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dimanche, 13 janvier 2013

The Secret [Cinéma/Critiques]

Des enfants disparaissent mystérieusement depuis plusieurs années dans la petite ville minière de Cold Rock. Lorsque son propre fils est victime du mystérieux Tall Man, Julia part à sa poursuite, pour peut-être enfin résoudre cette tragique vague d'enlèvements.

Habituée à jouer les action-girls (Furtif, Total Recall), Jessica Biel est revenue au premier plan dans ce thriller angoissant, nous offrant une solide prestation dramatique. L'actrice s'est particulièrement investie dans le rôle de cette mère courage qui ne sera pas épargnée par cette croisade désespérée, aussi bien mentalement que physiquement.

Le scénario, quant à lui, brouille les pistes au maximum et le spectateur a bien du mal à cerner les motivations des différents personnages qui se croisent. On se doute bien alors que c'est pour mieux nous assener une chute percutante. Le message est effectivement pertinent et l'idée originale. Si vous aimez les premières oeuvres de Shyamalan, vous serez en mesure d'apprécier l'exercice de style, même si certains éléments auraient gagné à être plus explicites et cohérents pour rendre le récit plus crédible.

La mise en scène reste sobre. Peut-être trop sage. Le fond a clairement été privilégiée sur la forme, un peu comme un certain ILS. Dommage qu'ici, cela dessert quelque peu l'impact émotionnel qu'on sent réduit par ce choix.  

Qu'importe, on apprécie vraiment l'intention d'autant que le réalisateur est français et que ce genre d'oeuvre par chez nous est plutôt rare. On lui souhaite en tout cas de continuer à produire des oeuvres d'une nature aussi singulière, en espérant que cela inspire d'autres cinéastes de l'hexagone.

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Le légendaire Tall Man existe-t-il vraiment ?

 

 

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C'est plus précieux que ça en a l'air

lundi, 19 novembre 2012

Sang et Sable [Nouvelles/Fantastique]


Il ne tiendra plus bien longtemps. Je l’ai lu dans ses yeux. Ils sont de plus en plus rouges, et ce n’est pas à cause de la fatigue. Du moins, j’aurais pu y croire s’il ne s’était pas fait mordre. Il est foutu, je le sais. Ce n’est qu’une question de temps avant qu’il ne se retourne contre moi. Entre lui et la chaleur, j’ignore ce qui me tuera en premier. Cela dit, je préfèrerais si possible choisir. Et ce sera la chaleur. Pas question de me faire avoir moi aussi.

Je rajuste ma chèche, en fait les restes d’un vieux T-shirt délavé mais encore assez blanc pour dévier les rayons du soleil. Sous cette protection précaire, j’inspire sans cesse le même air. Celui qui traverse mes poumons en circuit fermé. J’ai arrêté de regarder devant moi, la réverbération sur le sable risquant peu à peu de me rendre aveugle. Manquerait plus que ça… Je me retourne pour jeter un œil à Sagabe. Lui a perdu son turban. Depuis longtemps déjà. J’aurais pu le ramasser ou le lui rajuster avant ça, mais j’ai pas osé. Sa démarche est de plus en plus maladroite. Hésitante. Bientôt, il faudra que je fasse un choix.

Je lui pose une question mais il ne me répond pas. Je vois sa tête se relever légèrement, et il se met à me fixer de ses yeux à présent recouverts d’un voile opaque. Rouge sang. Il s’est arrêté de marcher : il a l’air de renifler. Il ne ressemble plus à rien. En tout cas, certainement plus à mon grand frère…

Il a fait quelques mètres avant de s’écrouler. A présent, il est là, allongé de tout son long dans le sable, et j’hésite à faire ce qui est nécessaire. M’occuper de lui avant qu’il ne devienne l’un des leurs.

En temps normal, c’est plutôt rapide. Entre cinq et dix minutes. A peine le temps de pleurer le ‘défunt’. En tâtonnant dans mon paquetage, j’attrape le fusil mitrailleur ramassé à la hâte sur la carcasse d’un milicien. Instantanément, je me brûle les doigts sur la chambre en métal, chauffée à blanc par le soleil saharien, jusqu’à trouver enfin la crosse. Pas besoin de vérifier l’état du chargeur, je connais déjà trop bien la vérité. A mes pieds, une sorte de spasme vient de faire tressaillir le cadavre de Sagabe. Il ne me reste plus beaucoup de temps. En soupirant avec force, je soupèse l’arme : elle me paraît bien moins lourde que quant je l’ai soulevée la première fois. Mais ça n’a plus importance. Sagabe vient de relever la tête. Ses yeux morts me dévisagent alors qu’il ouvre la bouche, ses dents enduites d’une salive pâteuse. Je lui fais alors un ultime honneur : celui de gâcher pour lui ma toute dernière cartouche.

J’ignore si c’est le bruit ou l’odeur qui l’a attiré. En tout cas, il a fait vite. A peine dix minutes après que Sagabe ait rendu l’âme une seconde fois, il est arrivé et je l’ai regardé décrire de grands cercles au dessus de ma tête. Le soleil me brûle la rétine alors qu’il descend lentement vers moi, son ombre rétablissant brièvement ma vision entre deux éblouissements. Il finit par se poser, à quelques mètres de moi. Le sable ardent ne semble pas le déranger outre mesure alors qu’il avance le long de la dune, s’approchant peu à peu. Quant ses yeux croisent enfin les miens, je comprends pourquoi. C’en est un lui aussi.

Immédiatement, je me redresse, serrant mon AK-47 comme une batte de base-ball en prévision de l’attaque. Une seule blessure suffirait à me faire partager son sort, probablement pire que la mort. Mais il ne bouge pas. Sa tête disparait un instant dans son épais plumage brun-roux, le temps de se débarrasser de quelques plumes superflues. J’en profite pour tenter de l’atteindre du bout de mon arme mais il bondit sur le côté avec une étonnante vivacité avant de s’envoler à nouveau. Il a eu peur. J’ai alors la preuve qu’il n’était pas l’un d’eux.

Eux non pas peur. Pas mal. Pas sommeil. Juste faim. Une faim dévorante, transcendant toutes les règles, tous les liens. L’amitié, la famille… Plus rien ne compte. Seule la faim compte. La viande. La chair. Le bruit d’un cœur qui bat, pulsant un sang encore frais dans les veines d’un être qui, dès lors qu’il a été repéré, n’est plus rien d’autre qu’une source de nourriture. Simplement, jusque là, c’était resté cantonné aux humains. Tous avaient sombré rapidement. Trop rapidement. Les uns après les autres. Jusqu’à ce qu’il n’en reste plus qu’un.

Mes lèvres sont jointes, collées par un résidu de salive qui fait office de joint parfaitement hermétique. Pas question de les desceller : j’ai déjà assez soif comme ça. Trois jours que nous errions dans le désert… Au moins, je me contentais du ‘nous’… Ma main glisse au fond de l’une de mes poches, furetant à la recherche d’un des objets glanés à la va-vite pendant la fuite. Je sens les contours ébréchés de celui qui m’intéresse et le sort immédiatement, le soulevant pour que les rayons solaires le traversent. Très vite, le verre de lunettes fait son office, remplissant son rôle de loupe improvisée. Les frusques couvrant le corps sans vie de Sagabe prennent feu et je regarde ce qui reste de mon frère se consumer. L’odeur est écœurante et la fumée m’assèche un peu plus encore, mais je me sens obligé de rester jusqu’à ce que ce soit terminé. Afin de m’assurer qu’il ne reste plus rien pour celui qui tourne dans le ciel, trente mètres au dessus de moi. Si je dois crever de faim, alors lui aussi.

Je reprends ma route. J’ai tué mon frère au milieu du désert. Je suis maintenant le dernier humain de la Terre.

J’ignore où je vais. Vers où j’avance. Une chose est sûre, je ne risque pas d’en croiser. Le soleil, la chaleur… Ca ne leur réussit pas. Quant Sagabe et moi avons quitté la route pour les dunes, les cinq qui nous suivaient n’ont pas tenu longtemps. Le premier, un qui avait bien dix jours, est rapidement tombé en morceaux, ses membres desséchés se déchirant suite aux efforts qui l’avaient jusque là maintenu debout. Il a rampé quelques mètres avant de s’arrêter de bouger définitivement. Une seconde fois. Les autres qui l’accompagnaient n’ont également pas fait long feu. Au début, on maintenait une distance de sécurité de cinquante mètres, distance dont le nombre de mètres s’est raccourci pareillement à celui des poursuivants. Le soleil les a cuits sur place, asséchant leur chair et leurs muscles pour les transformer en momies. Quant il n’y en a eu plus qu’un, je l’ai achevé d’une balle dans la tête et enfin nous avons pu dormir.

Une ombre passe à ma droite. Pas celle d’un nuage, juste la sienne. Lui aussi a faim, et il m’a probablement mentalement ajouté au menu. Maintenant que j’y repense, je revois ses yeux, dont on discernait encore les pupilles. Il n’en était pas un, malgré l’irrigation sanguine caractéristique des rétines. Peut-être que cette merde n’agit que sur nous. Un privilège dont on se serait bien passé. En attendant, il me suit et je ne m’en plains pas. Ca me fait toujours un compagnon de voyage.

Je finis par jeter un coup d’œil à ma montre. Elle a rendu l’âme dans l’accident de voiture à la sortie de la ville et pourtant le petit sigle affichant l’année reste allumé. Quelle blague… Me remettant à marcher, je sens mes pieds s’enfoncer dans le sable, sans opposer de résistance. L’espace d’un instant, je me plais à m’imaginer subitement avalé par cette masse mouvante et chaude, qui constituera probablement mon linceul d’ici peu. Sauf si je trouve de l’eau, mais il ne faut pas y compter.

J’attrape l’une de mes deux gourdes. Pas celle pleine d’huile de moteur, l’autre. Celle que j’avais remplie d’eau et dont j’ai vérifié le contenu peut-être vingt fois depuis deux heures. Toujours le même constat. Vide. Pas même une dernière goutte restant collée au culot de métal du thermos. Je ne suis pas surpris. Depuis les trois derniers jours, mon esprit me conditionne. Me prépare à l’inévitable. En attendant, je savoure la lente descente du soleil à l’horizon, alors que le ciel se pare de tons roses orangés. Bientôt la nuit, et la fin de cette chaleur étouffante. Celle qui ne devra attendre quelques heures de plus avant d’avoir ma peau.

Le froid s’installe rapidement. Bien trop. On passe d’un extrême à l’autre en moins d’une trentaine de minutes. On ne savoure la disparition de la morsure ardente du soleil que pour se retrouver accablé par celle, plus tenace, de la froide obscurité. Mon compagnon de route m’a semble-t-il abandonné et c’est tant mieux. Pas question que quelque chose s’approche de moi quant je serais endormi et donc impuissant. Avec la nuit, le désert prend vie. A l’inverse du reste du monde où tout semble être déjà mort…

Je n’ai pas dormi longtemps. Je n’ai pas pu. Depuis les derniers mois, je me réveille tous seul à peu près toutes les heures, adoptant des cycles de demi-sommeil comme les animaux conscients de leur nature de proies. J’ai donc préféré me remettre à marcher, avec toujours en tête l’espoir de trouver un point d’eau ou quelque chose qui me permettrait de me désaltérer d’une manière quelconque. J’ai soif. Trop pour pouvoir penser à autre chose.

Le goût amer de l’huile de vidange m’agace la bouche, s’avérant encore pire que celui de ma propre urine. La sensation d’avoir du liquide dans la bouche est cependant agréable, et m’a permis de me sentir bien l’espace de quelques secondes. J’ai même pu admirer le lever du soleil avec un certain plaisir. C’était beau, presque trop pour ce monde, ou du moins ce qu’il est devenu.

Mon compagnon de voyage est revenu. Il a toujours faim, je pense, et il ne me lâchera pas. Entre lui et moi, c’est à qui mourra le premier. Qu’il ne compte pas sur moi.

Je ne comprends toujours pas pourquoi ce n’en est pas un. Pourquoi ça ne semble pas le toucher. Peut-être que les saloperies qui lui permettent de digérer les charognes ont eu raison de la merde en question… Il a l’air en bonne santé et vole normalement : il ne s’est pas fait mordre. Pourtant, ils chassent aussi les bêtes. C’est d’ailleurs grâce à ça que Sagabe et moi avons réussi à quitter le poste de police abandonné, en leur lâchant un poulet qu’ils poursuivent peut-être encore. Tout ce qui est vivant les attire comme un aimant, nous comme le reste. Et à partir du moment où l’on est mordu, on rejoint la horde. Aucune exception.

Je me suis arrêté de marcher un instant, découvrant un insecte au sol. Un genre de gros scarabée noir, qui se dandinait sur le sable. La bestiole profitait sans doute des dernières secondes de fraîcheur de l’aurore avant de s’enfouir sous les dunes pour passer la journée. C’est alors que j’ai remarqué ce qui pendait de son abdomen. Une goutte d’eau. J’ai attrapé le stenocara et je lui ai léché le ventre. Lui agitait ses pattes griffues contre ma langue mais je m’en fichais : je lui volais sa flotte. En produisait-il souvent ? Dans le doute, je l’ai glissé dans mon thermos vide, avec un peu de sable. Les parois encore fraîches du conteneur le stimuleraient peut-être à nouveau pendant la journée. Je reprends ma route, cette goutte d’eau m’ayant revigoré. En fait, elle m’a apporté plus que ça. A présent, je sens qu’il me reste un espoir.

