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vendredi, 05 décembre 2014

Le Cycle de Tschaï [Livres/SF]

Couverture de Cycle de Tschaï 2 - Le Wankh

Couverture de Cycle de Tschaï 3 - Le Dirdir

La lune rose Az et la bleue Braz, iconiques du cycle tout comme le soleil 4269 de La Carène, trois astres qui créeront des ambiances uniques au long des jours passés sur Tschaï.

Peu de grandes oeuvres de SF ont échappé à une adaptation cinématographique. Mais s'il y en a bien une qui a résisté malgré elle à la machine hollywoodienne c'est bien le Cycle de Tschaï de Jack Vance (Cugel Saga).

Un bien étrange paradoxe étant donné son univers foisonnant digne de Starwars, sa réflexion sur la condition humaine le rapprochant de La Planète des Singes et sa crédibilité qui n'est pas sans rappeler l'authenticité d'un Seigneur des Anneaux, sans parler des complots et manoeuvres liant les grandes races de la planète à l'instar des familles de Dune.

Peut-être justement sont-ce ces liens indirects avec ces différentes références qui ont plongé Le Cycle de Tschaï dans un anonymat dont il peine encore aujourd'hui à sortir malgré une adaptation BD - qui l'a sans doute plus desservi qu'autre chose - et sa nette prédisposition à susciter le plus vif engouement auprès des amateurs de mondes imaginaires, grâce à sa forme autant que son fond.

Le Chasch est à ce titre un monument, sans doute le meilleur des quatre volumes. Comme tous les premiers épisodes, il a comme qualité de nous faire découvrir le héros, l'univers dans lequel il va évoluer et les enjeux qui vont créer l'immersion la plus immédiate. Le rythme est soutenu - excepté un passage un peu longuet lors de la fuite de Dadiche - l'écriture est précise sans jamais être alourdie de détails superflus, donnant juste ce qu'il faut au lecteur pour le guider et nourrir sa propre imagination. En cela le style de Vance est idéal et contribue énormément à la magie de l'oeuvre. Et dès lors il est aisé de visualiser le film qui pourrait en découler tant les ambiances et les personnages nous apparaissent avec une netteté qui ne cesse de nous étonner. Tant et si bien qu'on pourrait penser que Vance a écrit une version romancée d'un scénario hollywoodien préexistant.

Et puis à l'instar d'Hemingway, Vance s'attache à l'aspect sensitif, en précisant les couleurs, les odeurs, les sons et les saveurs, ce qui renforce la crédibilité de Tschaï qui apparaît de plus en plus au lecteur comme une planète réelle faisant du cycle moins une simple fiction qu'un véritable récit de voyage doublé d'une étude géo-politique.

Il faut enfin souligner la densité, la richesse du Chasch, son aspect roboratif dans son action, sa dynamique et son discours, sans jamais nous perdre, ni nous noyer alors que pourtant à l'instar du héros, on a tout à apprendre de Tschaï. Mais tout est question d'équilibre et force est de reconnaître que dans Le Chasch, Vance parvient à doser tous les ingrédients avec une maîtrise exemplaire.

Couverture de Cycle de Tschaï 2 - Le Wankh

En comparaison le Wankh est presque son opposé. Si la croisière est l'occasion d'une discussion intéressante (quoiqu'un peu longue) et d'un événement tragique (assez prévisible) endeuillant l'équipée, le rythme est désespérément lent, l'intérêt demeurant en surface. Hormis la rencontre avec quelques nouveaux personnages d'envergure (Dordolio, Zarfo le Lokhar, Esse), on suit avec un détachement croissant les péripéties d'Adam Reith et de ses amis qui se résument à marcher, voyager, parlementer et ainsi de suite, sans offrir de saveur et de tension dignes de la précédente aventure. Seule compensation, la découverte de la langue des Wankh, passionnante puisque basée sur l'émission d'harmoniques. L'écriture des Wankh se présente elle-même sous la forme de symboles cunéiformes - dont l'interprétation n'est pas sans rappeler les idéogrammes asiatiques - qui lues par les Wankh leur apparaissent naturellement sous forme d'images mentales, chacune associée à un son spécifique. A ce niveau, Vance et Tolkien peuvent se serrer la main pour ce qui est de savoir imaginer un langage à la fois crédible et novateur.

