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lundi, 20 avril 2015

Battlecry [Nouvelles/SF]

nouvelle science-fiction, battlecry

 

-}}} esquissa un sourire à l’intention de ^^|||, mais cela ressembla plus à une grimace qu’à autre chose étant donné l’état de sa bouche atrophiée depuis des siècles d’inactivité. Ou plus précisément d’évolution puisque c’était le consensus qui avait été obtenu.

Dire que -}}} essaya de sourire relève en fait d’un malentendu. Les expressions faciales étaient tombées dans l’oubli. Le visage de -}}} s’était altéré par la simple nécessité de faire respirer les tissus.

-}}} tendit son contacteur et ^^||| fit de même.

A la base l’aspect des contacteurs importait peu, d’ailleurs au début, ils étaient tous fabriqués selon le même modèle, simple, épuré. Seule la composition faisait l’objet d’études poussées pour optimiser le transport des pensées.

Et puis cela aussi avait évolué. Désormais les contacteurs étaient des objets de mode, très esthétiques, très addictifs, très coûteux.

Celui de -}}} tentait comme tous les autres de refléter sa personnalité. Il était fuselé et lumineux car c’était un être précis, volontaire et bienveillant.

Celui de ^^||| était courbe car elle était connue pour arrondir les angles, c’était une fine diplomate. Il avait une seule teinte pour rappeler qu’elle était d’humeur égale.

-}}} toucha le contacteur de ^^||| :

///= m’a appris qu’ils avaient attaqué la cinquième colonie. C’est très inquiétant. Ca veut dire qu’ils se déplacent de plus en plus vite. Nous n’arrivons pas à les repousser suffisamment pour prendre l’avantage. 

^^||| lui répondit :

Nous n’avons jamais été confronté avant à une telle agression. Tout le monde a peur. Mais si nous restons solidaires, on peut espérer les décourager. Tu as accepté le poste d’Analyseur ?

J’hésite encore. C’est une fonction très intéressante, mais j’aurais voulu utiliser ma compétence dans un autre secteur.

C’est dommage. Tu as un grand potentiel et si l’exploiter ainsi permet en plus de trouver des failles chez notre agresseur, tu feras d’une pierre deux coups.

Le poste d’Analyseur consistait à étudier tous les objets provenant des envahisseurs qui avaient pu être récupérés. Il existait d’ailleurs un poste de Récupérateur. Etre Analyseur impliquait d’extraire - ou du moins d'essayer d'extraire - les pensées et intentions de la matière brute afin de dresser un profil psychologique de cette espèce dont ils ne savaient encore rien excepté leur désir manifeste de les exterminer et de s’approprier leur monde. Beaucoup pensaient que c'était une perte de temps car les envahisseurs ne fonctionnaient probablement pas comme eux en terme de communication. C'était un fait qu'aucun contact n'avait pu encore être établi avec eux. Ils demeuraient invisibles, insondables, et cela ne faisait que les rendre plus redoutables encore.

Par pudeur, -}}} ôta son contacteur de la main de ^^||| afin de réfléchir sur ce qu’elle venait de lui dire. Elle laissa délibérément le sien.

Il sait que j’ai raison. Je suis certaine qu’il acceptera bientôt. C’est quelqu’un de bienveillant et c’est pour ça que je l’apprécie.

Embarrassé par la pensée qu’elle venait d’avoir à son encontre, -}}} étudia son visage, réflexe commun à tous ceux de leur espèce puisqu’en cas de trouble, de stress, il savait y trouver une totale absence d’émotion qui avait le don de le rasséréner.

Comme tout le monde ^^||| avait le crâne chauve. Un autre consensus. Mais elle avait de grands yeux d’un bleu céruléen. Dans un autre temps, -}}} aurait été ému et même inspiré par le simple fait de les regarder. Aujourd’hui il n’avait d’intérêt que pour l’aspect de son contacteur qu’il trouvait très insolite. Cela pouvait faire figure de compliment. Un jour peut-être le lui dirait-il.

Il reposa la main sur le contacteur de son amie.

Merci pour ton honnêteté. Tu devrais rendre ton contacteur translucide pour refléter cet élément dominant de ta personnalité. Je te tiens au courant pour le poste. A bientôt.

Si elle avait pu sourire, ^^||| l’aurait sans doute fait.

 

Ils se revirent le lendemain à leur restaurant préféré.

Je t’invite. On a quelque chose à fêter.

Tu l’as fait ?

Oui, il y a moins d’une heure.

C’est super. Je suis vraiment contente pour toi.

Tu le savais. Tu es très perspicace. Ou alors c’est moi qui suis transparent. Peut-être que c’est moi qui devrais rendre mon contacteur translucide pour le refléter.