J’ai tué le vautour. Il m’agaçait. Je me suis décidé à faire le mort en m’allongeant dans le sable encore frais, puis j’ai arrêté de bouger. J’ai pas attendu bien longtemps. Quant il est venu me filer deux-trois coups de bec, je lui ai attrapé une patte et l’ai plaqué au sol. Ensuite, je l’ai matraqué à coups de fusil, jusqu’à ce que ses longues ailes brunes cessent de battre. Puis j’ai du le tuer une seconde fois, son organisme ayant enfin succombé à l’épidémie. Bouffer des charognes ne lui a pas réussi. C’est pour ça que j’y ai pas touché. En attendant, je continue ma route seul. Enfin pas vraiment : au fond de ma gourde, mon nouvel ami me tient compagnie.

La semelle de l’une de mes chaussures a lâché. Le sable entre à présent en contact avec ma voûte plantaire et me brûle atrocement. Ca me ralentit et me force à produire des efforts inutiles. La soif est revenue, la faim aussi. Au loin, derrière une dune, j’aperçois une image floue. Sombre. Je ne me berce pas d’illusions : le désert est déjà assez habile à en produire comme ça.

Je crois que je ne rêve pas. Il y a bel et bien des palmiers, au moins une trentaine, là devant moi. A même pas cinquante mètres. Et à leurs pieds, ce qui ressemble à une vaste mare, entourée de joncs bien verts. Pour autant, je ne me précipite pas. C’est trop beau pour être vrai. Mais à mesure que je m’approche, je me rends à l’évidence. C’est réel. C’est la fin du cauchemar.

L’eau est tiède mais potable. Au milieu du bassin, large d’une vingtaine de mètres, dansent des crevettes et des petits poissons, là où dans les palmiers, des grappes de dattes pendent, n’attendant que d’être cueillies. Une oasis. J’en ai rêvé depuis si longtemps. Après m’être bien giflé une douzaine de fois, je suis enfin assuré que je ne délire pas. Ma bonne étoile m’a enfin souri.

La datte a une chair charnue, sucrée. Délicieuse. Mon estomac rempli, c’est au tour de mes gourdes. Je vide celle contenu l’huile de moteur et l’autre, abandonnant le scarabée dans une touffe de brins d’herbes où il sera probablement à son aise. Ainsi paré, je me dis que je vais peut-être rester un peu plus longtemps dans ce véritable jardin d’Eden. Le temps de retrouver complètement mes forces. Et je compte bien savourer chaque instant de ce rêve éveillé.

Un bonheur n’arrive jamais seul. Alors que je cherchais un endroit à l’ombre pour me reposer, j’ai repéré le dromadaire. Sa bride lui pendait encore le long du cou, et une selle richement décorée ornait encore sa bosse unique. Sans doute s’était-il enfui et son odorat l’avait mené jusqu’ici. En tous cas, il fera un bon moyen de transport, si je parviens à l’attacher sans qu’il ne s’enfuie. Je m’approche lentement, sans gestes brusques. Il n’a pas l’air d’avoir peur : parfait. Quant je suis assez prêt pour le toucher, je caresse la selle en cuir. Il reste calme, il a l’habitude des hommes. Je me décide à l’escalader, grimpant sur son dos pour caler mes fesses sur la selle. Brusquement, celle-ci se dérobe sous mon poids, ainsi que la bosse toute entière. Je roule dans le sable et pousse un gémissement de douleur. Le lourd équipement m’écrase les jambes, m’empêchant de bouger. L’énorme paquet de graisse moisie,lui, se délite sur mon torse, masse gélatineuse et puante. Mais alors que je cherche à me relever, je vois le dromadaire se tourner vers moi. Je remarque alors ses yeux et sa gueule grande ouverte qui approche de mon visage. Les humains ne sont plus les seuls concernés. Et merde…



 

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jeudi, 30 août 2012

Trust de David Schwimmer

Quand David Schwimmer [le Ross de Friends] décide de repasser derrière la caméra, on s'attend plus ou moins à une comédie, en tout cas à un film au potentiel comique important comme son premier long, "Cours toujours Dennis". Mais cette fois Schwimmer prend tout le monde à contre-pied en traitant un sujet aussi moderne que sensible : les ravages que peut causer une relation en apparence banale sur internet.

Le titre du film est loin d'être hasardeux puisque la confiance est le thème central du film. L'héroïne va d'ailleurs s'y raccrocher côute que coûte pour se protéger de la vérité, ne faisant que retarder l'inévitable. La vision qu'elle a du monde et des gens,  ses liens familiaux, tout dans sa vie va être bouleversé par cette même confiance innée qui la rendait auparavant si forte et rendait son père si fier. Ce père - incarné royalement par Clive Owen - subira les dommages collatéraux de ce drame malgré (à cause de) son investissement pour en limiter la portée.

Défi casse-gueule, Schwimmer fait mieux que s'en sortir, il réussit un véritable coup de maître. Maîtrisé de bout en bout, le film est autant un passionnant thriller qu'une puissante sonnette d'alarme sur les dangers de l'hyper-communication. Si de prime abord les réactions de certains personnages nous semble incohérents, on se rend compte progressivement que c'est pour mieux dépeindre leur psychologie. L'effet est foudroyant et l'émotion n'en est que plus grande. Discrète et démonstrative quand il le faut, la mise en scène est en parfaite adéquation avec l'angle choisi pour traiter cette problématique.

Une oeuvre indispensable, plus encore pour les parents, qui nous rappelle, jusqu'à la dernière seconde, que la monstruosité humaine peut se cacher derrière la plus irréprochable situation et que pour pouvoir la débusquer nous ne serons jamais assez vigilants.

 

T’as aimé…ou pas

T’as tout lu, tout vu, tout entendu…ou pas

Peu importe, post un com et like la page pour dire que tu existes car ton avis est important pour moi, mais aussi pour le futur de ce blog, un gros merci d’avance !

mardi, 13 juillet 2010

La Naissance de Sphinx [Nouvelles/Le Combat du Papillon]

 

 

 

« Mon amour est devenu une flamme qui consume petit à petit

tout ce qui est terrestre en moi. »

 

                                                          Novalis

 

 

 

 

Dès qu’elle franchit la grille d’entrée, il l’aima.

Lorsqu’elle passa près de lui, il crut qu’on lui envoyait un ange.

Ses blonds cheveux.

Ses yeux bleus.

L’ovale pur de son visage.

Sa peau crémeuse.

Sans parler de son regard.

Une véritable flèche d’amour décochée en plein cœur.

Elle arriva à bon port.

Il se sentit submergé par une vague de douceur.

Elle le remarqua à ce moment là. Et à son tour, elle fut la proie d’une émotion nouvelle et implacable.

Elle disparut au bout de l’allée sans omettre de jeter un dernier coup d’œil à son intention.

Il quitta le banc, tout disposé à la suivre jusqu’au bout du monde. Mais ses parents étaient avec elle. Il sut intuitivement qu’il la reverrait en ces lieux et que l’attente jouerait en leur faveur.

Si c’était bel et bien de l’amour, alors ce n’était que le commencement.

 

Il rêva d’elle et elle rêva de lui, si bien que lorsqu’ils se revirent, ils crurent qu’ils ne s’étaient jamais quittés. Et qu’ils rêvaient encore.

Elle était toujours accompagnée de ses parents.

Il est vrai qu’elle avait l’air d’être jeune, innocente aussi.

Elle était beaucoup plus jeune que lui. Dix ans les séparaient, peut-être quinze.

Il la dévisagea intensément. Peu importait.

Les parents notèrent son intérêt singulier pour leur fille. Ce qui ne fut pas de leur goût à en juger par leur expression.

Il n’aurait sans doute pas dû, mais il les défia du regard, eux et la bonne morale qu’ils semblaient vouloir incarner à tout prix, même au détriment du plus précieux des sentiments.

Ils s’éloignèrent rapidement, emportant avec eux la grâce et la beauté qu’ils avaient su mettre au monde.

Il sut dès lors que ce ne serait pas simple.

Mais il se jura que ce serait possible.

 

Le jour suivant, elle ne vint pas dans le parc.

Il comprit rapidement pourquoi.

Sa réaction les avait condamnés tous les deux.

Mais il était confiant.

Il la retrouverait.

Son cœur le lui affirmait.

 

Il ne la revit pendant plusieurs jours.

Ni dans le parc, ni ailleurs.

Le temps passé à espérer une nouvelle rencontre ne fit qu’attiser sa passion.

Son visage d’ange dansait dans son esprit.

Il décida de le graver comme il le pouvait.

Son art du dessin allié à ses sentiments fit des merveilles.

Il avait saisi l’essence de la jeune fille, immortalisant son âme d’une manière purement intuitive propre aux poètes les plus épris.

Ainsi, même dans l’incapacité de la voir, il lui suffisait de contempler son œuvre pour avoir l’impression d’être près d’elle.

 

Par hasard, à compter que le hasard eut sa place, il la revit à proximité de chez elle, de sorte qu’il eut la chance de voir où elle vivait précisément.

Toujours escortée des auteurs de ses jours, elle le vit du coin de l’œil et lui glissa un regard complice à la dérobée.

Il l’attendit sagement, à l’ombre d’un arbre, le cœur battant à tout rompre.

Lorsqu’il la vit sortir de la maison pour venir discrètement à sa rencontre, il crut que son cœur allait exploser dans sa poitrine.

Elle se planta devant lui avec une hardiesse propre à l’adolescence, ce qui l’intimida davantage. Ils commencèrent par se toucher des yeux, pudiquement, puis conscients qu’ils avaient peu de temps devant eux et que cette rencontre tenait du miracle, ils s’effleurèrent du bout des doigts. Lorsque leurs mains s’épousèrent, le courant passa parfaitement, cette électricité, cette foudre capable d’unir deux êtres que tout semble vouloir séparer.

Ils se réfugièrent chacun dans cet état de grâce providentiel, inattendu autant qu’espéré.

Lorsqu’il put parler, il lui demanda :

-Tu as quelqu’un ?

La question pouvait paraître absurde, mais sur l’instant elle lui paraissait des plus légitimes. En tous les cas, il avait besoin de la poser et d’avoir une réponse.

Elle sourit avec une candeur désarmante.

- Non, je suis encore jeune. Et toi ?

Il rougit.

- Oui.

Il la vit tressaillir, alors il ajouta rapidement :

- Toi.

Il lui tendit une feuille de papier roulée en cylindre.

- Ca te fera un souvenir de moi lorsque nous ne pourrons pas nous voir.

Elle prit l’objet qu’elle se contenta de caresser nerveusement.

Il sut qu’elle attendrait de retrouver son intimité pour l’ouvrir.

Il demanda :

- Tu as quelque chose à me laisser.

A son tour, elle rougit. Elle contempla ses mains vides, vierges de tout trésor.

Il les regarda avec adoration avant de les prendre à nouveau dans les siennes.

- Alors je vais devoir te ramener toute entière avec moi.

Elle parut réfléchir, hésiter. Puis finalement, elle lui dit :

- J’ai trouvé quelque chose que tu peux garder.

Elle se dressa sur la pointe des pieds et l’embrassa sur la commissure des lèvres.

Il en resta tout penaud.

Ils entendirent sa mère l’appeler au loin, depuis le jardin.

- Je dois y aller.

Sa voix tremblait suite à son geste.

- Comment tu t’appelles ? s’enquit-elle en faisant quelques pas en arrière.

Il lui répondit.

Elle répéta son prénom à voix basse comme pour mieux en savourer la sonorité.

- Et toi ?

Elle lui souffla son prénom à l’oreille avant de disparaître.

Il regarda sa silhouette s’éloigner en imprimant dans son esprit le moindre de ses gestes.

En rentrant chez lui, il répéta son prénom avec religion jusqu’à s’en imprégner totalement, jusqu’à en oublier le sien.

 

 

Ils furent dans l’incapacité de se voir pendant plusieurs jours.

Tels des cerbères, ses parents la tenaient sous bonne garde.

 

Un soir, il rentra chez lui, particulièrement aigri par la situation et son impuissance.

Il regarda sur la table l’alignement de bouteilles et de seringues comme autant de femmes lubriques prêtes à le faire plonger dans les délices pervers de l’anéantissement.

Il tendit une main tremblante vers elles, comme répondant à leur appel. Une soif qui semblait insatiable lui brûlait les entrailles. Il avala une rasade, puis deux, puis davantage. C’était de l’eau de vie, bien mauvais nom pour une telle boisson.

Alors qu’il portait de nouveau le goulot à ses lèvres, un visage angélique désormais familier revint danser dans son esprit comme une lueur au milieu des ténèbres.

Un visage sur lequel il pouvait désormais mettre un nom.

Il le prononça à voix haute comme un sorcier scanderait une formule magique seule capable de le délivrer d’un mauvais sort. L’incantation fonctionna. Il se sentit libéré.

L’innocence qu’elle représentait à ses yeux anéantit sa faim vicieuse et viscérale.

D’un geste violent il chahuta bouteilles et aiguilles qui se fracassèrent sur le sol et contre les murs de la pièce.

Il se laissa tomber sur un sofa miteux.

