la leur et qu’elles attendaient tout comme la leur de réunir tous les éléments nécessaires pour se fortifier. En temps et en heure leurs efforts combinés se verraient récompensés. Il fallait être patient et persévérant.
Chris regarda ses hommes. Il éprouva une immense fierté d’être à la tête de tels soldats. Il poursuivit :
- Dès ce soir, nous marcherons vers la capitale. Nous avons récupéré quelques blindés de type Kougar en état de marche. Nous nous ferons passer pour un commando Slasher chargé de récupérer du matériel de guerre en vue de l’acheminer vers la côte. Comme vous avez pu le remarquer, je n’ai pas enfilé la tenue d’un officier, mais celle d’un simple fantassin comme la vôtre. Je crois que j’en ai un peu marre des responsabilités.
Les hommes rirent. Chris se félicita de ce trait d’humour. C’était vital de pouvoir encore rire en une telle période. Il reprit son sérieux.
- En fait cela leur évitera de poser trop de questions embarrassantes. Nous dirons simplement que le Général…
Chris sortit des papiers qu’il avait rangés dans sa poche :
-… Banco…
Nouveaux rires.
- …Ca ne s’invente pas. Donc nous dirons que notre supérieur, ce brave Général Banco, a marché sur une mine et que nous rentrons retrouver Del Itoh en vue de l’escorter jusqu’en Europe. Je sais que la plupart d’entre vous sont de très bons pilotes qui ont déjà fait leurs preuves. Moi-même, j’ai toujours aimé me retrouver dans un cockpit. De ce fait, nous demanderons à intégrer humblement une escadrille de chasseurs. On va jouer à l’arroseur arrosé, on va retourne sa stratégie contre lui. Vous m’avez compris ? On va se faire le plaisir de dézinguer son zinc à ce fumier !
Les hommes saluèrent le discours avec force cris et gesticulations. Il y eut même quelques rafales tirées en l’air. Devant ce débordement de joie, Chris sourit. Mais son visage s’assombrit lorsqu’il repéra la triste figure de Calvin Carson.
- Carson ! Tu as quelque chose à me dire ?
Le silence revint. Tous les regards se tournèrent vers l’intéressé. Qui ne se fit pas prier plus longtemps :
- Je pense que tu n’as pas oublié que très peu d’entre nous, voire aucun, ne parle l’italien. Je ne veux inquiéter personne, mais je pense que ce détail peut éventuellement avoir son importance dans le plan que nous devons suivre.
Une rumeur sourde gagna l’assemblée que Chris fit cesser rapidement.
- Jerry !
Le bras droit du Capitaine fendit la foule et s’avança jusqu’à Carson aux pieds duquel il déposa une caisse noircie par la fumée.
- Qu’est-ce que c’est ?
Sur un signe de Chris, Jerry l’ouvrit. A l’intérieur, il pêcha un petit appareil emballé dans du plastique qu’il jeta à Carson. Ce dernier inspecta l’objet dont il ignorait le nom autant que la fonction.
Chris se chargea de combler ses lacunes :
- On a baptisé ça un vox imperati. Je peux me tromper, mon latin n’est plus ce qu’il était. Autrement dit, c’est un appareil qui permet de comprendre et de parler la langue ennemie. On a trouvé cette caisse il y a deux jours. Très bien planquée. Une bénédiction. Il y en a assez pour nous tous.
Consterné, Carson contemplait l’appareil sous tous les angles.
- Fais-nous une démonstration, lui proposa Jerry.
Carson ôta le vox imperati de sa protection. Il ajusta l’oreillette couleur chair dans son oreille droite et ajusta le modulateur vocal sur sa pomme d’Adam avec l’aide de Jerry. Il se racla plusieurs fois la gorge puis déclara :
- Il piace spaghettis !
Ce qui ne manqua pas de provoquer l’hilarité générale.
- Tu as entendu ce bruit ?
Le Grand Programmateur haussa les épaules.
- Ce n’était probablement rien. Le coin est plutôt calme. C’est le moins que l’on puisse dire.
Le Sombre Adversaire commença à trépigner sur sa chaise.
- Tu ne voudrais pas aller jeter un coup d’œil ? C’est le genre de choses qui me perturbe facilement. Et je n’arriverai pas à jouer correctement si je ne suis pas tranquillisé.
Le Grand Programmateur feignit de se concentrer sur le jeu.
- C’est ton problème, il me semble. Tu n’as qu’à vérifier par toi-même.
Le Sombre Adversaire produisit un rictus à la mesure de sa frustration.
A son tour, il fit mine de reporter toute son attention sur la partie en cours.
- A titre informatif, si je devais perdre à cause de cette…broutille, tu ne pourrais pas t’attribuer tout le mérite de ta victoire. Et quel intérêt dans ce cas ?
Le Grand Programmateur releva la tête. Il arrivait toujours un moment où ils redevenaient de simples enfants, chahutant, se querellant et se piégeant sans vergogne.
Il pointa un doigt en direction du Sombre Adversaire et l’agita nerveusement comme dans l’intention de proférer une menace. Puis il soupira et se leva.
Il écarta le rideau qui masquait l’autre côté de la pièce et disparut.
Le Sombre Adversaire glissa une main dans sa poche, embrassa la figurine qui s’y trouvait et la déposa rapidement sur le plateau.
Le Grand Programmateur revint à sa place.
Le Sombre Adversaire le dévisagea :
- Alors ?
- Je n’ai rien vu. Ca ne valait vraiment pas le coup que je me déplace.
Le Sombre Adversaire sourit.
- Tu m’en vois désolé.
- Jenna, la Sicile est en vue !
La jeune femme rejoignit Jonas au poste de pilotage. Elle sourit.
- Très bien.
Elle dévisagea son équipier avec gravité.
- Je crois qu’il est temps.
Elle posa une mallette sur une table et l’ouvrit. Elle saisit son contenu qu’elle appliqua soigneusement sur son visage. Lorsqu’elle se retourna, son équipier eut un mouvement de recul.
- Mon dieu ! C’est à s’y méprendre !
Ralf Del Itoh sourit.
- Avec un modulateur vocal ce sera vraiment à s’y méprendre, fit la voix de Jenna d’Acre.
Jenna vérifia une dernière fois l’efficacité de son déguisement. Elle compara le reflet que lui renvoyait le miroir avec une photo de Del Itoh prise sur l’ennemi.
Elle avait pris l’apparence de l’homme que le monde libre haïssait le plus, de l’homme qu’elle haïssait le plus. Un paradoxe qui allait pourtant peut-être leur permettre de remporter la victoire. Peu importait les moyens. L’enjeu exigeait les solutions les plus inacceptables.
Elle frissonna en s’apercevant qu’ils avaient les mêmes yeux.
Au moins, elle n’aurait pas à supporter le port de lentilles qu’elle trouvait douloureux. Elle étira les lèvres, faisant sourire le dictateur.
- Bene.
Elle se retourna et c’est alors qu’elle remarqua le message déposé sur son bureau.
En le découvrant, elle écarquilla les yeux de stupeur. Une terreur sourde l’envahit, faisant trembler ses mains. Puis ses sourcils se froncèrent et son visage se durcit. Elle quitta sa cabine en furie.
Gad, le radio, était à l’avant du bâtiment, partageant une discussion animée avec les mécanos. Lorsque ces derniers virent Jena marcher vers eux, ils tremblèrent à l’idée d’avoir commis une bévue. Elle avait retiré son masque et son visage était déformé par une colère sans nom. Lorsqu’elle agita le message radio, ils remercièrent le ciel.
- Pourquoi tu ne m’as pas averti ?!
Gad ne l’avait jamais vu si en colère. Il regretta profondément d’en être la cause.
- Je pensais que c’était secondaire étant donné nos dispositions.
- Si c’est secondaire, c’est à moi seule d’en juger.
Ses yeux s’embuèrent.
- Et puis, comment as-tu pu une seule seconde penser que ça pouvait être secondaire ? Des vies sont en jeu, des hommes sont en danger, des hommes comme nous, des soldats qui luttent pour la liberté et la justice. Nous ne pouvons pas en toute conscience feindre de l’ignorer.
A présent, elle s’adressait à tous.
- Nous n’avons pas le droit de les abandonner. Si ce message nous est parvenu, ce n’est pas un hasard. Je ne crois pas aux hasards. Et je sais que vous non plus.
Il y eut un silence. Puis un homme demanda :
- Où sont-ils ?
Le visage de Jenna s’éclaira instantanément.
- En France. A Orléans.
Jonas fendit la foule et se planta devant elle.
- On ne peut pas saborder une stratégie qui nous a demandé des semaines de préparation. Tout est fin prêt. Excuse-moi, Jenna, je pensais ne jamais avoir à te dire ça, mais je te trouve complètement inconsciente.
Elle planta ses yeux noirs dans les siens, le défiant avec superbe.
- Qui m’aime me suive.
Le capitaine Ludan et ses hommes eurent bientôt l’occasion d’éprouver l’efficacité du vox imperati.
Une garnison flanquée de soldats motocyclés vint à leur rencontre. Chris descendit prestement d’un char Kougar et se chargea du compte-rendu. En italien.
- Mes respects, Mon Général. Soldat Siri, artilleur du septième commando Slasher. Content de vous voir. On a perdu notre radio. Impossible de communiquer notre position. Le Général Bingo, paix à son âme, a péri, il y a deux jours, sur une de ces saloperies de mines rampantes.
Le chef de la garnison détailla le détachement avec une attention qui inquiéta les hommes de Ludan. Si jamais leur imposture n’était pas parfaite, ils le sauraient très bientôt. Après un examen qui leur parut interminable, le général se rapprocha de Chris qu’il dévisagea gravement.
- C’est étrange. Vous ne ressemblez pas à des hommes du Troisième Empire.
Chris s’empêcha de déglutir. Lorsqu’il vit le gradé plonger une main dans son manteau, il s’apprêta à faire signe à ses hommes d’ouvrir le feu.
- Vous avez dû passer trop de temps en Amérique !
Le général fit jaillir un flacon de cognac.
- Bienvenue en Italie !
Puis il éclata de rire.
Un appareil de ravitaillement attendait sur la berge. Les deux pilotes italiens s’interrogeaient mutuellement sur l’avenir du monde en fumant une cigarette.
Le navire de guerre Di Galio accosta à ce moment. Les deux pilotes allèrent à sa rencontre. A l’avant se dressait Ralf Del Itoh, mains croisées dans le dos, telle une figure de proue, escorté de deux soldats figés comme des statues.
Déconcertés par cette apparition, les pilotes le saluèrent néanmoins en tendant le bras.
- Mes respects, Mon Maître.
- Nous vous croyions en Amérique, là où la victoire s’est affirmée.
Les deux gardes du corps du dictateur abattirent les deux pilotes.
Jenna rejoignit la terre ferme.
« Les Frères de la Délivrance » acheminèrent leur matériel à l’intérieur du cargo aérien. Il ne leur fallut en tout et pour tout qu’une demi-heure pour prendre totalement possession de l’appareil. Sitôt chargé, il décolla en mettant le cap vers l’hexagone.
L’arrivée de Ludan et de ses hommes à Washington fut une douleur sans nom.
Les monuments les plus symboliques de la capitale avaient particulièrement souffert des bombardements et des offensives aux canons lourds Ouranos. Sûrement à dessein.
De l’obélisque, il ne restait plus que la base et la statue de Lincoln était décapitée. Quant à la Maison Blanche, emblème de souveraineté, elle arborait une façade meurtrie par les tirs de harcèlement des mitrailleuses françaises Hallebarde. Un des éléments déterminants dans la suprématie de l’Italie avait été sa capacité à incorporer presque systématiquement l’armement ennemi dans le sien et à s’y adapter rapidement, multipliant ainsi sa puissance de feu et décuplant l’efficacité de sa stratégie.
L’aéroport était déjà infesté d’appareils impériaux de toute catégorie : des chasseurs américains Sweeping en passant par les bombardiers anglais Skycrush. Les italiens s’étaient même payés le luxe de dérober un Stormaker, un appareil de guerre qui abritait dans ses soutes une véritable usine d’armement. On le surnommait à juste titre « l’arsenal volant. »
Ralf Del Itoh avait déjà embarqué à bord du « Mein Kampf », son avion personnel. L’appareil ressemblait à un aigle géant. Son museau imitait presque à la perfection le bec vorace du rapace. Le soleil miroitait sur le fuselage blindé, lui conférant une beauté qu’il ne méritait pas.
Après avoir fait montre de leurs talents de pilote, Chris Ludan et ses hommes furent assignés à l’escorte du « Mein Kampf. » Aucune parole ne fut prononcée, juste des regards encourageants invitant à la prudence.
Avant de se diriger vers la capitale, Chris avait répété inlassablement la stratégie d’attaque avec ses hommes. Parmi ses hommes, une femme s’était détachée par son panache et ses idées. Elle se nommait Lisa Derdefyll. Chris l’estimait beaucoup. Peut-être un peu trop. Il l’avait prise comme co-pilote et ils montèrent ensemble à bord d’un Sweeping.
Lisa rayonnait littéralement. La perspective d’une victoire sur le Troisième Empire avait le don de sublimer sa beauté. Chris eut beaucoup de peine à s’arracher à cette contemplation. Ce n’était guère le moment de se laisser distraire. Il reporta son attention sur le ciel fourmillant d’appareils. Ils étaient en bonne position. Le « Mein Kampf » était juste un peu plus loin devant eux. Une fois que les autres auraient fait place nette, ils n’auraient plus qu’à mettre un terme à l’existence de Ralf Del Itoh.
Il s’adressa à Lisa, mais se rappela qu’il parlait toujours dans la langue du despote. Il arracha son vox imperati et l’écrasa sous le talon de sa botte.
