dimanche, 28 juillet 2013
Un Nouvel Horizon [Fanfics/Jeux Vidéo]
C'était censé être un beau jour, mon jour de gloire.
Nous venions de repérer une baleine isolée. Mieux, blessée. Elle avait dû être attaquée par un autre navire qui entre temps s'était fait lui-même harponner par un bâtiment ennemi.
Ce genre de situation était monnaie courante en mer. Une seule distraction pouvait entraîner la ruine de tout un équipage. Mais sans distractions, la vie en mer était parfois bien rude.
Aussi, quand cette baleine se profila à quelques encablures, sur le pont ce fut un véritable charivari. Dans un concert de clameurs, les hommes s'égaillèrent comme sortant d'un long sommeil. Moi-même je ne fus pas en reste et me mis à la tâche. Je connaissais mon affaire et me précipitais naturellement vers les cordages. Un marin avec qui j'avais sympathisé m'arrêta dans mon élan avec un grand sourire.
- Non, petit. Aujourd'hui, c'est ta chance.
Je le fixais, interdit.
- Quelle chance ?
Il me tendit un harpon.
- Celle de faire vraiment partie de cet équipage.
Je ne savais trop quoi dire. La perspective était on ne peut plus réjouissante, mais devant la difficulté de l'épreuve qui m'attendait, mes genoux s'affaissèrent subitement avant même que j'eus en mains le pesant harpon. Je n'avais pas vingt ans, j'avais peu vécu et pour achever ce triste tableau, j'étais maigre comme un clou. Vous comprendrez donc ma réserve quant à mes chances de succès.
- Mais qui a décidé ça ? finis-je par dire pour me donner une contenance.
- C'est moi, mon jeune ami.
C'était Silas Ford, le Capitaine de la Murène, mon patron et mon protecteur depuis qu'il m'avait recueilli sur feu le Saint George.
C'était mon quotidien depuis que j'avais quitté l'Angleterre en passager clandestin pour découvrir le monde et ses merveilles. Je ne restais jamais bien longtemps à bord du même bateau. Je m'y étais habitué. Mes rapports avec les autres étaient donc volontairement superficiels. S'attacher était exclu. J'avais assez souffert d'être séparé si jeune de mes parents bien aimés lors d'un incendie.
Silas caressa son impressionnante barbe. Il était de bonne humeur. A ses côtés, il y avait Stella, comme toujours. Trop près de lui, trop souvent. Ce beau brin de fille avait embarqué peu de temps après moi et elle m'avait immédiatement plu. Vous pensez. Une peau dorée, des yeux clairs comme l'océan, des cheveux noirs comme la nuit et une nature mystérieuse à souhait. Malheureusement, comme vous vous en doutez bien, elle m'ignorait autant que je la convoitais. Et qu'elle fut muette n'avait rien à voir. Nous étions de la même graine. Elle était pauvre et orpheline comme moi. Mais peut-être me fuyait-elle pour justement fuir son passé douloureux auquel je la renvoyais continuellement malgré moi.
Présentement, elle tenait le bras droit de Silas. Elle devait se sentir importante. Je la comprenais. Mais je lui en voulais de me traiter avec autant de dédain alors que nous étions plus proches elle et moi qu'elle ne le serait jamais de son maître.
- Oui, aujourd'hui est le jour où tu vas pouvoir enfin nous prouver ta valeur.
Silas m'offrit son plus beau sourire en dépit des dents qui lui manquaient.
- Ta valeur d'homme !
Il me donna une grande claque dans le dos, si forte que je chancelai et laissai tomber le harpon. Les hommes s'esclaffèrent et Stella me toisa avec un mépris qui me blessa plus que je n'aurais voulu.
Je ramassai mon arme avec toute la dignité qui me restait et je m'avançais vers le bastingage. La baleine était proche maintenant. Elle me semblait si accessible. J'assurai ma prise et bandai mes muscles. Le temps parut se suspendre. Le silence se fit autour de moi. Cette ambiance inattendue, cette attention sur moi me revigorèrent et je sentis une force insoupçonnée m'envahir.
Sûr de lui, mon bras se tendit et c'est alors que la vigie s'écria :
- Pirates ! Pirates à bâbord !