Heureusement Le Dirdir va redonner un coup de fouet à la narration avec la mythique zone des Carabas où les sequins - la monnaie de Tschaï - peuvent être ramassés en abondance pour peu qu'on ait de la chance et surtout le courage d'affronter les Dirdir, véritables prédateurs doté d'un instinct de chasse primitif parfaitement aiguisé.

Une fois encore, Reith trouvera une stratégie payante pour non seulement neutraliser ses adversaires, mais également se rapprocher de son but : fabriquer un vaisseau de toutes pièces à l'abri des regards indiscrets. Heureux hasard - ou intelligence de l'auteur - c'est au moment précis où l'on se dit, blasé, que décidément rien ne résiste à l'éclaireur, que celui-ci se trouvera enfin un adversaire digne de lui en la personne d'Aïla Woudiver. Si Jabba le Hutt se réincarnait en homme, il aurait probablement les traits d'Aïla. Adipeux, intelligent, pervers, et sans pitié, il incarne à merveille la némésis d'Adam Reith et à ce titre il mettra ses nerfs à rude épreuve, le forçant à la compromission comme personne avant lui. Pour la première fois depuis son arrivée sur Tschaï, le terrien va apprendre à mettre de l'eau dans son vin. Il faut dire que le jeu en vaut la chandelle. Reith et ses amis n'ont jamais été aussi près de quitter la planète. Mais bien entendu, tout ne se passera pas comme prévu, pour le plus grand plaisir du lecteur qui fera ainsi connaissance avec la quatrième et dernière grande race de Tschaï.

 

Dans une première partie, Adam Reith va faire connaissance avec les Pnume et leurs moeurs d'une manière plutôt originale. Peuple souterrain pour le moins mystérieux dont la discrétion confine au sacré, les Pnume vont avoir le mérite de surprendre plus d'une fois le terrien. Reith va (enfin) se sentir vraiment en insécurité dans ces galeries où la lumière et l'espoir de rejoindre la surface sont aussi faibles. Sa rencontre avec une jeune Pnumekin du nom de Zap 210 va heureusement changer ses perspectives d'avenir...mais comme d'habitude pas que les siennes. Le lien qui va s'établir entre les deux êtres que tout semble opposer va être le principal intérêt de ce périple tout en tension, puisque Reith devra à la fois convaincre sa partenaire de coopérer en dépit - une fois n'est pas coutume - des convenances et de la menace constante d'être découvert.

Une fois revenu à la surface, les principales préoccupations du terrien seront de se constituer un petit pécule suffisant pour regagner Sivishe ainsi que de familiariser Zap 210 aux moeurs des habitants de la surface qui n'ont évidemment rien à voir avec celles qu'elle a toujours connues. Dans le même temps leur intimité va croître en dépit des troubles de la jeune Pnumekin de constater à quel point la pudeur est une notion très secondaire à la surface. Reith sera pour le coup l'enseignant, l'éducateur, lui qui est, pourtant, à la base, le parfait étranger. Un paradoxe savoureux.

On peut reprocher à la fin de ce volume et donc du cycle entier un déroulement un peu précipité allant trop dans le sens des objectifs du héros ce qui l'amène à résoudre de manière expéditive une situation complexe qui aurait pu une nouvelle fois remettre en question son départ voire sa survie. On sent que son statut d'ennemi publique n°1 finit paradoxalement par être son plus gros atout. Une manière peut-être de dire qu'Adam Reith est devenu malgré lui le prophète dont les Pnume ainsi que toutes les races attendaient en secret la venue. On peut dire que de ce point de vue ils n'ont pas été déçus. Le lecteur non plus. Même si comme vous l'aurez compris l'intérêt est inégal, le travail sur l'univers et la capacité d'imagination de Vance en revanche sont inattaquables.

Adam Reith, Héros Ultime ?

Si chaque volume est consacré à une race en particulier, Vance ne fait pas l'erreur de compartimenter les informations au sujet de chacune d'elles. Il les dilue tout au long de cette véritable odyssée, complétant progressivement une encyclopédie qui - si elle laissera énormément de lacunes et de doutes - saura combler le lecteur avide de satisfaire sa curiosité.