- C’est maintenant que tout va se jouer.
Lisa lui serra la main. Il se retint de l’embrasser.
Tandis que le cargo italien amorçait sa descente, Jonas interrogea Jenna :
- J’aurais pu moi-même me charger de cette mission. Tu serais restée en Italie avec la moitié des hommes. Pourquoi à tout prix changer notre plan ? Pourquoi risquer une capitulation complète alors que la victoire était en train de nous sourire ?
La jeune israélienne ne semblait pas avoir entendu. Elle regardait droit devant elle. Elle semblait essayer de se rappeler quelque chose. Jonas allait réitérer sa question lorsqu’elle dit :
- C’est important. Plus important que tu ne peux le croire. Plus important que je ne peux l’imaginer.
Jonas ne pouvait se contenter d’une telle réponse.
- Comment peux-tu le savoir ?
Jenna était dans un état second.
- Je ne sais pas comment. Fais-moi juste confiance comme tu as su si bien le faire jusqu’à présent.
Jonas comprit que toute contestation était vaine. Jena était à nouveau dans une transe mystique à l’échelle de celle qui lui avait permis de se lancer à la tête d’une petite armée pour gagner une guerre qui donnait tous les signes d’être perdue. Il l’avait suivie une première fois, émerveillé par sa fougue. Pourquoi renoncerait-il maintenant à partager avec elle une victoire acquise par d’autres moyens ?
- Quels sont les effectifs ?
Jenna ne put s’empêcher de sourire. Il était revenu avec elle et elle s’en félicitait intérieurement.
- Le message mentionnait une centaine de fantassins français. Du côté italien, deux tanks Blinkbowl qui les prennent en tenaille.
- De quel armement dispose nos alliés?
- Apparemment, rien de menaçant. C’est là que le bât blesse.
- Nous n’avons pas grand-chose non plus.
- Nous avons l’effet de surprise. C’est bien plus qu’il n’en faut.
Elle produisit un objet cylindrique.
- Et puis, je compte bien sur les grenades magnétiques ainsi que sur les mines rampantes pour atomiser ces salauds.
Ralf Del Itoh était installé dans le salon somptueusement décoré. Il avait fait ramener à bord d’illustres toiles de maîtres dérobées aux alliés. Il aimait la peinture. Il aimait l’art. Il s’était d’ailleurs toujours senti artiste dans l’âme. Sans doute l’avait-il été dans une autre vie. Il se plaisait à le penser.
Buruts le rejoignit avec deux verres et une bouteille de vin rouge.
Il n’avait pas choisi un grand crû de sorte qu’il savait que l’arrière-goût du poison foudroyant passerait comme une lettre à la poste.
- Pourquoi avoir baptisé cet avion « Mein Kampf » ? Pourquoi pas quelque chose qui sonne un peu plus italien ? Je sais que les allemands nous soutiennent depuis longtemps dans nos actions, mais je trouve que c’est quand même leur faire beaucoup d’honneur.
Le dictateur sourit sans apparemment prendre ombrage de la remarque.
- Je pense que je n’étais pas simplement artiste dans une autre vie. Je devais être aussi allemand. J’ai toujours admiré cette langue, ses accents, sa richesse, sa poésie.
Buruts était loin de partager une telle passion. Mais comme à son habitude, il ne dit mot et remplit les deux verres.
- Et que signifie « Mein Kampf », déjà ? J’oublie à chaque fois.
- Mon combat.
Del Itoh parut s’enfermer dans un songe enchanteur. Son sourire se déploya. Il porta le verre à ses lèvres.
- Ca ferait un bon titre pour un bouquin.
La bouteille de vin explosa dans la main de Buruts.
Des crépitements de balles résonnèrent sur la carlingue de l’appareil.
Le visage du dictateur devint cramoisi. L’air s’engouffra par le hublot. Il laissa tomber son verre.
- Bon sang, mais qu’est-ce que c’est que ce bordel !
L’opération « Délivrance » venait de commencer.
L’avion de Ludan se faufila vers le « Mein Kampf », couvert par les autres chasseurs de son unité.
Dans le cockpit de l’aigle d’acier, les informations parvenaient dans la plus grande confusion aux oreilles des deux pilotes. Des informations et un vacarme de cris et d’explosions qui ne laissaient aucun doute sur son origine.
Des voix américaines se faisaient entendre sur une de leurs fréquences. Leur escadrille était en train de se faire attaquer !
Furieux, le Maître se tourna vers son fils pour réclamer une explication.
Il sut qu’il n’en aurait pas lorsqu’il vit son corps inanimé sur le sol de la cabine. Sa poitrine était rouge. Et ce n’était pas du vin.
« NON ! »
Le Grand Programmateur serra les poings. « Mauvais timing ! »
A trop accumuler les atouts, il finissait par les saboter. Il venait d’en sacrifier un inutilement. Il se mordit la lèvre et jeta un coup d’œil furtif au Sombre Adversaire. Ce dernier était étrangement calme en dépit des évènements.
« Il avait dû prévoir cette attaque. »
Il reporta son attention sur le jeu.
Et espéra que rien d’autre ne viendrait enrayer la parfaite mécanique de sa stratégie.
Jenna terminait de briefer « les Frères de la Délivrance. » Jonas la rejoignit rapidement et lui donna un sac de munitions qu’elle ajusta sur ses épaules.
- Allons-y.
Elle grimpa sur un amas de ruines – un centre commercial dans un passé encore récent – et porta une paire de jumelles à ses yeux.
- Je vois le premier char tout en haut de l’avenue. On avance jusqu’à la barricade, là-bas, et on lâche les mines rampantes.
Les détonations des canons ébranlèrent l’atmosphère.
En dépit de la menace et du spectacle de désolation que la cité assiégée offrait au regard, Jenna se sentait étrangement sereine. Comme si elle était en terrain connu. Peut-être ce sentiment de déjà-vu qu’elle ressentait n’était pas étranger à son état presque euphorique. La victoire ne faisait aucun doute. Elle était presque palpable.
Jonas donna un violent coup de pied dans ses convictions.
- Et si c’était un piège !
Tout en progressant, Jena le dévisagea avec perplexité.
- Aucune raison que ça en soit un. Personne ne sait que nous existons.
- Nos exploits au Moyen-Orient ont été retentissants. Ta réputation a pu te précéder.
Jenna s’arrêta et fixa son allié avec une sorte de compassion.
- Tout le monde me croit morte. Ce simulacre d’assassinat nous a coûté suffisamment en explosifs.
Jonas sourit en se projetant la scène. Cet attentat à la voiture piégée avait été un bon moyen d’avoir les coudées franches. Il est vrai que le résultat avait été à la hauteur de leurs espérances. Mais contrairement à Jenna, d’être à Orléans lui procurait un sentiment de malaise qui ne le laissait pas en paix et le faisait douter de tout.
- Tu as sûrement raison. C’est juste que nous n’avons jamais été aussi proches de la victoire.
Elle lui serra la main. Il se retint de l’embrasser.
Les chasseurs impériaux tombaient comme des mouches.
Del Itoh avait actionné le mode transparence du « Mein Kampf » et à travers le fuselage fantôme il pouvait voir son escorte se dissoudre dans de fulgurantes détonations et autant de lugubres flèches de fumées noires pleuvant vers le sol.
C’était pire que dans ses cauchemars les plus fous. Quelqu’un avait réussi à se dresser contre lui, dans le plus parfait anonymat. Et ça ne pouvait pas être cette maudite « Vierge de fer » puisqu’il la savait à Orléans, prête à tomber dans son embuscade. Non, c’était quelqu’un d’autre. Et d’ignorer son nom et son visage le mettait dans une rage sans nom. Il pénétra dans le poste de pilotage.
- Actionnez l’armement du « Mein Kampf ! »
L’un des pilotes osa le mettre en garde.
- Mon maître, nous risquons de ne pas avoir assez d’énergie pour rallier l’Europe.
Le regard légendaire de Ralf Del Itoh fit le reste.
Le chasseur du Capitaine Ludan louvoyait habilement, évitant les tirs ennemis et les morceaux d’épaves constellant le ciel transformé en enfer l’espace de quelques minutes. Multipliant les morceaux de bravoure, il n’hésita pas à secourir un allié en difficulté tout en arrosant copieusement sa cible prioritaire qui soudain commença à se transformer de manière inquiétante.
- Merde, c’est quoi ce bordel ?
L’aigle de métal venait de se dresser à la verticale tout en se stabilisant. Les parties de son fuselage étaient en train de coulisser, de s’escamoter dans une parfaite harmonie tel un puzzle grandeur nature exécuté par des doigts invisibles et experts.
En moins d’une minute, le « Mein Kampf » devint un humanoïde surréaliste, un titan à tête de rapace qui déversa un déluge de feu au moyen de canons mitrailleurs intégrés dans ce qui lui tenait lieu de bras.
- Mon Maître, nous ne savons même pas sur qui tirer. Nous risquons de toucher votre escorte.
Le dictateur produisit un râle de dédain.
- Pour ce qu’il en reste et vu son efficacité, je saurai m’en passer.
Pourtant la présence du géant de fer eut un effet foudroyant sur les survivants du Troisième Empire. Il leur inspira une vaillance qui mit à mal les efforts des hommes de Ludan.
- Ils se laissent pas faire, Mon Capitaine, rugit Jerry Cold. C’est à cause de ce putain de robot! Maintenant, ils sont chargés à bloc!
- J’en fais mon affaire ! déclara Chris. Continuez à faire le ménage.
- On a détruit tous les bombardiers, mais il reste le Stormaker ! aboya Carson.
- Laissez-le nous! ordonna Lisa. Puis elle se tourna vers Chris :
- Ces Stormakers sont de véritables armureries ambulantes.
Chris se tourna vers elle, intrigué.
- On n’égratignera même pas ce robot avec nos missiles Sunshot, ajouta-t-elle.
Chris sourit en devinant sa pensée.
- Doublement ravi que tu sois à bord.
Tandis qu’une partie des hommes – menée par Jonas - harcelaient l’un des deux chars Blinkbowl pour offrir un peu de répit à leurs alliés assiégés, l’autre – vouée aux ordres de Jenna – s’occupaient de positionner une escouade de mines rampantes dans les égouts. Ceci fait, ils remontèrent en surface et vérifièrent sa position sur un écran tactile que Jenna arborait sur son bras gauche.
- Déploiement !
Les points lumineux figurant les mines se frayèrent un chemin dans le réseau souterrain.
La voix de Jonas retentit dans son oreillette :
- On est obligé de battre en retraite !
- Bien reçu. Nous prenons la suite des opérations. Dirigez-vous vers le second char. Terminé.
Les mines n’étaient plus qu’à quelques mètres de leur objectif.
- Jenna, il y a quelque chose qui cloche !
- Quoi ?
Je viens d’effectuer un scan sur votre cible. Il n’y a personne à bord.
- Qu’est-ce que tu veux dire ?
- Ces chars sont automatisés. Ce n’est pas normal. Ca pue le coup fourré !
- Les chars automatisés sont connus pour leur précision. C’est un atout stratégique, rien de plus.
- S’ils sont si précis, pourquoi n’ont-ils toujours pas fait leur boulot ?
- T’es parano. Je poursuis l’opération comme prévue. Terminé.
Jonas jura. Jenna était complètement aveuglée. Jusqu’ici cet entêtement avait représenté une force. Mais désormais, cela risquait de devenir leur talon d’Achille à tous.
Une explosion tonitruante l’arracha à ses pensées. Sous ses yeux, le char automatisé se fendit en deux. Des cris de joie résonnèrent autour de lui. Qu’il ne fut pas d’humeur à partager.
Il suivit ses hommes vers le second char, persuadé qu’ils allaient droit dans la gueule du loup. Lorsqu’il repéra une bombe dissimulée sous un grava, ses craintes se virent justifiées. Rapidement, son regard balaya le périmètre. Le terrain était truffé d’explosifs. C’était bel et bien une embuscade.
- On met les voiles ! On était attendu. C’est bourré de C4. C’est une embuscade ! Je répète, c’est une embuscade !
Jena avait grimpé sur les restes du char et brandissait héroïquement son fusil telle une déesse martiale en plein triomphe. Et la réaction de ses hommes venait parfaire cette belle image de guerrière assouvie.
Rien ne pouvait venir saboter cela, pas même le discours inquiétant qu’elle recevait dans son oreillette.
Accompagnée de sa troupe - aussi aliénée qu’elle- elle vint à bout du second char en utilisant les grenades magnétiques qui éventrèrent littéralement le blindé.
Elle arracha son oreillette et laissa ses hommes la porter en triomphe jusqu’aux survivants assiégés dans les ruines de l’hôtel de ville.
Andy enchaînait les tonneaux et les acrobaties de toutes sortes comme dans un concours d’aéronautique. Sauf que c’était moins pour épater la galerie que pour sauver sa peau. Deux chasseurs impériaux étaient à ses trousses et son sillage portait l’empreinte de leurs tirs assidus.
Il effectua un virage à quatre-vingt dix degrés, évitant un avion ennemi arrivant droit devant lui. Une explosion lui apprit qu’il avait fait d’une pierre deux coups. Il attendit que son second assaillant se rapproche suffisamment et exécuta un looping qui le plaça juste derrière lui. A peine positionné, son index écrasa la gâchette reliée aux mitrailleuses qui perforèrent l’appareil de l’italien. Ce dernier perdit rapidement de l’altitude. Mais dans son malheur, il se retrouva dans la trajectoire du chasseur de Ludan. Il décida alors de tenter le tout pour le tout.
Lisa termina de s’harnacher. Elle arbora le jet-pack à la manière d’une nouvelle robe, ce qui fit sourire Chris.
- Tu ne veux vraiment pas que je m’en charge ?
Elle le regarda d’un air railleur.
