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mercredi, 20 juillet 2016

Le Dernier Jeu [Nouvelles/Thrillers]

Le Dernier Jeu 2.jpg

C’était le dernier jeu à la mode par chez nous. Je les ai toujours gagnés. Tous.

A la campagne, on avait vite fait de s’emmerder alors tout ce qui pouvait nous procurer un peu d’adrénaline était toujours bon à prendre.
Ca faisait un moment qu’on avait plus d’idées vraiment excitantes pour se marrer.
Piquer le tracteur du pépé du coin, mettre des pétards XXL dans les bouses de vaches, on avait un peu fait le tour en fait.
C’est alors que j’ai eu l’inspiration. Je me rappelle très bien. Il faisait nuit. Il devait être trois heures du mat et j’avais très envie de Gwen, la sœur de Fletcher, comme jamais auparavant. Elle avait mis son short en jean malgré la fraîcheur.
- Et si on s’enterrait ?
Fletcher avait éclaté de rire.
- Mais on fait que ça de s’enterrer ici !
Gwen lui avait filé un coup de coude.
- T’es con !
Murray avait alors sauté du capot de la camionnette comme si le moteur était encore brûlant.
- Quoi ? Tu veux dire se foutre sous la terre comme un macchabée ?
Je souris en voyant que mon idée plaisait beaucoup à Gwen.
- Bah, non justement pas comme un macchabée. Nous, on sera en vie.
- Enterrés vivants comme  dans…Kill Bill 2 ?
Je regardais Gwen. C’était amusant. Elle ressemblait un peu à Uma Thurman avec ses longs cheveux blonds et la moue qu’elle faisait prendre à sa bouche.
- Ouais. Et celui qui tient le plus longtemps gagne…
Gwen tordit sa bouche en me fixant comme jamais.
- …une nuit avec moi ! Ce qui m’exclut de la partie !
Fletcher la poussa :
- T’es pas bien ! En plus si c’est moi qui gagne, t’auras l’air maline !
Elle lui offrit une vue imprenable sur son majeur.
- Tu gagneras pas. Tu gagnes jamais.
C’est alors qu’il comprit que dans le jeu, un autre jeu se mettait en place.
Il me jeta un regard mauvais. On avait jamais été vraiment copains lui et moi.
- Ok, je vois. J’en connais deux qui ont rien trouvé de mieux pour s’envoyer en l’air. Si vous voulez on vous enterre tout de suite ensemble comme ça vous pourrez faire des galipettes toute la nuit sans que personne vous voit !
Nouveau coup de coude.
- T’es vraiment trop con ! Fit Gwen, rougissante.
Moi je me contentais d’observer les réactions avec un grand sourire de satisfaction.
Du menton, j’interrogeais Murray, le plus indécis du groupe.
Mais je connaissais sa réponse. Je savais que Gwen l’intéressait autant que moi. Si ce n’est plus.
- Ca marche !

- T’es sûr que tu veux commencer, Fletch ?
Fletcher était remonté. Il m’en voulait d’avoir trouvé le jeu, il en voulait à Gwen de servir de récompense et il en voulait à Murray d’avoir encouragé tout ça.
- Et comment ! On va voir si je gagne jamais !

On avait déniché une grande malle dans le grenier de la grand-mère de Murray.
On s’était mis d’accord sur la profondeur du trou. Juste assez pour ressentir le grand frisson, mais pas trop pour que nos voix restent audibles. On restait aussi longtemps qu’on pouvait, mais dès qu’on avait atteint notre limite, on avait le droit de crier. Les autres nous déterraient alors vite fait bien fait. Comme c’est moi qui avais eu l’idée, j’avais servi de cobaye. L’expérience avait bien fonctionné. C’était juste un test, mais je ne m’étais pas privé de rester un certain temps, histoire d’annoncer la couleur. Je suis loin d’être claustrophobe et l’obscurité profonde ne m’a jamais effrayé. Et puis j’avais une putain de motivation. Cela avait fait son petit effet sur Gwen. Sur Fletcher aussi naturellement. Sauf que lui avait pris ça autrement, évidemment.