- J’ai plus besoin de ça, maintenant.

Et tout en s’abandonnant au sommeil, recroquevillé comme un enfant, le visage humide, il se promit d’aller dès le lendemain se mesurer aux cerbères retenant sa princesse en otage, loin de lui.

En Enfer.

 

Il sonna à la porte d’entrée.

Une femme d’environ quarante ans lui ouvrit.

Pour l’occasion, il s’était relativement bien habillé, sachant que son apparence naturelle jouerait déjà certainement contre lui selon les critères en vigueur chez la famille d’Ornella.

- Bonjour madame. Je connais votre fille.

Il se frottait les mains comme pour faciliter la sortie de chaque mot.

- Je suis tombé amoureux d’elle.

Elle le détailla du regard comme s’il venait de prononcer une grossièreté.

Il ne s’attendait pas à être accueilli à bras ouverts, mais de là à faire l’objet d’un tel mépris…

Elle regarda ses bras nus. Il les dissimula bien vite dans son dos, scandalisé par sa propre négligence.

- Je vous reconnais, dit-elle avec une froideur totalement démaquillée. Vous étiez dans le parc. Je n’ai pas l’honneur de vous connaître et je ne vois pas ce que vous voulez.

Il serra les poings.

- Je voudrais voir votre fille.

Il s’était fait violence pour prononcer le mot voir.

- Elle n’est pas ici.

Il se garda bien de lui dire qu’elle mentait très mal, mais sans doute était-elle déjà au courant. Il comprit alors que c’était un combat et qu’il devait gagner sur son terrain à elle.

- Je suis certain qu’elle souhaiterait me voir aussi. Elle m’aime.

La femme produisit un rictus de mauvais augure.

- Ne dites pas n’importe quoi. Aimer…à son âge ? Et puis, vous, vous vous êtes regardé ? Vous êtes beaucoup trop vieux. Et comment pourrait-elle aimer un…

Elle le toisa avec un dédain décuplé.

- Vous croyez que je n’ai pas vu les marques sur vos bras. Même vos yeux en disent long sur votre mode de vie dépravé.

Il se sentit faiblir sous ses assauts. Mais il ne devait pas craquer, pas ici, pas maintenant. Et surtout pas devant elle.

- J’ai arrêté tout cela, rétorqua-t-il avec plus de véhémence qu’il ne l’eut souhaité. Grâce à votre fille. Elle n’a rien eu à faire. Mon amour pour elle est pur et me guérit de tout.

La femme manifesta clairement son doute à ce sujet.

- Ecoutez, dit-elle avec l’évidente intention d’en finir, rentrez chez vous avant que j’appelle mon mari ou la police. Je ne sais pas ce que vous vous êtes imaginé un soir de beuverie, mais il est hors de question que vous remettiez les pieds ici. Ma fille ne vous connaît pas, ne vous aime pas et ne souhaite pas vous voir. Et il en est de même pour moi. Si vous persistez, je prendrais des dispositions, croyez-moi sur parole.

Elle le défia du regard.

- Je n’ai pas peur de vous, cru-t-elle bon d’ajouter.

Elle commença à fermer la porte.

- Il y a d’autres filles.

La porte se ferma complètement. Il se retrouva seul au monde, comme échoué au milieu de nulle part alors que sa princesse n’était peut-être qu’à quelques mètres de lui.

- Pas pour moi, répondit-il tardivement.

Il rentra chez lui, plus seul qu’il ne l’avait jamais été. Il se sentait anéanti. Rien ne pourrait le consoler. Personne ne serait en mesure de le réconforter, pas même une autre fille.

Rien ? Peut-être pas.

Il prit sa guitare et joua un air pour elle.

La musique n’avait pas de frontières. Cette pensée lui réchauffa le coeur.

Cela ne pouvait finir ainsi. Cela venait juste de commencer.

Ils avaient tant à se donner.

Il y avait forcément un moyen, un chemin. Il devait simplement le trouver.

 

A la tombée de la nuit, il sortit et marcha jusqu’à chez elle, sans espoir précis. Peut-être pourrait-il sentir sa présence derrière les murs qui la retenaient.

Il vit une fenêtre ouverte.

Il s’approcha à pas de loups.

Un réverbère à proximité éclairait la façade. Il reconnut le pâle ovale d’un visage et la cascade de cheveux blonds qui l’encadraient.

Son cœur s’emballa comme un cheval fou.

Il l’appela une fois, deux fois.

Elle baissa la tête et le vit.

La joie illumina sa figure d’un éclat presque surnaturel.

Elle l’appela à son tour comme pour se convaincre qu’il n’était pas un mirage né de son désir le plus assoiffé.

Sa voix était étranglée par l’émotion.

Il commença à grimper en s’appuyant sur la gouttière.

- Tu vas tomber ! s’exclama-t-elle.

- Non, je ne vais pas te faire ce plaisir. Et puis ton amour me donne des ailes.

Lorsqu’il parvint à la fenêtre, ils tombèrent dans les bras l’un de l’autre. Une fois relevé, il jeta un rapide regard autour de lui. Il était dans sa chambre et c’était réel.

- C’est mignon, tu…

Elle posa un doigt sur ses lèvres. Il faillit rougir de plaisir.

- Si mes parents savent que tu es ici…

- Je sais ce qu’ils feraient, dit-il en retrouvant une certaine gravité. Tu leur as parlé ?

Elle inclina la tête.

- Après que tu sois venu. C’est eux qui ont commencé à me parler, alors je leur ai tout expliqué à notre sujet.

- Que leur as-tu dit ?

Elle haussa les épaules.

- La vérité.

Il la prit délicatement par les bras.

- Alors ils n’ont pas du apprécier.

Il soupira.

- On va trouver une solution. On va trouver. C’est trop important.

La porte de la chambre s’ouvrit à la volée.

C’était les parents, le père en tête.

- Lâche ma fille immédiatement et écarte toi d’elle !

L’amoureux obéit à regret.

- Je savais bien que j’avais entendu du bruit. Sale ordure, il a fallu que tu reviennes en douce ! De la graine de camé qui veut rien comprendre !

- Je vous avais prévenu, renchérit la mère par-dessus l’épaule de son époux.

Le père était en robe de chambre, une main glissée dans une poche.

- Tu vas sortir d’ici immédiatement en t’estimant heureux que nous en restions là. Il n’y aura pas de troisième fois, tu m’entends !

L’intéressé serra les poings.

- Pourquoi vous n’essayez pas de comprendre ce qui nous arrive ? Si vous ne voulez pas le faire pour moi, faites-le au moins pour votre fille. Vous avez été jeunes, vous aussi…

La jeune fille répliqua à son tour :

- Il ne fait rien de mal, il n’est pas dangereux !

Le père grimaça comme si elle avait dit une sottise.

- Je me méfie des gens qui ne sont pas dangereux.

- Pourquoi ?

- Parce qu’ils peuvent le devenir.

Sur ces mots, le père se fit plus menaçant.

- Je n’ai pas l’intention de négocier quoi que ce soit. Vous ne vous reverrez pas, un point c’est tout. C’est un ordre et vous allez vous y conformer que ça vous plaise ou non.

Il fixa avec haine celui qu’il considérait comme un criminel :

- Sors d’ici ou je te fais arrêter pour violation de domicile !

- Et pour détournement de mineure, s’empressa d’ajouter la mère.

Comme l’intéressé ne semblait pas vouloir obtempérer, le père ajouta :

- J’ai une arme.

Le visage du jeune homme se crispa.

- Moi aussi.

Il glissa une main sous sa veste.

Le père n’hésita pas. Il sortit son revolver et fit feu.

Avec une précision qu’il devait regretter toute sa vie.

La balle atteignit l’amoureux à la tête. Il tomba violemment au sol, sa chute annonçant sa mort plus que l’impact lui-même.

Ornella se jeta sur son corps inerte en poussant un cri déchirant.

- Il n’avait pas d’arme ! Il voulait parlait de son cœur.

Puis elle pleura sans discontinuer.

La mère prit le revolver des mains de son époux. Ils se dévisagèrent, conscients du drame qui venait de se jouer. Cette balle venait de briser leur destin à tous.

Paralysé par son acte, le père regarda sa fille se jeter sur lui et le frapper de ses poings menus jusqu’à être certaine de lui faire mal.

 

Plusieurs jours passèrent.

Elle resta cloîtrée dans sa chambre, les yeux fixés sur le portrait qu’il avait fait d’elle, tout du moins quand ses larmes le lui permettaient. Des larmes qui n’avaient guère le temps de sécher.

Le monde avait dévoilé sa vraie nature : une abominable supercherie, un monstrueux piège dans lequel elle ne voulait plus mettre un pied.

Elle avait tout perdu, l’impression de mourir avant d’avoir vécu et de sentir son amour périr prématurément comme un infortuné nouveau-né.

Elle en avait mal au ventre.

 

Un soir, sa mère frappa à la porte. Elle entra après avoir attendu vainement une réponse qu’elle savait d’avance ne pas obtenir.

Elle posa le plateau-repas sur la commode et observa la forme recroquevillée dans le lit.

Elle se sentait si impuissante. Mais elle essayait malgré tout de se convaincre que cela ne durerait pas.

Peut-être un sentiment de culpabilité motivait-il cette pensée.

Elle s’éclaircit discrètement la gorge.

- Je sais que tu ne vas pas bien, que tu as mal. Je ne prétends pas savoir à quel point. Je l’ignore. J’aimerais tellement que tu me parles.

Elle marqua une pause. Comme rien ne bougeait dans le lit, elle reprit :

- Si tu savais combien ton père regrette ce qu’il a fait. Il ne voulait pas aller jusque-là. Il voulait vraiment te protéger. C’est ce que nous voulions tous les deux. Il a eu peur. Mon dieu, tout s’est passé si vite !

Elle commença à sangloter.

- Il est vraiment en difficulté. Te voir lui ferait tant de bien.

Seul un silence entêtant lui fit écho.

Un silence étudié.

La jeune fille ne dormait pas et sa mère ne le savait que trop bien.

Elle quitta la chambre sans un bruit.

 

Au milieu de la nuit, elle ne dormait toujours pas. Si bien qu’elle entendit clairement la voix l’appeler par son prénom. Une voix qu’elle reconnut immédiatement.

Elle se dressa dans son lit et alluma sa lampe de chevet.

La fenêtre était fermée, la porte aussi.

Ce n’était pas possible. Elle avait dû rêver.

Mais lorsqu’elle vit un rosier fleurir autour du portrait qu’il avait fait pour elle, elle n’eut plus de doute. Elle bondit du lit.

Une silhouette humaine se tenait debout devant elle, son identité protégée par les ombres.
Le cœur de la jeune fille suffit à percer les ténèbres. Elle sauta dans les bras de son amoureux.

- C’est impossible, c’est un rêve !

Dans son étreinte, elle se sentit ressusciter. Et il devait en être de même pour lui. Il émanait de lui une telle douceur, comme si son cœur l’enveloppait et diffusait directement son amour autour de lui. Plus tard, elle comprendrait que c’était précisément ce qui se passait.

- Je ne comprends pas, dit-elle, des larmes plein les yeux, comment peux-tu être ici ? J’étais à l’enterrement. Que t’est-il arrivé ? Dis-moi que je ne suis pas folle et que tout cela est réel !

Il sourit tendrement et s’écarta légèrement. Il avait bien toujours le même visage, mais il était nu, sans sexe apparent, tel un ange. Son corps projetait une lumière opaline. On aurait dit une statue vivante.

- C’est réel, dit-il en cueillant l’une de ses larmes du bout du doigt. La seconde d’après elle se changea en rose qu’il glissa dans l’or de ses cheveux.

- La poésie est le réel absolu.

Elle le regardait, fascinée et hébétée, comme désireuse de croire à cette magie à tout prix tout en redoutant un nouveau coup du sort.

- Mon corps est mort et l’illusion qu’il représentait est morte avec lui. Tu me vois maintenant dans toute ma vérité. Si seulement tes parents avaient pu me voir ainsi. En voyant l’expression d’Ornella changer, il craignit d’avoir ravivé le drame. Il lui prit la main.

- Tu te souviens, mon amour, tu m’as donné des ailes. Des ailes à mon âme.

A ces mots, il baissa la tête et deux ailes géantes de papillon se déployèrent dans son dos comme deux vivants arcs-en-ciel, déversant dans la pièce un somptueux ballet de couleurs et de lumières. Ornella pleurait, mais cette fois la douleur était exempte. Elle pleurait de joie et d’émerveillement.

Il recula alors encore un peu, estompant volontairement la magie qu’il avait fait naître.

- Je dois partir, Ornella.

La nouvelle estomaqua la jeune fille.

- Non, reste. Ne me laisse pas ici, toute seule.

Elle s’efforçait de ne pas crier de peur d’alerter sa mère, sans doute aussi éveillée qu’elle.

- Je n’ai pas le choix, répondit-il avec gravité. Je suis d’ailleurs. Je ne peux plus vivre ici. Cela m’a énormément coûté de venir te voir. Plus que tu ne peux l’imaginer. Mais je te le devais. A présent que c’est fait, je dois m’en retourner.

- Mais où vas-tu ? Emmène-moi avec toi. Je t’en supplie ! Moi non plus je ne peux plus vivre ici !

Il la dévisagea intensément.

- Tu as déjà rêvé de moi ?