- Tu vas me dire que c’est un travail d’homme, peut-être ?
- Non, ce serait superflu.
Elle se rapprocha de lui.
- Merci, mon chou.
En surface, elle affichait une apparente désinvolture. Mais en profondeur, c’est elle qui retenait à son tour une effusion.
La voix paniquée de Andy les arracha à leur intimité.
- Un rital arrive droit sur vous. Je l’ai touché, il va s’écraser !
Un vacarme leur arracha les oreilles et leur apprit que Andy venait de rallonger la liste des victimes de l’invincible titan de métal.
Chris déporta son appareil, mais tout en explosant, le kamikaze le percuta à l’arrière, détruisant l’une de ses tuyères. A son tour, son chasseur partit en vrille.
- Lisa, sors de là !
La jeune femme était pétrifiée. Elle regardait tour à tour la brèche par laquelle elle savait pouvoir s’échapper et le pilote cramponné aux commandes qui s’égosiller pour la convaincre de l’abandonner.
- Il n’y a qu’un jet-pack, Chris !
Le Capitaine se fendit d’un sourire sans joie.
- Alors on dirait que j’ai intérêt à poser cet appareil.
Puis la pensée soudaine de perdre Lisa renfloua son autorité :
- Fous le camp avant qu’il soit trop tard ! C’est un ordre et il n’est pas négociable !
Une déflagration leur apprit qu’une autre tuyère venait de rendre l’âme. Lisa ferma les yeux et s’élança par l’ouverture.
Elle eut le temps de voir le chasseur tomber en piqué et terminer sa course contre un appareil ennemi avant d’être projetée en plein coeur des affres de la bataille aérienne.
« C’est pas vrai ! Non, pas lui ! »
Le Grand Programmateur redoublait d’efforts pour contenir la colère et la frustration qui le submergeaient. Un par un, il perdait ses atouts les plus précieux !
Et le terrifiant regard du Sombre Adversaire qui semblait lui dire : « Et tu n’as encore rien vu ! »
Jenna et ses hommes pénétrèrent dans les vestiges de l’hôtel de ville. Mais ils n’eurent pas l’accueil attendu. Une centaine de soldats impériaux vêtus d’uniformes français les menaçaient de leurs Juggernaut.
« Jonas avait raison. Depuis le début ! »
Jenna pâlit. Elle avait délibérément ignoré ses avertissements. Une fois de plus, elle s’était laissée emportée par cette exaltation mystique qui défiait toute règle, toute raison. Mais cette fois, cela pouvait leur coûter très cher.
- Jonas, tu avais raison ! C’est un guet-apens ! Nous sommes assiégés à l’hôtel de ville. Il n’y a pas d’alliés. Je répète il n’y a pas d’alliés. Ce sont tous des hommes de Del Itoh !
A l’instant où Jonas entendait cette déclaration qu’il redoutait autant qu’il espérait, des tirs de sniper déclenchèrent les bombes disséminées tout autour d’eux.
Jenna arracha son oreillette, évitant de justesse la surdité. Ce qui ne l’empêcha pas de percevoir la tonitruante série d’explosions qui venaient de réduire à néant un hypothétique renfort.
- Jonas !
Jena se laissa tomber à genoux et ferma les yeux. Elle venait d’ouvrir la boîte de Pandore. Elle avait livré le monde au mal absolu, elle, qui s’était sentie née pour l’éradiquer. Elle était maudite. A jamais.
Lorsqu’elle ouvrit les yeux, elle vit ses hommes tomber les uns après les autres, subissant les tirs des lance-grenades Hellfire. Alors elle serra les poings et bondissant telle une lionne enragée, elle fit feu sur leurs ennemis regroupé tels des démons impies.
Elle en avait occis près d’une vingtaine lorsqu’un tir de sniper l’arrêta net dans son élan rédempteur.
Elle se renversa en arrière tandis que les troupes du Troisième Empire mettaient un terme à l’escarmouche.
Le Grand Programmateur ne put étouffer un cri. C’en était fini.
Il camoufla sa détresse derrière le regard haineux qu’il décocha au Sombre Adversaire drapé dans sa méprisante assurance.
« Cette fois, il ne veut pas gagner. Il veut m’humilier. »
- Ce n’est pas encore fini, si tu regardes bien.
Le Grand Programmateur dévisagea intensément son rival avant d’observer la partie. Il avait pourtant raison. Un élément en sa possession semblait porter en lui un grand potentiel. Un potentiel déterminant pour l’issue de la bataille ? De la partie ? Le Grand Programmateur n’osait y croire. Il avait été échaudé tant de fois en si peu de temps. Mais le désir et le besoin de remporter le défi s’imposèrent à lui. Gagner contre toute attente, contre tout espoir serait pour lui l’occasion de retourner complètement la situation. Et si c’était pour lui le moyen ultime d’humilier son adversaire ? Son rictus s’altéra et devint un sourire. Il décida de reprendre les rênes et de miser sur cet outsider.
Lisa n’eut pas le loisir de pleurer longtemps la perte du Capitaine Chris Ludan.
Un appareil venait de la prendre en chasse.
- Ils ont eu Chris ! lâcha-t-elle en serrant les dents.
- Les fumiers ! fit Jerry Cold. Ils vont le regretter !
En voyant son objectif sous le feu des américains, Lisa s’alarma :
- Ne tirez pas sur le Stormaker ! Je répète : ne tirez pas sur le Stormaker !
- C’est pourtant une cible facile ! argumenta Carson.
- Je sais, mais c’est notre seule arme contre ce satané robot ! Je vais m’introduire à l’intérieur de l’avion, le lancer sur la tête et m’éjecter au dernier moment. Moi seule le peux !
- Bien reçu ! On va tâcher de le distraire un peu. Terminé.
- Je m’occupe de te couvrir, Lisa, fit la voix de Jerry.
- Parfait. A charge de revanche !
« Ca s’est fait, songea Lisa. Au suivant ! »
Elle accéléra pour distancer le chasseur à ses trousses, mais ce dernier apparut bientôt sur sa gauche.
A 15h, un autre chasseur semblait l’avoir prise pour cible.
« Manquait plus que ça ! »
Mais à peine arrivé, cet ennemi importun disparut aussi vite, détruit par une salve salvatrice tirée à point nommée par Jerry. La proximité de l’explosion chahuta la jeune femme qui vit avec horreur une aile perforée fondre sur elle en tournoyant. Elle glissa in extremis à l’intérieur du projectile et l’entendit avec bonheur s’encastrer mortellement dans le cockpit de son premier poursuivant. A peine remise de cette échauffourée, elle s’aperçut que son manège venait d’attirer l’attention de deux autres Sweeping italiens. Le premier était rivé à son sillage comme si sa vie en dépendait, quant au second, il venait face à elle, tirant sans discontinuer. Elle était rapide, mobile, mais si désespérément vulnérable face au feu véloce de l’ennemi. Heureusement, Lisa avait deux atouts de poids pour palier à cette faiblesse : une parfaite maîtrise du propulseur qui ornait son dos et un degré d’astuce équivalent. Chris avait eu le temps de la connaître suffisamment. Pas assez selon elle mais suffisamment pour savoir qu’il était plus sage que ce soit elle qui conserve le jet-pack. Elle prit le temps de formuler une fervente prière à son intention avant de se lancer dans un ahurissant numéro d’acrobaties. Elle virevolta telle une étoile filante euphorique, échappant de justesse aux chapelets mortels que les deux chasseurs lui distribuaient sans compter. Profitant d’une impulsion, elle plongea sous un feu nourri provenant des deux côtés. Qui ne fut pas perdu pour tout le monde. Le Sweeping se trouvant dans son dos se décomposa violemment sous l’impact. L’autre eut plus de chance. Il se déporta à temps et ne sacrifia que son pare-brise. Le pilote n’eut pourtant pas le loisir de savourer cette victoire. Profitant de l’accalmie, Lisa s’était transporté jusqu’au chasseur en difficulté. Le pilote n’eut que le temps de la voir jeter une mine – ventouse dans le cockpit avant que son appareil vole en éclats.
La jeune femme eut bien vite l’occasion de renvoyer l’ascenseur à Jerry. A son tour, il fut la proie d’un chasseur dont la ténacité le repoussait dans ses derniers retranchements. Elle se lança alors dans le sillage de l’italien et colla une mine ventouse au niveau de ses tuyères. Elle se propulsa ensuite à hauteur du cockpit. Le pilote se tourna vers elle, ahuri, et elle lui adressa un petit geste de la main. Avant que la queue de son appareil ne disparaisse dans une boule de feu.
- Merci Lisa ! Il commençait à me saper le moral !
- De rien, Jerry. J’ai toujours détesté les dettes !
Cependant qu’ils devisaient de la sorte, le pilote italien s’éjecta de son appareil à leur insu. Calvin repéra la toile de son parachute et se chargea de la perforer d’un tir bien ajusté. Libéré de ses suspentes, le pilote tomba comme une pierre avant de remonter subitement vers la bataille, véhiculé par un jet-pack savamment camouflé. Son propulseur s’escamota sur chacun de ses flancs, lui distribuant une mine-ventouse dans chaque main. Il repéra un allié en mauvaise posture et se fit une joie de le débarrasser de leur ennemi commun.
- Merde ! aboya Carson. Il y a un fumier de rital qui se balade en jet-pack. Il vient de descendre Rudy ! Ce n’était qu’un gosse !
- Bien reçu, Andy. Je m’occupe de ce plagiaire !
Lisa évita une rafale avant de fondre sur sa nouvelle cible prioritaire.
L’italien porta une main à son oreille droite et se retourna. Lisa comprit qu’un de ses alliés venait de lui communiquer sa position. Elle dégaina son pistolet et fit feu à plusieurs reprises. L’autre esquiva et se trouva derrière elle en un éclair.
- Bye bye Wonder Woman !
Lisa entendit le rire lugubre de son adversaire en même temps qu’un objet métallique se coller contre son propulseur. Elle fut glacée d’effroi en comprenant qu’elle portait une mine-ventouse. Sans réfléchir, elle se libéra de son harnais et repoussa le jet-pack. Ce dernier ne trouva rien d’autre à faire que percuter un chasseur américain. Le souffle de l’explosion grilla le visage de Lisa et la projeta sur l’italien auquel elle s’accrocha désespérément. Soit elle avait un ange gardien, soit elle était vraiment Wonder Woman ! La lutte fut de courte durée. Elle supporta stoïquement les secousses et les jurons de l’italien avant de l’assommer d’un coup de crosse. Réduisant la vitesse de son jet-pack, elle put s’en emparer et regarda le corps inerte de son adversaire filer vers le sol.
- Bye bye Superman !
Grâce aux soutiens de Jerry, de Carson et de quelques autres, elle arriva sans plus de mal jusqu’à l’arsenal volant. Seulement, l’accès de la soute était verrouillé de l’intérieur et elle avait utilisé sa dernière mine-ventouse pour secourir Jerry.
- Besoin d’un serrurier, mam’zelle ?
Justement c’était Jerry. Il avait gardé un œil sur elle et tous deux s’en félicitèrent.
Il se positionna correctement avant de lâcher une courte salve.
La porte fut pulvérisée, permettant à la jeune femme de pénétrer dans l’appareil.
- Merci Jerry. Me revoilà ta débitrice !
Elle était attendue. Trois soldats accoururent, armé chacun d’un fusil - mitrailleur Juggernaut. Elle dégaina son pistolet et abattit le premier. L’un des deux autres lui logea une balle dans l’épaule gauche. Elle tomba derrière un amas de caisses. Serrant les dents, elle toucha mortellement le tireur. Elle arrosa copieusement le dernier avant de constater qu’elle n’avait plus de munitions. Heureusement lui non plus. Elle se releva avec peine et leva les bras en signe de reddition. L’italien dit quelque chose en se rapprochant qu’elle ne prit pas la peine de traduire. En même temps qu’elle faisait volte-face, elle s’arc-bouta et enclencha les fusées de son jet-pack qui se chargèrent d’incinérer vivant le soldat impérial.
Se débarrasser des pilotes fut chose plus aisée. Elle libéra un siège et s’installa aux commandes.
- Je suis en place. Jerry, Calvin, vous me recevez ?
Un long silence meurtrier lui répondit. Elle était peut-être désormais la seule survivante de leur escadrille. Elle poussa un long soupir et dirigea l’appareil vers la tête du titan qui semblait ne pas l’avoir repérer dans tout ce chaos.
Elle enclencha le MVR ou Mode de Vision Rapprochée.
Le cockpit du « Mein Kampf » occupa en transparence tout l’espace de son champ de vision. Elle eut alors le loisir de détailler les deux pilotes absorbés dans leurs manœuvres et surtout Ralf Del Itoh en personne. C’était donc cet homme qui avait monopolisé tant de moyens, alimenté tant de haine, de courage, de dévotion. Elle observa son visage. Il fallait qu’il meure, tout en elle le lui ordonnait, et pourtant, une voix obscure, surgie d’un recoin perdu de son inconscient se dressa contre la plus intraitable logique. Pourquoi ressentait-elle un lien particulier avec ce monstre de tyran ? Pourquoi cette impérieuse voix intérieure lui affirmait qu’en tuant cet homme, elle allait indéniablement tuer une partie d’elle-même ? Cela n’avait aucun sens. C’était pure folie.
La voix de Jerry retentit dans l’habitacle comme pour mettre un terme à l’inconcevable dilemme.
- Lisa, qu’est-ce que tu fous, enclenche la PAU ! Ce salaud est à nous !
Il se garda bien de lui dire que son appareil était en feu et qu’il n’avait plus que quelques instants à vivre.
La voix de Jerry emplit le cockpit du « Mein Kampf ».
- Vous savez ce qu’il dit ? interrogea Del Itoh.