S’ils avaient pu rire, ils l’auraient fait.

Tu commences quand ?

Demain. Je suis un peu inquiet, mais en même temps j’ai hâte de commencer. Maintenant que je me suis décidé, je comprends la valeur de ce que je vais faire. Et c’est grâce à toi. Merci.

Elle était humble. Alors elle préféra éluder :

Tu travailleras tous les jours ?

Oui. Il y aura beaucoup à faire car il faudra que j’analyse ce qui a déjà été analysé pour ne rien négliger.

On aura plus le temps de se contacter.

Je ne pense pas. Enfin, il y a les relais. A distance, c’est possible.

C’est très cher. Moi je ne peux pas.

Moi je pourrais peut-être. J’ai vu qu’ils en avaient un dans l’entrepôt.

Le distributeur leur servit deux seringues.

Ils introduisirent l’aiguille dans l’implant de leur cou et quelques instants après ils se sentirent rassasiés.

Est-ce que tu pourrais faire comme l’autre fois ? J’ai vraiment aimé.

Il retira sa main de son contacteur après lui avoir demandé de faire de même afin de ne pas être troublé dans ses introspections.

Elle veut que je lise dans ses souvenirs et que je fasse remonter l’un de ceux qu’elle a oublié. Un beau souvenir. Mais c’est si intime. Nous ne sommes qu’amis. Une fois c’est déjà gênant, mais deux fois…

Il observa son visage qui ne trahissait rien, bien évidemment, de son état intérieur. L’esprit à nouveau apaisé, il comprit qu’elle lui demandait une telle faveur pour compenser le fait qu’ils n’allaient pas se revoir avant un moment. Et peut-être pour lui rappeler pourquoi il était si spécial. Elle ne connaissait personne d’autre qui pouvait utiliser un contacteur pour autre chose que le transport de pensées. Raviver des souvenirs c’était comme de la magie. Un Analyseur tel que lui valait de l’or.

Il reposa sa main.

Quelques instants après, si elle avait pu pleurer de joie, elle l’aurait fait.

 

Mais c’est énorme. Qu’est-ce que c’est ?

C’est une épave. L’un de leurs vaisseaux. Il s’est écrasé après avoir percuté une météorite. Enfin, c’est plutôt l’inverse. On a pas retrouvé les occupants. Ils ont du s’enfuir ou ont été désintégrés. C’est la première fois qu’on récupère quelque chose d’aussi gros. Dis-toi que pour ton premier jour, tu as une sacrée veine.

Je te remercie ///= de m’avoir pistonné. C’est un super boulot.

Attends d’avoir fait une journée complète avant de me remercier. Crois-moi, cette nuit tu vas dormir comme un bébé.

-}}} posa ses mains sur le métal. Il était encore chaud.

Allez, mon gros, dis-moi tout. Livre-moi tous tes secrets. Dis-moi qui ils sont et ce qu’ils veulent vraiment. Dis-moi d’où ils viennent et où veulent-ils aller ?

-}}} passa des heures à sonder l’épave, focalisant toutes ses ressources mentales, s’épuisant à faire de son esprit le meilleur des réceptacles. Mais rien ne filtra, pas le moindre fragment de pensée ou de souvenir. Le métal refroidi était désespérément muet.

Les autres analyseurs étaient déjà rentrés chez eux lorsqu’il songea à analyser l’intérieur.

///= leva le bras. -}}} sut qu’il voulait communiquer. Mais il n’avait pas besoin de contacteur pour savoir qu’il allait lui demander de partir à son tour. Il décida de l’ignorer. Il ne voulait même pas perdre de temps pour quelque chose d’aussi futile alors qu’il avait peut-être le pouvoir de trouver des informations capitales qui renverseraient le cours de la guerre. Ils n’étaient pas de taille, il le savait. S’ils devaient gagner la guerre ce serait avec ce qui faisait d’eux ce qu’ils étaient.

L'intérieur était encore chaud, témoignant encore de l'intense activité qui y avait régné dans un passé encore récent. -}}} frissonna pourtant en imaginant qu'un envahisseur avait pu s'embusquer sans éveiller les soupçons. Mais les Récupérateurs, qui étaient loin d'être des amateurs, avaient écarté tout danger aussi retrouva-t-il rapidement sa sérénité en s'en souvenant. Il ne trouva pour ainsi dire rien de notable, l'équipement et les accessoires avaient dû être détruits ou s'étaient éparpillés au moment de l'impact. Seul un objet assez imposant et lumineux attira son attention. Comme il avait l'air en bon état, -}}} supposa qu'il devait s'agir des commandes du vaisseau ou peut-être du moteur principal. Il n'était pas expert en la matière. Il posa ses mains sur l'appareil, s'attendant à ne rien capter du tout. Et c'est effectivement ce qui se passa. Mais cela n'entacha pas pour autant sa détermination.