- Bien sûr !

- Alors tu sauras me retrouver. Ton âme saura. Je t’aime.

Il prononça une dernière fois son prénom et l’embrassa à la commissure des lèvres.

Quelque chose qui ressemblait à un œil s’ouvrit au milieu de son front et la seconde d’après il n’était plus là.

Terrifiée à l’idée de ne plus jamais le revoir, Ornella ouvrit instinctivement la fenêtre. Elle ne vit rien, bien sûr, mais soudain, une chaleur réconfortante l’envahit. Elle cueillit la fleur dans ses cheveux et contempla le dessin à demi recouvert par les roses.

Oui, elle trouverait.

 

Elle le retrouva bel et bien.

Rien ne semblait être en mesure de les séparer.

En étant à nouveau si proche de lui, elle ne put retenir un chapelet de larmes qui eurent l’étrange idée de s’envoler.

Elle manifesta sa stupeur et lui son amusement.

- Ici tout est léger et appartient au ciel.

Il la serra dans ses bras et déploya ses ailes pour l’en couvrir comme d’un manteau.

- Bienvenue dans le pays où l’amour est roi. Tu es ici chez toi.

 

Il lui fit visiter les lieux, des lieux qui avaient l’étrange propriété de se métamorphoser pour peu qu’on y regardât à deux fois.

Ils survolèrent des forêts qui se changèrent en montagnes vertigineuses qui à leur tour se changèrent en vallées verdoyantes. Le cycle était infini.

Tout était sans cesse renouvelé, sans cesse en mouvement, comme si un peintre invisible à l’humeur insatiable retouchait indéfiniment le paysage.

- C’est merveilleux ! dit Ornella, au comble de la joie. Mais qui fait tout ça ?

Son amoureux la tenait près de lui. Ses ailes les maintenaient tous deux en l’air. Ornella pouvait voler, elle aussi, mais elle l’ignorait encore. Il sourit.

- C’est nous.

Elle écarquilla les yeux d’étonnement et ce faisant, elle vit plusieurs nuages éclater dans une pluie de flocons de neige.

- Mais comment… ?

- En ces lieux tout est lié et s’influence constamment. Nos émotions, nos états d’âme génèrent des transformations dans notre environnement qui lui-même génère en nous de nouvelles émotions. Et ainsi de suite. C’est un éternel ballet de couleurs, formes et de sensations. Tout participe à l’harmonie générale.

Tout en expliquant, il désigna un volcan en éveil crachant un nuage de fumée affectant la forme d’un cœur.

Ornella serra plus fort la main de son amoureux.

- C’est magnifique ! Comment s’appelle cet endroit ?

- Le poète William Blake l’appelait La Terre de Beulah. Mais j’imagine qu’elle a bien d’autres noms.

- Je ne veux jamais partir d’ici, reprit Ornella, métamorphosée par son expérience. J’ai l’impression d’être au Paradis. C’est le plus beau rêve que j’aie jamais fait.

Son amoureux la dévisagea avec une étrange solennité :

- Ce n’est pas un rêve, Ornella. C’est ce que nous sommes en train de vivre, toi et moi.

Le visage de la jeune fille se rembrunit, assombrissant du même coup l’horizon.

- Mais si je me réveille, tout ce que nous aurons vécu ensemble en ces lieux ne se résumera pour moi qu’à un rêve, même le plus beau.

Il se crispa comme s’il comprenait la dureté de la réalité. Sa réalité à elle.

- Je peux te jurer qu’il aura la valeur d’un souvenir.

 

Il l’invita à un ballet aérien improvisé, l’éloignant et la rapprochant alternativement de lui. Elle se prit vite au jeu et fit preuve d’une grâce et d’une imagination qui le comblèrent.

Après avoir longtemps virevolté dans la plus parfaite osmose, ils se posèrent aux abords d’une cascade vertigineuse, les yeux embués de bonheur.

« Faites que je ne me réveille pas ! » se répétait Ornella.

« Faites qu’elle ne se réveille pas ! » se répétait son amoureux tout en étant convaincu qu’il était de son devoir et en son pouvoir d’exaucer ce vœu.

- On pourrait nager un peu pour changer, proposa-t-elle, toute guillerette.

- Bonne idée !

- L’eau est bonne ?

Il sourit.

- Seulement si tu le désires.

La jeune fille demeura bouche bée avant d’éclater de rire.

- Je veux une eau au goût de fraise !

La seconde d’après elle plongea sans retenue du haut de la falaise. Il ne trouva rien de mieux à faire que l’accompagner en hurlant :

- Je suis allergique aux fraises !

 

Encore une fois, ils jouèrent et s’occupèrent en toute liberté pendant un temps qu’ils furent bien incapables d’évaluer. Et c’était évidemment le moindre de leur souci.

Enfin rassasiés de leurs distractions aquatiques, ils s’enlacèrent et observèrent un couple de dauphins au corps irisé se lancer dans un concours de pirouettes.

Ornella regarda son amoureux. Il avait l’air songeur.

- A quoi penses-tu ?

- Je me disais que tout le monde devrait pouvoir venir ici, au moins de temps en temps. Sur Terre, certaines personnes n’ont aucun refuge. Si l’imagination est un luxe, nous sommes des milliardaires.

- Tu ne devrais pas être triste. Je pense que tout le monde peut venir ici. J’en suis convaincue. Il suffit d’en avoir besoin, non ?

Il secoua la tête et déposa un baiser sur son front.

- Tu ne trouves pas que l’eau a un goût bizarre.

Ornella faisait la grimace.

Il goûta l’eau à son tour et tout son être fut retourné lorsqu’il en reconnut la saveur.

- Non, pas ça !

C’était de l’eau de vie. Et il sut que ça ne pouvait venir d’Ornella. Il avait laissé ses pensées s’égarer vers de lointains souvenirs, l’emporter à nouveau vers ses angoisses existentielles. L’espace d’un instant, il était redevenu le junkie qu’il pensait avoir tué pour toujours. Il comprit que ses démons l’avaient poursuivi jusqu’ici et que rien n’était encore fini. Il avait un dernier combat à mener pour être enfin libre. Il s’alarma.

- Sors de l’eau, Ornella ! Vite !

Elle le regarda, apeurée, avant de lui obéir.

L’eau était devenue sombre. Le ciel aussi. Un orage couvait.

Il regarda la jeune fille s’éloigner et la suivit tout en essayant de contrôler ses pensées. Mais il avait l’impression de ne plus rien contrôler. Ses démons l’envahissaient inexorablement. Il pouvait presque ressentir à nouveau cette faim vicieuse et viscérale qu’il avait dû tant de fois combattre, qui l’avait tant de fois vaincu.

Lorsqu’il entendit Ornella pousser un cri en arrivant sur la berge, il sut que ses démons avaient de nouveau pris corps dans leur Paradis. En un éclair, il fut à ses côtés. Il la souleva dans ses bras en découvrant avec horreur le sol jonché de tessons de verre et de seringues usagées.

- Mais qu’est-ce qui est en train de se passer ? s’enquit la jeune fille. C’est toi qui fais ça ?

Il allait répondre lorsqu’une douleur indicible lui fouetta les entrailles.

Il lâcha brusquement Ornella qui manqua s’empaler sur les bris de verre maintenant aussi hauts que des arbustes. Impuissante, elle regarda son amoureux tomber à genoux en se tenant le ventre.

- Tu as mal ? Qu’est-ce qui t’arrive ?

Il dressa brusquement la tête. Il n’était plus le même. L’iris et la pupille de ses yeux étaient devenues intégralement noires. Ses oreilles se terminaient en pointe, quant à sa voix…Elle ne la reconnut pas quand il s’adressa à elle :

- Va-t-en, cours ! Ne reste pas près de moi ! Je t’en supplie, Ornella, si tu m’aimes, fais ce que je te dis !

La jeune fille se recula, moins pour lui obéir que pour obéir à sa peur.

- Mais dis-moi ce que tu as ! Je peux sûrement t’aider !

Son corps se mit à tressauter comme si quelque chose d’énorme ou de puissant le possédait et manifestait l’envie de sortir.

- Non, il faut que tu partes. Réveille-toi, s’il le faut, mais ne reste pas ici ! Elle m’envahit. Je ne… contrôle… plus rien.

Il poussa un cri déchirant et tandis qu’il ouvrait démesurément la bouche, une masse sombre, poisseuse et informe jaillit et coula sur le sol en un immonde ruisseau.

Tout en se dressant de façon menaçante, l’entité commença à prendre forme.

- Je ne peux pas t’abandonner ! hurla Ornella. Pas avec cette chose !

Bien que très affaibli, il trouva la force de se redresser un peu et alors il hurla à son tour :

- Tu ne comprends donc pas ! Elle va te tuer, elle n’existe que pour cela ! Elle dévore tout ce qui est innocent pour devenir plus forte encore ! Je ne veux pas te perdre Ornella !

Les mots parurent faire leur effet sur la jeune fille. Elle ferma les yeux et se retournant, courut droit devant elle. Mais il était déjà trop tard.

La Bête avait fini de prendre forme, ce qui dans son cas, ne voulait pas dire grand-chose. L’on ne pouvait lui donner de nom, ni même la décrire tant son aspect repoussait les limites connues de la terreur. A elle seule, elle représentait un nouveau canon dans le domaine de l’horreur.

Sphinx remarqua plus particulièrement les aiguillons recouvrant son épiderme, évidente analogie à l’une de ses dépendances terrestres. Et comme pour rajouter à l’infâme tableau qu’elle constituait à elle seule, l’air était empuanti par son odeur, un mélange insoutenable de remugle et de miasmes alcoolisés.

Cette chose qu’il avait crachée hors de lui était sa part de ténèbres, la somme de toutes ses malédictions, l’addition de ses tourments et de ses vices.

Il devait l’affronter et il devait la vaincre. Pour le salut de son âme et celui de son amour.

L’orage éclata comme pour annoncer le début des hostilités et une pluie diluvienne se mit à tomber. La pluie aussi avait un goût : celui de l’amertume.

La Bête faisait bien trois mètres de haut. Elle paraissait aveugle, du moins elle ne possédait pas d’organes apparents. Elle renifla plusieurs fois avant de se mouvoir en direction d’Ornella, en rampant rapidement tel un serpent affamé.

Cette vision menaçante eut le don de revigorer complètement Sphinx. Il déploya ses ailes et disparut pour réapparaître près de la jeune fille que la Bête poursuivait en écumant de joie. Des gueules s’ouvraient et se refermaient sporadiquement dans son poitrail velu. Les langues boursouflées qu’elle dépliait outrageusement semblaient elles-mêmes animées d’une vie propre. Sphinx se plaça devant Ornella dans une attitude protectrice avant de riposter. De ses deux mains il ouvrit sa poitrine, libérant une aveuglante sphère de lumière qui consuma les ignobles appendices s’aventurant un peu trop près.

- Qu’est-ce que c’est ? hurla Ornella en proie à une frayeur sans nom.

Sphinx scrutait l’entité maléfique comme le reflet impie de lui-même.

- Mes démons, l’incarnation de mes démons.

Ornella était terrorisée. Le rêve avait tourné court. Encore une fois, la réalité reprenait ses droits, même ici. Et pas de la plus belle manière.

- Tu peux la vaincre ?

L’intéressé dévisagea brièvement la jeune fille, mais avec une extrême intensité.

- Avec toi à mes côtés, je peux tout vaincre. Et je suis invincible.

La Bête le savait aussi, naturellement, et c’est justement pourquoi elle chercha à tout prix à les séparer.

Une immonde forêt de tentacules et d’autres appendices innommables s’extraya de son corps pour arracher Ornella de ses bras. Il repoussa tant bien que mal les assauts en générant des sphères de lumière et d’autres symboles de sa pureté. Son amour était un moteur puissant, mais la Bête avait plus d’expérience.

Ses tentacules se rétractèrent subitement et les dards hérissant ce qui lui tenait lieu de dos se projetèrent sur le couple. Sphinx improvisa un bouclier de fleurs qu’il espéra assez puissant, puis tout à coup inspiré, il fit résonner, par-dessus les borborygmes incessants de l’entité, la mélodie qu’il avait créée pour Ornella sur sa guitare, un soir plus triste que les autres, dans son ancienne vie. Il sourit en voyant sa Némésis se tordre de manière significative. La symbolique était sa meilleure arme ici et il compter bien en abuser.

- Tu ne m’auras pas et elle non plus ! Je te détruirai, je le jure !

Mais une vois dans sa tête, sa propre voix, lui promit exactement le contraire.

La fureur de la Bête était sa meilleure arme à elle. Elle y puisait toute sa force. A l’idée d’échouer si près du but, elle sembla grossir davantage. Un aiguillon déchira le bouclier et transperça le front de Sphinx. Il lâcha Ornella malgré lui et après avoir extirpé l’arme, il dût lutter sauvagement contre les effets de la blessure. Une blessure qui menaçait de corrompre ce qu’il y avait de plus beau en lui. Un appendice enleva Ornella sous ses yeux. En dépit de sa volonté de la secourir, Sphinx se sentit impuissant, comme si une partie de la Bête s’était insinuée en lui.

- Ornella !