L’un des pilotes tendit l’oreille et plissa les yeux.
- Ces foutus américains bouffent la moitié des mots ! On dirait qu’ils préparent quelque chose. Il s’inquiète au sujet d’une manœuvre.
Le dictateur détailla les appareils occupant le ciel. Puis soudain il pâlit.
- Ils vont lancer le Stormaker contre nous !
L’un des pilotes secoua la tête.
- Il est beaucoup trop lent.
L’autre pilote secoua la tête à son tour :
- Pas si elle actionne la Propulsion Auxiliaire d’Urgence. Ce système a été conçu pour éviter qu’un tel appareil puisse exploser n’importe où et endommager d’importantes unités impériales. Grâce à cela, il peut acquérir la vitesse d’un chasseur pendant une période suffisante. Et nous ne pourrions probablement pas l’éviter !
Le regard de Del Itoh s’embrasa.
- Alors détruisez-le !
Le pilote allait s’exécuter, mais une pression sur son épaule le retint.
- Qu’y a-t-il, maître ?
Del Itoh regardait droit devant lui. Son regard semblait traverser l’espace jusqu’à atteindre le pilote même du Stormaker.
- Je ne sais pas. Je ressens une impression étrange. Comme si j’allais regretter ce geste.
- C’est pourtant la seule chose à faire, mon Maître.
- Oui, cela ne fait aucun doute.
Le bras armé du titan menaça le Stormaker.
Lisa ôta son casque, libérant une somptueuse chevelure rousse.
- Je ne peux pas. Pardonnez-moi.
Elle était en pleurs.
Ralf Del Itoh poussa un soupir à fendre l’âme.
- Feu !
Le poing du robot cracha une série d’éclairs qui pulvérisèrent le bombardier.
Les poings du Grand Programmateur s’abattirent sur le plateau, menaçant d’y apporter plus de confusion encore. Il ignora l’expression de son rival et se laissa complètement choir sur sa chaise. Sa manière de signifier sa reddition.
Le Sombre Adversaire croisa ses doigts avec une évidente délectation.
- Une taupe qui s’ignore est une taupe qui vaut de l’or.
Le Grand Programmateur se laissa gagner par une reposante léthargie.
- Epargne-moi les maximes de ton esprit tordu.
- Tu ne veux pas voir ce que j’ai réservé à ton atout majeur ? Ca vaut le coup, crois-moi sur parole. Tu sais quoi, je crois que je connais enfin mon plus gros défaut.
- La folie ?
- L’ironie.
Jena ouvrit les yeux. Elle fut déçue de constater qu’elle n’était pas morte. Le sniper s’était contenté de lui injecter un tranquillisant. Une charmante attention qu’elle devait sans nul doute à Ralf Del Itoh lui-même.
Elle était assise sur une chaise, pieds et poings liés. On lui avait retiré son uniforme, ses bottes. Il ne lui restait que ses sous-vêtements. Elle se demanda si les soldats l’avaient violée pendant qu’elle était inconsciente.
Un officier sortit de l’ombre et comme s’il avait lu dans ses pensées, il s’adressa à elle dans un anglais approximatif :
- Pas peur. Le Maître arriver bientôt. Faire pas mal à toi avant.
Il lui empoigna la mâchoire et lui assena un coup de poing.
- Pour ça, dire que toi tomber.
Elle aurait nettement préféré que cette brute d’officier s’occupe de son sort. Car elle savait qu’il serait de toutes façons toujours plus enviable que celui que pouvait lui réserver le dictateur. Elle cracha une giclée de sang avant de s’adresser à lui :
- Mes hommes ?
L’officier haussa les épaules.
- La guerre. Pas beaucoup choix.
Jena tourna la tête et se retint de pleurer en pensant à Jonas. Elle l’avait trahi. Ni plus, ni moins. Lui et tous les Frères de la Délivrance qui l’avaient suivi sans état d’âmes jusqu’au bout de son obsession. Au lieu de les mener à la victoire, elle les avait mené à une mort certaine. Elle méritait ce qui allait lui arriver. Quoi que ce fut.
Chris Ludan était perdu. Il avait l’impression de sortir du coma ou quelque chose d’approchant. Il se souvenait de la bataille aérienne, de Lisa s’échappant du Sweeping avec le jet-pack, mais après…
Il chercha son avion du regard. S’il s’était écrasé, comme ce devait être le cas, il devrait rester au moins une épave, des fragments, quelque chose. Pourtant il n’y avait aucune trace du chasseur. Le sol était vierge de tout impact. Comme s’il s’était totalement désintégré.
Et comme si cela ne suffisait pas pour le perturber, lui-même n’avait aucune blessure. Il avait dû tomber dans la quatrième dimension.
Il secoua la tête pour chasser cette élucubration. Ce n’était pas le moment de divaguer. Il leva les yeux. Le ciel était d’une étrange teinte, baignant tout le paysage dans un curieux contraste de jour et de nuit. Comme si la nature n’arrivait pas à se décider. Chris avait l’impression surréaliste d’avancer dans une peinture. « J’espère que c’est une toile de maître ! »
D’être tombé sur la terre ferme était inconcevable. D’après ce qu’il se rappelait, ils étaient encore très loin du continent au moment où ils avaient engagé la bataille. Avait-il pu dériver à ce point ? Dans ce cas, où était –il ? Sur une île perdue ? En Angleterre ? En France ? Les deux pays étaient aux mains des italiens du Troisième Règne ce qui impliquait qu’il ne serait pas le bienvenu s’il avait bien atterri en Europe.
Il poussa un soupir de soulagement en découvrant un pistolet glissé dans sa ceinture. Puis il eut l’idée de jeter un coup d’œil à sa montre-boussole.
Le cadran était intact, mais elle ne marchait plus. C’était pourtant un modèle dernier cri si l’on en juger par l’électronique dont elle était saturée jusqu’au bracelet. Elle était capable de déterminer l’heure, la température, le taux d’humidité, la qualité de l’air et bien d’autres choses encore. Mais soit le coin avait souffert d’intenses décharges magnétiques, soit il était sur une autre planète. Car tous les détecteurs affichaient NEANT.
Il ne se sentit plus de joie lorsqu’il repéra enfin une espèce de baraque aussi paumée que lui. Il s’approcha néanmoins à pas de loups, ne sachant sur qui il pouvait tomber. Il s’empara de son arme. Il n’y avait pas de fenêtre, juste une porte. Pas de sonnette. Pas de poignée. Un simple panneau de ce qui semblait être du bois avec d’étranges reflets irisés. Chris le poussa doucement d’une main et pénétra à l’intérieur.
De l’eau glacée !
Jena sortit de sa torpeur, le visage dégoulinant. L’officier se tenait devant elle, un seau à la main, un sourire aux lèvres.
- Pas dormir. Le Maître ici.
Décidément, elle aurait préféré mourir. Mais elle était maudite et le martyr était apparemment devenu sa nouvelle vocation. « Qu’il en soit ainsi. »
Une main lui saisit à nouveau la mâchoire, mais ce n’était pas celle de l’officier. Son regard plongea dans le regard de Ralf Del Itoh.
Elle était face à son pire ennemi, face au bourreau de l’Humanité. Et elle était pieds et poings liés. Son destin était d’une cruelle ironie.
- Alors c’est toi la Panthère de Dieu, la Vierge de Fer. L’es-tu seulement encore, vierge ?
L’officier acquiesça.
Del Itoh sourit.
- Je crains que tes vœux de chasteté ne trouvent en moi aucun écho de compassion. Tu t’es abstenue pour rien.
Jena entendit l’officier éclater de rire. Del Itoh avait dû faire une remarque spirituelle, mais comme elle ne comprenait pas un mot d’italien.
Le dictateur, lui, gardait un sérieux inquiétant.
- Vos efforts à tous ont été honorables, mais un peu trop tardifs. Tes alliés américains ont eux aussi essayé de m’arrêter. Très audacieux de leur part. Mais on ne gagne pas une guerre comme celle-ci avec de l’audace.
Il leva le poing et la voix :
- Il faut de la rage au cœur !
Il sourit. Jena se dit que ce n’était pas de bon augure pour elle.
- Je n’ai jamais crû en ta mort présumée. Mais puisque tu tiens tant à mourir, ton Maître va t’exaucer. C’est devenu sa spécialité.
Il se recula.
- Qu’on la détache et qu’on l’emmène sur la place.
L’officier s’exécuta.
Sous bonne escorte, Del Itoh conduisit la jeune femme sur la place dite, au centre de laquelle se dressait la statue d’un cavalier. Ou plutôt d’une cavalière.
- Tu sais qui c’est ?
C’était Jeanne d’Arc, immortalisée pour ses exploits. Une farouche combattante, une femme à la foi inébranlable. Comme Jena.
La jeune femme était hypnotisée par la sculpture. Sa vie trouvait un sens nouveau à la vue et au souvenir de cette guerrière et de ce qu’elle avait enduré.
« Nous nous ressemblons tellement. Mais contrairement à elle, j’ai échoué. Si près du but. »
- Attachez-là à la statue, ordonna Del Itoh.
Deux hommes s’emparèrent de la jeune femme et la ligotèrent au piédestal.
Des fusils furent dressés, en nombre suffisant pour lui garantir une mort rapide. Sauf s’ils étaient très mauvais tireurs. Jena ne savait si elle devait rire ou pleurer. Dans le doute, elle ne fit rien. Il y a longtemps que les choses lui avaient échappé. Elle n’avait été maîtresse de rien. Elle n’avait été qu’un jouet, un instrument aux mains d’un esprit malin. Que cette mascarade se termine enfin ne pouvait que lui procurer un certain réconfort.
L’officier leva une main.
- En joue.
Les soldats obtempérèrent.
- Non !
Ralf Del Itoh dévisagea Jena et la statue avant de se diriger vers un soldat en particulier.
- Puisqu’elles se ressemblent tant, qu’elles meurent toutes les deux de la même façon.
Le soldat s’avança et pointa la gueule de son lance-flammes vers la jeune femme. Alors elle comprit toute la portée de ses cauchemars.
L’officier baissa le bras.
- Feu !
- Tu n’es qu’un ignoble monstre sadique !
Le Grand Programmateur se leva pour éviter un drame.
L’autre se fit un plaisir de jeter de l’huile sur le feu.
- Tu comprends ce que je voulais dire en parlant d’ironie ?
- Il vaut mieux que je sorte sinon je suis capable de…
- De me tuer ? acheva le Sombre Adversaire. Tu sais bien que c’est impossible. Pas à mains nues en tout cas. Et tu sais comme moi qu’il n’y a plus d’armes ici.
Le Grand Programmateur lui jeta un regard noir.
- A qui la faute ? Tu as tiré la dernière balle, provoquant l’extinction d’une espèce qui avait obtenu mille fois plus ma faveur que cette déplorable race humaine avec qui j’ai dû composer pendant tout ce temps. Cela n’a jamais été mon choix. Et pourtant, tu dois le reconnaître, je me suis bien battu.
- J’en conviens tout à fait. Mais nous avons toujours été à armes égales. A toi d’en convenir.
- Impossible. Ce jeu est conçu pour un esprit que je n’ai pas. Je suis trop innocent.
Le Sombre Adversaire s’esclaffa.
- Si ça ce n’est pas de l’ironie !
Il sursauta.
- J’ai entendu un bruit.
Le Grand Programmateur ne cacha pas son dédain.
- Merci, mais tu m’as déjà fait le coup. Tu n’as plus besoin d’employer de telles bassesses pour l’emporter. Tu as gagné au cas où tu ne l’aurais pas remarqué. Et je n’ai pas l’intention de rejouer si tu veux tout savoir.
Le Sombre Adversaire se leva.
- Quoi ? Mais tu plaisantes, nous devons absolument poursuivre le jeu ! Ce n’est pas ma première victoire et ça ne doit pas être ma dernière ! Tu sais très bien que nous ne sommes plus rien sans ce jeu !
- Parle pour toi.
Le Sombre Adversaire se rassit.
- Te souviens-tu de ce que tu faisais avant le jeu ?
Son interlocuteur le regarda sans mot dire. Il connaissait ses arguments par cœur.
- Non, évidemment, reprit le Sombre Adversaire, tout comme moi. Cela fait si longtemps que nous jouons que nous ne nous souvenons de rien d’autre.
Le Grand Programmateur se dirigea vers le rideau.
- Je vais sortir d’ici. J’en ai soupé de tout ceci. Ce jeu, cette pièce. Toi…
Le Sombre Adversaire fut soudain pris de panique. Il se dressa et balbutia :
- On pourrait échanger nos places! C’est très simple et ça ne coûte rien d’essayer !
Le Grand Programmateur haussa les épaules en reniflant bruyamment. Il écarta le rideau et se recula brusquement comme s’il venait de voir un fantôme.
Une arme était braquée sur lui. Chris Ludan s’avança dans la pièce.
- Que personne ne bouge !
Le Sombre Adversaire dévisagea l’arrivant. Il glissa une main dans sa poche.
- Comment est-ce possible ? Il ne devrait pas être ici ! Comment est-il arrivé ?
Le Grand Programmateur semblait ému de se retrouver face à son champion. Il le scrutait à la manière d’un père qui rencontrerait son fils pour la première fois. Il n’en perdit pas pour autant son brillant esprit d’analyse.
- On dirait bien qu’à force de les utiliser, certains d’entre eux ont fini par acquérir plus de pouvoir que nous ne l’imaginions. Il faut croire que nous ne connaissons pas encore toutes les règles du jeu.
La patience de Chris se fit la belle. Il devint menaçant.
- Arrêtez ces messes basses ! De quoi parlez-vous ? Qui êtes-vous ? Vous êtes anglais, américains ?
Le Grand Programmateur lui adressa un regard magnanime.