Il doit y avoir un moyen de sonder cette épave. Je le sais, je le sens. Je suis capable d'exhumer des souvenirs, je dois pouvoir faire plus.

Tout en pensant cela, il caressa instinctivement son contacteur. Et c'est alors que l'inspiration lui vint. Pourquoi n'y avait-il pas songé avant ? Il posa son contacteur sur le mystérieux appareil et se concentra comme il ne l'avait probablement jamais fait auparavant. Les enjeux étaient tellement importants.

Si je pouvais arrêter la guerre. Ce serait tellement beau.

Des images d'explosions et de destruction massive bombardèrent son esprit. Des pensées qui n'étaient pas de son fait.

-}}} ôta brusquement sa main du contacteur. Il n'avait pas rêvé, quelqu'un venait de communiquer avec lui !  Il repensa à la menace de l'envahisseur embusqué. Les récupérateurs avaient-il fait l'effort d'imaginer leur apparence au-delà de leur propre répertoire ? Le coeur battant,  sa main tremblant comme pour l'accompagner, -}}} toucha à nouveau son contacteur. Il devait en avoir le coeur net.

Qui êtes-vous ? Un envahisseur ?

Il reçut l'image d'une planète dévastée où saillaient des édifices remplis de machines comme celle avec laquelle il était en train d'échanger.

-}}} sut intuitivement que sa réponse allait être déterminante quant à la nature des futurs évènements. Inconsciemment convaincu que c’était la meilleure chose à faire, il fit la chose la plus insensée qui soit : il renvoya l'image qui venait de lui être transmise.

Au moment où il terminait sa phrase, il eut comme un haut le cœur, un vertige comme si la nature du temps et de l’espace autour de lui changeaient sans qu’il en perçoive rien de l’extérieur. Il avait instinctivement fermé les yeux. Lorsqu’il les rouvrit, il était ailleurs.

La mystérieuse machine était toujours là, enfin pas tout à fait. Elle était différente, plus imposante, avec des éléments supplémenaires saillant à sa surface. Il n’était plus dans l’épave, cela il le comprit rapidement aussi, ou bien l’épave s’était transformée. Il ne sut dire ce qui était le plus angoissant. Il était dans une pièce sombre, comme sculptée dans la roche. Une caverne ?

Mais surtout il n’était pas seul. Deux êtres se tenaient près de lui. Il fit un bond en arrière. Ils étaient à la fois si proches et si éloignées physiquement de son espèce qu’il en ressentit un violent malaise. Mais ce n’est rien comparé à l’instant où leur bouche s’ouvrit et qu’il en sortit une suite de sons aux intentions terriblement précises.

- Je n’arrive pas à le croire. On a réussi à en ramener un !

-  Comme quoi, même après tout ce temps, on a encore quelque chose à apprendre du pouvoir des Zords. Toi qui doutais même qu’on arriverait à en pirater un pour suivre la bataille.

-}}} recula jusqu’à atteindre le mur le plus proche. Il n’était pas taillé pour la guerre. S’ils lui voulaient du mal, si c’était bien des envahisseurs l’ayant piégé comme il le craignait, son destin était scellé.

- C’est fascinant, dit l’un des êtres en s’approchant sensiblement de lui et en tendant la main.

- Ne t’approche pas trop, Viviane. A priori, ils ne sont pas belliqueux, mais s’il a peur de nous, qui sait quelle sera sa réaction ?

- Ne te comporte pas en Zord. Nous sommes peut-être les derniers humains alors j’entends bien faire la différence jusqu’au bout. Quitte à m’en mordre les doigts.

- Nous ne pouvons pas nous permettre ce genre de risques. Parce que précisément nous sommes sans doute les derniers humains. Et si l’on veut qu’il y en ait d’autres…

- Richard, tu nous a regardés. Si on avait dû avoir des enfants, ce serait fait depuis longtemps. On est condamné. Ne te voile pas la face. Tout ce qu’on peut espérer désormais, c’est transmettre à cette espèce tout ce qu’on sait sur les Zords afin qu’elle sache ce qu’elle affronte et qu’elle puisse sortir victorieux de cette guerre qui est en train de les consumer comme elle nous a consumé.