En voyant la jeune fille terrifiée se rapprocher de l’une des gueules voraces, il retrouva un regain d’énergie. Il se concentra. Les motifs de ses ailes flamboyèrent, dardant sur le monstre un chapelet de rayons purificateurs. Des flammes léchèrent le ventre grouillant d’une vie impie et le tentacule retenant la jeune fille se décomposa. Elle retomba sur un tapis de fleurs imaginé par son protecteur qui s’envola pour la mettre hors de portée de la Bête, dans un endroit que lui seul connaîtrait. Mais ce faisant, il oublia qu’il partageait le même esprit que son ennemi.

Sphinx s’acharna à détourner son attention, la frappant de ses projectiles assassins, l’insultant, la mutilant. La Bête devint furieuse, mais ne changea en rien ses intentions. Sans crier gare, elle laissa tomber toute sa répugnante masse sur lui, l’écrasant et l’immobilisant. Il tenta bien de se téléporter, mais au contact rapproché de la Bête, sa blessure se réveilla et anéantit son effort. Alors elle en profita pour se métamorphoser. Son dos se craquela et deux paires d’ailes noires et huileuses se déplièrent, emportant une partie de l’entité dans les airs à la poursuite d’Ornella, tandis que l’autre se chargeait d’assimiler totalement Sphinx, la partie qui lui manquait pour être entière.

La pensée de perdre son âme-sœur fut l’étincelle qui permit à Sphinx de conserver son identité et son énergie propres. Il banda son cœur et en même temps qu’il poussait un cri terrible, il décocha une véritable bombe qui souleva son bourreau et le pulvérisa.

Sphinx se dressa, victorieux, sous une pluie de cendres. Un hurlement strident d’Ornella le paralysa, lui annonçant une horrible tragédie.

Il déploya ses ailes et se transporta aussitôt auprès de sa bien-aimée.

Du moins à l’endroit précis où elle aurait dû se trouver.

Lorsqu’il découvrit des fleurs éparses jonchant le sol ainsi que des ronces noires et huileuses lovées autour d’elles, il comprit qu’il arrivait trop tard. Le mal était déjà fait. La chevelure d’or finissait de disparaître dans les entrailles putrescentes de la Bête lorsqu’il posa son regard sur elle.

- Ornella !

En poussant son cri de guerre, il s’élança sur le démon qui fit de même. Le choc fut terrible. La terre se fissura et le ciel se brisa comme un miroir, déversant à nouveau des trombes d’eau. Une explosion de lumière absorba le paysage entier avant de le régurgiter dans le plus grand chaos. Une ombre retomba au sol. C’était Sphinx.

Il avait réussi, mais à quel prix. Il avait gagné sa liberté, mais il avait perdu Ornella.

Son cœur était orphelin, son âme mutilée. Et il sut dès lors que rien ne pourrait changer cela.

La blessure sur son front s’anima fugitivement. Ses yeux s’assombrirent un bref instant avant de reprendre un aspect innocent.

La plaie cicatrisa en un instant et demeura sur sa peau tel un insolite tatouage, une marque indélébile, la signature de la Bête siégeant toujours en lui, à son insu. Affaiblie, mais dans l’attente fébrile de pouvoir faire à nouveau surface.

Sphinx posa une main sur sa poitrine.

- Tu es avec moi, Ornella. Nous serons toujours ensemble. Où que tu sois, où que j’aille.

La jeune fille avait exaucé leur voeu commun : elle ne se réveillerait plus jamais.

A cette pensée, il se mit à pleuvoir.

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T’as aimé…ou pas

T’as tout lu, tout vu, tout entendu…ou pas

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mardi, 22 juin 2010

Le Songe des Ecureuils

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CHAPITRE 1

You are so Beautiful

                                                           


- Allez, dis-moi où on va ? répéta Catherine, suppliante.

Elle était allongée sur le sofa, ses longs cheveux noirs se déversant jusqu'au sol telle une cascade de soie. David les caressait avec religion. Penché au-dessus d'elle, il contemplait son visage comme pour la première fois. Ce n'était pas simplement dû à sa beauté. Son regard trahissait une vive intelligence, une rare bonté d'âme et une douceur à fleur de peau.

- Ce n'est plus une surprise, si je te le dis.

- Mais tu sais très bien que c'est moi qui conduirai.

- N'empêche que je ne dirai rien quand même.

Ils étaient coutumiers de ces petites joutes verbales. Comme tous les couples, ils se chamaillaient régulièrement, surtout pour des broutilles, alors ils appréciaient particulièrement de les inventer de toutes pièces. Ainsi, ils s'en sentaient maîtres et pouvaient leur donner la forme qu'ils souhaitaient les voir prendre; une forme de liberté.

Catherine fronça les sourcils, mimant une contrariété.

- Je ne suis pas bête. Je verrai les panneaux. Je trouverai bien.

David leva un sourcil, feignant l'indifférence.

- Peuh. Ce ne sera sûrement pas indiqué. Tu peux me croire, notre destination demeurera secrète jusqu'au bout. Tu sauras où on va que quand on y sera, ma chère.

Elle fit la moue.

- C'est un patelin paumé ou quoi ?

David prit un air de supériorité exagéré.

- Tu verras.

- Ca existe, au moins ? J'espère que ce n'est pas encore une de tes inventions, genre la ville imaginaire de trou perdu-les oubliettes.

- C'est très réel, tu verras par toi-même. Et puis d'abord, la réalité ça n'existe que pour ceux qui n'ont pas d'imagination.

Catherine siffla.

- Faudra que je la replace celle-là. Mais, dis-moi, je dois le prendre comment ? T'es en train de dire que je n'ai aucune imagination, c'est ça ?

De la voir singer la colère la rendait irrésistible. David l'embrassa.

- Mais non. J'adore cette phrase, je trouve qu'elle en jette. Alors dès que je peux la placer, je n'hésite pas. Tu me connaîs.

Catherine eut l'air dubitatif.

- Je suis sceptique. Fais-toi pardonner.

- Ca tombe bien, dit-il en lui caressant le visage, j'ai quelque chose à te dire qui va sûrement te plaire.

- Si c'est une phrase du même acabit, tu peux te la garder.

- Mais non, grande râleuse. Celle-là, tu vas l'adorer, je te le garantis.

- Vas-y, alors. Je suis tout ouïe.

David bougea légèrement comme pour mieux se préparer à la convaincre.

- Quelle est la différence entre un homme et une femme ?

Catherine pouffa.

- Alors là, c'est facile. Au moins un million d'années d'évolution.

David pinça les lèvres, singeant la contrariété.

- C'est la féministe qui parle ?

- Non, juste la scientifique.

- En tout cas, ce n'est pas la bonne réponse.

- Ca m'étonnerait. J'ai fait des études très poussées.

- Et je paris que j'étais un très bon sujet d'études.

- Comment tu as deviné ?

- De toutes façons, ce n'est pas la bonne réponse.

A son tour, elle feignit l'indifférence.

- Alors je m'en fiche.

- Je te dis qu'elle va te plaire.

- Très bien, je t'écoute.

- Donnez un fusil à un homme et il vous demandera qui il doit tuer. Donnez ce même fusil à une femme et elle vous demandera qui il a tué.

A la manière dont le visage de Catherine reprit son sérieux, David sut que la réponse avait fait plus que lui plaire.

- Qui a dit ça ?

- C'est le slogan de mon prochain bouquin.

- Et c'est moi que tu traites de féministe !

Ils s'embrassèrent.

 

Ils étaient enlacés comme des enfants tentent de se réchauffer par une glaciale nuit d'hiver.

Mais Catherine et David n'avaient pas besoin d'avoir froid.

Catherine appelait ça la position des écureuils. Elle trouvait ça mignon. L'image lui plaisait beaucoup.

David, lui, appelait ça la position des musaraignes, sûrement par ironie, surtout par esprit de contradiction.

- Pourquoi des écureuils ? Je ne comprends toujours pas.

- C'est normal, tu es un homme.

- Ah ! Ah ! Très drôle. C'est tout ce que tu as trouvé comme explication ?

- Non. C'est beaucoup plus complexe en fait.

- Ah, tiens donc !

- Et c'est pour ça que tu ne peux pas comprendre.

- Je te signale que je ne suis pas un homme.

- Ah, bon ! C'est nouveau ça ! Et tu es quoi, au juste ?

- Je suis un artiste, madame, déclara David en bombant le torse.

- Pour ce que ça change.

- Tu n'es vraiment pas gentille.

- Et toi pour un artiste, tu manques vraiment d'imagination. Si j'appelle ça la position des écureuils, c'est parce que les écureuils font comme ça pour se réchauffer. Na !

- Parce que tu vas me dire que tu as déjà vu des écureuils s'enlacer peut-être !

- Non, mais je suis sûre qu'ils font comme nous.

- Si ça se trouve, c'est nous qui avons inventé cette position. Si ça se trouve, les écureuils nous l'ont piquée et font croire qu'ils en sont les inventeurs. Au départ, ça s'appelait sûrement la position de Catherine et David.

Ils éclatèrent de rire.

- A ton tour de te justifier. Pourquoi des musaraignes ? Je ne sais même pas à quoi ça ressemble vraiment.

- C'est une sorte de petit rongeur. Un peu comme un écureuil, en fait, très mignon aussi.

- Et tu vas prétendre avoir déjà vu des musaraignes s'enlacer alors que le commun des mortels n'en verra jamais la queue d'une !

- Bien sûr, je suis un artiste. J'ai tout vu.

- Quelle déception ! Moi qui croyais que tu avais simplement de l'inspiration. En fait, tu viens d'avouer que tu n'as aucun mérite. Tu n'inventes rien. La vérité, c'est que tu n'as aucune imagination.

- Je n'en ai pas besoin. Je t'ai, toi.

- Oui, moi, ta musaraigne.

- Non, ma muse tout court.

Ils s'embrassèrent.

- Alors où tu m'emmènes ?

- Tu perds pas le nord, toi ! Oublie ça, je ne te dirai rien.

- Même pas sous la torture ?

- Non.

- Même pas sous mes caresses ?

David allait répondre quelque chose, mais son assurance venait d'être subitement ébranlée.

- Faut voir.

 

 

CHAPITRE 2

Unintended

                                        
                                                                                                    

- Tu es sûr que c'est par là ?

- Bah oui, je sais lire une carte.

- Une carte de vœux, peut-être...

- Tu m'insultes là ?

Elle le dévisagea franchement.

- Non, je t'informe, c'est tout.

A son tour, il la scruta intensément, quêtant un trait d'ironie. N'en trouvant aucun, il commença à grimacer.

Ils éclatèrent de rire tous les deux.

La voiture empruntait une route déserte traversant une forêt.

- Mets-nous un peu de musique.

Il alluma l'autoradio.

- A vos ordres.

Il chercha une station, guettant à chaque fois une réaction positive.

Il avait presque fait le tour des possibilités lorsque les premières mesures d'une chanson envahirent l'habitacle. Ils se figèrent au même moment et immédiatement le même frisson les parcourut des pieds à la tête.

Ils se dévisagèrent. C'était  Unintended de Muse.

Tous les couples ont une chanson. Celle-ci était la leur.

Elle avait le don de les guérir de tout, de sublimer l'un aux yeux de l'autre, comme écrite rien pour eux. Lorsqu'ils l'entendaient, leur amour prenait la place du monde entier.

Tout à leur émotion, ils ne virent pas le croisement, pas plus que le poids lourd venant dans leur direction.

Il les heurta de plein fouet.

La voiture quitta la route et roula sous les arbres comme un jouet fou. Lorsqu'elle s'immobilisa, leur chanson se faisait toujours entendre, en dépit de tout, comme se riant de la tragédie.

Catherine essaya de bouger. Elle avait du sang sur les yeux et sa tête pesait aussi lourd qu'une enclume. Sous le choc, sa portière s'était ouverte. Elle se tourna vers David.

Il était inconscient.

La voiture avait arrêté sa course folle contre un arbre au milieu d'un talus, en pleine forêt. La vitre du côté passager s'était brisée si bien que la tête de David était appuyée à même l'écorce.

- David.

Pas de réponse.

Il fallait qu'ils sortent de là pendant qu'ils le pouvaient encore.

Catherine allait défaire sa ceinture lorsqu'elle entendit un craquement de sinistre augure. D'un revers de main, elle essuya le sang qui lui obscurcissait la vue et plissant les yeux, s'aperçut avec horreur que le tronc d'arbre était sur le point de céder. Si cela se produisait, ils perdaient leur seule chance de s'en sortir vivants. Elle en était convaincue. Toute l'étendue de son angoisse s'exprima dans un seul mot :

- David !

Seul le silence lui répondit.

Catherine s'escrima à défaire sa ceinture, les craquements de l'écorce accompagnant ses efforts, les décuplant. La chanson continuait, imperturbable :

 

                          "You could be my unintended choice

                           To live my life extended

                           You should be the one I'll always love..."

 

Brusquement, les craquements cessèrent.

Catherine se figea. Elle tourna la tête vers l'arbre, seul rempart entre eux et la mort qui les attendait en bas de la pente. Lorsqu'elle comprit qu'il allait céder, elle n'eut d'yeux que pour l'homme inerte, assis à côté d'elle, avec lequel elle avait pensé finir ses jours.

- David !

Elle ne trouva rien d'autre à faire que refermer sa portière et fermer les yeux.

Mais ce n'était pas un simple tour de montagnes russes qui les attendait.