- Je pense qu’au point où en sont les choses, rien ne nous interdit de te le dire. Surtout si ça peut mettre fin une bonne fois pour toutes à ce jeu stupide.
Le Sombre Adversaire se leva.
- Ne lui dis pas ! Ne lui dis rien !
- Toujours ta peur obsessionnelle du néant ?
Le Sombre Adversaire jeta un regard méprisant à Chris.
- Pourquoi devrions-nous nous soumettre ? Ce n’est qu’un pion. Son arme ne fonctionne certainement pas ici !
Chris rendit son regard au Sombre Adversaire avant de braquer son pistolet vers une armoire. Il pressa la détente. Une détonation retentit et la porte de l’armoire s’ouvrit.
- Apparemment, elle fonctionne.
Il plaça le Sombre Adversaire dans sa ligne de mire.
- Mais je peux faire un nouvel essai pour vous convaincre.
Le Sombre Adversaire s’assit en essayant de se faire tout petit.
- C’est inconcevable ! Ca ne peut-être qu’une anomalie !
Le Grand Programmateur continuait d’observer Chris avec un mélange de stupeur et de fascination.
- Peut-être que le jeu lui-même a développé une forme de conscience. Et qu’elle commence à se manifester…
Chris le menaça de son arme.
- Sois plus clair ou tu n’auras plus le loisir de cogiter.
Du menton, le Grand Programmateur désigna le plateau du jeu.
- Tout est là. Tout est dans le jeu. Tout ce qui a existé, tout ce qui est arrivé, tout ce que tu as connu est son œuvre. Nous ne sommes là que pour entretenir la mécanique si je puis m’exprimer ainsi. Même si nous avons le plus grand mal à nous en rappeler, il est très raisonnable de penser que le jeu était là bien avant nous.
Chris dévisagea les deux joueurs.
- Amnésiques ?
Le Sombre Adversaire produisit un sourire plein de malice.
- Immortels.
Chris ignora ce qu’il prit pour un sarcasme et s’approcha de la table. Il détailla le plateau.
- Je ne comprends rien à ce que vous me racontez et je ne vois pas grand-chose là dedans.
- C’est naturel, reprit le Grand Programmateur. C’est la première fois que tu le vois. Si tu avais la même expérience du jeu que nous, tu verrais de l’eau, des continents, des forêts, des villes, des hommes, des femmes, des soldats, la guerre, le Troisième Empire régnant sur toute la sur…
- Ferme-là ! rugit le Sombre Adversaire.
Chris le frappa de la crosse de son arme.
- Non, toi, ferme-la !
Il examina tour à tour le jeu et le Grand Programmateur.
- Tu es en train de me dire que ce que vous appelez le jeu est une représentation du monde que vous supervisez comme bon vous semble ? Vous me croyez assez bête pour avaler ça ?
Le Sombre Adversaire prit quelque chose sur le bord de la table.
Chris pointa son arme sur lui, mais se détendit lorsque l’autre ouvrit son poing. A l’intérieur, il y avait une figurine humaine. Chris la prit et la regarda parce que c’était ce qu’on attendait de lui. Le niveau de détails était impressionnant.
Le personnage lui semblait terriblement familier. Au point qu’il en ressentait un douloureux malaise.
- C’est toi, dit le Grand Programmateur.
- Tu ne fais plus partie du jeu à l’heure actuelle. Tu es mort.
- Mort ? Je n’ai rien d’un mort, sauf si vous l’êtes aussi.
Le Sombre Adversaire décida de changer son fusil d’épaule. C’était peut-être aussi bien que cet intrus soit là. Il allait peut-être enfin pouvoir partager ce poids, cette responsabilité qu’il détenait seul depuis si longtemps ; le partager avec quelqu’un de tout à fait… extérieur. Cela mettrait un peu de piment dans son existence.
- Quand tu auras compris tout le fonctionnement du jeu, tu sauras que le mot « mort » n’est en fait qu’une façon de dire qu’un pion n’est plus valide jusqu’à ce qu’il soit de nouveau remis en jeu. Chaque pion est réutilisable. Ce qui laisse un certain nombre de possibilités. Il n’y a pour ainsi dire pas de limite. Pas de fin.
Chris avait trop peur de comprendre. Il se raccrocha à sa perception prosaïque du monde.
- Qu’est-ce que cela veut dire ?
Le Grand Programmateur désigna du menton l’armoire ouverte précédemment.
Chris redonna la figurine au Sombre Adversaire et s’approcha du meuble.
A l’intérieur il y avait d’innombrables boîtes dont le couvercle était recouvert d’inscriptions indéchiffrables. En tout cas pour lui.
A l’intérieur de chaque boîte, il y avait d’innombrables figurines. Comme celle qu’il avait tenu dans sa main. Il fut pris d’un vertige. Il lâcha son arme et se laissa tomber sur le sol.
- Ce n’est possible, ça ne peut pas être ça ! La vie ne peut pas se résumer à ça !
Le Sombre Adversaire se tourna vers son éternel rival :
- Je crois qu’il a besoin d’une preuve.
Le Grand Programmateur opina du chef.
- Où voudrais-tu être si tu pouvais retourner sur Terre ?
Chris les dévisagea, espérant qu’ils allaient éclater de rire et lui dire ensuite qu’ils s’étaient bien foutus de lui. Mais ils affichaient un sérieux qui le glaça jusqu’aux os.
- Je voudrais être aux côtés de Lisa, Lisa Derdefyll. Je veux savoir ce qu’il lui est arrivé.
Le Sombre Adversaire observa la figurine représentant Chris.
- Rien de plus simple.
Puis il la plaça dans le jeu.
Chris disparut de la pièce et…
… se retrouva dans l’eau, manquant se noyer, lui qui était pourtant un nageur émérite. Autour de lui flottaient d’innombrables fragments d’avions. Cette vision fut l’ultime preuve de la folle théorie qu’avançaient les deux énigmatiques joueurs. Il reconnut les restes de plusieurs Sweeping et ceux d’un Stormaker. Et c’est à ce moment qu’il comprit le sort de Lisa. S’il était bien à l’endroit voulu, cela ne pouvait signifier qu’une seule chose : la jeune femme avait péri durant la bataille.
Une tristesse terrible le submergea. Ses yeux se fermèrent comme pour censurer le drame. Il leva la tête vers le ciel et sa bouche s’ouvrit pour expulser toute sa rage :
- Pas elle !
Lorsqu’il rouvrit les yeux la seconde d’après, il était de nouveau dans la pièce en compagnie des deux joueurs. Il s’écroula derechef contre l’armoire et ne put refouler l’émotion d’une telle découverte :
- Nous ne sommes donc que des figurines entre vos mains, des pions sans aucune volonté!
Les deux adversaires se dévisagèrent. Ils avaient le sentiment d’avoir impunément péché toute leur vie et d’être enfin démasqués et jugés. Auparavant, il ne leur avait jamais semblé utile de ressentir la moindre culpabilité. Personne n’était jamais venu leur reprocher quoi que ce soit. Ils étaient même plutôt fiers de leurs prestations. Et voilà qu’un imprévu venait tout remettre en question.
- Vous n’avez donc jamais expérimenté la vie autrement que par ce jeu ?
Le Grand Programmateur inspira longuement avant de répondre.
- Comme nous le disions tout à l’heure, nous ne nous souvenons de rien à part du jeu. Si nous avons fait et vécu autre chose avant, et bien, nous l’avons oublié. Et c’est sûrement mieux ainsi.
Chris se releva, les yeux baignés de larmes, les dents serrés par la haine :
- Vous ne valez pas mieux que ce salopard de Del Itoh !
Il renversa une boîte au sol, éparpillant des dizaines de figurines.
Le Sombre Adversaire s’avança vers lui. Le pistolet de Chris revint le menacer.
- Ne bouge pas, ordure ! Le jeu est terminé ! Vous allez tous les deux pointer au chômage !
Il renversa le contenu d’autres boîtes. Ses semelles écrasèrent plusieurs figurines.
Le Sombre Adversaire empoigna son partenaire de jeu :
- On ne peut pas le laisser faire ! Il va tuer des tas d’innocents !
Le Grand Programmateur regardait la scène avec un sourire discret, mais perceptible.
- Que crois-tu que nous avons fait jusque-là ?
Chris était comme dans un état de second. Il pensait à l’histoire avec un grand H ainsi qu’à toutes les autres, moindres en apparence. Il pensait à sa propre histoire. Il ne savait pas s’il devait rire, pleurer ou hurler. Tout ce qu’il était capable de faire pour le moment était de saccager cette maudite armoire. C’était un exutoire comme un autre. Vivre libre ou mourir !
Le Sombre Adversaire se rapprocha doucement de lui :
- Arrête, tu es en train de tuer des gens !
- Non, je les délivre. Je les délivre tous de leur état de marionnettes, de leur condition d’esclaves !
- Ce ne sont pas des marionnettes. Tu n’es pas une marionnette. Tu as toujours conservé un libre-arbitre sur lequel nous étions incapables d’influer.
Chris s’immobilisa et se tourna vers le Sombre Adversaire.
- Ah, oui ! Dis-moi quand, alors ? Quand j’ai envoyé mes hommes se faire massacrer en plein ciel ou quand j’ai laissé Lisa quitter le chasseur pour…
- Elle serait restée avec toi, elle serait morte quand même.
Chris lui décocha un coup de poing.
- Elle m’aurait alors peut-être rejoint ici, alors !
Le Grand Programmateur pointa un index en direction de la table :
- Vous pouvez à nouveau être ensemble. C’est encore possible. Il suffit que l’on modifie le jeu. Nous faisons cela tout le temps. Il n’y a ni passé, ni futur, rien qu’un éternel présent que l’on reconfigure selon nos besoins respectifs. Moi je suis de ton côté. Je l’ai toujours été.
Le Sombre Adversaire essuya le sang qui coulait de son menton.
- Regardez-moi ce pleutre. Et si tu lui disais plutôt qui est vraiment Lisa. Si tu lui disais qui elle était avant d’être cette vaillante résistante! Si tu lui disais pourquoi elle n’a pas pu tirer sur Del Itoh quand elle en a eu l’occa…
- La ferme ! cria le Grand Programmateur.
Chris orienta son arme vers lui.
- Non, toi, ferme-la.
Il s’adressa au Sombre Adversaire.
- Qu’est-ce que tu vas m’annoncer ? Que c’était une femme dépravée ? Un tueur sadique ? Peut-être Jack l’éventreur ?
Le Sombre Adversaire sourit.
- Tellement pire que tout cela réuni.
D’un regard dépourvu de pitié, Chris l’invita à être plus précis.
- Elle était la mère de Del Itoh. Et toi-même, tu as essayé de la tuer, elle et le père du futur Maître. Ayant échoué, tu t’es suicidé. Une balle dans la tête. Tu n’as jamais vraiment su d’où venaient ces terribles migraines dont tu as souffert toute ta vie, n’est-ce pas ?
Chris se caressa la tempe, en proie à un formidable sentiment d’impuissance face à la perspective qui lui était progressivement dévoilée. Ce qu’il avait considéré comme la réalité n’avait été en fait que la partie émergée de l’iceberg.
Et puis la colère dénatura ses traits :
- Espèces de …
Le Sombre Adversaire se jeta sur lui pour s’emparer du pistolet. Une première balle siffla au-dessus de la tête du Grand Programmateur, une seconde troua le rideau. Ses yeux s’écarquillèrent quand il vit le canon de l’arme se diriger dangereusement vers la table. Il se jeta sur le côté et poussa un cri lorsque la balle s’enfonça dans sa poitrine. Il bascula en arrière.
Chris fixa le corps avec hébétude.
- Je l’ai tué ?
Le Sombre Adversaire profita de sa consternation pour lui arracher le pistolet des mains. Il s’agenouilla auprès du corps.
- Ce n’est qu’une question de temps.
Il rangea le pistolet dans une poche. L’évènement eut le don d’instaurer une trêve dans les esprits. Chris rejoignit le Sombre Adversaire. Il se pencha vers le Grand Programmateur. En découvrant sa blessure et son expression douloureuse, il éprouva une grande pitié. Et il prit conscience que si cet homme mourrait, ce serait aussi une partie de lui qui disparaîtrait. A ce titre, il partageait une émotion commune avec le Sombre Adversaire. Ce dernier devait aussi beaucoup de son existence à son interaction avec le Grand Programmateur. Pour lui, ce n’était pas seulement un très bon adversaire qui allait partir. C’était tellement plus que cela.
Chris sentit un nouveau vertige le prendre. Il pria pour se réveiller de ce cauchemar tout en apposant ses mains jointes sur la poitrine exsangue.
- Il faut faire quelque chose. Vous avez une trousse de secours ?
Le Sombre Adversaire baissa la tête.
- Il n’y a rien pour soigner, ici. Je vous l’ai dit, nous sommes immortels. Enfin, nous pensions l’être jusqu’à votre arrivée.
Tous deux acceptaient mal leur impuissance. Le Sombre Adversaire prit la main du Grand Programmateur. Il se devait de l’accompagner jusqu’au bout. Histoire peut-être de prouver et de se prouver qu’il était un joueur fair-play contrairement aux apparences.
Le Grand Programmateur ouvrit la bouche. Les deux autres se figèrent, attentifs à ses dernières paroles. Mais il n’y eut qu’un hoquet suivi d’une giclée de sang. Chris abaissa ses paupières. Le Sombre Adversaire fixa le mort, le souffle coupé. Cette image défiait la raison. Ils avaient toujours été deux. Qu’allait-il devenir sans lui ?
Il se leva et regagna lentement sa place. Il observa le jeu qui lui apparaissait sous un nouveau jour.