-}}} ferma ses oreilles. Les bruits qu’ils émettaient le dérangeaient. Ce n’était pas à proprement parler la nature des sons qui le dérangeait, mais plutôt le fait qu’ils puissent en produire avec leur bouche. La bouche ne servait pas. Il en conclut que ça ne devait pas être une espèce évoluée. Tant mieux. Il aurait peut-être une chance de s’en sortir. A compter qu’il sache seulement où il était entré. Sa confusion était totale. Il pensa au contacteur de ^^||| et cela l’apaisa quelque peu. Mais aussitôt il s’inquiéta pour elle, pour son peuple. Il s’était promis de faire quelque chose pour sauver son monde et voilà qu’en essayant il se retrouvait encore plus impuissant. Il ressentit un autre malaise, cette fois à l’intérieur, au niveau de son estomac. Comme un grand vide. La tête commençait même à lui tourner. Il n’était pas familiarisé avec cet état. Et c’est du plus profond de sa mémoire que vint la réponse.

Il me faut une seringue. Mais j’ignore s’ils en ont. Et s’ils n’en ont pas, comment je vais me nourrir ?

- Regarde. On dirait qu’il a une bouche, mais elle semble presque effacée. Tu crois que c’est une sorte de paria ? Comme un châtiment ?

- Comment veux-tu que je le sache, Viviane ? C’est le premier de son espèce que je vois. Je voudrais me réjouir de cette rencontre, mais on en a tellement bavé que je suis vraiment pas en état.

- C’est pas grave. Je me réjouirais pour nous deux. Il a pas l’air bien, en tout cas.

- A quoi tu vois ça ? Il a un visage aussi expressif que ma botte.

- Les femmes sentent ces choses-là.

Richard haussa les épaules avant de fourrager dans sa grosse barbe blanche. Excepté son humeur, il aurait fait un excellent Père-Noël. Si une telle chose avait eu encore un sens.

- Tout ce que je sais, moi, c’est qu’on devrait pas rester ici. Le piratage de ce Zord a sûrement été perçu par les autres. Ils peuvent rappliquer d’une minute à l’autre.

Il commença à rassembler leurs affaires dans deux grands sacs à dos.

- Ouais, là on est d’accord. Encore faut-il qu’il veuille venir avec nous.

Viviane dévisageait le visiteur avec son sourire le plus bienveillant.

- En même temps, s’il veut survivre, il n’aura pas le choix. Il ne sait pas encore où il a atterri, le pauvre.

- Je vais essayer de lui parler. On a bien réussi tout à l’heure. Ca devrait marcher même s’il est ici.

Viviane se tourna vers son homme :

- C’est le Zord qui a communiqué avec lui et qui l’a ramené ici, dieu sait pourquoi. Nous on a fait qu’appuyer sur des touches.

- Il a un étrange collier autour du cou. Ca doit être avec ça qu’ils communiquent.

Il me faut une seringue, tout de suite. Je ne sais pas ce qu’ils m’ont fait, mais ce n’est pas normal. J’ai faim ! Je vais mourir si je ne mange pas immédiatement !

Il hurla dans sa tête comme dans l’espoir qu’ils l’entendraient. Mais évidemment, c’était peine perdue. Il tituba, se mit à vaciller. Ses forces le quittaient, il était comme vidé de l’intérieur.

Une seringue, vite, je vous en supplie !

Viviane le rattrapa juste avant qu’il ne tombe. -}}} toucha accidentellement son front et ses cheveux argentés. Et c’est ainsi que le véritable premier contact inter-espèces eut lieu sur Terre. Viviane ne perçut pas des mots ou ce qui pouvait ressembler à un langage oral. Son esprit fut assailli par des images, extérieures à sa conscience, comme des souvenirs étrangers s’imposant à la place de ses propres pensées. Mais elle comprit immédiatement leur sens. Elle écarquilla les yeux et hurla presque malgré elle :

- Richard, il va mourir ! Il faut lui donner à manger !

- Qu’est-ce qui te prend de gueuler comme ça ?

- C’est sûrement un effet secondaire du voyage.

- Je veux bien, mais tu l’as toi-même remarqué. Il a pas de bouche.

Viviane prit une grande inspiration.

- Il est peut-être temps qu’il en ait une.

- Quoi ?

A l’instant où la femme de Richard avait émis son idée, -}}} la reçut de manière très claire dans son propre esprit. Il comprit ce qu’ils s’apprêtaient à faire. Il hurla. Son cri retentit dans la tête de Viviane au point qu’elle le repoussa, brisant le contact.

- Il n’est pas d’accord, mais tant pis. Donne-moi le couteau.

- Qu’est-ce que tu vas faire, t’es cinglée !

Viviane lui arracha la lame des mains. Le visiteur était si faible qu’il ne pourrait pas lui opposer de résistance en dépit de sa peur. Elle respira un grand coup avant de pratiquer une incision à l’endroit idoine. L’ouverture s’élargit, la peau se détendit.

Richard rejoint sa femme, aussi curieux qu’elle de voir ce qu’il pourrait en sortir.

- J’espère juste que t’as pas ouvert la boite de Pandore !