En un instant tous les regards se détournèrent de moi et de mes possibles exploits pour se river sur la silhouette d'un navire fendant les flots et venant droit sur la Murène avec des intentions aussi sombres que le drapeau noir qu'il arborait fièrement. La mort dans l'âme, je troquais mon harpon contre ma fidèle longue vue pour découvrir l'identité de celui à qui je devais d'être retombé si brusquement dans l'anonymat.
- Sa silhouette m'est familière, dis-je sur un ton savant que j'espérais convaincant.
- Et comment, fit Silas, soudain beaucoup moins jovial. C'est le Jackdaw ! Même ceux qui ne l'ont jamais vu mouiller le connaissent assez pour trembler dans leurs bottes.
A cette annonce, mon coeur s'emballa.
- Le Jackdaw ! Ca alors ! Nous allons rencontrer le légendaire Edward Kenway !
Mon enthousiasme ne fut pas partagé. Et pour cause. Rencontrer Edward kenway en mer était plus dangereux que de nager au milieu de requins affamés.
Le branle-bas de combat fut aussitôt ordonné.
- Aux canons, aux canons !
- Toutes voiles dehors !
Les ordres vitaux n'étaient pas encore tous transmis que j'entendais déjà les premiers boulets siffler au-dessus de nos têtes. La distance était traîtresse. Le JackDaw était beaucoup plus proche qu'il n'en avait l'air.
Le danger imminent eut le don de saborder mon émotion inconvenante et je filai donner un coup de main aux hommes afin de préparer les armes à feu. Nous savions l'abordage inévitable pour ne pas dire préférable. Tout pirate qu'il était, Kenway était réputé méthodique avant tout. Les cales de la Murène étaient remplies de denrées exotiques, certaines très rares. Il le devinait certainement.
Une explosion terriblement proche écourta mes pensées. Plusieurs hommes furent tués sur le coup et on ne les déplaça que pour éviter à d'autres de trébucher. J'avais déjà vu la mort de près et même plus d'une fois. C'est terrible à dire, mais de cela aussi j'étais devenu familier. Cela ne m'empêchait pas d'avoir très peur. Nos propres canons se firent entendre.
La bataille fit rage. Le JackDaw s'était rapproché. Dans l'agitation générale, au milieu de la fumée, je reconnus la forme de sa proue si caractéristique, celle d'un oiseau, que j'avais vue sur un dessin rapporté par un négociant qui avait eu la chance de la voir lui aussi de ses yeux et d'en réchapper. J'espérais évidemment avoir la même veine. Je glissai les armes prêtes dans les ceintures des hommes qui s'époumonaient et s'activaient comme jamais. La mort planait sur nous et pourtant je ne pouvais m'empêcher de ressentir un frisson particulier qui n'était en rien dû à la peur.
Silas se tenait près du gouvernail. Il était terrifié. De le voir si impuissant me procurait une joie instinctive. Peut-être parce que Stella voyait enfin combien celui qu'elle avait idolâtré n'était plus que l'ombre de ce qu'il était. Une nouvelle explosion me les masqua tous les deux. Je fus jeté au sol, avec le goût du sang dans la bouche. En découvrant mon corps intact et plusieurs cadavres autour de moi, je compris rapidement que ce sang n'était pas le mien. Je me mis à l'abri derrière un mât. Juste à temps. Un boulet plus puissant que les autres traversa le pont sur toute sa largeur, creusant une véritable tranchée dans un geyser de débris. Je reçus plusieurs échardes aux bras et aux jambes et l'une d'elle me lacéra le front. Ma première cicatrice ! Je fus naturellement bien le seul à m'en soucier. Une pluie de projectiles détruisit plusieurs de nos pièces et clairsema considérablement les rangs de nos hommes. Le goût de la défaite se faisait clairement sentir.
Par un heureux réflexe je lâchais le mât que j'avais agrippé juste avant qu'il ne cède. Un autre l'imita bientôt et je compris alors que la Murène était sur le point d'être neutralisée. La proue du JackDaw nous percuta de plein fouet, annonçant un inévitable abordage. Des cris retentirent et les pirates envahirent le pont comme un essaim de frelons. Leurs dards décimèrent nos hommes. Je cherchais le Capitaine et Stella du regard. Au moment où j'aperçus enfin Silas, je remarquai également une silhouette encapuchonnée se balancer souplement dans le gréement. Mon coeur fit un bond dans ma poitrine lorsque je compris de qui il s'agissait.