Le tronc se déchira et dans le silence qui s'était installé, cela fit l'effet d'une explosion.

La voiture se remit à rouler dans un chaos indescriptible de tôle froissée, les arbres se renvoyant le véhicule comme une balle de flipper. La dernière pensée de Catherine, avant que son esprit ne sombre dans le néant, fut qu'elle ignorerait pour toujours où David avait prévu de les conduire.

La carcasse s'arrêta au bord d'une rivière, en contrebas.

La chanson se tut brusquement comme si elle avait compris qu'elle ne servait plus à rien.

 

  

CHAPITRE 3

Darkshines

                                        
                                                                                                                
Il ouvrit les yeux.

Il ne comprit pas.

Il était allongé dans un lit. Sa tête n'était qu'une douleur sur ses épaules trop petites pour la supporter. Le côté droit de son corps aussi était endolori. La pièce qu'il occupait n'avait rien d'une chambre d'hôtel. Un peu trop épurée.

- Hôpital, murmura-t-il comme pour mieux se faire à l'idée d'un séjour forcé. Il se serait retrouvé en prison que cela lui aurait probablement fait le même effet.

Il regarda autour de lui en préservant au maximum la motricité réduite de son cou. Il était seul. Il ignorait depuis combien de temps il était ici. Mais cela l'inquiétait infiniment moins que de savoir où pouvait bien être...

- Catherine !

Une vision traversa son esprit avec la fulgurance d'un éclair.

Et des dégâts similaires.

Il revit la route déserte. Le silence. L'insouciance.

Il revit le choc terrible de la collision.

Il revit l'intérieur de la voiture tournoyant comme un manège devenu fou. Il entendit leurs cris à tous les deux, intimement mêlés.

Il se rappela les hurlements de la carcasse dévalant la pente de la forêt.

Il revit leur impuissance commune.

Il revit le visage doux et serein de Catherine tourné vers lui alors que l'autoradio jouait leur chanson, leur hymne personnel.

Son cœur s'emballa et son corps entier se couvrit d'une sueur glacée.

- Catherine !

La porte de la chambre s'ouvrit comme pour répondre à son appel.

Mais ce n'est pas la femme invoquée qui entra.

Si elle avait l'air amène, elle n'en était pas moins une étrangère.

Elle lui sourit.

Il l'ignora. Tout ce qu'il lui importait c'était de serrer Catherine dans ses bras pour les consoler tous deux du drame qu'ils venaient de vivre.

Il l'imaginait, isolée dans une chambre comme lui, torturée par les images de l'accident. En vie, mais dans quel état ?

- Où est Catherine ? Où est ma femme ? Comment va-t-elle ?

Le sourire de l'infirmière se crispa.

- Le docteur va venir vous voir.

Après un temps qui lui parut une éternité, le docteur entra dans sa chambre, tout auréolé de son statut d'oiseau de bon ou mauvais augure. David voyait moins en lui un médecin que l'incarnation de son avenir, de son destin.

Dieu en quelque sorte, venu lui rendre une petite visite pour l'informer des dernières nouvelles sur sa vie.

Son sourire magnanime cachait de lourdes responsabilités.

Et un secret aussi pesant.

- Comment allez-vous Monsieur Cross ?

David ignora superbement la question. Il savait le docteur très bien renseigné à son sujet. De plus, il avait le pouvoir de l'emmener en enfer ou au paradis et il ne pouvait supporter plus long délai d'attente.

- Comment va Catherine ?

Le visage du docteur se crispa. Il prit une longue inspiration.

- Elle est décédée dans l'accident. Je suis sincèrement désolé.

Ce n'est pas la phrase qu'attendait David aussi la retourna-t-il dans tous les sens comme un problème insoluble. Il traitait ces quelques mots prononcés à voix basse comme une énigme complexe et vitale. Il avait employait le mot « décédée ». Qu'est-ce que cela voulait-il dire déjà ? David ne s'en souvenait plus. Son cerveau était parasité. Il ne comprenait pas la réponse qui venait de lui être faite. Il essaya alors d'interpréter l'intonation et l'expression du médecin comme probablement un chien tente de comprendre les réflexions de son maître d'après l'inflexion de sa voix. Sans succès.

Décédée. Le mot en lui même n'avait pas l'air si terrible. Il sonnait même plutôt bien. David savait qu'il le connaissait, qu'il l'avait déjà entendu plusieurs fois. Mais jamais auparavant il n'avait été appliqué si intimement à sa propre existence. Et ce simple détail rendait son sens totalement étranger.

Le docteur vit bien le trouble qui était le sien. Alors il eut recours à un autre moyen pour lui transmettre l'odieuse vérité.

- Catherine est morte, David. Elle n'a pas survécu à l'accident. Je suis vraiment navré.

Le praticien l'était manifestement et c'est comme ça que David comprit le sort de sa femme.

La douleur lui coupa toute envie, tout besoin. Ses blessures physiques devinrent inexistantes. Une vague d'émotions aussi multiples que contradictoires le submergea. Une boule de haine grossit en lui. Il en voulait au docteur d'avoir tué son espoir, ses rêves, son avenir, sa vie.

Et Catherine.

En usant du pouvoir de quelques mots, il avait tout brisé en lui.

Rien de visible, rien de palpable, juste des mots et une pensée infernale à laquelle il devait se résoudre désormais. Et à jamais.

Comment se venger de quelque chose qui n'a pas de forme ?

Impossible.

Alors David laissa sa colère inapte se consumer sous un déluge de larmes. Il enfouit son visage dans ses mains.

Il ne pourrait plus rien construire avec elle. Sa vie avec Catherine s'arrêterait désormais aux souvenirs qu'il en garderait.

En prenant conscience de cela, il eut la sensation de mourir.

- Laissez-moi, dit-il sans même regarder le médecin.

Sa voix était à peine reconnaissable.

Le Docteur avait l'habitude de ce genre de situations. A force il s'était immunisé. Et c'est peut-être de le savoir qui enragea le plus David :

Il s'emporta.

- Sortez de cette chambre, nom de dieu !

Le médecin s'exécuta. Il en avait assez fait.

 

 

CHAPITRE 4

Goodbye my lover

 

David rentra chez lui, seul.

Il était rentré chez lui, seul, sans doute des centaines de fois, mais auparavant, il ne s'était senti seul dans ces moments là que d'un point de vue physique et le « chez lui » était un « chez eux » synonyme de solitude passagère, de prochaines retrouvailles, de futures étreintes, de tendres baisers, de dialogues passionnés, ...

Cette fois, le mot « seul » prenait tout son sens, s'imposait dans sa plus terrible et sa plus pesante réalité.

Il se sentait seul de tous les points de vue possibles et imaginables et il n'en était encore qu'aux balbutiements. Il le savait et c'était certainement ça le pire, cette conviction que l'enfer qu'il semblait avoir atteint n'en était en vérité que l'antichambre.

Il tourna la clé dans la serrure avec une lenteur surhumaine, désirant  retarder au maximum la fulgurante fatalité de sa nouvelle condition, le moindre geste le rapprochant un peu plus de la réalité de son état.

Il n'y aurait pas de solitude passagère, pas de prochaines retrouvailles, ni de futures étreintes ou de tendres baisers, pas plus que de dialogues passionnés.

Elle ne l'attendait pas dans le salon, ni dans la chambre. Elle n'était pas occupée à lui préparer un de ses plats préférés, elle ne prenait pas de douche, n'essayait pas de se faire belle pour son retour.

La maison serait vide, et pas parce qu'elle aurait encore fait des heures supplémentaires pour faciliter le départ d'une collègue mère de trois enfants ou parce qu'elle se serait une fois de plus attardée dans le rayon produits de beauté d'un supermarché ouvert jusqu'à une heure indécente. Non.

La maison serait vide parce que Catherine était morte et qu'elle ne l'occuperait plus jamais de sa présence qu'il avait cru toutes deux indissociables.

Il le savait, une partie de son esprit le lui hurlait de toutes ses forces à lui en faire exploser le crâne. Mais une autre s'opposait à la plus impitoyable raison en lui répétant que tant qu'il n'entrait pas, tout était encore possible, que tant qu'il n'aurait pas inspecté chaque recoin de chaque pièce, il avait peut-être la possibilité de la retrouver comme si l'accident n'était non pas le souvenir d'une expérience, mais la persistance d'un mauvais rêve, d'une idée folle.

Il tourna la poignée et entra dans sa nouvelle vie.

Debout dans le hall, il vit Catherine entrer dans la cuisine sur sa droite. L'émotion le paralysa. Son bref passage fut comme un ouragan. Son pas alerte, presque dansant, le gracieux mouvement de sa chevelure aussi beau et précis que celui de sa main, et sa silhouette, grande, épanouie, élégante qui transportait son âme jusque dans ses profondeurs. Il dut fermer les poings pour ne pas se laisser submerger par l'émotion. Il fit un premier pas, un deuxième. Les suivants l'emportèrent à l'entrée de la cuisine où il la découvrit absorbée dans la préparation d'une pâtisserie. Brusquement, comme devinant sa présence dans l'embrasure, elle releva la tête et le dévisagea. Son regard avait toujours exercé sur lui la plus absolue fascination quelque fut sa nature. Ses yeux détenaient une telle vie, un tel feu intérieur. On disait que les yeux étaient le miroir de l'âme : les siens donnaient tout son sens à cette métaphore. Ils devinrent brillants et dans la seconde qui suivit, elle se jeta dans ses bras. Il la serra contre lui, se réappropriant son corps comme une partie du sien trop longtemps séparée. Il plongea une main dans ses cheveux et admira la beauté de cette alliance. Son autre main se lova sur son visage et en parcourut la courbe satinée. Et puis soudain, tout disparut. Elle disparut. Et il comprit qu'il n'avait fait que fantasmer une scène qui s'était produite d'innombrables fois dans sa vie. Il l'avait instinctivement reproduite comme si son cerveau était resté sourd aux nouvelles du jour.

David caressa le plan de travail vierge de toute recette, si détestablement propre, brillant, net.

Elle ne viendrait plus le salir de farine et de sucre et d'autres poudres odorantes plus mystérieuses, sur lesquelles il avait eu tant de mal à mettre un nom.

Il serra le poing et frappa violemment la céramique.

Cette pièce lui faisait trop mal. Il décida d'en sortir.

Lorsqu'il entra dans le salon, il sut que cela n'allait rien arranger.

Bien au contraire.

Ici aussi, leur intimité avait eu sa place. Il revit tout en quelques secondes. Les moments les plus forts de leur existence que cette pièce avait pu accueillir, il les retrouva dans une telle intégralité, une si parfaite authenticité qu'il sentit ses jambes ployer sous lui. Il tomba à genoux et se raccrocha au bras d'un fauteuil que la main de Catherine avait si souvent épousé. Chacun de ses souvenirs devenait une lame aiguë qui le poignardait, une balle tirée à bout portant qui lui explosait la poitrine, et qui en se succédant dans sa tête meurtrie, à un rythme infernal, composait un ballet de morts violentes dont il se relevait à chaque fois comme on relève un défi.

Cela aurait dû lui suffire, le décourager de poursuivre.

Pourtant il continua le voyage.

Il revint dans le couloir et s'immobilisant devant l'escalier en bois, jeta un regard à l'étage. Leur chambre s'y trouvait. Comparé à ce qui l'attendait là-haut, le salon n'était qu'un avant-goût. Il le savait pertinemment. C'était pure folie de vouloir replonger dans son passé, mais toute raison semblait l'avoir quitté depuis la funeste annonce. L'amour et la mort s'épousaient en lui de manière si violente que de cette union naissait un formidable désir de s'abandonner aux plus cruelles expériences de l'âme humaine.

Il grimpa chaque marche avec un profond soupir.

Arrivé sur le palier, il chancela.

Le couloir était encore saturé de son parfum, un mélange enivrant de santal et d'autres essences de bois.

Ne va pas dans la chambre, se répétait David comme pour conjurer la malédiction qu'il était en train de subir. N'y va pas. Tu vas devenir fou !

La porte n'était pas fermée. Catherine ne fermait jamais les portes. Il la poussa facilement. Les souvenirs commencèrent à affluer comme s'échappant de la pièce pour venir s'engouffrer en masse dans son crâne trop étroit pour leur donner refuge à tous.

Il entra instantanément dans un état second. La pièce chavira autour de lui avant de retrouver un semblant d'inertie. Il revit Catherine en train de se vêtir, de se dévêtir, de se maquiller, de s'étirer, de se parfumer, de se coucher. Il ouvrit son armoire. La vue de ses vêtements occasionna en lui une nouvelle explosion de visions aussi terribles que les précédentes. Il toucha les chemisiers, les tailleurs, les jupes, les manteaux et les pantalons du bout des doigts avec un mélange d'effroi et de fascination. Ce n'était que du tissu et pourtant ces morceaux d'étoffe colorée avaient le pouvoir de faire ressurgir en lui les sensations que ses mains avaient gardé en les foulant. Il ferma les yeux et laissa ses sens lui délivrer leur mémoire. Il se rappela la volupté associée à chaque parure et la peau de Catherine en faisait partie intégrante.

Lorsque sa main rencontra une robe noire en satin, il ouvrit brusquement les yeux. Il ôta le vêtement de son support et l'emporta. Depuis le premier jour où il l'avait vue, David avait considéré cette robe comme le parfait écrin de la beauté de Catherine. Une vérité lui apparut alors : durant tout le temps qu'il avait passé avec elle, il n'avait pas ressenti le besoin de vivre, simplement de l'aimer.