Elle tendit sa main :

- Donne-moi un morceau de pain au lieu de dire des âneries.

Richard grimaça et le lui donna avec une pointe de regret.

- C’est notre dernier. J’espère qu’il va pas le vomir juste après.

- Il n’as pas de dents. Donne-moi plutôt de la soupe.

Richard embrassa le morceau de pain et lui donna le thermos.

Viviane fit couler un peu de liquide dans la bouche du visiteur.

Il n’y eut aucune réaction sur le moment et subitement  il se dressa brusquement comme si elle lui avait fait manger un bol de piments. Sa poitrine se souleva et il poussa un cri inarticulé. Avant de s’abattre violemment sur le sol.

Au contraire de Viviane, Richard ne s’en émut pas le moins du monde :

- Je t’avais bien dit qu’elle sentait l’œuf pourri, ta soupe.

 

Pendant les semaines qui suivirent, Viviane et Richard s’occupèrent de -}}} comme l’enfant qu’ils n’avaient jamais eu, comme le plus improbable héritier. Ils lui apprirent à s’alimenter comme eux. Si son corps résista au début, il finit par capituler ; Question de survie. Le couple comprit de ce fait que même intérieurement son corps et le leur étaient très proches dans sa constitution.

Ils eurent également la surprise de voir des cheveux pousser sur son crâne, comprenant de ce fait qu’il n’était pas naturellement chauve contrairement à ce qu’ils avaient pensé en premier lieu. Plus le temps passait, plus le visiteur devenait plus proche d’eux à tous points de vue.  Parallèlement à leur enseignement délibéré, -}}} apprenait d’eux en les observant. Il comprit que les sons provenant de leur bouche étaient leur moyen de communiquer aussi incroyable que cela puisse paraître. Ils se nourrissaient et s’exprimaient avec le même organe. Cela dépassait tout entendement. S’il revenait un jour sur son monde, jamais on ne voudrait le croire s’il racontait tout cela. Il les vit même une fois coller leur bouche l’une contre l’autre. Il trouva cela tellement répugnant qu’il n’osa leur demander ce que cela signifiait.

Un jour il demanda mentalement à Viviane où ils se trouvaient exactement. Elle n’eut qu’à plonger dans ses souvenirs pour lui apprendre la vérité.

En tant que derniers représentants de l’humanité, Viviane et Richard pouvaient se considérer comme maudits, mais paradoxalement ils avaient aussi hérité du bien le plus précieux : l’histoire de la Terre. Ils la transmirent à -}}} sans rien lui cacher. L’heure n’était plus aux regrets. Il eut ainsi accès aux plus grandes tragédies aussi bien qu’aux plus belles découvertes. Un paradis devenu enfer à cause de la soif de pouvoir, d’un individualisme forcené conjugué à une course aveugle pour la technologie comme une réponse à tous leurs problèmes. Cette croyance avait fini par se retourner contre eux. Les Zords – anciennement appelés les ordinateurs – avaient fini par devenir autonomes et vouloir s’assumer en tant qu’espèce à part entière. De là était née une guerre à nulle autre pareille qui avait dévasté la planète. La violence des images devint telle que -}}} ôta les mains ridées de Vivianne de ses tempes, rompant la transmission.  Il se mit à pleurer. Cette découverte fut telle pour lui que même son visage parvint à exprimer sa stupeur. Vivanne et Richard en furent très émus. Richard s’était adouci dernièrement. Il était devenu moins ombrageux, moins râleur, pour le plus grand bonheur de sa femme.  Et c’est spontanément qu’il apposa ses mains sur le crâne enjolivé de longs cheveux noirs de leur héritier pour répondre à ses interrogations :

N’aie pas peur, ça ne fait pas mal. C’est naturel. C’est juste ton corps qui réagit à ce que tu as vu.

Mais ces images…Elles m’ont blessé. Je crois que j’ai les yeux qui saignent.

Richard sourit. -}}} remarqua combien ce geste illuminait son visage, le rendait plus beau. Il se promit de l’imiter un jour.

Non, tu ne saignes pas. Enfin, peut-être que si. Mais ce n’est pas grave. Ca veut juste dire que tu as…que tu es…

Richard n’osait allait bout de sa pensée. Mais c’était déjà fait. -}}} avait plus d’expérience que lui en matière de lecture des pensées.

Humain ?

Richard eut un sourire différent. Il était à la fois gêné et fier de ce constat.

Si j’ai l’air d’un humain, alors je veux apprendre à parler comme un humain.

Richard déglutit. Il se tourna vers Vivianne.

- Il veut parler notre langue.

Et le couple de verser à son tour quelques larmes.

 

- Il faut que je retourne chez moi.

Richard désapprouva d’un hochement de tête.