Adam Reith est une sorte de demi-dieu moderne. En apparence simple humain, il défie des créatures qui lui sont à priori supérieures que ce soit en nombre ou en moyens. Etranger, paria, fugitif, suspect, ennemi publique, il ne cessera de se mettre à dos les peuples dominants, provoquant leur fureur puisque retournant contre eux leurs us et coutumes sans oublier de remettre en question l'ordre et les lois établis, non sans user de la violence. Mais Adam Reith sait aussi faire naître des révoltes par son seul raisonnement et c'est sans doute ce qui le rend encore plus dangereux aux yeux des autochtones. C'est ainsi que captif et privé de toute arme, il parvient à semer le trouble dans les esprits des Wankh.

Si au départ son objectif est simple (retrouver son vaisseau pour rejoindre la Terre) constater à quel point les hommes sont soumis et conditionnés par la mentalité de leurs maîtres extraterrestres nourrira son âme rebelle, le proclamant malgré lui comme leader, berger, un libérateur que personne n'espérait, mais que tous attendaient.

Et ce n'est sûrement pas un hasard si Traz l'homme-emblème et Anacho l'homme-dirdir, ses deux inséparables acolytes, le suivront contre vents et marées alors qu'ils différent tant de lui et comprennent rarement ses motivations. Car il est un fait que parce que Adam Reith n'a aucune raison de se comporter autrement que comme lui-même, comme un terrien, comme un homme, conquérant et insoumis, il redonnera l'espoir d'un renouveau, d'un changement jusque-là pétrifié par la peur d'une guerre couvant entre les grandes puissances de Tschaï.

De là à dire que la Terre elle-même aurait besoin d'un Adam Reith afin de sortir de sa léthargie et de ses convictions...

Car Adam Reith est l'archétype absolu du héros de fiction : c'est un aventurier, fait plus que tout autre pour explorer et s'adapter à toute situation. Et le moins que l'on puisse dire c'est que cette faculté va lui servir en permanence, jusqu'à le repousser dans ses retranchements. Il sait se battre, argumenter, séduire, planifier, patienter, improviser. Pour lui rien d'impossible, il faut seulement trouver la bonne méthode, celle dont le résultat sera toujours à la hauteur des efforts placés en elle. Et c'est à la fois la force et la faiblesse de l'histoire. On admire, mais en même temps on regrette que les obstacles posés sur le chemin d'Adam Reith n'apparaissent que comme des occasions de prouver une énième fois sa force et son audace, ridiculisant des menaces dont la simple évocation suffisait à nous faire dresser les cheveux sur la tête. On réalise alors que c'est la difficulté qu'il associe à une entreprise, le danger qu'il associe à un ennemi qui détermine l'importance de ceux-ci. Adam Reith est un véritable prisme dans lequel va finir par se refléter la planète tout entière. Il est un moteur vivant, un être constamment en mouvement. Même lorsqu'il est acculé, il est vivace, peut-être même plus encore. Car son si corps est parfois entravé, son esprit, lui, est toujours libre et actif. Il incarne à merveille l'esprit de survie et avec lui une dignité mâtinée d'un égo souverain. Peut-être tout simplement parce que Adam Reith se sait être le seul véritable être humain digne de ce nom sur Tschaï, pour le meilleur et pour le pire. Il est malgré lui le représentant de tout un peuple. Il va donc se faire le devoir de montrer de quoi est capable un être humain, érigeant ses actes en exemple comme s'il devait réparer toutes les injustices commises sur Terre. Et de ce fait s'il ploie ou s'il périt, c'est l'humanité entière qui viendra à disparaître de la surface de Tschaï. Une sacrée responsabilité vue sous cet angle. On comprend alors mieux pourquoi notre héros va remuer ciel et et terre pour parvenir à ses fins.

Peut-être ce qui manque au récit pour le rendre complet d'un point de vue émotionnel est une forme de flaschback ou de révélation qui aurait expliqué de manière plus intime ce formidable esprit guerrier qui anime Adam Reith, lacune qu'on perçoit encore plus dans le film Avatar. Il est assez évident qu'Adam Reith et Jake Sully  partagent pas mal de points communs.

Dans le cas de Jake, on sent dès le début que l'introduction ne colle pas avec les ambitions générales du film et le talent de scénariste reconnu de James Cameron. Une séquence où on l'aurait vu oeuvrer en tant que soldat et perdre ses jambes par exemple n'aurait pas été superflue. Elle aurait eu le mérite de surcroît de peut-être mieux nous faire accepter sa témérité parfois excessive.

                   En lien :

John Carter

Avatar

 

Spéciale dédicace à ma Grand-mère très perspicace grâce à qui j'ai découvert cette oeuvre majeure !

 

 

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