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dimanche, 04 juin 2017

Le Duel [Nouvelles/Drame]

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- Pour qui travailles-tu ?
L’homme à qui était adressé cette question avait un cou de taureau, l’œil bovin. L’agent Rob Riggert se dit que cela allait bien avec le fait qu’il devait ruminer de sombres pensées.
Riggert faisait virevolter une cigarette entre les doigts de sa main droite depuis le début de l’entretien. Le prisonnier tourna la tête vers la pendule.
- Vous devriez la fumer maintenant, dit-il d’un ton placide comme on parlerait de la météo.
Riggert le regarda droit dans les yeux.
- Tu devrais répondre à ma question.
L’homme demeurait impassible, comme s’il ne se sentait pas concerné.
- Pourquoi vous ne me demandez pas plutôt qui je suis ?
Cet air détaché, Riggert le supportait de moins en moins. Il l’avait vu chez pas mal de types de son espèce depuis qu’il exerçait, mais là, il avait l’impression d’avoir trouvé le summum en la matière.
- Je n’ai pas de temps à perdre. Des identités c’est pas ce qui doit te manquer, nous le savons tous les deux.
L’homme donna un coup de menton en direction de la caméra de surveillance, au-dessus de l’épaule de son interlocuteur.
- Je comprends. Vos experts sont déjà à l’œuvre. Espérons pour eux que je n’ai pas trop abusé de la chirurgie esthétique.
Voilà qu’il se permettait une boutade ! La cigarette virevolta de plus belle entre les doigts de Riggert au risque de tomber à chaque instant.
- Ce qui me préoccupe plus qu’autre chose c’est pourquoi nous t’avons arrêté si vite. Tu es sans doute le terroriste à avoir été appréhendé le plus rapidement. C’est bien simple, il ne s’est pas écoulé une heure entre l’instant où la bombe a ravagé le centre commercial et ton arrestation dans le métro.
L’homme tordit sa bouche en une moue équivoque.
- Vous êtes très efficaces.
Il avait employé le ton de l’évidence. Les yeux de Riggert s’agrandirent sous l’effet d’une vive fureur.
Ce salaud était en train de se foutre de lui. Royalement !
Il empoigna sa tignasse noire et jeta son visage contre la table trois fois de suite.
Sorti de son fantasme, Riggert étudia les mains du terroriste.
- Je ne vois que deux raisons : ou tu es inexpérimenté ou tu t’es laissé arrêté à dessein.
Riggert plongea à nouveau son regard froid et tranchant comme une lame dans celui du criminel :
- Et je ne crois pas que tu sois inexpérimenté.
L’homme croisa ses mains.
- Gagné !
Riggert ôta sa veste dont il habilla le dossier de sa chaise. Il retroussa ses manches. Il portait une cravate unie, mais un œil expert pouvait y déceler de fins motifs, comme des arabesques. La crosse d’une arme était visible dans le holster qu’il portait à sa gauche. Le regard bovin du criminel s’éveilla à peine à la vue du pistolet. Lorsqu’il glissa sur la cravate, ce fut tout autre chose.
- C’est votre femme qui vous l’a offert, n’est-ce pas ?
Les yeux de Riggert roulèrent dans leur orbite en un ballet incessant.
- C’est aussi pour votre femme que vous voulez arrêter de fumer ?
Les lèvres de Riggert entamèrent une danse frénétique. La cigarette passait de doigt en doigt à un rythme effréné.
- A moins que ce ne soit pour votre fille ?
La cigarette s’immobilisa, tout comme les yeux, tout comme les lèvres.
Riggert devint une véritable statue. Il sortit son arme de son holster et fit feu à trois reprises sur le visage du terroriste. Avant de quitter son fantasme. Il secoua brièvement  la tête.
- Alors c’est pour moi que tu es là. C’est moi que tu veux. L’attentat n’était qu’un appât. Tout ce que tu voulais, c’était atterrir ici. Avec moi.