Chris s’approcha de la table. Malgré les explications qu’il avait reçues par les deux joueurs, le jeu était encore une énigme pour lui. Il le contemplait sans comprendre comment il était possible de maîtriser tant de paramètres. « Jouer à Dieu n’est sans doute pas à la portée de tout le monde. » L’esprit des deux joueurs devait faire partie intégrante du jeu. C’est sans doute pour cette raison qu’il n’en distinguait que la superstructure.
Le Sombre Adversaire observait maintenant le corps inanimé du Grand Programmateur. « Ce vieux fou a finalement réussi à quitter le jeu. Lui qui voulait en être délivré, le voilà servi. Mais quel égoïste ! » Son attention se porta alors sur Chris, aussi songeur que lui. Et son visage s’éclaira.
- On dirait bien que même à notre niveau, nous n’échappons pas au destin. Et il vient de parler.
Il désigna la chaise vide du menton :
- J’ai besoin d’un partenaire.
Chris se recula, horrifié.
- Même si je le voulais, je ne pourrai pas le remplacer. Je suis issu du jeu.
Il scruta le Sombre Adversaire. Ses sourcils se froncèrent.
- A moins que vous ne m’ayez bluffé depuis le début.
Sa méfiance fit sourire son interlocuteur.
- Aucunement. Tu es bien issu du jeu. Mais ce n’est en rien un obstacle.
Le Sombre Adversaire glissa une main dans une poche et la tendit vers Chris.
Ce dernier manqua défaillir en voyant les deux figurines qu’il lui présentait.
Il les prit dans sa main et les examina pour s’assurer de leur réalité.
L’une d’elle représentait indéniablement le Sombre Adversaire. Quant à l’autre, bien que brisée en deux, il était évident qu’elle était la réplique miniature de feu le Grand Programmateur.
- Il ne l’a jamais su. J’ai préféré le lui cacher, révéla le Sombre Adversaire. Ca valait mieux pour lui. Et aussi pour moi. Tu n’es pas le premier à être parvenu jusqu’ici. Ces figurines ont toujours été là pour me le rappeler. Au fur et à mesure que j’ai compris les subtilités du jeu, j’ai aussi compris que notre place était ici désormais et qu’il était plus sage d’oublier que nous avions pu être autre chose que ces deux joueurs assidus que nous incarnons depuis des temps immémoriaux. J’ai préféré l’oubli à la folie. Je crois que c’est pour ça que je les ai conservées dans ma poche pendant tout ce temps à son insu. Pour garder à l’esprit que nous avions trouvé le meilleur rôle de notre vie.
Chris était captivé par le récit. Il en oubliait ses craintes et sa colère.
- Vous n’avez jamais voulu partir ?
- Si, plus d’une fois. Surtout lui. C’est même ce qu’il s’apprêtait à faire lorsque tu es arrivé. Mais à chaque fois que j’évoquais l’idée qu’à l’extérieur c’était le néant et qu’il ne trouverait rien, il changeait brusquement d’avis. Il s’est bien éclipsé quelques fois, mais désespéré, il a toujours fini par revenir au bercail. S’il y a quelque chose en dehors de cette maison, ce n’est certainement pas à côté. Mieux vaut passer le temps à jouer qu’à chercher un hypothétique éden. Nous ne sommes pas si mal lotis. En tout cas, c’est loin d’être l’enfer.
Chris secoua la tête.
- Et si je ne veux pas rester ici. Et si je préférais retourner dans le jeu ?
Le Sombre Adversaire produisit une suite de clappements de langue.
- En sachant tout ce que tu sais, tu serais vraiment prêt à y retourner ? Cela m’étonnerait fort. Je te vois mal remettre les chaînes que tu viens juste de briser.
- Tu me crois assez fou pour infliger à d’autres le traitement que j’ai moi-même subi ?
- Bien au contraire. Je te crois assez intelligent pour le leur éviter. En restant ici, à mes côtés, tu as le pouvoir de changer le monde d’une manière que tu n’aurais jamais osé imaginer. Tu veux renverser Del Itoh ? Qu’à cela ne tienne ! Jouons une partie et que le meilleur gagne ! Tu aimes Lisa, tu veux la protéger ? Nous pouvons la remettre en jeu et tu deviendras alors le meilleur ange gardien qu’elle puisse avoir !
Chris pointa un doigt accusateur sur le jeu.
- Je n’ai pas besoin de m’abaisser à cela. Il me suffit de briser la figurine de Del Itoh et le Troisième Empire n’aura jamais existé.
Le Sombre Adversaire lui adressa un regard presque compatissant.
- S’il est une chose indissociable de l’être humain, c’est bien la souffrance. Mais c’est un mal que j’ai eu tout le loisir de juger comme nécessaire. Sans l’épreuve pour le transcender, l’homme n’a guère de chance de se fortifier, d’évoluer. C’est une condition siné qua non.
Chris le fusilla du regard.
- J’ai déjà donné ma réponse. Tu vas immédiatement replacer ma figurine dans le jeu. Ainsi que celle de Lisa.
Le Sombre Adversaire pointa le pistolet sur lui.
- Tu vas immédiatement t’asseoir sur cette chaise.
Chris obéit. Il se baissa un instant avant de se redresser et de dévisager son rival avec une déconcertante assurance.
- Tu crois peut-être que je n’ai aucun moyen de pression sur toi ?
Du menton, il indiqua le sol.
Le Sombre Adversaire aperçut avec horreur sa figurine dépassant sous la botte de Chris.
- Mais qu’est-ce que tu…
Chris profita de son trouble pour lui tordre le poignet et récupérer son arme.
- Je n’ai peut-être pas encore tout assimilé, mais il me semble que si j’appuie suffisamment là-dessus, tu risques d’en pâtir sérieusement. Qu’en dis-tu ?
Le visage du Sombre Adversaire devint rouge.
- Le jeu nécessite deux joueurs, sinon il ne fonctionne pas ! Et s’il ne fonctionne pas…
- Alors l’Humanité sera enfin délivré du joug de pseudo dieux ! Il ne t’est jamais venu à l’idée que le jeu avait peut-être une autre fonction que celle que vous lui avez attribuée et que vous l’avez tout simplement dénaturé, perverti ?
Le Sombre Adversaire sentit qu’il perdait le contrôle de la situation. Un comble pour quelqu’un habitué à manipuler les esprits. Et cela ne l’enchantait pas.
Comme il ne répondait pas, Chris ajouta :
- Tu auras bientôt tout le temps d’y réfléchir.
Le Sombre Adversaire balança l’une de ses dernières cartouches :
- Tout à l’heure, tu as eu de la chance. Si tu retournes dans le jeu, tu ne pourras peut-être plus jamais revenir ici.
Chris étala un sourire.
- Que Dieu m’en préserve. Maintenant tu vas faire en sorte de me ramener où est ma place. Et ne t’avise surtout pas de me jouer un sale tour. Que ce soit ici ou ailleurs, je te garde en otage, dit-il en arborant la figurine du Sombre Adversaire. Tu as intérêt à ne pas me mettre de bâtons dans les roues. Ce sera moi contre Del Itoh. Aucune intervention de ta part. Au moindre faux pas, je te brise.
Dépité, le Sombre Adversaire n’en demeurait pas moins sur ses positions.
- Vous n’avez pas appris à ne penser que par vous-même. Toi comme les autres, vous ne pourrez pas vous passer très longtemps de notre action.
Chris sourit derechef.
- Quelque chose me dit qu’on saura très bien s’en passer.
Tout en le mettant en joue, il inspecta les figurines du Grand Programmateur récemment retirées du jeu. Lorsqu’il reconnut celle de Lisa, son sourire s’éploya sur tout son visage.
TROISIEME PARTIE
Chris disparut de la pièce et se retrouva dans l’eau, manquant se noyer, lui qui était pourtant un nageur émérite. Autour de lui flottaient d’innombrables fragments d’avions. Cette vision fut l’ultime preuve de la folle théorie qu’avançaient les deux énigmatiques joueurs. Il reconnut les restes de plusieurs Sweeping et ceux d’un Stormaker. Et c’est à ce moment qu’il comprit le sort de Lisa. S’il était bien à l’endroit voulu, cela ne pouvait signifier qu’une seule chose : la jeune femme avait péri durant la bataille.
Une tristesse terrible le submergea. Ses yeux se fermèrent comme pour censurer le drame. Il leva la tête vers le ciel et sa bouche s’ouvrit pour expulser toute sa rage :
- Pas elle !
Chris Ludan ouvrit les yeux. Le réveil fut douloureux. D’un point de vue physique seulement. Car lorsqu’il découvrit qu’il était aux commandes d’un Sweeping avec Lisa Derdefyll comme co-pilote, la joie qui s’empara de lui fut d’une toute autre nature.
- Bien dormi, mon chou ?
Les mots étaient superflus. Car il se souvenait de tout. Depuis sa chute en avion jusqu’à son affrontement avec le Sombre Adversaire en passant par la mort du Grand Programmateur. Mais pour l’heure, c’était de retrouver Lisa vivante, indemne, inchangée qui lui procurait la plus vive effusion. Il la serra dans ses bras, ému jusqu’aux larmes. Déconcertée, elle voulut d’emblée le railler « eh, Dom Juan, tu vas nous faire crasher ! » Mais elle avait elle-même si souvent désiré un tel rapprochement qu’elle se tut et goûta pleinement la chaleur de cet enlacement inespéré.
Au bout d’une minute, Chris se fit violence pour s’arracher à cette merveilleuse étreinte. Il reprit sa place et tenta de remettre un peu d’ordre dans ses idées. Il plongea une main dans sa poche et sourit en ouvrant son poing. La figurine du Sombre Adversaire était toujours en sa possession.
Lisa s’éclaircit la gorge.
- Qu’est-ce que c’est ?
Chris se tourna vers elle. A la lueur de ses plus récentes expériences, la présence de Lisa à ses côtés signifiait tellement de choses. Il se rappela ce que le Sombre Adversaire avait dit en évoquant la vie antérieure de la jeune femme :
« Elle était la mère de Del Itoh. Et toi-même, tu as essayé de la tuer, elle et le père du futur Maître. Ayant échoué, tu t’es suicidé. Une balle dans la tête. Tu n’as jamais vraiment su d’où venaient ces terribles migraines dont tu as souffert toute ta vie, n’est-ce pas ? »
Lisa et lui s’étaient déjà rencontrés sous de regrettables auspices. Peut-être même plus de fois que ne l’avaient laissé supposer les révélations du Sombre Adversaire. De vie en vie leurs rapports avaient incroyablement évolué. D’ennemis farouches ils étaient devenus amis. Amants ? Il était encore trop tôt pour le dire. Il fallait pour cela que la guerre leur laisse un peu plus de place, un peu plus d’espoir. Mais Chris comptait bien sur cette nouvelle chance pour leur ouvrir de nouvelles perspectives.
- Chris ? Tu vas bien ?
Chris avait à peine entendu la question de Lisa.
- Oui, on ne peut mieux.
- Qu’est-ce que c’est ? répéta-t-elle.
Chris fit jouer la figurine entre ses doigts.
- Une garantie.
- Quelle garantie ?
Chris savoura sa future réponse dans un soupir.
- La garantie d’être libres.
Un profond sentiment de malaise sabota son euphorie. Il se rappela les figurines, les deux joueurs, maîtres du destin et bien sûr le jeu lui-même, cette représentation du monde qui avait de quoi ébranlé l’esprit le plus solide. C’était tellement surréaliste et en même temps d’une logique si prévisible.
En concevant tous ces jeux de société, ces jeux vidéo si élaborés, l’homme n’avait fait que reproduire à une autre échelle la réalité qui préexistait depuis une éternité. Le monde n’était qu’un microcosme, le morceau d’un puzzle fabriqué au format de l’univers.
Chris eut un vertige, une envie de vomir. De vomir tout ce qu’il savait. Tout ce qu’il savait, il l’avait intégré si facilement. Il avait dû vivre un paquet de fois cette pathétique pantomime qu’il appelait jusque-là la vie. Inconsciemment, il avait dû être préparé à digérer sans trop broncher une pareille somme de révélations sur la nature des choses. Mais cette pensée, loin de le rassurer, avait le don de le plonger dans un état d’extrême confusion.
Il suffisait d’ailleurs qu’il pense à quelque chose, anodin ou pas, pour se rendre compte à quel point sa perception du monde était irrémédiablement changée. Pour le meilleur et pour le pire.
Il comprit qu’il était vital pour lui de trouver un compromis avec son expérience. Ne pas oublier – de toutes façons le pouvait-il ? – mais considérer les faits avec un maximum de recul, de légèreté. Dans la mesure du possible.
L’humour et la dérision. Voilà quelles seraient ses prochaines armes pour vaincre. Vaincre un ennemi peut-être plus impitoyable que la guerre, que Del Itoh lui-même : la folie !
Maintenant qu’il était revenu du purgatoire, sa connaissance était un mal qui le rongeait et dont il devait rapidement trouver l’antidote.
« Monsieur, vous souffrez d’une exposition prolongée à la vérité. Je vous recommande un grand bol d’amnésie, matin, midi et soir ainsi qu’un bain quotidien dans l’auto-dérision. »
Oui, songea-t-il, l’ironie va peut-être pouvoir me sauver.
Il se sentait comme un personnage de cartoon qui aurait eu accès aux coulisses du film et qui de retour sur le plateau serait condamné à faire semblant de ne rien avoir vu afin d’apprécier l’histoire, son propre rôle et celui des autres.
Mais si la vie était une mise en scène et la mort un simulacre, pourquoi ne pas s’en amuser ?
Pourquoi ne pas jouer comme un enfant ?
Il connaissait les règles, autant en profiter. Il avait une revanche à prendre sur pas mal de choses. Et enfin les moyens de ses ambitions.
Il serra la main de Lisa.
- Cette fois, on va l’avoir !