- J’ai piraté un Zord hier pour voir où la guerre en était. C’est trop dangereux.

- Mes amis sont sûrement en danger. Je ne vais pas attendre que mon monde soit détruit pour y retourner. A moins que…

Nathan dévisagea ses tuteurs avec une soudaine méfiance :

- Vous avez toujours voulu que je reste ici. Vous n’avez jamais cru que je pouvais sauver mon peuple, n’est-ce pas ?

Viviane posa une main sur son bras.

- Ce n’est pas un geste égoïste. C’est juste que nous ne sommes pas certains de l’endroit où tu atterriras si nous te renvoyons là-bas.

Nathan soupira.

- Plus on attendra et moins vous serez rassurés à ce sujet, vous le savez très bien. Et puis si je veux retourner sur ma planète ce n’est plus seulement pour arrêter la guerre. J’ai désormais une autre raison. J’ai toujours refusé de vous montrer où je vivais. C’est parce que j’avais honte. Nous vivons comme vous viviez autrefois. Je ne vois plus du tout mon espèce de la même façon. Je comprends que nous empruntons le même chemin que vous. Si cette guerre n’avait pas eu lieu, nous nous serions auto-détruits de toutes façons. Je ne sais pas comment ça se fait que nos deux espèces se ressemblent autant, mais c’est un heureux fruit du hasard. Je suis probablement le seul à l’heure qu’il est à savoir à quel point nous faisons fausse route. Si je reste ici, mon espèce est doublement condamnée. Je dois lui ouvrir les yeux comme vous avez ouvert les miens.

Viviane et Richard ne trouvèrent aucun argument à lui opposer.

Richard le serra dans ses bras avec toute la pudeur qui le caractérisait :

- Joli discours, fils. Tu aurais fait un merveilleux président.

Ils se mirent à rire tous les trois. Nathan adorait le son que cela produisait. Il avait décidément évolué sur beaucoup de choses. Il avait tellement hâte de partager toute son expérience avec…

Comme si elle avait lu dans ses pensées, Viviane s’enquit :

- Et puis qui sait ? Tu as peut-être une amoureuse là-bas qui se languit de toi.

Nathan rougit sans pouvoir rien répondre.

Ils rirent de plus belle.

Une explosion en surface coupa court à leur bonne humeur.

Nathan paniqua.

- Qu’est-ce que c’est ?

Viviane lui prit la main pour le rassurer. Sans succès.

- Ca ne peut être qu’une seule chose.

Nathan commença le rituel de départ vers un nouveau refuge. Avec plus d’empressement qu’à l’accoutumée.

- On s’est trop éternisé ici. Le piratage du dernier Zord sans doute. Ils vont bombarder, puis envoyer les drones pour vérifier si on est bien morts.

Il faisait nuit lorsqu’ils sortirent. Mais rien d’extraordinaire à cela. Tout autour d’eux ce n’était que ruines, gravas, édifices écroulés, décombres fumants. Un immense no man’s land.

En faisant remonter le souvenir de verts pâturages, de villes lumineuses et animées, Nathan eut un serrement au cœur. Il serra les poings. Cela ne devait pas se produire sur sa planète, que ça soit par la volonté des Zords ou par leur faute à eux.

- On va traverser le pont.

Viviane s’alarma.

- C’est trop loin, Richard. Ils nous auront repéré avant.

- On a plus le choix. Le meilleur refuge est de l’autre côte.

Le pont en question était un immense édifice métallique, un entremêlement de poutres complexe qui avait énormément souffert des bombardements à en juger par l’état de sa structure. Il enjambait un précipice qui au vu de son aspect était tout sauf naturel.

Nathan frissonna en comprenant ce dont il s’agissait vraiment à l’origine. Ils se trouvaient dans une ville qui en des jours meilleurs s’appelait Paris, la ville-lumière, la capitale d’un pays baptisé La France.

Les drones envoyèrent une série de sons aigus qui avaient pour fonction de paralyser les cibles potentielles afin de les rendre vulnérables et de les repérer plus facilement. C’était une nouveauté. Nathan qui avait conservé quelques attributs de son espèce, ferma intuitivement ses oreilles avant de poser une main sur ses compagnons :

Bouchez-vous les oreilles !

Mais il était déjà trop tard, le son les frappa de plein fouet. Vivian et Richard hurlèrent et s’agenouillèrent sur le pont. Richard glissa et le poids de son corps l’emporta instantanément dans le vide. Horrifié, Nathan plaqua ses mains sur les oreilles de Viviane.

Où sont ces foutus drones !

Il prit la femme dans ses bras et se mit à courir. Il savait que Richard ne pouvait survivre à une telle chute. Son cœur se serra, ses yeux s’embuèrent. Richard avait été comme un père pour lui. Jusqu’alors il ne savait pas ce que c’était. Sur sa planète on naissait comme on mangeait. Grâce à des seringues.