Riggert laissa quelques secondes s’écouler avant de reprendre d’un ton plu sec :
- Maintenant que c’est chose faite, qu’est-ce que tu comptes faire ?
Ses doigts se remirent à manipuler la cigarette.
Le prisonnier jeta un coup d’œil à la pendule.
- Vous devriez la fumer maintenant.
Riggert ne l’entendit pas. Il appuya sa main sur son oreille droite. Son regard s’intensifia.
- Merci, Ted.
Il s’installa sur sa chaise et fixa l’homme face à lui avec une délectation inédite comme s’il venait de remporter une victoire. Quelques coups résonnèrent à la porte derrière lui. Elle s’ouvrit. Un homme habillé sobrement déposa un dossier sur la table et quitta la pièce sans un mot.
Riggert s’empara du dossier.
- Maintenant je sais qui tu es, Basil Myrh. L’homme que toutes les autorités recherchent activement depuis sept ans. L’ennemi public n°1. Ma Némésis.
Basil Myrh esquissa un sourire.
- Qu’est-ce que ça fait de réaliser son rêve ?
Riggert posa sa cigarette sur la table. Basil l’observa comme si elle présentait plus d’intérêt que son propriétaire.
- Vous devriez la fumer maintenant.
Riggert l’ignora.
- Tu as tué beaucoup de tes hommes, beaucoup de mes hommes. J’en ai tué beaucoup des tiens, arrêté quelques-uns. Tu es passé maître dans l’art de faire des martyres. Ces sept dernières années, tu as fait du terrorisme une véritable religion, créant des essaims de kamikazes comme s’il en pleuvait.
Il marqua une pause. Son regard se durcit un peu plus.
- Notre pays a beaucoup souffert. Plus que les autres. Aujourd’hui je te tiens. Je sais que tu ne crains personne, que tu ne connais pas la peur et que tu ne redoutes pas la mort. Alors je compte bien te rendre fou. T’es-tu seulement préparé à cela ?
Basil ne répondit pas. Il regarda l’horloge. Il allait dire quelque chose lorsqu’il vit le cadran voler en éclats. Riggert rangea son silencieux dans son holster.
- Tu peux commencer à oublier les heures.
Puis il étudia le dossier.
- La sacoche qu’on a trouvée sur toi, elle contenait des objets plutôt inhabituels pour un terroriste de ta trempe. Nos experts sont en train de les examiner.
Basil s’humecta les lèvres avec exagération.
- Après l’attentat, je pensais faire un peu de tourisme dans votre beau pays.
Riggert alluma sa cigarette et l’écrasa sur un œil du terroriste. Avant de regagner la réalité.
Le terroriste cligna des yeux, donnant l’illusion à Riggert qu’il avait réalisé son fantasme. Cela le fit sourire, provoquant une once de consternation chez son interlocuteur.
- Tu as l’air fatigué, Basil.
L’intéressé acquiesça.
- La sieste viendra bien assez tôt.
Riggert élargit son sourire.
- Ca, tu peux en être sûr. Mais revenons plutôt à toi. Je pourrais évoquer ton enfance dans les Balkans, le meurtre supposé de tes parents et ta filiation à plusieurs groupuscules fascistes, finalement on en retirerait pas grand-chose. Pas l’essentiel, en tout cas.
Riggert repoussa le dossier.
- Puisque tu es venu de ton plein gré, si je puis dire, tu as certainement quelque chose à me dire, pas vrai ?
Basil produisit cette moue à la signification ambiguë.
Résignation ?
Malice ?
Admiration ?
- Rien à déclarer.
Riggert le fusilla du regard.
- Tu me prends pour un putain de douanier ?
- Plus de frontières, grogna Basil dont les yeux s’éclairaient progressivement d’une lueur inquiétante.
- Pour des types comme toi, ça c’est certain. Plus de limite, non plus. Mais sans toi, on sera un peu plus libre de circuler. Puisque tu n’as aucune question ni aucune déclaration à faire, moi je vais te poser une question.