Ses sentiments pour elle eurent un effet curateur sur sa santé mentale plutôt claudicante.
Jusqu’à ce qu’il doute de leur authenticité. L’aimait-il vraiment ou l’aimait-il parce que le jeu l’avait nécessité ?
A quoi bon me torturer, se dit-il. De toutes façons, on aime rarement pour de bonnes raisons.
Sa lucidité récemment acquise le terrifiait comme une arme dernier cri dont on ne mesure qu’avec crainte tout le potentiel. S’il ne devenait pas fou, qu’allait-il bien pouvoir devenir ?
La voix précipitée de Lisa l’arracha à ses réflexions :
- Voila son avion !
Le Sombre Adversaire observait l’action se dérouler sous ses yeux.
Avec un goût amer dans la bouche.
Ne pas y prendre part relevait pour lui de la science-fiction. Il caressa l’idée d’ajouter une petite touche personnelle, discrète, mais conséquente. Ludan n’était sûrement pas assez intelligent pour faire la distinction entre ses agissements et ceux de ses congénères. Après tout, Ludan n’était qu’un être humain
Il avança une main vers le plateau. Mais se ravisa au dernier moment. Non, Ludan n’était pas qu’un simple être humain. En croyant cela, il se mentait délibérément. Ludan savait trop de choses. Sa conscience était devenue trop puissante. Sans doute était-ce pour cela qu’il n’avait pas pu lui effacer la mémoire. Son esprit s’était affranchi de bien des codes.
Le Sombre Adversaire scruta la figurine du Capitaine. « Moi aussi je peux te briser ! »
Il allait s’exécuter lorsqu’il se rappela un détail d’importance. Ludan détenait sa figurine. Il risquait très gros. En brisant la figurine de Ludan, il briserait probablement la sienne aussi. Il était bel et bien piégé.
Il se tourna vers le corps du Grand Programmateur, plus ému qu’il ne l’eut souhaité.
- C’est sûrement toi le plus heureux, maintenant.
Ne trouvant rien de mieux à faire, il quitta la table pour donner une sépulture décente à son regretté rival. Il l’enveloppa dans le rideau de la pièce et emporta son corps au dehors. Mais tandis qu’il s’évertuait à lui creuser une tombe, il fut dans l’incapacité d’assister à un étrange phénomène. Le plateau du jeu s’éclairait progressivement d’un feu intérieur tout à fait inexpliqué.
- Vous avez l’air inquiet.
Buruts venait d’entrer dans le salon soigneusement aménagé dans le « Mein Kampf. » Ralf Del Itoh était assis et pianotait sur son CODEDO personnel.
Il affichait effectivement une mine soucieuse.
- Je suis en train de vérifier un détail qui n’en est peut-être pas un. Un certain Siri a rejoint mon escorte. Mais il m’est tout à coup revenu à l’esprit un rapport selon lequel un dénommé Siri était mort en Géorgie. Je m’en souviens car j’ai appris sa mort juste avant d’apprendre la capitulation des Etats-Unis.
- Alors il n’est pas mort pour rien, ironisa Buruts.
Mais le Maître ne paraissait pas enclin à plaisanter.
- Ce qui m’importe c’est qu’il le soit bel et bien.
Buruts le rejoignit avec deux verres et une bouteille de vin rouge.
Il n’avait pas choisi un grand crû de sorte qu’il savait que l’arrière-goût du poison foudroyant passerait comme une lettre à la poste.
Des crépitements de balles résonnèrent sur la carlingue de l’appareil.
Le visage du dictateur devint cramoisi. L’air s’engouffra par le hublot. Il laissa tomber son verre.
Ce rêve n’avait cessé de poursuivre le fils adoptif du dictateur.
Dans sa vision, il se décidait enfin à assassiner Del Itoh. Sa tentative échouait. Et apparemment, les américains n’y étaient pas pour rien. Jusque-là, il avait toujours négligé cet avertissement, l’incombant davantage à une obsession personnelle qu’à un don prophétique.
Mais compte tenu des évènements, il était maintenant forcé d’y voir une forme de prémonition.
Il se tenait debout, droit comme un i, les mains dans le dos. Et dans ses mains il tenait un pistolet muni d’un silencieux.
« Bien placée, une balle peut faire l’effet d’un poison foudroyant. »
Il observa le hublot qu’il suspectait de figurer dans son rêve avant de s’en écarter discrètement.
« Si j’arrive à l’amener devant, non seulement, j’économise une balle, mais en plus je m’innocente de ce crime. »
Le COmpilateur DE DOnnées venait de terminer la vérification lancée par Del Itoh.
Lorsqu’il vit le résultat affiché sur l’écran, le Maître se leva brusquement.
- Préviens tous nos pilotes sur une fréquence codée. Ce Siri et ses hommes sont des salopards d’imposteurs américains !
Buruts décida de lui laisser une ultime chance de se préserver d’une mort instantanée.
- Il se peut qu’il y ait deux Siri dans notre armée.
Le regard de Del Itoh lui assura que non. Le Maître lui tourna le dos et contempla l’escadrille à travers le hublot.
Alors Buruts ponta son pistolet vers lui.
Alors une explosion tonitruante ébranla l’appareil.
Buruts perdit son arme et se retrouva au sol. Del Itoh jura, puis enclencha le mode transparence du « Mein Kampf. » A travers le fuselage fantôme de l’appareil, il vit avec horreur les avions de son escorte tombaient comme des mouches.
Ce spectacle laissa le dictateur sans voix. Mais ce n’était rien comparé à ce qui se passait au-dessus de l’escadrille. Le ciel était en feu. Littéralement ! Le firmament n’était plus qu’un torrent de lave en ébullition vomissant sporadiquement des sphères incandescentes. En tombant les astres zébraient l’espace et anéantissaient irrémédiablement tout objet volant présent sur leur trajectoire.
Del Itoh déglutit péniblement.
- Les larmes du Diable !
Buruts oublia subitement son projet d’assassinat lorsqu’il découvrit à son tour la vision cataclysmique.
- Vous avez déclenché l’Apocalypse !
Del Itoh eut un haussement de sourcils ironique avant de répondre :
- Je n’en espérais pas temps.
Puis il se dirigea vers le poste de pilotage.
Après avoir détruit une vingtaine d’appareils, les météorites s’immobilisèrent dans le ciel sans une once d’explication. Puis sans plus de préambule, elles décidèrent d’éclore et de cracher de leur sein une immonde créature ailée qui ne méritait d’autre nom que celui de démon. Leur aspect et leur taille variaient, mais tous les témoins de leur naissance s’accordèrent à penser qu’ils se valaient en matière d’épouvante. Ils étaient tous nantis d’une paire d’ailes protubérantes qui fouettaient l’air en produisant une fumée noire nauséabonde.
- Del Itoh ! Ici, le Capitaine Chris Ludan de l’armée américaine ! Ne me dites pas que c’est le fruit de vos expériences contre-nature !
Il parlait en italien. Il avait oublié d’ôter son vox imperati.
- Je n’y suis absolument pour rien ! tempêta le Maître. Même si j’aurais préféré vous donner une autre réponse.
Il poussa un cri et se recula. Un démon venait de passer un bras à travers la vitre. Saisissant l’un des pilotes par le cou, il l’arracha de son siège. L’italien poussa un hurlement que le démon éteignit rapidement en lui croquant le visage avant de laisser tomber son corps sans vie.
Des balles crépitèrent sur l’épiderme rouge et luisant de la créature. Piquée au vif, elle se transporta jusqu’à un autre appareil avant de cracher sur lui un souffle de feu dévastateur.
- Merde ! Qu’est-ce que c’est que ça ?
Le cargo Di Galio venait d’entrer dans une zone de turbulences pour le moins inattendue. Jena et Jonas voyaient l’enfer se déchaîner au dehors et leur cerveau mettait un point d’honneur à leur fournir une explication digne de ce nom.
Ils se persuadèrent que leur imposture avait été révélée et que la DCA se faisait un malin plaisir de les canonner. Jusqu’au moment où ils réalisèrent que les projectiles venaient bel et bien d’en haut. A peine remis du choc de ce constat, ils subirent une violente avarie qui plongea l’équipage entier dans une grand moment de doute quant au succès de leur équipée.
Tandis que l’avion embrasé piquait sérieusement du nez, Jonas ne put s’empêcher de sourire :
- Comme renfort, on fait mieux !
- Le pire n’est jamais décevant, renchérit Jena.
L’explosion d’un moteur les invita à reprendre leur sérieux. Ils se cramponnèrent aux commandes et abandonnèrent définitivement l’idée d’atterrir à Orléans.
Une autre ville s’étendait sous eux. S’ils s’en sortaient vivants, ils savaient que ce serait de courte durée. Les italiens se feraient une joie de finir le boulot.
Tout en serrant les dents, Jonas interrogea :
- On avait un plan de rechange où cas où ça tournerait mal ?
Jena ne prit pas le temps de réfléchir :
- Oui. Improviser.
Comme les démons s’en prenaient indifféremment aux italiens et aux américains, Ludan écarta une hypothétique intervention du Sombre Adversaire. La bataille qu’il pensait livrer prenait une toute autre tournure. Les perspectives n’étaient plus les mêmes. Le vieil adage « L’union fait la force » devenait une option de moins en moins inacceptable. De ce fait, Ludan crut bon de s’adresser à leur ennemi juré :
- Ecoutez-moi, Del Itoh, c’est l’hécatombe dans chaque camp. Je ne sais pas d’où viennent ces saloperies et visiblement vous non plus. Alors on va passer directement à une autre priorité : restez en vie ! Et pour ça, je ne vois qu’une seule solution : ou on décide de coopérer provisoirement ou on dit adieu à nos ambitions respectives. Qu’est-ce que vous décidez ?
Le silence qui s’ensuivit – troublé par les rugissements des explosions – inquiéta Chris et Lisa au point qu’ils se demandèrent si la traduction avait été correctement effectuée.
Finalement la voix du Maître se fit entendre :
- J’accepte de vous assister.
Ils comprirent alors que cette attente n’était qu’un effet pervers de sa mégalomanie.
Le pilote rescapé du « Mein Kampf » quitta son siège et endossa son jet-pack.
Del Itoh le toisa avec humeur.
- Qu’est-ce que vous faites ?
L’intéressé lui prêta une attention toute relative.
- Vous servir a été un honneur, mon Maître. Mais là…
Puis il s’engagea dans la coursive en direction du salon.
Le maître devint rouge.
- Buruts, arrête-moi ce…
Buruts venait d’apparaître. Il laissa passer le pilote et pointa son pistolet en direction du dictateur.
- Je crois que le pire démon est à bord de cet avion.
Del Itoh s’avança.
- Ma parole ! Vous vous êtes tous donné le mot ! Je savais que c’était dans l’épreuve qu’on reconnaissait ses amis, mais là…
Un hublot éclata. Un appendice flexible – peut-être une langue – s’enroula autour de Buruts. Il hurla de douleur. Le tentacule était brûlant. Il jeta un regard perplexe à son père avant d’être happé au-dehors.
Le pilote détourna la tête et ouvrit rapidement la porte.
- Putain de merde ! Mais qu’est-ce que c’est que ça ?
Il s’élança au dehors tel un missile. Et regretta aussitôt le confort du cockpit. Il ne trouva pas les mots pour décrire la vision d’horreur dont il fut l’infortuné témoin. Partout la mort frappait, avec une précision de chirurgien. Les démons s’engouffraient dans les avions et massacraient les équipages à la chaîne. Comment pouvait-il espérer en réchapper ? Sur sa lancée, il évita de justesse une aile squameuse jaillie de nulle part selon ses sens. Pour être décapité une seconde plus tard par des serres impies et impitoyables. Son corps acéphale décrivit une trajectoire aléatoire avant de s’encastrer violemment dans la queue d’un Sweeping.
- Merde ! Qu’est-ce que c’était ?
Andy encaissa durement le choc de la collision. Il venait d’assister, impuissant, à la mort de Carson, brûlé vif dans son chasseur, et la perspective de l’imiter ne l’enchantait pas plus que cela. Mourir comme un martyr, d’accord. Mais comme une merguez…
- Eh, les gars, regardez ! L’avion de Del Itoh !
C’était Jerry Cold. Les regards convergèrent vers l’appareil du dictateur qui, pour l’heure, semblait être une proie de choix pour les démons insatiables. Sept d’entre eux s’agrippaient à son fuselage et menaçaient de le mettre en pièces.
Del Itoh sourit en constatant leur présence sur son scan externe.
- Ok, mes mignons. Del Itoh va s’occuper de vous.
Le dictateur s’installa au poste de pilotage et se rappelant les gestes observés - semblait-il dans une autre vie - il commença à effectuer une série d’opérations.
A la surprise de tous, le « Mein Kampf » se dressa à la verticale.
- Qu’est-ce qu’il fait ? interrogea Lisa.
Chris plissa les yeux et serra la commande des missiles Sunshot.
- Si c’est une entourloupe, les démons n’auront pas le loisir de goûter du dictateur en sauce.
L’avion était en train de se transformer. Les différentes pièces le constituant, coulissant, s’imbriquant différemment en vue d’une toute nouvelle configuration. Pris au piège, certains démons furent écrasés par la mécanique en mouvement. Ce que personne ne regretta.
Lorsque l’opération s’acheva, c’est un humanoïde à tête d’aigle qui répondait désormais au nom de « Mein Kampf . »
- Tu parles d’une arme secrète ! s’exclama Andy.
Chris et Lisa frissonnèrent à la vue du titan made in Italia.
- Avec ça, ce salaud nous aurait laminé !
Del Itoh produisit un sourire à la mesure de son orgueil. Il sentait que tous les regards autant que tous les espoirs reposaient sur lui, désormais. Et cela justifiait, selon lui, toutes ses récentes déceptions.