Il secoua la tête pour chasser ses sombres pensées ; Viviane avait besoin de lui, son peuple avait besoin de lui. Il ne pouvait pas se permettre de flancher, pas encore.

Le son se rapprochait. Par conséquent les drones aussi. Il y avait encore une longue distance à parcourir. Nathan baisa le front de Viviane pour lui insuffler du courage et s’en donner dans le même temps. Elle n’avait pas vu Richard tomber, mais elle devina ce qui s’était passé à l’instant même où il posa ses lèvres sur sa peau. Les humains étaient doués pour interpréter les contacts physiques autant que Nathan pour sonder les esprits.

Il vit arriver l’armée de drones. Il devait y en avoir pas loin d'une centaine. En détaillant les machines et leur armement, il se rappela qu'à une époque ils étaient contrôlés à distance par des soldats pour résoudre certains conflits et que c'était paradoxalement aussi un jouet dans les familles, simple gadget à la mode que les humains s'achetaient et s'offraient en toute liberté. Cruelle ironie du sort. Nathan savait qu’il n’avait aucun moyen de se défendre tout comme il savait qu’il ne pouvait se permettre d’échouer. C’est sans doute pourquoi il fit quelque chose de complètement insensé. Peut-être inspiré par l'attaque des drones, il s’immobilisa et après avoir correctement bouché ses oreilles et celles de Viviane, il ouvrit la bouche et poussa un hurlement. La fréquence monta rapidement. Les drones se figèrent. Leurs cerveaux artificiels devaient être en ébullition. Mais Nathan avait encore de la ressource. Il comprit enfin pourquoi les lèvres de son peuple avaient été ainsi scellées lorsqu'il sentit ce que Viviane et Richard avaient pris à tort pour des cheveux se charger d'électricité et se déployer autour de sa tête tandis que son cri résonnait à présent dans toute la ville. La raison pour laquelle ils se rasaient tous le crâne depuis toujours devait être intimement liée à cette formidable production d'énergie. En un temps lointain, son peuple aussi avait connu les affres de la guerre. Il le savait maintenant. Tout s'expliquait.

Quelques secondes plus tard, Nathan eut l’heureuse surprise de voir des étincelles relier ses cheveux et la structure du pont. Le métal était conducteur et la Tour Eiffel n'était fait que de cela. Une véritable bénédiction. Bientôt le pont entier fut saturé d'électricité et s'illumina comme à un jour de l'an. Les étincelles se mirent à sauter de drone en drone jusqu'à les faire éclater. Et si les éclairs ne les détruisaient pas, le cri de Nathan à lui seul s'en chargeait. L'armée réduite à néant, Nathan s'agenouilla, épuisé et stupéfait par sa prouesse.  Il n’était plus vraiment ce qu’il avait été et il ne serait jamais tout à fait humain. Mais il était bien mieux que cela, il était la somme de leurs deux espèces. Comme si les émotions humaines étaient devenues pour lui le parfait catalyseur de ses aptitudes naturelles déjà exceptionnelles.

Lorsqu’ils arrivèrent sans encombre de l’autre côté du pont, Nathan s’accorda un instant de répit.

Viviane et lui se dévisagèrent comme pour accorder à Richard une prière commune. Puis Nathan la reprit dans ses bras. Il la sentait très affaiblie par l’attaque des drones. Plus qu’il ne l’eut souhaité.

Ils parvinrent à un ensemble de bâtiments miraculeusement intacts. Nathan comprit que ce n’était pas vraiment un miracle. C’était seulement l’œuvre des Zords.

- Ce n’est pas un simple refuge. C’est une base de lacement, s’exclama  Viviane en découvrant leur destination. Richard avait sans doute cru bon de leur cacher l’information.

- Pour lancer quoi ?

- Des navettes spatiales.

- Pourquoi n’est-elle pas gardée dans ce cas ?

- Les Zords croient s’être débarrassés de l’humanité. C’est le moindre de leur défaut, dit-elle en souriant malicieusement. Tu vas pouvoir rentrer chez toi, mon petit.

- Mais je ne sais pas piloter.

- Cela ne t’a pas empêché de venir ici, je crois. Plus rien ne te résiste désormais. Je crois vraiment que tu peux sauver ton peuple de toutes les façons qu’il peut être sauvé. Alors va et accomplis des miracles. Je suis d’ores et déjà fière de toi. Je n’aurais pu de espérer meilleur épilogue à mon existence.

Nathan serra les poings et la prit dans ses bras.

- Tu vas tellement me manquer.

Il la sentit faiblir à nouveau. Il comprit que c’était la fin.