Il s'allongea sur le lit, à sa place à elle, serrant la robe contre lui et s'imaginant le corps qui l'avait habité.

 

 

CHAPITRE 5

 

 

- Merde, Kevin, tu sais très bien que je déteste ce genre d’endroit !

Kevin guidait David à travers la salle bondée comme un boucher traînerait un animal vers l’abattoir.

- Tu veux être publié, oui ou non ? Alors tu vas me faire le plaisir de te mêler un peu à la foule. Je ne sais pas si tu as remarqué, mais il y a des gens connus et respectés ici. Tu crois que ça été facile d’obtenir deux invitations à une soirée pareille ?

- Fallait pas te donner tant de mal.

Kevin s’arrêta et fustigea son ami du regard.

- Là, tu commences sérieusement à me gonfler. J’aime ce que tu fais, David, je respecte énormément ton travail, tu le sais. Et je serai le premier à me réjouir si tes œuvres étaient enfin reconnues à leur juste valeur. Mais il ne suffit pas de le vouloir. Il faut aussi s’en donner les moyens.

- C’est facile pour toi de dire ça. Tu n’es pas dans ma situation.

- Précisément. C’est pour ça que je suis ton aide la plus précieuse.

David grimaça, signifiant par là qu’il reconnaissait cette vérité, mais qu’en certaines occasions – comme en ce jour – cela ne l’enchantait pas particulièrement.

Après avoir fondu sur trois ou quatre buffets froids – à ce jeu-là, David et Kevin s’entendaient très bien – ils arrivèrent en vue d’un homme d’une cinquantaine d’années dont la suffisance n’était pas vraiment au goût de David. Et c’est avec un profond regret qu’il entendit son ami lui annoncer :

- Voilà Michael Manfred Senior, agent littéraire, producteur de films, et dénicheur de perles rares à ses heures.

Kevin passa un bras amical autour des épaules de David et le dévisagea avec de grands yeux :

- Tout à fait ce qu’il te faut, mon gars.

Puis il sourit dans une grande débauche d’émail.

Qui s’affaissa lorsqu’il vit l’expression défaitiste de David.

- Ce sera sans moi. T’as vu ce type ? On dirait un candidat aux élections en pleine représentation. Et que je te serre la main, et que je te tape la bise, et que je te souris et que je te dis du bien…

Une hôtesse charmante leur présenta un plateau de cocktails. David tendit une main pour  prendre un verre, mais Kevin retint son geste.

- Excusez-nous, mademoiselle, on a un compte à régler avant.

Il emporta David qui adressa un regard idiot à la serveuse et le plaqua contre le mur d’une alcôve.
- Ecoute-moi bien, monsieur-je veux être riche et célèbre, va falloir que tu songes sérieusement à mettre de l’eau dans ton vin si tu espères mettre un jour du beurre dans tes épinards.

David avait toujours ce regard idiot qu’il se confectionnait naturellement quand les choses tournaient mal pour lui et qu’il ne voulait pas l’accepter.

- Et toi t’es qui ? Le cuistot de service ?

Kevin était noir et l’on sait que les noirs ne rougissent pas facilement. Pourtant en cet instant, David aurait juré que le visage de son ami s’était empourpré. Ce que vint confirmer un regard féroce de prédateur ulcéré que Kevin se confectionnait naturellement quand les choses et les gens n’allaient pas dans son sens.

- Là, mon ami, tu dépasses les bornes de mes limites.

Kevin resserra sa pression sur les épaules de David qui se voyait déjà installé à sa machine à écrire, amputé des deux bras.

L’image le fit sourire et puis rire.

Consterné par sa réaction, Kevin l’observa partir dans un fou rire complètement déplacé.

- Enfoiré, mais tu te fous de ma gueule !

Kevin le relâcha brutalement.

- Démerde-toi tout seul. T’es vraiment qu’un connard qui mérite que ce qu’il a.

Il fit demi-tour et disparut dans la foule.

Lorsque David le perdit de vue, il s’arrêta de rire. Et lorsqu’il s’arrêta de rire, il comprit qu’il venait peut-être de perdre son meilleur ami.

Là, son visage se rembrunit.

C’est vrai qu’il était un connard. Il avait vraiment le chic pour saboter la moindre de ses chances. Que ce soit avec le boulot ou avec les femmes, c’était pareil. Combien de fois Kevin l’avait branché sur des coups du tonnerre qu’il avait lamentablement esquivé, oublié, ignoré, rejeté. La liste était longue dans tous les cas.

Il sa rappela subitement une fille à qui il avait tapé dans l’œil. Une fille vraiment mignonne, pas vulgaire, attachante et surtout libre. Livrée sur un plateau d’argent. Un plateau qu’il avait renversé faute de croire à son propre bonheur.

Sans Kevin, sa vie professionnelle et sentimentale allait vite devenir synonyme de désert.

Il sortit de l’alcôve et jeta un regard noir à Michael Manfred Senior, la source de tout son malheur. Il savait qu’il n’était pas responsable le moins du monde, mais ça lui faisait tellement plaisir de s’en convaincre.

Les mains dans les poches, la tête basse, comme un gamin qui aurait perdu toutes ses billes à la récré, il se lamentait sur son sort lorsqu’une voix l’interrompit dans son suicide psychologique.

-  Excusez-moi, vous savez où sont les toilettes de cette baraque?

Instinctivement, avant même de dévisager son interlocuteur, David trouva que l’emploi du terme « baraque » pour qualifier un manoir somptueusement meublé méritait à lui seul de s’intéresser à la personne. Mais lorsqu’il releva la tête, il sut aussi intuitivement qu’il allait faire bien plus que s’intéresser à cette personne.

La femme était grande, belle, bien coiffée, bien habillée. Une vraie star de cinéma. Elle portait le chignon et une robe noire en satin qui épousait son corps de diva.

David en resta bouche bée. Il oublia la question, Kevin, les gens autour, tout. Ou presque tout.

- Vous connaissez Michael Manfred ?

 

 

CHAPITRE 6

L’Ode à la Joie

 

 

- Vous avez un téléphone ? Vous devriez appeler votre ami.

Elle s’appelait catherine.

David n’osait la dévorer des yeux de peur d’être indécent et surtout de peur d’être le énième pauvre type à le faire. Il détestait les normes, ce qui aide fatalement à devenir marginal.

Mais cette rencontre était une bénédiction. Surtout quand il avait appris que cette rencontre avait pour nom Catherine Manfred.

- Vous avez raison, répondit-il en essayant maladroitement de dissimuler son trouble. J’attends juste le bon moment.

Catherine se leva brusquement comme si elle venait de se rappeler qu’elle avait quelque chose sur le feu.

- Il faut absolument que je vous présente à mon père.

L’usage de cette formule l’honora. Il n’en l’aima que davantage.

- Il recherche justement quelqu’un pour booster les ventes de Squirrel Editions.

- Squirrel ?

Catherine se fendit d’un sourire de reine.

- Oui, écureuil. C’est mon animal fétiche. Mon père m’a fait ce cadeau pour mes vingt-deux ans.

David écarquilla les yeux.

- Impressionnant.

Ce n’était pas tous les jours qu’il avait un tel vent en poupe. Kevin aurait été sans doute fier de lui bien qu’il n’ait rien fait de particulier en vérité. Bizarrement, la chance avait tourné au moment même où son meilleur ami s’était éclipsé. Fallait-il y voir une relation de cause à effet ? David savait qu’il aurait été injuste de sa part de penser une telle chose. Mais il manquait d’inspiration pour trouver une meilleure explication.

David suivit Catherine qui le guida jusqu’au cinquantenaire auquel il avait jeté un regard noir quelques instants plus tôt. L’ironie de la situation ne lui échappa pas. Il se mit à sourire. Michael Manfred Senior prit ce sourire comme une marque de politesse et sourit à son tour.

Catherine fut enchantée de ce premier contact. Elle connaissait suffisamment son père pour savoir que le premier était en général déterminant.

- Papa, je te présente David Cross. Il est écrivain. J’ai pensé que cela pouvait t’intéresser.

L’éditeur dévisagea sa fille, puis porta son attention sur David.

- Excellente déduction. Tu as vraiment de qui tenir, dit-il en riant.

Puis il enchaîna :

- Alors Monsieur David Cross, quel genre de littérature me proposeriez-vous ? Je suis sûr que c’est ambitieux, sinon Catherine n’aurait pas fait le déplacement.

Il lui adressa un clin d’œil complice.

- Elle me connaît assez.

La jeune femme haussa ses sourcils et hocha la tête en signe d’approbation.

David se sentait particulièrement petit et frêle entre ses deux personnages si débordants de charisme. Mais il ne voulait pas les décevoir. Et il se dit que ce serait bien d’annoncer à Kevin qu’il avait finalement pu approcher le grand patron de Squirrel Editions en obtenant une promesse de contrat juteux. Et pour sa gloire personnelle – qui se faisait plutôt la malle ces temps-ci – c’était une occasion en or. Bref, il avait trop à y gagner pour se laisser bouffer par le trac.

Comme David Cross n’avait pas l’étoffe suffisante pour se sortir de là, il entra alors dans la peau de Conrad Conley, un aventurier qu’il avait crée sur le papier pour une série de bouquins bon marché. Un mec sûr de lui, un brin charmeur, arrogant, pétri d’un savoir complètement inutile, blagueur de série z et doté d’un sens de l’humeur en perpétuel équilibre. Rien à voir avec lui, quoi. Enfin, il s’en persuadait.

Catherine vit tout de suite le changement s’opérer en lui. D’abord déboussolée, elle en vint vite à être fasciné par sa performance.

- Et bien Monsieur Manfred Senior, on ne va pas tourner autour du pot. J’ai un bouquin actuellement qui a tout pour redorer votre blason. Si tant est qu’il en ait besoin. Mais bon, c’est toujours bon à prendre me direz-vous. Deux couches de peinture valent mieux qu’une seule.

David s’esclaffa de sa plaisanterie. Il fut d’ailleurs le seul.

L’éditeur le scruta avec méfiance. David n’osa vérifier l’expression de Catherine de peur d’y voir celle du regret le plus sincère.

Il eut un instant de doute et de profonde solitude. Venait-il de saboter une fois de plus les chances de changer sa vie ? Il refusa cette éventualité en sentant la présence de Catherine à ses côtés et son hypothétique soutien dans cette épreuve.

Dans un sourire, il reprit une nouvelle dose d’assurance.

- L’histoire que j’ai à vous proposer va révolutionner la littérature. Je vous promets une histoire d’amour sans aucun précédent. Je vous promets un vertige d’émotions, une somme inédite de rebondissements, un déluge de  tristesse, un sommet du drame humain. Je vous promets la peine, l’espoir et la joie dans leur vérité la plus totale. Je vous promets la richesse et la grandeur d’une vie, d’une passion, d’un homme et d’une femme. Je vous promets l’incertitude, le soulagement, la déception et le désespoir. Je vous promets une âme, un cœur et un esprit. Je vous promets tout cela et bien plus encore. Car cette histoire ne se contentera pas d’être belle. Elle changera la vôtre, la sublimera jusqu’à remettre totalement son sens en question. Elle modifiera votre passé, altèrera votre présent et vous forgera un nouvel avenir. Elle fera partie intégrante de votre identité, de votre destin. Cette histoire est une bombe qui va changer la face du monde. Alors oui, je pense que c’est assez ambitieux pour vous plaire.

Visiblement Michael Manfred ne s’attendait pas à pareille déclaration. Et il apprécia vite la chose à sa juste valeur.

Il jeta un regard empli de sous-entendus à Catherine qui ne savait pas si elle devait se réjouir ou bien disparaître. Lorsque  son père posa une main sur l’épaule de David, elle sut.

- Et bien, Monsieur Cross, voilà ce qui s’appelle se vendre. Vous avez la langue bien pendue. J’ose espérer que votre plume est aussi aiguisée. Catherine va vous donner mes coordonnées. Je compte sur vous pour me faire parvenir très vite ce chef d’œuvre en devenir.

Nouvelle œillade. Puis le grand patron de Squirrel Editions prit congé.

Catherine se rua sur David, le cœur battant.

- Dites-moi que vous l’avez écrit et qu’il ne vous reste plus qu’à le peaufiner.

David la regarda avec son sourire idiot.

- Pas une seule ligne.

- Quoi ? Vous rigo…

Elle vit qu’il ne rigolait pas.

Alors la douceur de ses traits prit la tangente.

- Vous savez quelle sorte d’engagement nous venons de prendre auprès de mon père? Je suis dans le même bain que vous, figurez-vous ! Je vous avais fait confiance, je croyais…

David l’interrompit d’un geste étudié qui le surprit lui-même.

- Faites-moi toujours confiance.

Il la dévisagea ouvertement sans savoir si son attitude lui était dictée par Conrad Conley ou par lui-même.

- Quelque chose me dit que je vais l’écrire rapidement.

Il venait de trouver une source d’inspiration bien plus efficace que toutes celles qui avaient généré ces médiocres créations passées.

Elle le dévisagea et à son grand dam, sut qu’il ne mentait pas.