- Non, mais Fletch, t’es pas obligé de commencer, tu sais. T’as l’air énervé.
Il avait poussé Murray.
- Je t’emmerde. Je vous emmerde tous !
Puis il s’était allongé dans notre cercueil improvisé. On sentait bien qu’il faisait ça sous le coup de la colère. Mais de là à le prendre en pitié.
- Je pourrais avoir ta guitare si tu remontes pas ?
Fletch offrit à son tour une vue imprenable de son majeur à sa sœur. Murray et moi on referma rapidement la boite histoire que ça dégénère pas.
Sa voix nasillarde nous parvint tandis qu’on commençait à mettre la terre :
- Vous avez pas intérêt à faire les cons, je vous préviens. J’ai tout raconté à des potes à moi.
- Ok, fit Murray. T’inquiète, on va tout faire dans les règles.
Puis il ajouta doucement :
- Mais c’est nous ses potes, il en a pas d’autres.
- Tu vois pas qu’il est flippé ? l’informa Gwen avec un mépris évident.
Sa main frôla la mienne. Je n’y vis aucune coïncidence.
On lança le chrono. J’avais tenu une bonne demi-heure lors du test. C’était en quelque sorte le temps de référence.
- Tu crois qu’il va tenir combien de temps ?
J’en profitais pour m’asseoir à côté de Gwen sur le capot de notre fidèle camionnette. On l’avait décoré un peu comme le bus dans Scooby-Doo.
- Moins que toi.
Elle me regarda franchement, son visage presque collé au mien. J’ai cru qu’elle allait m’embrasser. Elle ouvrit la bouche
- Et, venez voir, j’entends Fletcher !
Murray était accroupi et il se marrait tout seul.
- Venez voir, je vous jure, je crois qu’il est en train de jurer, ce con !
A contre-cœur on est descendu du capot et on est allé rejoindre Murray. On ne l’a pas trop regretté. En collant notre oreille par terre, on entendait effectivement Fletcher nous traitait de tous les noms, pensant sans doute qu’on ne pouvait pas l’entendre. On a tous explosé de rire.
Il était vraiment pathétique. On ne se l’est pas dit, mais je crois que l’idée de le laisser en plan nous a tous traversée l’esprit.
- Eh, vous êtes toujours là ?
On s’est dévisagé sans rien dire, le sourire aux lèvres, essayant de ne pas repartir dans un nouveau fou rire.
- Oh, vous m’entendez, là ?
Murray, qui a toujours été le plus raisonnable de nous quatre, a fini par rompre ce silence punitif :
- Qu’est-ce qu’il y a Fletch ? Tu veux sortir, c’est ça ?
- Non, pas du tout. Je voulais juste être sûr que vous m’aviez pas laissé en plan. Ce serait bien votre genre.
Je me rappelle m’être mordu la lèvre pour ne pas rire.
- C’est bon, on est là, alors arrête de jacter car sinon je te disqualifie. La première règle du Coffin Club est « On ne parle pas » donc…
Là on lui a balancé en chœur et avec sincérité :
- Ta gueule !
Avant de nous marrer comme des bossus !
Il est ressorti trois quarts d’heure après. Il avait une sale gueule, mais il avait gagné notre respect. Il me fusilla du regard :
- Ca t’épate, hein ? J’aurais même fait plus si j’avais pas eu autant envie de pisser.
A ces mots, il fit descendre sa braguette et se mit à arroser comme il faut le sous-bois.
Murray se précipita sans un mot dans la malle. J’ai basculé le couvercle et durant ce laps de temps on a tout à coup cessé d’être les meilleurs amis pour devenir les plus grands rivaux. Le regard de Murray ne me laissa aucun doute à ce sujet. Je sus immédiatement qu’il allait tout faire pour me battre.
Pas un son ne sortit de la boite. On connaissait assez Murray pour ne pas s’en étonner, mais au bout d’un moment on a quand même commencé à s’inquiéter. Cela faisait une heure et un silence de mort planait autour de la tombe.
Je me suis approché, nerveux.
- Murray, ça va ? T’as le droit de répondre, ça comptera pas, c’est juste pour vérifier si tout va bien ?
Fletcher cracha au sol.
- Alors lui il a le droit, comme par hasard !
- Lâche-nous, lui envoya Gwen.
- C’est bon, je sors ! annonça Murray.
- Te sens pas obligé, c’était vraiment juste pour nous rassurer.
- Non, mais je veux sortir.
Quelques instants après Murray est sorti comme le futur grand vainqueur. Son exploit faisait maintenant passer ma précédente prestation pour une plaisanterie.
- Bien joué, fis-je en lui serrant la main. A mon tour.
- Ouais, fit Fletcher, sarcastique à souhait, c’est ça, dis bonjour aux vers de terre ! Qu’ils te bouffent les yeux comme ça t’auras vraiment plus peur du noir et tu pourras rester pendant des plombes !
Cette fois Gwen ne prit pas le temps de le remettre à sa place. Elle avait mieux à faire. Elle aida Murray à fermer le couvercle. Juste avant qu’il ne se referme, j’eus droit à son plus beau sourire en guise d’encouragement.


Le plus dur quand on est dans le noir c’est de garder la notion du temps. On peut évidemment compter les secondes, puis les minutes dans sa tête, mais au bout d’un moment, c’est inévitable, nos pensées les plus diverses viennent se greffer à notre esprit et foutent en l’air royalement notre concentration. On lutte pour garder le contrôle comme si notre vie en dépendait et puis, au bout d’un moment, on lâche la bride, on se laisse aller, parce que penser de toutes façons c’est le meilleur moyen de passer le temps dans de telles conditions.
J’ai pensé à beaucoup de choses, en priorité à Gwen, vous vous en doutez bien. Et puis il est arrivé une chose curieuse. Comme si le fait de me retrouver isolé ainsi m’avait permis de voir les choses avec plus de recul, plus de…lucidité.
Je me suis dit que j’avais toujours représenté une menace pour Fletcher à cause de mon attirance pour sa sœur et parce que je me démerdais toujours pour être plus malin que lui. J’avais toujours également représenté une menace pour Murray du fait qu’il était lui aussi attiré par Gwen. Mais ce dont jusque-là je n’avais pris conscience c’est que je représentais aussi une menace pour Gwen. Parce que tant que j’étais en vie, il lui était impossible d’hériter de certaines affaires personnelles que ma chère mère se ferait une joie de lui céder connaissant mes sentiments pour elle. Et Gwen le savait car j’avais fait l’erreur de lui avouer un jour où je me sentais particulièrement proche d’elle.
Vous allez dire que je délire et que c’est probablement le manque d’oxygène ou de lumière qui me faire dire des conneries pareilles.
J’ai su que j’avais vraiment mis dans le mille à leur sujet quand j’ai commencé à avoir très faim et très soif et que personne ne me demandait si j’allais bien comme j’avais pris soin de le faire pour Murray.
Quand j’ai entendu un bruit de moteur et un crissement de pneu, j’ai compris que j’avais tout compris. Mes hurlements et mes coups n’y changèrent rien.
J’avais perdu Gwen, mes amis. Et j’allais surtout bientôt perdre la vie.

C’était le dernier jeu à la mode par chez nous. Je les ai toujours gagnés. Tous.

 

 

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