Il l’allongea sur le sol.

- En guise de message d’adieu, permets-moi une seule chose.

- Tout ce que tu veux.

- Comme tu n’as jamais osé nous le demander, je vais t’apprendre ce que ça veut dire quand deux êtres humains s’embrassent sur la  bouche. Et comme une image vaut mieux qu’un long discours.

Elle pose ses mains sur le front de Nathan et lui enseigna l’amour.

Nathan pleurait sans discontinuer, mais ne s’empêcha pas de parler pour autant :

- Je ne vous oublierai pas, je te le jure. Mon peuple connaîtra votre existence et saura ce qu’il vous doit.

Viviane sourit. Elle souriait encore sans ciller lorsque la navette décolla et disparut bien au-dessus de la Terre.

 

En un temps record, Nathan avait appris à lire dans les pensées des humains, à parler aux humains et à se rendre maître des Zords. Avec tous ses pouvoirs fraîchement acquis, traverser l'espace ne représentait finalement pour lui qu'un défi très relatif.

La navette réapparut au cœur de la plus grosse flotte des envahisseurs laquelle étaient justement en train de bombarder sa planète natale. Il ne pouvait espérer arrêter la catastrophe d’un seul geste. Mais c’est pourtant ce qu’il fit car il avait appris à ne plus se laisser dominer par la raison. Il projeta une image à l’attention de toute l’armée Zord. Une image si claire et si précise que son effet fut immédiat et sans recours possible. Les vaisseaux stoppèrent instantanément leurs attaques et firent demi-tour. 

Nathan fut accueilli en héros alors même que ses proches le croyaient mort depuis sa disparition dans l’épave. Il avait l’impression que cela faisait une éternité de cela.

Au comble de la joie il retrouva ^^||| et ///= qui évidemment eurent le plus grand mal à le reconnaître.  ^^||| leva la main pour annoncer un désir de communiquer. Lorsqu’elle arbora son contacteur, Nathan le lui prit des mains à sa grande stupeur et le jeta violemment au sol. Il plongea ses yeux dans les siens et sourit en repensant à Richard. Un jour elle le trouverait peut-être aussi beau avec ce sourire que lui la trouvait magnifique alors même que son visage était aussi expressif que la pierre. Ou que la botte de Richard.

Il éclata de rire.

 

- Nous allons bientôt effectuer notre entrée dans l'atmosphère, annonça Richard.

Celui qui se faisait appeler ///= il y a encore peu de temps adressa un sourire à Nathan et à la jeune femme aux longs cheveux dorés à ses côtés. ^^||| avait également troqué son nom de code contre un nom... digne de ce nom justement. Et rien ne lui avait fait plus plaisir que d'accepter de s'appeler Viviane après qu'elle eut écouté Nathan lui narrer ses mésaventures sur Terre et la rencontre de ses deux sauveurs.

Le vaisseau amorça sa descente, guidé en bonne intelligence par les machines et les pilotes. Il amorça sa descente parmi des dizaines et des dizaines d'autres vaisseaux. Car ce n'était pas une simple visite. C'était un véritable pèlerinage et aussi et surtout un projet de recolonisation majeur pour leur civilisation.

Les vaisseaux Zords qui étaient venus les attaquer et qui s'en étaient retournés grâce au pouvoir de Nathan avait fait plus que cela entre temps. Ils avaient détruit toutes les installations Zords sur Terre afin de pacifier la planète. Leur devoir accompli, ils étaient revenus prendre leurs passagers et les futurs habitants de la Terre.

La planète bleue apparut dans toute sa magnificence devant le hublot du vaisseau de Nathan. Son visage s'illumina à la vue de leur nouveau foyer. Viviane le dévisagea avec amour avant de serrer sa main dans la sienne et de l'embrasser...

 FIN

 

J'ai décidé d'intituler cette nouvelle Battlecry en hommage à l'album éponyme et à la musique Freedom Ship dont elle est le premier extrait, extrait que j'ai découvert récemment et qui m'a transmis l'émotion et l'inspiration qui me manquaient pour aller au bout de cette histoire. Vive la musique et merci Two Steps From Hell ! Le film The Giver a également été une bonne source d'inspiration même si j'avais déjà commencé à écrire lorsque je l'ai découvert. Avec le recul, on pourra trouver aussi d'autres références comme Matrix ou Superman. Inconscientes, mais indéniables !

 

 

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Commentaires

Très intriguant, j'ai hâte de lire la suite. Merci !

Écrit par : Hervé Smagghe | jeudi, 09 avril 2015

tant mieux mais j'ai réalisé que la fin que j'avais prévu est peut-être pas aussi bien que je pensais je suis encore en recherche

Écrit par : Greg Armatory | jeudi, 09 avril 2015

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