- Edward Kenway !
J'avais hurlé son nom si fort qu'en l'entendant, Silas se retourna. Une aubaine pour l'assassin car cette distraction imprévue lui laissa tout le loisir de se rapprocher furtivement de sa cible. Lorsqu'il se laissa tomber sur elle, ce fut terminé. Le chef des pirates se releva lentement, victorieux, à quelques mètres de moi, son visage masqué par sa capuche.
J'eus juste le temps de voir la lame rougie se rétracter sous son bras avant qu'il ne dégaine deux pistolets et n'abattent deux hommes de la Murène qui se ruaient sur lui.
D'un mouvement de tête que je trouvai extraordinaire, il esquiva un coutelas. Il roula sur le dos d'un ennemi, sabra la gorge d'un autre avant de transpercer un troisième. Cet homme n'avait pas usurpé sa légende. Il faisait toute mon admiration depuis que j'avais entendu ses exploits et en ce jour béni où il se dressait devant moi, aussi vivant que moi, mes yeux pleuraient de bonheur. Ce n'est que tardivement que je me rendis compte que la bataille était finie et que je comptais parmi les rares survivants. Les pirates investirent le navire et je dus faire de gros efforts pour me soustraire à leur vue. Ce fut sans une once d'hésitation que je me dissimulai sous un cadavre. Je vis alors un grand noir rejoindre Edward qui baissa alors sa capuche, offrant son visage durci et ses cheveux blonds au vent salé du large.
Il avait vraiment fier allure et je pus me rendre compte à quel point il n'avait rien en commun avec les nombreuses crapules qui avaient croisé ma route. Je souris béâtement. J'étais si proche de lui que je pouvais entendre le cuir de sa tenue crisser au moindre de ses mouvements.
- Que fait-on du bateau ? s'enquit son fidèle second.
Deux hommes s'approchèrent. Ils tenaient fermement Stella qui s'agitait comme une lionne.
Elle aussi avait donc survécu. J'en fus soulagé, je dois l'avouer. Edward saisit une mèche de ses cheveux qu'il huma avec délice.
- Amenez-là à bord du JackDaw. J'ai toujours rêvé de caresser une sirène.
Les pirates emportèrent Stella. Le noir désigna les prisonniers.
- On les emmène aussi ?
Kenway les regarda à peine.
- Non, j'ai assez d'hommes et ceux-là ne méritent pas de faveur. Videz les cales et embarquez les pièces qui peuvent être utiles.
Le noir brandit un pistolet et les exécuta sans autre forme de procès. Je ne ressentis guère de pitié pour les malheureux. La loi du plus fort était plus que jamais en vigueur sous cette latitude.
Les deux pirates allaient s'éloigner lorsque le noir se mit à renifler l'air comme un chien. Il empoigna le bras de l'assassin qui s'alarma.
- Adé ?
L'intéressé se figea et se tournant lentement vers moi :
- Ca sent...
D'un bond il fut sur moi et d'une main de fer me souleva au-dessus du pont :
- La poule mouillée !
Lui et Edward s'esclaffèrent. Le dénommé Adewale arbora son pistolet encore fumant. J'adressai une prière improvisée à une éventuelle divinité connue pour sa clémence. C'est Edward qui intervint.
- Arrête ! J'ai changé d'avis. On a besoin d'une nouvelle vigie.
Le second s'exécuta sans broncher.
J'ignorais si je devais me réjouir de tant d'attention même de la part de mon idole. Le fait est que je prenais conscience que je n'allais peut-être pas gagner au change. On me reposa sur le pont.
- Quel est ton nom ?
J'étais maintenant assez près pour plonger mes yeux dans ceux de l'assassin.
C'était peu dire que j'étais intimidé.
- Jo...Jonas, Monsieur.
J'eus droit à un franc sourire.
- Et bien, Jonas...
Il fit une révérence en y ajoutant un geste élégant de la main vers son navire :
- Bienvenu à bord du JackDaw.
Je souris bêtement et c'est à ce moment là je crois que je me suis évanoui.
Un seau d'eau plus tard et j'étais de nouveau sur pied, debout sur le pont, mais cette fois du plus redoutable bateau des Caraïbes gouverné par le plus redouté des Capitaines.
J'observais les hommes oeuvrer autour de moi comme dans un état second.