A ce moment, comme pour briser l’intimité qui commençait à naître, le téléphone de David se mit à sonner. Sa sonnerie était l’Ode à la Joie. Une évidente ironie pour quelqu’un habitué à collectionner les mauvaises nouvelles. Jusqu’à maintenant. Car quelque chose lui disait que c’était en train de changer.

- Excusez-moi, Catherine.

Il prit l’appel.

- Kevin ? Oui. Tout à fait d’accord avec toi. Fou ?

L’occasion était vraiment trop bonne et David se sentait bien trop en veine pour la manquer.

- Oui, absolument, je suis fou.

Il dévora enfin Catherine des yeux.

- Oui, fou amoureux.

 

CHAPITRE 7

 

David fut réveillé par la sonnerie du téléphone. Sa main trempée de sueur étreignait encore la robe de satin noire. Les larmes lui vinrent rapidement. Le visage de Catherine occupa son esprit tout entier comme un diamant trouve le parfait écrin pour le sertir. Il ne pouvait imaginer continuer à vivre sans elle à ses côtés. Ils étaient devenus indissociables. Sans elle, il n’était qu’une moitié de lui-même. Et sûrement pas la meilleure.

La sonnerie insistait, se moquant de ses états d’âme.

Il décrocha dans l’espoir totalement absurde d’entendre la voix de Catherine, de l’entendre lui reprocher d’avoir oublié de faire les courses, d’avoir oublié de venir la chercher chez Betsy, sa meilleure amie, d’écrire tard dans la nuit en oubliant d’être à ses côtés, n’importe quel grief pourvu que ce soit sa voix et celle de personne d’autre.

- Je suis désolé, David, j’étais retenu à l’autre bout du pays. Quand je suis arrivé, t’étais déjà sorti de l’hôpital. Je ne sais pas quoi dire. Catherine…C’est…Tu veux que je passe à la maison ? Je suis tellement…

David raccrocha.

Il avait un deuil à faire. A Kevin de faire le sien.

 

David dormit longtemps. Dans ses rêves dansait le visage de Catherine. Dans ses rêves, ils survivaient tous deux à l’accident, leur vie se poursuivait. Et ils étaient heureux.

Epaulé par ses souvenirs, l’esprit de David en construisait de nouveaux.  Mais à un moment donné, le rêve basculait.

Ils étaient tous les deux invités à une soirée, se tenant à une distance respectable l’un de l’autre. David se sentait paralysé. Malgré tous ses efforts, il ne parvenait pas à se rapprocher d’elle. Ils se dévisageaient de temps à autre, ni plus, ni moins, puis la mort dans l’âme, David voyait Catherine quitter les lieux et monter dans une imposante voiture noire conduite par un homme aux cheveux bouclés qu’elle semblait connaître intimement. Au moment où il les voyait s’enlacer…

Il se réveilla en sueur, le cœur battant à tout rompre. Son regard se porta sur la robe noire en satin dans laquelle il s’était à moitié enroulé. Il sentit les larmes venir à nouveau. Il se prit la tête entre les mains. Ce dernier rêve – ce cauchemar – avait effacé la beauté des précédents. En dépit de la présence de Catherine, il lui avait laissé une terrible impression, une sensation glaciale, comme si la réalité de sa nouvelle vie voulait s’imposer à lui, même dans son inconscient.

Elle n’est plus à toi. Tu ne peux plus la rejoindre. Vous êtes séparés à jamais. Tu es tout seul. Elle est morte. Elle est morte. Elle est morte. Morte. Morte. Morte. Morte. Morte. Morte. Morte. Morte. Morte. Et sans doute enterrée.  

L’image fut un poignard dans son esprit. Catherine enterrée. Catherine reposant sous terre. Catherine enfermée dans une boîte. Catherine pourrissant, dévorée par les vers. Ce fut insoutenable.

- Je vais devenir fou. Catherine…

A peine le visage de la jeune femme revenait-il à son esprit qu’il ressentait une plaie béante s’ouvrir en lui et anéantir toute sa volonté de surpasser ce drame.

Il se recroquevilla comme un enfant, serrant la robe de satin noire contre lui,  faisant d’elle un linceul. Probablement le sien.

 

CHAPITRE 8

 

 

Il perdit rapidement la notion du temps.

Il s’éternisait dans son sommeil, ses nuits dévorant ses jours.

Seule la faim avait autorité sur lui pour le ramener à la réalité.

Le reste du temps, il restait allongé comme dans l’espoir de ne pas se réveiller ou de se réveiller à ses côtés.

Il ouvrait les yeux, fiévreux, abruti, plus fatigué encore. Ses rêves l’épuisaient. Il poussait son esprit dans ses derniers retranchements. Il faisait tournait sa mémoire comme un cheval fou autour d’une piste de cirque, inlassablement, encore et encore, se réappropriant chacun des moments passés avec elle, comme pour mieux les imprimer, comme un dessin sur lequel on repasse le crayon pour mieux en marquer les traits. Mais s’il continuait comme ça, il allait déchirer la feuille.

Qu’importait. Le mal qu’il pouvait se faire ne pouvait égaler celui qu’il avait reçu.

Gratuit !

Ce mot lui revenait sans cesse à l’esprit.

Tout cela était totalement dénué de sens, de justification.

Etait-elle morte pour lui permettre de comprendre à quel point le bonheur avait un prix ?

Quelle était la morale de l’histoire ?

Son cerveau n’arrivait pas à lui fournir la moindre réponse.

Il était embouteillé, parasité.

Il n’y en avait pas, tout simplement. Parce que la mort n’est pas une question ouverte ou fermée. C’est un impératif.

Il ne l’acceptait pas.

Trop radical.

«  Je veux voir le responsable ! » se dit-il, ne sachant s’il était sérieux ou s’il se raccrochait à un trait d’humour rattrapé in extremis.

Il ne pouvait se faire à l’aspect définitif de sa situation.

«  Tu es veuf, mon gars ! Faut te faire une raison. Une de perdue… »

- Ta gueule !

Il ouvrit les yeux. Il était à genoux sur le parquet de la chambre. Il tenait toujours la robe de Catherine.

Et il était toujours seul.

 

Une semaine passa ainsi. Peut-être plus.

David ne se levait que pour manger un peu et entretenir un semblant d’hygiène.

Un jour, des coups résonnèrent à la porte d’entrée.

David émergea d’une énième sieste. Groggy, comme sous l’effet de puissantes drogues, il analysa le bruit. Cela venait bien de chez lui. Etait-ce amical ? Etait-ce important ?

Il se rappela qu’il n’y avait rien de plus important que de rejoindre Catherine, une fois de plus, de la seule manière qui lui était désormais permise. Rien ni personne ne pouvait empêcher cela.

Il fit retomber sa tête sur l’oreiller et rajusta la robe de Catherine sur lui.

- Allez tous vous faire foutre !

Puis son visage se radoucit.

- J’arrive, chérie. J’arrive tout de suite.

Les coups redoublèrent.

- David, ouvre ! C’est moi, Kevin ! Ouvre cette porte, nom de Dieu !

Un long silence s’instaura.

- David, je te préviens : si tu n’ouvres pas cette foutue porte dans cinq secondes, je la défonce sans hésiter !

Au bout de trente secondes, Kevin adopta une posture menaçante. Il allait faire de son épaule musclée un bélier efficace lorsque la porte s’ouvrit.

David se tenait dans l’entrée. Il faisait peine à voir. L’expression de Kevin se radoucit aussitôt.

 

CHAPITRE 9

 

Les deux hommes étaient assis à la table de la cuisine dont le plateau disparaissait sous un monceau de lettres et de prospectus. Ils n’avaient pratiquement pas échangé un seul mot. L’absence de Catherine pesait de tout son poids sur eux. Son absence étouffait leur voix.

Les mots leur semblaient de toutes façons insuffisants, blessants même.

Kevin posa sa main sur le bras de David. Ce geste de réconfort, de soutien lui rappela combien la situation était douloureuse et combien elle était surnaturelle et inacceptable.

- Tu devrais rebrancher le téléphone, risqua Kevin.

David ne répondit rien. Il semblait être ailleurs, refusant une réalité où la femme de sa vie n’existait plus, refusant cette réalité et tout ce qui s’y rapportait. Kevin comprit qu’il faisait désormais partie d’une vie que David voulait à tout prix abandonner. Malgré lui, son attitude venait rappeler la tragédie. Kevin serra les poings. Contrairement à David, il ne pouvait pas faire autrement. Il était le seul à pouvoir l’aider à surmonter cette épreuve. Il avait déjà joué ce rôle d’ange gardien avec plus ou moins de réussite, David n’étant pas ce qu’on pouvait appeler un homme facile. Mais cette fois, il devait y arriver coûte que coûte. L’enjeu était trop important.

Catherine était morte.

Et David n’était plus tout à fait vivant.

- Il faudrait que tu sortes un peu. Je t’invite au restau. Il y a une éternité qu’on ne s’est pas fait un mexicain.

Kevin sentit qu’il tenait le bon bout pour réveiller de bons souvenirs et détendre l’atmosphère.

- Tu te souviens de cette soirée avec Rita, la serveuse du « El Gringo » ? Bon dieu, je n’avais jamais vu une fille aussi chaude. Elle nous a littéralement harcelé. On ne savait plus où se foutre. Il a fallu que le patron en personne se déplace pour qu’elle nous laisse manger. Ce n’est pas qu’elle n’était pas attirante, loin de là, mais ce jour-là, elle avait dû se vider la bouteille de parfum sur la tronche. Ma parole, ça puait l’essence de rose à des kilomètres. Tu te souviens, j’ai même failli gerber mon chili !

Kevin s’esclaffa bruyamment comme il savait si bien le faire. Seulement sa bonne humeur fut loin d’être contagieuse. David demeurait prostré sur sa chaise, sans laisser supposer qu’il avait écouté le récit de son ami.

Kevin s’interrompit. Cela devenait franchement gênant.

David se tourna subitement vers lui.

- Je sais pourquoi tu fais ça. Mais ça ne sert à rien. Je veux que tu partes. Tu ne peux rien faire.

Kevin déglutit. Il avait espéré un peu plus de résultat. Il ne pouvait accepter d’en rester là.

- J’aimais Catherine. Tu ne peux pas imaginer à quel point je l’aimais. C’était une bénédiction pour moi de connaître une femme comme elle.

Il s’empara d’un coupe-papier.

- Si me couper un bras pouvait la ramener, je n’hésiterai pas une seconde. Mais ça ne servirait à rien. Ce serait stupide. Ce qui ne l’est pas, en revanche, c’est que je fasse tout ce qui est en mon pouvoir pour t’épauler. Je te le dois et je lui dois à elle. Tu dois lui survivre. Tu mérites d’être encore heureux. Arrête de te faire du mal.

David se leva et fit mine de quitter la pièce. Kevin lui empoigna le bras.

- Je ne te laisserai pas tomber. Je te le jure. Etre ton meilleur ami n’a jamais été un slogan bon marché pour moi et tu le sais. Notre amitié est ce que j’ai de plus précieux.

David se dégagea et le fusilla du regard.

- Alors ne reviens plus si tu y tiens tant que ça !

Puis il disparut dans l’escalier.

Le visage de Kevin se crispa. La seconde d’après, il renversait le courrier sur le sol de la cuisine.

 

CHAPITRE 10

 

David se réveilla en sursaut. Il venait de sentir la présence de Catherine comme jamais. Son cœur devint fou. Il scruta la pièce comme s’attendant à tout moment à la voir apparaître.

- La salle de bains !

Il se rua dans la pièce. Vide. La baignoire avait été utilisée récemment. Par lui ? Il ne savait plus. Non. Il avait dormi depuis bien trop longtemps. Et puis ces derniers temps, sa toilette laissait sérieusement à désirer.

- Catherine ? C’est toi ?

Elle était dans la maison, cela ne faisait aucun doute. Sa présence était détectable. Presque palpable. Il ne pouvait se tromper. Elle était là, en dépit de tout ce que cela pouvait remettre en question.

- Catherine ?

Il descendit.

Il entra dans la cuisine.

Le courrier n’était plus là. Quelqu’un l’avait rangé.

- Catherine, où es-tu ?

Il traversa le vestibule et pénétra dans le salon. Vide aussi.

Elle était donc sortie.

Et puis soudain il entendit sa voix.

- Je ne supporte pas de te voir comme ça.

Il se retourna. Elle semblait si proche, pourquoi ne la voyait-il pas ? Et pourquoi ne lui répondait-elle pas ? Sa voix était si triste. On aurait dit qu’elle pleurait.

- Catherine, réponds moi !

- Si seulement on pouvait être à nouveau ensemble.

David courut, revint sur ses pas. Il inspecta de nouveau l’étage avant de regagner le hall. Il devenait fou. De l’entendre lui parler et d’être dans l’incapacité de la voir était pire que tout.

Il ouvrit la porte d’entrée.

Il ne se rendit pas compte de l’effet qu’il fit sur le voisinage. Ses yeux pleuraient et son regard trahissait un état proche de la démence.

- Catherine ! Mais dis-moi où tu es ! Réponds-moi, nom de Dieu !

Une voiture s’arrêta à un feu. Les vitres étaient baissées. Le conducteur écoutait de la musique. David chancela et se raccrocha de justesse au chambranle de la porte.

C’était Unintended de Muse.

 

(à suivre)

 

 

 

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