- Ici, Del Itoh, à l’attention de tous les pilotes. Faites place nette, il va y avoir du grabuge !
Les canons-mitrailleurs du robot se mirent à cracher un déluge de feu et de fer sur l’armée démoniaque et tandis que le dictateur riait à gorge déployée en les voyant se disloquer, la Marche de Radetzky résonnait, tonitruante, dans tous les cockpits.
Chris assistait au massacre, en se persuadant qu’il ne rêvait pas.
- Ce salaud est en train de faire un carton ! Si on m’avait dit qu’un jour je rendrai grâce à sa folie !
Lisa n’en pensait pas moins. Qu’un bourreau comme Del Itoh puisse faire figure de héros l’espace d’un instant, ça forçait, sinon au dégoût, en tous cas à l’embarras le plus total.
Elle s’alarma brusquement en voyant un démon plus coriace s’intéressait de très près au Stormaker dont il épluchait présentement le fuselage comme un fruit mûr.
- Del Itoh ! Concentrez votre feu sur le gros à …
Elle allait lui indiquer la position précise lorsque les deux bras armés du titan pulvérisèrent l’appareil et le démon le chevauchant dans un éblouissant feu d’artifices, réduisant en poussières les chasseurs sataniques à proximité.
- Je sais ce que j’ai à faire, chiens d’américains !
Le cargo heurta si violemment la route qu’il faillit bien se briser en deux sous le choc.
Un brasier emporta une partie de l’équipage et les deux pilotes eux-mêmes sentirent le souffle brûlant leur griller les omoplates.
Jena et Jonas savaient désormais que les choses ne leur appartenaient plus. La piste était dégagée. Tout ce qu’ils espéraient c’était que l’avion continue droit sur sa lancée et ne heurte aucun obstacle en cours de route. Le cargo s’immobilisa si brusquement qu’il s’en fallut de peu que les deux pilotes ne soient éjectés de l’appareil. Rapidement rassurés sur leur propre sort, ils s’enquirent de l’état des hommes à l’arrière.
L’odeur de chair brûlée saturant la soute les prit à la gorge. Jena fut assaillie par une horde de sensations terriblement familières. Cette odeur lui apparaissait monstrueusement intime, comme faisant partie d’elle, comme liée inextricablement à des souvenirs d’enfance, mais si lointains qu’elle était incapable de les visualiser.
La découverte de survivants la ramena à la réalité et dés lors elle n’eut plus d’attention que pour eux, comme une mère rivée au chevet de ses enfants malades.
Elle pleura presque en voyant Gad se dégager de sous un corps carbonisé. Le radio se jeta à moitié dans ses bras.
- J’ai juste eu le temps d’éloigner les explosifs avant que…
Jena lui caressa les cheveux avant de le dévisager gravement. Il comprit qu’à ses yeux il venait de se racheter. La récompense était de taille.
Quittant les décombres du cargo, les « Frères de la Délivrance » - désormais réduits à un maigre peloton – inspectèrent les environs. Leur atterrissage forcé n’avait pu passer inaperçu. Restait à savoir quel genre d’accueil leur serait réservé.
- Ce ne sera sûrement pas très chaleureux ! supputa Jonas.
- Tant mieux, fit un des soldats. Car question chaleur on a été servi.
La phrase avait été dite sans aucune ironie. Les sourires se crispèrent rapidement. Leurs pertes étaient incommensurables. La tragédie qui venait de les endeuiller n’était pas près de les quitter.
- Qu’est-ce que c’était ? fit un autre soldat, se faisant l’écho de tous. La DCA ?
- Non, répondit Jena. Et quelque chose me dit que nous allons le regretter.
Jonas s’alarma.
- Regardez là-bas !
La ville – ils ignoraient encore laquelle – avait souffert des bombardements italiens comme tant d’autres, mais également d’un autre fléau. Plus récent et infiniment plus destructeur.
Ils découvrirent des corps brûlés et mutilés dans des proportions qui excluaient d’emblée une attaque ordinaire. Jonas s’agenouilla pour les examiner.
- Il y a des français, mais aussi des italiens. Comme si une force les avait frappés avec la même intension.
Jena promena son regard acéré tout autour d’eux.
- Une force égale à celle qui nous a pris tous nos frères.
- Venez voir par ici !
C’était la voix affolée de Gad. Les autres le rejoignirent et se figèrent à la vue d’une sphère à l’aspect surréaliste. Elle était aussi haute qu’un homme et elle fumait comme si elle venait d’être crachée par un volcan.
- C’est une des choses qui nous a heurté !
Jena observa l’objet avec un mélange de haine, d’effroi et de fascination.
- Qu’est-ce que c’est ? firent plusieurs voix derrière elle.
- Sûrement la nouvelle arme de Del Itoh. Quand on connaît le spécimen, on se dit que ce serait tout à fait de lui d’inventer une atrocité pareille. Seulement…
Jonas étudiait la chose avec au moins autant d’intérêt et il compléta sans peine :
- … A première vue, ça n’a pas l’air de sortir d’une usine d’armement.
L’un des soldats s’avança. La haine déformait son visage.
- Mon frère est mort à cause de cette saloperie et vous êtes là à disserter comme si c’était une œuvre d’art ! Je me fous d’où elle peut venir ! Bousillons-la !
Joignant le geste à la parole, il lâcha une rafale. Qui parut n’occasionner aucun dégât visible sur la surface de la sphère. Jena et Jonas le fustigèrent du regard. Un craquement riva de nouveau leur attention sur la mystérieuse arme. Elle était en train de s’ouvrir. D’un geste, Jonas ordonna à tous les hommes de reculer et de se tenir prêts à ouvrir le feu.
- Et si c’était un œuf de dragon ? glissa un soldat à l’oreille de son équipier.
Ce dernier peina à sourire.
- Parle pas de malheur !
Rapide comme l’éclair un appendice jaillit de l’œuf pour venir s’enrouler autour de Gad.
- Mon dieu ! Aidez-moi !
Les « Frères de la Délivrance » accoururent pour le secourir. Certains, comme Jonas, firent feu sur la sphère et le tentacule. Les autres, dont Jena, s’accrochèrent au radio pour l’empêcher d’être emporté par la chose. Suite à toutes ces réactions, l’appendice se figea. Pour s’embraser une seconde plus tard. Jena se jeta au sol juste à temps. Elle vit avec horreur Gad et ceux qui l’étreignaient encore disparaître dans un mur de flammes et un concert de cris déchirants.
- Non !
L’œuf s’ouvrit alors complètement, expulsant un être démoniaque qui, s’il n’avait pas le gabarit d’un dragon, en présentait néanmoins toute la force et la férocité. La seule apparition de cette créature eut un effet presque aussi dévastateur que sa langue sur les survivants regroupés derrière leurs deux charismatiques leaders.
Jonas contemplait le démon sans pouvoir se convaincre de sa réalité.
- Ce n’est pas une arme de Del Itoh, ça !
En détaillant le corps écarlate et vaguement humain, Jena sentit son courage se recroqueviller.
Dans un nuage de cendres chaudes, la langue du démon se rétracta.
- Visez la tête !
Les soldats rouvrirent le feu. Le dos musclé du monstre vomit deux ailes de cuir membraneuses qu’il plaça devant lui en guise de bouclier. Les balles ricochèrent comme sur un tank. Sans crier gare, sa langue se déroula et s’enroula autour de l’arme de Jonas. Il lutta âprement pour la récupérer, mais réalisa bien vite qu’il n’était pas de taille. La vision de Gad et des autres consumés par le feu fut un électrochoc pour Jena. Que Jonas puisse subir le même sort était inconcevable.
- Lâche-la !
Jonas vit le regard affolé de la jeune femme. Il s’exécuta. Les ailes du démon s’écartèrent et sa langue se rétracta. Le fusil-mitrailleur se retrouva dans sa gueule écumante. Alors Jonas eut une idée.
- Balancez les grenades magnétiques !
Les hommes ne se firent pas prier. Les projectiles fusèrent dans toutes les directions pour brusquement infléchir leur course vers une seule trajectoire. En une seconde le corps de l’arme fut hérissé d’explosifs. Comprenant le danger, la créature cracha le morceau de métal qui obstruait ses mâchoires.
- Couchez-vous !
La détonation qui suivit couvrit les « Frères de la Délivrance » de débris organiques. En se relevant, Chris rejeta la monstrueuse langue qui avait failli avoir sa peau et qui maintenant ne représentait qu’un écoeurant trophée de chasse. Après s’être assurés qu’ils étaient tous sains et saufs et qu’ils ne risquaient plus rien, ils se rassemblèrent, encore sous le choc de cette confrontation surnaturelle.
- Quelque chose me dit que la France entière doit être envahie de ces choses, dit Jonas.
- Et probablement le reste du monde, ajouta Jena.
L’escadrille parvint à rallier la France sans encombres. Ils atterrirent dans la capitale où le Maître savait pouvoir compter sur de nombreuses forces alliées. Du moins en théorie.
Del Itoh souhaitait gagner l’Italie au plus vite – de peur qu’elle n’ait succombé elle aussi aux attaques démoniaques – mais il était impératif de recharger les batteries du « Mein Kampf » s’il voulait pouvoir défendre sa patrie efficacement. Les leaders avaient chacun tenté de joindre par radio leur pays respectif. Sans succès. Ce qui ne manquait pas de les inquiéter.
Tandis que l’avion impérial reprenait sa forme initiale et se posait sur une piste intacte de l’Aéroport d’Orly, Chris Ludan faisait un topo de la situation avec ses hommes.
- Nous ne sommes plus beaucoup et nous ignorons l’étendue exacte de la menace. Sommes-nous les seuls à avoir été attaqués de la sorte ? Je ne le pense pas.
Jerry observa Del Itoh descendre de son appareil. Il serra les poings.
- Et lui ! On ne va quand même pas le laisser repartir sous prétexte qu’il nous a filé un coup de main. Il n’avait pas le choix de toutes façons. On était dans le même bain.
Chris jeta un regard à Lisa, occupée à soigner les blessés, puis il reporta son attention sur le dictateur.
- Je vais m’occuper de ça. Pendant ce temps, faites le recensement de ce que nous avons et de ce que nous avons besoin.
Le capitaine vit bien que sa réponse ne faisait pas l’unanimité, mais il n’y eut pas de contestation.
Lorsqu’il arriva auprès de Del Itoh, celui-ci était occupé à dessiner des motifs sur le fuselage de son avion.
Chris se dit que c’était une entrée en matière comme une autre.
- Elles sont bizarres vos croix.
- Ce sont des svastikas, informa le dictateur sans s’arrêter.
Tandis qu’il alignait les symboles comme autant de victoires sur leur ennemi commun, un bout de langue pointait entre ses lèvres, lui conférant l’aspect d’un enfant appliqué.
Chris ne savait s’il devait rire ou pleurer devant ce spectacle. Mais depuis quelques temps, l’étrange faisait partie de son quotidien. Maintenant qu’il savait plus ou moins comment le monde fonctionnait, il n’arrivait plus à considérer le dictateur comme avant, en tout cas plus comme les autres. Lui aussi avait été un pantin. A quel point ? Cela, il l’ignorait.
- C’est de quelle origine ? On dirait le nom d’un alcool russe.
- Pas du tout ! s’emporta Del Itoh. Ca vient d’Inde. Il y a des choses de ce pays que je trouve très intéressantes d’un point de vue symbolique.
- Moi, c’est le Japon qui m’a toujours fasciné. Ses rites ancestraux, ses codes, ses légendes aussi.
Chris sourit nerveusement. Il était en train d’avoir une conversation culturelle avec l’incarnation du mal. Pour être étrange, sa vie devenait vraiment étrange. Mais il en vint à se dire que le mal avait peut-être trouvé une nouvelle incarnation.
- Ces… choses qui nous ont attaqué tout à l’heure, vous ne croyez pas que c’est le mal incarné ?
Cette fois, Del Itoh s’interrompit dans sa tâche et se tourna vers son interlocuteur :
- Le mal incarné ? Mais c’est moi, le mal incarné ! Si je n’ai plus ça, que me reste-t-il ?
Chris contempla le pinceau dans la main du Maître. Il sourit à nouveau.
- Il vous reste la peinture.
Sources d'Inspiration :
Théorie du Temps Orthogonal par Philip K. Dick
A l'époque où la série Medal of Honor était encore ancrée dans la deuxième guerre mondiale, l'idée d'incarner une femme renforcée par ces artworks où on la voyait combattre activement l'ennemi m'a fait forte impression et m'est restée à l'esprit des années après au point que j'ai souhaité rendre hommage à cette figure de femme héroïque. Le personnage de Jenna d'Acre est directement inspiré de ces éléments.
A noter que comme indiqué ci-dessus la musique du jeu a été composée par Michael Giacchino, connu depuis pour avoir illustré des blockbusters comme Les Indestructibles, Mission Impossible 3 et Protocole Fantôme et bien sûr les films estampillés J.J. Abrams (Star Trek 1 &2, Super 8). Il a par ailleurs participé à la création du thème principal du jeu Black, autre FPS emblématique. Des compositeurs de films oeuvrant sur des jeux vidéo, c'est maintenant devenue chose courante, par exemple Hans Zimmer (Man Of Steel, Inception) sur Crysis 2 et Brian Tyler (Insaisissables) sur Assasin's Creed IV.
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14:29 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : anticipation, uchronie, monde parallèle, présent alternatif, temps orthogonal, philip k. dick, fantastique, s-f, roman, histoire
samedi, 07 février 2009
Féminité 3
15:50 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : femme, héroïne, beauté, poésie, romantisme, portrait, dessin, illustration
lundi, 02 février 2009
Monarque
21:10 | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : poésie, romantisme, fantastique, dessin, illustration, le combat du papillon