Quand Edward revint prendre de mes nouvelles, je dus me rendre à cette plaisante évidence : Non, je ne rêvais pas !
Il s'amusa de mon expression.
- Alors, Jonas, tu prends tes marques ?
Je ne fus pas surpris le moins du monde de trouver Stella à son bras. Edward était évidemment un plus beau parti que Silas Ford, dans tous les sens du terme. Et puis elle n'avait pas vraiment le choix, dirons-nous.
Je ramassai une pomme qui traînait sur un tonneau et mordit dedans à pleines dents. Oui, histoire de me donner une contenance.
- Oui, pas de souci.
Edward ne fut pas long à remarquer combien Stella me méprisait. Que je fus le seul survivant de la Murène à part elle ne me rachetait aucunement à ses yeux. C'était sans doute même rédhibitoire. Edward la jeta soudain contre moi.
- Très bien, dit-il. Puisque tu fais partie de l'équipage tu es en droit de goûter à toutes ses richesses.
Stella me repoussa ouvertement avant de faire mine d'enlacer notre nouveau maître. Ce qui ne fut pas de son goût. Il la repoussa à son tour.
Je tendis une main timide vers elle sur laquelle elle cracha avec colère. Edward fit un geste rapide de la main et aussitôt deux gaillards se saisirent de la jeune fille et l'amenèrent sans ménagement sur la planche. Edward produisit un pistolet et la mit en joue sans la moindre hésitation.
- En te refusant à lui, tu joues rien moins que ta vie, ma belle. L'estimes-tu si peu ?
Il fit mine de tirer. Je me plaçais alors entre elle et lui faisant de mon corps chétif un maigre rempart.
- Non, ne faites pas ça, je vous en prie. Elle ne mérite pas un tel sort.
La tournure des évènements aurait dû me satisfaire, mais mon humanité refaisant surface je ne pouvais décemment pas laisser une telle injustice se perpétuer même si j'en percevais tous les avantages.
Edward baissa le canon de son arme.
- Très bien.
Il me lança le pistolet que je rattrapais malgré moi.
- Je te fais seul juge. A toi de décider de son sort.
Je pus lire une peur bleue dans les yeux de Stella. Mais rapidement suivie par une incroyable résignation. Elle se sentait aussi acculée qu'on pouvait l'être.
S'offrir à moi, je le voyais bien, était pour elle impensable pour les raisons que j'ai déjà évoqué. Au vu de l'accueil qu'elle m'avait toujours réservé, elle était certaine que je profiterais de ma position de force pour enfin assouvir ma vengeance. Elle préférait mourir plutôt que de renoncer à ses principes. Et que ce fut de ma main était pour elle plus acceptable que de continuer à vivre en mêlant nos deux vies.
Je rendis le pistolet à Edward.
- Qu'elle vive.
L'assassin siffla. Grands amateurs de spectacles, les pirates assistaient au dénouement de cette tragédie sans en perdre une seule miette.
Edward sourit et quitta le pont sans un mot. Aussitôt ses hommes reprirent leur besogne.
Elle resta prostrée sur la planche toute la nuit, grelottant de froid, de faim, sous une pluie battante. Je restai à proximité, comme veillant seulement sur elle. En l'épargnant, j'avais gagné son respect et même son estime. En restant à ses côtés, en partageant sa solitude forcée alors que rien ne m'y obligeait, je gagnai bien plus en vérité.
Le lendemain, Edward Kenway apparut, aussi rayonnant que le soleil au zénith.
- Prochaine halte à la Havane, les amis et c'est moi qui paye la tournée.
Des clameurs de joie accueillirent cette annonce. Les pirates entonnèrent un chant vibrant et plein d'entrain :
Tandis que le JackDaw faisait route vers de nouvelles aventures, je respirai à pleins poumons l'air chargé d'embruns et de cet incomparable sentiment de plénitude et de liberté. D'un bond majestueux, une baleine fit surface à quelques encablures. Je souris immédiatement en la reconnaissant.
Je sentis alors la douce main de Stella se glisser enfin dans la mienne et saisissant ma fidèle longue vue, je projetais mon regard vers l'horizon et toutes ses promesses.
C'était censé être un beau jour, mon jour de gloire.
Et ce le fut bel et bien, au-delà de tous mes espoirs.
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