Il se pencha vers Basil.
- Qu’est-ce que ça fait d’être le mal incarné ?
Basil ferma les yeux à demi comme s’il somnolait ou qu’il cherchait l’inspiration. Il les rouvrit d’un seul coup.
- Les médias sont devenus la cuisine du peuple. Ils lui donnent à manger. Et ils savent ce qu’il aime car ils créent sa faim et sa gourmandise. Le peuple ne veut pas de gens heureux, il n’en veut pas du bonheur. Il veut voir des choses en lesquelles il croit. Et il croit en l’horreur, en la souffrance. Il croit au mal.
A son tour, Basil se pencha vers son interlocuteur :
- Il croit en moi.
Riggert soupira moins qu’il ne le voulut. Il caressa la crosse de son arme comme si elle le démangeait.
- Tu te prends pour Dieu. C’est sans doute le moindre de tes défauts. Moi je crois en la justice. C’est sans doute le moindre des miens. Tu te prends pour un créateur, c’est ça ? T’as rien compris à la création, mon pauvre !
Basil émit un irritant bruit de gorge.
- Point de vue d’un profane.
Puis son visage se détendit.
- Vous devez être très fier maintenant que vous avez une femme, une fille. Maintenant que vous m’avez, moi.
Riggert sortit discrètement son arme et la pointa sous la table. La voix de Ted se fit entendre dans son oreillette au moment où son doigt allait presser la détente.
- Très bien, vous savez ce que vous avez à faire. Non, on annule l’opération. Tout le monde reste ici.
Il scruta le visage placide de Basil.
- On a une nouvelle priorité, je veux tout le monde sur le coup. Qu’on ne me dérange plus.
Il ôta son oreillette.
- Toujours rien à me dire ?
- Quelle heure est-il ?
- Tu as un rendez-vous ?
- Nous en avons tous un.
A présent, le visage entier du terroriste s’éclairait d’une lumière inquiétante. A tel point qu’il semblait s’être physiquement métamorphosé.
- Votre talon d’Achille, déclara-t-il.
- Quoi ?
- Je suis votre talon d’Achille. Ce bâtiment aurait dû être désert aujourd’hui, n’est-ce pas ? Vous aviez préparé un entraînement sur le terrain de très grande envergure. Une opération que vous venez d’annuler par le seul fait de ma présence. Au lieu de cela, la crème des agents anti-terroristes est réunie au même moment, au même endroit, pour enquêter sur moi et garantir ma captivité.
Basil Myrh sourit. Mais jamais un sourire ne provoqua plus d’effroi qu’il n’en suscita chez l’agent Rob Riggert.
- Votre talon d’Achille et un excellent cheval de Troie.
Riggert replaça précipitamment son oreillette et alluma son émetteur :
- Ted, c’est un piège ! Le contenu de la sacoche est une…
La salle et ses deux occupants furent soufflés par l’onde de choc.



Le prisonnier jeta un coup d’œil à la pendule.
- Vous devriez la fumer maintenant.
Riggert ne l’entendit pas. En regagnant la réalité, il appuya sa main sur son oreille droite. Son regard s’intensifia.
- Ted, directive 27. Effet immédiat.
Il s’installa sur sa chaise et fixa l’homme face à lui avec une délectation inédite comme s’il venait de remporter une victoire. Ils s’étudièrent en silence comme deux joueurs d’échec. Quelques coups résonnèrent à la porte derrière Riggert. Elle s’ouvrit. Un homme habillé sobrement déposa une sacoche sur la table et quitta la pièce sans un mot.
Riggert ouvrit la sacoche et en montra le contenu à Basil. Elle était vide.
Quelques secondes plus tard un grondement se fit entendre. Les murs vibrèrent. La cigarette tomba et roula sur le sol.
L’agent Rob Riggert referma la sacoche.
- Attentat échoué, Monsieur Myrh. Maintenant nous avons tout notre temps. Tu peux commencer à oublier les heures.

 

 

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